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Merci beaucoup, monsieur le président et merci aux membres du Comité.
Je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui.
Dans le cadre de l'analyse que je présenterai aujourd'hui sur les menaces qui ont une incidence sur le Canada et les Forces armées canadiennes, je vais me concentrer sur l'Europe et le conflit Ukraine-Russie. Je suis conscient que l'étude du Comité présente un point de vue mondial et que le Canada a des préoccupations en matière de défense qui portent sur d'autres régions du monde, mais il faut reconnaître que le plus grand déploiement militaire du Canada se trouve actuellement sur le territoire européen.
Au cours de la période de questions, je serai très heureux d'aborder les menaces qui touchent les Forces armées canadiennes dans les autres régions importantes, ainsi que la nature des menaces auxquelles les Forces armées canadiennes sont confrontées dans l'ensemble du spectre des conflits, du terrorisme à la guerre conventionnelle.
La menace immédiate à laquelle le Canada fait face, et qui, en conséquence, concerne directement les Forces armées canadiennes, est le conflit entre l'Ukraine et la Russie. La possibilité d'une guerre conventionnelle à grande échelle entre l'Ukraine et la Russie ayant un effet de propagation sur les pays de l'OTAN voisins constitue un danger évident et réel. Des actions diplomatiques proportionnelles à ce danger sont en cours pour désamorcer la confrontation. Le Canada joue un rôle central et est pleinement engagé dans les opérations liées à la défense et à la dissuasion, ainsi qu'au dialogue et à la diplomatie.
Mais quels sont les enjeux de ce conflit et quelles en sont les issues possibles?
Le conflit a été décrit par certains comme une bataille entre la démocratie et l'autocratie, ou entre l'ordre libéral fondé sur des règles et la realpolitik ou l'école de pensée du réalisme politique qui définit les relations interétatiques en fonction de l'intérêt national et de la puissance — principalement économique et militaire. Dans cette dernière conception de l'ordre mondial, le concept de sphères d'influence joue un rôle essentiel et se trouve au cœur de la crise actuelle.
L'Ukraine est le territoire disputé. Depuis l'effondrement de l'Union soviétique en 1991, la République socialiste soviétique d'Ukraine est devenue un pays indépendant, comme beaucoup d'autres anciennes républiques soviétiques, y compris la Russie. Les soubresauts politiques, socioéconomiques et militaires qui ont suivi sur le territoire de l'ancienne Union soviétique ont atteint un point critique sur la question litigieuse de savoir si l'Ukraine devrait se joindre à l'OTAN ou demeurer un État tampon neutre entre l'Occident et la Russie.
En résumé, à partir de 1991, l'Ukraine a suivi une politique officielle de non-alignement, maintenant un équilibre entre la Russie et l'Occident — plus précisément l'OTAN et l'Union européenne. Cette politique a connu un changement radical à la fin de 2013 et en 2014, lorsque l'Ukraine s'est rapprochée de la Russie. Cela a conduit à la révolution de Maïdan par les Ukrainiens de tendance occidentale, qui ont chassé le président prorusse. Cette situation a entraîné un soulèvement des Ukrainiens prorusses dans la région de l'est de l'Ukraine, le Donbass.
Inquiets du rapprochement de l'Ukraine avec l'Occident, et en particulier avec l'OTAN, les Russes ont réagi rapidement pour s'emparer de la Crimée et protéger leur flotte de la mer Noire basée à Sébastopol. En même temps, ils ont apporté un soutien militaire et politique essentiel aux rebelles ukrainiens dans le Donbass. En février 2015, les combats ont cessé à la faveur d'un accord de paix, connu sous le nom des accords de Minsk.
Au cours de la période de questions, je serai disposé à vous donner plus de renseignements sur ces accords et sur le processus de Normandie qui vise à les mettre en œuvre et à mettre un terme au conflit dans le Donbass.
La frustration des Russes face à l'échec actuel de la mise en œuvre des accords de Minsk ainsi que les efforts politiques importants déployés par l'Ukraine pour adhérer à l'OTAN ont conduit la Russie à déployer ses forces à grande échelle pour influer sur l'issue de cette impasse, afin que son dénouement soit favorable à ses intérêts en matière de sécurité.
Nous nous trouvons donc aujourd'hui face à des choix difficiles et à des résultats qui pourraient avoir un impact sur le Canada et les Force armées canadiennes. À Vienne, les discussions diplomatiques entre la Russie et les États-Unis, l'OTAN et l'Organisation pour la sécurité et la coopération — l'OSCE — se multiplient.
Les démarches diplomatiques entreprises jusqu'à présent n'ont pas permis d'arriver à un accord sur la question des options de l'Ukraine à l'égard de l'OTAN, mais il existe des possibilités de négociation sur le contrôle des armements et les mesures propres à renforcer la confiance et la sécurité, y compris une possible discussion sur une nouvelle architecture de sécurité en Europe.
Pour gagner du temps, c'est pendant la période de questions que je me propose de présenter de manière plus détaillée les options diplomatiques ainsi que le rôle potentiel de la diplomatie canadienne.
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Monsieur le président, madame la vice-présidente et distingués membres du Comité permanent de la défense nationale du Canada, je vous remercie beaucoup de m'avoir invité à témoigner devant vous. Je m'en trouve d'autant plus honoré que je suis de nationalité américaine.
Compte tenu de mes antécédents et de mon expertise, il sera probablement plus utile que je vous présente le point de vue américain, et cela le plus brièvement possible.
Selon nous, l'actualité internationale est dominée par l'arrivée de la Chine en tant que superpuissance et par la suprématie du continent asiatique. La Chine va bientôt représenter un cinquième à un quart du PIB mondial, tandis que l'Asie dans son ensemble représentera la moitié du PIB mondial, une part qui ne cessera d'augmenter.
Qui plus est, il semble de plus en plus évident que la Chine poursuit sa quête d'hégémonie régionale en Asie, cherchant essentiellement à établir une influence prédominante sur la plus grande zone de marché du monde. Tirant avantage de cette position, Pékin serait en mesure de dominer l'économie mondiale et de se servir de ce pouvoir pour exercer une influence décisive dans les affaires des autres pays.
Du point de vue des États-Unis, cela signifie que l'intérêt premier de la politique étrangère américaine doit être d'empêcher la Chine d'exercer son hégémonie régionale en Asie. Pour ce faire, Washington devra être à la tête d'une coalition d'États ayant la volonté et la capacité de bloquer les ambitions hégémoniques de Pékin. Cette coalition œcuménique sera probablement centrée sur des pays asiatiques comme le Japon, l'Inde, l'Australie, Taïwan, la Corée du Sud et le Vietnam. Nous pouvons percevoir cela comme une coalition anti-hégémonique, liée par cet objectif commun.
Le succès d'une telle coalition reposera en grande partie sur une composante militaire suffisamment forte. Pourquoi? Bien que la plupart des discussions sur la Chine portent essentiellement sur l'immense pouvoir économique de Pékin — une préoccupation des plus justifiées —, la menace militaire que la Chine représente en Asie est réelle, grave et urgente.
La raison en est quelque peu paradoxale: même si la Chine est très forte sur le plan économique, Pékin aura beaucoup de mal à transposer son influence économique en une influence politique décisive. D'ailleurs, elle en fait actuellement l'expérience avec l'Australie. Pour cette raison, la Chine se tournera probablement vers son armée immensément puissante et s'en servira comme outil pour poursuivre son objectif d'hégémonie régionale.
Les forces armées chinoises, encore rétrogrades il y a 30 ans, sont maintenant devenues l'armée de premier plan que l'on connaît aujourd'hui. En outre, l'Armée de Libération Populaire n'est plus seulement une force de défense territoriale; elle est désormais une armée de « projection de puissance », en mesure de projeter et de maintenir une puissance militaire dominante.
Dans ce contexte, les visées les plus dangereuses de Pékin reposent sur une stratégie ciblée et séquentielle. Dans ce modèle, Pékin tenterait de court-circuiter ou d'éliminer la coalition anti-hégémonique par un recours accru à une force limitée. Cela permettrait d'éviter les coûts et les risques d'une guerre totale, mais, en cas de succès, de réaliser quand même les objectifs systémiques transformationnels de Pékin. Cette approche pourrait fonctionner du fait que la coalition dépend de la confiance de ses membres: ils doivent sentir qu'ils seront suffisamment protégés pour justifier les risques qu'ils prendraient en s'opposant à Pékin. Toutefois, si les pays estiment qu'ils seront vulnérables et assujettis à la colère de Pékin, ils seront beaucoup plus enclins à tirer le meilleur parti d'une mauvaise situation et à conclure un accord avec la Chine, ce qui permettrait à celle‑ci de poursuivre sa marche vers l'hégémonie régionale.
Le rôle que doivent jouer les États-Unis pour empêcher que cela ne se produise est absolument central. Seuls les États-Unis sont assez forts pour s'opposer directement à la Chine, et les pays asiatiques ne peuvent vraiment s'opposer prudemment à la Chine que s'ils savent que les États-Unis seront là, leurs forces aidant, pour les défendre. La force et la détermination américaines sont sans contredit le fer de lance de la coalition anti-hégémonique. Je ne le dis pas par orgueil, c'est simplement la réalité de la situation du pouvoir en Asie, et la façon dont les pays asiatiques vulnérables doivent y réfléchir et y réfléchissent de fait.
Pour cette raison, les États-Unis doivent s'assurer qu'ils peuvent efficacement défendre leurs alliés en Asie contre la Chine, parallèlement à leurs propres efforts. Si les États-Unis n'y parviennent pas, la coalition risque de s'effondrer, ouvrant la porte à la dominance par la Chine du plus grand marché du monde, avec les conséquences les plus graves que cela entraînerait pour notre vie nationale. Par conséquent, la stratégie de défense des États-Unis doit être axée sur la capacité de faire barrage à une telle action chinoise en Asie. Ce doit être une stratégie que le peuple américain doit pouvoir raisonnablement soutenir, une stratégie qui serait à la fois saine et rationnelle à mettre en œuvre.
Cela passe par une stratégie militaire de refus: essentiellement, la capacité de faire échec à une invasion chinoise, ce qui serait probablement nécessaire pour que la Chine mette véritablement au pas un allié américain. Puisque Taïwan est bel et bien un allié des États-Unis et la première ligne du périmètre de défense américain, les États-Unis doivent donc être en mesure de refouler toute invasion chinoise de Taïwan. Si nous y parvenons, les alliés des États-Unis en Asie devraient rester forts et la coalition anti-hégémonique devrait pouvoir fonctionner efficacement, mais il s'agira d'une norme militaire des plus exigeantes.
Compte tenu de la taille de l'économie chinoise, de la proximité de Taïwan avec le continent et de notre négligence relative, ainsi que celle de Taïwan, à l'égard de la menace militaire chinoise, la situation est désormais urgente. Nous accusons du retard à ce chapitre et nous risquons, semble‑t‑il, d'accuser encore plus de retard. À ce rythme, bon nombre des meilleures analyses militaires accessibles au public suggèrent que nous pourrions aboutir à un échec si la Chine décidait d'envahir Taïwan au cours des prochaines années. En conséquence, les États-Unis doivent fortement réorienter leurs priorités militaires vers le Pacifique occidental, tout en recapitalisant leur force de dissuasion nucléaire et en maintenant une position antiterroriste peu coûteuse.
Il en résulte que les États-Unis devront réduire leurs engagements militaires non seulement au Moyen-Orient, mais aussi en Europe. Ainsi, les États-Unis ne disposeront pas d'une armée capable de gérer en grande partie à elle seule les trois grands théâtres eurasiens. Cela créera des vides dans d'autres parties du globe. Mais nous n'avons pas vraiment le choix. Les États-Unis ne sont désormais plus le seul joueur à la table; la Chine est devenue une autre superpuissance, au moment même où d'autres menaces persistent.
D'un autre côté, si l'Europe en particulier est importante, elle est loin de l'être autant que l'Asie. Et la Russie est bien moins puissante que la Chine. Par conséquent, les États-Unis réduiront tôt ou tard leur rôle militaire en Europe et au Moyen-Orient; la question est de savoir si cette transition se fera sans heurt.
À mon avis, la solution à ce problème est claire: les alliés doivent en faire plus. Le partage de la charge n'est plus seulement une question de moralité de la part des États-Unis, mais plutôt une nécessité stratégique pour la sécurité des alliés. Toujours selon moi, le meilleur modèle d'alliance pour l'avenir s'articulera autour d'un modèle fondé sur les intérêts et la division du travail. Plutôt que d'agir comme si tous les alliés des États-Unis adoptaient l'adage « tous pour un, un pour tous » — une approche irréaliste et vouée à l'échec —, les États-Unis devraient plutôt encourager leurs alliés et partenaires à être plus actifs dans les domaines où leurs intérêts sont les plus directement touchés et où leur capacité d'action est la plus élevée.
D'où l'OTAN européenne...
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Une tradition de longue date de l'OTAN a été l'approche Harmel à deux voies, qui a été élaborée pendant la guerre froide avec l'Union soviétique. D'une part, nous avions une solide stratégie de dissuasion en Europe. D'autre part, il y a eu une certaine détente et des négociations sur le contrôle des armements. C'était une façon de maintenir un équilibre entre la force et la diplomatie, ce qui a très bien fonctionné dans l'intérêt de l'OTAN et dans l'intérêt du Canada.
Dans la situation actuelle, le Canada a fait beaucoup plus que sa part pour ce qui est de fournir non seulement un entraînement militaire aux Ukrainiens, mais aussi le leadership canadien dans la présence avancée en Lettonie, où nous dirigeons un groupement tactique. Cela fait partie du programme de dissuasion de l'OTAN visant à défendre le territoire de l'OTAN et, en même temps, à renforcer les mesures de réforme de l'Ukraine pour ses propres forces armées. L'Ukraine ne fait pas partie de l'OTAN, mais en est un partenaire.
Nous avons été extrêmement robustes dans ce domaine. Là où le Canada n'a pas joué un rôle très important dans le scénario qui nous occupe, alors que, historiquement, nous avons toujours été très actifs sur le plan diplomatique et sur le plan militaire, c'est que nous n'avons pas déployé beaucoup d'efforts pour trouver des solutions diplomatiques. Les Français, les Allemands et les Américains sont en grande partie les chefs de file dans ce domaine. Cependant, je crois que la décision du Canada — la décision du premier ministre — de ne pas accéder à la demande de l'Ukraine qui voulait des armes, pour plutôt insister sur des efforts d'encadrement et de fourniture d'armes non létales, ouvre la porte à la possibilité que le Canada intervienne en coulisses pour faire ce que les Canadiens ont toujours fait avec une diplomatie discrète. Il s'emploie peut-être à aider les Américains, les Français et les Britanniques à trouver une solution diplomatique à cette guerre potentielle très dévastatrice qui pourrait survenir.
Il y a un équilibre. Compte tenu de la position récente du Canada, qui n'a pas accédé à la demande d'armes, je crois qu'il se laisse la porte ouverte à une diplomatie discrète en coulisses, mais comme il s'agit d'une diplomatie discrète, je ne peux pas le savoir. Je ne peux que supposer que c'est ce qui se passe.
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Nous participons activement à la réforme ukrainienne depuis 1993. En fait, quand j'étais directeur de l'instruction et de la coopération militaires, nous l'avons fait pendant une bonne partie des années 1990 et 2000. Cela remonte à longtemps. À l'époque, c'était toujours au sommet de notre liste de priorités.
Depuis 2014 ou 2015, lorsque les conflits ont éclaté, le Canada a participé à l'opération Unifier. Nous avions 200 formateurs sur le terrain. C'était le niveau le plus élevé de tout contingent de l'OTAN qui entraîne les forces ukrainiennes. Nous faisions bien plus que notre part.
Que pourrions-nous faire de plus? Eh bien, je pense que nous devrions continuer à faire exactement ce que nous avons fait. Bien sûr, à l'heure actuelle, les troupes ne sont pas en Ukraine. En fin de semaine, elles ont été envoyées en Pologne à cause de la possibilité d'une guerre. Cependant, si nous parvenons à régler cette situation, les troupes Unifier reviendront. Le gouvernement canadien a autorisé de doubler le nombre, qui passera de 200 à 400, et avant que ce problème ne commence, le déploiement immédiat en Ukraine de 60 militaires avait été autorisé, alors je pense...
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Nous avons vu que la Russie et la Chine sont plus alignées aujourd'hui qu'elles ne l'ont probablement été depuis l'époque de Mao Zedong et de Joseph Staline. Franchement, c'est une catastrophe pour les États-Unis et l'Occident que nous en soyons arrivés là, mais c'est bien là où nous en sommes.
Mon point de vue, que j'ai exprimé dans The Wall Street Journal aujourd'hui, au cas où cela vous intéresserait, est que nous devons accorder la priorité à Taïwan. Au lieu d'ajouter des forces en Europe, les États-Unis doivent plutôt en réduire le nombre. Le principal facteur que Xi Jinping va évaluer pour déterminer s'il attaquera ou non Taïwan est de savoir s'il réussira, et de savoir si les États-Unis ont suffisamment de forces, ajoutées à celles de Taïwan et peut-être à celles du Japon et de l'Australie, pour repousser une invasion.
À l'heure actuelle, on dit souvent que, si nous n'agissons pas de façon suffisamment énergique à l'égard de l'Ukraine, Pékin interviendra. En fait, je ne pense pas que ce soit exact. Les deux puissances sont différentes sur ce plan. Nous devons tenir compte de ce que je considère comme l'insuffisance de notre puissance militaire. Nous aimerions pouvoir résoudre cette question en déployant un plus grand effort allié. C'est ce que j'essaie de vous dire, et je vais le dire dans la presse allemande cette semaine. Je l'ai dit en Grande-Bretagne, en France et ailleurs, et je le dirai demain au Japon.
Ensemble, nous pouvons faire tellement plus. Le problème tient à ce que le réseau d'alliances dans lequel nous sommes est inférieur à la somme de ses parties à l'heure actuelle. Nous ne dépensons pas beaucoup. Nous ne nous intégrons pas très bien, de sorte que les Chinois et les Russes ont le champ libre. C'est le problème auquel nous sommes confrontés.
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La position de la Russie est extrêmement grave. Ce pays s'oppose à l'élargissement de l'OTAN depuis presque le début. Dans les années 1990 — en 1997 et par la suite —, il l'a fait sans vigueur et, par conséquent, il a tout simplement dû l'accepter ou « avaler sa pilule », comme on dit.
En février 2007, Poutine s'est rendu à la conférence de Munich sur la défense — ce qui se produit en ce moment, je crois — où il a essentiellement dit que c'était assez. Il a manifesté clairement ses intentions. La Russie considérait que l'OTAN empiétait sur sa sphère d'influence en matière de sécurité nationale. Poutine a réglé la question géorgienne en organisant une petite guerre l'été suivant, en août 2008. Quand les Ukrainiens ont opéré un virage majeur vers l'Union européenne, à la faveur de l'accord d'association de 2014, les Russes ont eu l'impression que leur sécurité nationale commençait à être menacée, et ils ont réagi.
En ce moment, auraient-ils recours à la violence pour remédier à la situation si, en fait, l'OTAN invitait l'Ukraine à se joindre à elle? En réalité, ce n'est pas ce qu'ils font. La question est... Ils ont mobilisé environ 130 000 militaires. Ils montrent leur sérieux. Je crois que si les choses se gâtent — même si nous n'en sommes pas encore là —, ils seraient prêts à recourir à la force militaire.
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Madame Mathyssen, j'aimerais répondre brièvement. Je pense que c'est un bon exemple de la spécialisation naturelle du Canada et de son intérêt dans l'Arctique. Avec les pays scandinaves, par exemple, c'est une zone naturelle. Les Chinois et les Russes sont de plus en plus actifs dans l'Arctique.
Si vous me permettez de faire rapidement le lien, je dirais que la meilleure chose pour notre intérêt collectif serait que des pays comme le Canada investissent dans des régions où ils peuvent en avoir pour leur argent, que ce soit en Europe ou en Asie. Le pire, c'est de s'étaler et d'avoir peu de résultats à la fin. Peut-être que le Canada n'a pas besoin de le faire tout seul, mais, disons, avec le Royaume-Uni, la Norvège, le Danemark, les États-Unis, etc. C'est nettement mieux que si le Canada investit un peu en Asie, un peu en Europe, un peu dans l'Arctique, un peu en Amérique du Sud, et se retrouve avec très peu à la fin.
Historiquement, le Canada a effectivement obtenu des résultats grâce à la diplomatie, mais aussi, comme j'aime toujours à le souligner, grâce à la quatrième marine en importance au monde en 1945. C'est une capacité immense. Parce que c'est si sécuritaire, avec nous, à côté de nous, il y a une réelle capacité de transformer les investissements militaires en une capacité de projection de puissance efficace qui peut être très rentable dans les théâtres éloignés.
Si vous me permettez, je ne pense pas que le Canada joue dans la cour des grands. Ses dépenses de défense se situent entre 1,3 et 1,4 %, et le pays de Galles s'est engagé à en dépenser 2 %.
Je me promène et j'entends dire que les gens à Ottawa, à Düsseldorf ou à Lyon ne se sentent pas menacés. Les gens de l'Ohio ne se sentent pas menacés non plus, et il y a une tendance croissante aux États-Unis à se méfier de nos engagements internationaux. Il y a un véritable test dorénavant pour déterminer si cette architecture d'alliances peut être maintenue.
De plus, pour revenir à ce que j'ai dit plus tôt relativement au deuxième point, nous n'avons pas la capacité militaire nécessaire pour faire face à toutes les menaces potentielles dans le monde. Il y a évidemment la Chine, mais il y a la Russie, la Corée du Nord, l'Iran, le terrorisme, etc. Nous ne vivons plus à l'unisson et nous devons nous concentrer sur l'Asie, ce qui, soit dit en passant, est également un intérêt canadien.
Essentiellement, tous les arguments que je présente pour défendre les intérêts des États-Unis s'appliquent aussi au Canada, parce que, si la Chine a une position économique dominante, il est à parier qu'elle va l'appliquer au Canada. En fait, elle l'a déjà fait dans le cas de l'Australie.
Nous sommes beaucoup plus puissants. Nous avons une voie plausible vers l'autarcie, mais oublions cela pour un pays plus petit. Tout le monde devrait alors vouloir que nous jouions ce rôle dans le Pacifique. C'est un bien collectif, mais cela va laisser un vide en Europe, et l'Europe est très importante. Je ne dis pas que nous devrions ignorer l'Europe.
J'ai servi au Pentagone. J'étais le principal responsable de la stratégie de défense des États-Unis en 2018. Je connais la situation. Nous avons essentiellement ce qu'on appelle une armée d'une guerre. Ce que cela signifie, c'est que nous ne bâtissons pas une armée pour mener deux guerres simultanées, parce que nous allons perdre la guerre primaire si nous ne nous concentrons pas là‑dessus, et cela va créer des vides. Nous aurons besoin des Français et, surtout, des Allemands — les Allemands sont le principal problème —, mais le Canada, le Royaume-Uni et d'autres pays peuvent vraiment aider.
J'entends le Canada parler beaucoup de son engagement envers un monde pacifique et des choses du genre. Bien honnêtement, l'engagement le plus concret que je puisse voir, c'est de dépenser davantage pour aider.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je vais commencer par poser une question assez générale à M. Rasiulis, et j'aurai peut-être le temps d'en poser d'autres plus détaillées.
Je suis né à Berlin pendant la guerre froide. Je me souviens très bien d'avoir eu à traverser plusieurs points de contrôle pour rendre visite à ma famille. J'étais très jeune à l'époque. Mon père était enfant lors du pont aérien de Berlin en 1948. Il se souvient des pilotes de relève américains qui, à l'aide de petits parachutes, envoyaient des chocolats et des raisins secs aux enfants qui les récupéraient dans les arbres. J'avais une vision très claire de l'opposition Est‑Ouest.
Si nous avançons jusqu'en 1989‑1991, il y a eu un changement de cap et au moins pendant une période, il n'était plus question de l'Est contre l'Ouest, mais de l'Est et de l'Ouest. Je voudrais vous inviter à réfléchir, avec le recul, sur ce qui a mal tourné.
Nous sommes maintenant en 2022 et je pense, sans vouloir parler à la place de M. Colby, qu'il a décrit le scénario actuel comme un désastre en matière de politique étrangère. Qu'aurions-nous pu faire différemment? Pouvez-vous nous donner l'exemple d'une ou deux grandes questions de politique étrangère qui auraient pu être réglées différemment entre, disons, 1970 et 2007?
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Cela va nous entraîner dans un débat sans fin, alors permettez-moi de revenir à mon domaine de spécialité pour répondre à votre question.
Je crois que la position russe... Après la guerre froide, nous n'avons pas été très gentils avec les vaincus. Oui, l'Occident a gagné la guerre froide, mais cela nous ramène à la question classique de la façon de traiter son adversaire quand on le défait.
Nous avons en quelque sorte ignoré les Russes. Nous les avons un peu bousculés. Nous avons bombardé le Kosovo. Nous les avons ignorés. C'est pourquoi Poutine est allé à la conférence de Munich en 2007 et a dit que la Russie en avait assez.
Aurions-nous pu faire quelque chose pour qu'il n'en arrive pas là? Aurions-nous pu faire participer davantage les Russes au lieu de plus ou moins les écarter? Je ne pense pas que nous l'ayons fait de façon malveillante; nous pensions simplement qu'ils n'étaient plus des acteurs de premier plan et que nous pouvions faire les choses à notre façon. Nous les avons en quelque sorte ignorés.
Je pense que c'était une grave erreur. Nous en payons aujourd'hui le prix. En déployant leurs troupes — 130 000 hommes ou quelque chose d'approchant — à la frontière ukrainienne, les Russes montrent qu'ils comptent. Ils disent: « S'il vous plaît, parlez-nous. » Maintenant, ils ont l'attention de tout le monde. Tout le monde leur parle.
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Merci, monsieur le président.
J'ai trois messages et un plaidoyer à vous transmettre. Premièrement, nous devons repenser notre façon d'envisager la sécurité. Notre dernier examen de la sécurité nationale remonte à 18 ans, pourtant les menaces qui pèsent sur le Canada continuent d'évoluer.
Nous vivons dans un monde plus dangereux et plus confus. En ce qui concerne l'année 2022, le secrétaire général des Nations unies, M. Guterres, a prévenu que les systèmes multilatéraux fondés sur des règles que le Canada a aidé à mettre au point et à maintenir ne sont pas adaptés à l'objectif visé. Les sondages confirment ce que nous voyons et ce que nous entendons. Nos citoyens ont moins confiance dans les démocraties et les institutions démocratiques. Nos alliés démocratiques, surtout en Europe, ont moins confiance dans le leadership américain.
Les menaces sont variées et très dangereuses: les changements climatiques, les pandémies, le terrorisme, la pauvreté et les inégalités. Ce cocktail diabolique accentue les conflits intérieurs et les conflits entre États, ce qui se traduit par le plus grand nombre de personnes déplacées que nous ayons connu depuis la Seconde Guerre mondiale. Les conflits eux-mêmes sont en train de changer, avec la guerre hybride, les cyberattaques impossibles à retracer, la désinformation, les drones et les mercenaires.
Les États-Unis, dont la politique est polarisée, sont moins disposés et moins en mesure de supporter le fardeau internationaliste. Une Chine émergente et agressive et une Russie revancharde signifient le retour des rivalités entre grandes puissances et la résurgence du fossé idéologique et systémique entre l'autoritarisme et la démocratie.
Deuxièmement, notre approche de la modernisation de la défense est beaucoup trop lente à produire des résultats utiles.
Notre état de préparation opérationnelle repose sur l'entretien et la mise à jour de notre parc d'équipement. Les exigences du processus gouvernemental empêchent trop souvent l'industrie de faire son travail. Compte tenu de l'époque que nous vivons et du rythme opérationnel accru, les budgets sont-ils suffisants? Investissons-nous suffisamment dans les outils habilitants, la numérisation et la gestion des données, qui nous permettront de mettre en place et de gérer une force efficace capable de remporter de futures guerres?
La préparation opérationnelle de nos forces commence par l'atteinte des objectifs de recrutement, puis par l'établissement de conditions suffisamment attrayantes pour fidéliser nos forces. Nous avons accordé la priorité au changement de culture pour lutter contre l'inconduite sexuelle. Nous devons également examiner les conditions de service. Réfléchissons de façon créative à la façon dont nous pouvons former et attirer en plus grand nombre les talents capables de maîtriser les défis technologiques de notre ère numérique et de faire face à de nouvelles menaces comme la cyberguerre et la désinformation.
Nous comptons sur les forces armées canadiennes comme premiers intervenants pour faire face aux inondations, aux incendies et aux tempêtes de verglas, mais aussi pour voler au secours de nos maisons de retraite en cas de pandémie. Cela ne fait qu'augmenter la pression exercée sur des ressources limitées. Le gouvernement devrait envisager de créer un corps de bénévoles pour compléter la défense civile et les secours en cas de catastrophe. Les Allemands le font très bien.
Le troisième message, c'est que l'évolution de la géopolitique et les nouvelles menaces exigent une nouvelle stratégie de grande ampleur qui combine objectifs, priorités et budget.
L'évolution de la géopolitique signifie que les primes d'assurance pour la sécurité nationale ont augmenté. Il va falloir trouver plus d'argent pour la défense, mais aussi pour les moyens civils de la sécurité nationale. Cela signifie davantage d'investissements dans la diplomatie et le développement, mais aussi dans la diffusion à l'étranger de nos messages sur la démocratie, le multilatéralisme et un ordre fondé sur des règles. La puissance militaire gagne les batailles, mais pour gagner les guerres dans le monde d'aujourd'hui, il faut à la fois le pouvoir de contraindre et le pouvoir de convaincre. Dans ce monde plus dangereux et plus désordonné, le Canada a besoin de plus de chaque.
Nous avons profité de la fin de la guerre froide pour réduire les budgets de la défense, convaincus que nous pouvions continuer de compter sur le parapluie de sécurité américain. Les Américains en ont assez de porter le fardeau, et les présidents qui se sont succédé nous ont mis au défi d'en faire plus, surtout maintenant qu'il est temps de renouveler le NORAD. Nous revendiquons notre souveraineté sur l'Arctique, mais nous avons des difficultés à l'exercer. Nous avons besoin d'un plan détaillé, chiffré et assorti de délais. Nous pouvons apprendre beaucoup de choses de partenaires nordiques comme la Norvège, le Danemark, la Suède et la Finlande. L'OTAN a‑t‑elle un rôle à jouer, par exemple, maintenant que l'Arctique fait partie de l'échiquier géostratégique?
Nous sommes une nation commerçante, nous dépendons de la liberté de navigation. Nous sommes une nation maritime, bordée par trois océans, nous devons nous demander si nous avons le bon équilibre entre l'armée de terre, l'aviation et la marine. Nous n'avons pas nécessairement trop d'armée de terre ou d'aviation, mais nous avons besoin de plus de marine. Nos adversaires potentiels investissent considérablement dans leur marine, et nous devons faire de même.
Les nouveaux navires de patrouille extracôtiers sont parfaits pour remplir leurs rôles certes importants, mais limités. Une marine déployable et apte au combat nécessite des destroyers, des frégates et des sous-marins avec un soutien aérien et logistique. Investir dans l'état de préparation opérationnelle seulement lorsque nous nous sentons acculés et le faire à bon marché nuit à nos intérêts nationaux. En l'absence d'une stratégie globale et d'une vision commune, qui transcende les partis, de notre intérêt national et de la façon de le promouvoir et de le protéger, nous continuerons d'être en retard, mal préparés et obligés de suivre plutôt que de mener.
Pour conclure, voici ce que je vous demande, en votre qualité de députés. Lorsqu'il s'agit d'assurer la préparation opérationnelle, nous avons besoin d'une unité politique entre les partis qui soit à l'épreuve des changements de gouvernement. Sans l'appui de tous les partis, il est difficile de voir comment nous pouvons réussir à contrer ces menaces.
Merci, monsieur le président.
:
Merci. Je m'excuse de l'interruption de tout à l'heure.
[Français]
Je vous remercie de cette possibilité de témoigner à nouveau devant le Comité.
Je répondrai à vos questions dans les deux langues officielles, mais je vais témoigner en anglais.
[Traduction]
C'est une journée intéressante pour témoigner au sujet de la préparation opérationnelle, compte tenu de l'échec fondamental auquel nous avons assisté dans notre pays ces deux dernières semaines s'agissant de la structure de notre sécurité nationale et de notre posture en la matière. Cela devrait nous faire réfléchir.
Sur le front de la préparation opérationnelle, les Forces armées canadiennes gardent la tête hors de l'eau, mais elles font probablement du surplace. Elles ne pourront pas continuer ainsi si l'organisation maintient le cap, sans doute dans la mesure où nous ne saurions alors pas que nous sommes vulnérables jusqu'à ce qu'il soit trop tard. C'est‑à‑dire que nous avons les forces appropriées pour aujourd'hui, mais pas pour demain, et nous n'avons pas de plan pour adapter les FAC à l'avenir et nous assurer qu'elles sont adaptées à l'objectif.
On continue de mettre surtout l'accent sur le fer de lance, parce que ces capacités sont perçues comme le but de l'organisation. Confrontées à des choix très difficiles en matière d'établissement des priorités entre les opérations, le recrutement, l'instruction et le soutien, les FAC accorderont toujours la priorité aux opérations internationales et nationales. Cependant, le plus grand atout et le plus grand défi de l'organisation n'est pas l'argent, mais le personnel.
Les principaux facteurs habilitants, et notamment le personnel, sont loin des yeux, loin du cœur. Le recrutement, la formation, l'éducation et la socialisation du personnel prennent du temps. À titre d'exemple, il faut environ sept ans et un million de dollars pour la formation complète d'un officier. Pourtant, pendant des années, le recrutement a été relativement négligé en raison d'un trop grand nombre de priorités plus élevées. À titre d'exemple, les FAC doivent actuellement se passer d'un directeur du perfectionnement professionnel pendant une année entière, parce qu'aucun colonel n'est disponible pour occuper le poste. C'est dans les rangs des colonels que l'on puise pour alimenter les recrutements des généraux et des officiers généraux des FAC; ce n'est donc pas seulement le perfectionnement professionnel des FAC qui en souffre; cet exemple illustre également à quel point les effectifs des hauts gradés des FAC sont dépeuplés et surexploités.
La fragilité du système de perfectionnement professionnel des FAC est emblématique de l'ensemble de cette institution, qui a un besoin urgent de reconstitution et cela constitue la priorité absolue du chef d'état-major de la défense. Il s'agit de la régénération de la force, du changement de culture et de la modernisation. Le perfectionnement professionnel et le changement de culture vont de pair, mais comment les FAC peuvent-elles réussir à se reconstituer sans perfectionnement professionnel?
La position du gouvernement est que les FAC n'ont pas besoin de plus d'argent, parce qu'elles font ce que le gouvernement leur demande de faire. Cette attitude est tout à fait erronée. Il suffit de voir à quelle fréquence et dans quelle mesure le gouvernement actuel, en particulier, a fait appel aux FAC pour appuyer la sécurité internationale et les opérations nationales. Les FAC n'ont jamais joué un rôle aussi important dans la promotion des intérêts du Canada, et pourtant, on ne leur a jamais demandé d'en faire autant avec si peu de moyens.
Comme je l'ai écrit dans ma note de présentation du premier numéro de la Revue militaire canadienne dont j'ai été le rédacteur en chef, à l'automne 2021, les FAC et les nombreuses composantes du MDN, ainsi que l'équipe de la Défense, pourraient bien constituer l'organisation la moins appréciée et la moins bien comprise de l'appareil fédéral et du pays:
Jamais des tâches aussi nombreuses et d'une telle complexité n'ont été assumées par un nombre si restreint de membres en uniforme et de civils avec relativement moins de ressources qu'auparavant. Pendant la guerre froide, les FAC se consacraient généralement à une seule mission principale: la menace soviétique. Dans les années 1990, l'accent a été mis sur l'imposition de la paix, puis sur le déploiement du Canada en Afghanistan...
Les conflits armés couvrent maintenant tout le spectre, de la défense collective aux guerres choisies. Elle est passée de la guerre d'usure à des batailles intellectuelles; de la défaite de l'ennemi sur le champ de bataille à l'établissement des conditions de stabilité et de paix durable; de la gestion de la violence à la surveillance de la sécurité nationale.
On s'attend à ce que les FAC d'aujourd'hui contribuent à une gamme complète de missions, qu'elles se préparent à une guerre conventionnelle à grande échelle, qu'elles conseillent et aident des troupes étrangères à renforcer leurs capacités et à se former contre une foule d'acteurs non étatiques et terroristes; qu'elles prennent l'initiative en qualité de pays-cadre de la présence avancée renforcée de l'OTAN pour dissuader le révisionnisme et l'agression russes en Lettonie et sur les flancs nord-est et sud de l'OTAN; qu'elles contribuent aux opérations de maintien et de rétablissement de la paix de l'ONU; qu'elles fassent progresser la politique d'aide internationale féministe du gouvernement; qu'elles envoient des forces d'opérations spéciales dans des régions éloignées du monde pour renforcer la capacité locale; qu'elles se préparent à dissuader les extrémistes violents...
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En ce qui concerne le NORAD, la seule question — et j'ai écouté le dernier groupe de témoins —sur laquelle les Américains insistent vraiment, c'est son renouvellement. Les États‑Unis sont notre principal partenaire, notre alliance binationale. Le plus important pour nous en matière de sécurité intérieure, c'est le NORAD.
On nous demande maintenant d'en faire plus, surtout dans le Nord. À mon avis, nous devrions aller de l'avant, parce que, avec les contributions américaines, nous obtenons entre 40 et 60 cents par dollar, car les Américains investissent également. C'est donc une défense qui sert les intérêts canadiens et dans laquelle nous avons un partenaire au sud de la frontière qui est prêt à investir. Je pense que nous devrions aller de l'avant, car combien de temps cette offre américaine va‑t‑elle durer?
S'il y a un changement de gouvernement et que nous avons un gouvernement comme celui de Trump en 2024, pensez-vous qu'il sera prêt à investir? J'en doute. Je pense qu'il nous faudrait alors tout faire nous-mêmes. C'est donc quelque chose de très important pour les Canadiens et pour la sécurité canadienne.
Comme je l'ai dit, on nous a demandé à maintes reprises d'exercer notre souveraineté dans l'Arctique, mais nous avons des difficultés à le faire. Nous avons maintenant une occasion réelle, un besoin réel et des pressions de la part des États‑Unis. Les Américains ne nous pressent pas d'intervenir dans la région Indo-Pacifique ou en Europe, mais ils veulent que nous en fassions plus dans le Nord.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie encore une fois nos deux témoins.
J'ai envie de vous lancer une question à tous les deux, mais avant, je vais faire une petite mise en contexte.
Monsieur Robertson, vous avez parlé de la perte de foi de certaines populations dans les institutions démocratiques, et du fait qu'il s'agit d'un terreau fertile pour des guerres hybrides où il y a un enjeu de désinformation, ce que la Russie semble beaucoup utiliser.
Professeur Leuprecht, vous avez parlé de l'importance d'améliorer le développement professionnel, social et personnel des militaires.
Je ne peux pas m'empêcher d'établir un parallèle avec la situation actuelle sur la Colline du Parlement, où l'on a vu, entre autres, des militaires s'associer au mouvement de contestation.
J'aimerais que vous me parliez de l'importance d'avoir un suivi plus serré des militaires et de la formation à leur donner. Dans certains cas, ils sont susceptibles de s'associer à des mouvements plus extrémistes, ce qui peut être utilisé contre nous par d'autres pays, notamment au moyen de la désinformation.
J'aimerais beaucoup que vous fassiez des commentaires généraux là-dessus.
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À mon avis, il est inévitable dans n'importe quelle institution que certains individus expriment des avis inacceptables. Forcément, cela pose un défi considérable pour les gens en uniforme, qui doivent rester neutres.
Je dirais que les Forces armées canadiennes ont quand même fait un bon travail en réussissant à identifier une douzaine de réservistes. Ce sont les Forces mêmes qui ont identifié les individus faisant maintenant l'objet d'une enquête. Les Forces sont donc bien au courant, ainsi que les membres de la contre-ingérence au sein des Forces.
Pour l'instant, je crois que les Forces font un boulot adéquat, mais cela montre certainement qu'au moment de recruter des membres, il faut redoubler d'efforts à l'étape de la cote de sécurité, même si cela prend plus de temps.
Il faut faire des compromis, parce que, plus on passe de temps à faire les vérifications nécessaires sur une personne, plus il y a de chances que cette personne soit recrutée par quelqu'un d'autre. Il faut donc certainement faire un meilleur travail au début, mais il faut aussi garder l'œil ouvert.
En gros, je dirais qu'il y a, au sein des Forces armées canadiennes, des membres qui font preuve d'une entière loyauté envers n'importe quel gouvernement au pouvoir. Ce qui est décevant, c'est que tous les officiers au Canada, qu'ils soient militaires ou policiers, connaissent tout à fait l'importance de leur neutralité politique. Ils l'ont appris en formation et durant leur perfectionnement professionnel. Ces gens ne peuvent pas dire qu'ils n'étaient pas au courant. Cela est décevant, d'autant plus qu'ils prennent de telles décisions de façon intentionnelle, cela est décevant.
Il est très important pour une institution, que ce soit les forces policières ou les forces militaires, d'envoyer un signal très clair aux gens en uniforme selon lequel certains comportements ou messages de sympathie sont inacceptables.
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Le gouvernement fédéral fournit le financement, mais c'est aux gouvernements provinciaux qu'il incombe de décider des programmes d'études. Les choses changent. Mais je m'en remettrais aux gouvernements provinciaux, parce que je crois qu'ils sont tout aussi préoccupés par ce qui se passe que le gouvernement fédéral. Je pense qu'il faut respecter les compétences constitutionnelles.
Au sujet, plus précisément, du gouvernement fédéral, le président Biden a récemment été l'hôte d'un sommet sur la démocratie à Washington, et le gouvernement s'est engagé à en faire plus en matière de démocratie. Nous avons dans notre pays des institutions comme le Centre parlementaire, qui fait beaucoup pour promouvoir la démocratie, mais ces institutions canadiennes n'obtiennent pas le financement qui devrait leur revenir.
Il existe une perspective canadienne de la démocratie qui est vraiment fondamentale. Nous pratiquons le pluralisme mieux que quiconque. Ce n'est pas pour rien que l'Aga Khan a créé son institut du pluralisme ici. Lorsque le président Mandela est venu ici il y a bien longtemps, il a déclaré que le Canada était le seul pays où l'intégration et le pluralisme étaient une réalité. Nous avons beaucoup à partager et nous avons des institutions, mais nous devons les soutenir.
J'en reviens au Centre parlementaire. Le gouvernement fédéral y apporte son soutien depuis des années, mais il pourrait faire plus. Depuis quelques élections, le gouvernement parle aussi de son institut pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement, mais nous n'en avons encore rien vu.
Il faudrait passer à l'action, car je ne pense pas que la démocratie puisse attendre. Il faut s'en occuper. Nous en avons la capacité, mais il faut investir.
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Madame Mathyssen, il y a en l'occurrence deux déficits. L'un d'eux est que notre pays ne dispose pas d'un réseau systématique d'instituts d'éducation politique.
En Allemagne, par exemple, chaque parti politique a une fondation financée par les contribuables. Ces fondations sont indépendantes du parti, au sens où toutes leurs activités doivent être ouvertes, etc. Dans ce pays, l'éducation politique de la population est un principe fondamental. On y fait un travail fantastique à cet égard. C'est en partie la raison pour laquelle — même si, bien sûr, la question est multifactorielle — la population européenne et la population allemande en particulier sont beaucoup plus instruites sur le plan politique et généralement beaucoup plus informées des politiques de leurs gouvernements.
Le problème des FAC est qu'elles n'ont aucune présence dans la plupart de nos centres urbains, parce que les gouvernements successifs ont fermé leurs bases et les ont vidées de leurs militaires. La plupart des écoliers de Toronto, de Montréal ou de Vancouver n'ont jamais rencontré de militaires. Ils n'ont jamais rencontré personne en uniforme. Ils n'ont même jamais rencontré un fonctionnaire fédéral. Ce n'est même pas sur leur écran radar.
C'est pourquoi les gens se font une idée tout à fait fausse du rôle que jouent des institutions comme les Forces armées canadiennes du point de vue de nos intérêts nationaux, régionaux et internationaux. Le gouvernement pourrait entre autres veiller à ce que les FAC soient plus en contact avec les étudiants et que ses établissements fédéraux soient plus en contact avec la population. Malheureusement, non seulement les FAC, mais presque tous les ministères fédéraux, manquent tellement de personnel qu'ils n'ont pas d'effectifs supplémentaires à qui confier le soin d'entretenir ce genre de relations.
On pourrait cependant se demander comment le gouvernement fédéral pourrait entretenir de meilleures relations avec la population canadienne en général et notamment avec les élèves du secondaire, pour les sensibiliser au rôle qu'il assume. Il pourrait ainsi les sensibiliser indirectement aux normes démocratiques sans empiéter sur les compétences provinciales en matière d'enseignement primaire, secondaire et tertiaire.
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Merci, monsieur le président. Les services TI m'ont remise en selle, et je les en remercie.
Monsieur Leuprecht, revenons un peu à la question du recrutement et à vos réflexions, d'autant plus qu'on peut sans risque affirmer que le type de menace, et même le type de combat dans bien des cas, a considérablement changé du fait de l'omniprésence des cybermenaces et de l'ingérence étrangère. Il n'est pas nécessaire de poser le pied en sol canadien pour en voir des exemples.
Je comprends votre point de vue sur l'éducation dans l'ensemble du système, mais aussi aux échelons supérieurs, parce que, comme vous l'avez dit, pour être promu ou monter en grade, il faut avoir servi pendant longtemps.
Outre la durée du service, cette structure ne pose‑t‑elle pas également des problèmes en raison de la nature changeante des menaces et de l'aptitude à s'adapter et à manœuvrer? Comprenez-moi bien, il me semble que, dans une organisation, il n'est pas toujours nécessaire de tenir compte de la hiérarchie. On peut faire appel à l'expertise dont on a besoin à tel ou tel moment.
D'après vous, est‑ce que c'est aussi un problème structurel compte tenu de la nature changeante de l'opération?
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Madame O'Connell, c'est exactement cela.
Nous avons besoin d'un modèle de recrutement différent. Je vais vous donner quelques exemples.
Nous avons besoin d'une plus grande capacité d'enrôlement direct. L'Allemagne, par exemple, recrute certains de ses cyberspécialistes au moyen d'un programme d'enrôlement direct destiné aux gens qui ont des doctorats spécialisés en informatique, en génie électrique, etc. On en fait des lieutenants-colonels à vie. Pourquoi lieutenant-colonel? Parce que c'est à peu près l'équivalent salarial de ce que les recrues obtiendraient dans le secteur privé. Nous n'avons rien de tel ici.
Nous devons assouplir les exigences uniformément appliquées à certains métiers. Quand on travaille assis devant un ordinateur toute la journée, est‑ce qu'on a vraiment besoin de ces normes très strictes...?
Il faut assouplir les exigences en matière de condition physique pour certains métiers, mais c'est une idée très controversée, parce que cela vise le principe d'universalité des exigences du service. Selon ce principe, tout membre des Forces armées canadiennes peut être déployé efficacement. C'est ce que j'altère un peu ici.
Si on ne peut pas attirer suffisamment de ressources, la situation va empirer. Et elle va empirer pour deux raisons. Premièrement, le marché du travail va se resserrer et, deuxièmement, les taux de fécondité vont continuer de diminuer au Canada. Par conséquent, on ne pourra pas trouver les gens dont on a besoin. Il faut donc repenser la façon dont nous attirons les recrues.
Certaines contraintes sont d'ordre législatif, et je pourrais vous les expliquer de vive voix ou par écrit, tandis que d'autres sont d'ordre culturel, et c'est ce qui fait que les Forces armées canadiennes n'arrivent tout simplement pas à se faire à l'idée qu'il est possible de renoncer au principe d'universalité du service et, par exemple, de recruter quelqu'un qui a 15 ans d'expérience dans le secteur privé, de l'intégrer à la Défense nationale et d'en faire un lieutenant-colonel.
Le même argument ne serait‑il pas invoqué si vous vouliez recruter plus de femmes à des postes supérieurs? S'il n'y a pas de femmes militaires ou, du moins, si l'expérience des femmes militaires n'est pas positive, ces antécédents seront des obstacles.
C'est la même chose pour les groupes racialisés, les Autochtones et ainsi de suite.
Concernant l'idée de recruter des femmes, vous avez parlé de la possibilité de déploiement en tout temps. Si vous voulez recruter des femmes, cela ne représente‑t‑il pas aussi un risque si elle se dit: « Si je choisis d'avoir une famille un jour, est‑ce un domaine dans lequel je veux travailler? » et que cette réserve pourrait être invoquée à tout moment en regard de son expertise? Cela ne veut pas dire que les femmes qui ont des familles ne pourraient pas être déployées, mais, si nous avons besoin de cette expertise, nous devons aussi être conscients de leur situation concrète au moment du recrutement.
Je vais juste ajouter ceci avant que vous me répondiez, parce que je vais manquer de temps: c'est un problème dans le recrutement des forces policières locales, et même dans le recrutement des pompiers, comme je l'ai constaté quand je travaillais pour l'administration municipale, parce qu'il faut aussi tenir compte de l'évolution des caractéristiques culturelles des nouveaux Canadiens dont nous aurons besoin sur le marché du travail. L'idée de faire une carrière dans les FAC ou même dans les services de lutte contre les incendies ne fait pas partie de la culture dans laquelle ils ont grandi.
Désolée. J'en ai mis beaucoup, mais pouvez-vous comprendre que ce sont autant d'obstacles que les FAC devront affronter, et est‑ce que la solution se trouve entièrement dans la modélisation et le recrutement selon vous?
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Il faudra probablement faire preuve d'un peu plus d'innovation, tout comme nous l'avons fait quand nous avons décidé de rééquiper deux navires de ravitaillement construits dans le chantier naval, ce qui n'avait pas été envisagé auparavant.
Nos activités et celles des États-Unis sont interopérables. Ils sont notre principal allié. Ils construisent beaucoup de navires, et nous devrions donc peut-être nous tourner vers eux. Auparavant, en cas de besoin, nous nous adressions au Chili, à l'Espagne et à d'autres pays pour obtenir des navires de ravitaillement. À mon avis, il serait bon de solliciter d'autres sources.
Il faudrait prendre de l'avance, par exemple, du côté des sous-marins. Peut-être devrait‑on en discuter avec les Australiens, même si je ne suis pas certain que l'acquisition de sous-marins nucléaires soit une solution qui nous intéresse. Nous y avons réfléchi à la fin des années 1980 et nous avons conclu que ce serait trop cher.
Peut-être faudrait‑il s'adresser au Japon. C'est un allié important, et les sous-marins ont beaucoup de valeur et ils en auront probablement encore dans l'avenir, aussi bien dans l'Indo-Pacifique que dans l'Atlantique Nord.
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Permettez-moi de vous corriger, madame Gallant. C'est environ 1 million de dollars et sept ans pour un agent, selon le métier. C'est beaucoup plus cher pour un pilote de chasse, par exemple.
Ce qui se passe quand tout le monde n'est pas vacciné est illustré par les cas de retrait de porte-avions aux États-Unis et en France en raison de la présence du virus à bord. Vous pouvez parier, madame Gallant, que cela n'a pas échappé à l'attention de nos adversaires, qui viennent d'apprendre comment se débarrasser d'un porte-avions, d'une frégate de guerre ou de tout ce qui flotte, et ce, sans avoir à tirer un coup de feu.
La résilience du dispositif militaire est impérative si nous estimons que les Forces armées canadiennes doivent être un instrument à la disposition du gouvernement quand l'échec n'est pas une option et qu'il faut à tout prix réussir, parce qu'il n'est pas question qu'une armée soit mise en difficulté à cause d'une cyberattaque malveillante ou d'une attaque contre la biosécurité de notre pays.
Les militaires en uniforme acceptent déjà d'autres types de restrictions lorsqu'ils s'engagent à servir en uniforme, et je suppose donc que c'est l'un des éléments qu'il faudra y ajouter, et pas en termes de choix ou d'obligation, car je ne vois pas comment on échapperait à la nécessité de garantir la résilience du dispositif militaire, et je ne connais pas non plus d'armée alliée qui y échappe.
Apparemment, tout le monde à bord de ce navire était vacciné. C'est très important.
En 2014, le Canada a reconnu le besoin urgent d'un cybercommandement, mais, en même temps, il y a eu un affaissement des effectifs d'anciens combattants récents, qui ne pouvaient plus être déployés en raison de blessures subies en Afghanistan. Les anciens combattants avaient déjà des habilitations de sécurité et le moral d'un combattant. Il y avait un programme local de transition pour les anciens combattants ici, à Ottawa, au Willis College, et on a même élaboré un programme d'études axé sur la cyberdéfense militaire.
Étant donné qu'il nous manque 10 % des effectifs militaires autorisés, dans quelle mesure le Canada devrait‑il envisager de garder des militaires blessés, mais compétents, spécialement formés pour la cyberguerre, puisque ces activités peuvent se dérouler au Canada, sans déploiement?
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Les nouveaux enjeux sont tels aujourd'hui que... Nous avons beaucoup parlé de cyberattaques au cours de cette audience. C'est quelque chose de réel et d'actuel. Il y a quelques semaines, on a fermé une partie du ministère des Affaires mondiales, l'édifice Pearson et d'autres institutions. On a fermé une partie du gouvernement de Terre-Neuve il y a quelques mois.
La Lettonie, par exemple, est dotée d'une unité militaire rattachée au Cabinet du premier ministre, auquel elle a directement accès. Cette unité surveille constamment ce qui se passe dans le cyberespace, mais aussi dans un autre domaine critique, la désinformation, dont les parlementaires se préoccupent beaucoup.
Les nouveaux champs d'action... Comme l'a dit M. Leuprecht, nous venons de discuter de l'utilisation de la santé comme arme et de la maladie pour mettre fin à des activités. Il y a toutes sortes de nouvelles menaces. Le climat est un enjeu pour nous. C'est très réel pour les militaires, avec ces inondations, ces incendies et ces tempêtes de verglas. C'est dans ces cas‑là qu'on fait appel à eux. Il existe désormais de toutes nouvelles menaces que nous ne... Comme vous l'avez dit, nous avons tendance à envisager les choses comme par le passé.
Nous devons prendre le temps de réfléchir à une stratégie globale pour l'avenir. La sécurité nationale en est un élément: d'autres pays analysent leur situation en matière de sécurité nationale, soit tous les ans, soit, comme les Américains, tous les quatre ans, à chaque changement de gouvernement. Ici, nous semblons laisser traîner les choses en longueur et apporter des changements progressifs.
Comme nos ressources sont limitées, nous ferions bien mieux de... Et je mets le Comité au défi de dire oui, car nous savons que nous ne pourrons pas faire tout ce que nous voulons, mais, du moins, concentrons-nous sur les priorités. Cela fait partie de ce que le Comité essaie de faire. Je vous en félicite, je vous y encourage, et je vous souhaite bonne chance, parce que vous êtes sur la bonne voie.
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Il y a le processus et il y a la question de fond.
Concernant le processus, j'admire vraiment ce que le Royaume-Uni a fait quand il a procédé à une étude intégrée de la politique étrangère, de la défense, de la sécurité et du développement international, alors que nous traitons ces questions isolément. Il est entendu que ce sont autant d'instruments de défense des intérêts du Royaume-Uni et un moyen de les faire valoir.
J'ai des réserves concernant certains résultats de cette étude — l'une des lacunes en étant qu'elle n'a pas été coordonnée avec certains alliés et partenaires, alors que, à mon avis, ces alliés et partenaires auraient pu y participer plus largement —, mais c'est assurément une approche intégrée.
Il y a ensuite la capacité de traduire nos conclusions en... « Protection, Sécurité, Engagement » — peu importe — pourrait être la politique de défense, mais le gouvernement n'a pas appelé cela un livre blanc pour rien. Il était obsolète dès sa présentation. Nous n'avons pas de plan pour l'armée de demain.
Pour l'armée de demain si, comme vous l'avez souligné à juste titre, monsieur McKay, on n'a pas de nouvelles ressources, il faudrait réfléchir à la répartition et à l'optimisation des ressources dont nous disposons. Je dis depuis longtemps que notre priorité absolue n'est pas nécessairement une armée plus imposante. En fait, la Défense nationale a remboursé 1,2 milliard de dollars l'an dernier. Il s'agit de dépenser l'argent dont nous disposons pour nous assurer d'avoir une meilleure armée et, notamment, une armée mieux organisée. Savez-vous que nous dépensons environ un milliard de dollars par an en chars d'assaut? Il faut s'interroger sur l'optimisation de la répartition. Au final, c'est une question d'ordre politique, pas une question militaire.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
J'aimerais revenir sur la question du recrutement et de la rétention.
Une des choses qu'on a entendues sur le terrain, de la part de quelques personnes qui sont dans les Forces, c'est qu'il y a un domaine où il y aura beaucoup de demandes à l'avenir, et où nous tirons vraiment de l'arrière: la cybersécurité.
Je vais faire poursuivre sur ce que vous avez mentionné, professeur Leuprecht. Il y a une nécessité d'avoir des gens qui seraient prêts à être déployés. Il y a aussi la question des mutations qui revient assez fréquemment.
Je me demande donc à quel point il est pertinent de continuer à procéder à des mutations de gens qui travaillent en cybersécurité, par exemple.
Ne devrait-on pas s'assurer qu'il y a le moins de mutations possible visant ces personnes ou leur conjoint ou leur conjointe?
C'est souvent là que réside le problème, dans la mesure où on ne veut pas perdre cette expertise qui est nécessaire.
J'aimerais que vous me parliez de cela, ainsi que de la possibilité d'offrir plus de télétravail dans certains corps de métiers de l'armée.
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Si vous me le permettez, madame Normandin, je vais répondre en anglais, car la réponse est un peu compliquée.
[Traduction]
Les Forces armées canadiennes ont maintenant le métier de cyberopérateur dans les militaires du rang. Nous avons besoin de la même chose du côté civil. Nous avons besoin d'une classification qui n'existe pas encore, parce qu'il est plus facile d'augmenter les effectifs du côté civil que du côté militaire.
Permettez-moi de vous donner un autre exemple qui ne concerne pas les ressources humaines, mais l'administration publique.
Le réseau ministériel du MDN et le réseau des FAC relèvent du SMA(GI). Celui‑ci porte deux chapeaux: il est responsable de la gestion de l'information, et c'est le dirigeant principal de l'information. Cela signifie que nous avons un réseau organisationnel au sein duquel nous menons les opérations militaires. Mais la sécurité du réseau et la cybercapacité offensive sont deux enjeux très différents. À l'heure actuelle, le volet des opérations militaires relève, en fait, du volet civil du ministère. Cela entraîne des frictions et des malentendus, mais cela donne également lieu à des priorités différentes.
Imaginez deux attaques simultanées sur le réseau. Supposons que l'accès au réseau interne des cadres supérieurs soit interrompu à Ottawa et que certains accès ou capacités soient interrompus en Lettonie. La structure incitative actuelle est telle que le SM et le SMA(GI) s'occuperont d'abord du volet civil de l'organisation, parce que c'est là que réside leur motivation financière, redditionnelle, etc. En fait, nous avons besoin du côté militaire d'un réseau qui soit pris en charge par l'armée.
Nos dysfonctionnements en matière cybernétique sont si graves que non seulement nous ne sommes plus invités à en discuter avec nos alliés, mais, en outre, que nous ne savons même pas qu'il y a une discussion dans certains cas. Nous l'apprenons par la suite, parce que nos alliés estiment que nous sommes trop à la traîne et que nos capacités sont insuffisantes. Ce n'est pas seulement une question de cybersécurité et de défense; c'est un risque pour notre réputation.
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Cela supposerait que nous ayons un problème d'attrition disproportionnée parmi les groupes en quête d'équité. C'était effectivement le cas dans les années 1990, mais les Forces armées canadiennes ont réglé ce problème dans les années 2000.
Le dernier chiffre dont j'ai connaissance — et vous pouvez demander ces chiffres, puisque les Forces armées canadiennes les ont et que la DGRAPM, la directrice générale de la Recherche et de l'analyse (personnel militaire), les conserve — démontre que nous n'avons pas de problème d'attrition disproportionnée parmi certains groupes en quête d'équité. Cela ne veut pas dire qu'il n'y ait pas de problèmes à régler dans l'organisation, mais elle peut se targuer d'avoir remédié à certains de ces écarts.
Elle a, par contre, effectivement du mal à attirer certains groupes de la société canadienne, et de façon disproportionnée dans les centres urbains, parmi les femmes, mais aussi, ce qui est intéressant, parmi certains groupes ethnodémographiques et sociodémographiques. C'est particulièrement intéressant, parce que les membres de certaines communautés ethniques s'enrôlent en grand nombre et d'autres, pas du tout.
Au lieu de déployer ces grandes stratégies de recrutement à coup de dieu sait combien de millions de dollars investis dans une campagne publicitaire sophistiquée à la télévision, il vaudrait mieux procéder à un recrutement beaucoup plus nuancé. Les réserves, notamment dans les centres urbains, sont un atout certain, mais elles ne disposent pas des ressources nécessaires et n'attirent pas les personnes dont on a besoin. Ce sont elles qui peuvent aider à résoudre certains des problèmes soulevés tout à l'heure au sujet de la nécessité d'être plus en contact avec les populations desservies.
Vous avez tout à fait raison. Les gens en uniforme — qui défendent notre démocratie, notre prospérité et notre sécurité — doivent être représentatifs de la population canadienne.