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Merci, monsieur le président.
Bonjour à tous, ou plutôt bonsoir, vu l'heure qu'il est.
Je m'appelle Jennifer Carr et je suis fière d'assumer la présidence de l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada.
Parmi les 75 000 membres que nous représentons, il y en a près de 7 000 qui travaillent au ministère de la Défense nationale.
Je suis fière d'être membre de l'équipe de la Défense depuis près de deux décennies, d'occuper un poste d'ingénieure en environnement et de contribuer à la préparation opérationnelle et à la sécurité de nos troupes.
Depuis de nombreuses années, l'Institut soulève, au nom de ses membres, des préoccupations par rapport à l'impartition. Dans l'ensemble du gouvernement, des décennies de dépenses incontrôlées en sous-traitance ont créé une armée d'experts-conseils, c'est-à-dire de gens qui ne sont pas embauchés au mérite, qui ne sont pas assujettis à des restrictions salariales ni à des règles d'embauche et qui n'ont pas de comptes à rendre aux Canadiens. Ils travaillent aux côtés des membres de la fonction publique, mais pas selon les mêmes règles.
Une analyse de l'Université Carleton a révélé que le gouvernement a dépensé plus de 22 milliards de dollars en sous-traitance en 2021‑2022. Près du tiers de ce montant était pour le ministère de la Défense nationale. Une seule entreprise a reçu trois quarts de milliard de dollars. Le quatrième fournisseur en importance, Calian, a reçu un quart de milliard de dollars pour la prestation de services que des fonctionnaires auraient pu fournir.
Que signifient vraiment ces chiffres astronomiques? La sous-traitance nuit à l'optimisation des ressources et à la reddition de comptes en plus d'entraîner la perte de compétences et d'expertise inestimables.
Parlons d'abord du gaspillage des fonds publics. L'an dernier, nous avons demandé au ministère de la Défense nationale combien lui avait coûté la sous-traitance de tâches dont nos membres auraient pu se charger. Après avoir posé cette question à maintes reprises, nous avons finalement obtenu une réponse. La dirigeante principale des finances du ministère a dit que la somme était estimée à 5,1 milliards de dollars l'an dernier. C'est plus du double de ce que le ministère paie pour ses fonctionnaires.
Au total, 5,1 milliards de dollars ont été dépensés pour des postes à l'externe, comparativement à 2,3 milliards de dollars pour des postes à l'interne. On a depuis longtemps franchi le pas d'une fonction publique parallèle. Il s'agit maintenant d'un énorme vampire qui siphonne des milliards de dollars aux contribuables pour le compte d'entreprises privées.
Ensuite, il y a l'énorme perte du savoir institutionnel. Les compétences et l'expertise disparaissent de la fonction publique, ce qui accroît le recours continu à des entrepreneurs et qui a une incidence sur notre capacité opérationnelle et la sécurité de notre exécution.
J'aimerais que le Comité se penche sur l'effet que les entrepreneurs privés ont sur nos activités, sur la sécurité des travailleurs et sur notre sécurité nationale.
En tant que professionnels de la fonction publique et de membres de l'équipe de la Défense, nos membres sont extrêmement fiers de leur travail et des services qu'ils fournissent aux forces armées. On peut toujours compter sur eux pour faire passer la sécurité des membres des forces armées en premier — toujours.
Trop souvent, quand il est question de dotation, les gestionnaires préfèrent maintenant opter pour la facilité et sous-traiter le travail. Ce faisant, on jette par-dessus bord les règles de diversité et d'inclusion, on ne tient pas compte des exigences en matière de langues officielles et on attribue souvent des contrats à des entreprises dotées d'anciens employés du ministère. On favorise ainsi un environnement où il est plus important de connaître les bonnes personnes que d'avoir les bonnes connaissances.
Nous n'allons donc pas chercher de nouveaux talents et nous perdons le contact avec les jeunes professionnels. Nous ne parvenons pas à renouveler le personnel. Les échecs en matière de maintien en poste entraînent des échecs en matière de recrutement. C'est comme un serpent qui se mord la queue: nous avons un gouvernement qui crée ses propres pénuries de main-d'œuvre.
Les preuves sont claires. Des décennies de sous-traitance débridée se sont traduites par la hausse des coûts et une diminution des services. Il est toutefois possible d'agir. Nous avons des suggestions pour transformer la rhétorique politique en réel changement.
D'abord, il faut cesser de faciliter l’impartition plutôt que l’embauche. Appliquer des règles en matière de diversité et d'inclusion et des exigences linguistiques à la sous-traitance, tout comme on le fait pour les embauches à l'interne. Il faut réinvestir dans les ressources humaines. L'embauche doit être plus rapide, plus équitable et plus efficace.
Ensuite, assurons-nous de bien maintenir en poste notre personnel. Si nous commençons à payer les professionnels de la fonction publique au taux du marché, nous améliorerons le maintien en poste et économiserons des millions de dollars en contrats gonflés à des entreprises privées. Le gouvernement paie actuellement les taux du marché aux employés contractuels, ainsi que jusqu'à 30 % de plus pour une entreprise, mais seulement s'ils ne travaillent pas pour la fonction publique fédérale.
Il faut que cela cesse. C’est insensé. Si nous égalons les taux du marché, nous pourrons rapatrier les employés de la fonction publique perdus au profit d’entrepreneurs privés.
Enfin, il faut rompre le cercle vicieux où le gouvernement crée ses propres pénuries de main-d’œuvre.
Chacun d’entre vous n’aura pas le droit de faire de lobbying pendant cinq ans quand vous quitterez la vie publique. Pourquoi ne pas mettre en place des règles semblables pour les employés qui quittent le ministère de la Défense nationale et qui sautent sur l’occasion d’occuper un poste à l’externe?
Je sais qu’il y a bien des personnes qui sont responsables d’une telle détérioration au fil du temps, mais au nom des employés de la fonction publique que nous représentons, j’exhorte le Comité à se concentrer sur les solutions. Aidez-nous à franchir la prochaine étape vers le changement de culture complet dont nous avons si désespérément besoin.
Merci. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
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Je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître aujourd’hui. Je m’appelle June Winger. Je suis la présidente nationale de l’Union des employés de la Défense nationale.
Notre syndicat représente 20 000 travailleurs civils de la Défense. Nos membres veillent à ce que les opérations militaires soient prêtes au déploiement en tout temps et à ce que les militaires vivent et travaillent dans des endroits sûrs. Nos membres sont des experts qui travaillent dans les bases et dans les bureaux, dans les laboratoires, dans les entrepôts, dans les aéroports et dans les garages. Ils offrent des services de soutien afin que les militaires puissent servir avec agilité et qu’ils soient prêts au combat.
Je suis ici aujourd’hui pour discuter de la sous-traitance, car il s’agit d’un problème important au sein du ministère. Grâce à la révélation du scandale ArriveCAN, les Canadiens sont maintenant plus que jamais conscients du problème que pose la sous-traitance.
Nous avons constaté au fil des ans que, au lieu de procéder à la dotation, le ministère se fie de façon importante et croissante à des entrepreneurs privés et qu’il a recours à de multiples niveaux de sous-traitance pour accomplir son mandat, comme l’intervenante précédente l’a dit.
Notre syndicat en gère les conséquences tous les jours. Nous sommes aux prises avec le manque de personnel, avec le travail bâclé effectué par les entrepreneurs et avec les risques en matière de santé et de sécurité, non seulement pour nos employés, mais aussi pour les militaires. Je n’ai même pas encore parlé de l’explosion des coûts. Il semble y avoir d’innombrables exemples graves qui montrent que les contrats en cours ne donnent pas de bons résultats pour les Canadiens.
Tout d’abord, j’aimerais dire quelques mots sur la grève de nos travailleurs qui ne sont pas financés par le secteur public et qui dure depuis maintenant 45 jours. Même si ces membres fournissent des services de soutien essentiels à nos militaires et aux membres de leur famille, ils sont gérés comme des entrepreneurs externes.
Nous entendons constamment dire que la Défense nationale n’est pas responsable de ces travailleurs, et pourtant, 40 % du financement qui va aux Services de bien-être et moral des Forces canadiennes sont payés par la Défense nationale. On ne cesse de nous dire qu’ils ne sont pas des fonctionnaires, mais ce sont des fonctionnaires: ils relèvent simplement de l’annexe V plutôt que l’annexe I. Quand nous entamons des négociations, l’employeur ne cesse de dire qu’il ne peut rien faire sans l’approbation de la Défense nationale et du Conseil du Trésor. C’est insensé.
En fait, pendant les négociations de chacune des unités, le négociateur des Services de bien-être et moral des Forces canadiennes a dit aux employés que l’employeur n’avait pas les moyens de les payer correctement, et que la seule façon d’obtenir les fonds de la Défense nationale était de faire la grève. Nous en sommes donc au 45 e jour de grève. Pendant que ces membres sont en grève, on a recours à des employés occasionnels: l’employeur embauche des gens pour faire le travail pendant que le gouvernement étudie un projet de loi antibriseurs de grève, et nous savons maintenant que des militaires sont également affectés au travail des grévistes. Il est évident que cet arrangement avec les Services de bien-être et moral des Forces canadiennes n’a pas de sens et ne fonctionne pas.
Il est important de se rappeler que non seulement les conjoints des militaires représentent une partie importante de ces travailleurs, mais que l’objectif principal de leur travail est de fournir un soutien aux militaires et à leur famille, ce même soutien dont l’ombudsman Gregory Lick a parlé il y a quelques jours à peine devant le Comité: ces travailleurs sont nécessaires pour régler les problèmes de maintien en poste dans les Forces armées canadiennes.
Ce qui se passe avec les Services de bien-être et moral des Forces canadiennes n’est que la pointe de l’iceberg. L’incroyable volume de sous-traitance que nous observons, les modifications non contrôlées aux contrats, les prolongations et l’explosion des coûts, le manque de surveillance et de contrôle de la qualité, les erreurs graves et les échecs complets associés à certains contrats ne semblent pas indiquer que la sous-traitance est utilisée comme prévu. Aux séances du Comité, nous avons entendu des fonctionnaires dire que la sous-traitance ne devrait être utilisée que comme une solution provisoire et pour la capacité de pointe, mais en réalité, ce n’est pas du tout ainsi que le ministère l’utilise.
Le président: [Inaudible ]
Mme June Winger: Pas de problème.
Je veux simplement attirer votre attention sur le fait qu’en octobre 2018, le sous-ministre adjoint responsable de services d’examen a réalisé un audit de tous les contrats d’entretien des installations. Cet audit a permis de conclure que le ministère ne procédait pas à une analyse de l’optimisation des ressources en matière d’impartition. L’audit a donné lieu à des recommandations clés, y compris la réalisation d’une analyse coûts-avantages et la production de rapports sur les coûts et l’efficience du travail de la fonction publique par rapport à celui du travail imparti. Il était clair que c’était nécessaire, et pourtant, cela n’a pas du tout été fait.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins de leur présence ce soir, ainsi que de leur patience et de leur souplesse à l’égard de la Chambre et de son horaire.
Maintenant, entrons dans le vif du sujet. Je dirais que sous le gouvernement précédent, de 2007 à 2015, la Défense nationale a directement attribué un total de 70 contrats à fournisseur unique. Le gouvernement actuel en a attribué 6 838, soit presque 100 fois plus.
Madame Carr, vous avez parlé de préoccupations croissantes et de chiffres alarmants, de chiffres astronomiques. Pourriez-vous nous en dire plus sur la façon dont cette tendance vous préoccupe et nous expliquer pourquoi un gouvernement devrait soudainement recourir autant aux contrats à fournisseur unique?
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J’aimerais dire que ce problème remonte à au moins deux décennies. J’ai commencé à travailler au ministère de la Défense en 2006, et nous nous sommes penchés sur cette question, alors il ne s’agit pas d’une question partisane. C’est devenu une dépendance excessive.
Voici le problème: quand il devient plus facile de demander à un entrepreneur de modifier son contrat pour fournir un service, cela devient la référence. Les gens cherchent à mettre en place des mesures provisoires pour obtenir les employés dont ils ont besoin pour faire le travail, sans avoir à passer par toutes les étapes.
Il est important que le Comité sache que le ministère de la Défense nationale compte deux organismes distincts. L’un d’eux est le Centre d’essais techniques , le Mer. Il appartient au gouvernement, mais sa gestion revient à un agent contractuel, c’est-à-dire à Weir Canada. Il y a aussi une société d’État figurant à l’annexe V appelée Construction de Défense Canada.
Nous avons vu ces organismes distincts, des organismes indépendants, prendre une part de plus en plus grande de nos emplois. Construction de Défense Canada a été fondée en 1951. Il ne devait servir qu’aux besoins de construction du ministère, mais il a depuis pris énormément d’ampleur, au point d’offrir des services environnementaux. C’était mon travail quand j’étais au ministère de la Défense.
Construction de défense Canada fait maintenant de la gestion de projets et de la gestion de contrats.
Quand ces emplois commencent à être sous-traités — et, encore une fois, cela se produit aussi dans tous les grands contrats —, on ajoute quelqu’un pour faire ce travail, et les modifications au contrat se succèdent, ce qui fait gonfler les coûts.
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C’est une excellente question. Merci.
C’est vraiment curieux, n’est‑ce pas? Il est presque impossible de comprendre pourquoi, car cela va à l’encontre de toute logique. Aucun d’entre nous ne gérerait son ménage de cette façon, et pourtant, pour une raison ou une autre, la Défense nationale continue de le faire.
L’un des grands défis, c’est la très petite somme que contient l’enveloppe des traitements et des salaires. Il y a aussi un processus de dotation fort alambiqué et très long. Ces deux choses sont des obstacles quand on sait à quel point il est facile d’obtenir un excellent budget pour le fonctionnement et l’entretien, où il suffit d’y puiser l’argent pour conclure les contrats.
C’est devenu trop facile. Comme je l’ai dit, il y a eu cet audit par les services d’examen selon lequel le ministère est censé fournir cette analyse, mais elle n’est pas faite. Prenons l’exemple de Shearwater. L’autre jour, le ministère a décidé de faire l’entretien de trois hangars militaires et il a donné ce travail en sous-traitance. Quand nous lui avons demandé son analyse coûts-avantages, il ne savait pas de quoi nous parlions.
Nous avons décrit une analyse de rentabilisation. Les responsables n’en avaient aucune idée. Nous leur avons fourni une analyse de rentabilisation, et la direction nous a répondu que ce n’était pas de son ressort. Si ce n’est pas son travail, qui doit s’en occuper?
Vous avez aussi parlé de l’ombudsman, tout à l’heure.
Dans la même veine, l’ombudsman de l’approvisionnement a indiqué que, lors d’un examen des pratiques d’approvisionnement du ministère de la Défense nationale, 40 contrats de 2019 à 2022 ont été choisis au hasard. Fait alarmant, sur les 40 choisis, 2 n’ont pas pu faire l’objet d’une analyse de rendement parce que le ministère avait perdu les documents. De même, sur les 36 dossiers examinés, le ministère n’a pas été en mesure de fournir des formulaires d’évaluation individuelle pour 9 d’entre eux. Dans six des dossiers, il manquait l’évaluation de consensus.
Est‑il courant, selon votre expérience, d’avoir des dossiers incomplets pour le quart des soumissions?
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Merci, monsieur le président.
Je souhaite la bienvenue à la présidente et à la vice-présidente.
J'ai travaillé pendant de nombreuses années au niveau municipal et je rencontrais souvent les syndicats pour discuter des attentes de leurs membres en relation avec le travail qui leur appartient. Nous devions souvent passer par un processus de négociation collective et il était donc important pour moi de comprendre les limites qu'ils avaient en ce qui concerne le travail qui leur appartient et la latitude dont disposait la municipalité pour fournir des services privés ou contractuels.
Puis‑je demander aux deux syndicats quelles sont leurs limites respectives concernant le travail qui appartient à leurs membres et le travail pour lequel le gouvernement bénéficie d'une certaine latitude relative à la sous-traitance? Je dirais que si nous construisons un pont dans le secteur municipal... Nous n'employons pas de personnes qui construisent des ponts. Nous comptons des ingénieurs dans notre personnel, mais ce ne sont pas des ingénieurs qui conçoivent des ponts. Par conséquent, étant donné la nature du travail que nous entreprenons, nous devrions sous-traiter presque tout le travail, à l'exception du travail de gestion de projet.
Cela dit, je me demande où se trouvent vos limites en ce qui concerne la latitude dont jouit le gouvernement pour sous-traiter naturellement une partie du travail tout en respectant les droits dont vous jouissez depuis des décennies avec vos syndicats respectifs.
Lorsque je me suis lancé en politique, c'était au milieu des années 1990 et en pleine « révolution du bon sens » pour ceux qui vivaient en Ontario. Ce langage est de retour, mais c'est évidemment sous une forme différente et à un autre ordre de gouvernement. Si vous vous rappelez bien, la mentalité de l'époque était de tout privatiser: « Le secteur privé sait ce qui convient le mieux. » Bien entendu, cela a entraîné une grande perturbation au sein de la main-d'œuvre. Il y a eu toutes sortes de manifestations à Queen's Park à l'époque. Cela a mené à des problèmes de moral. Cette façon de penser au sujet des partenariats public-privé était une panacée et elle s'est étendue à d'autres ordres de gouvernement. Le gouvernement fédéral de l'époque l'a adoptée, de même que les municipalités. Cela a causé un tort considérable au moral des fonctionnaires et nous a également touchés sur le plan des coûts. Je pense que vous avez fait allusion à certains de ces problèmes aujourd'hui.
J'ai pris note de votre remarque sur les vérifications de l'optimisation des ressources que la plupart des organisations souhaiteraient effectuer avant de décider si elles vont s'établir dans le secteur privé. Il vaut mieux savoir que c'est moins cher et que le travail sera fait d'une manière conforme à toutes les politiques que vous avez en tant qu'organisation.
Pouvez-vous nous parler de certains des préjudices qui surviennent lorsque vous n'effectuez pas de vérifications de l'optimisation des ressources avant d'avoir recours à la sous-traitance, ainsi que de certains des problèmes de moral auxquels vos membres sont confrontés lorsque ces décisions sont prises sans explication?
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Je remercie l'ensemble des témoins de leur présence aujourd'hui. Je leur en suis très reconnaissante.
Madame Winger, je ne peux faire autrement que de sauter sur l'occasion que vous nous avez donnée de parler des travailleurs des fonds non publics. J'aimerais entendre l'opinion des autres témoins à ce sujet.
À la base militaire de Saint‑Jean, l'endroit d'où je viens, les kinésiologues gagnent parfois la moitié du salaire de celui qu'ils gagneraient dans le réseau public, au Québec par exemple. Cela crée un manque d'effectifs de 48 % chez les kinésiologues, et ce sont eux qui forment les recrues.
On observe la même chose dans les magasins Canex. Les conditions salariales sont vraiment très précaires. En outre, on n'offre pas d'emplois à temps plein dans le but d'éviter d'avoir à donner des avantages sociaux aux gens qui y travaillent.
J'aimerais que vous nous parliez du fait que cela crée justement une pénurie de main-d'œuvre à l'interne, comme vous en avez parlé, madame Carr, ce qui peut mener, à long terme, à devoir recourir à de la sous-traitance.
Même si, dans le cas présent, ce n'est pas de la sous-traitance, la situation actuelle, c'est-à-dire le fait de ne pas reconnaître ces employés comme des fonctionnaires, nous mène-t-elle vers cela?
J'aimerais que vous répondiez toutes les deux à la question.
Je sais que les travailleurs du ministère de la Défense nationale ont planché sur le dossier du travail qui est donné en sous-traitance dans les cuisines, par exemple. À la base de Saint‑Jean, c'est un problème. La raison évoquée au départ pour recourir à de la sous-traitance, en plus des fonctionnaires, était qu'on voulait pouvoir répondre aux besoins lors des périodes de pointe. On disait que le secteur privé était plus flexible.
Or, au fil des années et avec les études qui ont été faites, on constate qu'il n'y a pas réellement de périodes de pointe et que ces postes pourraient être pourvus par des fonctionnaires.
L'analyse de la constance des besoins a-t-elle été faite par l'employeur?
De plus, quelle est la réponse de l'employeur lorsque vous lui présentez les chiffres que vous avez et qui montrent que ces postes pourraient être pourvus par des fonctionnaires, question d'éviter aussi d'avoir deux catégories d'employés au même endroit, ce qui peut causer de la jalousie?
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C'est une histoire qui crève un peu le cœur. Si vous vous rappelez bien, il y a quelques années, à Petawawa, les nettoyeurs de GDI ont fait la grève pendant quatre mois. Ils ont finalement obtenu un contrat, mais lorsque le contrat a été réexaminé, GDI n'a pas été le soumissionnaire retenu.
En fin de compte, trois contrats ont été octroyés et une entreprise du nom de Toure en a obtenu deux. Tout se passait plutôt bien. Il s'agissait de deux contrats de cinq ans pour un montant de près de 8,5 millions de dollars. Cependant, en janvier de l'année dernière, l'employeur a cessé de payer ses employés à temps et correctement. Selon leur convention collective, les employés devaient être payés par transfert électronique de fonds, mais ils recevaient des chèques — ils étaient payés à un autre employé, puis déposés sur leur compte. C'était complètement fou. Les employés n'étaient pas en mesure d'obtenir du matériel de nettoyage, car leurs fournitures de nettoyage étaient écartées par les fournisseurs, qui n'accordaient plus de crédit. Ils ne pouvaient même pas utiliser les véhicules de l'entreprise, qui étaient pris dans des garages pour lesquels l'entreprise ne payait pas sa facture, si bien qu'ils ont dû louer des véhicules. C'était un véritable cauchemar.
La situation a atteint un point critique pendant la période de Noël. L'entreprise a tout simplement cessé de payer les employés. Une membre m'a téléphoné pour me dire qu'elle était grand-mère et qu'elle avait eu l'intention de recevoir sa famille pour Noël, mais qu'elle n'avait pas les moyens de faire l'épicerie.
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Merci, madame Mathyssen.
Voilà ce qui termine notre première série de questions. Il nous reste 17 minutes et 38 secondes avant le prochain vote. J'avais l'intention de donner la parole à M. Kelly et M. Fillmore. Après cela, il nous restera sept minutes avant le vote.
Je pars du principe que nous sommes prêts à voter avec l'application au lieu de retourner à la Chambre pour voter, du moins je l'espère. En cas d'indication contraire, n'hésitez pas à m'en faire part.
Mme Cheryl Gallant: Il est chanceux qu'il pleuve à verse.
Le président: Si je peux poser ces deux questions, nous pourrons ensuite suspendre la séance à ce moment‑là et peut-être terminer la réunion.
Je vais céder la parole à M. Kelly et ensuite M. Fillmore, qui est une orthographe étrange pour « Fisher ».
Sur ce, monsieur Kelly, vous disposez de cinq minutes.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie les témoins.
Encore une fois, comme l'a dit Mme Kramp‑Neuman, je vous remercie de votre patience. Les choses qui se passent à la Chambre se répercutent sur le Comité.
Je représente la circonscription de Dartmouth—Cole Harbour en Nouvelle-Écosse, où l'on trouve de vastes groupes de membres des Forces armées canadiennes et d'employés du ministère de la Défense nationale. Certains de ces employés m'ont fait part de leurs préoccupations concernant la sous-traitance. D'ailleurs, ils ont fait écho à certaines des choses que vous avez dites, madame Carr.
Que ce soit à Recherche et développement pour la défense Canada ou dans l'une de nos bases — et M. Fillmore représente une de ces bases lui aussi —, nous disposons d'une grande expertise à l'interne. Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire que, dans la mesure du possible, il faut investir dans notre personnel pour continuer à développer cette expertise dont vous avez parlé, tant dans les Forces armées canadiennes qu'au ministère de la Défense nationale.
Madame Carr, vous avez abordé certaines recommandations en particulier, mais vous ne disposiez que de cinq minutes. Il est toujours utile de faire consigner les choses une ou deux fois au sein de ce comité lorsque nous étudions des questions comme celle‑ci. Quelles sont vos recommandations ou vos suggestions au gouvernement lorsqu'il envisage des contrats, des services de consultation et d'autres services professionnels, d'autant plus que tous les ministères procèdent actuellement à des exercices de réorientation des dépenses? Je vais vous laisser l'essentiel de mon temps de parole.
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Je vous remercie d'avoir mentionné Recherche et développement pour la défense Canada — l'organe de recherche — parce qu'il se passe quelque chose de très préoccupant pour nos membres. Nous représentons les chercheurs.
Le gouvernement a commencé à s'appuyer sur des subventions pour la recherche en matière de défense. On retire l'argent aux chercheurs pour en faire des espèces de gestionnaires de contrats au lieu de ceux qui effectuent les recherches importantes pour le compte du ministère de la Défense nationale. Non seulement nous ne possédons pas la propriété intellectuelle des recherches qu'ils ont effectuées avec l'argent des contribuables, mais en plus, s'ils trouvent quelque chose d'important — je vais dire un gadget, puisque je ne suis pas une scientifique —, il faut le leur racheter. De surcroît, ils peuvent vendre leur idée à un autre gouvernement. Je ne pense pas que ce soit dans l'intérêt de notre sécurité nationale.
Lorsqu'il s'agit de sous-traitance et d'optimisation des ressources, ce qui me préoccupe le plus en tant que professionnelle, c'est la perte de savoir organisationnel. On ne saurait trop insister sur ce point. Une fois que l'on commence à externaliser et à envoyer cette expertise à l'externe, on ne peut plus la ramener. Il n'y a personne pour superviser le contrat d'ingénierie et témoigner que quelque chose ne va pas, parce qu'on ne fait rien de tout cela. C'est très simple, mais il faut de la volonté. Il faut ramener l'expertise à l'interne. Il faut faire un effort concerté pour se demander « S'agit‑il de postes à long terme et d'intérêts à long terme? » et pour rétablir ces postes.
Vous avez parlé de relocalisation et expliqué que la GRC fait toujours les choses à l'interne alors que le ministère de la Défense nationale les laisse à l'externe. On a dit que ce serait trop coûteux ou trop difficile. Je ne pense pas que ce soit le cas. En fait, je pense qu'un service fourni à l'interne serait meilleur. Nos membres seraient mieux servis, car ils auraient affaire à des personnes qui comprennent leur réalité quotidienne.
En réalité, un fonctionnaire fédéral est fier de ce qu'il fait. Il va chercher la source d'un problème et proposer des solutions. Quant à lui, un contractant proposera toujours une solution qui repose sur lui, perpétuant ainsi le cycle.
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Encore une fois, c'est très complexe, mais il faut voir à quel point il est facile d'embaucher quelqu'un.
Je suggérerais au Comité de s'adresser à Construction de Défense Canada ou au Centre d'essais techniques (Mer) pour leur demander comment ils recrutent leur personnel. Ce qui se passe, c'est qu'ils connaissent quelqu'un qui est engagé dans le cadre d'un contrat du Centre d'essais techniques (Mer) pour effectuer le travail.
Il y a des règles d'embauche, alors faites en sorte que les contractants soient soumis aux mêmes règles. Veillez à ce qu'ils soient tenus de respecter la diversité et l'équité, les exigences linguistiques et les habilitations de sécurité. Veillez à ce qu'ils ne puissent pas simplement monter à bord aux conditions du marché.
Je représente des professionnels. Un médecin ne devrait pas être obligé de passer par Calian pour obtenir les conditions du marché, de sorte que le gouvernement paie ensuite 30 % de plus à une entreprise. Payez vos professionnels selon les conditions du marché. Faites qu'il ne soit pas plus simple pour eux d'être embauchés par un contractant selon les mêmes compétences et payez-les correctement.
Madame Carr, plusieurs choses me semblent paradoxales. J'aimerais savoir ce que vous pourriez m'en dire.
D'une part, lorsqu'il a été question de compressions dans la défense nationale, nous avons entendu le ministre dire qu'on allait procéder à des coupes dans les services professionnels et la sous-traitance.
On peut alors se demander si on a les ressources à l'interne pour faire le travail qu'on va retirer aux compagnies privées.
D'autre part, sous les libéraux, il semble y avoir eu à la fois une augmentation des contrats en sous-traitance et une augmentation de la taille de la fonction publique.
Beaucoup d'éléments me semblent paradoxaux. Peut-être pourriez-vous m'éclairer au moyen d'un commentaire pour me dire ce qui se passe depuis quelques années.
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Vous allez devoir faire preuve d'indulgence à l'égard de ma voix.
Merci beaucoup à vous tous de votre travail et du temps que vous nous consacrez aujourd'hui.
Au cours des neuf dernières années où j'ai occupé ce poste, j'ai rencontré régulièrement vos collègues de l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada et de l'Alliance de la Fonction publique du Canada au sujet de nombreux enjeux, mais le plus souvent au sujet de la sous-traitance. La situation a atteint un point critique en 2018, je crois, parce que certains nettoyeurs de la BFC Greenwood allaient perdre leur emploi. On a mené une intervention très réussie là‑bas. On a pu conserver ces emplois et annuler le contrat proposé. Ce fut une très bonne issue pour toutes les personnes concernées.
Tout cela faisait partie de la gestion des retombées du plan d'action pour la réduction du déficit qui a été mis en place en 2012 par l'ancien gouvernement conservateur. Je crois que 11 000 emplois ont été touchés, dont 2 300 au ministère de la Défense nationale. Bien sûr, il y a eu la perte d'une grande partie du savoir institutionnel, ce qui a mené à la nécessité de recourir à l'externalisation à certains égards. Je ne veux pas faire planer l'histoire sur tout ce qui nous intéresse, mais c'est en partie la raison pour laquelle nous en sommes là.
Une chose que je veux comprendre, madame Carr, c'est s'il est vrai que certains services doivent être sous-traités. Au début de votre intervention, vous avez mentionné le gros montant de 5,1 milliards de dollars, je crois, et je veux m'assurer que ce montant n'inclut pas certains éléments indispensables.
Pouvez-vous nous en parler?
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J'ai deux minutes. Je vais essayer de faire vite. Je viens de l'Alberta et je parle lentement.
Je pense qu'il y a eu certaines améliorations. Je pense que le syndicat entretient avec la Défense nationale des relations plus étroites que jamais. Même si nous ne sommes pas toujours d'accord, nous sommes certainement en mesure d'avoir des discussions et de nous écouter mutuellement. Je crois que c'est très utile.
Nous avons dû faire face à de nombreux défis au fil des ans. Il est certain que les licenciements de 2012, dont il a été question plus tôt, n'ont pas beaucoup contribué à améliorer la situation. Nous ne nous en sommes toujours pas remis. Franchement, à mon avis, c'est en grande partie à cause d'eux que nous avons aujourd'hui des contrats de sous-traitance.
Lorsque les licenciements de 2012 ont eu lieu, on nous a dit qu'on couperait des programmes. Ce n'est pas arrivé. Je travaille dans le domaine de la recherche pour la défense lorsque je n'occupe pas ce poste. Je sais très bien comment ces programmes sont construits. Les gens veulent les conserver. C'est l'œuvre de leur vie. Ils ne veulent pas les perdre. Ils veulent continuer à les suivre. Nous continuons à pousser, à faire plus avec moins, toujours moins. C'est ainsi qu'on en arrive à faire appel aux entrepreneurs et à nous laisser dans cette situation.
L'ETS n'a pas été augmentée pour permettre de faire le travail. Nous versons plutôt des sommes phénoménales à ces entrepreneurs au lieu de faire effectuer le travail dans la fonction publique et de conserver les connaissances institutionnelles dont nous parlons.
J'aimerais entendre des commentaires généraux sur la dualité qui existe entre la fonction publique et le secteur privé.
On pourrait parfois avoir l'impression que, de votre côté on fait la promotion de la fonction publique parce que c'est la fonction publique et que le travail effectué par le secteur privé est systématiquement mauvais.
Or j'aimerais donner contre-exemple, soit celui du Collège militaire royal de Saint‑Jean, qui se trouve dans ma région.
C'est un organisme à but non lucratif qui est responsable de la gestion du site du Collège depuis plusieurs années. Il a acquis une belle expertise. Les employés sont bien traités. Le service est bien rendu. Cela fonctionne bien et le ministère de la Défense en a pour son argent.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, il ne s'agit pas vraiment d'une dualité entre la fonction publique et le secteur privé, mais bien d'un problème général de transparence, de reddition de comptes et d'impossibilité d'obtenir l'information du secteur privé quant au nombre de plaintes qu'il reçoit, à la façon dont il traite les employés et à la qualité des services rendus.
J'aimerais donc obtenir des commentaires généraux sur la question.
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Je dirai que ce n'est ni bon ni mauvais et que je ne peux pas tout mettre dans le même panier.
Je dirais cependant qu'un fonctionnaire est en mesure d'effectuer le travail lorsqu'on le lui demande. Avec les entrepreneurs, on doit modifier un contrat. Ils ne vont pas effectuer des tâches non mentionnées dans leur contrat. Par exemple, si vous avez un contrat pour l'entretien des roses et des plantes et que vous voulez qu'un arbre soit coupé, mais que l'entrepreneur ne l'a pas fait, vous devez modifier le contrat, alors qu'un ouvrier jardinier...
Je suis désolée, madame Winger. Je connais ce rôle. On ne peut pas simplement leur demander d'aller le faire.
Oui, c'est une question de transparence et de responsabilité. Il y a aussi le niveau de service. Si j'ai besoin de faire faire quelque chose maintenant, je ne peux pas attendre que le contrat soit modifié. Cela concerne certaines des relations entrepreneur-employeur que nous entretenons avec les entrepreneurs.
Ils s'assoient en fait aux bureaux des employés. Ils reçoivent des ordres ou des directives de la part de fonctionnaires, et ce n'est pas censé se produire. C'est contre la politique, mais cela se produit quand même parce qu'ils essaient de faire fonctionner les choses.