Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Bienvenue à la 10e réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes. Conformément à la motion adoptée le mardi 8 février, le Comité se réunit en vue d'étudier la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d'exploitation.
La réunion d'aujourd'hui se déroule en format hybride, conformément à l'ordre de la Chambre adopté le 25 novembre 2021. Les membres sont présents en personne dans la salle et à distance grâce à l'application Zoom. Les délibérations seront diffusées sur le site Web de la Chambre des communes.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à nos témoins, mais avant, je veux qu'ils sachent que j'utiliserai de petites cartes. Lorsque vous en serez à vos 30 dernières secondes, cherchez la carte. Je n'aime pas m'interposer, alors j'espère que vous respecterez les délais.
Je salue nos invitées de la Nouvelle-Zélande, Mme Gillian Abel et Mme Lynzi Armstrong. Merci beaucoup de nous rejoindre depuis l'autre côté du monde.
Nous accueillons également Janine Benedet, professeure à l'Université de la Colombie-Britannique. Nous recevons Nadia Guo, avocate criminaliste et nous accueillons Kathleen Quinn, du Centre To End All Sexual Exploitation.
Je vais vous accorder à chacune cinq minutes.
Nous allons commencer par Mme Abel, de la Nouvelle-Zélande, pour cinq minutes, s'il vous plaît.
Je suis Gillian Abel, professeure de santé publique à l'Université d'Otago, en Nouvelle-Zélande. Je fais des recherches dans le domaine du travail du sexe depuis environ 25 ans et je suis considérée comme une experte mondiale dans ce domaine.
Le travail du sexe en Nouvelle-Zélande a été décriminalisé en 2003, mais j'ai réalisé mon premier projet à la fin des années 1990, lorsque les activités des travailleuses du sexe étaient encore criminalisées en Nouvelle-Zélande. Les recherches ont démontré que la criminalisation des activités des travailleuses du sexe était responsable d'un certain nombre de préjudices. Les travailleuses du sexe dans la rue subissaient des formes de violence de plus en plus graves que celles qui travaillaient à l'intérieur. Elles n'avaient pas le temps, avant de monter dans la voiture, d'évaluer si un client était sûr, car elles avaient peur d'être repérées par la police et accusées de sollicitation.
De plus, nous avons constaté que les travailleuses du sexe dans les salons de massage travaillaient dans des conditions d'exploitation et de coercition extrêmes. Elles ne pouvaient pas se battre pour obtenir de meilleures conditions de travail ni signaler à la police les crimes commis à leur encontre sans s'exposer comme étant impliquées dans une activité illégale. En outre, la police utilisait la présence ou le port de préservatifs dans les salons comme preuve d'activités de prostitution, ce qui décourageait leur utilisation.
Tout cela les rendait extrêmement vulnérables. Les gens savent qu'ils peuvent s'en tirer avec la coercition, l'exploitation et la violence lorsque leurs victimes ont peu accès aux droits juridiques et aux droits de la personne.
Les preuves que nous avons obtenues dans le cadre de nos recherches ont été utiles pour renforcer les arguments en faveur d'un changement dans la manière dont le travail du sexe est légiféré en Nouvelle-Zélande. En 2003, toutes les lois qui criminalisaient les activités liées au commerce du sexe ont été supprimées. L'argument en faveur de la décriminalisation au Parlement était que le travail du sexe n'était pas dangereux en soi, mais que les lois créaient le danger. La décriminalisation a été défendue comme une stratégie de réduction au minimum des préjudices. La Prostitution Reform Act a été adoptée, et ses objectifs déclarés sont les suivants: « protéger les droits de la personne des travailleuses du sexe et les protéger contre l'exploitation: [et] promouvoir le bien-être et la santé et la sécurité au travail des travailleuses du sexe. »
J'ai mené, cinq ans après l'adoption de la loi, une vaste étude qui comprenait une enquête auprès de 772 travailleuses du sexe et des entrevues approfondies avec 57 d'entre elles. Nous avons également estimé le nombre de travailleuses du sexe dans cinq villes de la Nouvelle-Zélande. Cette étude a été financée par le Health Research Council de la Nouvelle-Zélande et le ministère de la Justice.
J'ai été engagée par le ministère de la Justice pour produire un rapport d'évaluation de la loi. Le comité d'évaluation de la prostitution, mis sur pied par le ministère de la Justice, a conclu que la loi avait atteint ses objectifs et que la plupart des travailleuses du sexe s'en tiraient mieux que lorsque leurs activités étaient criminalisées.
Depuis lors, j'ai effectué de nombreuses autres études pour examiner les expériences des travailleuses du sexe qui abandonnent le commerce du sexe, les interactions entre les travailleuses sociales et les jeunes travailleuses du sexe dans la rue, les pratiques d'emploi dans les bordels, les pratiques de travail et la sécurité des travailleuses du sexe sur Internet, les expériences des travailleuses du sexe migrantes qui travaillent en Nouvelle-Zélande et le commerce du sexe dans la rue au sein de la communauté.
L'année prochaine, cela fera 20 ans que le commerce du sexe a été décriminalisé en Nouvelle-Zélande, et je peux affirmer de façon catégorique que les travailleuses du sexe se portent beaucoup mieux maintenant qu'avant, lorsque j'ai entrepris cette première étude dans les années 1990. Il n'y a aucune volonté politique de changer le statu quo. Fait anecdotique, les députés qui ont voté contre la décriminalisation en 2003 disent maintenant que leurs préoccupations n'étaient pas fondées et qu'ils ne seraient pas favorables au changement.
L'exploitation existe dans de nombreuses formes d'emploi — elle ne se limite pas au travail du sexe — mais auparavant, contrairement aux autres travailleurs, les travailleuses du sexe n'avaient aucun recours à la justice. Elles sont maintenant conscientes de leurs droits, ce qui a entraîné un changement de pouvoir entre les exploitants de bordels et les travailleuses du sexe. Certaines travailleuses du sexe ont porté plainte contre des exploitants devant le tribunal des droits de la personne lorsqu'ils ont tenté d'empiéter sur leurs droits. D'autres cas se sont réglés par la médiation. Elles ont le droit de refuser de fournir des services sexuels commerciaux, et le consentement peut être retiré à tout moment durant la transaction. Elles mentionnent aux exploitants les services qu'elles sont prêtes à offrir aux clients, et ceux‑ci en sont informés avant de réserver une travailleuse du sexe particulière. Cela réduit le risque qu'un client ait recours à la violence parce que la travailleuse n'a pas satisfait à ses attentes.
Les travailleuses du sexe dans la rue considèrent que les zones bien éclairées et les caméras de vidéosurveillance rendent leur environnement de travail plus sûr. Elles peuvent prendre leur temps pour évaluer si le client est sobre, s'il n'y a pas d'armes évidentes dans la voiture et si personne d'autre ne se cache sur le siège arrière. Elles peuvent aussi négocier les services qu'elles sont prêtes à fournir avant de monter dans la voiture.
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La relation entre la police et les travailleuses du sexe s'est beaucoup améliorée, et elle n'est plus considérée comme l'ennemie. Les travailleuses du sexe sont plus proactives pour signaler les incidents à la police, et il y a un meilleur dialogue entre les deux. Cela a été facilité par des initiatives de collaboration entre la police et le New Zealand Prostitutes Collective, qui est l'organisation des travailleuses du sexe en Nouvelle-Zélande.
Cela ne veut pas dire que tout est parfait. L'un des aspects où la Prostitution Reform Act a échoué est l'article 19, qui traite de l'application de l'Immigration Act. Selon cet article, aucun permis ne peut être accordé à un non-résident qui fournit ou a l'intention de fournir des services sexuels commerciaux ou qui a l'intention d'exploiter une entreprise sexuelle commerciale ou d'investir dans une telle entreprise.
Les travailleuses du sexe migrantes sont des cibles potentiellement faciles de violence et d'exploitation...
Madame Abel, malheureusement, je dois vous interrompre, mais j'espère que certains des membres vous permettront de répondre à des questions au cours de la période de questions qui s'en vient.
Je vais maintenant inviter Mme Lynzi Armstrong à prendre la parole, pour cinq minutes.
Je m'appelle Lynzi Armstrong et je suis maître de conférences en criminologie à l'Université Victoria de Wellington, en Nouvelle-Zélande.
Ma recherche porte sur l'incidence des lois sur les droits, la sécurité et le bien-être des travailleuses du sexe, et j'ai commencé mes recherches en Nouvelle-Zélande en 2007. Je vais parler de la décriminalisation du travail du sexe en Nouvelle-Zélande, en m'appuyant sur des recherches et des exemples de cas qui mettent en évidence ses conséquences. J'aborderai également les limites de la législation.
La Nouvelle-Zélande a décriminalisé le travail du sexe en 2003 avec l'adoption de la Prostitution Reform Act. L'objectif de cette loi était de mieux soutenir la santé et la sécurité au travail des travailleuses du sexe, et la législation a été rédigée avec la contribution des travailleuses du sexe, le New Zealand Prostitutes Collective ayant participé à la rédaction des versions précédentes de la législation.
Depuis l'adoption de la loi en 2003, plusieurs études ont mis en évidence les effets positifs de la décriminalisation en Nouvelle-Zélande. La recherche menée par Gillian Abel et ses collègues pour évaluer les répercussions de la loi après son adoption a révélé que la plupart des participantes estimaient avoir plus de droits et être plus à même de refuser de voir des clients depuis que la loi avait changé. Plusieurs ont également estimé que l'attitude de la police à leur égard s'était améliorée.
Des recherches ultérieures que j'ai entreprises avec des travailleuses du sexe ont révélé que les relations entre les travailleuses du sexe dans la rue et la police se sont améliorées et que la décriminalisation soutient mieux les stratégies en matière de sécurité des travailleuses du sexe dans la rue. Puisque ni les travailleuses du sexe ni leurs clients ne sont criminalisés, les interactions peuvent être menées ouvertement, et les conversations peuvent être explicites, ce qui permet aux travailleuses du sexe de prendre leur temps pour sélectionner des clients.
Dans ma recherche la plus récente en Nouvelle-Zélande, la plupart des 46 travailleuses du sexe que nous avons interrogées ont dit qu'elles se sentaient plus autonomes et en contrôle dans leur travail dans un cadre décriminalisé, et une écrasante majorité d'entre elles ont dit que la décriminalisation avait eu des répercussions positives sur leur bien-être.
Même si les clients des travailleuses du sexe restent une population peu étudiée en Nouvelle-Zélande, une étude qualitative portant sur 12 clients de travailleuses du sexe a montré que les personnes interrogées étaient au courant des droits des travailleuses du sexe et faisaient preuve de respect pour ces droits dans la manière dont ils décrivaient leurs interactions.
Les effets positifs de la décriminalisation ont également été mis en évidence dans plusieurs affaires judiciaires très médiatisées. Par exemple, en 2014 et en 2020, des travailleuses du sexe ont gagné des procès pour harcèlement sexuel dans le cadre de leur travail, et en 2021, un homme qui avait secrètement retiré son préservatif lors d'un rapport sexuel avec une travailleuse du sexe a été condamné pour viol.
Même si les travailleuses du sexe peuvent encore subir de la violence dans le contexte de la décriminalisation, le cadre juridique soutient mieux leur stratégie de sécurité et renforce l'accès à la justice pour les personnes qui ont des expériences négatives. Ainsi, les données actuelles indiquent de manière écrasante que la décriminalisation du travail du sexe a eu des effets positifs sur les travailleuses du sexe.
La recherche effectuée en Nouvelle-Zélande au cours des vingt dernières années m'a amenée à conclure que la décriminalisation complète est le modèle législatif qui soutient le mieux la sécurité, les droits et le bien-être des travailleuses du sexe.
Si les avantages ont été nombreux, le modèle de décriminalisation en Nouvelle-Zélande a également des limites. L'article 19 de la Prostitution Reform Act interdit aux migrants temporaires de travailler dans l'industrie du sexe, même si une personne est titulaire d'un visa qui lui permet de travailler. Cela signifie que les migrants temporaires qui travaillent dans l'industrie du sexe le font illégalement et ne profitent pas des protections que la Prostitution Reform Act accorde aux résidents permanents et aux citoyens. Leur statut illégal les empêche de signaler les expériences négatives, de crainte d'être expulsés en cas de signalement aux autorités. La stigmatisation est aussi un problème persistant, et il n'existe pas de protection légale contre la discrimination des travailleuses du sexe en raison de leur travail en Nouvelle-Zélande.
Le cadre juridique serait renforcé par l'abrogation de l'article 19 de la Prostitution Reform Act, afin que les travailleurs migrants bénéficient des mêmes droits et protections que les autres travailleurs. Une protection juridique contre la discrimination serait également bénéfique aux travailleuses du sexe dans ce contexte.
Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer aujourd'hui et je répondrai volontiers à vos questions.
Je remercie le Comité de m'avoir invitée à participer à ces travaux.
Comme vous le savez, je suis professeure de droit à l'Université de la Colombie‑Britannique et membre du barreau de cette province.
En me fondant sur une analyse de l'égalité des sexes, j'ai plaidé en faveur des infractions au Code criminel contre les acheteurs et les proxénètes masculins qui ont été ajoutées au Code criminel en 2014, et je crois qu'elles doivent être appliquées de façon cohérente, au même titre que la sensibilisation du public et le soutien des personnes prostituées. Ce modèle d'égalité asymétrique a été adopté, comme vous le savez, par un certain nombre de pays avec succès et a été lancé par les pays nordiques, qui sont les pays les plus égalitaires du monde.
Dans le bref temps qui m'est imparti pour ma déclaration liminaire, je ferai trois remarques simples. La première, c'est que l'industrie de la prostitution est structurée comme une pratique d'inégalité sexuelle, et aussi d'inégalité raciale et d'inégalité entre les classes. Cette réalité est continuellement occultée par le recours au langage clinique non discriminatoire de la travailleuse du sexe et du client, du gérant et de l'exploitant tiers. La réalité, c'est que ce sont les hommes qui achètent; ils achètent des femmes et des filles, parfois des garçons, d'autres hommes et des personnes transgenres. Les femmes et les filles que les hommes achètent pour avoir des relations sexuelles dans ce pays sont, de manière disproportionnée, jeunes, autochtones et pauvres, et c'est sur elles que nous devons concentrer nos efforts législatifs. Nous le savons tous. Pourtant, on vous demande de décriminaliser l'achat de services sexuels, le proxénétisme et l'obtention de services sexuels.
Je vous demande: que se passera‑t‑il lorsqu'il n'y aura pas assez de femmes canadiennes qui auront recours à la prostitution pour répondre à cette demande légalisée et validée? Ce qui se passera, c'est que nous ferons le trafic de femmes pour les prostituer; nous arracherons des filles à l'État et importerons des femmes de la réserve inépuisable de femmes pauvres d'autres pays. Toutes ces choses se produiront si la demande est légalisée. Le Canada n'est pas une île isolée; c'est un pays qui partage une large frontière terrestre poreuse avec des centaines de millions d'hommes américains qui profiteront également de ce marché légalisé.
La deuxième remarque que je veux faire aujourd'hui, c'est que le silence des clients devant le Comité est assourdissant. La pièce maîtresse des amendements de 2014 est la criminalisation directe de l'achat de services sexuels. Malgré cela et malgré le fait que les clients sont beaucoup plus nombreux que les personnes qui se prostituent, ils restent largement invisibles. Ils ne comparaissent pas devant le Comité pour défendre leur insistance à pouvoir acheter des relations sexuelles à la demande d'une femme qui n'en veut pas et qui ne veut que l'argent dont elle a besoin. Au lieu de cela, ils se cachent derrière les femmes et la prostitution et déplacent l'attention sur elles, comme si leur demande était en quelque sorte naturelle et immuable comme les marées ou les saisons. Ils peuvent se cacher derrière les préoccupations concernant la sécurité même des femmes auxquelles ils font du mal. Nous pouvons reconnaître la décision des femmes de se lancer dans le commerce du sexe, quelles que soient les contraintes auxquelles elles sont confrontées, sans valider le choix de ces hommes d'acheter des services sexuels.
Enfin, je dirais que c'est le droit sexuel des hommes qui est à l'origine de l'achat de services sexuels. Il s'agit d'un obstacle majeur à l'égalité des femmes au Canada, de façon générale; nous criminalisons les agressions sexuelles, mais plus de 99 % des agressions sexuelles n'entraînent aucune conséquence pénale pour l'auteur des agressions. Le mouvement Me Too n'est que la plus récente expression de décennies d'organisation contre l'impunité de la violence sexuelle masculine, impunité qui alimente le droit sexuel des hommes.
Je dirais au Comité, et en fait, je l'ai dit dans mon mémoire, que la prostitution elle-même est une forme de harcèlement sexuel dans lequel le fait d'être tripoté ou autrement utilisé sexuellement devient une condition de travail. Nous reconnaissons qu'il s'agit d'une violation des droits de la personne des femmes dans d'autres domaines, mais nous ne semblons pas le reconnaître pour la prostitution. Lorsque l'on demande aux hommes qui achètent des services sexuels ce qui les arrêterait, ils répondent invariablement le risque réel de punition et de publicité. Je ne veux pas légitimer le droit sexuel des hommes. Je ne veux pas permettre aux hommes d'acheter une femme asiatique soumise, une femme autochtone, pour réaliser leurs fantasmes coloniaux ou une sorte de rencontre sexuelle de groupe comme rituel d'attachement masculin avec leurs amis. Dire aux hommes qu'ils peuvent faire cela sans conséquences ne rend pas les femmes en sécurité et ne les rend pas égales. La diminution de la demande, si.
Parler de la façon de rendre les choses un peu moins mauvaises pour un petit sous-ensemble de femmes que ces hommes achètent, c'est passer complètement à côté de l'essentiel. Nous pouvons et devons faire mieux pour les femmes canadiennes que ce marché masculin illimité du corps des femmes. La liberté et l'égalité de toutes les femmes canadiennes en dépendent.
Je suis une avocate criminaliste établie à Toronto. J'ai aussi travaillé en tant qu'escorte indépendante, avant et après l'adoption de la LPCPVE, en faisant de la publicité en ligne et en m'occupant d'appels entrants et sortants.
Un tribunal unanime de la Cour d'appel de l'Ontario, dans la récente décision R. c. N.S., publiée en février dernier, a conclu que la majorité des dispositions pénales de la LPCPVE étaient constitutionnelles et ne violaient pas l'article 7 et les alinéas 2b) et 2d) de la Charte. Pour moi, la décision était logique, étant donné les limites de la jurisprudence relatives à cette législation. La question ultime est de savoir si les interdictions pénales sont conformes à l'article 7, même si les dispositions ne font rien pour atteindre leur but ou l'objectif global de la loi, qui est censé être l'éradication de toute prostitution. Par conséquent, à mon avis, une action législative est nécessaire pour tout changement important.
J'ai eu un peu de mal avec ce que j'allais dire aujourd'hui, parce que la vérité, c'est que les travailleuses du sexe indépendantes comme moi ont probablement plus de liberté pour vendre des services sexuels actuellement en vertu de la LPCPVE que dans un secteur réglementé. J'ai vu ce que la Loi sur le cannabis a fait aux petits producteurs et je crains que les travailleuses du sexe indépendantes ne soient confrontées à des défis semblables dans un environnement réglementé.
Personnellement, je ne vois aucune différence dans le secteur entre ce qu'il était avant l'adoption des lois et ce qu'il est devenu après. Les hommes continuent de payer pour du sexe avec autant d'empressement que dans le passé. Les tiers comme les agences d'escortes ont continué de fonctionner. J'ai pu faire de la publicité et de la sélection tout aussi efficacement qu'auparavant. Cependant, même si peu de choses ont changé pour moi, il y a d'autres raisons pour lesquelles je pense que certaines des dispositions pénales devraient être abrogées.
L'an dernier, j'ai travaillé sur un appel interjeté en vertu de l'article 286.1 et j'ai pu voir de mes propres yeux comment la police s'y prenait pour appliquer des lois contre les clients. Cela dépendait en grande partie du fait de savoir si vous viviez dans une ville métropolitaine progressiste, où la police doit se concentrer sur des crimes réels, ou dans une ville rurale moins peuplée, où la police est plus motivée pour procéder à des arrestations. Si vous ne parlez pas très bien l'anglais, vous connaissez moins le savoir-faire de l'industrie, qui consiste à discerner les vraies annonces des fausses. Les coups montés sont exclusivement relégués aux sites de petites annonces comme LeoList, où les tarifs moyens sont moins chers et où les réservations à la demi-heure et au quart d'heure sont plus courantes. Essentiellement, les personnes qui ont la malchance d'être arrêtées ont tendance à être moins instruites, moins blanches et moins aisées, ce qui reflète les tendances du système de justice pénale.
Plusieurs tribunaux ont jugé inconstitutionnelles les peines minimales obligatoires prévues par la loi. Les peines prévues à l'article 286.1 commencent par une amende de 500 $ pour une première infraction punissable par procédure sommaire. Cela signifie que, à moins que la Couronne accepte de retirer l'accusation, vous aurez un casier judiciaire à vie et vous ferez face à des obstacles importants pour obtenir un emploi dans l'avenir, sans mentionner que, selon la logique de cette loi, vous êtes maintenant considéré comme un prédateur sexuel responsable de l'exploitation de femmes sans défense. Paradoxalement, cela signifie aussi que vous pouvez agresser une travailleuse du sexe et potentiellement ne pas avoir de casier judiciaire, mais pas si vous aviez simplement établi un contact avec elle ou payé pour les services qu'elle offrait volontairement.
L'injustice de cette loi est superficielle, et il n'est pas nécessaire d'avoir un diplôme en droit pour la comprendre. Est‑il correct de criminaliser des gens qui achètent quelque chose que d'autres vendent joyeusement et légalement? Est‑il correct de donner aux services de police le pouvoir discrétionnaire d'appliquer une loi qui peut ruiner la vie et la carrière des gens? Le fait est que le droit pénal n'a jamais dissuadé les hommes de vouloir payer pour des services sexuels. Ce n'est certainement pas le cas aux États‑Unis, où les travailleuses du sexe canadiennes se rendent régulièrement pour travailler illégalement afin d'avoir accès à la forte demande dans ce pays.
Le mouvement pour les droits des travailleuses du sexe a pris beaucoup d'ampleur depuis l'adoption de cette loi. Plus les travailleuses du sexe gagnent en visibilité dans la société, plus il est difficile pour quiconque de continuer de prétendre à juste titre que nous ne faisons pas seulement du commerce consensuel, mais que nous le préférons aussi à d'autres formes de travail.
Il y a beaucoup d'hystérie et d'exagération de part et d'autre du débat, et à mon avis, il y a de bonnes raisons politiques d'avoir une industrie légalisée et réglementée qui interdit les entreprises commerciales cherchant à profiter de tierces parties. Cependant, je peux dire sans aucun doute que la logique interne de la LPCPVE, qui prétend qu'il y a une exploitation inhérente à la prostitution, est déficiente. Je n'en ai certainement jamais fait l'expérience, et le fait que le modèle de demande finale traite toutes les travailleuses du sexe comme des victimes est davantage un affront à notre dignité que le travail du sexe ne l'a jamais été.
La LPCPVE devrait donc être abrogée dans son intégralité en raison des hypothèses inexactes intégrées dans son préambule et son histoire législative. Si le Parlement n'est pas disposé à réécrire les lois, il y a certaines recommandations que je ferais et sur lesquelles je pourrai revenir plus tard, comme l'abrogation particulière de certaines parties des lois sur l'achat et la publicité.
Je me trouve sur le territoire traditionnel des Premières Nations signataires du Traité no 6 et du peuple métis de la Zone IV.
Je réside dans un quartier d'une collectivité d'Edmonton-Centre qui est directement touchée par l'exploitation sexuelle commerciale, le trafic de la drogue, la pauvreté et l'itinérance. Je suis directrice exécutive du Centre to End All Sexual Exploitation.
Cette organisation est née des expériences des habitants du quartier qui ont travaillé en collaboration avec des organismes de sensibilisation dans la rue, des organismes d'hébergement sécuritaire, les forces de l'ordre et les procureurs de la Couronne, les parents dont les filles et les fils ont été exploités, les parents dont les filles ont été assassinées, ainsi qu'avec les femmes et les hommes qui ont survécu aux années où ils étaient victimes d'exploitation sexuelle commerciale. Ils voulaient contribuer à changer les conditions qui sont à l'origine de la souffrance.
À l'une de nos réunions, nous nous sommes posé la question suivante: quelle activité cause le plus de tort au plus grand nombre de personnes? Nous avons tous dit que c'était les hommes en maraude dans notre quartier. Ils s'en prenaient aux enfants et aux adultes vulnérables et les exploitaient. Ils harcelaient les enfants sur le chemin de l'école. Ils abordaient les femmes qui attendaient l'autobus ou qui se rendaient tout simplement dans les magasins du coin.
Ensemble, nous avons défendu notre cause auprès de notre conseil municipal et auprès du ministre de la Justice pour faire face aux multiples répercussions de ces comportements et réduire les préjudices en demandant des comptes aux responsables. Notre police s'est donné comme priorité d'interrompre les activités d'exploitation en portant des accusations contre les acheteurs de services sexuels, les proxénètes et les trafiquants d'êtres humains.
Nous avons demandé plus de soutiens et de services pour les enfants, les jeunes, les femmes, les hommes, les personnes transgenres et les personnes bispirituelles. Ensemble, nous avons créé le programme des délinquants sexuels pour les délinquants qui en sont à leur première accusation liée au commerce du sexe et qui n'ont aucun antécédent de violence envers les femmes ou les enfants. Les objectifs sont de fournir des informations exactes sur les lois et la santé sexuelle, de renseigner les gens sur la dynamique de l'exploitation sexuelle, l'industrie du sexe et le trafic sexuel, et d'encourager l'empathie en racontant les conséquences sur les mères dont les filles ont été assassinées et les survivantes de l'exploitation sexuelle commerciale, quel que soit le lieu. Deux hommes, d'anciens acheteurs de services sexuels, coaniment les séances où il est question de la masculinité saine, des relations respectueuses, de la dépendance au sexe et à la pornographie et des étapes à suivre pour changer de vie.
Le ministère de la Justice a désigné ce programme Programme de mesures de rechange à l'intention des adultes et a fixé des frais équivalents aux amendes imposées par le tribunal. Il a décidé que les fonds générés seraient reversés à la collectivité pour aider à réparer les préjudices, car c'est la collectivité qui avait sensibilisé la police, les leaders du gouvernement et le public.
Ensemble, en écoutant les femmes de notre comité qui avaient été victimes d'exploitation sexuelle, nous avons établi des priorités: la lutte contre la pauvreté, le rétablissement après un traumatisme, des bourses d'études et la sensibilisation du public
C'est une forme d'investissement dans la guérison, la justice et la transformation. Alors que notre pays est en train d'assumer les répercussions de son histoire coloniale, nous devons reconnaître que le Canada avait dans le passé des lois injustes qui ont été discriminatoires envers les femmes en particulier, envers les personnes vivant dans la pauvreté, celles qui font partie de la communauté 2SLGBTQ et les Autochtones.
La LPCPVE n'est pas une de ces lois injustes. Comme toutes les lois, elle doit faire l'objet d'un examen et être améliorée. La LPCPVE, avec un investissement social, peut transformer notre société. Nous pouvons respecter les droits des personnes qui se disent travailleuses du sexe émancipées qui contrôlent davantage leur environnement de travail. La LPCPVE permet de le faire. Les personnes qui vendent elles-mêmes leurs services sexuels sont décriminalisées et échappent à la prostitution.
Nous pouvons protéger les droits des victimes de la traite de personnes et d'exploitation sexuelle commerciale. La LPCPVE est alignée sur nos lois sur la traite des personnes et vise à réduire la demande qui alimente le modèle d'affaires de la traite, consistant à acheter et à vendre des enfants et des adultes — essentiellement des femmes — pour générer des profits. Cela fait partie de la responsabilité du Canada en tant que signataire du Protocole de Palerme.
Nous devons faire appliquer plus rigoureusement les dispositions sur l'achat. Les acheteurs peuvent rarement faire la différence entre un enfant et un adulte victimes de la traite, ou entre un participant occasionnel au commerce du sexe et un travailleur du sexe émancipé. Nous pouvons défendre les droits des personnes prises au piège de l'exploitation sexuelle commerciale en améliorant leur situation socioéconomique et en leur fournissant des ressources pour qu'elles guérissent, s'en sortent et créent un avenir meilleur, qu'elles souhaitent pour elles-mêmes et leurs familles.
La LPCPVE ne peut pas y parvenir sans investissement social et sans la sensibilisation du public. Nous pouvons améliorer la LPCPVE et augmenter les investissements sociaux et faire un nouvel examen dans 5 à 10 ans pour voir les progrès réalisés.
Merci, monsieur le président, et merci aux témoins.
Je vais poser mes questions à Mme Benedet.
Madame Benedet, selon vous, la LPCPVE cherche‑t‑elle à cibler la source du préjudice, à savoir les acheteurs de services sexuels et les gens qui en profitent?
Je pense qu'il y a deux ou trois façons d'y répondre. Il est assez clair que la Loi n'est pas appliquée dans tout le pays de manière uniforme. Dans certaines administrations — et je vois qu'il y a vraiment un élan dans cette direction, en particulier au Manitoba —, la Loi est appliquée. Dans d'autres administrations, comme dans ma propre ville, Vancouver, on refuse délibérément d'appliquer la Loi. En ce qui concerne la question de savoir si la Loi est en fait appliquée, et si elle l'est de manière uniforme dans tout le pays, la réponse est non.
Maintenant, pour ce qui est des endroits où la Loi est appliquée, et des effets de son application, il y en a deux. Le premier, c'est que la Loi agit de concert avec les dispositions relatives à la traite des personnes pour offrir à la police et aux procureurs un autre outil dans les cas d'exploitation.
L'autre effet, c'est que les attitudes commencent à changer. La Cour d'appel du Manitoba a récemment condamné un homme à une peine d'emprisonnement de cinq ans pour avoir acheté une fille âgée de 16 ans à des fins de prostitution. Cela repose sur l'idée que l'achat d'un autre être humain à des fins sexuelles est en soi une infraction contre la personne. Nous voyons que Winnipeg a décidé d'interdire les salons de massage, en raison de leur lien avec la traite de personnes. Encore une fois, cela repose sur cette reconnaissance du fait qu'il est illégal d'acheter un autre être humain à des fins sexuelles.
Voilà mes observations, mais j'aimerais que cette disposition soit appliquée de manière plus uniforme dans tout le pays, et qu'il n'y ait pas cette sorte de distinction artificielle selon laquelle si une fille âgée de 16 ans atteint l'âge de 18 ans, l'application de la Loi tombe, d'une manière ou d'une autre.
Un certain nombre de témoins ont noté que la question de l'application inégale de la Loi, en particulier en Colombie-Britannique, était une préoccupation majeure.
Auriez-vous des recommandations sur la façon dont cela peut être réglé, eu égard aux questions de compétence?
Laissons de côté les questions de compétence; il y a quelque chose d'un peu inquiétant dans le fait que les forces de police prennent l'initiative de déclarer simplement qu'elles n'appliqueront pas certains articles du Code criminel. Les forces de police peuvent assurément avoir leurs priorités en matière d'application de la loi, mais si des gens se présentent à elles pour déposer une plainte, elles doivent être prêtes à réprimer ces infractions.
Nous savons que la menace de poursuite en bonne et due forme est un outil efficace. Si nous disons maintenant aux clients « c'est bon, allez‑y, nous n'allons pas vous poursuivre », c'est un message très troublant.
J'aimerais qu'il y ait une déclaration disant que ce n'est tout simplement pas le cas. C'est une infraction contre la personne. Si la police disait « nous n'allons pas appliquer les lois relatives aux agressions au Canada, car nous pensons qu'elles sont utiles ou qu'elles ne sont pas une priorité pour nous », nous serions véritablement préoccupés.
Madame Benedet, pourriez-vous nous parler des expériences des autres pays, comme le Danemark, l'Allemagne, la Nouvelle-Zélande, les Pays-Bas et ainsi de suite, qui ont adopté une approche très différente? C'est une question générale.
Deux témoins de la Nouvelle-Zélande ont présenté la Nouvelle-Zélande comme un modèle. Elles ont dit que cela fonctionnait. Je note que, selon le rapport sur la traite des personnes du Département d'État des États-Unis, la Nouvelle-Zélande a glissé dans la catégorie des pays de niveau intermédiaire, en raison de l'augmentation de la traite des personnes et de la traite des enfants à des fins sexuelles.
Oui, et il est important de noter que, dans l'ancien régime auquel faisaient référence les témoins, les prostituées elles-mêmes étaient poursuivies au criminel, et c'était en fait la priorité en matière d'application de la loi. La Nouvelle-Zélande n'a pas fait l'expérience d'un modèle asymétrique de criminalisation.
Je noterais que, dans des pays comme l'Allemagne et les Pays-Bas, il semble que les gens, même ceux qui défendaient le commerce du sexe, reconnaissent de plus en plus que ces modèles ont largement échoué. C'est devenu en fait un exercice de confinement qui consiste à déplacer le commerce du sexe vers des zones plus isolées de la ville, par exemple installer des cabines en béton à la périphérie d'Utrecht, où les gens peuvent aller en voiture pour effectuer des transactions.
L'Allemagne s'efforce de réduire les pires excès du marché. Par exemple, dans les maisons closes, il y avait un commerce dynamique consistant à payer un montant fixe pour obtenir les services sexuels illimités d'une femme — les hommes prenaient des médicaments contre le dysfonctionnement érectile —, pendant un temps donné.
Nous continuons d'entendre parler de ces scandales que le marché commercial provoque. Des tentatives ont été faites pour les réduire, mais en fin de compte, la condition fondamentale, les hommes qui achètent des femmes à des fins sexuelles, demeure, tout simplement. Je pense que les gens qui plaident en faveur de la décriminalisation diraient eux-mêmes qu'il y a de graves violations des droits de la personne en Allemagne et aux Pays-Bas. Le marché du sexe au Danemark est 10 fois plus important que celui de la Suède, par rapport à la population. Nous savons que la demande augmente et, avec elle, toutes les violations des droits fondamentaux des femmes qui en découlent.
J'adresserai principalement mes questions aux témoins de la Nouvelle-Zélande. Merci beaucoup de vous être jointes à nous.
Avant de commencer, madame Abel, je sais que vous n'avez pas pu finir votre exposé. J'ai six minutes. Je suis prêt à vous laisser environ une minute si vous avez quelques observations finales à faire avant que je ne vous pose des questions, à vous et à Mme Armstrong.
Je voulais simplement dire qu'il y a une abondance de preuves empiriques, dans le monde entier, qui montrent que la criminalisation, sous toutes ses formes — que ce soit la criminalisation du travail du sexe ou de certains secteurs de l'industrie, quand la légalisation fait que c'est seulement légal dans les maisons closes ayant des permis et que toutes les autres personnes sont criminalisées et [difficultés techniques] des parties comme le modèle nordique —, n'atteint pas les objectifs déclarés et cause beaucoup de tort aux travailleurs et travailleuses du sexe.
La politique est susceptible de disparaître si elle n'est pas acceptable pour les personnes qu'elle touche, parce qu'elles n'ont pas été consultées. Elle les pousse à travailler dans la clandestinité où elles sont exposées à plus de danger. C'est principalement la raison de l'échec des politiques axées sur le travail du sexe. Le travail du sexe est conçu d'une manière qui n'a aucun sens pour la plupart des personnes qui exercent cette profession, mais les sanctions que la politique impose leur causent beaucoup de tort. La meilleure façon d'élaborer une politique acceptable et efficace est de l'élaborer en collaboration avec les travailleurs et travailleuses du sexe. Les preuves empiriques de la Nouvelle-Zélande et [difficultés techniques] ont montré [difficultés techniques] est la seule approche législative qui montre que les travailleuses du sexe se portent mieux depuis son entrée en vigueur.
C'est sur cela que je voulais finir. Merci de m'en avoir donné l'occasion.
Madame Abel, je vais commencer par vous. Plus tôt, vous avez dit que cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi, une étude avait été réalisée, par vous, je crois. Vous avez constaté que les travailleuses du sexe se portaient mieux. Je crois que ce sont les mots que vous avez utilisés.
Pouvez-vous nous dire quels indicateurs vous avez utilisés pour arriver à la conclusion qu'elles se portaient mieux? En quoi leur situation s'était-elle améliorée? Est‑ce qu'on parle de santé et sécurité au travail? De leur sécurité personnelle, de leur santé, etc.?
Nous avons constaté qu'elles pouvaient refuser de voir des clients, si elles ne le voulaient pas. Elles n'étaient pas forcées par un bordel de voir des clients, comme cela arrivait avant. Le nombre de travailleuses du sexe n'a pas augmenté. Je pense que beaucoup de gens croyaient qu'il allait y avoir une augmentation énorme du nombre de travailleuses du sexe dans l'industrie, mais, selon notre estimation, il n'y a eu aucune augmentation. Nous avons constaté qu'un plus grand nombre de gens étaient susceptibles de faire des signalements à la police, et que, de façon générale, les gens comprenaient leurs droits et qu'ils n'avaient pas à supporter la contrainte, l'exploitation et la violence.
Une des préoccupations qui ont été portées à l'attention du Comité, dans le cadre de notre examen de la loi, est ce qui serait, à mon avis, un amalgame entre la traite de personnes et le travail du sexe. On avance toujours l'argument que c'est, d'une façon ou d'une autre, la même chose, et qu'une loi comme la nôtre doit être maintenue pour empêcher la traite de personnes.
Pouvez-vous nous parler de l'expérience de la Nouvelle-Zélande, de la façon dont le travail du sexe est traité à l'aide de la décriminalisation, et de la façon dont on s'attaque au problème de la traite de personnes?
Je pense que je vais commencer par Mme Abel. J'aimerais aussi entendre ce que Mme Armstrong a à dire là‑dessus.
Nous n'avons eu aucun cas de travailleuses du sexe qui sont entrées en Nouvelle-Zélande victimes de la traite de personnes. Nos seuls cas de traite de personnes ont eu lieu dans l'industrie horticole. Nous avons des lois contre la traite de personnes, et nous pourrions intervenir contre la traite de personnes en vertu de ces lois, peu importe l'industrie. Nous n'avons pas besoin d'une politique ciblant précisément le travail du sexe pour intervenir contre la traite de personnes.
En Nouvelle-Zélande, nous avons eu des cas de facilitation impliquant des jeunes, et cela a été catégorisé comme étant de la traite de personnes. Sous le régime de la loi sur la réforme de la prostitution, nous criminalisons les tiers qui utilisent les services de [difficultés techniques] devant les tribunaux pour cela.
Peut-être que Mme Armstrong a quelques commentaires.
Monsieur Fortin, selon le personnel technique, c'est la connexion. Nous ne pouvons pas faire grand-chose, parce que cela vient de la Nouvelle-Zélande. Nous devrons faire preuve de patience.
Madame Armstrong, peut-être pourriez-vous essayer de parler un peu plus lentement, afin que nos interprètes puissent vous comprendre; avec un peu de chance, cela évitera le décalage.
On pourrait lui demander de parler plus lentement et peut-être même de parler en français. Il n’y aurait plus vraiment de problème pour ce qui est de l'interprétation. Ce serait équitable pour tout le monde.
Je crois que la différence tient au fait que, en Nouvelle-Zélande, le travail du sexe est défini comme du travail, alors c'est très facile pour nous de faire la distinction entre la traite de personnes et le travail du sexe, tout comme on peut faire la distinction entre toute forme de travail et la traite de personnes.
On sait qu'il peut y avoir de la traite de personnes dans le contexte de n'importe quelle forme de travail. Comme l'a fait remarquer Mme Abel, nous n'avons eu aucun cas de traite de personnes en Nouvelle-Zélande. Nous avons des mesures de protection en vertu de nos lois sur la traite de personnes, qui protègent aussi les jeunes contre l'exploitation dans le contexte du travail du sexe. Comme Mme Abel l'a dit, il y a eu des condamnations par rapport à cela.
Notre plus grande préoccupation en Nouvelle-Zélande présentement, pour ceux et celles d'entre nous qui veulent que le travail du sexe soit plus sécuritaire et que les travailleuses du sexe soient mieux protégées, c'est l'article 19 de la loi sur la réforme de la prostitution, parce que cela a fait que les étrangers qui sont ici travaillent illégalement. Il est donc très difficile pour eux de porter plainte s'ils sont exploités. Pour mieux protéger les gens contre la traite de personnes, ce serait très important d'abroger l'article 19.
Je trouve que les témoignages des deux témoins de la Nouvelle-Zélande sont vraiment intéressants.
Je voudrais remercier les témoins, qui sont à l’autre bout du monde, d’avoir pris la peine de participer aux travaux de notre Comité aussi tôt. En effet, il est 8 h 15 en Nouvelle-Zélande.
Je m'intéresse à la situation en Nouvelle-Zélande en ce qui concerne le travail du sexe parce que les lois de ce pays sont un peu différentes de celles qui sont appliquées ici, au Canada.
Mmes Abel et Armstrong, vous avez sûrement constaté qu'il y avait des différences en matière de législation en entendant les autres témoins.
J'aimerais avoir vos observations à ce sujet, et j'inviterais Mme Abel à me répondre en premier.
Madame Abel, vous avez une expérience en recherche dans le domaine du travail du sexe en Nouvelle-Zélande et vous voyez un peu ce qui se passe ici, au Canada.
À votre avis, qu’est-ce qui explique que beaucoup d’intervenants ici, au Canada, tant du milieu du travail du sexe que du milieu communautaire de la santé, préconisent le maintien du modèle nordique actuel plutôt que d’opter pour une décriminalisation du travail du sexe?
Selon vous, qu’est-ce qui explique cette différence entre les approches des deux pays?
Madame Abel, je vous remerciais tout d'abord d'être avec nous aujourd'hui. En effet, il est tôt chez vous.
Je disais que des témoins du Canada nous ont fait part de leur préférence pour le modèle nordique, notre modèle actuel.
Plusieurs personnes ont des réticences pour ce qui est de la décriminalisation, tandis que d'autres pensent qu'il faudrait privilégier cette solution.
J'aimerais connaître votre point de vue à ce sujet.
Selon vous, qu'est-ce qui peut expliquer ces craintes quant à la décriminalisation et la préférence pour le maintien au Canada du modèle actuel, c'est-à-dire le modèle nordique?
Les gens qui préconisent le modèle nordique se voient parfois accorder plus d'attention lors des débats. Je ne sais pas vraiment pourquoi. Dans divers pays, il semble que ces opinions l'emportent sur les données empiriques. On aimerait bien croire que les politiques s'appuient sur des données, mais ce n'est pas le cas dans de nombreux pays du monde, quand il est question du travail du sexe.
Oui, je crois sincèrement que c'est la meilleure façon de traiter la question. Selon les études canadiennes et même celles des autres pays nordiques, le travail du sexe continue de se faire dans la clandestinité. Ces personnes veulent continuer à travailler. Il y a [difficultés techniques]. Cela n'a pas diminué [difficultés techniques]. Les travailleuses du sexe sont désavantagées, parce qu'elles essaient de protéger leurs clients.
Si le Canada décidait de se tourner vers la décriminalisation et d'adopter un modèle un peu semblable à celui que vous avez en Nouvelle‑Zélande, quelles seraient vos recommandations?
Devrions-nous tout de même réglementer un peu le travail du sexe ou faudrait-il le laisser complètement libre?
En Nouvelle-Zélande, nous avons la loi sur la réforme de la prostitution. Nous n'avons pas simplement annulé toutes les lois pour décriminaliser le travail du sexe. La loi sur la réforme de la prostitution comprend des mesures de protection qui, à mon avis, sont très utiles, parce qu'elles permettent aux travailleuses de changer d'idée et de briser un contrat quand quelque chose ne va pas. Ce n'est pas parce qu'elles consentent, au début, à faire quelque chose qu'elles ne peuvent pas refuser plus tard.
Il y a certains points dans la loi [difficultés techniques] travailleuses du sexe, et elles n'ont pas droit au délai habituel, si elles décident de quitter le travail du sexe avant de pouvoir retirer [difficultés techniques] article de la loi. Cependant, si j'avais à changer quelque chose, j'abrogerais l'article 19, parce qu'il expose les travailleuses du sexe migrantes à de graves préjudices. Elles travaillent encore dans la clandestinité en Nouvelle-Zélande, parce que c'est le seul travail, parmi tous les autres, qu'elles ne peuvent pas faire avec un visa de travail. Nous savons que les migrantes qui sont travailleuses du sexe sont exploitées, et elles ne portent pas plainte à la police parce qu'elles ne veulent pas être expulsées.
Plus tôt, votre collègue Mme Armstrong, ou un autre témoin, nous a dit que l'on distinguait le travail du sexe de la traite de personnes en Nouvelle‑Zélande, et qu'il s'agissait de deux choses différentes. Évidemment, nous le comprenons aisément.
Ce témoin a ajouté que vous protégiez bien les jeunes et les travailleurs et travailleuses du sexe pour éviter qu'ils soient victimes de la traite de personnes.
J'aimerais que vous me parliez un peu de ces mesures de protection.
Comment faites-vous pour bien protéger la population contre la traite de personnes?
Nous n'avons jamais eu aucune victime de la traite de personnes introduite en Nouvelle-Zélande. Les seuls cas de traite de personnes qui sont survenus concernaient des jeunes de moins de 18 ans. Sous le régime de la loi sur la réforme de la prostitution, les jeunes de moins de 18 ans ne sont pas criminalisés, mais quiconque essaie... que ce soit un client, l'exploiteur du bordel qui emploie une personne de moins de 18 ans ou quiconque facilite [difficultés techniques] est assujetti au droit criminel.
Merci beaucoup, monsieur le président, et merci à toutes les témoins d'être avec nous aujourd'hui.
Au cours des audiences, nous avons souvent entendu dire qu'il pourrait y avoir des effets dévastateurs si nous abrogions la LPCPVE et ses interdictions. Les effets habituellement invoqués sont une augmentation de la demande dans l'industrie du sexe, une augmentation de la violence, une augmentation de l'exploitation et une augmentation des crimes contre les enfants.
Même si rien de tout cela n'a été constaté dans les régions du Canada où la loi n'est pas appliquée, je voulais demander à nos témoins de la Nouvelle-Zélande — et encore une fois, je sais que vous en avez parlé très clairement — si vous aviez constaté ces résultats supposément inévitables, à la suite de la décriminalisation en Nouvelle-Zélande?
Compte tenu de tout ce que j'ai observé, lu et entendu au cours des années où j'ai étudié le travail du sexe, je peux affirmer hors de tout doute que je n'ai constaté aucune de ces conséquences. D'ailleurs, quand je demande aux gens que j'ai interrogés aux fins de mes études, « Qu'est‑ce que vous aimeriez voir changer? », on me répond souvent, « J'aimerais avoir plus de clients. Je n'ai pas assez de travail. »
Cette idée qu'il y a eu une augmentation très marquée de la demande ne se reflète pas dans ce que les travailleuses du sexe m'ont dit, pas du tout. Je dirais plutôt qu'elles aimeraient avoir plus de travail.
Pour ce qui est de la violence, encore une fois, je n'ai rien constaté qui laisserait croire qu'il y a eu une augmentation de la violence. Les travailleuses du sexe que j'ai interrogées m'ont dit « la loi est très utile, parce que les clients savent que j'ai des droits et que s'ils me maltraitent, je peux porter plainte. »
Donc, non, absolument pas, je n'ai constaté aucune de ces conséquences.
J'ai passé pas mal de temps en Nouvelle-Zélande, et il y a toujours ce stéréotype qui veut que la Nouvelle-Zélande soit un pays isolé. On fait plus ou moins fi de l'industrie du tourisme très importante qui existe déjà en Nouvelle-Zélande.
Je me demandais si vous aviez des commentaires sur ce genre de perceptions, que la Nouvelle-Zélande est un pays isolé et que personne ne va là‑bas.
Je crois que c'est vraiment un stéréotype, que nous sommes perçus comme un lieu isolé au milieu de nulle part. Toutefois, comme vous l'avez dit, il y a énormément de gens qui viennent faire un tour en Nouvelle-Zélande, c'était vrai en tout cas avant la pandémie. Les choses ont été un peu différentes au cours des dernières années, vu la fermeture de nos frontières. Mais, non, nous ne sommes absolument pas isolés. Il y a énormément de personnes qui traversent nos frontières, en temps normal.
Madame Abel, au sujet de l'augmentation de la demande, de l'augmentation de la violence, de l'augmentation de l'exploitation et de l'augmentation des crimes contre les enfants, avez-vous constaté ces effets de la discrimination dans le cadre de vos études, en Nouvelle-Zélande?
Non, bien au contraire. [difficultés techniques] avant la décriminalisation, et c'est incontestablement une industrie complètement différente, à présent. Cela préoccupait certains députés avant la décriminalisation, et c'est pour cette raison qu'ils ont voté contre. Comme je l'ai dit plus tôt, ils nous ont maintenant dit que leurs préoccupations étaient manifestement infondées.
Ce droit permet de créer un environnement plus sécuritaire. Les gens savent qu'ils ne peuvent pas agir avec impunité, et que les travailleuses du sexe connaissent très bien leurs droits. Elles exercent leurs droits, et le contexte est donc beaucoup plus sécuritaire.
Vous avez dit que, personnellement, vous n'avez pas vu énormément de changement depuis l'adoption de la LPCPVE, mais je me demandais si cela reflétait ce qu'ont vécu d'autres personnes que vous connaissez qui travaillent dans l'industrie du sexe.
Est‑ce que la disposition limitant les endroits publics où les travailleuses du sexe peuvent travailler a rendu le travail plus dangereux? Est‑ce que la restriction visant la publicité a rendu les communications plus difficiles, et donc plus dangereuses?
Dans les endroits publics, non, parce que toutes les travailleuses du sexe que je connais annoncent leurs services en ligne, alors ce n'est pas vraiment un problème. Au sujet de la publicité, j'ai entendu dire qu'il était interdit d'être explicite et d'afficher les prix, mais cela ne reflète pas vraiment mon expérience ni celle des personnes que je connais. Même s'il est interdit à des tiers de publier nos annonces, elles le font quand même. Cela représente beaucoup d'argent, alors elles continuent de le faire comme elles le faisaient avant que les lois ne soient adoptées.
Il me reste une minute. J'aimerais m'adresser à nouveau à Mme Benedet, parce que j'ai trouvé son témoignage très intéressant. Je comprends votre point de vue, madame Benedet, mais ce que j'aimerais vraiment savoir, c'est s'il est possible, selon vous, en vertu de la Loi, de véritablement éliminer la demande de services sexuels?
Je crois nécessaire d'avoir une loi qui énonce que ce genre de conduite est criminel, il ne faut pas la normaliser. Je ne crois pas qu'il soit possible d'utiliser le droit criminel pour éliminer les agressions sexuelles. Je ne crois pas qu'il soit possible d'utiliser le droit criminel pour éliminer la violence conjugale, le contrôle coercitif ou n'importe lequel de ces comportements. Cependant, je crois que c'est nécessaire de dénoncer ces comportements [difficultés techniques] et discriminatoires à l'égard des femmes.
Personne ne devrait s'attendre à ce que le droit criminel puisse éliminer complètement un comportement donné. Nous n'avons pas éliminé les homicides parce que c'est criminalisé et parce que cela est passible d'une peine d'emprisonnement à vie. Tout simplement, c'est un outil nécessaire, dans notre boîte à outils. Dès que vous enlevez cet outil et que vous dites que c'est tout à fait correct d'acheter une femme à des fins sexuelles, vous normalisez ce comportement. Ce n'est plus du harcèlement sexuel. Ce n'est plus de la discrimination sexuelle.
Je tiens à remercier toutes les témoins qui sont avec nous aujourd'hui, en particulier celles de la Nouvelle-Zélande. Merci de votre participation.
Ma question s'adresse à Mme Quinn. Pour le Comité, c'est très intéressant et important d'être informé de votre étude sur les personnes qui ont été victimes d'exploitation sexuelle, en particulier dans la région d'Edmonton.
Je me demandais, compte tenu du travail que vous avez fait, ce que vous pensiez de la demande. Vous en avez parlé un peu, et aussi de la corrélation avec de jeunes enfants. Est‑ce que c'est ce qui se passe dans la région d'Edmonton, ou est‑ce que la demande vise davantage des femmes adultes? Qui est victime d'exploitation? Quand vous avez fait votre étude, sur quoi avez-vous mis l'accent?
Il y a une demande pour les enfants. Au cours des six derniers mois, il y a eu récemment des arrestations visant des jeunes qui avaient attiré, préparé, recruté et vendu des enfants. Donc, il y a toujours une demande pour des jeunes. La majorité sont âgés de 18 à 30 ans. Comme je l'ai dit, il arrive que des filles se fassent vendre par leur copain. Nous savons qu'un certain nombre de personnes publient leurs propres annonces, mais nous devons reconnaître que les enfants et les jeunes sont la cible.
Nous devons aussi reconnaître que, de façon générale, la violence contre les femmes n'a pas diminué en Alberta ni au Canada, et que cela se reflète aussi dans l'industrie du sexe. Je crois que ce que nous avons constaté, c'est que, avant la LPCPVE, il y a eu à Edmonton plus de 41 meurtres de femmes ou de personnes transgenres entre 1986 et 2014, et seulement 11 de ces meurtres ont été résolus. Depuis l'adoption de la LPCPVE, nous avons eu deux meurtres de jeunes femmes. Les deux ont été assassinées: l'une a été étranglée par un client du commerce du sexe; c'était une jeune femme du Québec qui était venue à Edmonton. L'autre a été tuée dans un hôtel.
Nous avons une relation solide avec la police et les organismes communautaires, et il y a eu davantage de signalements de violence. Nous avons une unité spéciale de services aux victimes, et nous avons travaillé très dur pour bâtir des liens de confiance entre les personnes, afin qu'elles sachent qu'elles peuvent signaler la violence. Nous les accompagnons durant le signalement à la police. Nous les accompagnons dans le système de justice pénale, un processus traumatisant. Nous les aidons dans tout ce dont elles ont besoin. Je crois que ce sont des facteurs cruciaux qui doivent être en place, et que cela fait partie de ce qui fonctionne bien à Edmonton.
Merci beaucoup, c'était une excellente explication.
Madame Benedet, nous avons demandé à quelqu'un qui a témoigné devant le Comité ce qui arriverait si la LPCPVE était abrogée, et il a dit, en un mot, que ce serait « horrible ». Je sais qu'on vous a posé cette question il y a une minute, mais nous avons une frontière assez longue avec les États-Unis et, si nous légalisons la prostitution au Canada, les préjudices éventuels seraient un peu différents de ce qui a été constaté dans les autres pays dont nous avons parlé. Je me demandais si vous pouviez rapidement nous dire ce qui arriverait, selon vous, si on abrogeait la LPCPVE.
Eh bien, j'imagine qu'il y aurait trois conséquences: premièrement, je suis tout à fait convaincue que la demande pour la prostitution augmenterait, autant au Canada que de la part d'hommes d'autres pays qui viendraient au Canada pour profiter de ce marché. Nous l'avons certainement constaté dans d'autres pays, en Europe, où les acheteurs se déplacent vers les endroits où la prostitution est légale. En ce qui concerne la prostitution enfantine, je crois qu'il est important de réaliser que, si vous décriminalisez l'achat d'une femme adulte à des fins sexuelles, cela permettra à n'importe quel homme accusé d'avoir acheté un enfant de se défendre en disant qu'il croyait sincèrement que la fille était âgée d'au moins 18 ans; cela va devenir un moyen de défense. Aujourd'hui, étant donné la façon dont sont structurées les choses, même si ce moyen de défense réussit, il y a [difficultés techniques] une adulte, et vous pouvez tout de même être déclaré coupable d'avoir tenté de faire cela, alors il y a effectivement une incidence réelle sur la prostitution enfantine. Troisièmement, et c'est quelque chose qu'on néglige souvent, c'est l'incidence sur l'égalité des femmes en général. [Difficultés techniques] au bordel, quand aller au bordel devient simplement une autre forme de divertissement pour les hommes, quand les panneaux publicitaires montrent ouvertement [difficultés techniques], cela envoie un message sur la condition de la femme, et dans ce cas précis, sur la femme canadienne et sa place dans la société. À mon avis, un environnement qui permet cela porte préjudice à toutes les femmes.
D'abord, je veux demander — parce que je ne suis pas certaine que le Comité les a —, avant que le temps soit écoulé, si Mme Abel et Mme Armstrong pouvaient envoyer au Comité leurs études et toutes les notes qu'elles ne nous ont pas envoyées. Je ne crois pas les avoir vues, alors, si vous ne nous les avez pas envoyées, pourriez-vous nous les faire parvenir cette semaine? Nous allons conclure l'étude bientôt.
Nadia Guo, vous avez dit que, personnellement, vous n'avez pas vu de changement après l'adoption de la LPCPVE, alors j'aimerais vous demander quelles sont vos recommandations pour nous, en tant que comité. Un certain nombre de témoins nous ont dit que les travailleuses du sexe sont des victimes et qu'il faut les sauver ou qu'elles sont exploitées, etc. Pouvez-vous formuler des commentaires là‑dessus, de votre point de vue? Quelles sont vos recommandations pour nous?
Je suis un peu réticente à l'idée d'une commercialisation à grande échelle du travail du sexe au Canada. Je sais que dans certains pays, comme l'Espagne, par exemple, il y a eu une augmentation de la traite à des fins sexuelles, mais je crois important de reconnaître qu'il y a des gens qui font effectivement ce travail de façon consentante, que ce sont des adultes et qui peuvent prendre cette décision par eux-mêmes. S'il n'en tenait qu'à moi, j'abrogerais toute la LPCPVE, parce que l'histoire législative du projet de loi, son préambule et sa logique interne sont fondés sur le principe que les gens ne peuvent pas consentir à vendre leurs services sexuels, ce qui, à mon avis, est faux. Je suis toutefois consciente de l'importance de peut-être avoir des lois substitutives, qui, par exemple, pourraient garder la disposition sur le proxénétisme. Je sais qu'il peut parfois être difficile de prouver qu'il y a eu traite de personnes à des fins sexuelles, en vertu des dispositions pertinentes. En ce qui concerne les dispositions sur les avantages matériels, je crois que les exceptions actuelles sont très utiles, et la façon dont cela a été interprété dans l'affaire N.S., devant la Cour d'appel de l'Ontario, m'a semblé logique.
C'est difficile pour moi, parce que même si j'ai travaillé pour moi-même et que j'ai trouvé cela assez facile, je comprends tout de même que d'autres travailleuses du sexe auraient avantage à confier leurs rendez-vous et leur publicité à un gestionnaire pour se concentrer seulement sur leurs clients. Je ne sais pas. J'ai de la difficulté à décider. Je ne sais pas si les dispositions sur les avantages matériels devraient rester ou pas.
Madame Guo, pourriez-vous répondre à cette question pour moi? Selon vous, pourquoi une personne décide‑t‑elle de faire partie de cette industrie? Comment une personne entre‑t‑elle dans l'industrie du travail du sexe?
En ce qui me concerne, j'étais curieuse. Je voulais explorer ma sexualité et voulais voir comment c'était. Bien sûr, il y avait aussi l'argent, parce que vous pouvez faire beaucoup d'argent en très peu de temps. Vous pouvez décider de votre horaire. Vous avez une emprise totale sur vos conditions de travail, ce qui n'était pas le cas, par exemple, quand j'étais stagiaire.
Durant mon stage, je faisais une fraction de l'argent que j'ai fait dans l'industrie du sexe, et en plus, les conditions de travail n'étaient pas géniales. Au début de mon stage, j'étais tout le temps harcelée sexuellement, et je ne peux pas dire que c'est quelque chose qui soit arrivé quand j'étais travailleuse du sexe.
Les gens entrent dans cette industrie pour avoir cette flexibilité, cette indépendance et la capacité de...
Madame Abel ou madame Armstrong, j'aimerais vous poser une question sur les études que vous avez réalisées, et aussi tirer parti de votre grande expérience. Vous avez clairement dit que la décriminalisation améliorerait la santé et la sécurité des travailleuses du sexe. Pourriez-vous, s'il vous plaît, communiquer tous les travaux que vous avez au Comité?
Pourriez-vous fournir des commentaires sur le harcèlement par le public et sur la stigmatisation des travailleuses du sexe avant et après la décriminalisation, d'après ce que vous avez appris des études que vous avez menées?
Madame Abel, puisque nous sommes à court de temps, je vais devoir vous demander de bien vouloir répondre par écrit au greffier. Comme cela, nous pourrons joindre votre réponse au rapport.
Je ne vous en fais pas le reproche, mais vous avez donné l’occasion à mes collègues du Parti conservateur et du Parti libéral de poser d'autres questions.
En toute équité, je pense que le NPD et le Bloc québécois devraient pouvoir également intervenir. Je laisse cela à votre discrétion, mais il m’apparaîtrait équitable que nous complétions le tour de questions que nous avons commencé.
Monsieur Fortin, cela prendrait cinq minutes de plus. Si c'est la volonté du Comité, c'est possible. Seulement, ce serait [inaudible] instructions pour la rédaction.
M. Garrison dit qu'il est d'accord, alors, monsieur Fortin, si je peux prendre la décision... Je n'aime pas enlever du temps à quiconque. J'essaie d'être aussi équitable que possible, mais, compte tenu de ceci, je vais devoir couper ici. La prochaine fois, je ferai de mon mieux pour vous donner votre temps. J'ai été très juste et généreux avec votre temps au premier tour aujourd'hui.