:
Merci, madame la présidente. Merci aux membres du comité. Merci de m'avoir invité à nouveau pour vous parler du projet de loi qui vise à améliorer le système d'immigration du Canada.
Il faut féliciter le , le gouvernement et les membres du comité d'avoir entrepris cette tâche très difficile.
Jusqu'à maintenant, vous aurez entendu beaucoup de critiques de la part d'avocats et de défenseurs des droits de la personne bien organisés sur les lacunes du projet de loi . Certaines de ces critiques méritent votre attention et d'autres peuvent aider à améliorer certaines des dispositions détaillées du projet de loi. Je vais éviter de discuter des points soulevés par ces critiques sauf pour exhorter le comité de garder en tête que les opinions des avocats et des défenseurs des droits de la personne ne découlent pas entièrement de leur désir altruiste de protéger les droits des demandeurs d'asile. Pour ces témoins, les enjeux sont considérables, tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel.
Je n'ai aucun intérêt personnel par rapport aux effets et au fonctionnement de la loi canadienne sur les réfugiés. Mes commentaires ne visent qu'à discuter des effets du projet de loi sur le bien-être des Canadiens, un sujet qui est souvent négligé dans les discussions axées sur les effets du projet de loi sur le bien-être des demandeurs d'asile. Mais avant, permettez-moi de préciser qu'on ne devrait jamais considérer que mon analyse laisse entendre que le Canada devrait revenir sur son engagement d'aider les gens à échapper à la persécution à l'étranger. La question, de mon point de vue, c’est que tandis que notre engagement moral est et doit rester ferme, il ne devrait pas être dépourvu de limites. Vous et moi avons moins donné aux organismes caritatifs quand nous étions jeunes et pauvres et que nous faisions notre possible pour subvenir aux besoins de nos familles. Maintenant que nous en avons les moyens, nous donnons plus. C’est ce que le Canada doit faire pendant la crise financière actuelle.
Le projet de loi permettra de réduire le coût de notre engagement à venir en aide aux étrangers. Il est donc approprié dans la situation financière actuelle. Dans cet esprit, permettez-moi de vous rappeler l’existence incontestée des graves problèmes financiers du Canada, qui sont attribuables aux déficits persistants et aux effets du vieillissement de la population sur le passif non capitalisé du système de pensions et du programme de soins de santé.
Il ne fait aussi aucun doute qu’administrer l’actuel système de réfugiés est coûteux. Comme Martin Collacott vous l’a dit plus tôt cette semaine — et comme James Bissett vous l’expliquera plus en détail demain —, le coût direct pour chaque demandeur a été estimé à environ 60 000 $, et les coûts annuels du traitement de toutes les demandes d'asile au Canada se chiffrent en milliards de dollars.
De plus, les politiques actuelles à l'égard des réfugiés ont pour résultat que les demandeurs d’asile acceptés s’établissent au Canada sans avoir à passer les étapes ou d’autres tests. Des études ont démontré que la plupart d’entre eux auront un revenu sous la moyenne et paieront moins d’impôt, tandis qu’ils bénéficient des avantages offerts par nos programmes sociaux universels. Mes estimations indiquent que le fardeau fiscal annuel de ces immigrants est d’environ 6 000 $ en moyenne, et probablement plus pour les demandeurs d’asile acceptés.
Je crois que le projet de loi ne rendra pas seulement le système plus équitable, mais qu'il permettra également de réduire le nombre de demandeurs d’asile et de demandeurs acceptés. Ces réductions donneront lieu à des économies, ce qui réduira le déficit et permettra aux gouvernements de fournir davantage de services publics ou de réduire les impôts.
Le projet de loi offre aux Canadiens des avantages qui entraînent un coût pour les demandeurs d’asile. Des avocats et d’autres témoins vous ont beaucoup parlé de violations du processus juridique et de la façon dont les demandeurs sont touchés par le fait que le traitement des demandes est contraire à l’équité procédurale. Nous avons affaire à un principe économique fondamental: les prestations gouvernementales versées à certains entraînent des coûts pour les autres. Le problème du projet de loi C-31, c’est qu’on n’a pas estimé la valeur des avantages et des coûts. Pourtant, en fin de compte, votre décision lors du vote devrait logiquement être prise en fonction de tels calculs.
La valeur associée au fait que nous faisons preuve de générosité envers les étrangers et que nous respectons pleinement les engagements en vertu d’accords internationaux... la valeur des avantages que cela représente pour vous n’est pas infinie. Si les avantages s’élevaient à un milliard de dollars pour chaque demandeur que l’on traite de façon moins équitable ou pour chaque demandeur rejeté sans motif valable, le projet de loi serait plus souhaitable que si les avantages s’élevaient à un million de dollars ou à 100 000 $. Puisque vous n’avez pas ces chiffres, vous avez la tâche peu enviable de vous prononcer sur un projet de loi sans en connaître les avantages et les coûts. Je compatis avec vous.
Au cas où vous voudriez connaître mes opinions personnelles, permettez-moi de vous dire que je voterais pour le projet de loi . En effet, en raison des connaissances que j’ai acquises pendant mes études en économie, je crois que les avantages potentiels pour les Canadiens sont assez importants pour justifier l’imposition de certains coûts aux demandeurs d’asile. Mais, pour être honnête, permettez-moi d’ajouter que mes opinions sont influencées par un principe moral. Je crois que la charité doit commencer chez soi et que le bien-être des étrangers devrait passer au second rang, et ce, seulement lorsque nous aurons mis de l’ordre dans nos finances.
Merci, madame la présidente.
Je m’appelle Janet Cleveland. Je suis psychologue, ancienne avocate, et maintenant je suis chercheure en santé mentale auprès des réfugiés. Au cours des trois dernières années, j’ai travaillé à plein temps sur les effets de la détention sur la santé mentale des réfugiés, et j’ai visité de nombreuses fois les Centres de surveillance de l’Immigration, tant à Toronto qu’à Montréal. Je pourrai donc vous donner, plus tard, beaucoup de détails sur la situation réelle dans ces endroits, si vous le souhaitez.
Ma collègue Cécile Rousseau est professeure de psychiatrie à l’Université McGill et est une universitaire de renommée mondiale dans le domaine de la santé mentale des réfugiés; elle compte à son actif plus de 160 publications érudites.
Je vais dire quelques mots au sujet de l’étude que nous avons terminée récemment. Comme je l’ai mentionné, elle a été menée dans les Centres de surveillance de l’Immigration de Toronto et de Laval, près de Montréal. Nous avons mené des entrevues auprès de 122 demandeurs d’asile qui ont été détenus dans ces deux institutions, et nous avons aussi eu un groupe témoin de demandeurs d’asile non détenus dans le but, bien sûr, de voir l’incidence de la détention. Vous avez deux groupes sensiblement identiques, sauf qu’un est détenu et l’autre ne l’est pas. Il y avait des questionnaires de santé mentale et des entrevues.
Le Centre de surveillance de l’Immigration, comme je l’ai mentionné plus tôt, est une prison, bien entendu. Cela signifie que les gens sont menottés quand ils sont en déplacement entre la prison et le centre-ville, où ils assistent à leurs audiences. Il y a des gardiens en uniforme partout, des caméras de surveillance, les mouvements sont extrêmement limités; essentiellement, il n’y a aucune liberté, les règles sont extrêmement rigides, etc. Les gens peuvent être punis en étant placés en isolement s’ils ne respectent pas les règles de base, comme se lever à temps le matin. Il s’agit d’un milieu carcéral. Par conséquent, cela entraîne de graves répercussions sur la santé mentale.
La première chose qu’on doit regarder, c’est qu’il s’agit déjà, en général, d’une population très profondément marquée. Ces gens ont vécu beaucoup de traumatismes. Pour vous donner une idée, dans les deux groupes, les gens avaient vécu en moyenne neuf grands événements traumatisants au cours de leur vie. Cela dépasse de loin la moyenne. C'est énorme. On considère un ou deux événements majeurs, c'est assez élevé, plutôt grave.
On parle aussi d’une forme très grave de traumatisme. Je tiens également à souligner que la situation est pratiquement identique dans les deux groupes. Vous avez deux groupes ayant été exposés à des traumatismes prémigratoires: habituellement, il s'agit d'agressions physiques, de membres de la famille qui ont été agressés ou assassinés, etc. Ce sont des traumatismes majeurs. Les gens arrivent au Canada et un groupe est détenu et l’autre ne l’est pas.
Si vous regardez la différence au chapitre de la santé mentale, ce sont des symptômes qui sont au-dessus du seuil clinique. Donc, nous parlons de cas suffisamment graves pour que l'on considère ces personnes comme souffrant d’un trouble de stress post-traumatique, de dépression ou d’anxiété. Après seulement 31 jours de détention en moyenne, la différence est absolument énorme. Dans le groupe qui a été détenu, on a observé que l’incidence du trouble de stress post-traumatique était presque deux fois plus élevée, soit un total de 32 p. 100. Chez les gens détenus, le taux de dépression était également plus de 50 p. 100 supérieur au taux dans le groupe de gens non détenus. Comme je l'ai indiqué, c’est ce que l’on observe après une moyenne de 31 jours de détention, une période relativement courte et certainement beaucoup plus courte que ce qui est prévu dans le projet de loi .
Brièvement, simplement pour vous donner une idée du genre de personnes que nous rencontrons, vous voyez à l’écran une citation d’un jeune Somalien dont le père a été tué sous ses yeux par des seigneurs de guerre. L'homme voulait empêcher son fils d’être recruté de force par les seigneurs de guerre. Heureusement, l'oncle du jeune Somalien a réussi à lui trouver un faux passeport et un faux visa pour qu'il puisse venir au Canada. Le jeune a été détenu pendant deux mois au Centre de surveillance de l’Immigration. Comme vous pouvez le constater d’après la citation, il a été très gravement traumatisé et il vivait aussi un grand deuil. Pourtant il a été détenu pendant deux mois, ce qui a bien sûr considérablement augmenté la gravité du trouble de stress post-traumatique dont il souffrait déjà.
Dans une autre partie de l’étude, dans le cadre de laquelle j’ai rencontré 21 demandeurs d’asile qui sont arrivés sur le Sun Sea, il y avait une femme. Évidemment, c’est exactement le genre de groupe qui est ciblé par le projet de loi . C’est un exemple des plus typiques de ce que les gens ont vécu. Elle a vu beaucoup de membres de sa famille être tués par un obus. Manifestement, elle a aussi été touchée et elle souffrait d’un TSPT très grave.
Enfin, je souligne simplement que pour ce qui est des demandeurs d’asile du Sun Sea, par exemple, ces gens ont été détenus pendant de longues périodes, et pourtant, du moins en vertu de la loi existante, ils ont eu droit à la révision de la détention. Ils ont été libérés dans les deux premiers mois, ce qui ne serait pas le cas avec le projet de loi . À titre d'exemple, un couple avec un enfant souffrant de paralysie cérébrale. J'ai aussi donné d’autres exemples, que vous trouverez ici.
Je cède maintenant la parole à ma collègue.
:
Je m’appelle Cécile Rousseau et je suis professeure de psychiatrie à l’Université McGill.
Les ouvrages scientifiques, notre recherche sur les enfants — qui est un domaine de recherche distinct — et notre pratique clinique des 20 dernières années démontrent clairement que la détention a des effets importants et omniprésents sur la santé mentale des enfants. Elle a des répercussions. Nous avons des centaines de témoignages horribles. Je n'aurai pas le temps de vous les expliquer, mais cela a des effets sur l'attachement et sur ce que nous appelons les problèmes intériorisés comme la dépression, l’anxiété, la phobie scolaire, et les problèmes d’apprentissage. Elle provoque des symptômes traumatiques, tels que des cauchemars et le comportement de retrait, et elle est aussi une source de problèmes de comportement chez des enfants qui, auparavant, étaient très bien adaptés.
Le projet de loi se distingue du projet de loi C-4. Il y a eu une réorientation et un changement qui indiquent — et je veux vraiment en féliciter le gouvernement — que le gouvernement a écouté l'Association canadienne des pédiatres, l’Association canadienne des pédopsychiatres et l’Association des directeurs de santé publique. Ces trois associations vous ont demandé, à vous et au ministre, de ne pas détenir les enfants. Nous saluons le fait que les enfants de moins de 16 ans sont maintenant exclus de la détention. Nous sommes d'avis que cela témoigne du fait que le gouvernement reconnaît que cela cause du tort aux enfants.
Cependant, cela ne protégera pas les enfants, parce qu’ils seront toujours en détention avec leurs parents. Pour un enfant de huit ans, la différence entre « détenu » et « en détention avec maman » est une distinction d'ordre sémantique, et les enfants ne connaissent rien à la sémantique. Autrement, les enfants seront séparés de leurs parents et placés en famille d’accueil. Cela a des répercussions encore plus graves sur la santé mentale; donc, ce n'est certainement pas la direction que nous souhaitons prendre.
Enfin, il n’y aura pas de protection pour les femmes enceintes ou pour les jeunes de 16 et 17 ans, dont le cerveau n’est pas encore complètement développé.
En quoi la détention des enfants est-elle un problème de santé publique? Eh bien, c’est ce que nous appelons le stress toxique, parce que l’impuissance diminue fortement la résilience. Il faudrait beaucoup de temps pour vous expliquer qu'il s'agit du genre de stress auquel on ne peut échapper, mais nous savons que cela nuit directement au développement du cerveau de l’enfant.
La séparation des parents nuit à l’attachement et ébranle la confiance de base. Cela entraîne toute une série de conséquences. À court terme, nous observons des cas aigus de traumatisme dû au stress, de troubles de stress post-traumatique, les troubles d’adaptation accompagnés de divers symptômes. On observe aussi, chez les adolescents, la prise de risque et les tendances suicidaires, qui sont aussi très fréquentes. À moyen terme, c’est coûteux parce que ces enfants qui demeureront au Canada, très souvent, développent des problèmes d’apprentissage et des difficultés relationnelles.
Pour ce qui est des effets à long terme, nous devons les étudier. Nous en évaluons le coût en collaboration avec la faculté de travail social de l’Université McGill. Ce sera probablement très coûteux. Une femme enceinte dont le bébé handicapé en raison du stress prénatal ou de l’insuffisance des soins prénataux... cela représente des centaines de milliers de dollars. Un enfant qui décroche parce qu’il a des problèmes d’apprentissage représente un coût énorme pour la société canadienne. Nous devons tenir compte des coûts de santé publique qui s'ajoutent aux conséquences d'ordre humanitaire.
Enfin, il y a cette citation d’une mère: « Le Canada est censé être un pays civilisé — détenir une maman et un bébé n’est pas civilisé. »
Je vous exhorte... Je pense que le Canada... J’ai été et je suis encore très fière d’être Canadienne. Cela préserverait nos valeurs et notre capacité de protéger les enfants…
:
Merci beaucoup, madame la présidente.
Je tiens à vous souhaiter la bienvenue de nouveau, monsieur Grubel. C'est toujours agréable d'accueillir parmi nous un ancien parlementaire.
J'aimerais également souhaiter la bienvenue aux chercheurs et universitaires de renom qui comparaissent devant nous aujourd'hui. Merci de votre présence.
J'ai un certain nombre de questions. J'espère pouvoir les poser dans les sept minutes dont je dispose ou, à vrai dire, dans les six minutes et demie qui me restent.
Parlons d'abord du , particulièrement à la lumière des témoignages que nous avons entendus ce matin. Grâce aux nouvelles mesures prévues, le temps nécessaire pour régler une demande d'asile passerait du délai actuel de 1 038 jours à environ 45 jours pour les demandeurs de pays d'origine désignés ou à 216 jours pour tous les autres demandeurs.
Dans le cas des demandes pour motifs d'ordre humanitaire, c'est-à-dire les réfugiés légitimes et de bonne foi qui fuient la persécution, la torture et peut-être même la mort dans leur pays d'origine, ces nouvelles mesures seraient évidemment tout à leur avantage puisqu'ils n'auraient à attendre que 20 p. 100 du temps actuellement nécessaire avant de pouvoir s'établir au pays.
Nous ne pouvons pas envisager la possibilité d'autoriser automatiquement l'entrée de toutes les personnes qui arrivent au Canada par des moyens qui seraient autrement considérés comme étant illégaux, sans d'abord procéder aux vérifications appropriées pour assurer la sécurité des Canadiens. On a évoqué ce matin l'exemple du Sun Sea . Parmi les passagers à bord du Sun Sea et de l'Ocean Lady, 23 personnes ont été jugées comme présentant des risques pour la sécurité, et on a découvert que 18 autres avaient commis des crimes de guerre dans leur pays. Cela fait un total d'environ 41 individus suspects.
:
Voilà. Nous laisserons cette question sans réponse pour l'instant. Merci beaucoup.
C'est à mon tour de poser quelques questions. Sachez que j'ai eu la permission du président, parce qu'à titre de vice-présidente, j'assume aujourd'hui la présidence du comité.
Ma première question s'adresse à Mme Cleveland. N'hésitez pas, Cécile, à intervenir vous aussi.
Nous savons qu'aux termes du projet de loi , les enfants de 16 ans ou plus seront incarcérés comme s'ils étaient des adultes, alors que les enfants de moins de 16 ans seront soit séparés de leurs parents et confiés à une agence provinciale de protection de la jeunesse, soit détenus de façon informelle avec leurs parents.
Quelles sont les conséquences possibles pour la santé mentale lorsque des enfants sont séparés de leurs parents et confiés à des agences de protection de la jeunesse, pendant que leurs parents sont détenus, et quels sont les effets possibles sur la santé mentale des enfants lorsque ceux-ci se font refuser, de façon officielle ou non?
:
Je vais peut-être répondre à la question concernant la séparation des parents.
Les chercheurs se penchent depuis longtemps sur le sort des enfants séparés de leurs parents comme mesure de protection en temps de guerre. Les premiers cas remontent au bombardement de Londres durant la Seconde Guerre mondiale, lorsque des enfants ont été évacués de la ville et séparés de leurs parents; ces enfants ont été touchés beaucoup plus durement que ceux qui sont restés avec leurs parents lors du bombardement de Londres.
Selon une récente étude menée en Finlande, les gens qui ont été évacués il y a 60 ans pour se faire protéger et qui ont été séparés de leurs parents continuent de présenter plus de problèmes que ceux qui sont restés avec leurs parents durant la guerre.
Cela ne veut pas dire que les enfants sortent indemnes de la guerre. Cela signifie plutôt que la séparation familiale risque d'entraîner des effets bien plus dévastateurs et durables, ce qui peut mener non seulement à la dépression, mais aussi à des problèmes physiologiques. On parle ici de dépression chronique et d'anxiété, qui coûtent cher sur le plan de la productivité quotidienne de ces gens.
:
Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, lorsqu'un demandeur d'asile est gardé en détention, la première chose qu'on fait, c'est le menotter.
Bien que les gens ne soient pas menottés pendant leur séjour dans le centre de détention, si jamais ils doivent sortir de là, par exemple, pour se rendre à l'hôpital afin d'obtenir des soins médicaux, ils sont non seulement menottés, mais aussi enchaînés à la taille et aux pieds. Ils sont également accompagnés d'un agent de sécurité. En effet, beaucoup de gens nous ont dit qu'ils préfèrent ne pas recevoir de traitements médicaux plutôt que de subir l'humiliation publique d'être enchaînés et menottés dans une salle d'attente.
Il y a tout le temps des agents de sécurité en uniforme, sans compter la présence de caméras partout dans les établissements, et j'en passe. N'empêche que c’est vraiment dans les petits détails que se trouvent les problèmes. Supposons qu’un homme est placé tard un soir dans un centre de détention. Le lendemain matin, à six heures, l'heure à laquelle on réveille tout le monde, cet homme demande qu’on le laisse dormir encore un peu parce qu’il se sent très fatigué. L'agent de sécurité n'acquiesce pas à sa demande et insiste qu'il faut se lever à six heures. Le type lui répond alors: « Je m'en fiche. Je veux rester au lit. » Du coup, on le place en isolement cellulaire pendant 24 heures. C'est ça, une prison.
Je ne dis pas que les gens sont brutalisés. Tant les gardiens que les agents de l’ASFC font leur travail avec professionnalisme. Là n’est pas la question. Mais il reste que c'est une prison, aucun doute là-dessus. Bien entendu, à Toronto et à Montréal, il y a des centres de surveillance de l'immigration construits expressément pour les migrants, mais ailleurs au Canada, les demandeurs d'asile sont détenus dans des prisons provinciales, aux côtés de criminels.
Je m'inquiète particulièrement du sort des jeunes de 16 à 18 ans qui pourraient être gardés en détention aux termes du projet de loi. Les jeunes incarcérés dans des prisons sont particulièrement exposés à des risques de harcèlement sexuel et, surtout, d'agression sexuelle. C'est une question qui nous préoccupe beaucoup.
:
Merci, madame la présidente.
Je souhaite la bienvenue à tous nos invités.
J'ai écouté très attentivement les témoignages. Je suis désolée d'avoir manqué une partie du vôtre, monsieur Grubel.
Je dois vous dire que, récemment, vous avez dit quelque chose qui me préoccupe un peu. Nous savons que la détention vous pose un problème. Nous le comprenons. Je ne conteste pas votre opinion personnelle à l’égard de cet enjeu précis. Vous avez dit que le fait que des gens soient détenus parce qu'ils arrivent avec de faux documents vous posait un problème. Avant que vous ajoutiez quoi que ce soit, je dois vous dire qu’à mon avis, aucun motif ne justifie davantage la détention d’une personne que le fait d’être arrivée avec de faux documents et ce, parce que nous ne savons pas qui elle est. Je trouve légèrement préoccupant le fait que vous déclariez que la détention vous pose un problème en général, et cette préoccupation est imputable en partie au fait que les gens arrivent avec de faux documents.
Cela étant dit, j’aimerais vous poser une question très simple. Vous alliez mettre en doute le fait que, sur ces deux bateaux, 41 personnes étaient interdites de territoire au Canada. Peu importe le nombre qui vous a été communiqué ou le nombre que mon collègue a mentionné, un certain nombre de ces personnes ont été jugées inadmissibles pour des raisons liées à la sécurité ou pour d’autres raisons, comme leur participation à des crimes de guerre, etc.
Si elles étaient arrivées sans papier ou avec de faux documents, accueilleriez-vous n’importe laquelle de ces 41 personnes dans votre maison, assumeriez-vous pleinement la responsabilité de ses actes et pourriez-vous, en tout temps, rendre compte de l’endroit où elle se trouve? Ou croyez-vous plutôt que la détention est nécessaire, afin de pouvoir identifier les gens qui arrivent par surprise aux frontières du Canada, dans le cadre de passages massifs de clandestins? Pensez-vous que le gouvernement du Canada se doit d’assurer la sécurité à laquelle ses citoyens ont droit?
Cette question ne requiert qu’une simple réponse par oui ou par non.
:
En fait, j’ai eu ma réponse.
Merci beaucoup, madame la présidente.
Outre ma question précédente, j’en ai une deuxième à poser. La détention et peut-être certaines des conditions de détention vous posent un problème. Mais vous avez conscience que le Canada honore toutes ses obligations internationales et se conforme à sa propre Charte. En fait, en ce qui concerne cet enjeu, nous allons beaucoup plus loin que bon nombre d’autres pays occidentaux.
Je rappelle aux membres du comité que nous parlons en ce moment d’un très petit pourcentage de gens. Cela ne concerne pas la grande majorité des réfugiés qui viennent au Canada. En dix ans, il n’y en a eu que quelques centaines.
Vous avez conscience que nous honorons toutes nos obligations internationales et que nous nous conformons à notre Charte. Je veux que vous répondiez simplement par oui ou par non.
:
En fait, je vous exhorterais à examiner le rapport que les sénateurs australiens ont publié en mars 2012, après avoir, pour la énième fois, étudié en profondeur leur système, parce qu’au fil des ans, ils ont eu maints et maints problèmes et ils ont publié maints et maints rapports qui forment maintenant une pile impressionnante.
Essentiellement, ils ont découvert, entre autres, qu’en 2010-2011, le nombre d’incidents d’auto-mutilation enregistré chez les quelque 6 000 détenus se chiffrait à 1 100. Par auto-mutilation, j’entends des coupures auto-infligées, des tentatives de pendaison, des tentatives de suicide par ingurgitation de shampooing ou de détergent, des grèves de la faim et des actes de ce genre, dont six suicides. C’est un taux extrêmement élevé. Pour vous donner une idée, il est dix fois plus élevé que le taux de suicide normal au Canada. Et il s’agit là d’une population détenue pendant moins d’une année en général. Par conséquent, cette situation n’est pas tellement différente de celle que le projet de loi risque de créer.
Le comité a conclu — et nous citons leurs conclusions dans notre mémoire — que la détention avait clairement des effets désastreux sur la santé mentale. Ils l’ont prouvé à maintes reprises. Et, maintenant, après 20 années de détention obligatoire pour les réfugiés qui sont venus dans le cadre d’arrivées soi-disant irrégulières, l’Australie est en train de passer à un système qui ressemble davantage à notre système actuel, c’est-à-dire que les gens seront détenus seulement au début, pendant que les Australiens vérifieront leur identité. Ensuite, ils les remettront en liberté, ils les doteront de ce qu’ils appellent des visas de transition et ils leur accorderont un statut équivalent à celui que les demandeurs d’asile ordinaires obtiennent au Canada.
Donc, après 20 années de détention obligatoire, l’Australie a admis que le programme était un échec. Il ne fonctionnait pas, il avait un effet désastreux sur la santé mentale et il était très coûteux. Quatre-vingt-dix pour cent des demandeurs d’asile, qui sont venus en Australie dans le cadre d’arrivées irrégulières et qui ont été détenus, ont obtenu plus tard le statut de réfugié et sont devenus par la suite des citoyens australiens. Donc, comme vous pouvez l’imaginer, les coûts que la société assume sont énormes.
:
Merci, madame la présidente.
Permettez-moi de me faire l’écho de Mme Sitsabaiesan. Nous avons tous en tête le bien-être des gens dont il est question. Selon moi, il est possible d’être induit en erreur en posant la mauvaise question. Est-ce qu’une personne ici veut voir un humain être détenu sans raison? Personne ne veut cela.
Je crois que nous devons poser la bonne question. En tant que gouvernement, nous rendons des comptes à 34 millions de Canadiens. Ils s’attendent à ce que nous assurions la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada, comme c’est écrit dans la Constitution.
Le projet de loi comprend des dispositions qui minimisent les risques d’injustice. Par exemple, toute personne peut présenter une demande au ministre de la Sécurité publique en vue d’obtenir sa libération si les circonstances le justifient.
En passant, l’objectif principal du projet de loi est de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. Ces éléments priment dans le projet de loi , même si je crois qu’ils ont été...
Je ferai ma présentation en français et mon collègue parlera en anglais.
Premièrement, au nom de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes, nous vous remercions de nous avoir invités.
La Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes est un regroupement de 142 organismes communautaires oeuvrant auprès des personnes réfugiées et immigrantes dans tout le Québec. Notre organisme existe depuis 1979. Sa mission est de défendre les droits des personnes et des familles nouvellement arrivées au pays, sans égard à leur statut en matière d'immigration.
Il est important aussi de vous dire que nos organismes aident les réfugiés partout au Québec, selon la convention parrainée par l'État, ce qu'on appelle dans le reste du Canada le Programme de réfugiés pris en charge par le gouvernement. Ces gens sont installés partout au Québec, avec des contrats du ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles du Québec.
Grâce à notre expérience, nous avons une connaissance considérable des recours s'offrant aux déboutés du droit d'asile. Nous sommes personnellement témoins, jour après jour, de ces cas et des conséquences des erreurs humaines commises dans le cadre du processus d'examen des demandes d'asile ainsi que des grandes difficultés qu'ont les personnes visées à obtenir la correction de ces erreurs. On a déjà présenté à ce comité un mémoire à ce sujet en 2007.
Aujourd'hui, nous allons nous concentrer sur cet aspect des dispositions du projet de loi .
Mon collègue Me Richard Goldman va continuer la présentation.
[Traduction]
La Table de concertation joint sa voix à celles du Conseil canadien pour les réfugiés et d'autres intervenants qui estiment que le projet de loi est tellement déficient qu'il devrait être retiré et remplacé par un projet de loi équilibré. Dans le but d'être le plus constructifs possible, nous mettrons l'accent sur la Section d'appel des réfugiés, la SAR, et les autres recours offerts à la suite du rejet d'une demande d'asile. De plus, nous ferons des recommandations à cet égard.
Tout d’abord, l’importance d’une SAR est reconnue depuis longtemps. Lorsque le Parlement a adopté la LIPR en 2001, celle-ci prévoyait la création d'une SAR qui devait être accessible à tous. Cette mesure a été adoptée dans le projet de loi . Malheureusement, cette instance n’a jamais été créée. Il importe également de noter qu’un certain nombre d’organismes internationaux des droits de la personne ont souligné la pertinence d’une SAR. Voici un passage tiré de la page 2 de notre document :
Le HCR considère qu’un mécanisme d’appel constitue un élément fondamental et nécessaire du processus de détermination du statut de réfugié. Il permet non seulement de corriger des erreurs commises en première instance, mais aussi d’assurer un processus décisionnel cohérent. Le Canada, l’Italie et le Portugal sont les seuls pays industrialisés qui ne donnent pas aux demandeurs d’asile déboutés la possibilité de faire examiner des points de fait et de droit de la décision de la première instance. Par le passé, il y avait une protection parce que les décisions pouvaient être prises par deux commissaires, le bénéfice du doute jouant en faveur du demandeur en cas de décision partagée. Lorsque la LIPR entrera en vigueur le 28 juin, cette importante protection disparaîtra.
De même, la Commission interaméricaine des droits de l'homme a déclaré :
Puisque même les meilleurs des décideurs peuvent se tromper en rendant leur jugement, et compte tenu des dangers potentiels pour la vie des personnes qui résultent de telles erreurs, un appel sur le bien-fondé d’une détermination négative constitue un élément nécessaire de la protection internationale.
Je vais maintenant aborder les restrictions relatives à la SAR en vertu du projet de loi . Il y a quatre principales restrictions à cet égard.
Premièrement, examinons le cas des demandeurs d’asile en provenance de pays désignés. Les demandes d'asile de ces personnes feront l'objet d'un traitement très accéléré; leur cas pourra être entendu dans les 30 jours suivant leur arrivée. Il leur sera donc difficile, voire impossible, de se préparer adéquatement. Il leur sera en effet très difficile d'obtenir la preuve documentaire de leur persécution et les pièces d'identité. Ils auront également beaucoup de mal à trouver un avocat. De plus, certains demandeurs souffriront peut-être de traumatismes relatifs à un viol ou à d’autres sévices dont ils ont été victimes. Les risques d'erreur humaine dans de tels cas sont extrêmement élevés.
Deuxièmement, il y a ceux qui arrivent au Canada comme membre d'une « arrivée irrégulière ». Cette arrivée n'a aucun lien avec le bien-fondé d'une demande d'asile. En effet, dans certains pays, la seule façon d’en sortir est de présenter de faux documents. Il peut ne pas y avoir de bureaux de délivrance de passeports, et un véritable réfugié peut ne pas avoir de passeport. Si deux personnes ou plus arrivent ensemble par le biais de passeurs, elles peuvent être désignées comme une « arrivée irrégulière ». Un « groupe » n’est pas défini dans la loi; c’est donc possible qu’un groupe se compose seulement de deux personnes. Il n'y a pas de raison logique de présumer qu'un groupe de demandeurs d'asile en provenance, à titre d'exemple, de l'Iran, de la République démocratique du Congo ou de la Somalie présentent des demandes infondées et que ces demandeurs n’ont même pas le droit d'interjeter appel de cette décision.
Troisièmement, il y a des personnes qui demandent l'asile à la frontière canado-américaine, en vertu de l’Entente entre le Canada et les États-Unis sur les tiers pays sûrs. Très peu de réfugiés peuvent se présenter à la frontière et demander l’asile. Il existe quelques exceptions à cet égard. L'exception la plus fréquemment invoquée est lorsque le demandeur a déjà un parent au Canada. Si une personne se présente à la frontière et demande l’asile, son droit d’appel sera restreint. Nous ne comprenons pas vraiment pourquoi. En fait, lors d'un entretien téléphonique à des fins d'information ayant eu lieu à la suite du dépôt du projet de loi , il nous a été expliqué que le pire qui pouvait arriver à ces demandeurs d’asile serait d'être renvoyés aux États-Unis. En fait, ce n’est pas exact. Depuis l'expiration de l'Entente de réciprocité en octobre 2009, ces gens ne peuvent pas être renvoyés aux États-Unis. Ces personnes doivent plutôt être renvoyées directement dans leur pays d'origine où elles affirment avoir été persécutées. Elles n’ont pas le droit d’interjeter appel de la décision. Il semble donc que cela se fonde complètement sur une erreur.
Dans le cas de la quatrième exception, soit les demandes d'asile « manifestement infondées » ou « sans fondement crédible », les trois exceptions précédentes s’appliquent avant même que les demandeurs aient été entendus par la CISR.
La quatrième exception s’applique seulement à la CIRSR. Les demandeurs qui, en principe, ont le droit d’interjeter appel de la décision pourraient bien voir ce droit disparaître si le décideur juge que leur demande est manifestement infondée ou sans fondement crédible. Cela nous semble avoir un effet extrêmement pervers, parce que le décideur peut en fait se soustraire à la révision. Autrement dit, s’il commet une petite erreur et rejette une demande manifestement fondée, on peut interjeter appel de la décision. S’il commet une grave erreur en disant qu’il s’agit d’une demande manifestement infondée, on ne peut pas demander une révision.
Selon nous, toutes ces exceptions vont, par conséquent, à l'encontre des principes fondamentaux de l'équité et même de la logique dans certains cas.
Il importe aussi de mentionner que les demandeurs appartenant à ces quatre catégories n’auront pas efficacement accès à la Cour fédérale, même s’il leur est possible de s’y adresser, parce qu’ils n’auront plus droit à un sursis à la mesure de renvoi. Par conséquent, ils peuvent être renvoyés le 31e ou le 61e jour. De plus, ils ne peuvent pas interjeter appel du jugement et n’ont pas accès en pratique à la Cour fédérale.
D’autres recours à la suite du rejet d’une demande sont également éliminés. L’examen des risques avant renvoi n’était pas une très bonne procédure, mais elle sera pratiquement éliminée, parce que les gens n’y auront pas accès pendant les 12 mois suivant un rejet. Or, le gouvernement a dit qu’il voulait renvoyer les gens bien avant un an. Concrètement, l’examen des risques avant renvoi disparaîtra.
Ensuite, un autre recours final qui sera éliminé est la demande de résidence permanente pour raisons d'ordre humanitaire. Tout chevauchement avec la demande d’asile est impossible. Elle tient compte d’autres aspects, comme la discrimination fondée sur le sexe ou d’autres formes de discrimination qui ne répondent pas au critère de « persécution ». Elle peut aussi tenir compte, par exemple, de l’intérêt supérieur de l’enfant. Il y a une exception dans la loi concernant les demandes pour raisons d'ordre humanitaire qui sont dans l’intérêt supérieur de l’enfant ou qui se fondent sur des raisons d’ordre médicale. Cependant, aucun sursis à la mesure de renvoi n’est possible dans ces cas. Les gens déboutés peuvent tout de même être renvoyés le 31e ou le 61e jour. Par conséquent, en raison de ces différentes exceptions à la SAR, il y a un délai très irréaliste de 15 jours pour déposer un appel à la SAR. Nous pourrons en parler plus en détail.
Si l'on ajoute à cela l’élimination des autres recours à la suite du rejet d’une demande, le Canada aura finalement une SAR, mais la majorité des demandeurs n’auront pas accès à un mécanisme pour réviser leurs demandes rejetées.
Voici nos recommandations. Le projet de loi devrait être retiré et remplacé par un projet de loi juste et équilibré. En ce qui concerne particulièrement la SAR, tous les demandeurs d'asile déboutés devraient avoir accès à la SAR. La mesure réglementaire correspondante devrait accorder 45 jours pour le dépôt et l'achèvement des appels interjetés devant la SAR. L'interdiction visant le dépôt de demandes pour des raisons humanitaires pendant qu'une demande d'asile est en suspens et pendant les 12 mois suivant le rejet d’une demande devrait être supprimée. L'auteur d'une demande pour raisons humanitaires devrait avoir droit à un sursis automatique de la mesure de renvoi jusqu'à ce qu'une décision soit rendue sur sa demande.
Merci.
Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration nous parle en long et en large de l'indépendance du tribunal administratif, soit la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, ou CISR, et de la façon dont les décideurs rendront un jugement indépendant et impartial. Pourtant, le projet de loi permet de douter de cette affirmation.
Par exemple, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration justifie son pouvoir discrétionnaire de décider quels pays sont des pays d'origine désignés en disant qu'il doit avoir la capacité d'agir vite afin d'éviter une vague de demandeurs d'asile frauduleux. Il justifie cette mesure par le fait de vouloir laisser les Hongrois, par exemple, venir au Canada sans visa et ainsi éviter que des gens ne fassent des demandes d'asile au Canada.
C'est donc le ministre lui-même qui décide à l'avance ce qui représente une vague de demandeurs d'asile frauduleux. Il n'est donc pas vrai que le projet de loi laisse au tribunal administratif toute l'indépendance du processus décisionnel. Le ministre lui-même a affirmé le contraire dans son témoignage devant ce comité.
En ce qui concerne les personnes qui seront considérées comme faisant partie d'une arrivée irrégulière, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration justifie son pouvoir discrétionnaire et une détention d'un an par le fait que le Canada ne peut pas laisser entrer des personnes qui n'auront pas obtenu de visa avant leur arrivée au pays. Il continue de nous effrayer avec l'idée que ces gens n'auront pas de documents d'identité, qu'il faudra établir leur identité avant de les libérer et que, finalement, on ne peut pas avoir recours à la libération automatique comme solution de rechange à la détention. Or dans les faits, la loi actuelle prévoit justement un mécanisme de révision des détentions avant la libération.
Le ministre continue son témoignage en expliquant que ces personnes auront payé des passeurs pour arriver au Canada et que ces passeurs sont des criminels dangereux qui mettent en danger la vie des passagers. Encore une fois, le ministre cherche à influencer le sort de la demande d'asile par ces mesures punitives et discriminatoires.
Le ministre est incohérent quand il explique la nécessité de détenir durant une année, pour des raisons de sécurité, des personnes ayant fait l'objet d'une arrivée irrégulière...
:
Très bien, merci. Alors, je continue.
En revanche, ces mêmes personnes pourront être libérées immédiatement après une acceptation de leur demande d'asile, soit une audience de la CISR dans les 60 jours. Comment le décideur du tribunal administratif pourra-t-il être plus sûr de l'identité de ces détenus qu'Immigration Canada? Il n'est pas réaliste de croire que le tribunal administratif se sentira indépendant face à ce genre de mesures punitives.
Le site de la GRC, sur sa page de questions et réponses, explique la différence entre la traite de personnes et le passage de clandestins:
La traite de personnes est le fait de recruter, de déplacer ou d'héberger des personnes en vue de les exploiter (habituellement pour l'industrie du sexe ou le travail forcé). [...]
Le passage de clandestins est une forme de migration illégale où il y a passage organisé à la frontière internationale d'une personne, habituellement en échange d'une somme d'argent et parfois dans des conditions dangereuses.
Le ministre ne fait jamais cette distinction et son discours confond les deux notions. Il est très rare que les réfugiés soient capables d'obtenir un visa pour venir au Canada. Les passeurs sont trop souvent le seul moyen pour les réfugiés de quitter leur pays et d'arriver ici pour faire une demande d'asile. Ce sont de vrais réfugiés de pays qui ne respectent pas les droits de la personne. Ce sont des gens qui n'ont pas le choix, face à la persécution.
Le Canada a déjà eu une tradition de passage clandestin de personnes. Les loyalistes ont fui la Nouvelle-Angleterre pour se réfugier au Canada. L'Underground Railroad aidait principalement des esclaves américains à trouver la liberté au Canada. Au Canada, la common law est le fondement juridique de notre droit. Elle est le fruit de traditions centenaires qui a abouti à la Charte canadienne des droits et libertés:
[Traduction]
Article 39 : Aucun homme libre ne sera arrêté, ni emprisonné ou dépossédé de ses biens, ou déclaré hors-la-loi, ou exilé, ou lésé de quelque manière que ce soit, pas plus que nous n’emploierons la force contre lui, ou enverrons d’autres pour le faire, sans un jugement légal de ses pairs ou selon les lois du pays.
Article 40 : Nous ne vendrons, refuserons ou différerons le droit d’obtenir justice à personne.
[Français]
Ce sont des extraits de la Magna Carta qui date de 1215, c'est-à-dire de presque 1 000 ans. L'Habeas Corpus Act de 1679 protégeait contre les arrestations et les détentions arbitraires. Le détenu avait le droit de connaître les raisons de son arrestation, de contester sa détention et d'obtenir sa libération.
J'en viens à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés:
7. Chacun a le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.
L'article 10 souligne ceci:
10. Chacun a le droit, en cas d'arrestation ou de détention:
a) d'être informé dans les plus brefs délais des motifs de son arrestation ou de sa détention;
b) d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit;
c) de faire contrôler, par habeas corpus, la légalité de sa détention et d'obtenir, le cas échéant, sa libération.
Ces citations sont tirées de la Charte canadienne des droits et libertés, et il faut en être fier.
Le projet de loi est contraire à ces principes de justice fondamentale. Avec ce projet de loi, nous faisons reculer de 1 000 ans nos principes de justice.
Par exemple, dans le cas des personnes issues d'une arrivée irrégulière, il y a une détention obligatoire d'une année pour celles qui sont âgées de 16 ans ou plus. Il n'y a aucune révision de la détention pendant 12 mois et elles n'ont pas accès à la SAR. Si la personne est acceptée, elle ne peut demander la résidence permanente avant cinq ans suivant la décision de la CISR, elle n'aura pas de titre de voyage de réfugié et elle a l'obligation de se rapporter à un agent d'immigration.
Ensuite, en ce qui concerne les personnes d'un pays d'origine désigné, la Section de la protection des réfugiés, ou SPR, traite les dossiers de façon accélérée. Les personnes concernées n'ont pas accès à la SAR et elles ne bénéficient pas d'un sursis législatif ou d'un renvoi durant les demandes d'autorisation et de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. De plus, ces dispositions peuvent être appliquées de façon rétroactive. Les demandeurs d'asile ne sont donc pas tous traités également face aux lois et à la justice.
De plus, les coupes budgétaires à la CISR annoncées dans le budget fédéral auront pour effet de ne plus donner au demandeur refusé la transcription de son témoignage accompagnant la décision négative. La...
:
Merci. C’est bien ce que je croyais.
[Français]
Je disais donc qu'à la suite des compressions budgétaires à la CISR, le demandeur refusé n'aura pas droit à la transcription de son témoignage accompagnant la décision négative. La CISR a annoncé qu'elle fournirait un CD comprenant l'enregistrement de l'audience.
Comment un réfugié pourra-t-il, même dans les meilleures conditions, disposer d'un ordinateur pour écouter cet enregistrement et préparer un appel ainsi qu'un mémoire en 15 jours? Comment la Section d'appel des réfugiés pourra-t-elle réellement entendre une cause et aller au fond des choses sans avoir pris connaissance du témoignage?
La perte automatique de résidence à la suite d'une cessation de la demande d'asile viole les obligations internationales du Canada.
En terminant, l'AQAADI considère que ce projet de loi est, dans son entièreté, contraire à la Charte, contraire à la tradition humanitaire de notre pays. Ce projet de loi n'empêchera pas des milliers de gens de venir ici et d'y rester chaque année. Ce projet de loi encouragera la clandestinité de personnes faisant face à la détention, compte tenu des mesures punitives, arbitraires et injustes. Avec ce projet de loi, le Canada ressemblera de plus en plus aux États-Unis, aux prises avec un énorme problème de clandestins.
:
Merci, madame la présidente.
Bienvenue à nos invités: Mme Augenfeld, M. Goldman, M. Bohbot et M. Tutunjian.
Monsieur Bohbot, je crois que vous avez comparu devant ce comité il y a environ six mois.
Viktor Frankl, un survivant d'Auschwitz, a dit que les droits non assortis de responsabilités étaient dangereux. Même dans notre Charte canadienne des droits et libertés, des conditions raisonnables peuvent être imposées dans le cas de certains droits.
Monsieur Bohbot, nous avons un système de réfugiés dont la plupart des Canadiens sont fiers. Partout dans le monde, on dit que le Canada est un pays de compassion. Ici, au comité, nous en sommes tous fiers. Je pense pouvoir parler au nom de la plupart des Canadiens. Cependant, il y a un fardeau que nous ne pouvons pas continuer à porter. Présentement, le traitement du dossier d'un réfugié prend à lui seul plus de 1 000 jours, en moyenne. Hier, on nous a dit qu'en Nouvelle-Zélande, cette durée était de 45 jours. Si nous continuons à faire les choses de cette façon, les dossiers des vrais réfugiés ne pourront pas être traités rapidement. C'est pourtant ce que tout le monde voudrait.
Êtes-vous d'accord pour dire que nous devrions modifier le système pour donner l'avantage aux vrais réfugiés?
:
La dernière fois que vous avez témoigné, vous avez été très critique envers notre gouvernement. Pour ma part, j'aimerais que, dans le cadre de cette étude, tout le monde fasse preuve d'ouverture. Il s'agit ici des réfugiés et non du Parti conservateur ou d'un autre parti.
Vous et moi savons que la discrétion du ministre va dépendre de certains critères. Il ne s'agit pas d'une discrétion absolue. Par exemple, il pourra décider que certains pays sont maintenant des pays désignés, mais il doit le faire selon certains critères, notamment le fait que
[Traduction]
les demandeurs abandonnent leurs demandes dans environ 90 p. 100 des cas ou leurs demandes sont rejetées. Donc, ce pouvoir discrétionnaire dont il est question n’est pas absolu.
Vous en êtes conscient, monsieur Bohbot, n’est-ce pas?
:
Merci, madame la présidente.
Merci aux témoins d'être avec nous aujourd'hui.
Hier, l'un de nos témoins nous a ramenés à des principes humains à propos du projet de loi . Il nous a rappelé que lorsque les réfugiés cherchent la protection, ils visent à venir dans un pays de droit et de liberté, un pays auquel ils vont demander la protection. Sans aucun doute, ils ne viennent pas pour profiter du système, car c'est de dignité humaine qu'il s'agit avant tout. Il l'a bien souligné dans sa conclusion en disant qu'ils sont ici pour servir le Canada par la suite. Je souhaitais faire ce petit rappel.
Certains témoins nous ont également dit que le projet de loi n'était pas la meilleure façon de dissuader les passeurs ou d'arrêter la contrebande humaine. Quels sont, à votre avis, les plus gros risques associés à ce projet de loi?
:
J’aimerais ajouter que ce projet de loi constitue une tentative de contrôler les passeurs en pénalisant les réfugiés. Il les pénalise à cause de la façon dont ils sont arrivés au Canada. Cela n’a rien à voir avec le contenu de leur demande. Le contenu de la demande est moins important que les moyens qu’ils ont pris pour venir ici.
Par ailleurs, j’estime que le projet de loi précédent, qui est devenu loi, vous donne tous les outils nécessaires pour vous attaquer aux passeurs de tout acabit, et que la plupart des gros bonnets dans ce milieu, ceux que ni vous ni moi n’aimons, sont en train de prendre un verre dans un bar à Singapour après avoir empoché leur argent. Les victimes qui arrivent au pays ont besoin d'aide. La façon dont une personne est arrivée ici ne nous dit rien sur le contenu de sa demande d’asile.
D’après ce que je sais, quand le ministre a comparu, il a parlé d’Iraniens dont le corps porte des cicatrices fraîches et qui viennent ici et ont besoin de notre protection. Il a convenu que ces gens ont besoin de protection. Comment un Iranien fait-il pour venir ici? Sans doute grâce à de fausses pièces d'identité. Et si cet Iranien, comme c’est fort probablement le cas, paie un passeur et arrive avec cinq autres personnes, et que son arrivée est déclarée irrégulière, il pourrait aussi bien se retrouver en détention et privé de toute possibilité de faire appel. En conséquence, nous confondons les moyens utilisés par des personnes désespérées pour venir ici et le contenu de leur demande d'asile, le récit qu'elles ont à nous faire.
Pour terminer, je pense que n’importe quel système a besoin de mécanismes de protection. Nous sommes d’accord. Tout système peut être utilisé à mauvais escient. Bien entendu, le système d'aide sociale doit comporter des mesures de protection pour empêcher les abus, à l'instar du système d’assurance-emploi. Tout système comporte des protections. Mais on ne doit pas organiser le système en fonction de ceux qui en abusent et se dire tant pis pour les personnes qui ont vraiment besoin d’aide. On se concentre sur les mesures punitives contre les fraudeurs. C’est le contraire de ce qui devrait se passer, puisque les personnes qui ont le plus besoin d’aide, les réfugiés authentiques, — et je pense que vous vous préoccupez réellement de leur sort — seront pénalisées. Ils seront pénalisés parce que nous croyons savoir d’avance quel sera le contenu de leur demande à cause du moyen qu’ils ont pris pour venir ici.
:
Pas du tout, pour les raisons que nous avons déjà évoquées: délais irréalistes, absence du droit d’appel et détention obligatoire pour de nombreux demandeurs pendant un an.
Nous avons convenu, en évoquant une question qui a été soulevée plusieurs fois, que le système actuel présente des problèmes. Pourquoi y a-t-il des problèmes? Comme l’a mentionné notre collègue, Me Bohbot, c’est surtout parce que le gouvernement n’a pas veillé à la dotation en personnel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada; il a essentiellement brisé le système, et maintenant, il estime qu’il faut faire quelque chose de radical.
Nous sommes d’accord qu’une personne ne devrait pas avoir à attendre deux ans avant de recevoir une décision sur sa demande de statut de réfugié. Toutefois, nous ne pensons pas qu’on doive jeter le bébé avec l’eau du bain. Trente jours, ce n’est pas assez. L’impossibilité de faire appel signifie qu'on ne peut pas corriger les erreurs. Le projet de loi , malgré toutes les critiques qu'on a pu faire, était une mesure relativement équilibrée. Nous pensons qu’il faudrait améliorer les dispositions qu'il contenait au lieu d'adopter un projet de loi beaucoup plus radical qui interdit aux gens d’exercer leurs droits.
:
Merci, madame la présidente.
[Français]
J'aimerais poser la même question à chacun de nos témoins.
[Traduction]
Comme vous le savez, le ministre de la Justice est tenu, en vertu de la Loi sur le ministère de la Justice, de déterminer si un projet de loi est conforme à la Charte canadienne des droits et libertés et de présenter un rapport s’il existe des contradictions entre cette mesure et la Charte.
La question que je vous pose à chacun est la suivante: si vous aviez conseillé le ministre sur ce projet de loi, quels auraient été vos conseils, et lui auriez-vous dit que certaines dispositions devaient faire l’objet d’un rapport parce qu'elles ne sont pas conformes à la Charte?
:
Merci, madame la présidente.
Maître Bohbot, j’aimerais apporter deux précisions. En premier lieu, le ministre ne décide pas de façon arbitraire ou à l’avance quels pays il va apparemment pénaliser. Ce n’est pas ainsi que cela se passe. En fait, nous travaillons avec des données probantes. Par exemple, nous savons que 95 p. 100 des demandeurs d’asile au Canada retirent leur demande. C’est assez frappant quand on pense à tous ces gens qui arrivent dans notre pays. D’ailleurs, certains fonctionnaires de l’ASFC se font répondre tout de go: « Je suis ici parce que je vais me faire payer. »
Ce ne sont pas des histoires inventées. Ce sont des preuves concrètes qui nous viennent d'autres pays. Elles sont fondées sur des statistiques que nous obtenons, et c’est là la réalité.
J’aimerais mettre une autre donnée en contexte. Sur le nombre de réfugiés qui arrivent au Canada et qui sont acceptés, quel est le pourcentage de ceux qui arrivent de façon irrégulière? La réponse est moins de 1 p. 100. Nous voulons en fait nous concentrer sur les 99 p. 100 des gens qui veulent vraiment être ici et qui essaient de s’acclimater, de s’intégrer et de devenir de bons citoyens canadiens. C’est ce sur quoi nous nous concentrons. Nous ne nous attardons pas seulement à ce petit pourcentage. C’est un dossier important, mais ce n’est pas le seul qui nous occupe.
Il existe des enjeux plus vastes au Canada, parce que tous les citoyens canadiens ont des attentes par rapport à leur gouvernement. Notre pays s'appuie sur quatre piliers distincts: la liberté, la démocratie, les droits de la personne et la primauté du droit. Tous les Canadiens ont le droit d’attendre de leur gouvernement qu’il les protège.
Je vous demande, monsieur, si quelqu’un arrivait de façon irrégulière, disons dans le port de Vancouver, lui donneriez-vous l’hospitalité? Je vous adresse la question de Mme James. Accueilleriez-vous cette personne chez vous sans rien connaître à son sujet, la mettriez-vous en présence de votre famille, de vos enfants? Comment la traiteriez-vous?
:
Monsieur, nous n'essayons pas de faire peur aux Canadiens. Nous essayons de les protéger.
Sur le Sun Sea, environ cinq individus représentaient une menace pour la sécurité, dont un criminel de guerre. Sur le Ocean Lady, 19 personnes représentaient une menace pour la sécurité, et 17 étaient des criminels de guerre; cela fait donc 41 personnes au total. C'est considérable, car ces personnes constituent une menace.
J'ai servi dans une zone de guerre, en Bosnie. J'ai vu ces choses de près, dans un endroit détruit par la guerre. Lorsqu'on dit que nous appliquons des mesures oppressives pour quiconque arrive au pays... J'ai porté fièrement la feuille d'érable sur mon épaule durant la majeure partie de ma vie. Je connais le système que nous avons dans ce pays. Nous sommes fiers de notre système de gouvernance. Nous avons l'obligation de protéger les droits de nos citoyens, et c'est aussi l'une des façons dont nous le faisons.
L'immigration est très importante, monsieur. Mes parents sont venus d'une zone de guerre après la Seconde Guerre mondiale. Ils ont connu les goulags et les camps de travaux forcés de l'Allemagne nazie. Je comprends tout ce que les réfugiés apportent à ce pays. C'est très important, cela fait partie de l'histoire de notre famille, et j'ai grandi avec cela à la maison. Je comprends ces choses et je compatis avec les gens qui arrivent ici en tant que réfugiés, à la recherche d'une vie meilleure. Le Canada est un pays compatissant. Nous respectons toutes les règles internationales et toutes nos obligations, et nous sommes très accommodants envers les gens qui veulent venir ici.
Toutefois, lorsqu'ils arrivent ici, ils doivent respecter nos lois, et nous avons le droit, monsieur, d'établir leur identité avant de les laisser se mêler à l'ensemble de la population, où ils pourraient causer du tort aux citoyens canadiens. Nous les détiendrons jusqu'à ce que nous sachions qui ils sont.
Je souligne qu'aussitôt que nous avons établi leur identité, nous les libérons. Les personnes qui posent problème sont celles qui ne coopèrent pas et ne révèlent pas leur identité. Nous les détiendrons jusqu'à ce que nous soyons tout à fait certains de savoir qui ils sont. Cela fait constamment l'objet d'un contrôle.
Avez-vous un commentaire à ce sujet, monsieur?
:
Ce n'est pas encore en vigueur, bien sûr, mais ce le serait en vertu du projet de loi C-31.
À titre d'exemple, je vais vous parler d'un cas réel que nous avons traité, celui d'une Éthiopienne qui a été forcée de se marier à 12 ans. Elle a été victime d'agression sexuelle à cause de ses origines érythréennes. Elle est arrivée au Canada sans papiers, a été détenue et, par conséquent, le temps d'attente pour son audience a été écourté. En raison de sa détention, elle ne s'est pas rendu compte qu'elle avait contracté une maladie grave à la suite de son agression sexuelle. Son audience a eu lieu sans qu'on ait pris en considération cette information. Comme je l'ai dit, le temps d'attente a été considérablement écourté, comme ce serait le cas en vertu du projet de loi C-31, parce qu'elle était en détention et qu'elle était arrivée sans documents. Elle n'a appris que plus tard avoir contracté une maladie à cause de son agression sexuelle, ce qui a corroboré toute son histoire. Sa demande a finalement été acceptée pour des motifs humanitaires.
En vertu du nouveau système, s'il entre en vigueur, elle pourrait être renvoyée immédiatement après son audience, sans possibilité d'appel si on a déterminé qu'elle est entrée au pays dans le cadre d'une arrivée irrégulière, sans possibilité de présenter une demande pour raisons d'ordre humanitaire, sans examen des risques avant renvoi, et sans accès à la Cour fédérale.
:
J'aimerais ajouter qu'au cours des cinq premiers jours, les demandeurs d'asile subissent un examen médical, mais que c'est simplement pour s'assurer qu'ils ne constituent pas un danger pour le public.
[Traduction]
On leur fait donc subir un examen médical, mais c'est simplement pour s'assurer qu'ils ne sont pas atteints de tuberculose; si c'est le cas, il y a un contrôle. Mais ce n'est pour aucune de ces autres raisons.
Il faut beaucoup de temps pour obtenir une évaluation médicale et psychologique, et ce ne sont pas tous les médecins qui peuvent le faire. Ce n'est donc pas possible.
De plus, comme l'a souligné Me Goldman, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a accepté de remettre la transcription de l'audience au demandeur afin qu'il puisse faire appel. Or, étant donné les compressions, les nouvelles restrictions budgétaires, le demandeur ne recevra qu'un enregistrement sur CD — comme une cassette, pour les plus âgés parmi nous — de l'audience. Il est tout à fait impensable d'essayer de préparer un appel au moyen d'un CD, sans avoir accès aux documents sur papier. Je pense que chacun devrait se mettre dans cette situation.
Même actuellement, quand on veut s'adresser à la Cour fédérale, on a 15 jours pour présenter sa requête d'autorisation, puis 30 jours additionnels pour mettre au point sa demande. S'il est nécessaire de faire appel à la suite d'une terrible erreur, on a 15 jours. On a du mal à imaginer comment on peut réussir à le faire comme il se doit. C'est comme dire que c'est possible, mais que c'est impossible.
:
Merci, madame la présidente.
J'ai entendu beaucoup de commentaires de la part de nos témoins. Je les remercie tous les deux de nous avoir présenté d'excellents exposés.
Je crois toutefois que l'exposé de M. Bohbot aurait été un peu plus crédible s'il ne s'était pas aventuré en terrain politique et n'avait affirmé croire personnellement que ce projet de loi donnera trop de pouvoir au ministre, surtout sur le plan des questions liées aux pays d'origine désignés.
Il est clair — et il ne connaît peut-être pas les critères que nous utilisons — qu'en ce qui a trait au HCR, le président, Abraham Abraham, a indiqué au Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration, il y a moins de deux ans, que le Haut-Commissariat ne s'oppose pas à la création d'une liste de pays désignés ou de pays d'origine sûrs, « tant que cette liste reste un outil procédural permettant de prioriser les demandes et d'en accélérer le traitement dans certaines situations bien précises, et qu'on ne s'en sert pas comme critère d'élimination absolu. »
De là, nous allons de l'avant. De nombreux pays utilisent des pouvoirs semblables afin d'avancer à ce chapitre. Le Royaume-Uni, l'Irlande, la France, l'Allemagne, les Pays-Bas, la Norvège, la Suisse et la Finlande sont tous des pays qui ont mis en place des propositions relatives aux pays désignés comme sûrs. Je ne peux croire que l'un ou l'autre des témoins laisserait entendre que chacun de ces pays se trompe.
Je voudrais simplement rappeler aux témoins qu'en fait, ce processus est assorti de critères. D'abord, un pays doit atteindre l'un des deux seuils quantitatifs, ou limites, qui seront établis dans l'arrêté du ministre. Le premier est un taux de rejet des demandes, qui englobera les demandes abandonnées ou annulées, d'au moins 75 p. 100. De même, un taux d'abandon ou d'annulation des demandes de 60 p. 100 ou plus entraînerait un examen. Je dis bien un examen. Cela ne veut pas nécessairement dire que le ministre a le pouvoir de désigner un pays comme sûr. On commence par un examen, qui sera effectué par un certain nombre de ministères, dirigés par CIC. Et pour les pays en cause, l'examen devra être effectué sous la direction de CIC, avec d'autres ministères qui contribueront au processus, afin de déterminer si ces critères ont été respectés.
Si nous allons encore plus loin, pour les demandeurs de pays d'où proviennent peu de demandes, une liste de critères qualitatifs serait établie dans la loi.