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Merci, monsieur le président.
On m’a demandé de parler aujourd’hui des mesures qu’il faudrait prendre pour améliorer la sécurité du système d’immigration du Canada. Comme cela englobe un large éventail de sujets, je ne tenterai pas de les couvrir tous, mais je répondrai volontiers aux questions sur n’importe lequel des sujets que je n’aurai pas abordés dans mon exposé.
Un des domaines auquel il faut prêter une attention particulière est celui du contrôle de sécurité des demandeurs de visa, surtout ceux venant des pays qui produisent un grand nombre de terroristes. En mai 2006, le sous-directeur des opérations au SCRS, Jack Hooper, a déclaré dans son témoignage devant un comité sénatorial qu’au cours des cinq dernières années, le Canada a reçu quelque 20 000 immigrants de la région du Pakistan et de l’Afghanistan, et que les agents de sécurité canadiens n’ont pu contrôler qu’un dixième de ceux-ci.
J’ignore dans quelle mesure la situation s’est améliorée depuis le témoignage de M. Hooper. Par contre, je sais que, dans son rapport publié il y a à peine quatre mois, le vérificateur général du Canada s’est déclaré très inquiet de l’efficacité et de la portée de nos contrôles de sécurité.
Je n’essaierai pas de couvrir toutes ses constatations et recommandations. Je suppose que vous avez pu en discuter avec des représentants de son bureau à la séance du 16 février. Cependant, je mentionnerai une de ses préoccupations à titre d’exemple. Il a remarqué qu’un infime pourcentage des demandes de visa étaient rejetées pour des motifs de sécurité — moins d’une demande de résidence permanente sur mille soumises aux agences de sécurité aux fins du contrôle. Bien entendu, ce taux de rejet soulève des doutes, à savoir si les indicateurs de risque actuels servant à identifier les demandeurs éventuellement interdits de territoire sont appropriés ou sont appliqués correctement.
Je signalerai quelques autres problèmes graves qui surviennent à nos gros bureaux des visas à l’étranger. Le premier est le très haut pourcentage de documents frauduleux soumis à l’appui des demandes et le temps consacré à en vérifier l’authenticité. S’ajoute à cela le fait qu’à certains bureaux, les agents des visas consacrent une bonne partie de leur temps à répondre aux représentations faites par des avocats et des consultants en immigration, des organisations non gouvernementales et des députés fédéraux au nom de leurs clients et de leurs électeurs. En effet, rejeter une demande entraîne souvent beaucoup plus de travail qu’en approuver une, en raison simplement des contestations auxquelles les rejets peuvent donner lieu.
Il résulte de tout cela qu’à plusieurs de nos bureaux des visas, les agents canadiens à l’étranger n’ont tout simplement pas le temps de contrôler les demandeurs avec autant de rigueur qu’ils le devraient. Notre ambassade à Moscou, par exemple, a déjà informé l’administration centrale qu’elle n’avait pas assez de personnel ni de ressources pour repérer tous les membres de la pègre russe essayant de s’installer au Canada.
Ce rapport ait été produit il y a quelques années et il est possible que la situation à ce bureau des visas particulier se soit améliorée depuis, étant donné les diverses lacunes relevées dans le dernier rapport du vérificateur général, ainsi que dans les rapports de 1992 et de 2000, mais il ne serait pas surprenant que ce genre de situations soit toujours un problème grave à certains de nos bureaux des visas.
L’une des choses précises que je recommande est que nous retournions aux entrevues en personne avec les demandeurs de visa. Nous le faisions régulièrement auparavant; nous le faisons rarement maintenant. Ces entrevues sont importantes pour un certain nombre de raisons. Premièrement, elles permettent à l’agent des visas de s’assurer que le demandeur, en plus d’avoir une compréhension réaliste de ses perspectives d’emploi au Canada, est raisonnablement conscient des défis qui l’attendent sur le plan de l’adaptation culturelle.
Vous êtes certainement au courant du récent procès à Kingston des membres de la famille Shafia accusés d’avoir tué d’autres membres de leur famille. Le chef de cette famille, Mohammad Shafia, semble avoir immigré au Canada en croyant que lui-même et les membres de sa famille allaient pouvoir jouir de tous les avantages de la vie dans notre pays sans être influencés par les valeurs et les normes canadiennes. S’il avait reçu, avant de venir, des conseils appropriés sur ce à quoi il devait s’attendre concernant l’exposition de sa famille à la société canadienne, il aurait peut-être décidé de ne pas venir et, dans ce cas, tous les membres de sa famille seraient encore en vie aujourd’hui, et lui-même et sa femme ne seraient pas en prison à vie.
Outre le fait qu’une entrevue en personne aide le demandeur à mieux comprendre ce à quoi il doit s’attendre en venant vivre ici, elle procure aux agents des visas une occasion de déterminer l’admissibilité du demandeur à l’immigration au Canada. Bien qu’une telle entrevue ne saurait se substituer aux contrôles de sécurité normaux, elle constitue une occasion très utile de déterminer directement si un demandeur est susceptible d’avoir de graves difficultés à s’adapter à la société et aux valeurs canadiennes. Elle peut aussi permettre de déterminer si les qualifications que le demandeur prétend avoir sont véritables, et si celui-ci pourrait constituer un risque quelconque pour le Canada.
Donc, il est important que les agents canadiens à l'étranger se remettent à mener des entrevues complètes avec la plupart des demandeurs de visa étrangers, autant pour les aider à se faire une idée réaliste de leur venue ici que pour nous assurer qu’ils sont de bons candidats selon nos normes.
Pour rendre possibles ces entrevues, de même que des vérifications plus rigoureuses des antécédents des demandeurs, il faudrait augmenter nettement les ressources. Si nous ne pouvons pas consacrer à cela les fonds requis, nous devrions alors réduire l’immigration à des niveaux correspondant à nos ressources, de sorte que le travail soit fait convenablement, plutôt que mettre en danger la sûreté et la sécurité des Canadiens.
Pour étoffer cette recommandation, j’ajouterai que l’organisation que je représente aujourd’hui, le Centre pour une Réforme des Politiques d’Immigration, et moi-même croyons fermement que, bien que nous appuyions l’admission d’un nombre raisonnable d’immigrants par rapport à nos besoins, le nombre des résidents permanents et des travailleurs temporaires que nous accueillons présentement dépasse de beaucoup nos besoins. Plusieurs des pénuries de main-d’œuvre actuelles, ainsi que des pénuries anticipées, pourraient être comblées à même notre population si nous réussissions mieux à optimiser l’utilisation des ressources qui sont déjà dans le pays. Voilà une de mes recommandations.
J’aimerais aussi parler d’un certain nombre d’aspects préoccupants associés au système de détermination du statut de réfugié. Premièrement, le Canada est l’un des pays les plus généreux du monde, tant sur le plan du taux d’acceptation des demandeurs d’asile qui revendiquent le statut de réfugié une fois arrivés au Canada, que sur celui du nombre des réfugiés qui se trouvent à l'étranger et que nous réétablissons. Il est à noter que, bien que les Canadiens appuient fortement l’acceptation d’un nombre raisonnable de réfugiés légitimes, un grand nombre de Canadiens estiment également que le système ouvre largement la porte aux abus et qu’il a besoin d’être resserré considérablement.
En ce qui concerne la sécurité, le système de détermination du statut de réfugié a été un important moyen d’entrée au Canada pour des terroristes et des sympathisants de terroristes, de même que pour des criminels de guerre et d’autres types de criminels.
Je tiens à mentionner à cet égard qu’une grande majorité des demandeurs du statut de réfugié, ou demandeurs d’asile, ne sont pas des terroristes ni des criminels. La plupart d’entre eux sont soit des réfugiés légitimes fuyant la persécution, soit des gens recherchant de meilleures possibilités économiques et utilisant le système de réfugiés pour entrer au Canada. En revanche, un nombre considérable de terroristes ou de sympathisants de terroristes, ainsi que de criminels, ont réussi à entrer au Canada en revendiquant le statut de réfugié, et ils ont été généralement très difficiles à renvoyer une fois leurs revendications rejetées.
Dans un de mes articles que l’Institut Fraser a publié en 2006 — et que vous avez mentionné d’ailleurs, monsieur le président —, j’ai examiné le cas de 25 terroristes et présumés terroristes qui étaient entrés au Canada, et j’ai constaté que presque les deux tiers étaient entrés en tant que demandeurs du statut de réfugié.
Le recours au système de réfugiés pour l’entrée au Canada de terroristes et de leurs sympathisants est particulièrement bien illustré par le nombre de demandeurs sri-lankais du statut de réfugié qui ont réussi à s’établir au Canada. Le Canada a été tellement généreux et confiant dans son acceptation des demandeurs tamouls provenant du Sri Lanka que pendant plusieurs années, à certaines occasions, nous en avons accepté plus que tous les autres pays au monde réunis. Et cela a fourni largement l’occasion aux organisations terroristes tamoules d’établir leur base de soutien au Canada.
En 2000, selon un rapport du groupe spécial de la police de Toronto sur les Tamouls, il y avait jusqu’a 8 000 membres de factions terroristes tamoules dans cette ville, dont la presque totalité était supposément entrés au pays en tant que demandeurs du statut de réfugié, ou encore en tant que parents parrainés par des demandeurs ayant obtenu le statut de réfugié.
Le gouvernement actuel a fait, et continue de faire de grands efforts pour éviter les abus du système de réfugiés par des personnes qui, en vertu des normes internationales, ne sont pas de véritables réfugiés. Si le gouvernement réussit à cet égard, les mesures qu’il a proposées récemment réduiront les possibilités pour de telles personnes d’abuser du système pour entrer au Canada.
J’ai une autre observation à faire sur la question des terroristes. Bien que le système de réfugiés ait été une voie importante d’entrée des terroristes dans le passé — et continue de l’être dans une certaine mesure —, nous avons dû commencer, au cours des dernières années, à nous pencher sur ce qu’on appelle le terrorisme d’origine intérieure.
Le cas des 18 de Toronto en est un exemple. C’était un groupe composé principalement de jeunes hommes qui étaient nés ici ou qui étaient entrés ici à un très jeune âge, qui avaient grandi au Canada et qui avaient projeté de faire exploser les édifices du Parlement et de décapiter le premier ministre. Détail intéressant, en grandissant au Canada, ils sont devenus plus radicalisés que ne l’étaient leurs parents lorsqu’ils ont immigré ici.
Ce sont là des aspects préoccupants qu'il faut étudier de près, surtout parce que cette collectivité en particulier, qui comptait moins de 100 000 membres en 1981, en comptera jusqu’à 2,7 millions en 2031. Par comparaison, elle correspond en ce moment au tiers de la collectivité juive, mais sera alors de six fois et demie supérieure. Le terrorisme d’origine intérieure est un problème. Il n’est pas associé directement au contrôle frontalier, mais c’est un problème de sécurité qui, fondamentalement, est relié à l’immigration.
Je passe maintenant à deux ou trois autres points. Le gouvernement a annoncé récemment ses plans en matière de contrôle biométrique. Ce qu’il veut faire est excellent. C’est conçu pour s’assurer que la personne qui se présente au point d’entrée est effectivement la personne à laquelle le visa a été délivré à l’un de nos bureaux à l’étranger. Et cela facilitera l’identification des criminels connus qui essaient d’entrer à nouveau au Canada, de même que des demandeurs d’asile déboutés et des personnes expulsées qui essaient d’entrer à nouveau sous une fausse identité ou sans permission.
À mon avis, ces mesures se font attendre depuis longtemps, et nous sommes bien en retard à cet égard par rapports aux autres pays occidentaux, comme les États-Unis.
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Merci, monsieur le président. Merci, honorables membres du comité.
Je m'appelle Joseph Humire. Je suis directeur du Center for a Secure Free Society, organisme qui s'intéresse particulièrement aux recherches sur les liens entre la sécurité, la défense et la liberté économique.
Je vous sais gré de m'avoir invité à témoigner et je regrette de ne pas pouvoir comparaître en personne. Grâce à l'efficacité de votre équipe, cependant, je vais pouvoir témoigner par téléconférence.
Je suis citoyen des États-Unis, et non pas citoyen canadien, et j'entends insister dans mon témoignage sur une question qui intéresse nos deux pays, en l'occurrence la sécurité frontalière. Mes recommandations porteront sur deux problèmes que nous devons résoudre pour accroître la sécurité du système canadien d'immigration.
Le premier enjeu, un peu global, porte sur l'emploi de méthodes et de mesures permettant d'évaluer les politiques mises en oeuvre en matière de sécurité, en l'occurrence les politiques de sécurité du système d'immigration. Il s'agit de sécuriser le système d'immigration du Canada sans compromettre de manière irréversible les droits et libertés de vos citoyens.
Le second enjeu est un peu plus pratique. Le Canada doit, en effet, accroître ses moyens de renseignement et d'application de la loi afin d'être en mesure de faire face en temps réel aux menaces qui se manifestent au niveau de l'immigration, tout en préservant sa souveraineté.
Ces deux enjeux impliquent un délicat travail d'équilibre. C'est pour cela que je souhaite entamer mon exposé en reprenant les propos d'un des fondateurs des États-Unis, Benjamin Franklin, qui, dans ses notes d'allocution préparées en vue du discours qu'il allait prononcer devant l'assemblée de la Pennsylvanie, a écrit « Ceux qui, pour se procurer une sécurité passagère, acceptent de renoncer à des libertés essentielles, ne méritent ni l'une, ni les autres ».
Malgré ce propos un peu sévère, Franklin a bien saisi le fond même de l'enjeu en matière de sécurité de l'immigration, c'est-à-dire le compromis auquel on doit parvenir entre la sécurité et la liberté, notamment pour la défense des frontières nationales.
Heureusement que le compromis nécessaire n'a rien d'absolu. Ce qu'on recherche n'est pas la sécurité absolue, pas plus d'ailleurs que la liberté absolue. Il convient, en effet, de parvenir à un équilibre entre les deux de manière à ce que le compromis soit mineur et permette les ajustements que commande l'état des menaces qui se manifestent à un moment donné. La recherche de cet équilibre est le principal défi qui se pose au gouvernement canadien pour accroître la sécurité du système d'immigration.
La recherche de cet équilibre doit permettre de protéger les citoyens canadiens de la plupart des menaces, traditionnelles ou non, sans pour cela porter atteinte aux droits et libertés dont sont assurés vos citoyens et qui sont par ailleurs l'un des fondements de la prospérité. Cet équilibre, le point précis d'impact, est l'élément essentiel d'une politique d'immigration qui donne les résultats voulus.
Pour formuler des recommandations permettant d'aboutir à ce point d'impact, je voudrais citer un autre sage de Philadelphie, en l'occurrence M. Jan Ting, ancien commissaire adjoint du Service d'immigration et de naturalisation des États-Unis. Dans une étude publiée en 2008 par le Fraser Institute, M. Ting précisait que, pour évaluer les politiques en vigueur en matière de sécurité, le gouvernement devrait prendre en compte cinq facteurs.
Le premier est ce qu'il appelle les antécédents historiques, ce qui implique qu'il faut se pencher sur ce qui a été fait dans le passé et voir dans quelle mesure les politiques et pratiques antérieures se justifiaient.
Le deuxième facteur est la révocabilité d'une politique. Cela veut dire essentiellement qu'il faut pouvoir s'apercevoir qu'une politique ne donne pas les résultats voulus, et alors soit la retirer, soit la modifier en fonction des enseignements qu'on a pu tirer de la situation.
Le troisième est le contexte, et la reconnaissance du fait que certaines politiques, certaines mesures peuvent se justifier dans un contexte, mais pas dans un autre.
Le quatrième facteur est la nature de la menace qui se manifeste, et il s'agit essentiellement de comprendre, autant que faire se peut, quelle est la véritable nature de la menace qui se profile.
Le cinquième et dernier facteur englobe les chances de réussite. Au plan des principes moraux et des sensibilités éthiques, il faut être franc concernant les moyens qui permettent d'assurer la défense du pays.
Selon M. Ting, ces mesures d'évaluation devraient en outre être complétées par des contrôles assurés tant par les tribunaux que par le Parlement, afin que les trois pouvoirs étatiques puissent s'exercer de concert dans le cadre d'un système de freins et de contrepoids.
J'ajoute que les politiques en matière de sécurité — en l'occurrence en matière de sécurité de l'immigration — doivent faire l'objet d'un examen global qui garantira qu'en matière d'immigration, elles sont harmonisées à l'action du gouvernement dans un cadre pangouvernemental afin, justement, de parvenir à ce délicat équilibre entre sécurité et liberté. En outre, il faut que les politiques de sécurité de l'immigration soient soumises à l'examen des acteurs gouvernementaux, mais aussi des acteurs de la société civile, notamment les centres d'étude et de recherche et les groupes de vigilance.
Monsieur le président, il est dans l'intérêt de nos deux pays d'avoir des frontières sûres. Il ne nous faut cependant pas en cela porter atteinte à ce qui se situe au coeur même de nos intérêts communs, en l'occurrence le commerce. J'estime, à cet égard, que le gouvernement canadien a agi comme il se doit puisqu'il a toujours pris en compte les intérêts de nos deux pays en matière d'échanges à l'occasion des diverses initiatives visant la sécurité de l'immigration lancées au cours des 10 dernières années, à commencer par la Déclaration sur la frontière efficace, en 2001, et l'initiative Au-delà de la frontière, engagée en 2011 et toujours en vigueur.
Ces deux initiatives, ainsi que toutes les autres qui ont été prises en matière de sécurité de l'immigration, vont devoir faire l'objet d'un examen approfondi fondé sur les cinq facteurs mentionnés précédemment, afin d'assurer qu'elles restent adaptées aux menaces actuelles. Si nous réussissons, nous serons parvenus à relever le premier défi qui consiste à mettre en place, en matière d'immigration, un système permettant d'assurer la sécurité sans pour cela porter atteinte aux échanges commerciaux ni, ce qui est encore plus important, à la liberté individuelle des citoyens du Canada.
Les mesures d'évaluation ne suffisent pas, cependant. Pour moderniser plus à fond la sécurité du système canadien d'immigration, il vous faudra également vous demander dans quelle mesure les politiques actuelles en matière de sécurité de l'immigration, notamment les politiques concernant la sécurité frontalière, sont adaptées à l'évolution des échanges entre nos deux pays.
Monsieur le président, vous savez très bien qu'en raison du volume des échanges entre le Canada et les États-Unis notre relation économique bilatérale est la plus forte du monde, les échanges de marchandises entre nos deux pays s'élevant en effet chaque année à plus de 500 milliards de dollars. Chaque jour, environ 1,3 milliard de dollars de marchandises franchissent la frontière. Il est intéressant de relever qu'un peu moins de la moitié des échanges quotidiens entre les deux pays — environ 500 millions de dollars — s'effectue entre éléments d'une même entreprise, installés des deux côtés de la frontière et qui doivent s'échanger soit des pièces, soit de la main-d'oeuvre en fonction des connaissances et des capacités existant de part et d'autre. L'activité de ces entreprises transnationales démontre que non seulement les États-Unis et le Canada ont un certain nombre d'intérêts en commun, mais qu'ils ont également en commun des capacités de production et que notre structure de production devient de plus en plus intégrée. Ce niveau plus poussé d'intégration va bien au-delà de la manière dont on envisageait autrefois les échanges. Cela veut dire qu'il nous faut dépasser la manière que nous avions de concevoir la protection du commerce, et de nos citoyens, compte tenu des menaces auxquelles nos deux pays doivent faire face en temps réel.
L'Office of the Director of National Intelligence des États-Unis et votre Service canadien du renseignement de sécurité sont tous deux d'avis que ce sont le terrorisme et l'extrémisme radical islamiques qui font peser sur notre sécurité nationale la principale menace. J'étudie de près depuis plus de 10 ans les groupes terroristes et les fondamentalistes radicaux, d'abord au sein des Forces armées, puis dans le cadre d'établissements de recherche, et j'estime pouvoir dire que les initiatives traditionnelles en matière de sécurité frontalière et les nouveaux moyens techniques ne permettront pas, à eux seuls, de contrecarrer l'action de ces groupes.
Il s'agit, en effet, de groupes qui agissent en réseaux et, pour contrer les menaces qu'ils présentent, les services canadiens de sécurité doivent eux aussi mettre en place des réseaux internationaux afin de repérer, d'identifier et de neutraliser les menaces. Vous n'êtes pas sans savoir qu'un réseau de contrôle de l'immigration comporte trois niveaux de défense: le premier est outre-mer, c'est-à-dire là où les visas seront délivrés par les ambassades et consulats; le deuxième se situe à l'intérieur même d'un pays et le troisième à la frontière. Pour renforcer la sécurité frontalière par les moyens traditionnels, il faudrait augmenter les contrôles aux points d'entrée aériens, maritimes et terrestres, et tout au long des espaces qui les séparent.
D'après moi, de lourdes procédures de contrôles frontaliers nuisent à l'intérêt commun de nos deux pays: celui d'accroître la prospérité. De tels contrôles n'améliorent pas sensiblement nos moyens de parer en temps réel aux menaces contre notre sécurité, notamment aux menaces provenant du terrorisme et de l'extrémisme radical islamiques. Les vérifications avancées, la coopération en matière de renseignement et le renforcement des moyens d'application de la loi sont plus efficaces que de lourds contrôles effectués à la frontière lorsqu'il s'agit d'interdire le territoire national aux terroristes, aux criminels et aux autres indésirables.
Il y a quelques années, James Ziglar, ancien commissaire du Service américain d'immigration et de naturalisation, a déclaré qu'au cours d'une période typique de six mois, environ 4 000 criminels étrangers avaient été arrêtés à la frontière canadienne, ce qui ne correspond qu'à 4 000 sur un total de plus d'un million, soit un pourcentage d'environ 0,0004 p. 100. C'est donc une très mince proportion du trafic transfrontalier. Puisque les criminels représentent une si faible proportion des gens qui franchissent la frontière, je ne pense pas qu'il convient de concentrer les ressources disponibles sur cet aspect pour améliorer la sécurité de votre système d'immigration.
En ce qui concerne la sécurité frontalière, c'est ce qui me porte à recommander le renforcement de l'infrastructure canadienne en matière de renseignement et d'application de la loi par ce que certains experts appellent la connaissance du champ d'intervention, et par la mise en oeuvre de nouvelles procédures de vérification avancée. En l'occurrence, faire moins équivaut à en faire plus.
Comme l'a lui-même déclaré M. John Wiersema, vérificateur général par intérim du Canada, les services canadiens des douanes et de l'immigration n'ont pas, en matière de renseignement, l'infrastructure nécessaire pour décider en connaissance de cause, notamment en ce qui concerne les personnes qui déposent une demande d'immigration. Cette insuffisance au niveau du renseignement est due à la fois au fait que divers services de renseignement ne transmettent pas aux services canadiens des douanes et de l'immigration les renseignements qu'il leur faudrait, et au fait aussi que le Canada n'obtient pas tous les renseignements et les analyses nécessaires que seraient en mesure de lui fournir ses partenaires internationaux, et notamment ses alliés des « five eyes », c'est-à-dire les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, pays qui, depuis 60 ans, coopèrent dans le domaine du renseignement.
J'estime que dans le cadre du réseau de contrôle de l'immigration, il convient d'accorder davantage d'importance aux deux premiers niveaux de défense, c'est-à-dire l'outre-mer, au niveau des ambassades, et l'intérieur même du Canada, là où la menace que représentent le terrorisme et l'extrémisme radical islamiques a sa source, et là aussi où elle se propage.
Ainsi, du point de vue du transport aérien et maritime, il faudrait que le Canada puisse connaître l'identité des passagers en partance de Genève, avant même que l'avion décolle et non lorsqu'il atterrit à Montréal. Le Canada doit savoir quels sont les bateaux qui s'approchent de ses côtes, non pas lorsqu'ils viennent accoster dans un port canadien, mais avant même que ces navires ne pénètrent dans sa zone maritime. C'est un fait qu'actuellement, il n'y a que peu de vérifications avancées, que l'on compte trop sur les moyens techniques, ce qui est dangereux et ce qui, en plus, nuit à la nécessaire vigilance. Une procédure de vérification avancée efficace ne peut pas seulement être basée sur des moyens de haute technologie tels que la biométrie. Il faut également en effet des réseaux de professionnels du renseignement pour recueillir, traiter et analyser à l'extérieur des frontières l'information nécessaire, sans quoi, les moyens biométriques sont privés d'efficacité.
Les technologies biométriques les plus poussées sont tout à fait inutiles si l'on ne dispose pas de renseignements sur les individus concernés. La prise d'empreintes digitales ne sert à rien sans base de données permettant d'effectuer des recoupements. Les technologies de contrôle intrusif ne font par elles-mêmes que retarder sans nécessité les voyageurs, avec tous les inconvénients que cela présente. Les bribes d'information ne veulent rien dire à moins d'être assemblées et recoupées par vos collègues de l'intérieur et vos partenaires internationaux. C'est cela qui permet de transformer des données éparses en renseignement opérationnel.
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Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur Humire. Je m'inquiète aussi des voies de recours et des garanties procédurales pour les personnes qui estiment avoir été ciblées à tort par les services compétents, ou avoir été empêchées à tort de voyager. Il est clair qu'on constate d'ores et déjà ce genre de cas au Canada.
Il arrive ainsi, dans ma circonscription, que des électeurs nous prient de les aider dans leurs demandes de visa de résident temporaire. Certains estiment qu'un parent a vu injustement ou arbitrairement sa demande rejetée, et sollicitent en cela mon aide. Souvent, il s'agit d'un proche qui souhaite venir au Canada pour célébrer une fête de famille ou pour rendre visite à des proches.
Je peux vous citer l'exemple de ce monsieur qui a demandé à mon bureau de circonscription d'intervenir en faveur de la demande déposée par sa soeur. Il avait invité trois de ses frères et soeurs à une réunion de famille pour fêter un 25e anniversaire. Les demandes de deux d'entre eux avaient été accueillies, mais sa soeur qui avait pourtant dans son pays des biens, un bon emploi, un mari et des enfants qu'elle retrouverait bientôt, a vu sa demande rejetée. Elle a déposé une deuxième demande, elle aussi rejetée, cette fois parce que l'agent des visas mettait en doute l'objet de sa visite, ainsi que ses attaches familiales au Canada. Pourtant, les demandes des autres, qui habitaient le même pays qu'elle, avaient été approuvées pour cette même fête de famille. Les trois avaient été invités au Canada par la même personne.
Nous avons recueilli les témoignages de représentants du Bureau du vérificateur général, dont vous avez d'ailleurs vous-même fait état, concernant le besoin de renforcer les pratiques en matière de contrôle de la qualité des procédures de détermination de l'admissibilité. Il s'agit de s'assurer que le système fonctionne comme prévu. Selon le représentant du Bureau du vérificateur général, dans le cadre d'un système qui a pour objet de protéger les Canadiens, il est tout aussi important de veiller à la qualité des décisions d'accorder un visa qu'à la qualité des décisions de rejet.
Notre Commissaire à la protection de la vie privée a en outre précisé que le taux d'erreur des systèmes biométriques peut être de un pour cent, taux qui a une incidence sensible lorsque le système en question s'applique à des milliers, voire à des millions de personnes.
D'après vous, quels recours faut-il établir en réponse aux taux d'erreur des mesures biométriques employées pour évaluer les demandes de visa de résident temporaire? Quelles voies de recours devrions-nous offrir aux personnes victimes d'une erreur d'identité biométrique?