:
Je déclare la séance ouverte.
[Français]
Bonjour.
Je vous souhaite la bienvenue à la 107e réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne.
Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le 21 mars 2024, le Comité commence son étude sur l'islamophobie.
[Traduction]
Pour prévenir les retours de son, je rappelle aux membres du Comité et à tous les participants dans la salle qu'il est important de suivre les mesures préventives suivantes. Pour prévenir les incidents de retour de son perturbateur et potentiellement nocifs qui peuvent causer des blessures, tous les participants en personne doivent garder leur oreillette loin de tous les microphones, et ce, en tout temps.
Comme indiqué dans le communiqué que le Président de la Chambre a envoyé aux députés le 29 avril, nous avons pris les mesures suivantes pour aider à prévenir les incidents de retour de son. Nous avons remplacé toutes les oreillettes par un modèle qui réduit le risque de retour de son. Veuillez utiliser une oreillette approuvée. Veuillez laisser toutes les oreillettes inutilisées débranchées, si vous n'en avez pas besoin. Veuillez consulter les cartes sur la table pour connaître les directives.
Nous avons mis ces mesures en place pour mener nos travaux sans interruption et protéger la santé et la sécurité de tous les participants, y compris des interprètes.
[Français]
Je vous remercie à l'avance de votre coopération.
[Traduction]
La réunion d'aujourd'hui se déroule dans un mode hybride. Tous les témoins comparaissent par vidéoconférence ce matin. Conformément à la motion de régie interne du Comité sur les tests de connexion des témoins, je vous informe que tous les témoins ont réussi ces tests avant la réunion.
À l'intention des membres du Comité et des témoins, il faut attendre que je vous nomme avant de prendre la parole. Je vous rappelle que vous devez adresser tous vos commentaires à la présidence.
À l'intention de tous les nouveaux députés qui siègent ce matin, bienvenue à notre réunion. À l'intention des témoins, j'utiliserai un carton pour vous indiquer qu'il vous reste 30 secondes. Quand votre temps sera écoulé, je vais lever un autre carton par courtoisie. Je vous donnerai alors quelques secondes supplémentaires pour conclure; sinon, je devrai vous interrompre. Ne le prenez pas comme une attaque personnelle. C'est simplement ainsi que nous fonctionnons en comités.
Ce matin, nous accueillons un groupe de témoins. La réunion se terminera à 13 heures. Tous les témoins comparaissent par vidéoconférence, et ils feront partie du même groupe.
On m'a remis le nom des députés qui vous poseront des questions. Je vais commencer par...
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Assalam alaikum. Que la paix soit avec vous tous.
J'aimerais reconnaître respectueusement que je suis un immigrant qui vit, étudie et joue sur les terres non cédées du peuple lək̓ʷəŋən, connu sous le nom des nations Songhees et Esquimalt, dont la relation historique avec ces terres se poursuit jusqu'à aujourd'hui.
Bonjour, madame la présidente, honorables députés. Merci de m'avoir invité à comparaître devant ce comité pour lui communiquer mon expérience et mon point de vue dans l'étude qu'il fait sur l'islamophobie.
Je m'appelle Omar Babili, j'ai 25 ans et j'étudie actuellement en génie civil à l'Université de Victoria.
J'ai vécu de l'islamophobie pour la première fois à Bellevue, dans l'État de Washington, en 2017. L'Islamic Center of Eastside, le lieu de culte et centre communautaire de nombreux musulmans là‑bas, a été réduit en cendres dans un incendie criminel. Cet incident m'a beaucoup touché, car j'étudiais au collège Bellevue à l'époque. La destruction de notre centre islamique était un rappel brutal de la haine et du sectarisme qui existent dans notre société.
À la suite de cet incident, ma famille m'a conseillé de quitter les États‑Unis, par crainte pour ma sécurité. Elle croyait que le Canada serait un pays plus sûr pour pratiquer notre religion. Toutefois, mon expérience subséquente m'a révélé que le Canada n'est pas à l'abri de l'islamophobie.
Je suis profondément inquiet de la montée en flèche de l'islamophobie et du racisme contre les Arabes et les Palestiniens au Canada. Permettez‑moi d'être clair. La haine dont ma communauté fait l'objet n'est pas abstraite. Elle se manifeste de nombreuses façons.
Le 3 décembre 2023, mes craintes sont devenues une cruelle réalité. Je faisais du bénévolat dans une manifestation pacifique dans ma ville de Victoria. J'exerçais mon droit à la liberté d'expression et mon droit de réunion et j'appelais à un cessez‑le‑feu, une cause à laquelle je crois profondément. J'espère que ce comité et le gouvernement du Canada vont réaliser à quel point il est important pour le Canada de défendre la paix dans la crise à Gaza.
Plus tard dans la journée, je suis retourné mettre de l'argent dans le parcomètre. À mon retour, j'ai constaté une certaine commotion le long du chemin que je parcourais. J'ai aperçu un homme dans une voiture rouge se disputer avec un manifestant. À ma grande stupéfaction, la situation a rapidement dégénéré. Soudainement, l'homme dans la voiture qui se disputait avec un manifestant pacifique s'est mis à accélérer dans ma direction. La vue de ce véhicule accélérant dans ma direction était terrifiante. Mon coeur s'est mis à battre la chamade. J'ai reçu une décharge d'adrénaline. Heureusement, j'ai réussi à l'esquiver et à éviter des blessures graves, voire la mort.
Après l'incident, j'étais toujours sous le choc. J'ai décidé de participer à une assemblée publique tenue par Dean Murdock, le maire de la ville de Saanich, en Colombie‑Britannique, pour exprimer mes préoccupations et me faire dire que cet incident ne se reproduirait plus. J'ai été étonné qu'après avoir appris que j'avais été victime d'un incident, le maire Murdock se montre si peu inquiet, n'exprime pas d'empathie et ne cherche pas à me rassurer.
Le manque de soutien et de préoccupation du maire m'a consterné. J'avais l'impression qu'on faisait fi de mon expérience et de l'enjeu plus vaste de l'islamophobie; je sentais que tout cela ne comptait pas.
À cette période‑là, je devais passer mes examens de fin d'année. Je faisais énormément d'anxiété à cause de l'incident, donc j'ai expliqué ma situation à mon département d'université et j'ai demandé une exemption pour ne pas faire mes examens. La réponse du département était loin d'être soutenante.
Durant cette épreuve, je n'ai reçu aucun soutien de l'université. Personne n'a pris contact avec moi ni n'a vérifié comment j'allais. J'étais seul à traverser cette situation stressante.
Le traumatisme de cette journée‑là est resté gravé dans mon esprit. J'ai des flashbacks de ce qui s'est passé, et je n'y peux rien, mais je vis dans la peur constante. Chaque fois que je quitte mon domicile, je suis rongé par l'anxiété et je me demande si cela pourrait m'arriver encore ou arriver à quelqu'un d'autre, juste parce que cette personne exerce sa liberté d'expression.
Toute cette expérience me fait sentir comme si j'avais perdu mon droit d'exprimer mes croyances de façon libre et en toute sécurité. Le manque de soutien des élus et de l'université n'a fait que renforcer ce sentiment. Je me sens incertain et isolé.
Cet incident n'est pas un incident isolé. Il s'inscrit dans une tendance d'islamophobie et de harcèlement violents auxquels bien des musulmans au Canada sont confrontés tous les jours. Les conséquences psychologiques de vivre avec cette peur sont immenses et nuisent à notre quotidien. Il ne faut pas tolérer la haine et la violence envers notre communauté ou toute autre communauté.
Aujourd'hui, je vous demande de prendre des mesures vigoureuses à l'égard de l'islamophobie et du racisme contre les Palestiniens et de protéger nos libertés civiles, dont le droit de manifester pacifiquement.
Merci.
Je vous parle depuis London, en Ontario, le territoire traditionnel du peuple anishinabe depuis plus de 13 000 ans.
Ce jeudi marquera le troisième anniversaire de l'attaque délibérée d'un jeune homme au volant d'une camionnette contre ma nièce Madiha Salman, son mari Salman Afzaal, sa belle‑mère Talat Afzaal, sa fille de 15 ans Yumna Afzaal et son fils de 9 ans Fayez Afzaal.
Trois générations ont été rayées de la carte par un homme qui voulait faire peur aux Canadiens musulmans pour qu'ils quittent le Canada. Quel crime ma famille a‑t‑elle commis? Ils étaient visiblement musulmans et étaient en public. Cette attaque en sol canadien n'était ni innommable ni inconcevable. Depuis des décennies, on dépeint délibérément les Canadiens musulmans comme « les autres ». Je vais le répéter. Selon le discours omniprésent, on dépeint activement et intentionnellement les Canadiens musulmans comme des étrangers, comme « les autres ». On continue intentionnellement de brosser ce tableau, qui a des répercussions réelles, brutales et mortelles. Qui d'entre vous dira que les conditions qui ont mené à l'événement du 6 juin n'existent plus de nos jours?
L'auteur de l'attaque contre notre famille de London s'est directement inspiré de deux hommes, ce qui témoigne de l'interconnexion internationale de la haine idéologique. La première attaque, une attaque terroriste contre une mosquée de la Nouvelle‑Zélande en 2019, a fait 51 morts. La seconde attaque s'est produite en Californie, en 2019 aussi, et s'inspirait du manifeste de la Nouvelle‑Zélande. L'homme a tenté de mettre le feu à la mosquée, et après que des membres de la congrégation qui se trouvaient à l'intérieur ont déjoué ses plans, il a pris la fuite et a tiré sur trois personnes dans une synagogue à la place. Cela nous montre que la haine est transférable.
L'innocence de tous les enfants de ma famille s'est volatilisée, surtout celle de mon petit‑neveu de 9 ans, désormais orphelin. Il fait face à la pire consécration d'une ostracisation socialement acceptable et incontestée, de l'étiquette sans nuances qu'on accole aux musulmans, selon laquelle chacun des musulmans canadiens serait responsable des actes déviants commis à l'étranger. L'exclusion éhontée des musulmans se révèle dans le quotidien, et les gens ne sentent même plus le besoin de se cacher. J'ai dit à Fayez Afzaal qu'un criminel qui n'avait que quelques années de plus que Yumna est passé sur le corps de tout le monde, ne laissant aucun survivant. « Il n'a laissé aucun survivant? » a‑t‑il demandé. C'est le prix de l'islamophobie que Fayez devra payer le reste de sa vie.
Mon plus jeune fils s'est demandé comment on pouvait tuer quelqu'un sans même le connaître, et pourquoi on tuerait quelqu'un même si on le haïssait. Dans sa belle innocence, il pensait que si le criminel avait pris le temps de manger des kebabs et de boire un frappé à la mangue avec notre famille, il aurait changé d'idée. Mon fils se demande maintenant si le Canada, son pays de naissance, est vraiment un pays sécuritaire. Son identité de musulman le rend‑il moins canadien?
En tant que musulmans, nous prions cinq fois par jour. Par le passé, mon fils n'avait aucun problème à prier en public, mais maintenant, il est conscient que des gens le jugent ou pire, que quelqu'un lui voudra du mal pour cela. Il se demande, quand il portera son chandail de hockey avec le nom « Islam » dans le dos, par quel nom les autres parents vont l'appeler ou quels commentaires ils vont faire. Il dit qu'il considérait son pays comme étant sécuritaire, avant. « Le Canada, c'est toujours chez moi, mais je ne sais plus vraiment si j'y suis encore le bienvenu ou si je m'y sens toujours en sécurité. » Il a 13 ans.
Son frère, un adolescent un an plus jeune que Yumna, m'a dit que la haine envers les musulmans lui a enseigné que c'est dangereux pour un Canadien musulman de se sentir attaché à quoi que ce soit ou à qui que ce soit, parce que rien n'est garanti. On ne sait même pas si l'on sera là demain. Il a 16 ans.
Ma fille, mon aînée, qui n'a que deux ans de plus que Yumna, a perdu sa vivacité et son sentiment d'appartenance. Elle est devenue très taciturne, se servant de son isolement comme d'un bouclier dans un milieu où on lui dit que les musulmans n'ont pas leur place. Elle dit ne pas se sentir écoutée ou valorisée par la société. Elle a appris que c'était irréaliste de chercher le bonheur; il vaut mieux chercher la paix. Elle a 18 ans.
Pour ma femme, l'expression violente de l'islamophobie a comme conséquence que dans son esprit, elle nous dit un dernier au revoir aux enfants et à moi quand nous sortons de la maison, tous les jours. Cela l'épuise, mais c'est sa réalité. Elle a vécu la guerre et a vu et connu la violence à l'étranger, mais elle ne s'est jamais sentie aussi vulnérable que maintenant. Elle dit sentir qu'on lui a menti à propos de la diversité et de la promesse d'égalité pour tous au Canada. Elle se sent naïve d'avoir cru à cette promesse d'égalité pour tous. Depuis l'attaque, elle a perdu espoir que la société accorde une valeur égale à tous les citoyens. Accorde‑t‑on cette valeur égale seulement aux Canadiens d'origine européenne?
Une jeune femme de ma famille qui porte le hijab craint ce qui pourrait se passer quand elle sort à l'extérieur. Le hijab, un signe d'humilité qui signale son honnêteté et sa dévotion, fait maintenant d'elle une cible ambulante. Non seulement son hijab la met-elle en danger, mais il met tout le monde qui l'accompagne en danger. Donc, en plus de traîner sa peur, elle porte le poids de la culpabilité.
À l'approche du troisième anniversaire de l'attaque contre notre famille de London, permettez‑moi de vous lire quelques commentaires qu'on a envoyés ces dernières semaines à des bénévoles et à des employés de la Ville de London qui organisent la vigile de jeudi soir. « L'islamophobie n'existe pas. » « Quand la Ville de London va‑t‑elle arrêter de se contorsionner pour plaire aux musulmans islamiques? » « Cessez de chercher à plaire à un peuple qui serait plus prompt à nous trancher la gorge qu'à nous aider. » « Ce sont les gens comme vous qui sont le problème. » « Qu'est‑ce que font les musulmans pour nous, à part rien du tout? » « Aucune sympathie. » « Arrêtez de terroriser les juifs de Toronto. » « Je pisse sur l'Islam. » « Vous devrez tous nous rendre des comptes. Nous vous attraperons tous. » « Gardons London pure. »
En tant que famille victime d'un crime haineux, nous estimons qu'il y a un manque de ressources irréaliste et un manque de volonté pour comprendre la haine et parler de la façon dont elle se développe, de la façon dont elle se propage et de la façon de la combattre. Je demande aux parlementaires de mieux expliquer pourquoi l'islamophobie compte, même si elle ne touche que 5 % de la population. Est‑elle bien réelle? Est‑elle exagérée? Pourquoi 95 % des Canadiens devraient‑ils s'en préoccuper? Je demande aux parlementaires de dire ce qui devrait être évident. Au bout du compte, le Canada est‑il le pays des descendants des Européens blancs, ou autre chose?
Écoutez votre conscience. Mettez un frein à l'ostracisation et à la déshumanisation intentionnelles des Canadiens musulmans. Regardez à gauche et à droite quand vous siégez à la Chambre, et dénoncez vos collègues. Nous sommes canadiens. Adoptez ou modifiez le projet de loi sur les préjudices en ligne pour protéger les jeunes, mais faites en sorte de l'adopter.
J'ai vu les élus provinciaux se traîner les pieds. Ils n'ont pas adopté la loi sur notre famille de London, qui proposait des changements à l'éducation et visait à créer des zones sécuritaires autour des établissements religieux. Le Sénat a publié un rapport sur l'islamophobie en novembre 2023. Ce comité va‑t‑il le dépoussiérer?
J'ai vu, madame la présidente...
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Bonjour, madame la présidente et honorables membres du Comité. Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant le Comité dans le cadre de son étude sur l'islamophobie.
Je m'appelle Shaffni Nalir. J'ai grandi à Toronto, où je vis actuellement avec ma femme et mes quatre enfants. J'ai immigré avec mes parents, qui ont fui la guerre civile et la persécution religieuse au Sri Lanka. J'ai fréquenté la Bond Street Nursery School, qui était administrée par la Metropolitan United Church. Comme la plupart des Canadiens de mon groupe d'âge, j'ai grandi avec des glaces à 50 ¢, j'économisais mes sous pour acheter des bonbons au dépanneur et je regardais The Elephant Show avec Sharon, Lois et Bram. Cependant, contrairement à la plupart des Canadiens, je peux me vanter de les avoir vus en direct — deux fois.
Quand dès l'enfance, on fait partie d'une minorité visible, on apprend à s'endurcir. Il ne faut pas faire de vagues. Il faut rester tranquille et encaisser les insultes lancées çà et là, les commentaires sarcastiques et l'intimidation physique occasionnelle. Ce n'est que tout récemment que j'ai cessé de me considérer comme un visiteur reconnaissant au Canada et que je me suis rendu compte que je suis en fait un hôte, et j'espère être accueillant. Le Canada est mon pays autant que celui de n'importe quel autre Canadien.
Je veux vous faire part de l'expérience de l'islamophobie que vit notre communauté et de la violence motivée par la haine perpétrée contre les lieux de culte. Je suis directeur général des Toronto Islamic Centre and Community Services, la première et la seule mosquée sur la rue Yonge et la seule mosquée de la circonscription de University—Rosedale. Le 10 octobre 2020, notre mosquée a reçu un courriel menaçant d'une personne qui prétendait être associée à la Ligue de défense juive, ou LDJ, qui est considérée comme une organisation terroriste par le FBI. Voici une partie du contenu de ce courriel menaçant: « Nous allons [tuer] chaque maudit musulman. Nous avons les armes pour refaire un Christchurch. » Nous avons signalé cette menace aux forces de l'ordre locales, qui nous ont conseillé de fermer la mosquée pendant quelques jours, le temps qu'elles évaluent la menace. Pendant quatre longues semaines, notre mosquée a été fermée au public et aux membres de la communauté. Les gens vivaient dans la peur et la panique.
Je tiens à rappeler au Comité que notre communauté vit avec le traumatisme de l'attaque terroriste perpétrée à la mosquée de Québec, qui a coûté la vie à six fidèles en janvier 2017. Pendant cette période, ma famille craignait pour ma sécurité et me décourageait souvent de me rendre à notre mosquée pour faire du travail administratif, de peur que je ne rentre pas chez moi. Depuis cet incident, il y a eu plusieurs graffitis haineux à notre mosquée et, à l'occasion, des gens ont frappé à nos portes et à nos fenêtres pendant que nous priions à l'intérieur.
Cependant, le 18 novembre 2023, les menaces contre notre mosquée se sont concrétisées. Vers 6 h 30 du matin, juste après la prière du matin, j'ai entendu, avec une cinquantaine de fidèles, y compris de jeunes enfants, plusieurs grands bruits aux fenêtres et à la porte de notre mosquée. Quelques fidèles et moi-même nous sommes précipités à l'extérieur pour voir ce qui se passait, et nous avons vu un individu à bicyclette qui proférait des menaces racistes et nous criait: « Maudits Arabes. Maudits musulmans. Nous allons tous vous achever. » Cet individu a ensuite craché plusieurs fois dans notre direction et s'est enfui.
Je suis rentré à l'intérieur pour appeler la police et rapporter ce qui s'était passé. Peu après, cet individu est revenu et a lancé une grosse pierre vers un groupe de fidèles qui socialisaient devant la mosquée. Heureusement, il a manqué le gardien âgé de la mosquée de quelques pouces. Puis, il a crié: « Vous êtes tous morts » et s'est enfui encore une fois.
Quelques membres de la communauté et moi-même l'avons pourchassé et avons réussi à le coincer. Heureusement, au même moment, un agent de la circulation qui passait par là a aidé à maîtriser la situation. Les policiers sont arrivés sur les lieux peu de temps après. Une fois que les agents ont appris ce qui s'était passé, ils ont procédé à son arrestation. J'ai poussé un grand soupir de soulagement. Plus tard dans la soirée, la police de Toronto a fait une déclaration. Nous avons appris que cet individu avait aussi commis plusieurs autres infractions quelques jours auparavant et qu'il avait attaqué deux autres personnes en raison de leur foi. Au total, 14 accusations ont été portées contre lui.
Depuis ce jour, je ne peux pas me concentrer entièrement sur ma prière à la mosquée parce que je pense toujours au fait que quelqu'un pourrait entrer et à la façon dont je réagirais pour protéger les membres de ma communauté. Chaque fois que j'entends la porte s'ouvrir, mon corps se crispe, parce que je crains le pire. Mes enfants ont grandi dans cette mosquée. Mon plus jeune fils a même fait ses premiers pas dans cette mosquée. Ma femme et moi, ainsi que de nombreux autres parents, considérons notre mosquée comme un lieu sûr où les enfants peuvent se promener librement, sans que les parents ressentent le besoin de s'inquiéter. Cette personne a privé notre communauté de son sentiment de sécurité dans notre mosquée, qui est le fondement de notre communauté.
J'admets que nous avions peur, mais que cela ne nous empêchait pas de continuer d'y aller. Nous prions encore en communauté, mais notre budget annuel pour la sécurité est passé de 4 800 $ à 36 000 $. Notre budget comprend de la surveillance et des enregistrements vidéo 24 heures sur 24, ainsi que des exercices de tir actif et de la formation pour nos membres. Dorénavant, il y a toujours des fidèles qui montent la garde pendant que les autres prient.
Aujourd'hui, je veux demander au Comité de prendre des mesures contre l'islamophobie et la violence auxquelles nos communautés sont confrontées et de veiller à ce que notre gouvernement assure la protection de nos lieux de culte.
Merci.
Je m'appelle Maryam Al‑Sabawi et je suis en 12e année.
Yumna était ma grande amie. Yumna et moi étions dans la même classe depuis la deuxième année. Au secondaire, nous avons intégré le programme de Baccalauréat international et nous étions ensemble dans presque toutes les classes. Nous nous sommes présentées au conseil étudiant en duo. Nous avions l'intention de démarrer une entreprise ensemble, dont nous avions convenu de remettre les profits à des organismes de bienfaisance. Nous avions prévu aller à l'université ensemble. Nous avons souvent parlé de notre avenir, de nos espoirs et de nos rêves, comme la plupart des jeunes.
Yumna était plus qu'une amie pour moi. Elle était ma confidente, mon réseau de soutien, ma partenaire d'étude, la gardienne de mes secrets et une source d'espoir. Surtout, elle me rappelait constamment que les bons amis existent.
Yumna me manque. Il ne se passe pas une journée sans que je pense à elle. Son rire, son sourire, sa gentillesse et son sens de l'humour me manquent.
Si seulement nous pouvions revenir en arrière. C'est ce que je fais tous les soirs. Je repense aux souvenirs, au son de son rire, aux messages textes interminables et aux conversations qui me liaient si profondément à elle. Je repense même au 6 juin 2021. C'est là que j'aimerais pouvoir arrêter le temps. Mais je ne peux pas.
L'idée que mon amie ait été ciblée, pourchassée dans les rues, fauchée et tuée simplement en raison de sa foi musulmane a été très traumatisante, surtout pour moi, une fille musulmane de 14 ans à l'époque. Pouvez-vous imaginer à quel point il m'est difficile de digérer ce qui s'est passé? Pouvez-vous imaginer la difficulté de simplement exister, de se sentir en sécurité ou d'essayer de passer à autre chose?
Trois ans se sont écoulés, et certaines parties de moi sont mortes avec elle. Le décès de Yumna a laissé un trou béant en moi. Il n'y a pas assez de mots dans le dictionnaire pour décrire à quel point les dernières années ont été difficiles. Je suis submergée par le souvenir de ce qu'elle était, par l'idée de ce qu'elle aurait pu devenir et de ce qu'elle est. Tous les soirs, je me réveille avec le même rêve: Yumna se fait écraser alors qu'elle rentre chez elle avec sa famille. Je me réveille en sueur en me disant: « Ne t'inquiète pas, Maryam. Ce n'est qu'un rêve. » Mais ce n'est pas qu'un rêve.
Le deuil est accablant, à tel point que parfois, ceux qui m'aiment ne me reconnaissent plus. Parfois, je ne me reconnais plus moi-même. Je ne suis plus la même. Aucun d'entre nous ne l'est. Comment pourrions-nous l'être? La plupart des jeunes de 14 ans n'auront jamais à enterrer leur ami, puis à trouver un moyen de s'assurer de ne pas avoir à en enterrer d'autres. Je n'aurais jamais imaginé que les années les plus formatrices de ma vie, mon adolescence, seraient consacrées à lutter contre la haine et l'islamophobie afin que d'autres ne vivent pas la souffrance que mes amis et moi avons dû vivre.
Le monde nous a imposé une responsabilité qui écraserait une montagne, mais nous devons la porter parce que d'autres ne l'ont pas fait. Nous devons la porter pour que personne d'autre ne vive la souffrance que nous vivons. Nous devons la porter, car si nous ne le faisons pas, il semble que personne d'autre ne le fera.
Les nuits sans sommeil, la peur des camions et l'incapacité d'aller marcher m'ont fait réfléchir à ce qui nous a été enlevé le 6 juin 2021. Nous n'avons pas seulement perdu Yumna et sa belle famille. Nous avons également perdu notre sentiment d'appartenance, notre sentiment de communauté, notre sentiment de sécurité et notre identité. Nous avons même perdu notre innocence. Le monde n'est pas aussi gentil que nous le croyions. Tout cela nous a été dérobé par de la haine non contrôlée, de la haine qui a eu d'innombrables occasions de croître, de la haine qui a soigneusement incubé dans le silence des autres.
Je pense souvent aux derniers moments de Yumna. Je l'imagine souvent seule, gisant au sol. Je me demande si elle a eu peur, si elle a eu mal ou si elle savait que sa mort était imminente. Ces pensées m'empêchent de dormir la nuit. Juste comme ma mère m'avait finalement convaincue qu'elle était morte sur le coup, j'ai appris au procès que ses yeux étaient ouverts, que de la mousse lui sortait de la bouche et qu'elle essayait peut-être de parler. Je me demande ce qu'elle voulait dire. Je me demande quel message elle enverrait. Je me demande combien d'autres doivent mourir ainsi.
Encore une fois, je me sens paralysée, engourdie, et je me bats simplement pour exister et pour que cela n'arrive à personne d'autre. Je suis épuisée. Ma famille est épuisée. Mes amis sont épuisés. Ma communauté est épuisée. Nous ne pouvons même pas faire notre deuil en paix. Il nous a pris ce qui ne lui appartenait pas, et il n'y a pas de retour en arrière possible.
La douleur est accablante, et nous sommes forcés d'en porter le poids. Le deuil fait mal. Il pique, il brûle, il nous ébranle, nous écrase et pourrait même nous tuer. Il nous a volé nos rêves, nos espoirs, notre paix et même notre identité. Ce deuil est le plus grand point commun dans notre communauté, car personne n'y échappe.
Nous espérons que notre gouvernement cessera d'utiliser des termes qui nous déshumanisent, qu'il s'agisse de musulmans ici ou à l'étranger. C'est la perpétuelle déshumanisation des musulmans qui permet à d'autres de justifier les meurtres commis à notre encontre et qui ouvre la porte à l'islamophobie violente que nous continuons de vivre dans nos écoles, dans nos rues et dans nos collectivités.
Nous espérons que nos gouvernements, à tous les niveaux, reconnaîtront l'importance de l'éducation pour lutter contre la haine envers les musulmans et qu'ils utiliseront l'éducation comme outil pour lutter contre cette haine. Nous espérons que notre gouvernement mettra la politique de côté et accordera la priorité aux gens.
Je dois partir parce que j'ai un cours, mais mes amis Hamza et Dareen du YCCI répondront aux questions au nom de la Youth Coalition Combating Islamophobia.
Merci.
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Merci, madame la présidente.
Je remercie tous les témoins — y compris Maryam, qui vient de partir pour son cours — de leurs témoignages percutants et d'avoir transformé la douleur et la perte personnelle qu'ils ont vécues en un effort pour résoudre certains des problèmes d'aujourd'hui et, espérons‑le, améliorer la situation ici, au Canada.
J'aimerais poser une question à M. Islam.
Tout d'abord, monsieur Islam, je vous remercie de votre témoignage percutant. Vous avez personnellement subi une perte et nous apprécions votre point de vue à ce sujet.
J'ai remarqué dans un article que j'ai lu que vous n'utilisiez pas le nom de l'agresseur qui a enlevé la vie à des membres de votre famille. De même, concernant la fusillade survenue à la mosquée de Québec, où six personnes ont été tuées, vous avez dit que vous n'utiliseriez pas le nom de l'agresseur. J'aimerais vous poser une question à ce sujet.
La loi a déjà été modifiée de manière à ce que dans les cas — heureusement rares — de tueries de masse ou de meurtres multiples au Canada, les personnes qui commettent ces crimes odieux ne bénéficient pas de peine au rabais, pour ainsi dire, pour avoir enlevé la vie à plus d'une personne. Elles écopaient ainsi de peines consécutives à perpétuité.
Avant la modification de la loi, si une personne — nous avons récemment entendu parler de l'affaire Paul Bernardo — avait pris plusieurs vies, elle ne pouvait obtenir qu'une seule période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle, soit 25 ans. Après que ce changement ait été apporté, un individu comme celui qui a abattu trois agents de la GRC à Moncton pouvait se voir imposer des périodes consécutives d'inadmissibilité à la libération conditionnelle. Cette personne a été condamnée à une peine de 75 ans au lieu de 25 ans.
Nous avons entendu des membres des familles des victimes. La veuve de l'une des victimes a dit que même si cela ne ramènerait pas son amour, elle trouve du réconfort dans le fait que sa fille n'aura pas à assister à des audiences de libération conditionnelle tous les deux ans pour essayer de le garder derrière les barreaux.
Comme vous le savez probablement, il y a quelques années, la Cour suprême du Canada a invalidé cette loi sur les périodes consécutives d'inadmissibilité à la libération conditionnelle. De vives critiques ont fusé par la suite. Je sais que l'ancien président du centre culturel islamique où la fusillade a eu lieu a exprimé sa déception à l'égard de cette décision du tribunal en ce termes: « À notre avis, cette décision ne prend pas en considération à leur juste valeur l'atrocité et le fléau des meurtres multiples qui se multiplient en Amérique du Nord, de même que l'aspect haineux, islamophobe et raciste du crime. » Il a également dit: « Nous sommes profondément inquiets pour les orphelins qui croiseront l'assassin sur les routes de Québec 25 ans après cette tragédie. »
Pensez-vous que nous, en tant que Parlement ou que gouvernement, devrions prendre des mesures en réponse à cette décision de la Cour?
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Je pense que le système judiciaire a fait ce qu'il pouvait dans les limites qui régissent son fonctionnement. Il y a des contraintes, et je vais vous en expliquer quelques-unes.
Le Comité souhaite en apprendre davantage sur l'islamophobie. C'est un mal qui ne se manifeste pas d'une seule manière. Il y en a de nombreux types, et il y a de nombreuses manifestations différentes. La forme la plus bénigne, si nous pouvons faire l'analogie avec le milieu médical, est attribuable à l'ignorance au sujet des musulmans. Il y en a aussi une forme sournoise et sinistre qui découle, disons, de la géopolitique. Ainsi, la haine des musulmans sert de justification pour tenir les voix musulmanes à l'écart des grandes sphères de pouvoir et d'influence, et ce, intentionnellement.
Il y a une forme d'islamophobie qui émane de l'extrême gauche, et il y en a aussi une qui découle du nationalisme blanc. Ce type de racisme va de pair avec l'antisémitisme, la misogynie, le racisme contre les Noirs et les attitudes anti-LGBT. Il y a de nombreuses voies différentes pour arriver au même résultat final. Je pense que nous comprenons mal en quoi la hausse de l'islamophobie peut influer sur ces autres formes de haine. C'est là que les gouvernements, le Parlement et les universitaires peuvent apporter une contribution. Si vous n'analysez pas tous les différents éléments constitutifs de la haine, je ne pense pas que vous arriverez à bien en saisir les causes profondes.
Il faut en outre s'efforcer d'actualiser notre approche. La haine n'est plus propagée aujourd'hui comme elle l'était par le passé. Les entreprises technologiques ont un rôle important à jouer, car elles ne sont pas de simples vecteurs d'information. Elles offrent des moyens de radicaliser les gens en les exposant à des caisses de résonance et à des bulles de filtres. C'est ce qui peut arriver en ligne, et c'est un autre élément important au titre duquel nous devons faire du rattrapage. Une simple vérification des faits ne suffit plus pour garder les gens hors des cercles de la haine. La vérification des sources doit être une composante importante de notre analyse des modes de propagation de la haine. Je ne pense pas que nous fassions du bon travail à cet égard en ce moment.
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Merci, madame la présidente.
Merci à vous, chers témoins, d'être des nôtres ce matin. Votre témoignage est important.
En ce qui me concerne, j'apprends des choses. J'en ai appris lors des réunions que nous avons tenues sur l'antisémitisme, et ce matin j'en apprends sur l'islam. Je pense que nous n'avons pas fini d'en apprendre.
Je reprends les paroles que M. Islam vient de prononcer: on ne connaît peut-être pas suffisamment l'islam, la religion musulmane, et il y aurait peut-être lieu, effectivement, de mieux connaître les préceptes de cette religion.
Cela dit, nous souhaitons tous avoir un milieu de vie sécuritaire, évidemment. Nous souhaitons que nos rues soient sécuritaires et nous souhaitons que tout le monde puisse vivre la religion de son choix librement et sans persécution.
Récemment, le Comité permanent de la justice et des droits de la personne s'est beaucoup penché sur l'antisémitisme. Maintenant, nous étudions la question de l'islamophobie.
Monsieur Islam, est-ce qu'on devrait traiter toutes les formes de discrimination de la même façon? Pensons, par exemple, à l'islamophobie, à l'antisémitisme, au racisme, dont vous parliez à l'instant, ou à la discrimination fondée sur la couleur de la peau ou sur l'orientation sexuelle. Tout cela vient nuire au maintien d'un sain climat au Canada et au Québec. À votre avis, est-ce qu'on devrait traiter toutes ces formes de discrimination de la même façon ou est-ce qu'il y a des défis particuliers qu'on doit aborder différemment, notamment dans le cas de l'islamophobie?
Monsieur Islam, ma question s'adresse à vous.
Madame la présidente, est-ce que le témoin m'entend?
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Merci, madame la présidente.
Comme je le disais, je remercie tous les témoins d'être des nôtres aujourd'hui.
L'antisémitisme est une préoccupation importante, voire majeure, pour l'ensemble du Québec et du Canada. Personnellement, je suis bien heureux d'en apprendre davantage sur la religion islamique et la vie des musulmans au Canada. Vos témoignages vont assurément nous être utiles.
Nous venons de mener une étude sur l'antisémitisme. Cela nous a permis, à tout le moins dans mon cas, d'en apprendre beaucoup sur la religion juive et sur les différents défis auxquels fait face la communauté juive au Canada. Ce matin, j'en apprends sur les défis auxquels vous faites face, pour votre part. Je trouve ces enseignements très précieux. Je vous remercie donc de votre présence.
J'ai une question à poser à M. Islam.
Selon ce que je comprends des témoignages que nous avons entendus jusqu'à maintenant, les gens éprouvent de la peur lorsqu'ils marchent dans les rues, qu'ils vont à l'école ou qu'ils se rendent dans des endroits publics. Mme Al‑Sabawi et quelques autres témoins nous l'ont mentionné aujourd'hui. C'est un aspect important.
La question que je me pose est la suivante: devrait-on traiter de la même façon les différentes formes de discrimination et les défis qu'ils posent? Pensons à l'islamophobie, à l'antisémitisme, au racisme fondé sur la nationalité ou sur la couleur de la peau, ou à la discrimination à l'endroit des groupes LGBTQ, par exemple. Devrait-on traiter tous ces problèmes de la même façon ou devrait-on envisager des solutions différentes dans le cas de l'islamophobie, puisque les défis sont différents?
Monsieur Islam, j'aimerais connaître votre opinion à cet égard.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Je tiens d'abord à exprimer mes condoléances aux familles qui ont perdu des êtres chers. Je remercie les témoins — et je suis d'accord avec notre présidente sur ce point — de la bravoure dont ils font preuve en témoignant devant nous aujourd'hui.
Je sais que tous les membres du Comité voudront être mis au fait de toute conséquence que pourrait avoir votre comparution. Un témoin m'a parlé d'une tentative de représailles à la suite de sa comparution devant le Comité dans le cadre de notre étude sur l'antisémitisme, et nous ne manquerons pas de prendre les mesures qui s'imposent. Nous nous préoccupons vivement des risques que certains veuillent intimider les gens qui témoignent devant notre comité et nous serons très vigilants à cet égard.
Nous avons eu droit aujourd'hui à de vibrants témoignages qui vont tout à fait dans le sens de ce que j'espérais. Lorsque nous avons commencé à envisager une étude sur l'antisémitisme, je me suis dit que nous devrions aussi étudier l'islamophobie, pas nécessairement parce que les deux vont toujours de pair, mais parce que ce sont deux des formes les plus virulentes de haine sévissant à l'heure actuelle au sein de notre société.
Vous nous avez fait part de considérations bien senties au sujet de la perte du sentiment d'appartenance et du sentiment de sécurité. Le Parlement doit absolument faire quelque chose. J'aimerais demander à M. Nalir, du Centre islamique et de services communautaires de Toronto, ce qui, selon lui, a été le plus efficace pour rétablir un sentiment de sécurité, si cela a été possible, et ce qui serait le plus utile pour que les fidèles de sa mosquée puissent à nouveau se sentir en sécurité.
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Non. Je ne crois pas que les messages que le gouvernement a envoyés à ce sujet sont très convaincants. On nous répète sans cesse que la diversité est notre force. C'est simplement un mantra. Cela ne veut rien dire pour moi. Pourquoi serait‑ce notre force? Comment le gouvernement a‑t‑il démontré que c'est notre force? Si vous n'avez pas de réponse à cela, je ne pense pas que les gens vont vous croire sur parole lorsque vous l'affirmez.
La protection de toute minorité, et pas seulement des musulmans, doit être assurée par le gouvernement. J'estime qu'il incombe au gouvernement de mieux faire comprendre à tous les moyens qu'il met en œuvre pour protéger les communautés les plus vulnérables ou marginalisées, et les raisons pour lesquelles il est important qu'il le fasse. Je ne crois pas qu'il suffise de présenter encore plus de faits pour persuader les gens qui sont de l'avis contraire. On doit faire valoir des éléments beaucoup plus convaincants pour rallier les Canadiens, tous les Canadiens, et c'est le gouvernement qui doit s'en charger.
Les minorités sont bel et bien ostracisées. Comme M. Omer vient d'y faire allusion, cela se passe au niveau institutionnel. Il peut s'agir de gens qui, pour des raisons politiques, veulent que les musulmans soient considérés comme « les autres ». Il faut régler ce problème.
Les comités parlementaires ont un rôle à jouer à cet égard. Surtout depuis les attentats du 11 septembre, les personnes et les organisations qui ont été invitées à témoigner devant les comités parlementaires ont été recrutées au sein d'organisations et de groupes de réflexion financés par des donateurs privés et des fondations familiales privées, et non par la population musulmane en général. Il ne s'agissait pas toujours non plus d'universitaires représentant un établissement reconnu. Si vous invitez des pseudo-universitaires ou des ex‑musulmans partisans à témoigner au Parlement, vous contribuez à cette ostracisation, ce qui est condamnable. Les comités de la Chambre et du Sénat doivent mettre en œuvre des mécanismes de vérification des sources, et pas seulement des faits, parce que la vérification des faits ne fonctionne tout simplement plus dans l'état actuel des choses.
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Madame la présidente, merci de m'avoir permis de participer au débat important d'aujourd'hui.
Madame Al‑Sabawi, messieurs Babili, Islam, Nalir et Omer, assalam alaikum wa rahmatullahi wa barakatuhu, et bienvenue au Comité.
Je suis désolé d'entendre tous ces récits vécus, ces histoires de souffrance. Surtout au Canada, c'est douloureux d'entendre que nous devons encore faire face à ces problèmes, même si nous croyons vivre dans un monde différent de celui que nous avons connu au cours des dernières décennies. Ce ne sont pas les preuves qui manquent ni les incidents. Je pense qu'il y a un manque d'action.
Monsieur Islam, vous avez abordé plusieurs points. Vous avez dit que le message du gouvernement n'était pas efficace. Vous croyez qu'il y a encore des moyens qui n'ont pas été déployés pour s'attaquer au problème. Vous avez examiné ce que vous appelez la « maladie », puis vous avez mentionné qu'il y a de nombreux types d'islamophobie, ce dont nous sommes conscients. Cela peut être fonction d'une région ou d'une origine ethnique. Une religion ou des sectes peuvent être mises en cause. L'islamophobie se décline en maintes formes.
Nous faisons face à un grand défi. Je sais que la communauté musulmane n'est pas seule. On assiste également à une montée de l'antisémitisme au pays.
Monsieur Islam, quel est le plan d'action? Nous avons besoin d'un plan à court terme et de solutions à long terme dans ce dossier chaud auquel nous sommes confrontés. Vous représentez votre communauté et vous êtes membre d'une famille qui a vécu une épreuve terrible. Que voyez-vous comme solution? Comment peut‑on concerter les efforts? Vous-même et la communauté, avez-vous un plan en tête? Pensez-vous que cela va mettre les choses en perspective et nous aider à nous attaquer à ce fléau?
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C'est une excellente question, monsieur Aboultaif. De toute évidence, il faudra une réponse multisectorielle pour y arriver, et pas seulement celle du gouvernement, ni des dirigeants communautaires.
Il ne faut pas oublier le rôle de l'éducation. On a peut-être tendance à ranger cela sous la responsabilité provinciale, mais au nom de l'unité nationale et de la cohésion, on ne peut pas négliger le système d'éducation.
L'un des moteurs de la haine est aussi l'un des moteurs de la polarisation. De façon générale, quel que soit le sujet, la polarisation a augmenté au fil du temps, et la place des modérés est en train de rétrécir comme peau de chagrin. Les gens se campent sur des positions diamétralement opposées. Les sujets de discorde sont divers. Le changement climatique, les vaccins, et j'en passe. C'est là que l'étude de la polarisation doit chevaucher l'étude de la haine. Il faudra réunir de nombreuses disciplines.
La réalité, c'est que nous n'obtenons plus d'information de sources neutres. On nous transmet de plus en plus d'information sur ce que nous aimons. Si vous interagissez avec l'information, la transmettez et la commentez, les algorithmes supposent que vous l'aimez et vous en enverront de plus en plus de la même teneur. Les entreprises de technologie le savent et elles en profitent. Cela répond à leurs besoins. Elles ne sont pas tenues d'être des citoyens responsables. Je pense que c'est là l'origine du clivage dans la société.
La réponse est très complexe. Comme je l'ai dit plus tôt, le message au public doit être très efficace. Il faut faire appel aux émotions et ne pas se contenter de se fonder sur des faits. Si nous commençons par le système d'éducation pour vacciner les gens contre différents types d'algorithmes qui valident les préjugés, contre les sophismes logiques et les pièges intellectuels, on peut commencer à un très jeune âge. Cela va au‑delà de l'enseignement des mathématiques et de l'orthographe. On irait au cœur de la logique. Si nous commençons à l'école primaire, je pense que nous nous porterons mieux en tant que société.
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Merci, madame la présidente.
Je remercie les témoins de leur présence et les députés de leur intérêt pour cette question importante.
Nos discussions tombent à point. Nous tenons de nombreuses conversations importantes sur l'antisémitisme. C'est maintenant le Mois de la fierté. Notre gouvernement lutte contre toutes les formes de discrimination, qu'elle vise les Noirs ou d'autres groupes au sein de la société. C'est une étude extrêmement importante, et je tiens à remercier les témoins de leur force et de leur courage, en particulier ceux qui ont vécu une tragédie personnelle. J'espère que leur processus de guérison se poursuit.
Je n'ai que quatre minutes et demie environ, alors je vous prie d'être concis. J'aimerais commencer par M. Nalir.
Monsieur Nalir, vous avez parlé de la sécurité des institutions, comme les lieux de culte et les établissements communautaires. Tout d'abord, connaissez-vous le Programme de financement des projets d'infrastructure de sécurité pour les collectivités à risque? Si oui, et j'espère que la réponse est oui, avez-vous de la difficulté à y accéder? Je vous prie de répondre succinctement à mes questions.
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Merci, madame la présidente.
Merci à tous les témoins d'être des nôtres aujourd'hui.
Monsieur Islam, ma première question est pour vous. Tout d'abord, je vous offre mes condoléances, à vous et à votre famille, car je crois comprendre que vous avez des liens de parenté avec la famille Afzaal, qui a été victime d'une attaque brutale à London il y a trois ans.
Je ne vais pas prononcer le nom de la personne. La personne qui a finalement été condamnée pour cette attaque a été reconnue coupable de cinq chefs d'accusation distincts, dont quatre de meurtre au premier degré et un de tentative de meurtre. De plus, la Cour supérieure de l'Ontario a conclu que la personne avait commis des actes de terrorisme. Cette décision n'a eu aucune incidence sur la détermination de la peine, mais j'aimerais que vous me disiez si, à votre avis, elle a changé quelque chose.
Cela fait‑il une différence pour vous, pour votre famille, pour la communauté musulmane en général et, je dirais, pour tous les Canadiens, que cette personne ait été reconnue coupable d'un acte de terrorisme?
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Merci, madame la présidente.
Je remercie les témoins de leur présence et de leurs exposés, qui étaient percutants, en particulier celui de Mme Al‑Sabawi.
Monsieur Islam, je suis père de trois enfants et me suis rendu à Londres après la tragédie. Ma fille va à l'école. Elle est en 9e année et elle porte un hidjab. Depuis cet incident, je ne l'ai pas laissée rentrer chez elle ou aller à l'école à pied. Ma femme va la chercher et la dépose à l'école.
Cet incident a eu des répercussions durables sur tous les musulmans du Canada. Je n'avais jamais ressenti cela auparavant. Mes enfants et ma famille n'avaient jamais ressenti cela avant cet événement. Lorsque vous parliez de l'incident et des sentiments de votre fils et de votre fille, je pouvais faire un lien avec ma famille.
Je voudrais savoir ce que vous pensez de la décision du tribunal. Je sais que vous en avez parlé. On peut voir la réponse du gouvernement, de nos forces de l'ordre et du tribunal à cet incident. Pensez-vous que nous travaillons à améliorer la façon dont nous luttons contre l'islamophobie et l'antisémitisme? Qu'en pensez-vous?
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Merci, madame la présidente.
Je tiens à remercier tous nos témoins de leur présence aujourd'hui. Je tiens également à offrir mes condoléances à ceux d'entre vous qui ont perdu des êtres chers.
J'ai été très frappée par ce qu'a dit Omar Babili. Il a parlé des répercussions de l'attaque contre son église. Les élus locaux n'ont rien fait. Cela m'a touchée, car une centaine d'églises chrétiennes ont été incendiées au pays et le gouvernement libéral n'a rien dit ni fait. Dans le cadre de l'étude sur l'antisémitisme que nous venons de terminer, on a signalé que le nombre d'incidents haineux antisémites avait augmenté de 500 %. D'autres personnes sont également d'avis que le gouvernement fédéral n'avait pas agi de manière adéquate.
J'aimerais qu'on me parle de l'islamophobie, car depuis 2017, une étude sur l'islamophobie a été réalisée à la Chambre des communes, dans laquelle 16 recommandations ont été formulées; le rapport du Sénat, qui a été mentionné, qui contient 60 recommandations sur ce que le gouvernement pourrait faire a été publié; et un sommet national sur l'islamophobie a été organisé au Canada. Par ailleurs, le gouvernement a nommé une représentante spéciale chargée de la lutte contre l'islamophobie.
Compte tenu de tout cela, monsieur Babili, pensez-vous que les efforts que le gouvernement fédéral a déployés ont permis de réduire l'islamophobie au Canada?
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Je vous remercie, madame la présidente. Je remercie sincèrement les témoins d'être ici aujourd'hui.
Les témoignages que vous nous avez fournis sont très éloquents. Je sais que ce n'était pas facile, mais je pense que vous avez tous établi que l'islamophobie est malheureusement bien présente et que notre pays devrait faire beaucoup plus pour lutter contre l'islamophobie, comme nous le faisons pour d'autres crimes haineux.
J'aimerais d'abord m'adresser à M. Islam.
M. Fortin a commencé par demander s'il existe des points communs entre l'islamophobie et l'antisémitisme. Il se demandait en effet si nous pouvions utiliser les mêmes outils pour lutter contre l'islamophobie. Évidemment, les deux phénomènes sont troublants.
Vous avez eu l'occasion d'affirmer qu'à certains égards, il y avait des chevauchements entre les deux. Toutefois, j'imagine que vous vouliez également préciser les particularités de l'islamophobie et les raisons pour lesquelles elles sont importantes. Ai‑je bien évalué la situation, et pourriez-vous nous en dire plus sur ce point?
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Merci, madame la présidente.
Ma question s'adresse à l'étudiant M. Omer.
Présentement, l'article 319 du Code criminel interdit de fomenter la haine ou de fomenter l'antisémitisme. Cependant, il existe une exception à cette interdiction. À l'alinéa 319(3)b), on dit que « nul ne peut être déclaré coupable d'une infraction » quand « il a, de bonne foi, exprimé une opinion sur un sujet religieux ou une opinion fondée sur un texte religieux auquel il croit, ou a tenté d'en établir le bien-fondé par argument ». Il est donc interdit de fomenter la haine ou l'antisémitisme, mais on peut le faire si, de bonne foi, on exprime une opinion sur un sujet religieux.
On a déposé récemment un projet de loi visant à éliminer ces exceptions, pour que personne ne puisse, en aucune circonstance, fomenter la haine ou l'antisémitisme. Le fait que la personne se base sur un texte religieux importe peu. Cela devrait être tout simplement interdit.
J'aimerais que vous me disiez ce que vous en pensez, en une trentaine de secondes, monsieur Omer. Ensuite, j'aimerais poser la même question à d'autres témoins.
En fait, ma question s'adressait plutôt à l'étudiant Hamza Omer, qui s'est ajouté au groupe de témoins, mais qui n'a pas encore eu l'occasion de répondre à des questions. Ce n'est pas grave, je vais laisser tomber, puisque le temps file.
J'aimerais entendre la réponse de M. Nalir à cette même question.
Avez-vous entendu la question, monsieur Nalir?
Il semble que non, alors je vais laisser tomber.
Je me tourne donc vers vous, monsieur Islam. Je m'excuse, mais il ne me reste que quelques secondes pour entendre votre opinion sur la question.
L'article 319 du Code criminel interdit de fomenter la haine ou l'antisémitisme. Il existe une exception qui dit qu'on peut le faire si on se base sur un texte religieux. Nous proposons d'abolir cette exception. Qu'en pensez-vous?
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Je vous remercie beaucoup.
Je remercie beaucoup les témoins d'avoir comparu aujourd'hui. Encore une fois, tous les membres du Comité sont très reconnaissants de votre franchise et de votre présence. Si vous pensez pouvoir fournir une réponse à une question qu'on vous a posée, mais à laquelle vous n'avez pas pu fournir une réponse complète, n'hésitez pas à nous envoyer vos réponses par écrit.
Cela m'amène au sujet que je dois aborder avec le Comité. Je propose que le vendredi 21 juin soit la date limite pour le dépôt des mémoires dans le cadre de l'étude sur la lutte contre l'islamophobie. Je tiens donc à ajouter au compte rendu que le 21 juin sera la date limite pour le dépôt de mémoires dans le cadre de cette étude. Je pense qu'il a été rappelé que les mémoires doivent avoir trois pages.
C'est ce qui met fin à cette réunion du Comité.
Merci beaucoup aux témoins.
Je remercie beaucoup les membres du Comité. Quelqu'un a‑t‑il levé la main pour intervenir au sujet de ce que j'ai dit?
Monsieur Garrison, vous avez la parole.