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Bonjour, tout le monde.
Puisque nous avons quorum et qu'il est 11 h, je déclare la séance ouverte.
À titre informatif, je remplace aujourd'hui M. McKay, mais je vais aussi prendre la parole à titre de membre du Comité, selon l'ordre normal des tours de parole.
Je confirme que tous les témoins ont fait les tests de son appropriés.
Je vous souhaite officiellement la bienvenue à la 36e réunion du Comité permanent de la défense nationale.
Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le 6 octobre, le Comité reprend son étude sur la sécurité dans l'Arctique. Aujourd'hui, nous allons aborder le sujet de la concurrence géopolitique dans l'Arctique et ses répercussions sur la sécurité et la coopération internationales.
J'aimerais souhaiter la bienvenue au premier groupe de témoins. Nous avons aujourd'hui le plaisir de recevoir M. Aurel Braun, professeur à l'Université de Toronto, et M. Stéphane Roussel, professeur à l'École nationale d'administration publique. Tous deux se joignent à nous en mode virtuel.
J'invite les deux témoins à faire leurs remarques liminaires.
Professeur Braun, vous avez la parole pour cinq minutes, une fois votre microphone activé.
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Je vous remercie beaucoup.
Région vaste et inhospitalière, mais d'une importance stratégique considérable, l'Arctique renferme jusqu'à 25 % des réserves de combustibles fossiles dans le monde. Dans les États occidentaux, toutefois, l'Arctique n'a guère été un centre d'intérêt géostratégique, et les politiques ont souvent reposé sur de nobles aspirations et reçu peu d'attention.
Au Canada, pour certains, le Grand Nord est trop loin, trop vaste, et son environnement trop hostile pour susciter une conquête étrangère ou une ingérence d'envergure. Il a donc été tentant de considérer l'Arctique comme une zone de paix et de coopération, où les priorités sont les échanges culturels, les opérations de sauvetage et la réglementation aérienne.
Malheureusement, pour dire une vérité qui dérange, cette tentative de séparer la région de la géopolitique mondiale a donné lieu à un amalgame imaginaire, un mirage où se sont mêlées pensées magiques occidentales et manipulations russes. Je voudrais respectueusement suggérer que nous n'avons pas d'autre choix que de faire face à une dure réalité géopolitique: toute tentative de séparer l'international du régional risque de créer une dangereuse illusion.
Il y a trois grands domaines de préoccupation dans l'Arctique qui sont profondément liés: le politique, l'économico-environnemental et le militaire. Dans tous ces domaines, la Russie joue un rôle démesuré, une situation que les changements climatiques et l'évolution des relations russo-chinoises ont rendu encore plus complexe.
Il faut reconnaître, bien sûr, que la Russie, le plus grand État arctique, a des préoccupations et des intérêts légitimes. Aucun autre pays n'a un pourcentage aussi important de sa population qui y réside, et aucun autre pays n'a une part aussi importante de son PIB qui repose sur l'exploitation des ressources et le transport maritime dans la région. Pour comparaison, cela représente au moins 20 % du PIB de la Russie contre moins de 1 % pour les États-Unis. La menace russe résulte toutefois de motivations et d'ambitions qui vont bien au‑delà de ces intérêts nationaux légitimes.
Tout d'abord, d'un point de vue politique, la Russie, dont le régime personnaliste est de plus en plus autoritaire, est aux prises avec quatre crises existantes et imminentes interreliées qui constituent des forces motrices importantes pour la politique étrangère: une crise de légitimité politique, une crise économique, une crise d'identité nationale et une crise de succession. Combinées, ces forces motrices façonnent une politique étrangère russe qui cherche à compenser l'échec du régime Poutine à créer un État moderne prospère en créant des « succès extérieurs » de diversion; ainsi, la répression intérieure préfigure l'agression extérieure.
Deuxièmement, dotée d'une économie fortement dépendante de l'extraction des ressources énergétiques — plus de 60 % des exportations sont constituées de combustibles fossiles —, la Russie a fait de l'Arctique un élément central de son économie et de sa stratégie politique et militaire. Moscou se soucie pour la forme des préoccupations climatiques mondiales et a été un très mauvais gardien du fragile écosystème de l'Arctique. La Russie s'est engagée dans une exploration massive et risquée, notamment avec l'aide financière et la participation directe de la Chine. Alors que les changements climatiques ont effectivement induit un déclin significatif de la quantité et de l'épaisseur des glaces marines, elle a fait fi des menaces et s'est concentrée exclusivement sur les possibilités économiques, en mettant l'accent sur l'extraction des ressources énergétiques et la navigation dans l'Arctique. En outre, Moscou, selon une progression prévisible, est passé de la diplomatie des gazoducs à l'utilisation de l'énergie comme arme de guerre.
Troisièmement, malgré les promesses de Poutine sur sa non-militarisation de l'Arctique ainsi que certains présupposés occidentaux sur l'exceptionnalisme militaire de l'Arctique, la doctrine militaire russe remontant à 2014 montre exactement le contraire. Forte notamment d'une nouvelle génération d'armes nucléaires et de son système anti-aérien le plus avancé, la Russie s'est engagée dans un renforcement militaire massif, ayant plus de bases au nord du cercle arctique que tous les autres pays réunis, et plus de brise-glaces lourds que tous les autres États.
En conclusion, ostraciser la Russie au sein du Conseil de l'Arctique sert à protester contre son agressivité, mais c'est loin d'être suffisant. Tant que la Russie restera une dictature avec une économie en déroute qui cherche une légitimité politique par la voie d'exploits à l'étranger, tant qu'elle sera si dépendante de l'énergie, tant qu'elle poursuivra sa dérive de partenaire subalterne de la Chine à vassal de Pékin, Moscou représentera une menace croissante qu'il faudra affronter avec prudence, mais pas dans la panique. Le Canada doit, premièrement, avoir une présence militaire permanente plutôt que simplement constante dans l'Arctique; deuxièmement, obtenir un avantage qualitatif face à la supériorité numérique de la Russie; et troisièmement, avec ses alliés, y compris la Suède et la Finlande, se doter d'une capacité militaire régionale crédible dans le Nord. La sécurité et la souveraineté sont des préoccupations centrales dans la situation géopolitique du XXIe siècle, et il n'y a pas de solution magique. Il y a peu de choix...
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Je remercie le Comité et le greffier de m'avoir invité. C'est toujours un très grand plaisir et un honneur que de pouvoir contribuer aux réflexions et aux travaux de la Chambre des communes.
Je tiens d'abord à dire que je ne suis pas un spécialiste de la Russie. Mon principal domaine de recherche est la politique étrangère et la politique de défense canadiennes, notamment les questions arctiques, sur lesquelles je travaille depuis une quinzaine d'années.
Mes remarques vont s'articuler autour de trois points principaux, que je vais tenter d'exposer en quatre minutes.
À la fin du mois de février ou au début du mois de mars, j'ai reçu un très grand nombre d'appels de journalistes, surtout des médias francophones, exprimant une crainte face aux vulnérabilités du Canada dans l'Arctique et à la possibilité que les tensions internationales causées par la guerre en Ukraine aient une incidence sur l'Arctique canadien.
La première chose que j'ai à dire à ce sujet est que j'appartiens au camp des optimistes. Je ne crois donc pas que les intérêts militaires du Canada dans l'Arctique soient menacés à court ou à moyen terme. Je ne crois pas que l'hostilité ou les tensions avec la Russie aient une incidence directe sur les intérêts canadiens immédiats dans l'Arctique.
La Russie n'a pas signifié de revendications en lien avec le territoire canadien. À mon sens, la Russie n'a pas d'intérêt stratégique à s'en prendre au territoire canadien. Si jamais cela se produisait, cela constituerait une agression contre le territoire canadien aux termes de l'article 5 du Traité de l'Atlantique Nord. Le cas échéant, nos soucis seraient beaucoup plus grands que l'Arctique en soi.
La Russie représente une menace pour le Canada à court et à moyen terme, notamment dans le domaine de la désinformation et des attaques informatiques. En ce qui a trait à l'Arctique, par contre, je n'ai pas de grandes inquiétudes.
Mon deuxième point, qui découle de tous ces appels que j'ai reçus des journalistes, consiste à rappeler aux membres du Comité que les Canadiens sont extrêmement sensibles sur les questions arctiques. C'est une question d'identité nationale. Être Canadien, c'est aimer l'Arctique et s'en inquiéter, si bien que toute perception d'une menace, même si elle est lointaine et, jusqu'à un certain point, artificielle, va créer des remous dans l'opinion publique. Le Comité doit être conscient de cette très grande sensibilité et des réactions parfois disproportionnées que cela peut susciter.
Cela m'amène à mon troisième point. Si on me demandait de donner un conseil ou une grande orientation pour les Forces armées canadiennes et le ministère de la Défense nationale en Arctique actuellement, ce serait de garder le cap sur ce que les Forces et le ministère ont fait au cours des 20 dernières années. Il faut donc que leur principale préoccupation soit les répercussions des changements climatiques dans l'Arctique et l'augmentation de l'activité humaine qui y en résultera. L'activité touristique et économique, le soutien aux communautés, tout cela va aller en augmentant au cours des prochaines décennies. Les Forces armées canadiennes étant généralement le principal moyen par lequel le gouvernement peut agir dans une région aussi isolée que celle-là, le recours aux Forces et la pression qui s'exerce sur elles vont aller en augmentant.
En conclusion, la semaine dernière, vous avez entendu le chef d'état-major nous rappeler que les Forces armées canadiennes faisaient face à une pénurie de recrues et qu'elles avaient beaucoup de difficulté à augmenter leur capacité à fournir les services auxquels le gouvernement s'attend. Cette pression va se maintenir, d'autant plus qu'il y a une demande dans le Sud du Canada pour ces services aussi. À mon sens, c'est le principal défi auquel on va devoir faire face au cours des prochaines années, et cela concerne directement l'Arctique canadien.
Merci, madame la présidente.
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Je vous remercie, madame la présidente.
Je remercie nos témoins de leur présence.
Mes questions s'adressent à M. Braun.
Je vous remercie de votre témoignage. Je suis d'accord avec vos trois points. Vous avez parlé d'une présence permanente, d'une approche qualitative et de travailler avec nos alliés pour renforcer nos capacités dans la région.
Je suis allé à Inuvik et à Iqaluit l'été dernier. Vous savez, les paroles creuses des libéraux ne suffisent plus. Cela fait sept ans. Nous constatons toujours un manque énorme d'infrastructures et un manque énorme de sécurité sur le terrain dans l'Arctique.
Savez-vous ce qui se passe avec le hangar vert à Inuvik?
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Permettez-moi de vous expliquer la situation.
Le hangar vert est le hangar que les Forces armées canadiennes utilisent depuis des décennies pour abriter notre avion de ravitaillement en vol lorsqu'il est là‑haut, le CC‑130. En 2021, le gouvernement libéral, qui parle beaucoup de sécurité, a jugé qu'il n'était plus nécessaire.
À l'heure actuelle, ce hangar est vide à Inuvik. L'hiver est à notre porte ici, et il neige déjà là‑haut. Nous n'avons pas accès à ce hangar pour que notre CC‑130 puisse ravitailler nos CF‑18. Cela signifie qu'à -40°, il faut au moins deux ou trois heures pour que l'avion de ravitaillement en vol soit prêt, ce qui exclut toute intervention rapide. Si vous n'êtes pas au courant de cela, je vous mets au défi de vous renseigner à ce sujet.
Actuellement, cette installation de NORAD, qui est essentielle dans le Nord — comme nous le savons, Inuvik est la principale base du NORAD dans l'Arctique — est à vendre. Nous avons eu quelques acheteurs intéressés, notamment les Chinois et les Américains, alors je suppose que ma question est la suivante: comment les Canadiens peuvent-ils croire quoi que ce soit de ce que dit le gouvernement sur les mesures qu'il prend pour assurer la sécurité dans l'Arctique? C'est un gouvernement qui fait des promesses, mais qui ne réalise pas grand-chose.
Veuillez répondre à la question s'il vous plaît.
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Monsieur Braun, il ne me reste que quelques minutes, et j'ai une autre question.
Je suis également très au fait des revendications de souveraineté entourant les fonds marins. La Russie a revendiqué ce que nous considérons comme notre fond marin arctique. Vous en avez déjà parlé, même sur le plan environnemental.
Nous devons être en mesure de nous affirmer. Si Poutine décide d'installer une plateforme de forage à 200 milles nautiques de nos côtes, nous devons pouvoir agir, et ce, de manière décisive. Je comprends ce que vous dites. Vous ne pensez sans doute pas qu'il s'agit d'une menace, mais ils sont en train d'envahir un pays.
Ce qui suit provient d'une source sur le terrain:
Nos conditions météo changent rapidement. Les pluies et les brouillards, annonciateurs de l'automne, commencent. Actuellement, la base la plus cruciale du NORAD au Canada ne dispose pas de hangar, de stationnement, d'avions de ravitaillement en vol C‑130. L'avion de ravitaillement en vol A310 ne peut pas atterrir à Inuvik. Le C‑295 SAR n'est pas opérationnel. Il n'y a pas assez de carburant. Depuis hier, quatre aéroports du Nunavut, dont celui de Resolute Bay — une plaque tournante régionale —, manquent de carburant d'avion.
Il est difficile de croire qu'on parle de la principale base du NORAD au Canada, comme le dit la pour nous rassurer. Je lui ai déjà posé des questions à ce sujet à la Chambre. Elle dit que tout va bien dans le Nord. Est‑ce que cela donne l'impression qu'Inuvik est prêt pour n'importe quel type d'intervention dans le Nord?
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Malheureusement, le Canada a négligé son pouvoir de coercition depuis un certain temps déjà. Compte tenu de la situation géopolitique actuelle, nous ne pouvons guère nous permettre de le faire.
Qu'il s'agisse de questions générales ou des enjeux particuliers que vous avez mentionnés, ils nécessitent tous une attention quasi urgente, car si le pouvoir de velours est important, il va de pair avec le pouvoir de coercition.
La Russie est une dictature agressive. Elle est soutenue par la Chine, et la Chine s'intéresse de plus en plus à l'Arctique. Elles veulent s'assurer d'une exploitation maximale et d'un contrôle maximal par la Russie avec l'aide de la Chine. La Chine a parlé d'une route de la soie polaire. Nous devons donc faire face à cette réalité.
J'aimerais bien que l'on consacre le plus d'argent possible à l'éducation et aux soins de santé, mais nous n'avons guère d'autre choix que de disposer d'une capacité militaire efficace et crédible.
Je vous remercie de la question.
Tout d'abord, je tiens à dire qu'il existe déjà quelque chose de très intéressant. Je parle des Rangers canadiens, qui appuient les Forces armées canadiennes en leur servant de guides ou de mentors dans le Nord. L'organisation fonctionne extrêmement bien et a des ramifications sociales et économiques importantes. Les Rangers canadiens sont pour la plupart membres de populations locales, ce qui permet des ramifications locales très fortes, basées avant tout sur la communauté. L'organisation est le meilleur lien entre les Forces armées canadiennes et les communautés locales. Il y a consensus sur le fait que les Rangers canadiens sont importants et qu'on doit les conserver.
Leur problème en est peut-être plus un de croissance. En effet, l'organisation fonctionne probablement au maximum et il serait difficile de créer de nouvelles patrouilles et de leur donner des tâches supplémentaires. Selon moi, il ne faut donc pas créer de nouveaux liens, mais bien cultiver ceux qu'on a déjà. Il faut continuer à bénéficier au maximum des connaissances que ces communautés ont des régions où elles habitent et des préoccupations qu'elles peuvent exprimer aux Rangers canadiens et à certaines instances comme ce Comité. J'espère d'ailleurs que le Comité va inviter des représentants de ces communautés à venir témoigner.
Cependant, pour l'instant, je vous dirais que c'est à elles qu'on devrait demander ce qu'on peut faire de plus actuellement. Selon moi, avec les Rangers canadiens, on est sur une excellente voie.
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Oui, bien sûr. Je vous remercie beaucoup de la question.
Une fois encore, je tiens à souligner que nous devons envisager la menace russe non pas du point de vue d'une invasion militaire standard, car cela peut être facilement écarté. Ce n'est pas ainsi que les menaces se manifestent, et ce n'est pas nécessairement ainsi que la Russie agit. Nous devons comprendre cela pour l'ensemble des menaces, parce que nous collaborons avec d'autres pays, parce que nous sommes membres de l'OTAN, parce que nous sommes membres de NORAD...
L'OTAN va maintenant s'élargir, et je suis convaincu que la Suède et la Finlande en seront membres. Elles y sont presque. Nous attendons simplement que la Turquie, en gros, décide que c'est une bonne idée, alors nous devons envisager la meilleure façon de rendre notre défense collective plus efficace.
Il y a des années, j'ai témoigné devant ce comité et j'ai fortement insisté pour que nous obtenions des chasseurs de cinquième génération afin d'avoir un avantage qualitatif. Aujourd'hui, cela est devenu encore plus important, et nous sommes en train d'obtenir cet avantage.
Parmi les autres États nordiques, les États nordiques occidentaux...
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Professeur Braun, je suis désolée de devoir à nouveau vous interrompre, mais le temps de parole de Mme Lambropoulos est malheureusement échu. Je vous invite à garder en tête votre réponse, à laquelle vous pourriez revenir en réponse à une autre question.
Je me permets maintenant de commencer mon propre tour de questions de six minutes en remerciant nos deux témoins.
Je commencerai par vous, professeur Roussel. Vous nous avez mentionné d'entrée de jeu que vous n'aviez pas vraiment de craintes quant à une menace militaire de la Russie en Arctique. Nous savons que la Russie n'est pas sur le point de venir planter son drapeau en sol canadien au nom d'une revendication territoriale.
Toutefois, j'aimerais que vous nous en parliez plus amplement, notamment de l'aspect économique, du passage de vaisseaux dans nos eaux territoriales, ainsi que des revendications plus politiques. Puisque cela pourrait ultimement mener à une stratégie plus militarisée, n'est-ce pas une situation qui pourrait être inquiétante?
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Merci de votre question.
D'abord, je reviens sur un point que j'ai mentionné très rapidement dans mon allocution d'ouverture. La menace immédiate qui se pose est celle de la désinformation et de la perturbation des systèmes informatiques causées par des cyberattaques. On a vu plusieurs de ces attaques, dont on soupçonne qu'elles sont attribuables à la Russie. Or, cette menace vise aussi l'Arctique, puisque les liens Internet d'un grand nombre de communautés qui s'y trouvent sont vulnérables à ces attaques. Je vous prierais de garder cela en tête lorsque vous étudiez les menaces actuelles, surtout quand il est question de menaces politiques.
Si vous parlez davantage d'une augmentation des activités à caractère politique dans le Nord, je vous dirais que, oui, cette situation est beaucoup plus plausible. Je pense ici à des démonstrations de force, à des manœuvres militaires ou à d'autres choses qui visent à impressionner. Toutefois, la réponse à cette augmentation d'activités possiblement politiques ou visant à marquer un point réside dans ce qu'on fait déjà: les exercices des Forces armées canadiennes dans le Nord et la mise en place de systèmes nous permettant de contrôler qui mène des activités à caractère économique ou des activités criminelles, et où. Or, il faut être capable de détecter ces activités. Agir est une chose, mais encore faut-il être capable de détecter ces problèmes.
Cela dit, je recommanderais que les Forces armées canadiennes jouent un rôle presque policier, c'est-à-dire assurer la présence du gouvernement, l'autorité, et le respect des lois en territoire canadien. Ce n'est donc pas un rôle de défense militaire, mais c'est un rôle extrêmement important.
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Je donnerais priorité à l'Arctique. Dans le Sud du Canada, les Forces armées canadiennes devraient constituer un dernier recours, quand il n'y a plus d'autres options. Cependant, dans la pratique, ce n'est pas ce qu'on a vu au cours des dernières années, voire des dernières décennies. En effet, les provinces appellent souvent l'armée très rapidement en renfort sous la pression populaire. C'était le cas, par exemple, lors des inondations en Montérégie ou lorsque la tempête Fiona a frappé les Maritimes, alors que la population a très rapidement demandé que l'armée lui vienne en aide.
Or, le Sud du Canada peut mettre d'autres ressources à contribution avant de faire appel aux Forces armées canadiennes. La situation est tout autre dans le Nord. D'abord, les conditions y sont extrêmement difficiles et, s'il fallait faire face à un désastre environnemental, à une catastrophe aérienne ou à un naufrage, il n'y existe pas les ressources nécessaires pour les affronter. Les seules à disposer de ces ressources, ultimement, sont les Forces armées canadiennes.
J'aurais donc tendance à vous dire que, même si les pressions sont plus fortes dans le Sud, le Nord devrait avoir priorité parce que, contrairement au Sud, il y a très peu de solutions de rechange.
D'abord, je vous dirais que les gens ne sont peut-être pas assez informés. L'Arctique demeure toujours très lointain dans l'esprit de la plupart des gens et la très grande majorité des Canadiens n'y mettront jamais les pieds. En effet, seulement 5 ou 6 % des Canadiens peuvent se vanter d'y être allés.
La sensibilité provient du fait que la grande majorité des Canadiens, peu importe leur langue ou leur région, identifie l'Arctique comme étant typiquement canadien. C'est de là que vient cette sensibilité.
Il pourrait très certainement y avoir plus d'information à ce sujet. Je ne voudrais cependant pas que ce soit de l'information alarmiste, qui donne l'impression que l'Arctique est menacé par des puissances étrangères et qu'il faut y déployer des soldats pour contrer les menaces externes. Cela nous détournerait des véritables problèmes.
Il faut s'occuper des communautés qui sont actuellement dans l'Arctique, ainsi que de la croissance de l'activité humaine qu'on y observe et qu'on va continuer d'observer. Selon moi, c'est là qu'on doit mettre l'accent. Si on met trop l'accent sur une menace externe qui est lointaine et, à mon sens, peu probable, je pense qu'on incite l'opinion publique à aller dans la mauvaise direction et à demander des choses qui ne sont pas nécessaires actuellement.
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Je vous remercie de la question.
En fait, il est vraiment difficile de trouver cet équilibre, parce que les besoins sont tellement importants que tout devrait être prioritaire. C'est un problème. Beaucoup d'infrastructures pourraient avoir un double usage, en ce sens que si on construit un port en eau profonde ou des pistes d'atterrissage, ces infrastructures peuvent être utilisées par les militaires, mais aussi pour des activités civiles, donc on pourrait accorder la priorité à ce type d'infrastructure souvent sans problèmes.
En fait, ce qui m'inquiète, c'est exactement ce dont j'ai parlé dans ma réponse précédente, à savoir que si nous mettons trop l'accent sur une menace lointaine et mettons tous nos œufs dans le panier militaire, cela pourrait poser problème et nous pourrions être aux prises exactement avec le problème que vous avez mentionné, en ce sens que nous négligerions les communautés locales au profit de quelque chose de possible, mais pas forcément susceptible de se produire dans l'avenir.
Ma réponse, c'est d'essayer de trouver des infrastructures qui pourraient avoir un double usage et d'en faire une priorité. Cependant, tout est prioritaire, et c'est un vrai problème.
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Merci, madame la présidente.
Tout d'abord, merci aux témoins d'être présents ici aujourd'hui, non pas dans la salle, mais en virtuel. Je vous remercie de vos commentaires.
J'aimerais commencer par dire que les effectifs de nos forces armées connaissent un fort déclin. Si nous n'arrivons pas à recruter, à maintenir en poste et à former nos effectifs, je crains que nous ne nous engagions sur une voie très sombre.
Il est évident que nous sommes très loin des objectifs prévus par le plan de ce gouvernement, la politique de défense Protection, Sécurité, Engagement, qui prévoyait de porter les effectifs à un peu plus de 71 500 membres. Nous manquons d'équipement moderne, et ce problème ne facilite assurément pas les choses. Nous ne disposons pas d'une vision cohérente de la politique étrangère canadienne et des investissements militaires nécessaires pour la soutenir. Le problème n'est pas seulement le manque de soutien matériel en équipement: Je veux insister sur le manque de personnel qualifié au sein de l'armée.
J'aimerais tout d'abord poser une question au professeur Braun.
Selon vous, quel est le problème et comment pouvons-nous le résoudre avant qu'il ne soit trop tard?
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Il y a beaucoup de problèmes, mais l'une des choses qui m'inquiètent vraiment est que nous passons beaucoup de temps à essayer de nous rassurer en disant qu'il n'y a pas de véritable menace extérieure. Nous adoptons ce genre d'approche binaire, en pensant que si nous consacrons des fonds à l'armée, nous ne pourrons pas répondre aux besoins sociaux dans le Nord, lesquels sont effectivement importants.
J'aimerais pouvoir partager la vision optimiste de mon collègue, le professeur Roussel, mais ce n'est pas la réalité du système international. Ce type d'exceptionnalisme de l'Arctique ne peut pas durer. Nous devons affronter la réalité et admettre que nous devons dépenser plus, tout simplement. Nous devons pouvoir faire les deux. Nous devons nous occuper des Autochtones et répondre à leurs besoins, mais nous devons aussi avoir une vision à long terme de nos engagements et de nos besoins en matière de défense.
Nous avons constaté, lorsque nous avons essayé d'aider l'Ukraine, que notre équipement était tellement réduit que nos placards étaient pratiquement vides. Nous avions épuisé nos capacités.
Nous sommes un acteur international majeur, un pays du G7. Nous pouvons faire plus. Pour cela, nous devons faire des sacrifices et nous engager. Cette tâche ne sera pas facile, mais nous ne pouvons pas nous contenter de croire à tort que cette menace future non définie n'est pas significative. Lorsque l'on examine le système international, si l'on se penche un peu sur la doctrine militaire russe et que l'on observe le comportement de la Chine, on se rend compte qu'il est temps d'affronter la réalité.
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Merci beaucoup pour votre question.
La Russie a une présence militaire très puissante et une présence croissante dans l'Arctique, mais son économie est plutôt modeste. La Russie n'est qu'un vestige d'une ancienne superpuissance. Son économie n'est pas vraiment beaucoup plus importante que celle de l'Italie. Elle a donc besoin de l'aide de la Chine.
La Chine a besoin d'énergie. Elle a besoin de faire du commerce. La Chine comprend que l'Arctique est important parce qu'on y trouve beaucoup de combustibles fossiles, et elle soutient l'exploration menée par la Russie. Elle y participe désormais directement. La Chine cherche à développer la route maritime du Nord, car celle‑ci permettrait de réduire de 30 % le temps et la distance nécessaires au transport des marchandises de l'Asie vers l'Europe, ce qui augmenterait considérablement son potentiel d'exportation.
La Chine a des ressources. L'économie chinoise est importante. Elle dispose d'un budget considérable et son engagement ne cesse de croître. Qui plus est, la relation entre la Chine et la Russie évolue. Elle est en train de passer d'un partenariat inégal à une relation dans laquelle la Russie pourrait progressivement devenir un État vassal de la Chine, auquel cas cette dernière dicterait sa conduite en fonction de ses propres besoins, qui exigent une exploration effrénée des ressources de l'Arctique. Ce scénario serait très dangereux pour nous, sur le plan écologique et, en fin de compte, sur le plan stratégique. La Chine aimerait contrôler la route maritime du Nord avec la Russie, ce qui représenterait pour nous un autre type de menace.
C'est pourquoi je pense qu'il est essentiel que nous examinions la menace qui se présente dans ce domaine d'une manière sophistiquée, plutôt que de la définir en termes d'opération militaire classique ou d'envisager uniquement une cyberguerre, qui ne constitue pas nécessairement la menace principale, même dans l'immédiat.
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Merci, madame la présidente.
Merci aux témoins d'être présents.
Je souhaite simplement revenir sur certains des commentaires formulés par les conservateurs au sujet de ce que l'on appelle « l'air chaud ».
La Russie et la Chine sont-elles devenues une menace dans l'Arctique à la fin de 2015? Des infrastructures existaient-elles dans l'Arctique et ont‑elles simplement cessé d'exister en 2015? Y avait‑il des exercices de l'OTAN? Y avait‑il des brise-glaces? Y avait‑il des infrastructures? Y avait‑il du personnel stationné dans l'Arctique qui a simplement disparu en 2015? Peut-être que l'air chaud et la nature politique que les conservateurs veulent donner à cette question visent en fait à détourner l'attention du fait que les gouvernements successifs ont dû faire des choix.
Vous avez tous deux parlé des choix en matière de dépenses. Je pense que ce commentaire est juste et qu'il doit être examiné. Cependant, le fait de suggérer que, d'une manière ou d'une autre, tous les problèmes liés à ce travail, à ces infrastructures et à ces menaces ne sont apparus que lorsque le gouvernement actuel a pris le pouvoir, et que toutes ces mesures avaient été prises...
Les groupes de témoins précédents nous ont dit qu'il faudrait de nombreuses années de planification pour construire des infrastructures dans l'Arctique, compte tenu du type d'infrastructures nécessaire dans ces conditions. Les conservateurs aiment prétendre que ces infrastructures existaient déjà et que la situation n'a changé que lorsqu'ils ont quitté le pouvoir, mais c'est tout simplement faux.
Nous devrions parler de la situation actuelle et des objectifs à atteindre. Les gouvernements successifs n'ont pas effectué ces investissements, et l'air chaud vient du côté des conservateurs. Peut-être pourrions-nous nous en tenir à l'objectif de renforcer nos capacités et d'assurer la souveraineté et la protection de l'Arctique, au lieu de faire du révisionnisme.
Pouvez-vous nous parler de la menace qui existait avant 2015 et des besoins de longue date en matière d'infrastructures auxquels nous devons commencer à répondre par l'entremise de ces investissements?
L'un ou l'autre des témoins peut répondre.
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Chers collègues, je vous invite à prendre place pour la deuxième heure de la réunion du Comité permanent de la défense nationale.
Je remercie les témoins de leur patience.
Nous sommes maintenant prêts à poursuivre avec M. Michael Byers, professeur à l'Université de la Colombie‑Britannique et titulaire de la chaire de recherche du Canada en politique mondiale et en droit international. Il participe à la réunion en personne.
Je vous souhaite la bienvenue, professeur Byers.
Par la suite, nous entendrons le témoignage de M. Whitney Lackenbauer, professeur à l'Université Trent et titulaire de la chaire de recherche du Canada sur l'étude du Nord canadien.
Messieurs, vous avez cinq minutes chacun pour présenter vos remarques liminaires.
Professeur Byers, vous avez la parole.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Bonjour, tout le monde. Cela me fait grand plaisir d'être ici aujourd'hui.
[Traduction]
Je tiens d'abord à remercier le greffier de ce comité d'avoir remarqué, il y a deux jours, que je serais à Ottawa aujourd'hui et que j'étais donc disponible pour témoigner en personne. Le fait de vous voir en personne fait une grande différence.
Merci pour le travail que vous avez accompli, en particulier pendant les années difficiles de la pandémie.
J'ai pu entendre le témoignage des témoins du groupe précédent et je suis à la fois en accord et en désaccord avec eux.
Je suis d'accord pour dire que la Russie constitue une menace importante pour la sécurité du Canada, y compris dans l'Arctique, et ce, depuis les années 1950. Depuis les bombardiers à long rayon d'action transportant des ogives nucléaires, en passant par le développement de missiles balistiques intercontinentaux jusqu'au développement actuel de missiles de croisière et de missiles hypersoniques, il est certain que la Russie constitue une menace pour la sécurité de l'Amérique du Nord.
Compte tenu du comportement du régime de Poutine, cette menace n'a jamais été aussi importante depuis 1962. Nous vivons une époque dangereuse pour ce qui est de la menace russe à l'égard de l'Amérique du Nord. Je suis d'accord avec l'intervenant qui a formulé ces propos et, avant de passer à d'autres questions, je vais parler un peu de la façon dont nous pouvons contribuer à faire face à cette menace ou à l'atténuer.
Pour ce qui est de l'atténuation de la menace russe, qui se présente aujourd'hui sous la forme de missiles balistiques intercontinentaux, de missiles de croisière et de missiles hypersoniques, la technologie russe est bien trop avancée pour que nous puissions abattre ces engins, et les États-Unis n'en sont d'ailleurs pas capables non plus. Si nous assurons une surveillance radar dans l'Arctique, c'est pour préserver la capacité de nos amis et voisins américains à lancer des missiles dans l'éventualité d'une première frappe russe. C'est le principe de la préservation de la destruction mutuelle assurée.
C'est l'objet du Système d'alerte du Nord. Le but n'est pas de nous protéger en attaquant les missiles russes qui approchent, mais de nous donner l'assurance que la Russie sera détruite si elle lance des missiles sur l'Amérique du Nord. Nous devons moderniser le Système d'alerte du Nord pour fournir une surveillance et une assistance continues à nos alliés américains. Cette modernisation passe en effet notamment par l'utilisation de radars transhorizon. Nous devons préserver la destruction mutuelle assurée qui est le mécanisme de dissuasion nucléaire qui nous protège depuis les années 1960. Ces stations radar situées dans le Nord sont notre principale contribution à la sécurité de l'Amérique du Nord.
Pour ce qui est des autres dimensions de la sécurité dans l'Arctique, l'essentiel de l'action se déroule actuellement dans l'Arctique européen. Elle a lieu dans la mer du Nord, la mer de Norvège et la mer de Barents. La prépondérance de la force militaire de la Russie, sa force militaire autre que l'armée de terre — la marine, l'aviation, les missiles balistiques intercontinentaux — se trouve dans le Nord-Ouest de la Russie, dans l'Arctique russe, principalement sur la péninsule de Kola. Ils accèdent aux océans du monde par la brèche située entre le Groenland, l'Islande et le Royaume-Uni, et les forces navales et aériennes de l'OTAN réagissent très activement contre les activités russes dans cette zone. Ces derniers jours, ils ont effectué des exercices nucléaires majeurs, notamment avec des missiles terrestres, des missiles sous-marins et des bombardiers nucléaires. Ils ont effectué ces tests il y a quelques jours à peine.
J'ai eu l'occasion de passer un peu de temps avec le commandant de la deuxième flotte américaine en septembre 2019, et il m'a dit que, déjà à cette époque, en septembre 2019, le niveau d'activité des sous-marins russes était comparable à ce qu'il avait connu en tant que commandant d'un sous-marin d'attaque américain durant la dernière partie de la guerre froide. Il y a de l'activité là‑bas. Le Canada a un rôle à jouer. Nos frégates ont un rôle à jouer aux côtés des autres forces navales de l'OTAN sur ce terrain. Nos avions de surveillance à long rayon d'action ont un rôle à jouer sur ce terrain et ils le font.
Pour ce qui est de l'Arctique canadien, la Russie ne va pas l'envahir. Concrètement, elle est déjà en train de perdre la guerre contre l'armée ukrainienne. La Russie n'a pas besoin de l'Arctique nord-américain, et elle échouerait lourdement face à la capacité d'intervention conjuguée de l'OTAN, y compris des États-Unis. Elle ne tentera donc pas une invasion en vue de conquérir ces territoires. Je suis d'accord avec le professeur Roussel sur ce point.
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Madame la présidente, merci de me donner l'occasion de faire quelques remarques préliminaires.
[Traduction]
Depuis que la Russie a lancé sa nouvelle invasion brutale de l'Ukraine en février, nous avons assisté à un nouveau débordement des tensions internationales dans les affaires circumpolaires régionales, ce qui soulève des questions fondamentales sur notre engagement à maintenir la paix et la stabilité dans l'Arctique. Nous devons donc plus que jamais veiller à fonder nos décisions en matière de défense et de sécurité de l'Arctique sur des hypothèses et des preuves solides.
Premièrement, nous parlons souvent de l'Arctique comme s'il s'agissait d'un seul espace géopolitique. Or, si la portée de certaines questions et menaces est véritablement circumpolaire, il est préférable d'envisager certains autres aspects sous un angle sous-régional.
Comme vient de le dire le professeur Byers, certaines menaces propres à l'Arctique européen diffèrent considérablement des menaces auxquelles est confronté l'Arctique canadien. Par exemple, la menace que posent les forces terrestres russes le long des frontières avec les États nordiques est très différente de celle à laquelle le Canada est confronté. Ne l'oublions pas.
J'estime également que le fait de faire la distinction entre les menaces qui traversent ou survolent l'Arctique et celles qui visent l'Arctique ou qui s'y trouvent revêt une importante valeur analytique.
Les premières sont des menaces qui traversent ou survolent l'Arctique pour frapper une cible située en dehors de cette région. Il s'agit de missiles de croisière, de planeurs hypercinétiques, de missiles balistiques, de bombardiers et de sous-marins. Il convient de noter que ces armes et ces vecteurs ne sont pas principalement destinés à frapper des cibles situées dans l'Arctique; ils visent l'équilibre mondial du pouvoir et de la dissuasion. Il est donc préférable de les analyser dans un contexte international.
Cela dit, ils ont effectivement un lien avec l'Arctique, car nous avons investi ou nous investissons davantage dans les capacités de détection, de dissuasion et de défense contre ces menaces mondiales dans l'Arctique. Cependant, il serait erroné de laisser entendre que ces dispositifs de défense contre les menaces qui traversent l'Arctique visent à défendre l'Arctique et non l'Amérique du Nord en général. Ce fait n'a pas vraiment changé depuis février. Je pense qu'il est préférable d'envisager ces menaces dans un contexte large, dans le cadre de la dissuasion intégrée. Voilà où l'accent mis sur la modernisation du NORAD, qui vise à créer un écosystème de défense à plusieurs niveaux et tous domaines, recoupe la défense et la sécurité de l'Arctique.
La deuxième catégorie englobe les menaces pour l'Arctique, c'est‑à‑dire les menaces qui émanent de l'extérieur de l'Arctique canadien et qui visent notre Arctique. Certaines menaces hypothétiques sont des menaces militaires cinétiques. Alert ou Thulé pourraient être considérées comme des cibles toutes désignées en cas de guerre mondiale, compte tenu de leur importance stratégique.
J'estime généralement que les menaces militaires traditionnelles ne sont pas les plus graves pour la sécurité de l'Arctique nord-américain. Je pense plutôt à l'ingérence étrangère, notamment aux campagnes de désinformation visant à miner la crédibilité de l'État canadien ou à polariser le débat sur des questions sensibles et à élargir les fractures existantes, dans le but de déstabiliser nos sociétés démocratiques. Cette catégorie pourrait également inclure une attaque qui n'atteindrait pas le seuil du conflit armé et qui ciblerait un élément d'infrastructure essentiel en vue de créer la panique et d'obliger le gouvernement du Canada à réorienter ses ressources pour tenter de résoudre le problème. La Russie a déjà coupé des gazoducs et des câbles sur le fond marin à proximité de la Norvège. Encore une fois, cette catégorie de menaces pour l'Arctique comprend également le changement climatique au sens large, ainsi que les pandémies.
Dans quelle mesure nos principaux concurrents stratégiques représentent‑ils des menaces réelles ou potentielles pour la sécurité de l'Arctique? Je pense que tout dépend du secteur et du domaine de la sécurité concernés.
Il est important de noter que la plupart des États arctiques estiment que le risque de conflit armé est relativement faible dans l'Arctique par rapport à d'autres régions, mais reconnaissent que des formes de concurrence interétatique existent déjà sans atteindre le seuil du conflit armé. Après tout, la guerre hybride, les cyberattaques, le cyberespionnage et les campagnes de désinformation sont devenus les piliers centraux des approches russes et chinoises de la concurrence et de la guerre stratégiques. Nous sommes confrontés à des menaces économiques complexes et sophistiquées émanant d'acteurs étatiques et non étatiques, dont je me ferais un plaisir de discuter plus en détail.
Pour ma part, je suis d'accord avec le professeur Byers. Je ne pense pas que la probabilité d'un conflit interétatique découlant de différends liés aux ressources, aux frontières de l'Arctique, à la souveraineté des États de l'Arctique ou à l'accès commercial aux voies de navigation soit plus élevée qu'il y a neuf mois ou même cinq ans. Je m'inquiète de plus en plus du débordement de la dynamique de l'Arctique dans la région. Il est donc important d'examiner comment nous pouvons maintenir la paix et la civilité dans l'Arctique tout en soutenant notre prise de position de principe contre l'agression russe. Nous devons également déterminer comment le Canada peut, de concert avec ses alliés, éviter un dilemme de sécurité de plus en plus déstabilisant vis‑à‑vis de la Russie dans l'Arctique.
Enfin, quelles sont les menaces dans l'Arctique canadien?
J'estime que la plupart des problèmes que connaît la région concernent principalement la sécurité non armée et la sécurité des missions opérationnelles, c'est‑à‑dire les menaces liées au changement climatique et environnemental ainsi que les catastrophes aériennes ou maritimes majeures. Les autres menaces qui pèsent sur l'Arctique comprennent les effets du changement climatique sur les opérations militaires dans l'Arctique et sur les infrastructures essentielles, notamment les installations de défense.
Quelles sont les mesures à prendre en priorité?
Tout d'abord, nous devons réaliser des investissements intelligents dans le domaine de la défense, afin d'harmoniser les besoins en matière de défense et de sécurité avec les priorités bien établies des gouvernements territoriaux, provinciaux et autochtones. Les domaines prioritaires comprennent l'infrastructure des communications, l'amélioration des aérodromes, des ports et des installations portuaires, ainsi que les systèmes de capteurs qui améliorent notre connaissance des aspects environnementaux et humains du domaine.
Dans la mesure du possible, nous devons synchroniser la réponse aux déficits en infrastructures dans le Nord qui créent des vulnérabilités en matière de sécurité, afin de remédier aux inégalités sociales, sanitaires et économiques qui persistent dans cette région. Pour cela, le gouvernement du Canada doit faire les choses différemment.
Deuxièmement, je veux souligner l'importance de la diffusion d'un message stratégique. Comment pouvons-nous calibrer soigneusement notre message pour nous assurer que nous projetons unité, force et confiance de manière claire, précise et cohérente? En ce sens, j'estime que la dissuasion intégrée constitue une source de stabilité régionale.
Le troisième point est le souhait d'améliorer le domaine...
Je pense qu'à l'heure actuelle, notre capacité à nous défendre contre toute menace est limitée, mais je ne m'en inquiète pas outre mesure. Comme l'a dit le personnel du chef d'état-major de la Défense il y a quelques jours, nous devons nous projeter dans l'avenir. Nous devons investir maintenant pour anticiper les limites potentielles et nous assurer que nous sommes prêts à nous défendre contre les menaces émergentes.
L'amélioration de la connaissance du domaine et la domination de l'information sont essentielles à cet égard. Nous devons donc assurer de recueillir, d'analyser et de partager l'information à un rythme pertinent, non seulement entre les décideurs du Canada, mais aussi avec nos alliés et nos partenaires. Voilà le domaine dans lequel le Canada peut et doit, selon moi, chercher à jouer un rôle de premier plan.
Deuxièmement, dans cette optique, nous devons synchroniser nos efforts de défense intérieure liés à l'Arctique avec ceux de nos alliés. Nous pourrons ainsi faire face, de manière crédible et concertée, aux menaces communes qui visent l'Arctique, qui le traversent et qui y sont présentes, d'une manière rationnelle, proportionnée et efficace du point de vue des ressources, tout en renforçant...
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De quoi avons-nous besoin en matière de surveillance?
Nous avons une très bonne surveillance spatiale en ce moment grâce à la Constellation RADARSAT. Il s'agit de trois satellites lancés en 2019. Ils ont une durée de vie de sept ans, et il faut maintenant lancer le processus d'approvisionnement en vue de leur remplacement. Ce sont nos yeux dans le ciel de l'Arctique. Ils nous permettent de voir la nuit à travers les nuages. Ils ont été construits pour la sécurité de l'Arctique. Le renouvellement de la Constellation RADARSAT figure donc bien en haut de ma liste.
Deuxièmement, nos avions de patrouille à long rayon d'action Aurora sont vieux de 40 ans. Ils fonctionnent encore très bien, notamment dans le cadre de notre collaboration avec les forces de l'OTAN dans la mer du Nord, mais nous devrions les renouveler.
Ensuite, pour ce qui est de la capacité de réagir à des incidents de moindre importance, comme la recherche et le sauvetage ou les tactiques de harcèlement par la Russie — je ne parle pas d'invasion, mais bien de harcèlement par la Russie —, nos hélicoptères de recherche et de sauvetage Cormorant constituent des plateformes extraordinaires. Là encore, il faut procéder à un renouvellement à mi‑vie.
Je crois qu'il existe beaucoup d'idées fausses sur ce qui se passe avec le Conseil de l'Arctique depuis la fin de février. Tout d'abord, ses activités n'ont pas été suspendues. Les États arctiques aux vues similaires — et vous remarquerez que je n'ai pas dit « l'Arctique 7 », car j'aurai préféré que ce terme soit complètement exclu des discussions ces jours‑ci — ont choisi de mettre en veilleuse leur participation pour le moment.
À mon avis, c'est une bonne chose, car on met ainsi l'accent sur la Russie pour corriger la situation et donner un nouveau souffle à des institutions comme le Conseil de l'Arctique. La réalité, c'est qu'il n'y a pas de Conseil de l'Arctique sans la participation de la Russie puisque l'intention du Canada et des autres pays qui l'ont créé était de permettre à tous les partenaires circumpolaires d'en faire partie.
Cependant, je suis tout à fait d'accord, monsieur May, pour dire que nous devons faire preuve de beaucoup de prudence. Ce qui m'inquiète, c'est que cette pause aura principalement pour effet d'interrompre tous les extraordinaires travaux scientifiques menés par le Conseil de l'Arctique, ce qui entraînera des lacunes si nous ne les reprenons pas. Ma deuxième préoccupation concerne les participants permanents, car il s'agit d'un forum tout à fait novateur qui permet aux Autochtones de participer aux affaires internationales. Ainsi, cette pause réduit la capacité des peuples autochtones canadiens et de leurs pairs transnationaux à contribuer aux discussions sur l'Arctique.
Encore une fois, je crois qu'il y a certaines préoccupations quant à la question de savoir combien de temps durera l'arrêt des activités du Conseil de l'Arctique et pendant combien de temps des observateurs comme la Chine seront disposés à attendre, mais pour moi, cette question est d'une importance secondaire ou tertiaire par rapport aux autres enjeux qui existent.
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Je vais répondre en anglais parce que c'est mieux pour moi.
La Chine et la Russie ne sont pas des amis. Ce sont des alliés de convenance. En ce moment, la Chine achète de vastes quantités de ressources russes à des prix dérisoires et les revend ensuite en réalisant d'énormes bénéfices. Elle vend du pétrole et du gaz à l'Union européenne et empoche des bénéfices très importants. La Chine profite donc de la situation.
Ils ne sont pas amis comme le sont le Canada et les États-Unis, et il y a lieu de s'attendre à ce que la Chine envisage, à l'avenir, une invasion de l'Extrême-Orient russe pour s'emparer de territoires et de ressources. Je n'ai pas l'impression que cette relation deviendra beaucoup plus étroite en matière de confiance ou d'intégration militaire. Toutefois, il est évident que la Russie est la puissance la plus faible et que la Chine devient rapidement plus puissante. Il faut donc suivre la situation de près.
Nous devons également surveiller l'Inde, qui apporte un soutien beaucoup trop important à la Russie, mais permettez-moi de dire ceci: la Turquie m'a surpris en respectant ses engagements envers l'OTAN, alors bravo pour elle. Toutefois, c'est très imprévisible.
En ce qui concerne la Chine dans l'Arctique, ses principaux intérêts au cours de la dernière décennie ont été l'accès à la navigation et l'accès aux ressources. Pour ce qui est des ressources, jusqu'à récemment, elle a été très bien accueillie dans les États arctiques, du point de vue des investissements étrangers et du commerce.
Je viens de Vancouver. Si on regarde le port de Vancouver, on verra qu'il est rempli de navires transportant des ressources canadiennes vers la Chine. Ce n'est pas quelque chose qui a changé radicalement au cours des dernières années. En ce qui a trait aux routes maritimes — et la plupart des gens ne le savent pas —, la Chine ne s'oppose pas à la position juridique du Canada dans le passage du Nord-Ouest. Elle a indiqué très clairement aux expéditeurs chinois qu'elle s'attendait à ce que les sociétés chinoises de transport maritime respectent les règles canadiennes.
La Chine représente‑t‑elle une menace mondiale en raison de son pouvoir croissant et de la centralisation de l'autorité par le président Xi Jinping? Absolument. C'est très préoccupant. La Chine est‑elle une menace pour l'Arctique canadien? Ce n'est pas une menace imminente. Cependant, j'ai parlé de harcèlement tout à l'heure — il ne s'agit pas d'invasion, mais de harcèlement. La Russie et peut-être la Chine pourraient commencer à causer des problèmes. Par exemple, les Russes ont saboté des câbles sous-marins dans l'Arctique norvégien et ont fait voler des drones près des plateformes pétrolières. Nous pourrions assister à des tactiques subtiles harcèlement dans l'Arctique canadien, d'où la nécessité de renforcer nos capacités de surveillance. Nous devons soutenir les Rangers canadiens dans les missions qu'ils effectuent en dehors des collectivités. Nous devons surveiller sur ce qui se passe, mais nous n'avons pas besoin d'une accumulation militaire massive en prévision d'une invasion. Cela aurait pour conséquence de détourner des ressources du véritable théâtre, qui est actuellement le théâtre européen.
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Oui, madame la présidente, je suis certainement d'accord sur la plupart des points.
Je crois que, dans notre analyse de l'intérêt de la Chine pour les secteurs du transport maritime et des ressources naturelles russes, les résultats sont quelque peu différents. Nous avons vu des investissements chinois dans le secteur du gaz naturel liquéfié, en particulier dans la péninsule de Yamal avec le projet Yamal‑2, qui est un exemple d'investissement chinois à grande échelle dans l'Arctique.
Ce qui est également révélateur, c'est que malgré tous les beaux discours selon lesquels il s'agit d'une solution mutuellement avantageuse et malgré l'enthousiasme de Pékin à l'égard des aspirations de Moscou en matière de développement de la route maritime du Nord, l'argent réellement investi dans la construction d'infrastructures le long de cette route ou dans la construction d'artères de transport pour relier la route maritime du Nord aux marchés eurasiens est en fait très modeste. Je crois que cela montre bien qu'il s'agit, jusqu'à présent, d'une relation essentiellement transactionnelle.
En tant que Canadiens, nous devons également nous rappeler que l'Arctique fait partie de notre identité, comme l'a dit M. Roussel il y a quelques instants, tout comme c'est le cas pour la Russie. Les Russes sont très fiers, et l'idée que la Chine puisse être traitée comme un égal dans l'Arctique russe est quelque chose de très désagréable dans l'imaginaire russe.
À certains égards, je crois également que nous devons faire preuve de prudence. La Chine représente des risques dans notre Arctique et ailleurs dans des secteurs particuliers — elle exerce une influence par l'entremise de ses activités économiques et elle soulève des inquiétudes quant à l'intégrité des sciences et de la recherche —, mais nous devons prendre garde de ne pas l'élever au rang de concurrent dans l'Arctique. La Chine n'est pas un État arctique. Elle n'a ni la souveraineté ni les droits associés à un État arctique. Il est vraiment important, dans cette discussion, que nous ne lui attribuions pas un statut qu'elle ne mérite pas bien franchement, du point de vue de ses droits et de son empreinte dans la région.
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Comme le sait probablement le Comité, la Maison-Blanche a publié une stratégie américaine pour l'Arctique il y a deux semaines. Je vous recommande vivement d'en prendre connaissance. Cette stratégie n'est pas entièrement valable pour le Canada, mais je dirais que l'essentiel de son contenu peut nous guider et qu'il faut établir un partenariat avec les États-Unis pour bon nombre de ces questions.
Dans ce contexte, je dirais que nous avons un différend de longue date avec les États-Unis concernant le statut juridique du passage du Nord-Ouest. Nous avons démontré, il y a quelques mois à peine, notre capacité à régler des différends avec nos alliés dans l'Arctique; je parle du règlement lié aux frontières maritimes et de l'entente conclue avec le Danemark au sujet de l'île Hans. Compte tenu de la menace croissante de la Russie et du défi à long terme que pose la Chine, le moment est peut-être venu pour nous de nous asseoir avec les Américains et de parler du passage du Nord-Ouest, en faisant preuve d'ouverture d'esprit, pour voir si nous pouvons régler ce point de divergence qui perdure entre le Canada et les États-Unis.
En ce qui concerne la situation plus générale dans l'Arctique canadien, encore une fois, nous devons maintenir et renforcer notre capacité de recherche et de sauvetage, c'est‑à‑dire notre capacité à nous rendre rapidement sur place pour sauver des vies et, si nécessaire, à arraisonner un navire civil non conforme dans le passage du Nord-Ouest. Les hélicoptères de recherche et de sauvetage Cormorant sont un grand atout à cet égard.
Par ailleurs, nous devons renouveler certaines de nos capacités existantes avant qu'elles ne soient désuètes — la Constellation RADARSAT, les patrouilleurs à long rayon d'action Aurora —, et je dirais que nous devons nous assurer que nos avions de chasse, y compris ceux de la prochaine génération, sont en mesure de fonctionner dans l'Arctique. Pour ce faire, il faudra apporter des améliorations aux pistes d'atterrissage et à l'infrastructure au sol, entre autres, lorsque le tout sera en service.
Il y a beaucoup de petites choses que nous pouvons faire, mais en gros, pour répondre à votre question, je dirai que cela repose sur la relation entre les États-Unis et le Canada: tâchons de travailler avec eux autant que possible pour voir si nous pouvons régler le différend.
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Je vais me focaliser sur ce que vous avez demandé au sujet de la capacité offensive. Voici comment je présenterais cela: comment éviter le dilemme de sécurité qui se produit lorsque nous faisons des investissements dans la défense qui sont interprétés par un adversaire ou un concurrent comme quelque chose qui, à son tour, le menace, l'encourage à bonifier ses investissements et déclenche ce qui pourrait être une course aux armements ou une spirale axée sur la sécurité?
Dans ce cas particulier, je pense qu'il est important pour nous de faire montre de sobriété et de reconnaître que la Russie a une souveraineté légitime et des droits souverains dans une grande partie de l'Arctique. Elle a des préoccupations en matière de défense. Étant donnés l'endroit qu'elle a choisi pour positionner une grande partie de ses capacités de dissuasion et de défense — ce qui a énormément à voir avec des enjeux de pouvoir à l'échelle mondiale — et le fait qu'elle ait choisi de miser sur l'Arctique, en particulier sur la péninsule de Kola, il faut comprendre qu'elle perçoit l'OTAN comme une menace pour la portion russe de l'Arctique. Je ne pense pas que cette perception de menace soit la même que celle que ressent le Canada à l'égard de la Russie en ce qui a trait à l'Arctique canadien.
Pour moi, le fait de se rendre compte de cela souligne à gros traits la nécessité d'avoir un message stratégique correct et de prendre soin d'expliquer que les investissements dans l'OTAN sont des investissements dans une alliance défensive, et non dans une alliance offensive. Lorsque Moscou choisit d'élaborer des interprétations suggérant que l'OTAN est une menace pour la Russie, cela n'a rien à voir avec ce qu'est réellement l'OTAN.
Je pense qu'il est également très important de réfléchir à la façon d'assurer la sécurité dans l'Arctique afin d'éviter d'ouvrir la porte à des intervenants étrangers. Lors de l'Assemblée du Cercle arctique qui s'est tenue à Reykjavik il y a quelques semaines, j'ai été frappé par la dernière intervention de l'ambassadeur de Chine en Islande, qui se voulait une réponse à un responsable de l'OTAN. Il a déclaré que la Chine se devait d'envisager des rôles militaires théoriques dans l'Arctique puisqu'en tant que membre du Conseil de sécurité, il se pouvait qu'elle soit appelée à intervenir si les choses devenaient incontrôlables.
C'est quelque chose que je vais devoir ruminer pendant un bon moment. Quel que soit le scénario, ce n'est pas un avenir dont je me réjouirais, mais pour moi, cela magnifie l'importance pour les États arctiques de gérer cette question de leur mieux en évitant d'inciter le reste du monde à s'en mêler.
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Merci, madame la présidente.
Je vais poser mes questions au professeur Lackenbauer.
Vous avez beaucoup parlé du fait que la Russie ne représente pas une menace militaire pour l'Arctique, mais revenons sur certaines des choses que vous avez dites tout récemment.
Votre dernière intervention prenait à parti les revendications chinoises sur l'Arctique. J'ajouterais que les Russes ont également revendiqué 705 000 kilomètres carrés de ce que le Canada considère être un territoire canadien. Ce sont les fonds marins de l'Arctique qui recèlent de nombreuses ressources. La Russie a déclaré que ces fonds lui appartenaient. Elle a formulé cette revendication à l'ONU il y a de nombreuses années. Nous parlons ici de deux pays très forts qui ont fait des menaces très réelles.
Je vais simplement citer le document auquel mon collègue M. Kelly a fait référence tout à l'heure. Il s'agit d'un document que la Chine a produit au sujet de sa politique sur l'Arctique:
La Chine est une partie prenante importante dans les affaires de l'Arctique. Géographiquement, la Chine est un « État quasi arctique », l'un des États continentaux les plus proches du cercle polaire. Les conditions naturelles de l'Arctique et les changements qui s'y produisent ont une incidence directe sur le système climatique et l'environnement de la Chine et, par conséquent, sur ses intérêts économiques dans les domaines de l'agriculture, de la sylviculture, de la pêche, de l'industrie maritime et dans d'autres secteurs.
Si j'aborde ce sujet, c'est pour vous ramener à la raison pour laquelle nous sommes réunis ici aujourd'hui. Étant donné qu'il y a ces deux revendications très réelles, ces deux affirmations très réelles au sujet de l'Arctique, pensez-vous qu'il est nécessaire d'assurer une présence militaire adéquate dans cette région? Je ne parle même pas d'une accumulation en vue d'une invasion potentielle; je parle simplement d'une présence et d'une base sur lesquelles nous pouvons nous appuyer pour nous affirmer et affirmer notre souveraineté.
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Professeur, en théorie vous avez raison, mais qu'arrivera‑t‑il si la Russie et la Chine décident de s'imposer?
Encore une fois, pour en revenir à ma question initiale, est-ce que les Canadiens... Je suis allé dans le Nord. C'est peut-être un sujet qui nous préoccupe; c'est peut-être le cinquième sur la liste — et à un rang inférieur dans la portion australe du pays —, mais si vous vivez dans le Nord, cette menace est très réelle, et elle est à votre porte. Les gens du Nord considèrent cela comme une menace pour leur sécurité personnelle et celle de leur peuple.
Pour en revenir à ma question, ne devons-nous pas avoir une certaine force dans le Nord, et encore une fois, sur le sujet du jour ici au Comité, une force suffisante pour être en mesure d'assumer notre sécurité dans l'Arctique?
:
Merci, madame la présidente.
[Traduction]
Je tiens à remercier nos deux témoins d'être ici pour répondre à certaines de nos questions aujourd'hui.
Je vais commencer par M. Lackenbauer, mais M. Byers peut aussi intervenir s'il le souhaite.
Vous avez tous deux mentionné que, pour le moment, la Russie n'était pas une menace directe pour l'Arctique canadien. Bien sûr, les autres témoins — et, je pense, tous les Canadiens — peuvent comprendre que le changement climatique est réel et qu'il a une incidence réelle dans l'Arctique et le Nord.
Les choses sont appelées à changer dans un avenir proche. Par le passé, ce n'était peut-être pas un endroit attrayant, mais comme il devient plus chaud et plus intéressant, on y assistera peut-être à une recrudescence de conflits déclenchés par la Russie. Je comprends que nous ne sommes pas nécessairement en haut de la liste des pays avec lesquels la Russie veut entrer en conflit, mais je crois que la plupart des membres de notre Parlement ont été interdits de séjour en Russie en raison de notre intervention en Ukraine.
Pouvez-vous commenter cela, c'est‑à‑dire ce à quoi l'avenir pourrait ressembler et comment nous pouvons nous préparer à ce type de situation?
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Merci, madame Lambropoulos.
Tout d'abord, je pense que nous devons nous préparer à de nombreux scénarios et à de nombreuses éventualités. En fin de compte, je me tourne vers nos experts militaires et nos experts en matière de sécurité pour établir l'équilibre entre les probabilités et les risques, car c'est toujours une question de gestion du risque.
Les changements climatiques sont ce qui menace l'existence de l'humanité. À l'heure actuelle, c'est dans l'Arctique que nous en constatons les effets les plus directs et les plus pressants. Là où je peux voir que cela a une incidence sur notre posture de défense, c'est en ce qui a trait aux Forces armées canadiennes, qui représentent les capacités essentielles que nous avons pour faire face aux crises dans le Nord. En tant que pays, nous devons être en mesure de répondre à des crises humanitaires et environnementales de plus grande envergure et plus fréquentes. Je pense que cela soulève des questions assez fondamentales: avons-nous la bonne combinaison de forces et de structures adéquates pour relever ces défis tout en restant en mesure d'assumer les responsabilités que la concurrence nous impose?
En substance, je considère que les changements climatiques sont un danger sans équivoque et très présent pour bon nombre de mes amis du Nord. Ils le vivent au quotidien. Pour faire face à cela, nous devons nous doter des capacités idoines maintenant. Parallèlement à cela, nous devons anticiper comment les facteurs de stress sur l'environnement risquent de modifier la compétition, et examiner les différents modèles d'activités ou de risques auxquels nous devrions nous attendre.
Le fait que le Canada ait proposé d'accueillir à Montréal le Centre d'excellence de l'OTAN sur le climat et la sécurité est, à mon avis, un pas dans la bonne direction, car nous sommes des chefs de file pour ce qui est d'anticiper et de comprendre certains de ces facteurs et certaines de ces dynamiques.
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Il y a deux choses que je tiens à dire d'entrée de jeu.
Je suis fier d'être moi aussi sur la liste des sanctions de la Russie.
Des voix: Oh, oh!
M. Michael Byers: Je pense que j'ai été le premier universitaire canadien à recevoir cette distinction. Cela a probablement quelque chose à voir avec le fait d'avoir qualifié Vladimir Poutine de criminel de guerre dans le Globe and Mail.
Je n'ai aucune sympathie pour la Russie. Elle est une menace pour le Canada, et cela inclut l'Arctique.
En ce qui concerne les missiles nucléaires, y compris les missiles de croisière et les missiles hypersoniques, nous avons besoin de ce radar transhorizon. La menace pourrait en être une de harcèlement de petite envergure, d'interférence avec les communications, par exemple, ou de campagnes de désinformation dans les collectivités arctiques. Ces choses que la Russie utilise en général contre l'Occident peuvent se produire dans l'Arctique. C'est pourquoi nous devons maintenir notre capacité de surveillance, notamment depuis l'espace.
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Je pense que je vais répondre en premier parce que, de nous deux, c'est moi qui suis l'expert en droit international, même si le professeur Lackenbauer en connaît un rayon à ce sujet.
La Russie a la même position concernant le statut juridique de ses détroits arctiques que le Canada a concernant le statut juridique de son passage du Nord-Ouest. Sur le plan des revendications juridiques, elle a le même adversaire principal que nous, c'est‑à‑dire les États-Unis. C'est pourquoi, dans la situation actuelle, le différend est une chose gênante pour le Canada et les États-Unis, attendu que nous soutenons concrètement un belligérant dans une guerre contre la Russie.
Encore une fois, j'exhorte le Canada à avoir des discussions ouvertes — pas des négociations, mais des discussions ouvertes — avec les États-Unis sur le passage du Nord-Ouest.
Je vais dire autre chose que je pense que le professeur Lackenbauer appuiera; c'est quelque chose qu'il a déjà dit. C'est qu'un jour viendra où nous devrons nous remettre à interagir avec la Russie — vraisemblablement, quand Vladimir Poutine sera parti — et que l'Arctique est un endroit où ce réengagement pourrait commencer. Dans la mesure où nous pourrions éviter une escalade de la rhétorique, le soi-disant dilemme de la sécurité, ce serait probablement une bonne chose.
Je le répète, je n'ai aucune sympathie pour la Russie. Vladimir Poutine est un criminel de guerre et, en qui a trait aux armes nucléaires, la Russie représente une menace très importante pour la sécurité de l'Amérique du Nord, alors nous devons rester vigilants.
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Merci, madame la présidente.
Je réponds au professeur Lackenbauer.
Malgré les raisons que vous évoquez, vous semblez ne pas voir la nécessité d'avoir une présence dans l'Arctique. Théoriquement, ils ne peuvent pas le faire, et pourtant, nous voyons l'Ukraine se faire envahir sur la base d'une théorie antérieure selon laquelle cela pourrait se produire et, malheureusement, les avocats n'ont pas pu empêcher l'armée d'invasion russe d'entrer en Ukraine.
Je vais demander au professeur Byers de répondre à la question que j'ai posée tout à l'heure.
Les revendications russes et chinoises dans l'Arctique sont de plus en plus véhémentes. Leurs prétentions s'affirment avec de plus en plus de force. Que doit faire le Canada — et vous y avez déjà fait allusion dans vos observations précédentes — pour être perçu comme suffisamment fort par ces deux pays, au point de repousser ces menaces?
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La chose la plus évidente, c'est ce que nous faisons pour soutenir nos alliés de l'OTAN contre la Russie en Ukraine. L'OTAN est beaucoup plus forte qu'elle ne l'était avant le 24 février, et c'est une très bonne chose. Le Canada est présent. Nous devons maintenir cette position en tant que pilier central de l'alliance de l'OTAN. C'est le signal le plus fort que nous pouvons envoyer.
En ce qui concerne l'Arctique, nous devons maintenir et améliorer notre capacité à voir ce qui s'y passe. C'est la première étape. En plus de cela, nous devons améliorer notre capacité à nous rendre rapidement sur place avec un petit nombre de personnes pour faire face aux épisodes de harcèlement et nous acquitter des obligations en matière de recherche et de sauvetage. C'est une très, très grande région. Elle est très hostile. Nous devons être en mesure d'y envoyer rapidement et de manière fiable un petit nombre de soldats ou de techniciens de recherche et de sauvetage. Enfin, selon les besoins, nous devons souscrire à des investissements à long terme avec nos autres partenaires de l'OTAN.
La mise en place de ce type d'investissements à long terme est un exercice qui s'étend sur des décennies. Nous devrions nous concentrer sur l'immédiat, à savoir l'alliance de l'OTAN face à la Russie en Ukraine et sur toute la frontière jusqu'au nord de la Norvège. En outre, nous devrions améliorer notre capacité à voir ce qui se passe dans l'espace aérien, y compris dans l'espace proprement dit, ainsi qu'à repérer les missiles potentiels et à suivre ce qui se passe au sol.
Ce sont des investissements sur lesquels nous pouvons commencer à travailler dès maintenant. Nous devons mettre à niveau le système d'alerte du Nord. Nous devons donner l'aval à la prochaine acquisition de la Constellation RADARSAT. Ce sont mes deux priorités. Assurons-nous d'avoir des outils neufs qui nous permettront de voir de façon claire et nette ce qui se passe dans l'Arctique.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
[Traduction]
Merci encore, messieurs.
Lors du segment précédent de la présente séance, Mme Lambropoulos a abordé un sujet avec l'un de nos témoins. J'ai essayé d'en parler au professeur Braun, mais nous avons manqué de temps.
Je vais maintenant profiter de l'occasion pour voir si je peux obtenir quelques réflexions du professeur Byers sur la coopération multilatérale. Comment pouvons-nous contribuer à mieux contrer les influences, qu'elles soient russes ou chinoises, tout en travaillant avec nos alliés? Nous avons également parlé, au cours de la dernière heure, de la Suède et de la Finlande et de leur accession présumée à l'OTAN.
Professeur Byers, comment pouvons-nous travailler avec nos partenaires et alliés?
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Nous pouvons le faire de milliers de façons.
C'est le moment pour les pays qui pensent de la même manière de s'unir. Cela peut prendre toutes sortes de formes, des Nations Unies à la coopération bilatérale. Nous pourrions mettre à profit les capacités militaires pour construire un système enraciné dans l'Ouest qui défendra la règle de droit, la paix et la coopération à l'international, en partie parce que cela nous rendra plus forts collectivement et en partie parce que cela permettra d'envoyer un signal.
Je suis certain que l'une des raisons pour lesquelles le Canada et le Danemark ont résolu leurs différends concernant les frontières maritimes et l'île Hans, c'était de faire savoir au reste du monde que c'est de cette façon que les pays civilisés règlent leurs différends territoriaux, c'est‑à‑dire par la négociation, et non par l'invasion.
Je pourrais continuer. Nous devons renforcer le régime qui préside aux échanges commerciaux et lutter contre les forces du provincialisme et du nationalisme, ou l'idée que chacun ne peut agir que dans son propre intérêt. Nous devons considérer les alliances occidentales comme quelque chose qui nous soude vraiment les uns aux autres.
Ce que je défends ici, c'est la nécessité de faire ce que nous faisons depuis février. Les pays occidentaux se sont serré les coudes et se sont tenus debout. C'est vraiment remarquable. Tout le monde pensait que l'OTAN était morte, surtout sous la dernière administration américaine, mais voyez comment elle s'est remise sur pied et comment elle défend la démocratie et la liberté en Ukraine. Nous n'avons qu'à construire sur cette base.
Dans tous les domaines, nos diplomates devraient être chargés de trouver toutes les occasions possibles de coopérer avec nos amis et non de se mettre inutilement à dos nos adversaires. Mettons le Conseil de l'Arctique sur pause, de sorte que lorsqu'il y aura un nouveau gouvernement en Russie, nous pourrons reprendre les échanges. Maintenons la station spatiale internationale en activité, car c'est un domaine où la Russie coopère réellement avec l'Occident.
Nous pouvons essayer de stabiliser certaines choses, mais l'essentiel, c'est que l'Occident s'unisse.
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Merci infiniment. C'est ce qui met fin au tour de questions.
Je remercie les professeurs Byers et Lackenbauer de leur présence et de leur apport considérable au Comité. Encore une fois, cela nourrira nos réflexions pour le futur.
Je tiens à préciser au président habituel du Comité que je n'ai pris absolument aucun plaisir à interrompre les témoins, ni mes collègues députés pendant la période des questions.
Voyons rapidement ce qui est prévu pour les prochaines séances.
Mardi, nous continuons notre étude sur la sécurité dans l'Arctique en nous penchant sur la modernisation du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord, ou NORAD. Nous devrions accueillir des représentants du NORAD et des universitaires.
Pour faire suite à la motion que le Comité a adoptée récemment, une invitation a officiellement été envoyée aux Forces armées canadiennes, à la Gendarmerie royale du Canada et au Service canadien du renseignement de sécurité. Nous attendons leur réponse.
Autre point important, notre agréable greffier attend vos informations de sécurité pour l'accès au Pentagone.
Puisqu'il n'y a rien d'autre, la séance est levée.