Je déclare la séance ouverte.
Je vous souhaite la bienvenue à la 108e réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne.
Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le 21 mars 2024, le Comité poursuit son étude sur l'islamophobie.
[Traduction]
Avant de commencer, j'aimerais que les membres et les témoins s'assurent que les traductions en français et en anglais fonctionnent bien afin que notre réunion ne soit pas interrompue.
Si vous n'êtes pas certain de la façon d'utiliser l'interprétation, envoyez un message par l'entremise du greffier, et quelqu'un vous appellera si vous n'êtes pas ici en personne. Si vous êtes en personne, nous avons des ressources ici dans la salle pour veiller à ce que...
[Français]
l'interprétation en anglais est disponible quand je parle en français.
[Traduction]
Je tiens à rappeler aux membres et aux participants les mesures préventives suivantes.
Afin de prévenir les incidents de rétroaction sonore perturbatrice et potentiellement nuisible qui causent des blessures, nous rappelons à tous les participants en personne de garder leurs oreillettes loin du microphone en tout temps. Si vous n'en avez pas besoin parce que vous parlez français et anglais, débranchez-les, s'il vous plaît.
Si vous en avez besoin, vous les branchez. Quand ils ne sont pas dans votre oreille, il y a une marque sur la table. Veillez à ce que l'oreillette soit placée face vers le bas sur ce bout de papier à côté de vous afin d'éviter toute rétroaction sonore.
Consultez la fiche sur la table pour obtenir des directives sur la prévention des incidents de rétroaction sonore. Ces mesures sont en place pour assurer la sécurité de tous. Je vous remercie de votre collaboration.
La réunion d'aujourd'hui se déroule en mode hybride.
Des tests de connexion pour tous les témoins ont été effectués avant la réunion.
Aujourd'hui, nous entendrons deux groupes de trois témoins chacun.
Pour notre premier groupe de témoins, nous accueillons en personne Stephen Brown, président-directeur général du Conseil national des musulmans canadiens, ou CNMC.
Nous accueillons virtuellement Imran Ahmed, président-directeur général et fondateur du Center for Countering Digital Hate.
Nous accueillons Mme Samya Hasan, directrice exécutive du Council of Agencies Serving South Asians.
Je vais maintenant demander à chacun des trois représentants de faire une déclaration préliminaire de cinq minutes.
Je rappelle à tout le monde — pas seulement à nos témoins, mais aux membres du Comité — qu'il faut être patient. Nous tenons nos réunions ici de façon très pacifique et dans l'ordre. Lorsque je signale qu'il reste 30 secondes, je vous invite à en tenir compte. Lorsque votre temps sera écoulé, je le signalerai, au besoin. Si vous êtes membre du Comité, je vais vous interrompre, alors évitez-moi de le faire, s'il vous plaît. Si le témoin a besoin de quelques secondes de plus pour répondre, je serai indulgente.
Merci beaucoup à tous de votre collaboration. Je remarque qu'un certain nombre de membres sont nouveaux à notre comité, alors bienvenue.
Nous voulons être reconnu comme le comité où règnent le plus grand respect et la plus grande collégialité sur la Colline. Merci beaucoup à tous. J'aimerais que nous conservions ce titre.
Je vais maintenant commencer par le président-directeur général, Stephen Brown, qui est ici en personne.
:
Merci, madame la présidente.
[Traduction]
Bonjour, madame la présidente et mesdames et messieurs les députés.
Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant le Comité.
Je commencerai par dire que nous avions déclaré à l'origine que nous n'allions pas participer aux travaux du Comité. C'est parce que certains membres du Comité qui siégeaient ici ont contribué selon nous à aggraver le problème de l'islamophobie.
Par exemple, un député libéral a partagé le contenu de l'ancien chef de la Ligue de défense juive, une organisation terroriste inscrite sur la liste du FBI et un groupe lié aux kahanistes, une entité terroriste inscrite ici au Canada. Le député sait très bien qu'il a trafiqué ce contenu et il ne s'en est jamais excusé. Nous espérons que les recommandations du Comité tiendront compte, en partie, du fait que certains membres du Comité ont eux-mêmes nui à la lutte contre l'islamophobie, au lieu de la faciliter.
En effet, l'islamophobie est une forme dangereuse de haine qui a mené au meurtre de musulmans canadiens. Au cours des sept dernières années, plus de musulmans ont été tués dans des attaques haineuses ciblées au Canada que dans tout autre pays du G7 à cause de l'islamophobie. Par exemple, il y a eu l'attentat à la mosquée de Québec qui a coûté la vie à six fidèles en janvier 2017.
Ce mois-ci, nous honorons et commémorons les victimes de l'attentat terroriste de London, au cours duquel un terroriste motivé par la haine à l'égard des musulmans a fauché avec son camion une famille sur un trottoir, tuant quatre membres de la communauté aimés et laissant un jeune garçon orphelin le 6 juin 2021.
Dans nos lieux de culte sacrés et dans les espaces publics, les musulmans du Canada ne sont pas à l'abri de l'islamophobie violente, sans parler des nombreuses attaques qui ont eu lieu récemment au Canada et qui auraient pu facilement causer des décès.
[Français]
En dehors des incidents violents d'islamophobie qui terrorisent ce pays depuis près d'une décennie maintenant, la communauté musulmane, spécifiquement celle du Québec, fait face à une islamophobie systémique flagrante inscrite dans les mesures législatives québécoises.
Permettez-moi d'être clair. Depuis 2019, le gouvernement du Québec légifère sur la discrimination. Les répercussions de la Loi sur la laïcité de l'État, le projet de loi 21, ont causé un tourment mental à d'innombrables femmes musulmanes, qui doivent maintenant choisir entre leur foi et la vie au Québec, un endroit que beaucoup considèrent comme chez elles.
Comme le signale le rapport du Comité sénatorial permanent des droits de la personne sur les répercussions de la loi 21, bien que les conséquences directes de cette loi soient préoccupantes, ce comité a été troublé d'apprendre qu'elle a également renforcé indirectement des groupes et des individus racistes marginaux
[Traduction]
Au cours des derniers mois, il y a eu une hausse marquée de l'islamophobie et du racisme anti-palestinien partout au Canada. Au quatrième trimestre de l'an dernier, le nombre de ces incidents haineux au Canada qui nous ont été signalés a augmenté de 1 300 %.
Nos communautés subissent des niveaux sans précédent de haine et de violence de la part de toutes les couches de la société, y compris, mais sans s'y limiter, des professionnels qui perdent leur emploi ou qui font l'objet de mesures disciplinaires après avoir demandé un cessez-le-feu à Gaza, des musulmanes portant le hidjab qui ont été attaquées et harcelées dans des lieux publics, des enfants qui ont été intimidés à l'école par le personnel parce qu'ils étaient solidaires des droits de la personne palestiniens, et des manifestants pacifiques qui ont été étiquetés comme des partisans du terrorisme.
Malheureusement, la réponse que la communauté musulmane du Canada reçoit depuis des mois de la part de nos dirigeants élus est trompeuse; l'un dit que nos préoccupations lui tiennent à cœur, et l'autre fait immédiatement volte-face, propage la désinformation et tente délibérément de dépeindre toute une communauté comme un peuple haineux et intolérant.
Pour simplifier, il est temps de faire face à la musique: l'islamophobie est réelle. Elle cause des morts et elle continuera de le faire si cette étude n'est pas prise au sérieux.
Nous croyons que le Comité a le pouvoir et la capacité d'adopter ces recommandations avant la fin de la session parlementaire de 2024.
J'aimerais formuler trois recommandations clés.
La première, c'est que le Comité demande haut et fort à ses collègues de s'élever contre l'islamophobie et le racisme anti-palestinien et de réitérer à la Chambre des communes la nécessité de protéger les libertés civiles, y compris la capacité de critiquer des gouvernements étrangers.
La deuxième, c'est que le Comité adopte les recommandations du Sénat sur l'islamophobie, et la troisième, c'est que le Comité recommande rapidement au gouvernement d'intégrer un plan d'action sur l'islamophobie dans un addenda au Programme d'action et de lutte contre le racisme du Canada, en y inscrivant un échéancier concernant les recommandations du Sénat sur l'islamophobie.
Merci.
:
Merci beaucoup de m'avoir invitée à prendre la parole aujourd'hui.
Comme je l'ai dit, je m'appelle Samya Hasan. Je suis la directrice exécutive d'un organisme appelé le Council of Agencies Serving South Asians.
Je me joins à vous ce matin à partir des territoires autochtones traditionnels des Hurons-Wendat, des Haudenosaunee et des territoires des Mississauga, aussi connus sous le nom de Tsi Tkaronto.
La journée d'aujourd'hui est particulièrement chargée, comme mon collègue M. Brown l'a dit. C'est le troisième anniversaire de l'attaque terroriste de la famille de London, et je suis certaine que la lourdeur de ce souvenir se fera sentir tout au long de la journée lorsque d'autres comme moi feront leurs déclarations.
J'ai grandi à Toronto après les événements du 11 septembre, dans certains des quartiers les plus diversifiés de Toronto. Dans les écoles publiques, j'avais compris que la plupart des communautés musulmanes allaient être dépeintes comme des méchants. J'ai passé toute ma vie scolaire sur la défensive, à défendre mon choix de porter un hidjab, à défendre ma famille contre les stéréotypes ou à défendre ma communauté contre les attaques. Ce que je n'avais pas prévu à ce moment-là, c'est que la rhétorique haineuse finirait par se transformer en violence et en morts.
Notre groupe est une organisation de justice sociale qui lutte contre la haine et le racisme depuis plus de 30 ans. Nous avons participé activement à la lutte contre l'islamophobie, particulièrement au cours des cinq dernières années, parce que nous avons constaté une augmentation exponentielle de l'islamophobie pendant cette période.
Il y a trois points principaux que je veux souligner aujourd'hui, en fonction du travail que nous avons accompli en tant qu'organisation. Premièrement, il est important de sensibiliser les jeunes à la lutte contre l'islamophobie sous l'angle du combat contre l'oppression. Deuxièmement, il faut protéger nos collectivités contre les formes d'islamophobie en ligne. Troisièmement, il faut intégrer le racisme anti-palestinien à la stratégie de lutte contre l'islamophobie.
Au cours des cinq dernières années, nous avons travaillé avec divers conseils scolaires, en Ontario en particulier, pour créer des stratégies anti-islamophobie pour des conseils entiers en partenariat avec le CNMC, le Conseil national des musulmans canadiens. Nous voulons que toutes les provinces du Canada intègrent de telles stratégies dans tous les conseils scolaires du pays. Enseigner aux enfants à faire preuve d'empathie a un impact bien plus grand que d'enseigner aux adultes à désapprendre la haine et les préjugés auxquels ils ont été exposés toute leur vie.
Je comprends qu'il y a des considérations de compétence en matière d'éducation; cependant, nous savons que lorsque le gouvernement fédéral veut que les provinces fassent quelque chose, il dispose des mécanismes, des pressions et des incitatifs pour le faire. Il faut que le gouvernement fédéral s'engage à cet égard, à encourager et à travailler avec tous les gouvernements provinciaux pour rendre obligatoire l'intégration d'une éducation anti-islamophobie d'affirmation identitaire dans toutes les écoles publiques du Canada.
Deuxièmement, nous savons que le projet de loi sur les méfaits en ligne qui a été présenté récemment est une mesure législative bienvenue, surtout pour les organisations qui luttent contre la haine et la propagande haineuse en ligne depuis très longtemps. Nous savons que c'est bien accueilli dans de nombreuses communautés musulmanes également; cependant, nous voulons nous assurer qu'il y a en place des mesures de surveillance rigoureuses qui empêcheront les communautés racialisées et musulmanes d'être injustement criminalisées. Nous ne savons que trop bien ce qui s'est passé après les événements du 11 septembre lorsque les personnes musulmanes, noires et brunes ont été surveillées de trop près. Nous voulons être convaincus que ce projet de loi sur les méfaits en ligne ne sera pas utilisé à mauvais escient pour continuer à opprimer nos communautés.
Enfin, je sais que le troisième point sera soulevé assez souvent au cours de cette audience. Au cours des huit derniers mois, nous avons constaté une augmentation exponentielle de l'islamophobie et des crimes haineux contre les communautés musulmanes partout au pays. Nous avons constaté en particulier des femmes visiblement musulmanes extrêmement vulnérables aux discours haineux, que ce soit en ligne ou en personne.
Nous avons également été témoins de l'interconnexion entre l'islamophobie et le racisme anti-palestinien au Canada et dans le monde entier. Des communautés musulmanes ont été ciblées par l'islamophobie parce qu'elles appuient le peuple palestinien et les droits de la personne en Palestine. Nous ne pouvons plus nous cacher de cet appui, et il est grand temps que le gouvernement s'y attaque. Il n'y a aucune partie de notre stratégie de lutte contre le racisme ou de nos stratégies de lutte contre la haine qui s'attaque au racisme anti-palestinien. Ces stratégies doivent nommer, définir et combattre le racisme anti-palestinien au Canada. Nous devons mettre fin à la déshumanisation des Palestiniens causée par le fait de ne pas tenir compte de leurs appels à la protection contre les abus, la haine et la violence.
Les communautés musulmanes et leurs alliés sont outrés et brisés par le génocide qui se déroule sous nos yeux et qui est très clairement diffusé. Les protestations contre ce génocide ont été largement citées comme étant essentiellement pacifiques, sauf à quelques reprises lorsque les manifestants ont été provoqués par la police ou par des contre-manifestants.
À notre grande déception, la majorité des politiciens ont déformé ou dénigré à tort la défense légitime des droits des Palestiniens, ou ils ont gardé un silence assourdissant. Pas plus tard que la semaine dernière, nous avons assisté au silence choquant de notre propre premier ministre lorsque les nouveaux arrivants et les immigrants ont été blâmés, sans preuve à l'appui, pour leurs activités criminelles.
Si nous voulons lutter contre l'islamophobie sous toutes ses formes, il est impératif que le gouvernement passe d'abord de la parole aux actes. Nos politiciens se sont beaucoup aliénés les communautés musulmanes.
Je terminerai en disant qu'en ce qui concerne l'éducation, je pense que nos politiciens devraient recevoir la même éducation obligatoire que nos jeunes sur l'anti-islamophobie.
Merci beaucoup.
:
Madame la présidente et membres du Comité permanent de la justice et des droits de la personne, je vous remercie de m'avoir invité à prendre la parole devant vous aujourd'hui.
Je m'appelle Imran Ahmed. Je suis le fondateur et le président-directeur général du Center for Countering Digital Hate, le CCDH.
Le CCDH fait des recherches sur la désinformation et les discours haineux sur les plateformes de médias sociaux. Nos recherches ont démontré à maintes reprises que les plateformes de médias sociaux et les moteurs de recherche sont des gestionnaires irresponsables de notre écosystème d'information numérique, car leurs modèles d'affaires comportent des problèmes systémiques qui influent sur la prévalence de l'islamophobie, de l'antisémitisme, de la misogynie, des discours anti-LGBTQ+ et d'autres formes de haine fondée sur l'identité.
Aucune enquête sur la crise actuelle de l'antisémitisme et de l'islamophobie ne peut être menée sans examen du rôle de ces plateformes. S'attaquer à une seule forme de haine, que ce soit l'antisémitisme ou l'islamophobie, ne reconnaît pas que les systèmes qui sous-tendent le problème commun — les règles de ces plateformes et la piètre façon dont elles sont appliquées, et leurs algorithmes et leurs décisions en matière de conception de plateforme — privilégient le contenu haineux.
Ma déclaration et le mémoire qui l'accompagne sont tirés de recherches approfondies du CCDH sur l'islamophobie et d'autres formes de haine sur les médias sociaux [Difficultés techniques]. Premièrement, on y conclut que les algorithmes des médias sociaux favorisent et propagent la haine fondée sur l'identité et l'islamophobie. Deuxièmement, on y constate que les incitatifs financiers [Difficultés techniques]. Troisièmement, on y constate que les entreprises de médias sociaux échouent [Difficultés techniques] haineux...
:
Concernant le premier point, les algorithmes et les systèmes de recommandation sont les fonctions qui classent et organisent le contenu sur les plateformes de médias sociaux, et ils le présentent dans les flux d'information des utilisateurs en fonction de la probabilité que chaque personne y participe et y interagisse. Cela semble innocent, mais la recherche du CCDH a démontré une forte relation entre ces algorithmes et la promotion de contenu haineux, parce que la conception de ces algorithmes accorde la priorité à l'attention et à la participation, et le contenu incendiaire comme la haine fondée sur l'identité est privilégié. [
Difficultés techniques] être diffusé à plus de gens [
Difficultés techniques] que le contenu concernant [
Difficultés techniques].
Dans le cas du deuxième point, les deux aspects vont de pair. Dans « Hate Pays », le CCDH montre que les comptes de médias sociaux ont utilisé le conflit entre Israël et la bande de Gaza pour croître et tirer des profits [Difficultés techniques] récompensé ces comptes pour la production de contenu haineux avec une croissance phénoménale du nombre d’abonnés, une visibilité accrue et une hausse des revenus.
Nous avons découvert que les comptes qui ont commencé à publier du contenu haineux antisémite et islamophobe dans la foulée des attaques perpétrées le 7 octobre par le Hamas à l’endroit d’Israël ont connu une croissance quatre fois plus rapide, en moyenne, qu'avant l'attaque. L’analyse montre comment des acteurs malveillants ont réussi à exploiter le conflit pour augmenter leur nombre d’abonnés, diffuser des messages haineux et en tirer profit.
Pour ce qui est du troisième point, l'ironie, bien sûr, c'est que toutes les plateformes ont des règles sur le contenu haineux, mais, encore et encore, le CCDH a montré que les plateformes n'ont pas réagi à l'islamophobie lorsqu'elle leur a été signalée. Dans son rapport de 2022 intitulé « Failure to Protect », le CCDH a montré que Facebook, Instagram, TikTok, Twitter et YouTube n’ont pas agi dans 89 % des cas lorsque des publications contenant de la haine envers les musulmans et du contenu islamophobe leur ont été signalées.
Les chercheurs du CCDH ont utilisé les outils de signalement des plateformes pour signaler 530 publications qui renfermaient du contenu perturbant, intolérant et déshumanisant qui cible les musulmans sous forme de caricatures racistes, de complots et de fausses allégations. Ces publications ont été consultées à 25 millions de reprises. Elles renfermaient des mots-clics comme #deathtoislam, #islamiscancer et #raghead. La diffusion du contenu à l’aide des mots-clics a reçu au moins 1,3 million d’impressions, et dans 89 % des cas, même lorsqu'il a été signalé, rien n'a été fait.
Enfin, pour le quatrième point, la haine en ligne a des conséquences hors ligne. Les entreprises de médias sociaux n'ont pris aucune mesure à l'égard des problèmes soulevés par le CCDH, et ces lacunes systémiques sont maintenant reconnues comme un facteur dans les attaques motivées par la haine partout dans le monde, de Christchurch à Pittsburgh. Ces actes haineux non équivoques dans le monde hors ligne matérialisent les échecs des médias sociaux et mettent en lumière les enjeux importants qui en découlent.
Les communications toxiques ne sont pas simplement un fait inévitable sur la place publique, dans le monde numérique, mais plutôt un produit du modèle d’affaires des entreprises de médias sociaux et des incitatifs financiers qu’ils créent, avec des conséquences fondamentales hors ligne.
En conclusion, le CCDH appuie le Comité permanent dans cette étude et croit que toute solution au fléau de la haine contre les musulmans et les juifs au Canada doit tenir compte du rôle des plateformes de médias sociaux dans l'amplification et la diffusion de la haine fondée sur l'identité.
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Merci, madame la présidente.
Merci à tous nos témoins de s'être joints à nous ce matin dans le cadre de cette étude et de leurs témoignages.
Nous reconnaissons également qu'il s'agit du troisième anniversaire de la mort tragique de quatre innocents. Cela ne nous échappe pas.
J'aimerais poser une question à ce sujet. Je vais vous poser la question, monsieur Brown.
En 2022, la Cour suprême du Canada a entendu un appel de la Cour d'appel du Québec concernant les périodes consécutives d'inadmissibilité à la libération conditionnelle qui devaient être purgées par l'homme qui est entré dans la Grande Mosquée de Québec en janvier 2017 pour y abattre six fidèles innocents. Cette loi était en vigueur au Canada. Avant la modification de la loi, il y avait une réduction de peine pour les auteurs de meurtres en série. En d'autres mots, si quelqu'un tuait une personne, elle était inadmissible pendant 25 ans à la libération conditionnelle. S'il tuait trois personnes, comme cela a été le cas — l'anniversaire a eu lieu la semaine dernière —, lorsque la personne a tiré sur trois agents de la GRC à Moncton, elle était quand même inadmissible pendant 25 ans à la libération conditionnelle.
Lorsque nous étions au pouvoir, nous avons apporté à la loi une modification qui accordait de l'importance à chaque vie, de manière à imposer des périodes consécutives d'inadmissibilité à la libération conditionnelle. Par exemple, l'individu coupable des meurtres de Moncton a été condamné à trois périodes consécutives d'inadmissibilité à la libération conditionnelle, soit 75 ans. Cette peine a été contestée dans le cas de la fusillade dans une mosquée. Les familles des victimes nous ont dit ce que cette loi signifiait pour elles après avoir perdu un être cher de façon aussi horrible. Une personne de la communauté a dit au Comité qu'elle pouvait trouver du réconfort dans le fait que sa fille n'aurait pas à assister aux audiences de libération conditionnelle tous les deux ans pour essayer de garder l'individu derrière les barreaux. Le 27 mai 2022, la Cour suprême a invalidé les périodes consécutives d'inadmissibilité à la libération conditionnelle et a rétabli la loi à sa version antérieure, de sorte que même dans un cas de meurtre de masse, comme ce qui s'est produit à London, à Moncton ou à Québec, une personne ne peut être inadmissible à la libération conditionnelle que pendant 25 ans.
J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Le gouvernement fédéral n'a pas réagi à la décision de quelque façon que ce soit et n'a pas essayé de formuler quelque réponse que ce soit. De toute évidence, je pense qu'ils devraient le faire, mais j'aimerais savoir ce que vous en pensez, du point de vue de la valeur de chacune de ces vies.
:
Merci beaucoup, monsieur Moore.
La fusillade de la mosquée de Québec en 2017 a été l'une des périodes les plus difficiles de l'histoire pour notre communauté. Ce qui est tragique, c'est que ce n'était pas la première fois que la mosquée était attaquée. Avant l'attaque terroriste de janvier, il y avait eu de très nombreuses attaques contre des musulmans à Québec, en particulier contre la mosquée. La réaction des politiciens et des médias était franchement honteuse.
Par exemple, une carcasse de porc a été placée devant la mosquée. Les animateurs de radio, dont l'un est actuellement chef d'un parti au Québec, ont essentiellement dit: « Quel est le problème? Il n'y a rien d'illégal à placer une carcasse de porc devant une mosquée. »
La mosquée a été victime de haine. Des marches d'extrême droite ont été organisées autour de la mosquée. Tous ces événements ont été signalés aux autorités. Les autorités n'ont rien fait et, en fait, la rhétorique antimusulmane continue de prendre de l'ampleur dans la province.
Ensuite, quelqu'un s'est présenté à la mosquée et a abattu six personnes, et tout le monde a été complètement surpris. Je me souviens d'avoir parlé à l'époque à des membres de la communauté musulmane et de la communauté musulmane de Québec, et ce qui était triste, c'est que les gens n'étaient pas surpris. La mosquée avait déjà commencé à chercher des moyens d'améliorer la sécurité parce qu'elle était constamment attaquée.
Je me souviens d'être allé à la mosquée et d'avoir vu une salle pleine d'enfants qui récitaient des prières traditionnelles dans notre religion et qui parlaient de la façon dont les êtres humains vivent des tragédies, mais seul Dieu, au bout du compte, connaît vraiment la sagesse de ces gestes. Je me souviens d'avoir parlé à des gens qui ne peuvent toujours pas aller prier à la mosquée parce que chaque fois que la porte est derrière eux, il leur est impossible de se concentrer sur la prière parce qu'ils ont peur que quelqu'un entre par la porte arrière. Encore aujourd'hui, quand je me présente à la mosquée de Québec, les gens doivent me laisser entrer.
Pour répondre à votre question, la communauté musulmane espérait et attend toujours que cette personne passe le reste de sa vie derrière les barreaux. Cela dit, la Cour suprême a rendu une décision qui, comme vous l'avez dit, le rend admissible à la libération conditionnelle après 25 ans. Nous respectons la décision de la cour, mais nous serons présents tous les deux ans à ses audiences de libération conditionnelle pour nous assurer qu'il ne quitte jamais la prison, et nous sommes contre le recours à la disposition de dérogation pour appliquer des peines consécutives.
:
Merci, madame la présidente.
[Traduction]
Je remercie tous les témoins d'être ici en personne et en ligne aujourd'hui. Merci de vous joindre à nous. Nous sommes conscients de votre force, de votre courage et de vos efforts de défense des droits, surtout à l'occasion du troisième anniversaire de la tragédie de London, en Ontario, où la famille Afzaal a été décimée, la collectivité de London aussi a été traumatisée et des vies ont été perdues.
J'aimerais parler des leçons que nous avons apprises ou que nous n'avons pas apprises.
Nous soulignons aujourd'hui l'anniversaire des meurtres de la famille Afzaal il y a trois ans et ses répercussions sur la collectivité de London, en Ontario. Revenons maintenant à aujourd'hui.
Pas plus tard que la semaine dernière, ici à Ottawa, dans une situation qui n'est pas nécessairement unique, il y a eu une agression. Un homme a été filmé en train de frapper une femme au visage, ce qui l'a projetée au sol, si je me souviens bien. Cette dame protestait, de toute évidence, contre ce qui se passe à Gaza. Avez-vous des commentaires à faire sur cette situation en ce qui concerne cette agression et ses conséquences?
Il y a quelques jours à peine, un homme a agressé physiquement une femme, une musulmane portant son hidjab, qui manifestait pacifiquement ici même à Ottawa, à l'extérieur du Centre EY. Il s'est approché d'elle et l'a frappée, la projetant au sol. Elle a été transportée à l'hôpital pour y être soignée pour des blessures graves.
Très franchement, ce sont des incidents comme ceux-ci, entre autres, qui sont très préoccupants et qui pavent la voie à une islamophobie plus flagrante.
Une autre femme s'est fait arracher son hidjab et a été interpellée verbalement par une autre femme.
Même au début de la semaine, lors d'une activité de sensibilisation, un membre de notre conseil d'administration au Conseil national des musulmans canadiens, ou CNMC, a été accostée par un homme, près de Queen's Park, parce qu'elle est une femme qui porte le hidjab.
Ce genre d'incidents se produit à une fréquence alarmante dans les rues canadiennes. Cela montre simplement qu'à l'heure actuelle, l'islamophobie pose un véritable problème. Pour une raison ou une autre, les gens estiment qu'il est acceptable d'accoster dans la rue des musulmanes qui portent un hidjab.
C'est pourquoi je reviens à nos recommandations. Il est très important que les membres du Comité dénoncent clairement l'islamophobie. Il est vraiment important d'examiner les recommandations formulées par le comité sénatorial et de les adopter afin que nous puissions faire en sorte que tous les membres de notre société, y compris les femmes musulmanes, puissent se promener en toute sécurité dans les rues du Canada.
:
Je reconnais qu'il s'agissait d'un rapport très approfondi et exhaustif dont l'examen au Sénat a pris près d'un an. Nous avons souvent la mémoire courte. Je suis devenu adulte au début des années 2000. Je suis devenu adulte après 2001.
[Français]
En 2001, j'étais à l'université.
[Traduction]
J'ai été profondément marqué, de mon engagement public et tout au long de ma vie adulte jusqu'à aujourd'hui. Je repense à cette période et je reconnais que ces événements ont eu une incidence sur ma trajectoire, mais je ne m'en étais pas rendu compte à l'époque. Je me souviens de certaines des discussions que nous avons eues au cours de la décennie qui a suivi 2001, et je me souviens que vous avez parlé de ce qui se passe dans certaines provinces du pays. C'est un dialogue important.
Je me souviens également qu'au niveau fédéral, lorsque le gouvernement précédent, le gouvernement conservateur, a mené une campagne électorale, il y a eu des calomnies flagrantes à l'endroit des musulmans et des caricatures. Tous les deux jours, on voyait une personne portant le niqab à la une d'un journal ou, dans certains cas, on en parlait dans presque tous les discours du Parti conservateur pendant la campagne électorale.
Je reconnais que les gens changent et évoluent. J'aimerais que vous commentiez, monsieur Brown, l'importance pour les élus d'être très conscients de la façon dont ils parlent des minorités. Je sais qu'en 2015, lorsque notre gouvernement est arrivé au pouvoir, nous avons pris bien soin de ne pas calomnier les collectivités simplement pour nous faire du capital politique.
Je vous écoute, monsieur Brown.
:
Merci, madame la présidente.
Je remercie tous les témoins qui sont avec nous ce matin, soit M. Brown et, en ligne, M. Ahmed et Mme Hasan.
L'islamophobie est un sujet important et sérieux. Je suis bien fier d'appartenir à ce comité, qui a décidé d'entendre des témoins et de faire rapport sur la situation. Comme l'ensemble de mon parti, le Bloc québécois, je pense que toute forme de haine est à rejeter, que bien vivre ensemble impose que nous nous respections les uns les autres, au-delà de la religion, de la race, de la couleur, de l'opinion politique, culturelle ou autre, de l'orientation sexuelle ou du genre. Tout cela appartient à chacun d'entre nous, et nous devons vivre, à mon avis, dans le respect des spécificités de chacun. Évidemment, toute forme de haine, quant à nous, est à rejeter.
Cela dit, j'ai entendu les propos qui ont été exprimés sur le problème de la haine en ligne. Évidemment, comme vous le savez, nous nous penchons déjà là-dessus et un projet de loi est en cours à ce sujet.
Mon parti, le Bloc québécois, a déposé un projet de loi qui vise à retirer les exceptions religieuses prévues au Code criminel. Pour résumer, le Code criminel interdit de fomenter l'antisémitisme ou la haine, mais prévoit des exceptions, dont deux voulant que, si c'est basé sur un texte religieux, cela peut être fait. Je vous épargne les détails, mais, à notre avis, cela ne devrait pas exister.
J'aimerais vous entendre là-dessus, monsieur Brown. Y a-t-il lieu de retirer l'exception religieuse prévue à l'article du Code criminel qui interdit de fomenter la haine, ou doit-on conserver cette exception?
:
Je vous remercie de votre question, monsieur Fortin.
D'abord et avant tout, toute forme de haine est inacceptable. Je dirais que particulièrement la haine qui est encouragée par les gouvernements est encore plus inacceptable. Par exemple, la loi 21 du Québec, soit la Loi sur la laïcité de l'État, est littéralement une forme de haine qui vise les minorités et cherche à enlever les droits des citoyens.
Je vais répondre à votre question, mais je pense que c'est important de dire que plusieurs formations politiques sont sélectives quant au type de haine qu'elles condamnent. Le but des séances du Comité est de trouver des mesures pour réduire l'islamophobie et de poursuivre une ligne de questionnement qui implique que c'est le discours religieux lui-même qui est la source de la haine.
Franchement, ce n'est pas seulement problématique, mais c'est aussi emblématique de la nécessité de tenir ces audiences.
:
Oui, vous avez raison, mais il y a des juristes qui se penchent et qui vont continuer de se pencher sur cette question. Je voulais simplement avoir votre opinion, mais vous n'êtes évidemment pas obligé de me la donner.
Je veux revenir, alors, sur la question de la loi 21 dont vous parlez. Évidemment, nous sommes au Parlement fédéral, et la législature de Québec ne nous concerne pas. J'aimerais quand même entendre ce que vous avez à dire sur le principe. Ce que je comprends, en lisant la loi 21, en fait, c'est qu'elle est relativement simple. On y lit que chacun est libre de pratiquer la religion de son choix et d'afficher toute préférence religieuse, quelle qu'elle soit, peu importe si l'on fait partie de la communauté juive, de la communauté musulmane, de la communauté chrétienne ou catholique ou autre. Cependant, l'État, lui, ne doit pas mettre le nez là-dedans, si vous me passez l'expression. L'État doit être neutre, être laïque. Cela implique que les gens qui représentent l'État, c'est-à-dire les policiers, les juges, les enseignants, entre autres, ne devront pas afficher de préférence religieuse, de telle sorte que les citoyens qui se trouvent devant eux se sentent tout à fait à l'aise d'afficher une préférence religieuse et n'aient pas peur d'être victimes de discrimination pour autant.
Je ne sais plus comment vous l'avez formulé, et je ne veux pas vous mettre de mots dans la bouche, mais pouvez-vous m'expliquer en quoi le texte de la Loi implique, pour vous, la haine de l'État ou représente la haine de l'État?
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Je tiens à remercier les témoins d'être avec nous aujourd'hui, et en particulier en ce jour qui est difficile pour la communauté musulmane du pays, et particulièrement à London. Je tiens à souligner encore une fois que nous avons eu le privilège, lors de notre première séance, d'entendre des membres de la famille et des amis de London parler des répercussions réelles de l'islamophobie sur la vie quotidienne.
Je remercie M. Brown de nous avoir signalé les recommandations du Sénat et je remercie également Mme Hasan de nous avoir parlé du silence et des paroles. Je pense que le point qu'elle a soulevé est très important, à savoir que le silence en dit souvent très long.
Mes questions s'adressent à M. Ahmed. Je pense qu'il est clair pour nous tous que la haine fondée sur l'identité n'est pas un phénomène nouveau, mais la façon dont elle est traitée dans les médias sociaux est un phénomène nouveau.
J'ai deux questions.
Premièrement, dans le cadre de votre recherche, avez-vous constaté que les médias sociaux jouent le rôle principal dans la promotion de la haine? Deuxièmement, à qui la haine est-elle le plus susceptible d'être promue dans les médias en ligne?
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Les médias sociaux, pour le meilleur ou pour le pire, sont devenus le principal moyen par lequel nous échangeons de l'information, par lequel nous négocions nos valeurs et par lequel nous négocions même le corpus d'information que nous appelons les faits. C'est devenu le principal moyen par lequel nous établissons la norme de nos attitudes et nos comportements. Par conséquent, ils ont un effet resocialisant sur le monde hors ligne, de sorte qu'avec la prévalence accrue de la haine et les mensonges qui sous-tendent toujours la haine — les mensonges et la haine sont inextricablement liés —, nous constatons une normalisation croissante des idées haineuses et des discours haineux en soi.
Pour répondre à la deuxième partie de votre question, je pense que le véritable problème que cause la prévalence croissante de la haine, c'est qu'elle est transmise aux victimes et qu'elles y répondent. Cela rend donc le monde plus haineux et entraîne une polarisation. Elle est également communiquée à des gens qui ont déjà manifesté un certain intérêt à son égard auparavant, mais la vérité, c'est qu'elle est également communiquée à des personnes normales du public et qu'elle a donc cet effet de resocialisation également.
Les trois éléments, qu'il s'agisse de terroriser les musulmans, d'encourager les gens qui détestent les musulmans ou de faire sentir au grand public que la plupart des gens détestent les musulmans, ont des effets [Difficultés techniques], mais néanmoins très pernicieux.
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Adopter une législation exhaustive sur la transparence qui ouvre les algorithmes et leurs politiques d'application du contenu quant à la façon dont ils prennent des décisions, de sorte que si un contenu était retiré ou ne l'était pas, il serait possible de savoir quelle règle les médias sociaux ont appliquée et comment ils ont évalué la question. Il faut aussi assurer la transparence de la publicité. C'est la principale raison pour laquelle les médias sociaux existent: nous sommes leur produit. Les utilisateurs sont le produit qui est consommé sur les médias sociaux. Nous sommes la proie des vrais clients, c'est-à-dire les annonceurs. Il doit y avoir une plus grande transparence quant à la façon dont les exigences des annonceurs influent sur la façon dont ils nous présentent l'information.
Deuxièmement, il faut les obliger à rendre des comptes plus efficacement, mais il est impossible de le faire sans transparence.
Enfin, il faut prévoir des recours individuels et sociétaux ou des moyens d'imposer des coûts à ces entreprises si, dans leur négligence, elles causent un préjudice à une personne du public. Si vous êtes victime d'une attaque perpétrée par une personne radicalisée qui a été bombardée de contenu haineux en ligne, vous devriez avoir un moyen de tenir les médias responsables de leurs actes.
Sur le plan systémique, le Canada devrait pouvoir exiger des médias sociaux qu'ils fassent le ménage, faute de quoi il leur imposera des coûts pour leur inaction. Il y a présentement une crise causée par l'inaction de ces entreprises. Elles ne ressentent aucune pression. Il est temps d'augmenter la pression exercée sur elles.
L'Union européenne a adopté un règlement sur les services numériques. Le Royaume-Uni a adopté une loi sur la sécurité en ligne. Dans les deux cas, la transparence, la reddition de comptes et la responsabilité économique à l'égard des externalités négatives des médias sociaux sont profondément ancrées dans la logique de leur application.
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Merci, madame la présidente, et merci à tous les témoins d'être ici avec nous aujourd'hui pour nous aider à mener à bien cette étude très difficile et stimulante sur la lutte contre l'islamophobie.
Nous sommes particulièrement sensibles au sujet à l'étude aujourd'hui, puisqu'il s'agit du troisième anniversaire des meurtres tragiques commis à London.
Monsieur Ahmed, j'ai été fasciné par votre témoignage d'aujourd'hui et par ce que j'ai lu à votre sujet sur le site Web de votre organisation. Vous avez vivement critiqué les géants des médias sociaux pour ne pas avoir tenu leur promesse de respecter l'appel de Christchurch visant à éliminer le terrorisme et le contenu extrémiste violent en ligne. Vous avez dit, comme vous l'avez répété aujourd'hui, que selon vos recherches jusqu'à maintenant, les plateformes de médias sociaux ont échoué 89 % du temps; on peut donc dire qu'elles ont bien fait 11 % du temps. Ce n'est pas un bon ratio.
Ma question est la suivante: la technologie permettrait-elle aux plateformes de médias sociaux d'améliorer considérablement ce ratio?
En me préparant pour ce comité, j'ai fait moi-même quelques recherches. Votre site Web m'a mené à l'expression « théorie du grand remplacement », que je ne connaissais pas très bien, alors j'ai pensé à la googler. Pris séparément, ce sont des mots qui n'ont rien d'exceptionnel — « théorie », « grand » et « remplacement » — et ce qui est apparu sur mon écran de toute façon, c'est cinq ou six documents universitaires et encyclopédiques expliquant en quoi consiste cette théorie et en la critiquant sévèrement comme étant raciste.
Existe-t-il une technologie permettant de faire la distinction entre les bonnes et les mauvaises utilisations d'une expression, de sorte que des gens comme moi, qui veulent simplement faire une recherche honnête et ouverte, ne soient pas exclus?
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Nous parlons des plateformes de médias sociaux en particulier, et nous parlons aussi des mesures qu'elles prennent lorsque des utilisateurs leur signalent des propos haineux et que ces propos sont interdits en vertu de leurs règles.
Nous avons constaté que lorsque vous leur rapportez une situation, vous leur tendez la main pour demander de l'aide. Nous tendons la main pour demander justice en vertu des règles qui nous incombent en tant qu'utilisateurs; je suis sûr que vous êtes un homme responsable et que, par conséquent, vous respectez toutes les règles de ces plateformes et ne publiez pas de contenu haineux. Nous estimons que ces règles et responsabilités sont réciproques, nous nous attendons à ce que les autres les respectent également et nous nous attendons aussi à ce que la plateforme qui les a définies les applique. Nous constatons que dans 89 % des cas, même lorsqu'un contenu haineux leur est signalé, ils ne font rien.
Ce n'est pas une question de technologie, mais bien de volonté d'agir. Si elles veulent réussir dans 100 % des cas, qu'elles investissent dans la confiance et la sécurité, dans la modération du contenu et dans l'application des règles, ou qu'elles nous disent la vérité, à savoir qu'elles s'en fichent. Toutefois, d'une façon ou d'une autre, soit elles nous jettent de la poudre aux yeux, soit elles négligent de façon chronique les règles qu'elles prétendent vouloir appliquer.
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Merci beaucoup, madame Zahid.
Oui, comme je l'ai dit précédemment, au cours des huit derniers mois, l'islamophobie a connu une montée fulgurante dans tout le pays. Nous avons constaté une augmentation de 1 300 % du nombre de cas signalés à notre clinique juridique du Conseil national des musulmans canadiens.
L'un des exemples les plus flagrants que nous ayons reçus est celui d'un jeune garçon qui s'appelle Hamza. Hamza est un élève musulman qui suit un programme pour personnes ayant des besoins particuliers dans une école secondaire du York Region District School Board. Il a été violemment agressé par un groupe d'élèves qui s'amusaient à l'appeler « Hamas » au lieu de Hamza, entre autres insultes racistes et islamophobes.
Cette attaque brutale a laissé Hamza ensanglanté, le nez fracturé. Il avait de la difficulté à respirer, entre autres problèmes de santé, mais l'école n'a pas appelé d'ambulance et n'a pas répondu aux besoins médicaux et autres de Hamza.
C'est à la suite d'une immense frustration face à la réaction de l'école que les parents de Hamza ont été contraints de le transférer dans une autre école, alors que les intimidateurs eux-mêmes sont restés à l'établissement. Ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres des membres les plus vulnérables de notre société qui paient le prix de l'islamophobie.
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Avant l'adoption du projet de loi 21, de longues discussions ont eu lieu au sein de la société sur le malaise qu'éprouvaient de nombreuses personnes à l'égard des femmes musulmanes en particulier. De nombreux gouvernements avant la CAQ ont fait des recommandations pour supprimer les droits des personnes, mais c'est en 2019 que le gouvernement du Québec a décidé de promulguer une loi qui supprimerait les droits des citoyens à exercer certaines professions.
Pour moi, en tant que Québécois et Canadien noir, c'est extrêmement troublant. Je viens d'une famille qui vit ici depuis sept générations. Lorsque mon père est né en 1949, les Noirs n'avaient toujours pas le droit d'aller à l'université, d'étudier ce qu'ils voulaient ni de travailler où ils voulaient. Mon grand-père ne pouvait pas travailler à l'usine sidérurgique de Hamilton parce que les syndicats ne voulaient pas de Noirs.
Je suis le premier homme né dans l'histoire de ma famille à avoir le droit de travailler et d'étudier où je veux, et je suis la dernière génération de ma famille à pouvoir le faire, parce qu'une fois de plus, le gouvernement du Québec a adopté une loi qui signifie que les personnes qui me ressemblent et qui ressemblent aux membres de ma famille sont désormais exclues de certaines professions en raison de leur apparence.
Le gouvernement du Québec a renvoyé ma famille dans les années 1940. Et ça se passe au Canada. La loi a été adoptée en utilisant la disposition de dérogation sous bâillon, pour qu'il n'y ait pas de débat à l'Assemblée nationale. Cela a été fait parce que le premier ministre du Québec a dit dans une entrevue, après l'adoption de cette loi, qu'il faut parfois donner un peu à la majorité, parce qu'il y a des gens racistes dans la société qui s'inquiètent de la façon dont les minorités religieuses se comportent dans la rue.
C'est une chose que notre pays ne peut pas tolérer. Le Canada ne peut pas être une démocratie libérale si nous avons un ensemble de règles pour un type de personnes et un autre ensemble de règles pour un autre type de personnes en fonction de leur identité. Il y a un terme utilisé pour décrire les citoyens qui ont moins de droits que les autres en raison de leur identité. Ce terme technique est « citoyens de seconde zone ». C'est ce que le projet de loi 21 a créé dans notre pays.
C'est la responsabilité de ce gouvernement de s'assurer qu'un passeport canadien pour ma famille signifie la même chose qu'un passeport canadien pour toute autre famille canadienne.
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Merci, madame la présidente.
Monsieur Brown, je reviens à vous, si vous me le permettez.
Nos opinions divergent concernant la loi 21, mais je ne veux pas entrer dans ce débat, puisque nous n'avons que deux minutes de temps de parole.
Au cours des dernières semaines, nous avons entendu des témoignages de la communauté juive. Elle nous disait qu'il y avait de la discrimination à l'endroit des juifs au Canada, des mouvements de haine, et ainsi de suite. Maintenant, des gens de la communauté musulmane nous ont dit la même chose, en substance. Dans un cas comme dans l'autre, je pense que cette situation est déplorable. À mon avis, cela ne devrait pas exister.
Nous cherchons des solutions. Selon votre témoignage, je comprends que la loi 21, la Loi sur la laïcité de l'État, n'est pas une solution. Je ne suis pas certain de comprendre votre position. Pour notre part, nous croyons qu'il faudrait abolir les exceptions religieuses prévues au Code criminel. Nous cherchons des solutions à tout événement et celles qui sont proposées ne sont sûrement pas parfaites et ce ne sont sûrement pas les seules.
Je comprends qu'il faut reconnaître l'islamophobie, mais, à mon avis, nous l'avons déjà fait. Au-delà de cela, y a-t-il une solution qui vous semble raisonnable et efficace pour lutter contre toute forme de discrimination au Québec et au Canada, tant à l'égard de la communauté musulmane que de la communauté juive, ou de toute autre communauté, quelle qu'elle soit?
J'aimerais entendre vos commentaires là-dessus.
Il y a des gens qui le font pour des raisons idéologiques, parce qu'ils veulent encourager la haine. Il y a maintenant de plus en plus de gens qui le font dans un but lucratif.
Vous voyez, il n'a jamais été question de liberté d'expression. Il est plutôt question de plateformes de médias sociaux qui choisissent certains types de discours à promouvoir et d'autres types de discours à rendre moins visibles. Nous savons que ces plateformes encouragent les discours haineux, et nous avons donc un groupe de personnes qui savent qu'elles peuvent gagner de l'argent en diffusant des contenus haineux. Cela suscite des réactions non seulement positives, mais aussi négatives, ce qui est essentiel. Très souvent, les personnes qui disent « Comment osez-vous? » rapportent en fait de l'argent à ceux qui propagent la haine en premier lieu.
Je pense qu'il s'agit d'une combinaison des deux. Il ne s'agit pas vraiment d'un marché d'idées; il s'agit de choisir qui promouvoir et qui ne pas promouvoir et de monétiser la haine.
Mark Zuckerberg est plus jeune que moi. Il vaut 100 milliards de dollars. Il n'est pas dans le jeu de la liberté d'expression; il est dans le jeu de la rémunération de l'expression, dans le jeu de la publicité.
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Nous allons maintenant commencer la partie virtuelle.
Bienvenue au Dr Anver Emon, professeur de droit et d'histoire et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en histoire juridique islamique et directeur de l'Institut d'études islamiques de l'Université de Toronto.
Nous accueillons également la Dre Jasmin Zine, professeur de sociologie et d'études musulmanes à l'Université Wilfrid Laurier. Merci.
Je crois que nous avons une troisième témoin, qui a de la difficulté à se connecter à cause du casque d'écoute, mais je vais souligner sa présence, bien qu'elle ne puisse peut-être pas prendre la parole pour le moment. Si nous pouvons prévoir sa présence pour lundi, nous le ferons. Sinon, je m'en excuse. Il s'agit de la Dre Julie Macfarlane, professeure émérite distinguée de loi.
Commençons, pour les cinq premières minutes, par le Dr Emon.
Allez-y, je vous prie.
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Merci beaucoup, et je tiens à remercier le Comité permanent de m'avoir invité aujourd'hui. Le greffier a mon mémoire écrit, auquel j'ai ajouté les documents que je mentionne.
Mon exposé résumera brièvement ce que j'ai écrit, et je serai heureux de participer à la discussion par la suite.
Je soumets deux points importants à l'attention de ce comité. Le premier concerne ce que je considère comme une erreur de catégorie dans le mandat de ce comité. Le second vise à mettre l'accent sur la manière dont l'islamophobie structurelle persiste dans nos institutions publiques et privées et devrait être un sujet de préoccupation pour ce comité.
Premièrement, je suis conscient que le mandat de ce comité est influencé par la guerre en Israël et en Palestine, et plus particulièrement à Gaza. Dans cette optique, je pense que le mandat du Comité souffre d'une erreur de catégorie fondamentale. La catégorie efface la haine de la Palestine et des Palestiniens et la classe dans la catégorie de l'islamophobie. En tant qu'historien, je peux vous assurer que les Palestiniens et la Palestine ne peuvent être réduits de manière simpliste à la catégorie des musulmans ni de l'islam.
Néanmoins, comme mes collègues et moi-même l'expliquons dans un document d'information joint à mon mémoire, les Canadiens de toutes professions et de tous niveaux de scolarité commettent cette erreur de catégorie. Je pense que cette erreur de catégorie laisse plus de place à la haine, aux préjugés et à la prolifération incontrôlée des stéréotypes. L'erreur de catégorie confond l'islamophobie avec ce quel'Arab Canadian Lawyers Association appelle le racisme anti-Palestinien. Je crains que le fait que ce comité se concentre à la fois sur l'islamophobie et l'antisémitisme perpétue cet effacement et cette exclusion.
Si le travail du Comité perpétue l'erreur de catégorie qui consiste à confondre le racisme anti-Palestinien et l'islamophobie, vous risquez d'élaborer des politiques malavisées, et ce, pour trois raisons. La première est que vous surestimerez la portée et l'ampleur de l'islamophobie au Canada et créerez ainsi de faux positifs. Deuxièmement, vous sous-estimerez le racisme anti-Palestinien au Canada et, par conséquent, vous ne vous y attaquerez pas. Troisièmement, vous réduirez un conflit géopolitique, historique et colonial à un conflit religieux simpliste. Cette réduction, ironiquement, impliquera cet organisme dans la perpétuation de stéréotypes rétrogrades sur le retard religieux et le manque de modernité des juifs et des musulmans.
Par conséquent, je recommande au Comité de conseiller au Secrétariat fédéral de lutte contre le racisme d'entreprendre une analyse soutenue du racisme anti-Palestinien, de reconnaître son omniprésence et d'élaborer et de promouvoir des ressources pour le combattre.
Ma deuxième préoccupation concerne l'islamophobie structurelle dans les institutions publiques et privées du Canada.
L'une des limites des débats sur l'islamophobie est une analyse limitée de la façon dont nos institutions publiques et privées permettent l'islamophobie en tant que politique et pratique bureaucratique respectable. J'ai quatre exemples pour illustrer comment cela se concrétise dans les pratiques du gouvernement fédéral.
Tout d'abord, certains d'entre vous connaissent peut-être mon étude de 2021 sur les vérifications des organismes de bienfaisance musulmans par l'ARC. Nous y décrivons comment l'analyse bureaucratique islamophobe est considérée comme une pratique de gouvernance respectable dans les vérifications fiscales.
Deuxièmement, j'ai inclus dans mon mémoire une table des matières de l'ouvrage de 2023 intitulé Systemic Islamophobia in Canada, a Research Agenda, qui comprend 19 essais réalisés par mes collègues et moi. Chaque essai examine les aspects de la manière dont les institutions publiques et privées du Canada encouragent et favorisent l'islamophobie.
Troisièmement, je suis actuellement membre du comité consultatif sur le secteur de la bienfaisance du ministère du Revenu national. À ce titre, j'ai présidé un groupe de travail qui examinait les répercussions de l'évaluation nationale du risque inhérent du ministère des Finances pour 2023, ou ENRI 2023, sur le secteur de la bienfaisance du Canada. Nous avons constaté que l'ENRI 2023 crée les conditions propices au raisonnement de la pratique bureaucratique islamophobe dans son choix de ce qu'il appelle les « juridictions présentant un risque élevé », dans son analyse des auteurs de menaces et dans son évaluation des auteurs de menaces qui utilisent les organismes de bienfaisance comme canaux de financement.
Fondamentalement, nous nous inquiétons de l'absence de considérations solides liées à l'article 15 de la Charte dans notre paysage de sécurité nationale. Le rapport relève actuellement du ministère du Revenu national. J'espère que le Comité s'en inspirera pour poursuivre ses délibérations.
Pour gagner du temps, je vais sauter mon quatrième exemple sur la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le CANAFE.
En conclusion, il n'existe pas de solution miracle à l'islamophobie structurelle. Je recommande au Comité de souligner dans son rapport final que l'islamophobie structurelle dans les institutions publiques et privées du Canada existe, qu'elle est profonde et qu'elle doit être combattue par l'engagement de ressources publiques substantielles et soutenues.
Merci beaucoup.
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Merci. Je suis heureuse d'avoir l'occasion de m'adresser au Comité aujourd'hui.
Je suis une chercheuse musulmane spécialisée dans les études sur le racisme et l'islamophobie. Je suis cofondatrice et vice-présidente de l'International Islamophobia Studies Research Association, l'IISRA, qui est une plaque tournante mondiale dans le domaine du racisme antimusulman.
Ce matin, je souffre du décalage horaire puisque je suis rentrée tard hier soir de la troisième conférence internationale de l'IISRA sur l'islamophobie, qui s'est tenue à Sarajevo, en Bosnie-Herzégovine. Nous avons réuni 70 universitaires du monde entier pour aborder la question de l'islamophobie en tant que problème mondial.
Nous avons tenu une séance spéciale avec des spécialistes du génocide pour examiner les parallèles meurtriers entre le génocide bosniaque et le génocide en cours à Gaza, après quoi nous avons visité le monument commémoratif du génocide à Srebrenica pour nous rappeler les conséquences mortelles de l'islamophobie. C'est quelque chose que nous ne connaissons que trop bien ici, au Canada, alors que nous sommes réunis ici aujourd'hui à l'occasion de l'anniversaire de l'attaque terroriste de London, le 6 juin.
J'étudie l'islamophobie et le racisme antimusulman au Canada depuis une vingtaine d'années. Ce qui me frappe, c'est constater qu'au cours des derniers mois, j'ai ressenti un profond sentiment de déjà-vu post-11 septembre, alors que l'ampleur de la violence meurtrière d'Israël à Gaza continue de se déployer et que l'héritage de l'islamophobie et du racisme antimusulman en tant que projet mondial se perpétue.
J'ai écrit un livre intitulé Under Siege : Islamophobia and the 9/11 Generation sur la façon dont les communautés musulmanes canadiennes, en particulier les jeunes, ont traversé ce contexte difficile lorsqu'elles ont été décrites comme des radicaux, des djihadistes et d'éventuelles menaces à la sécurité mondiale. Les jeunes musulmans sont devenus le nouveau diable populaire autour duquel on a fabriqué des paniques morales.
Cependant, alors que je passe de l'étude du racisme antimusulman dans les expériences de la génération du 11 septembre à l'examen de ce que la génération actuelle du 7 octobre de jeunes musulmans canadiens, en particulier les Palestiniens, a affronté au cours des derniers mois, je peux dire que les circonstances actuelles sont bien pires. Au cours des deux dernières décennies, depuis le 11 septembre, l'islamophobie a jeté les bases qui facilitent l'étiquetage collectif et la punition globale des populations musulmanes.
La guerre mondiale contre le terrorisme s'est appuyée sur des idéologies racistes, présentant près de deux milliards de personnes dans le monde comme des terroristes violents et fanatiques qui menacent la démocratie, la stabilité des nations blanches et la civilisation occidentale.
Par exemple, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a utilisé des tropes coloniaux racistes pour déshumaniser stratégiquement les Palestiniens en qualifiant l'assaut meurtrier d'Israël de guerre entre les forces de la lumière et les forces des ténèbres, entre l'humanité et l'animalité.
L'histoire a démontré que les stéréotypes diffamatoires ouvrent la voie à une violence disproportionnée. L'association continuelle des musulmans à des groupes terroristes alimente la haine, la division et la violence. Le meurtre tragique d'un enfant palestinien américain de six ans, Wadea Al-Fayoume, dans sa maison de l'Illinois le 14 octobre 2023, et la fusillade de trois étudiants palestiniens américains en novembre 2023, qui ont été pris pour cible parce qu'ils portaient leur keffieh, sont des exemples flagrants de la façon dont l'islamophobie et le racisme anti-palestinien sont mortels, même loin des zones de guerre.
Malgré ces conséquences tragiques, les jeunes Palestiniens et autres musulmans du Canada continuent d'être qualifiés de « sympathisants du terrorisme ». Ils sont confrontés à des policiers en tenue anti-émeute qui utilisent des gaz lacrymogènes et des pistolets Taser pour avoir participé à des manifestations pacifiques de solidarité avec la Palestine, aux côtés d'étudiants juifs sur leurs campus universitaires.
Il est réconfortant de voir les soupers de shabbat et les prières de jummah dans ces campements, mais le réseau des facultés juives et les voix juives indépendantes ont été exclues des audiences sur l'antisémitisme. Faire taire les diverses voix juives est assurément antisémite; c'est à tout le moins antidémocratique.
Comme je l'ai expliqué dans mon livre sur la culture universitaire à l'ère de l'empire, lorsque la génération du 11 septembre a contesté la guerre contre le terrorisme, elle a dû faire face à la surveillance du SCRS, de la GRC et des unités de lutte contre le terrorisme sur les campus et en dehors de ceux-ci. Maintenant que la génération du 7 octobre proteste contre le génocide d'Israël à Gaza, elle est confrontée à des policiers armés qui mettent en danger sa sécurité physique sur le campus. Pourtant, la sécurité politique des étudiants pro-israéliens sur le campus est présentée comme plus grave que la sécurité physique des Palestiniens, des musulmans et de leurs alliés, à la fois au Canada et dans la bande de Gaza.
Je tiens à préciser que nous ne permettrons pas que ces audiences détournent l'attention du contexte grave et internationalement reconnu du génocide à Gaza. Les derniers mois ont été particulièrement traumatisants pour les jeunes Palestiniens et musulmans racialisés. Néanmoins, partout au Canada et dans le monde, des étudiants ont courageusement défendu le droit de protester contre l'injustice et d'exiger que leurs universités se désengagent des intérêts militaires israéliens, malgré les violentes représailles auxquelles ils sont confrontés.
La liberté d'expression est souvent visée par l'exception palestinienne à la liberté d'expression, et les tactiques de censure néo-mcarthystes qui sapent la liberté d'expression et la dissidence politique, en s'appuyant sur la définition de l'islamophobie de l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste.
Je voudrais cependant parler de ce que l'islamophobie a d'unique. On n'en parle pas assez.
L'islamophobie est organisée, mise en réseau, monétisée et orchestrée. Il y a de nombreux exemples de cela, dont je parle dans mon long rapport intitulé « The Canadian Islamophobia Industry: Mapping Islamophoba's Ecosystem in the Great White North ».
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Merci, madame la présidente.
Je remercie les témoins d'être ici aujourd'hui.
Je tiens moi aussi à présenter mes sincères condoléances à la famille Afzaal et à l'ensemble de la communauté musulmane. Cette famille a été tragiquement victime d'un terrible acte terroriste à London il y a trois ans aujourd'hui. Cet acte insensé nous a non seulement privés de vies précieuses et innocentes, mais a également ébranlé les fondements mêmes de nos communautés, laissant des cicatrices qui ne guériront peut-être jamais complètement.
La douleur et la perte subies par la famille Afzaal et d'innombrables autres personnes touchées par d'autres actes de violence nous rappellent cruellement qu'il est urgent d'affronter et d'éradiquer l'islamophobie sous toutes ses formes.
Même à Saskatoon, nous avons connu des incidents de ce type. En 2021, Muhammad Kashif se promenait à 5 h 30 du matin et a été attaqué. Non seulement il a été poignardé, mais sa barbe a été coupée, et je sais que cela l'a profondément blessé.
Ces actes se produisent partout au pays, et il est impératif que nous nous unissions pour condamner de tels actes de sectarisme et de haine, réaffirmant notre engagement inébranlable à l'égard des principes d'égalité, de diversité et de respect pour tous.
Avant 2019, mes interactions avec la communauté musulmane étaient limitées; cependant, depuis que je suis devenue député, je m'efforce de cultiver des relations sincères avec mes soeurs et frères musulmans. Je le fais non seulement à Saskatoon, où je représente la circonscription de Saskatoon Ouest, mais aussi à Toronto et dans la région du Grand Toronto, en travaillant avec d'autres conservateurs pour établir des relations significatives au sein de la communauté musulmane du Canada.
Ce que j'ai découvert, c'est que les musulmans incarnent les valeurs de la foi, de la famille et de la liberté, qui sont bien sûr des valeurs conservatrices fondamentales. Bien entendu, les musulmans apportent une contribution significative et très positive à notre communauté. Ce fut pour moi un grand honneur de nouer des relations avec la communauté musulmane.
Docteur Emon, si nous voulons réduire l'islamophobie, pensez-vous que nous devons encourager l'établissement de relations entre les musulmans du Canada et tous les autres groupes de population que nous avons? Dans l'affirmative, comment accomplir au mieux cette tâche?
Vous connaissez bien, je crois, la sénatrice Ataullahjan, qui est une sénatrice conservatrice musulmane. Elle a consacré une grande partie de sa carrière à favoriser la compréhension entre les diverses communautés. C'est sous son impulsion que le Sénat a produit l'étude sur l'islamophobie, que vous avez certainement lue.
Plusieurs de ces recommandations concernaient l'ARC et ses décisions relatives au statut d'organisme de bienfaisance de plusieurs organisations musulmanes. J'ai discuté avec plusieurs de ces organisations et j'ai entendu directement les difficultés qu'elles ont rencontrées avec l'ARC.
Docteur Emon, quels changements souhaiteriez-vous voir apporter à l'ARC pour garantir que les organisme de bienfaisance musulmans soient traités de la même manière que toutes les autres organisations?
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Merci, madame la présidente, et permettez-moi de commencer par remercier nos témoins. Je dois avouer que j'ai trouvé vos propos liminaires très utiles, en particulier la distinction entre la haine anti-Palestiniens et l'islamophobie, ainsi que la nécessité de les situer dans un contexte comparatif.
Malheureusement, l’islamophobie est encore bien vivante et nous devons tous la prendre très au sérieux, particulièrement en ce jour de troisième anniversaire de l’incident tragique de London.
Je vais commencer par poser une question à Mme Zine.
Madame Zine, nous avons entendu dire que l’islamophobie frappait plus fort au Canada qu’ailleurs dans le monde et que dans les autres pays du G7.
Tout d’abord, êtes-vous d’accord? Deuxièmement, comme il est bien possible que ce soit le cas, pour quelles raisons? Pourriez-vous nous indiquer ce qui devrait être fait au Canada?
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Ce que j'ai dit plus tôt est que le Canada est en tête des pays du G7 en ce qui a trait aux attaques violentes et meurtrières perpétrées contre les musulmans. C’est un phénomène singulier que nous avons observé au Canada.
Cependant, l’islamophobie est, comme je l’ai mentionné plus tôt, un fléau mondial qui possède ses variantes nationales propres. Cela dit, j’ai indiqué, sans avoir eu le temps de développer ma pensée, que ce qui distingue l’islamophobie au Canada et aux États-Unis — ailleurs également, mais cela n’a pas été aussi bien documenté en dehors de ces deux pays —, est la façon dont celle-ci est transmise sur différents réseaux et par divers groupes. Au Canada, les nationalistes blancs, les médias d’extrême droite, les influenceurs islamophobes, les dissidents musulmans, les activistes hindous, les groupes marginaux de droite pro-israéliens, les groupes de réflexion conservateurs et des experts en sécurité collaborent de façon concertée pour promouvoir des campagnes de diabolisation antimusulmans.
C’est un phénomène que j’ai documenté dans un rapport de 250 pages sur l’industrie canadienne de l’islamophobie. La particularité de l’islamophobie en tant que comme forme d’oppression réside dans le fait qu'elle peut s'appuyer sur toute une industrie pour faire sa promotion. Aux États-Unis, l’industrie de l’islamophobie verse un montant renversant de 1,5 milliard de dollars à 39 organisations antimusulmanes, afin qu'elles diffusent de la propagande islamophobe. Ce phénomène est propre à l’islamophobie. J’ai documenté la nature de ces associations et de ces réseaux au Canada et je pense qu’il faut commencer à les observer. Il faut comprendre la façon dont une forme d’oppression se construit et fonctionne pour pouvoir bien intervenir.
C’est pourquoi je trouve important de bien comprendre l'aspect intersectionnel de l’islamophobie. Nous avons parlé des formes sexospécifiques d’islamophobie. Quelqu'un a parlé plus tôt de l'attaque récente d'une musulmane lors d'une manifestation. Il y a une tradition d’islamophobie sexospécifique au Canada — la loi 21,notamment —, mais l’islamophobie est également intersectionnelle, si l'on tient compte du racisme anti-Arabes, du racisme anti-Noirs et du racisme anti-Palestiniens, qui méritent chacun une reconnaissance particulière.
Je viens de rédiger un article dans The Conversation Canada sur les raisons de cibler le racisme anti-Palestiniens dans la stratégie nationale canadienne de lutte contre le racisme. Je tiens à préciser que le racisme anti-Palestiniens s'est amalgamé à la structure même de l’islamophobie, mais il se distingue par des gestes uniques qu'il faut reconnaître. Je parle notamment de la négation de la Nakba, de la justification des violences à l'endroit des Palestiniens, des pressions exercées pour exclure les perspectives palestiniennes et des pressions exercées sur d'autres pour les exclure, de l'absence de reconnaissance des Palestiniens comme peuple autochtone ayant un sentiment d’appartenance et des droits collectifs par rapport à la Palestine historique occupée...
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Merci, madame la présidente.
Je vais poursuivre le questionnement de mon collègue M. Ehsassi. Comme je le répète toujours, nous sommes évidemment sensibles à l'islamophobie. En tout cas, je le suis et je suis convaincu qu'il en va de même pour tous mes collègues autour de la table. Nous la déplorons et nous cherchons des solutions. Peut-être sommes-nous maladroits, ou le suis-je à l'occasion. Je ne prétends pas connaître la solution, mais nous la cherchons. Je pense que c'est notre devoir, en tant que législateurs, de la chercher. C'est la raison pour laquelle vous êtes ici, aujourd'hui. C'est pour essayer de nous aider à nous orienter.
Monsieur Emon, vous êtes titulaire de la Chaire de recherche du Canada en histoire juridique islamique et directeur de l'Institut d'études islamiques à l'Université de Toronto. Vous devez avoir pas mal fait le tour de la question sous différents angles. J'aimerais d'abord savoir ce que le gouvernement du Canada pourrait faire de façon efficace et raisonnable, à votre avis.
Par ailleurs, comme vous le savez, nous avons également entendu, au cours des dernières semaines, des témoignages sur l'antisémitisme. Or il y a, me semble-t-il, certains parallèles à faire entre l'antisémitisme et l'islamophobie. Je comprends que ce n'est pas la même chose, car il s'agit de deux communautés différentes, mais il demeure quand même que ce sont des expressions de haine. Des enfants ou des adolescents sont menacés ou vivent des situations inacceptables dans les écoles, dans les mosquées et, en réalité, dans tous les lieux de culte. Je ne veux pas parler seulement d'une religion en particulier.
J'aimerais donc savoir, premièrement, s'il y a des solutions utiles et raisonnables au problème de l'islamophobie. Deuxièmement, j'aimerais savoir si on peut faire des parallèles entre les différentes formes de haine religieuse, et, si oui, s'il y a une solution commune, quelque chose qu'on peut faire pour aider à enrayer la haine dans notre société.
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Je vous remercie de la question.
Comme il s’agit d’un organe législatif fédéral, il serait possible de tirer les recommandation de mon mémoire, qui s'adressait au Parlement fédéral. Permettez-moi de vous donner un exemple. C’était le quatrième exemple, dont je n’ai pas eu le temps de parler.
J’étudie actuellement la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et les partenariats public-privé visés par l’article 5 d'une loi destinée à lutter contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes.
La commission Cullen, en Colombie-Britannique, nous a appris que les mesures de lutte contre le blanchiment d’argent du système du CANAFE ne sont pas véritablement efficaces. En fait, je m’intéresse au régime de financement des mesures antiterroristes, et mes constatations préliminaires m’ont amené à conclure que le système du gouvernement qui vise à lutter contre le financement du terrorisme — un système mis en place dans le sillage de la panique morale provoquée par les événements du 11 septembre — ne tient plus la route. Plus de deux décennies se sont écoulées depuis ce jour tragique, mais le Canada continue d’adopter les méthodes massue de cette époque, qui ont eu un effet disproportionné sur les musulmans et dont l’efficacité dans la lutte contre le terrorisme est régulièrement remise en question.
L'un de ces instruments plutôt simplistes est la liste des entités terroristes, mais, comme on l'a illustré l'an dernier avec le projet de loi , celle-ci ne permet pas de tenir compte des nuances dans l'élaboration de politiques. Pourtant, ces instruments demeurent en place pour garder bien vivante la peur d'une présumée menace musulmane. Voilà un exemple.
Dans le budget de 2022, je crois, vous avez affecté des fonds pour revoir votre division des crimes financiers et songer à un mode de réflexion pour y arriver. Je prétends que...
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Monsieur Emon, je m'excuse de vous interrompre. Je sais que c'est très impoli et je n'aime pas le faire, mais, comme vous le savez, nous sommes limités à six minutes chacun. Plus de quatre minutes de mon temps de parole sont déjà écoulées.
Je comprends la question financière, mais, à votre avis, des choses devraient-elles être faites pour enrayer la haine envers la communauté juive, qui seraient utiles également pour enrayer la haine envers la communauté musulmane? Donc, pour combattre, comme nous le souhaitons, toute forme de haine, qu'elle soit basée sur la religion, la race, le sexe, l'orientation sexuelle ou autre chose, est-ce que quelque chose devrait être fait, concrètement, à votre avis?
Il nous reste une minute et demie.
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Je vous remercie de cette question.
C'est un peu des deux.
Beaucoup de gens font carrière en islamophobie. Ce sont des personnes que j’appelle les influenceurs en islamophobie. Ils s'expriment sur de grandes plateformes numériques comme YouTube et d’autres médias sociaux, où ils exercent un grand pouvoir d'attraction et sont en mesure de diffuser leurs idées en toute impunité. Ces activités leur permettent de tirer un bénéfice financier.
Beaucoup de recherches réalisées aux États-Unis — et j’aimerais qu’il y en ait davantage au Canada — suivent la piste de l’argent. On a constaté qu’aux États-Unis, comme je l’ai dit, quelque 1,5 milliard de dollars transitent par diverses organisations philanthropiques sous la forme de fonds orientés par les donateurs, des fonds qui sont acheminés sélectivement cers plus ou moins 39 organisations antimusulmanes dont le mandat est d'alimenter la propagande et les théories du complot antimusulmanes, 24 heures sur 24, sept jours sur sept.
Tout cela constitue un terrain propice à la fomentation de la violence islamophobe. Ces idées trouvent écho dans différents recoins de l'Internet. Elles se transforment en messages voilés aisément reconnus par l'auditoire visé en ligne et sont ensuite reprises par les médias, parfois même par les politiciens. La façon dont ces chambres de résonance fonctionnent et la façon dont elles se répercutent sur l’opinion publique sont éminemment insidieuses et infâmes.
En examinant les sondages d’opinion publique des deux dernières décennies au Canada, comme je l’ai fait dans mon rapport, on trouve des statistiques très problématiques qui démontrent que quantité de Canadiens ne font pas confiance aux musulmans. Il me semble que c'est environ le quart des Canadiens... À la suite du décret migratoire antimusulman de Donald Trump aux États-Unis, 24 % des Canadiens étaient d'avis que le Canada devrait suivre l'exemple. Mon rapport contient beaucoup de statistiques sur ce que révèlent les sondages canadiens quant au sentiment de la population à l’égard de la présence musulmane au Canada.
Pour en revenir à votre question de savoir qui profite du sectarisme antimusulman, il y a certainement des gens à qui il permet d'atteindre des objectifs politiques. Il soutient des carrières indépendantes. Rebel Media et d’autres groupes au Canada diffusent régulièrement du contenu encourageant l’animosité antimusulmane. Bon nombre de leurs influenceurs... Même le nationaliste blanc Tommy Robinson, au Royaume-Uni, a été financé par la Schulman Foundation des États-Unis à hauteur de 5 000 $ par mois — je crois bien que c’est le chiffre exact — pour être stagiaire chez Rebel Media.
Ce type de processus est reproduit au Canada, mais nous n’avons pas été en mesure de produire un rapport judiciaire pour exposer la provenance et la destination de sommes d'argent, comme on l'a fait aux États-Unis. Ces chiffres, vous en conviendrez, sont assez renversants et préoccupants.
J'ai pu constater que certaines de ces organisations coparrainaient les événements d'organisations canadiennes membres de l’industrie de l’islamophobie. Cet appui adopte des formes très tangibles et des moyens qui font en sorte d'amplifier le travail de l'un et l'autre, ce qui crée une chambre de résonance encore plus vaste et permet à ces idées de gagner en crédibilité jusqu'à devenir des vérités illusoires, selon ce qui a été dit ce matin.
Si vous répétez un mensonge assez souvent, on en vient à le percevoir comme vrai. Dans notre monde post-vérité, où les faits sont accessoires — il suffit de faire appel aux sentiments, les faits ne comptent plus dans un contexte de post-vérité —, ce genre de campagne est très efficace et extrêmement troublant.
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Merci, madame la présidente.
Je remercie tous les témoins d'être parmi nous aujourd'hui.
Professeur Emon, je vais vous poser ma première question.
Il y a eu deux cas récents au Canada d'attaques contre des musulmans, uniquement parce qu'ils étaient musulmans. Le premier est la fusillade à la mosquée de Québec, en 2017, où un jeune homme a tué six musulmans et en a blessé plusieurs autres. Le tireur a plaidé coupable et a été condamné à deux peines d'emprisonnement à perpétuité consécutives sans possibilité de libération conditionnelle avant 40 ans. La Cour d'appel du Québec a déclaré inconstitutionnel l'article du Code criminel donnant aux juges le pouvoir discrétionnaire d'imposer des périodes consécutives d'inadmissibilité à la libération conditionnelle, ce qui était contraire aux articles 7 et 12 de notre Charte des droits et libertés.
Ma question ne porte pas là-dessus. Mon collègue, M. Moore, a eu un bon échange avec le groupe de témoins précédent à ce sujet, et je pense que nous avons de bons témoignages à cet égard dans le compte rendu, mais cette affaire est également remarquable pour ce qu'elle n'a pas fait, c'est-à-dire que la poursuite a décidé de ne pas porter d'accusations de terrorisme, mais seulement de meurtre.
La disposition sur le terrorisme a été ajoutée au Code criminel après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, et elle définit le terrorisme, entre autres — c'est une définition très longue: « un acte — action ou omission [...] commis à la fois au nom — exclusivement ou non — d'un but, d'un objectif ou d'une cause de nature politique, religieuse ou idéologique [...] qui intentionnellement [...] cause des blessures graves à une personne ou la mort de celle-ci, par l'usage de la violence ».
La fusillade dans une mosquée semble tout à fait conforme à cette définition, mais la poursuite a décidé de ne pas porter d'accusations de terrorisme.
Revenons rapidement sur ce qui s'est passé il y a trois ans. En fait, nous soulignons le troisième anniversaire des attentats de London, et le suspect a été reconnu coupable de meurtre dans l'affaire concernant la famille Afzaal. Il a été reconnu coupable de quatre chefs de meurtre et d'une tentative de meurtre, pour lesquels il a reçu une seule peine d'emprisonnement à perpétuité, bien sûr, après l'affaire Bissonnette dont nous venons de parler. Toutefois, il a aussi été reconnu coupable d'un acte de terrorisme. Cela n'a eu aucune incidence sur la peine, mais le tribunal et le procureur ont jugé qu'il était important d'intenter des poursuites à cet égard.
Bien entendu, la poursuite devait surmonter un obstacle supplémentaire pour prouver hors de tout doute raisonnable que cet homme était motivé par la haine d'un groupe identifiable à des fins religieuses ou idéologiques.
Professeur Emon, qu'en pensez-vous? Était-il important d'intenter des poursuites pour terrorisme dans de tels cas? Quel est le message adressé à la communauté musulmane, ou plus important encore, reçu par la communauté musulmane, à propos d'une décision aussi importante?
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C'est une question complexe.
Je ne prétends pas parler au nom de la communauté musulmane. Je ne peux parler qu'en ma qualité de professeur de droit qui a écrit sur les procès pour terrorisme et la façon dont ils sont plaidés; en conséquence, je crains que les dispositions du Code criminel sur le terrorisme soient problématiques.
Dans un article que j'ai écrit dans le Manitoba Law Journal au sujet du procès des 18 de Toronto, je n'ai eu d'autre choix que de souligner que la procédure judiciaire, le style de poursuite consistant à plaider les exigences relatives à l'intention spéciale de terrorisme ou d'intention terroriste, ressemblent à des modes d'inquisition médiévaux.
Je me ferai un plaisir de remettre cet article au greffier du Comité à la fin de mon témoignage, afin d'illustrer les raisons pour lesquelles je ne suis pas convaincu que les dispositions du Code criminel sur le terrorisme font ce qu'elles prétendent faire et qu'elles améliorent la sécurité des Canadiens.
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J'ai effectivement signé un article en octobre dernier au sujet des multiples campagnes de désinformation du passé, surtout après le 7 octobre. Ces campagnes comportaient tout ce qu'il fallait pour continuer à diffuser de nombreuses informations erronées sur les musulmans et les Palestiniens.
Cela a évidemment des conséquences concrètes. J'ai déjà parlé de certains des attentats perpétrés aux États-Unis où des étudiants ont été abattus et où un garçon de six ans a été tué. Nous savons déjà ce qui s'est passé à London, en Ontario, il y a trois ans.
Nous avons entendu parler de la condamnation, entre autres, de l'auteur de l'attaque. Cependant, il faut aussi comprendre ce qui l'a motivé. Il a parlé de la théorie du grand remplacement, qui a également été évoquée plus tôt aujourd'hui — des idées du génocide des Blancs. Il a parlé du nationalisme blanc et a affirmé qu'il fallait « manger les autres avant qu'ils nous mangent ». Il y a là de quoi examiner certains des facteurs et certains des types d'idéologies qui sous-tendent les actes de terrorisme.
Qu'il s'agisse de Christchurch en Nouvelle-Zélande, d'Anders Breivik en Norvège ou de Nathaniel Veltman, il y a beaucoup de points communs, en ce sens qu'ils s'appuient sur plusieurs théories du complot qui sont assez répandues à propos des musulmans. Par exemple, il y a l'idée que les musulmans vont être comme un cheval de Troie ou une cinquième colonne et qu'ils vont prendre le contrôle de l'Occident, ce qui revient à parler d'un croquemitaine islamiste.
De nombreux audits d'organisations caritatives musulmanes reposent sur l'idée qu'elles sont des façades du Hamas ou des Frères musulmans. Nous avons vu tous ces types de discours et d'idéologies et nous avons entendu dire que les musulmans sont des loups déguisés en moutons. Il y a cette idée de taqiyyah, qu'ils sont gentils, mais qu'ils vont vous poignarder dans le dos. J'ai documenté une dizaine de ces discours au Canada en particulier.
Les conséquences sont très claires en ce qui concerne la violence dont nous avons tous parlé et que nous commémorons aujourd'hui, et nous la voyons de façon tangible.
De plus, comme nous n'entendons pas suffisamment parler de ce qui se passe actuellement du côté des étudiants et des campus, je tiens à souligner qu'à London, en Ontario, où l'attaque terroriste a eu lieu, un rapport a été publié par l'Université Western en 2023. Celui-ci fait état d'incidents haineux sur les campus. On y souligne notamment des menaces de mort, des cas d'étudiantes musulmanes accostées, à qui l'on dit qu'elles mériteraient d'être violées et tuées, et d'autres cas de musulmans à qui l'on dit que « tous les musulmans devraient mourir ». Par ailleurs, on parle d'une étudiante portant un keffieh qui a été poussée et agressée physiquement, tandis qu'une autre s'est fait cracher dessus pendant la collation des grades. Les pneus de la voiture d'une étudiante ont ét crevés sur le campus parce qu'elle avait un drapeau palestinien sur son rétroviseur.
Je pourrais parler encore longtemps des manifestations et des crimes haineux, mais nous devons examiner où circulent les idées qui inspirent, justifient et rationalisent ces actes...
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En deux minutes, on ne peut pas faire grand-chose.
Monsieur Emon et madame Zine, ma question s'adresse à vous deux.
Actuellement, certaines dispositions prévues à l'article 319 du Code criminel interdisent, entre autres, de fomenter la haine ou l'antisémitisme. Dans les deux cas, le Code prévoit ce qu'on appelle une exception religieuse aux alinéas 319(3)b) et 319(3.1)b), où on dit que: « nul ne peut être déclaré coupable de ces infractions s'il a, de bonne foi, exprimé une opinion sur un sujet religieux ou une opinion fondée sur un texte religieux auquel il croit ou a tenté d'en établir le bien-fondé par argument ».
Cela veut donc dire que fomenter la haine et l'antisémitisme est interdit en vertu du Code criminel, mais que si on le fait en se basant sur une opinion ou un texte religieux, on aurait une défense raisonnable.
En quelques mots, qu'en pensez-vous?
Ma question se termine et j'ai encore une minute.
Madame Zine, pouvez-vous répondre en 30 secondes?
On parle d'islamophobie, c'est-à-dire, en termes simples, de la haine envers la communauté musulmane, haine que nous déplorons tous, moi le premier.
Ma question vise à savoir ce que nous pouvons faire, en tant que législateurs, sur cette question. Je renvoie à une disposition du Code criminel qui interdit de fomenter la haine, entre autres, contre les musulmans, et à une exception qui permet de le faire en se fondant sur un texte religieux.