Passer au contenu

JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain
Passer à la navigation dans le document Passer au contenu du document






Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 004 
l
1re SESSION 
l
44e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 15 février 2022

[Enregistrement électronique]

(1545)

[Traduction]

    Bienvenue à la quatrième réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes. Conformément à la motion adoptée le mardi 8 février, le Comité se réunit pour examiner la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d'exploitation.
    La réunion d'aujourd'hui se déroule en mode hybride, conformément à l'ordre de la Chambre du 25 novembre 2021. Certaines personnes sont présentes dans la salle alors que d'autres communiqueront à distance à l'aide de l'application Zoom.
    Les délibérations seront disponibles sur le site Web de la Chambre des communes.
    En ce qui concerne la liste des intervenants, le greffier du Comité et moi-même ferons de notre mieux pour maintenir un ordre d'intervention global pour tous les députés, qu'ils participent virtuellement ou en personne.
    J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à notre premier groupe de témoins, qui, je crois, sont du YMCA de Halifax: Mme Abiagom, Mme Gagnon et Mme Suokonautio. Nous accueillons également Mme Joy Smith, fondatrice et présidente de la Fondation Joy Smith.
    Chaque organisation disposera de cinq minutes pour son exposé. Le YMCA de Halifax peut commencer, puis nous aurons Mme Smith juste après. Ensuite, vous aurez une période de questions et réponses avec chaque parti.
    C'est au tour du YMCA.
    Tout d'abord, je dois dire que le YMCA doit être choqué de ne pas être ici, car nous sommes la YWCA de Halifax.
    C'est ma faute. Je m'excuse.
    Ils n'ont pas reçu la note de service. Ils sont déjà partis prendre leur repas.
    Merci beaucoup, tout le monde, de nous recevoir. C'est vraiment un immense plaisir d'être ici. Je suis Miia Suokonautio. Je suis la directrice générale de YWCA Halifax. Je suis accompagnée de Temi Abiagom et Charlene Gagnon. Nous venons à vous en équipe.
    Je voudrais commencer par dire que nous représentons l'histoire et l'expérience des survivantes et des victimes, des prospères et des victorieuses. Nous parlions très humblement de la grande responsabilité que cela représente.
     Je vais présenter notre exposé de cinq minutes, mais chacune d'entre nous peut répondre aux questions. Mme Abiagom gère notre équipe sur l'exploitation des jeunes, qui fournit des services directs. Mme Gagnon est la responsable de notre approche systémique à l'exploitation, œuvrant avec nos partenaires gouvernementaux et communautaires.
     Je commence aussi par souligner [difficultés techniques], mais aussi quelque chose de vraiment remarquable qui se passe en Nouvelle‑Écosse. Il s'agit d'un mouvement, le partenariat Nova Scotia trafficking and exploitation services system — nous l'appelons TESS. Il comprend plus de 70 partenaires dans toute la province, dont la YWCA. Ces partenaires travaillent ensemble depuis plus de cinq ans. Bien que ce groupe réfléchi et engagé ait établi un consensus autour de la pratique et des droits de la personne en ce qui concerne l'exploitation, il n'y a pas de consensus au sein du groupe sur la décriminalisation ou la légalisation de l'industrie.
     Nous concentrerons notre témoignage ou nos observations sur le projet de loi C‑36 lui-même, mais nous ne ferons pas de remarques sur la question plus large de la décriminalisation ou de la légalisation du commerce du sexe, car nous nous ressentons une réelle responsabilité envers nos partenaires.
     Cela étant dit, en écoutant les témoignages de la semaine dernière, nous avons compris qu'il y a en fait deux questions dont vous êtes saisis. La première est la suivante: le projet de loi C‑36 protège‑t‑il les personnes qui sont exploitées? C'est une question très importante. Est‑ce qu'il protège les gens? La deuxième est la suivante: est‑ce qu'il cause des préjudices aux Canadiens vulnérables?
     Pour ce qui est de la première question, à savoir si le projet de loi C‑36 protège les personnes qui sont exploitées, la réponse est, en un mot, non. Le projet de loi C‑36 ne protège pas les personnes qui sont exploitées. Encore une fois, nous savons que vous avez entendu les témoignages experts de nos collègues de partout au pays. D'après notre expérience, les gens continuent d'être exploités. Même s'il n'y a pas de proxénète, elles sont toujours agressées lorsqu'elles pratiquent le sexe transactionnel. Même si nous avons des procureurs de la Couronne spéciaux et des unités de police spéciales et qu'il n'y a pas de clubs de strip-tease autorisés en Nouvelle‑Écosse, le problème de l'exploitation est répandu dans cette province. Il est omniprésent dans le système de protection de l'enfance. C'est une crise chez les femmes et les filles autochtones. Les administrateurs scolaires et les enseignants ne s'entendent pas sur la façon d'endiguer ce phénomène.
     Dans l'établissement correctionnel pour jeunes de la Nouvelle‑Écosse, Waterville, ainsi que dans le système pour adultes, presque sans exception, les filles en détention ont été exploitées. Nous constatons également une augmentation des cas chez les garçons et les femmes transgenres. Parmi les distinctions douteuses de notre province de l'Atlantique, nous avons le plus haut taux de traite des personnes par habitant au pays.
     Bref, rien ne prouve que le projet de loi C‑36 ait empêché ou arrêté l'exploitation de Canadiens vulnérables dans notre province.
    Sur la deuxième question, à savoir si le projet de loi C‑36 cause des préjudices, encore une fois, notre expérience est très similaire à ce qui a été décrit dans les témoignages précédents que vous avez entendus, en ce sens que le projet de loi C‑36 a empêché les personnes de se manifester si elles ont été agressées par un client. Le projet de loi a également poussé l'industrie du sexe plus loin dans la clandestinité, dans des conditions de plus en plus dangereuses.
    En toute équité, je tiens à préciser que, parallèlement, d'après ce que nous comprenons, le projet de loi C‑36 a eu certains aspects bénéfiques devant les tribunaux. Dans des cas où l'exploitation par un tiers ne répondait pas à la norme d'une accusation de traite des personnes, telle que définie par le Code criminel, le projet de loi C‑36 a été utilisé à la place pour tenir les auteurs responsables. Le projet de loi peut par la suite être utile à la Couronne et à la police, mais il n'a pas été prouvé qu'il nuit aux victimes ou qu'il les aide. Le fait qu'une faible proportion des cas se rende jusqu'au stade de la poursuite peut en fait rendre cet avantage potentiel moins conséquent. Il faut tenir compte de l'équilibre des préjudices.
    Je sais que je vais manquer de temps, mais peut-être que le commentaire du YMCA me donnera une minute de plus. J'ai un ou deux autres aspects à préciser.
(1550)
    Premièrement, nous devons comprendre et reconnaître le fait que cette discussion est profondément affectée par nos valeurs sur le sexe et les transactions commerciales pour le sexe. Que nous voulions ou non l'admettre, nos valeurs sont carrément au centre de cette discussion. Nous vous demandons instamment d'empêcher la moralité d'empiéter sur les droits des Canadiens, y compris ceux des travailleurs et travailleuses du sexe. Bien que vous puissiez personnellement avoir une opinion sur l'inconvenance du travail sexuel, nous ne devons pas permettre que les droits fondamentaux des personnes oeuvrant dans l'industrie du sexe soient niés à cause de cela.
    Deuxièmement, nous vous rappelons qu'il existe déjà une foule d'interdictions et de lois sur une variété de sujets connexes, notamment l'exploitation sexuelle des jeunes, les agressions, les agressions sexuelles et la traite des personnes. Revoir le projet de loi C‑36 ne signifie pas que ces lois ne sont plus en vigueur.
    Enfin, l'exploitation est en fait une chose très difficile à cerner. Par exemple, les jeunes sont exploités de nombreuses façons dans notre collectivité pour des choses simples comme le logement, la nourriture ou l'accès à des substances. Bien que cet acte d'échange soit techniquement couvert par le projet de loi C‑36, il est très rarement appliqué dans ces cas et ne répond pas aux besoins sous-jacents des jeunes qui ont précipité leur vulnérabilité.
    Pour terminer, que recommandons-nous? Selon l'un de nos collègues locaux, il n'y a aucun moyen de cerner une façon de sortir de ce problème. Il n'y a pas de solution miracle contre l'exploitation. Il n'y a pas de panacée. Prétendre que nous pouvons mettre fin à l'industrie du sexe est une chimère.
    Au lieu de cela, si nous voulons sérieusement nous attaquer à l'exploitation, nous devons comprendre que l'exploitation sexuelle commerciale s'en prend à la vulnérabilité, et, fondamentalement, la vulnérabilité est mieux traitée dans le contexte des déterminants sociaux de la santé, et non dans le système juridique. Cela signifie un revenu adéquat, un bon logement, la sécurité alimentaire, le soutien aux familles, l'éducation, l'autodétermination et bien plus encore. Ce sont ces éléments, par-dessus tout, qui nous donneront le meilleur espoir de lutter contre l'exploitation.
    Je vous remercie.
     Je vais utiliser des petites cartes pour les autres témoins. Je donnerai un avertissement de 30 secondes et un avertissement « temps écoulé ». Gardez cela à l'esprit. Je n'aime pas interrompre les gens.
    À vous la parole, madame Smith, pour cinq minutes.
    Bonjour, monsieur le président et distingués membres de ce comité.
     Je tiens à souligner et reconnais que nos bureaux sont situés sur un territoire qui fait l'objet d'un traité, les terres originales des peuples anishinabe, cri, oji-cri, dakota et déné, et sur le territoire de la nation métisse.
     Je suis une ancienne députée. J'ai travaillé dur pendant mon mandat de députée pour attirer l'attention du public sur le problème de la traite des personnes au Canada. La Fondation Joy Smith a été fondée en 2011 pour lutter contre la traite des personnes. Depuis, je fais du bénévolat tous les jours au sein de ma fondation afin de poursuivre le travail de sensibilisation à la traite des personnes au Canada et d'aider les survivants et leurs familles à se rétablir.
    En octobre dernier, nous avons lancé le Centre national d'éducation sur la traite des personnes, le premier du genre au Canada. Le centre offre une formation gratuite aux parents, aux enseignants, aux forces de l'ordre, aux fournisseurs de services et à d'autres personnes. Nous avons 64 modules dirigés par des instructeurs qui seront en ligne sous peu afin que les Canadiens puissent recevoir des renseignements indispensables sur la façon dont fonctionnent les trafiquants et sur ce qu'ils peuvent faire pour se protéger de ces prédateurs.
     Nous avons travaillé sur plus de 6 000 dossiers de victimes et de leurs familles, afin de rétablir leur vie et d'aider les victimes à se réintégrer dans la communauté et dans leur famille. Nos programmes de prévention et d'intervention au NHTEC seront en ligne pour que les Canadiens y aient accès facilement, dès que nous aurons terminé la traduction en français, en anglais et en certaines langues autochtones.
    Une présentation de cinq minutes au Comité aujourd'hui ne rend pas justice à la question complexe de la traite des personnes et à l'importance du projet de loi C‑36 pour ce qui est de la sécurité de nos jeunes. Il a été le catalyseur qui a permis à de nombreuses victimes de la traite des personnes de s'exprimer et de traduire leurs agresseurs en justice. Il m'a aidée, lorsque j'étais députée, à faire entendre la voix des survivants par le public.
    Lorsque j'étais au Parlement, j'ai fait adopter deux projets de loi pour lutter contre la traite des personnes: le projet de loi C‑268 et le projet de loi C‑310. Ils sont aujourd'hui intégrés au Code criminel du Canada. J'ai bénéficié de beaucoup de soutien de tous les partis de la Chambre à l'époque où j'ai fait adopter ces projets de loi, et je reconnais le mérite des survivants qui ont raconté leur histoire.
     Les députés de tous les partis ont appuyé ces projets de loi, ce qui était essentiel, car cela a permis d'amorcer une conversation à l'échelle nationale sur la traite des personnes et la souffrance de ses victimes. En outre, les Canadiens, y compris les survivants eux-mêmes, ont créé leurs propres organisations pour lutter contre la traite des personnes.
     Le projet de loi C‑36 doit être maintenu, et les parlementaires doivent s'efforcer davantage de protéger leurs électeurs contre ces prédateurs, car les trafiquants sont présents dans toutes les circonscriptions de notre pays. Les victimes de la traite des personnes sont les cibles d'abus horribles et en meurent souvent. La légalisation de la prostitution serait une parodie gigantesque contre nos populations les plus vulnérables, nos LGBTQ, nos immigrants et nos jeunes.
    Je le vois encore et encore tous les jours: la souffrance des jeunes victimes de la traite des personnes et ce qu'elles endurent aux mains des trafiquants d'êtres humains, des trafiquants qui cherchent à gagner beaucoup d'argent sur le dos de leurs victimes, jusqu'à 260 000 à 280 000 $ par victime et par an. C'est pour cela qu'ils le font. La plupart des victimes entrent dans le commerce du sexe à un très jeune âge, dès 12 ou 14 ans, et certaines même avant cet âge.
     Avant l'entrée en vigueur du projet de loi C‑36, rien ne permettait de réduire efficacement la demande d'exploitation des filles et des garçons mineurs par les trafiquants. En criminalisant les clients qui créent la demande de services sexuels, le projet de loi C‑36 a contribué à réduire la traite des personnes.
     Les trafiquants d'êtres humains sont les tiers qui encouragent la demande de services sexuels et en tirent profit en facilitant cette pratique. Ils se font d'abord passer pour des aides, des fournisseurs ou des protecteurs bienveillants auprès de ces victimes innocentes, qui sont attirées dans ce commerce d'esclaves des temps modernes. Le projet de loi C‑36 aborde cette question comme l'un des objectifs qui a grandement contribué à traduire ces auteurs en justice: il reconnaît les victimes de la traite des personnes comme des personnes qui sont piégées et vivent l'horrible expérience de la traite des personnes avec de terribles traumatismes physiques et mentaux sur leurs épaules.
     Pour la première fois dans le droit pénal canadien, l'achat de services sexuels est illégal. Cela aide à traduire les trafiquants en justice, car cette infraction fait de la prostitution elle-même une pratique illégale, mais il s'agit d'une loi équilibrée, car les adultes qui choisissent de se vendre pour des services sexuels sont protégés par la loi et peuvent le faire sans ramifications.
(1555)
     Récemment, à Winnipeg, nous avons réussi à faire pression pour que des licences ne soient plus délivrées aux salons de massage et clubs de strip-tease. C'est là que les trafiquants d'êtres humains placent souvent leurs victimes.
     Je vous remercie beaucoup de m'avoir accordé du temps aujourd'hui, car je dois dire clairement que le projet de loi C‑36 est très utile et qu'il permet de faire ce genre de choses.
    En conclusion, les parlementaires doivent s'efforcer de conserver le projet de loi C‑36 et en faire beaucoup plus pour que la traite des personnes ne soit plus un facteur au Canada.
    Meegwetch.
(1600)
    Merci, madame Smith. Votre témoignage est précieux.
    Nous passons maintenant à notre première série de questions, en commençant par un tour de six minutes avec M. Morrison.
    Merci, monsieur le président, et merci à la YWCA Halifax et à la Joy Smith Foundation d'être des nôtres cet après-midi.
     Madame Smith, j'ai une expérience assez vaste en matière de prévention et de réduction du crime. Je parlerai de la réduction de la criminalité un peu plus tard, mais pour ce qui est de la prévention, surtout, ce sont des jeunes de 12 à 14 ans, et je sais à quel point il est difficile de faire de la prévention. Il faut 20 ans, dans certains cas, pour qu'un cycle se déroule et ait un impact réel, et je pense que beaucoup de gens en arrivent au point où ils abandonnent. Il est si important pour nous de nous concentrer sur la prévention, en d'autres termes, de dissuader les filles et les garçons de 12 à 14 ans de se retrouver dans cette situation difficile.
    D'après votre exposé, il semble que vous essayez vraiment de le faire. Pouvez-vous nous aider à comprendre quels seraient vos plans et comment vous pourriez commencer à travailler à la prévention? Pour moi, c'est le Saint-Graal.
    Vous avez tout à fait raison. L'éducation est notre meilleure arme pour combattre la traite des personnes, et nous devons joindre nos efforts pour y mettre fin. Nous allons dans les écoles, d'un bout à l'autre du pays, présenter nos programmes de prévention. Dans ces programmes de prévention, nous parlons de la façon dont les trafiquants travaillent, de la façon dont les jeunes peuvent être attirés sur Internet, de tous les facteurs qui permettent d'éviter que cela ne se produise. Nos jeunes au Canada sont très intelligents, et s'ils reçoivent ces renseignements, ils se tirent très bien d'affaire.
     Nous avons d'innombrables évaluations. Nous évaluons toutes nos présentations et nous en avons des milliers. À maintes reprises, les élèves nous disent « Merci pour cette présentation; je vais rompre avec mon petit ami parce qu'il a suggéré [...] », et décrivent les choses inappropriées que l'individu suggérait. Une fois que les jeunes ont appris comment les trafiquants travaillent, l'aspect prévention est énorme, et c'est une partie importante de nos programmes au National Human Trafficking Education Centre.
    Sur le plan de la prévention, comment travaillez-vous? Il y a eu quelques commentaires négatifs sur les forces de l'ordre et la façon dont elles traitent ces situations, et peut-être qu'elles ne sont pas formées de façon appropriée. Je sais par expérience qu'au sein de la GRC, par exemple, il y a eu une formation approfondie et des efforts pour travailler avec des groupes de jeunes et les aider.
    Vous en avez parlé un peu. Participez-vous activement à la formation de certains des organismes d'application de la loi de votre région?
    Nous le faisons, et pas seulement dans notre région, mais dans tout le Canada. Nous venons de terminer une énorme formation avec la GRC dans la région de Windsor. Il y a beaucoup de traite de personnes qui se fait dans la région des Grands Lacs.
    Nous travaillons main dans la main avec les forces de l'ordre. Le maintien de l'ordre évolue de nos jours. Il change et elles cherchent donc à établir des liens avec la communauté, avec les jeunes, afin d'éviter que de mauvaises choses ne se produisent. C'est pourquoi nous organisons de nombreuses séances de formation pour la GRC et les services de police municipaux dans tout le pays, et elles sont très bien accueillies.
    Nous sommes maintenant dans une nouvelle ère, et je suis très optimiste. Je pense que nous pouvons mettre fin à la traite des personnes grâce aux connaissances que les étudiants acquièrent pour se protéger, ainsi qu'à la formation de l'appareil judiciaire et des forces de l'ordre, et nous sommes très actifs dans ce domaine.
     D'accord, et en ce qui concerne le projet de loi C‑36 en particulier, en ce qui concerne les sanctions, comment pouvons-nous améliorer la loi, et y a‑t‑il une possibilité d'aborder également la prévention?
     S'il y a une amélioration à apporter au projet de loi C‑36, ce serait d'imposer davantage la prévention et de diffuser largement le sujet de la prévention. On parle peu de la prévention de la traite des personnes, c'est pourquoi nous en avons fait l'une de nos principales priorités au NHTEC.
     Pour le projet de loi C‑36, je recommande vivement la mise en place d'un programme de prévention complet. Nous pouvons parler de partenariats avec les différents ordres de gouvernement. Ayant été députée pendant 12 ans, j'ai constaté qu'il y a peu de liens entre le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et les municipalités. Il doit y avoir plus de liens entre les trois du côté de la prévention, et nous pourrions faire inscrire une recommandation à cet effet dans le projet de loi C‑36.
(1605)
    En terminant, je tiens à vous remercier infiniment pour votre travail bénévole. C'est un excellent projet.
     Le président: Merci, monsieur Morrison.
     Je donne la parole à Mme Brière, pour six minutes.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Je salue nos deux témoins et je les remercie d'être présents avec nous aujourd'hui.
    Ma question s'adressera aux représentantes du YWCA Halifax.
    Vous l'avez mentionné, c'est en Nouvelle‑Écosse qu'on retrouve le plus haut taux d'incidents liés à la traite de personnes au Canada, selon les plus récentes données de Statistique Canada.
    Selon vous, une approche multidisciplinaire serait-elle à privilégier pour améliorer la sensibilisation et offrir un meilleur soutien aux victimes?

[Traduction]

    Je peux répondre à cette question, car je travaille beaucoup sur les réponses systémiques à la traite des personnes et à l'exploitation sexuelle en Nouvelle-Écosse.
    Nous mettons certainement en oeuvre une approche interdisciplinaire pour faire face à ce problème. En plus de nos merveilleux partenaires au sein des forces de l'ordre, du service des poursuites publiques et des services aux victimes en Nouvelle-Écosse, nous avons mis l'éducation et la santé à contribution. Au cours de la dernière année, nous avons été en mesure d'intégrer un élément d'apprentissage de base sur la traite des personnes et l'exploitation sexuelle dans le programme scolaire de la septième année dans toute la Nouvelle-Écosse. Nous collaborons aussi, bien sûr, avec nos nombreux fournisseurs de services sur le terrain, qui travaillent avec les survivants, les victimes et les personnes qui s'identifient comme des travailleurs ou travailleuses du sexe, et leur offrent un soutien. Il est important de noter que tout le monde n'utilise pas le même langage que nous pour parler de ce problème et le nommer. Nous essayons donc d'inclure toutes les expériences de personnes qui travaillent dans le commerce du sexe, qu'elles considèrent ou non que ces expériences relèvent de l'exploitation ou de la traite.
     Oui, nous sommes tout à fait de cet avis et nous créons ici, en Nouvelle-Écosse, une communauté de pratique interdisciplinaire. Il s'agit d'amener un certain nombre d'intervenants, de systèmes et de partenaires différents à la table pour que nous puissions vraiment adopter une approche holistique de cette question et ne pas nous concentrer uniquement sur le problème des proxénètes et des agresseurs. Les causes profondes de la traite et de l'exploitation des personnes sont, selon nous, la clé de la prévention.

[Français]

     Dans la définition de « traite de personnes » des Nations unies, on retrouve les éléments suivants:
[...] menace de recours ou le recours à la force ou à d'autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d'autorité ou d'une situation de vulnérabilité [...]
    À l'aide d'exemples concrets, pourriez-vous nous dire comment cela se passe sur votre territoire? Si vous êtes en mesure de le faire, dites-nous également comment cela se passe ailleurs.
    Enfin, parlez-nous des moyens subtils pour maintenir un contrôle sur les victimes.

[Traduction]

    Le contrôle se présente sous diverses formes, alors il n'y a pas qu'une seule façon de contrôler les jeunes. Nous assistons à des échanges, ce qui a été souligné dans notre présentation. Les jeunes et les très jeunes échangent le sexe pour les besoins de base — logement, revenu et nourriture. C'est l'une des formes que nous voyons. Nous constatons également un certain nombre de cas de traite, dans lesquels les jeunes sont trompés et leurrés. Ils sont contrôlés, et nous constatons également la dynamique du pouvoir avec les personnes en qui ils ont confiance.
     Ce sont là certaines des choses qui se passent en matière d'exploitation sexuelle et de traite des personnes chez les jeunes de la Nouvelle-Écosse. Nous voyons de nombreux cas dans les collectivités rurales. Nous les voyons dans les communautés marginalisées. Nous les voyons dans le système scolaire, et plus particulièrement dans le système de protection de l'enfance. Dans le cadre de mon travail sur la protection de l'enfance, je constate qu'un grand nombre des jeunes qui franchissent nos portes ont eux-mêmes été dans le système de protection de l'enfance dans leur jeunesse ou ont des parents qui ont eu affaire à la protection de l'enfance.
    Ce sont là certaines des causes sous-jacentes et profondes du contrôle. Cela revient à la vulnérabilité, dont nous avons parlé dans notre exposé, qui est le plus souvent la cause profonde du contrôle.
(1610)

[Français]

     Je vous remercie.
    Il me reste 30 secondes.
    J'aimerais savoir si vous avez vu un effet de la Ligne d’urgence canadienne contre la traite des personnes.
    J'aimerais que Mme Smith réponde brièvement.

[Traduction]

    Je crois que tous les partenariats d'un bout à l'autre du pays sont extrêmement importants, et la ligne d'assistance téléphonique, bien sûr, est l'un de ces partenariats et un élément extrêmement important. Vous savez, il faut qu'une nation travaille ensemble, que tout le monde travaille ensemble, pour arrêter la traite des personnes et empêcher ce genre de crime horrible de se produire. En ce qui concerne la ligne d'assistance, il y a beaucoup de bonnes choses qui se passent là aussi.
    Merci, madame Smith.
    Nous passons maintenant à Mme Michaud.

[Français]

    Je remercie les témoins d'être présents et de nous faire part de leur expertise sur la question.
    J'essaie de m'éduquer davantage sur cette question, qui n'est pas simple du tout. J'ai entamé la lecture d'un essai québécois à ce sujet. Je ne suis pas encore très avancée, mais l'auteur nous dit que, même dans les rangs féministes, il y a deux clans: celui qui est en faveur de l'abolition de la prostitution et celui qui soutient les travailleurs et les travailleuses du sexe. On essaie de trouver une solution, mais ce n'est pas facile.
    Madame Gagnon, vous avez dit que vous ne prendriez pas nécessairement position sur la question, et je comprends cela, mais vous disiez qu'il y avait deux questions que nous, les membres du Comité, devions nous poser: d'abord, la loi protège-t-elle suffisamment les victimes d'exploitation sexuelle; et est-ce qu'elle leur cause un préjudice?
    Vous y avez bien répondu. Vous recommandez de travailler sur plusieurs fronts à la fois, par exemple, ceux du logement social et de l'éducation, entre autres, parce qu'il serait peut-être impossible de mettre fin à l'industrie du sexe.
    J'aimerais vous entendre parler des autres fronts sur lesquels on peut travailler.
    En tant que parlementaires, quelles solutions pouvons-nous apporter, si elles peuvent être législatives?

[Traduction]

    Ici, en Nouvelle-Écosse, nous essayons vraiment d'adopter une approche de santé publique pour faire face à cette crise qui règne dans la province. Une approche axée sur la santé publique permet d'examiner la question de façon plus globale et de se concentrer sur l'expérience, la victimisation, la violence et les traumatismes qui peuvent survenir dans le contexte du commerce du sexe lorsqu'il s'agit d'exploitation et de traite.
     Je reconnais vraiment les efforts que vous faites pour équilibrer les diverses opinions sur le statut juridique du travail du sexe dans ce pays. En tant que partenariat, nous sommes parvenus à un consensus sur la manière d'aborder la question, sur ce que nous devons faire en matière de prévention et sur la manière dont nous devrions soutenir les personnes sur cette question, mais nous n'avons pas pu parvenir à un consensus sur le statut juridique du travail du sexe. Nous pensons que nous n'avons pas vraiment besoin de le faire. Parfois, cela bloque le travail qui doit être fait pour soutenir les personnes qui viennent nous voir pour obtenir des services, des programmes et de l'aide, quels qu'ils soient, donc en mettant en œuvre une approche de santé publique sur la question [difficultés techniques] en amont, de nouveau.
     Je suis tout à fait d'accord avec Joy Smith pour dire que la prévention est essentielle si l'on veut avoir le moindre effet pour endiguer la marée de personnes qui s'engagent dans cette voie. Cela nous aide à adopter une approche holistique, parce qu'ici aussi, en Nouvelle-Écosse, nous sommes confrontés à ce qu'on appelle le recrutement par les pairs, c'est‑à‑dire que les victimes occupent également la position de ce que le système de justice pénale définirait comme un délinquant. Lorsque vous avez des jeunes qui influencent et encouragent d'autres jeunes à participer au commerce du sexe et que nous adoptons une approche fondée sur la justice, il peut être vraiment difficile de distinguer qui est victime et qui est délinquant.
    En adoptant une approche de santé publique, nous pouvons traiter tous les traumatismes et tous les problèmes qui se présentent à nous et nous concentrer sur le soutien des jeunes et des jeunes adultes qui participent au commerce du sexe.
(1615)

[Français]

     Je vous remercie de votre réponse.
    En matière de prévention, considérez-vous que les communautés et les organisations comme la vôtre ont tous les outils nécessaires pour non seulement faire de la prévention dans les communautés, mais aussi assurer la sécurité des victimes d'exploitation sexuelle?
     Ces dernières risquent de passer entre les mailles du filet du système ou de cette loi, qui ne semble pas avoir répondu aux attentes depuis son adoption.

[Traduction]

    Merci pour ces questions très réfléchies. Ce que je dirais est semblable à ce que Mme Gagnon disait.
    Je vous dirai que j'étais travailleuse sociale d'urgence à l'hôpital pédiatrique de Halifax, où je voyais des enfants et des adolescents dans toutes sortes de crises. Il y avait un petit groupe, mais très important, de jeunes femmes qui venaient faire des fellations dans des roulottes pour obtenir des billets pour la fête foraine. Ce type d'exploitation se produit dans toutes sortes de contextes, et c'est une partie de ce dont nous avons parlé concernant la loi.
     Pour moi, c'est une question compliquée de savoir quelles sont les véritables causes profondes de ce problème et pourquoi, bien que ce ne soit pas une solution miracle, l'approche de santé publique dont nous parlons est... Nous voulons vraiment être en mesure de soutenir les gens là où ils se trouvent, et cela nous ramène à ce que Mme Abiagom disait à propos de la protection de l'enfance et de la question de savoir si les enfants qui grandissent dans les services de protection de l'enfance sont adéquatement soutenus sur ces questions, car ils sont particulièrement vulnérables.
     Il y a deux choses à faire. Nous avons besoin de travailleurs sur le terrain dans tout le pays. Nous avons une équipe extraordinaire dont les membres ont eux-mêmes été exploités et font maintenant partie de notre personnel. Ils sont la ressource première de notre communauté. C'est à eux que j'enverrais mes enfants si, à Dieu ne plaise, je me trouvais dans une telle situation. Ils comprennent le mal.
     Pour répondre à la question sur nos ressources, nous devons, en tant que communauté, comprendre le bien-être de nos jeunes de manière générale.
    Merci, madame Michaud.
    M. Garrison maintenant. Vous avez six minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je tiens à remercier les représentantes de la YWCA d'Halifax de participer à nos travaux et de nous livrer des témoignages directement ancrés sur la réalité de leur communauté.
    Au début — je suis désolé si je prononce mal votre nom —, Mme Suokonautio a répondu aux deux questions les plus importantes à mes yeux. Ce ne sont pas des questions philosophiques. De toute évidence, il est difficile de codifier la prévention dans la législation en matière criminelle.
    Je voudrais revenir sur ces deux questions. Vous avez indiqué qu'il est impossible de prouver que le projet de loi, dans sa forme actuelle, protège les victimes d'exploitation. Pouvez-vous nous donner un peu plus de précisions sur ce qui vous permet, en vous inspirant de votre expérience, de tirer cette conclusion?
(1620)
    Je peux faire une brève introduction et Mme Abiagom pourra poursuivre.
    Dans notre province, les fournisseurs de services avec lesquels nous collaborons sur le terrain nous parlent beaucoup du fait que les personnes victimes d'exploitation sont aussi souvent victimes de violence dans l'industrie du sexe. Une des raisons qui nous font dire que c'est difficile à prouver tient au très faible taux de signalements. À cause de la criminalisation du travail du sexe, les personnes ont peur de perdre leur gagne-pain et leur capacité de combler leurs besoins de base.
    Quand il y a un incident, la décision de le signaler à la police peut dépendre de beaucoup de choses. Nous n'avons pas constaté d'augmentation des accusations portées en vertu du Code criminel contre les personnes qui achètent des services sexuels ou les mauvais clients qui recourent à la violence. C'est une partie de la réponse.
    Mme Abiagom peut vous donner un exemple de ce dont je parle.
    Dans le dernier mois, nous avons vu des cas d'agressions sexuelles... des victimes de ruses... des personnes qui n'ont même pas de proxénète. Je peux vous dire que parmi les jeunes qui sont victimes d'agressions, et elles sont nombreuses, une seulement est prête à porter des accusations. C'est assez clair que le projet de loi n'incite pas les victimes à faire un signalement parce qu'il les stigmatise. Il les fait se sentir coupables de quelque chose, que le problème vient d'elles. Il les empêche d'aller chercher le soutien dont elles ont besoin.
     Nous rencontrons beaucoup de jeunes qui ne veulent faire de signalement à cause de ce projet de loi. Ces jeunes ne font pas confiance au système, pas plus au système policier qu'au système de justice, criminelle ou autre, pour des raisons qui leur appartiennent. Ce sont quelques-unes des constatations que nous avons faites.
    J'ai une autre question qui est étroitement liée aux deux précédentes. Est‑ce que ce projet de loi, dans sa forme actuelle, peut contribuer directement à causer des dommages, ou des préjudices aux personnes qui travaillent dans l'industrie du sexe?
    J'aimerais vous entendre un peu plus à ce sujet, car, si j'ai bien compris, votre conclusion semble aller dans ce sens.
    Je peux répondre à cette question également. Quand nous parlons de dommages ou de préjudices, qu'entendons-nous par là au juste? Pour nous, une personne a subi un préjudice quand elle ne demande pas le soutien dont elle a besoin au moment où elle en a besoin. Nous estimons que le projet de loi est préjudiciable parce qu'il force les personnes qui travaillent dans l'industrie du sexe [difficultés techniques] en les pénalisant, mais aussi parce qu'il les déshumanise. Il fait en sorte que l'accès à l'aide est extrêmement difficile et il les rend encore plus vulnérables à la violence. Il y a de plus en plus de violence, mais ces personnes préfèrent se taire. C'est dans ce sens que nous affirmons que le projet de loi cause des dommages.
    Précédemment, il a été mentionné que beaucoup d'autres lois qui contiennent des dispositions contre l'exploitation continueraient de s'appliquer si ce projet de loi n'existait pas. Si je prends l'exemple de ma communauté, il n'est pas rare qu'on n'applique pas ces autres lois et qu'on recoure abusivement au projet de loi C-36. Selon ce que vous avez pu observer, est‑ce aussi ce qui se passe à Halifax?
    Nous en avons aussi parlé dans notre exposé. Pour être honnête, je dois vous dire que nous avons consulté des procureurs de la Couronne de notre région pour préparer notre exposé.
    Tout d'abord, quand on sait que très peu d'affaires se rendent devant les tribunaux, il est important... Il faut trouver un juste équilibre entre les effets bénéfiques et les effets préjudiciables. Dans certains cas, l'application du projet de loi C-36 pourrait se justifier, mais il faut mesurer ses bienfaits par rapport aux préjudices subis quand un incident n'est pas signalé.
    Il faut aussi tenir compte des autres lois qui s'appliquent en cas d'exploitation. Nous avons parlé de la traite des personnes, une infraction explicitement prévue au Code criminel et sur laquelle le projet de loi C-36 n'a aucune incidence. Les lois sur la pornographie juvénile... Ces mesures continueront d'exister indépendamment du projet de loi C‑36, qu'il soit modifié ou non. Elles ne disparaîtront pas.
    L'essentiel pour nous est d'avoir des données probantes. Sur quelles données probantes les arguments sont-ils fondés? Le projet de loi a‑t‑il vraiment entraîné une baisse des signalements? Oui, selon ce que nous avons observé. Quant aux données des tribunaux, elles valent seulement pour les affaires qui se sont rendues jusque‑là.
    J'en profite pour faire une annonce de deux secondes. La YWCA d'Halifax, de concert avec ses partenaires, mène une étude. Nous venons de terminer le second volet d'une enquête provinciale auprès de personnes qui ont une expérience directe du milieu. C'est un travail de très grande qualité. C'est excellent. Nous devrions fonder nos politiques sur ce genre de données plutôt que sur des opinions.
(1625)
    Le rapport est‑il accessible? Si vous l'avez en main, pourriez-vous le transmettre au greffier du Comité pour que nous puissions l'examiner et l'intégrer à nos délibérations?
    Nous sommes actuellement à l'étape de la saisie des données et de l'analyse. Nous espérons avoir terminé le rapport en mai prochain.
    Merci.
    Nous en sommes aux rondes de cinq minutes. Monsieur Moore.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie nos témoins. Nous sommes heureux de vous entendre et d'entendre parler de votre travail, autant au sein de la YWCA d'Halifax que de la Fondation Joy Smith. Je vous suis reconnaissant de contribuer à une étude de la plus haute importance.
    Ma question s'adressera à la Fondation Joy Smith. Vous avez mentionné deux projets de loi d'initiative parlementaire que vous avez fait adopter quand vous étiez députée.
    Je suis ravi de vous revoir. Nous avons siégé en même temps. J'ai aussi apprécié... J'imagine que vous étiez moins partisane que moi, et c'est sûrement ce qui vous a permis d'obtenir des appuis solides de l'autre côté de la Chambre pour vos projets de loi d'initiative parlementaire.
     Pouvez-vous nous parler un peu des liens entre ce que vous faites maintenant et le projet de loi C‑36? Quelles sont les applications des projets de loi d'initiative parlementaires que vous avez présentés et quels sont leurs liens avec le projet de loi C‑36?
     Merci de poser cette question, parce que le projet de loi C-36 a servi de fondement aux projets de loi que j'ai présentés. Nous avons la preuve tous les jours de la grande efficacité du projet de loi C‑36.
    La suppression des permis des salons de massage et des services d'escorte, notamment, a eu un effet très important dans la ville de Winnipeg. La dernière victime que j'ai sauvée d'un salon de massage avait 13 ans. Le projet de loi C-36 a permis de braquer les projecteurs sur les agresseurs et sur les clients. C'est à eux maintenant de faire face à la justice. Avant le projet de loi C‑36, c'était la femme qui se faisait arrêter. Ce n'est plus le cas.
    Beaucoup de cas sur les 6 000... L'autre jour, mon adjointe m'a remis un document d'information pour m'aider à me préparer en vue de la réunion d'aujourd'hui. Nous avons répertorié quelque chose comme 1 223 victimes — je n'ai pas les chiffres exacts sous la main — qui ont contacté la police parce qu'on leur a dit que c'était la loi.
    Le danger vient du fait que beaucoup de gens ne connaissent pas les lois. Les membres d'un groupe ou d'un organisme ont tendance à penser de la même façon. Il faut sortir des sentiers battus.
    C'est ce que je m'efforçais de faire quand j'étais députée. J'avais des amis de tous les côtés de la Chambre, y compris chez les libéraux, les bloquistes et les néo-démocrates, qui comme moi voulaient mettre un terme à la torture ignoble subie par de jeunes victimes de la traite des personnes. Personne n'a parlé de la manière dont beaucoup de ces jeunes victimes sont recrutées. Sans le savoir, elles étaient les petites amies ou les petits amis de quelqu'un qui allait devenir leur bourreau. Elles ne le savaient pas avant de devenir victimes de la traite et de voir leur vie bouleversée à jamais. La guérison est un très long processus. La réintégration dans les familles est un très long processus. La jeune fille qui est partie de la maison n'est pas la même que celle qui y revient, si elle y revient.
    Je suis convaincue que l'éducation et la collaboration des députés de toutes allégeances pour obtenir les appuis nécessaires au projet de loi C-36 nous permettront d'en faire une base...
    Quand nous parlons des causes profondes, nous revenons constamment au logement, à l'éducation et à toutes ces choses. C'était vrai avant et c'est vrai maintenant. Grâce à notre programme d'intervention, j'ai découvert que le fait d'offrir l'accès à l'éducation aux personnes qui ont été victimes de la traite, de même qu'à un logement où elles se sentent en sécurité peut vraiment changer les choses au Canada. Ce serait scandaleux de faire autrement alors que nous obtenons des résultats très probants partout au Canada.
    Nous sommes un organisme non gouvernemental national, sans but lucratif et enregistré. Dans toutes les provinces, y compris la Nouvelle-Écosse, nous avons été à même de constater que le projet de loi C-36 aide énormément les victimes de la traite des personnes. Nous devons y réfléchir à deux fois avant de sabrer une mesure législative qui a donné une voix à ces victimes. J'estime que c'est une mesure nécessaire, et j'ajouterais qu'il faut la renforcer.
(1630)
    Merci de ce témoignage.
    Il me reste quelques secondes seulement.
    Madame Gagnon, vous avez parlé de l'importance de l'éducation. Vous intervenez dans les classes de septième et de huitième année. Je suis désolé d'avoir aussi peu de temps, mais pourriez-vous quand même nous expliquer dans les grandes lignes ce que vous faites?
    Certainement.
    Tout d'abord, nous avons le programme régulier sur les saines habitudes de vie du ministère de l'Éducation de la Nouvelle-Écosse. Jusqu'en septembre dernier, il ne comportait pas de volet qui explique aux jeunes ce que sont l'exploitation et la manipulation. C'est maintenant chose faite. Nous avons aussi ajouté une page sur la traite des personnes et l'exploitation dans le manuel d'éducation sexuelle de la septième année.
    Merci, monsieur Moore, et merci, madame Gagnon.
    Je donne maintenant la parole à Mme Diab. Vous disposez de cinq minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je suis très heureuse d'accueillir tous nos témoins aujourd'hui.
    Je suis députée d'Halifax-Ouest, et je suis ravie de vous rencontrer, mesdames Suokonautio, Gagnon et Abiagom. J'admire le travail que vous faites dans ma province, la Nouvelle-Écosse. Je sais que vous vous occupez de TESS, le système des services liés à la traite des personnes et de l'exploitation. En fait, comme je siégeais à l'Assemblée législative de la province en 2020, je sais que vous avez offert une séance pour tous les députés provinciaux. J'ai beaucoup appris durant cette séance.
    Je sais aussi que vous travaillez en partenariat avec plus de 70 organismes à l'échelle de la province pour lutter contre l'exploitation sexuelle commerciale des enfants et des jeunes. Comme quelques-uns de mes collègues l'ont mentionné, vous avez mis le doigt sur la véritable question, à savoir si le projet de loi protège les personnes contre l'exploitation ou s'il leur nuit.
    Vous avez également souligné l'importance de nous fonder sur des données probantes. Pouvez-vous expliquer, dans les quelques minutes qui restent, pourquoi c'est si important? Je sais que vous avez fait des recherches très poussées et que vous avez travaillé avec beaucoup de personnes dans l'industrie du sexe. Pouvez-vous me décrire ces personnes, qui sont les victimes et qui se trouve de l'autre côté? Pouvez-vous nous brosser un portrait général de tout cela? Vous pouvez ajouter d'autres éléments d'information si vous le jugez pertinent.
    Nous avons fait beaucoup de consultations et d'activités à l'échelle de la province pour recueillir des témoignages de personnes de tous les âges et de tous les horizons qui ont une expérience directe du commerce du sexe. Nous ne leur demandons jamais si elles sont des victimes, des survivantes ni même si elles travaillent dans l'industrie du sexe. Nos consultations sont assez inclusives pour ce qui concerne la façon dont nous menons nos consultations et auprès de qui nous les menons. Nous faisons une distinction nette entre le travail du sexe et la traite des personnes, mais force est de constater que l'exploitation, la traite et l'industrie du sexe en général sont étroitement liées.
    Notamment, nous avons réalisé l'enquête « Hearing Them » en 2020, qui était une première tentative de dialogue avec des personnes survivantes. Nous en avons rencontré 95 dans la province, dont 70 % environ vivaient dans un milieu urbain et 30 % dans un milieu rural. Leurs réponses ont entraîné quelques modifications dans nos politiques et elles ont orienté nos actions par la suite. Nous leur avons posé plus d'une centaine de questions, dont quelques-unes concernant leurs caractéristiques démographiques de base, ce qui se passait dans leur vie, leur âge au moment de leurs premiers contacts avec le commerce du sexe, si elles y étaient toujours liées. Les questions suivantes étaient directement liées aux services et aux mesures de soutien.
    L'une des constatations les plus importantes de l'enquête de 2020, qui je crois, mérite d'être soulignée ici, est qu'il est vrai que les personnes font souvent leurs premiers pas dans l'industrie du sexe à un jeune âge parce qu'elles ont subi de l'influence ou ont été victimes de la traite, selon le sens que le Code criminel donne à ce mot. Toutefois, une fois qu'elles sont prises dans l'engrenage de cette industrie, elles y restent parce qu'elles n'ont pas d'autres ressources ou la possibilité de suivre une formation qui pourrait les mener vers un autre travail. Beaucoup de personnes qui s'identifient comme des adultes qui travaillent dans l'industrie du sexe en Nouvelle-Écosse le font de manière indépendante après avoir été victimes de l'exploitation et de la traite. C'est très étroitement lié. Nous essayons de tenir compte le plus possible de la réalité des personnes survivantes dans nos interventions et dans nos politiques.
    Toutes ces personnes ont deux demandes fondamentales. Elles veulent avoir accès à des services dénués de jugement, ce qui signifie que nous devons nous débarrasser de certains préjugés au sujet de l'achat et de la vente de services sexuels pour réduire la stigmatisation de leurs expériences. Elles demandent aussi des services axés sur la réduction des préjudices. Elles ont des besoins de base. Elles ont besoin de se loger, de se nourrir, de gagner un revenu et de se déplacer, surtout si elles vivent dans un milieu rural. Elles ont toutes sortes de besoins. Pour nous, les fournisseurs de services, cela signifie que nous devons mettre de côté nos préjugés personnels concernant la vente et l'achat de services sexuels.
(1635)
    Merci.
    Madame Michaud, vous avez deux minutes et demie.

[Français]

    Je vous remercie, monsieur le président.
    Ma question s'adressera à Mme Smith.
    Madame Smith, vous avez été députée, et vous comprenez donc notre position alors que nous tentons de naviguer dans tout cela.
    Je vous remercie de votre engagement, d'ailleurs, et je vous remercie d'avoir créé votre fondation. Vous menez une lutte importante contre la traite des personnes. Justement, vous offrez des services de prévention, de soutien et d'intervention.
    Croyez-vous que nous devrions aller un peu plus loin dans la réforme? J'utilise le mot « réforme », mais j'ai plutôt l'impression que nous sommes en train de réviser cette loi. Or nous entendons souvent que cette loi n'a pas atteint ses objectifs.
    Quels changements aimeriez-vous proposer? Croyez-vous que nous devrions faire une réforme ou changer les façons de faire?

[Traduction]

    Le projet de loi C‑36 est très utile. À mon avis, on devrait le renforcer en y ajoutant des dispositions liées à la prévention.
    Un autre aspect dont on parle beaucoup et que nous avons souvent observé quand nous intervenons auprès des personnes survivantes dans le cadre de notre travail à la Fondation est qu'il faut leur offrir un moyen de s'en sortir. Ces personnes ont besoin d'éducation et de nouveaux choix de vie. Quand elles ont commencé dans le commerce du sexe, elles étaient des victimes innocentes, qui ont été dupées. Il faut savoir que 93 % des victimes de la traite des personnes sont nées ici, au Canada. Il faut leur offrir des possibilités de poursuivre leur éducation afin qu'elles puissent trouver un emploi qui leur permettra de subvenir à leurs besoins.
    À cela s'ajoutent les services améliorés de traitement des dépendances. L'incapacité de subvenir aux besoins de base de ses propres enfants est un traumatisme.
    Les parlementaires pourraient aller plus loin en ajoutant des dispositions au projet de loi C‑36 qui permettront d'atteindre ces objectifs et de favoriser la collaboration entre le fédéral, les provinces et les municipalités. C'est à mon avis un aspect qui a été négligé à bien des égards. Tous les ordres de gouvernement ont un important rôle à jouer pour aider les victimes de la traite des personnes.
    Merci, madame Smith, et merci, madame Michaud.
    À vous la parole, monsieur Garrison. Vous avez deux minutes et demie.
(1640)
    Merci beaucoup, monsieur le président.
     Je tiens à souligner, pour les fins du compte rendu, que j'étais aussi présent lors du débat sur le projet de loi C‑36 et que, malgré ce que nous avons entendu tout au l'heure au sujet de l'appui général de la Chambre, les conservateurs ont été les seuls à voter en faveur de son adoption. Les libéraux et les néodémocrates ont voté contre son adoption.
    J'aimerais revenir aux représentantes d'Halifax et à l'approche de santé publique. J'imagine que la situation à Halifax ressemble à celle de ma communauté, où il y a une surreprésentation de personnes autochtones, de Canadiens racisés, et souvent de membres de la communauté LGBT, ma propre communauté, dans l'industrie du sexe. J'aimerais savoir si c'est aussi le cas à Halifax et si les causes générales dont vous avez parlé sont les mêmes, soit l'incapacité de combler les besoins fondamentaux et d'accéder à un bon emploi.
    J'ai consacré toute ma vie professionnelle au domaine des services sociaux. Votre description de la situation est très réaliste.
    Comme nous l'avons souligné dans notre exposé, exploitation et vulnérabilité vont de pair. Le racisme, les séquelles du colonialisme, la marginalisation, tous ces facteurs augmentent la vulnérabilité — des jeunes en particulier — et le risque de subir de l'exploitation.
    Je le répète, les arrestations n'ont aucun effet contre la vulnérabilité. Ce sont les causes qu'il faut viser, et c'est beaucoup plus complexe.
    Une de nos extraordinaires collègues à Halifax, Karen Bernard, la directrice générale du Jane Paul Resource Centre pour les femmes micmaques du Cap-Breton, nous a expliqué à l'occasion d'une réunion que le colonialisme avait servi de terreau fertile à l'exploitation parce qu'il n'y a pas de meilleur moyen de faire croire à quelqu'un qu'il n'a aucune valeur.
    J'ai tout de suite fait un parallèle avec le travail que fait la Nova Scotia Native Women's Association, qui reçoit du financement de Femmes et Égalité des genres Canada. Nous siégeons au conseil d'administration de l'Association et nous collaborons avec elle. Elle a mis en œuvre une stratégie provinciale et effectue actuellement une analyse de la situation des femmes autochtones. Je pense qu'il est très important d'ajouter leurs perspectives à celles qui ont été présentées dans votre rapport sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Il y a une très étroite connexion.
    Je crois fermement que le témoignage des personnes survivantes est notre outil le plus efficace. Est‑ce que le Comité bénéficie des lumières d'une personne qui a une expérience directe de la question? Sinon, je vous conseille vivement de trouver une telle personne.
    Merci à tous les témoins de leurs précieux éclairages. Vous pouvez continuer de suivre les délibérations, mais nous allons passer au prochain groupe de témoins. Je ne sais pas si des tests de son sont nécessaires. Je vais demander au greffier de les faire rapidement et nous allons reprendre nos travaux ensuite.
    Nous allons suspendre la séance pendant deux minutes.
(1640)

(1640)
    Nous passons maintenant à Mme Elene Lam, de l'organisme Butterfly (Asian and Migrant Sex Workers Support Network), pour une période de cinq minutes. Nous entendrons ensuite Mme Lynne Kent, qui disposera également de cinq minutes, puis nous entamerons les rondes de questions.
    Je m'appelle Elene Lam. Je suis la directrice générale de l'organisme Butterfly (Asian and Migrant Sex Workers Support Network). J'ai une maîtrise en droit et en travail social, et j'ai travaillé dans le domaine des droits de la personne et de la violence sexiste pendant 20 ans, à l'échelle nationale et internationale.
    Butterfly est un organisme communautaire qui coordonne et offre des services de soutien à plus de 5 000 femmes asiatiques qui travaillent dans les salons de massage et dans l'industrie du sexe au Canada. Nos bénéficiaires sont des résidentes permanentes, des réfugiées et des femmes qui n'ont pas de statut au Canada.
    Notre organisme défend les droits des travailleuses du sexe, y compris leurs droits fondamentaux et leur droit à la sécurité. Nous allons aujourd'hui nous faire les porte-parole des travailleuses du sexe migrantes d'origine asiatique, et surtout essayer de vous convaincre que le projet de loi n'empêche pas l'exploitation et ne protège pas les femmes. À l'opposé, il a des effets nocifs sur les travailleuses du sexe. Il est faux de prétendre que cette mesure législative ne nuit pas à leur travail. Je vais vous donner quelques preuves, tirées de nos nombreuses recherches et des nombreux témoignages que nous avons recueillis auprès des travailleuses du sexe à ce sujet.
    Les femmes racisées et migrantes font face tous les jours à la violence, à de mauvaises conditions de travail et à l'exploitation dans tous les secteurs, y compris celles qui travaillent comme aides familiales et dans les usines. Pour autant, nous ne réclamons pas la criminalisation de ces secteurs, mais plutôt la protection des migrantes et des travailleuses. Le travail du sexe est un moyen pour beaucoup de femmes asiatiques et migrantes de résister à l'oppression, de gagner un revenu, d'accéder à des ressources sociales et de fuir une relation de violence.
    La plupart des personnes migrantes aspirent à la liberté et à la sécurité quand elles déménagent au Canada, mais c'est malheureusement loin de la réalité. La criminalisation du travail du sexe et le lobbying pour éliminer l'industrie du sexe incitent à la violence, au profilage racial, à la discrimination et à la haine contre les personnes qui y travaillent. On demande au personnel des hôtels, aux propriétaires d'immeubles et même aux organismes non gouvernementaux de les surveiller. Des villes ferment les salons de massage asiatiques.
    Lors de la fusillade d'Atlanta, six femmes asiatiques ont été tuées. Ce n'est pas un phénomène propre aux États-Unis, car des événements du même genre se sont produits au Canada, où sept travailleuses asiatiques ont été assassinées. Ces tueries sont le fruit de la haine du travail du sexe, de sa criminalisation. L'assimilation du travail du sexe à la violence empêche de reconnaître la violence réelle subie par les personnes qui exercent ce travail.
    La criminalisation fait en sorte que ces personnes sont souvent arrêtées et déportées si elles signalent un acte de violence. Une travailleuse du sexe qui a subi des blessures graves durant un vol a déclaré qu'elle préférait de loin endurer la violence plutôt que d'être arrêtée. Quand le service de secours d'urgence de Butterfly reçoit un appel à minuit, mon cœur fait un tour parce que je ne sais pas s'il s'agit d'une femme qui a été volée, arrêtée ou tuée.
    On traite les personnes qui forment des réseaux essentiels pour les travailleuses du sexe migrantes, y compris les amis, les tiers et les clients, comme des trafiquants. Ces personnes sont arrêtées alors qu'elles essaient de s'entraider. Près de 200 femmes ont été accusées de proxénétisme ou de publicité ces dernières années. Une travailleuse du sexe a été arrêtée parce qu'elle aidait d'autres femmes à faire de la publicité, à communiquer avec les clients et à faire des vérifications.
    Loin de protéger ces femmes, les policiers comptent parmi les principaux agresseurs. Parmi les travailleuses du sexe, 30 % ont déclaré avoir été harcelées ou agressées sexuellement ou d'une autre façon par un policier.
    À cause de l'amalgame entre le travail du sexe et la traite des personnes, les services policiers s'acharnent contre les travailleuses du sexe. Des policiers munis d'un mandat sont entrés de force chez une travailleuse pendant son sommeil. Elle a été menottée et on l'a empêchée de s'habiller avant de l'interroger. Ses cartes d'identité, son argent et son téléphone ont été confisqués, et les policiers lui ont ensuite demandé si elle était en sécurité. Elle a répondu qu'elle était en sécurité avant leur arrivée. Elle était terrifiée parce qu'elle ne savait pas si elle serait déportée, accusée ou dénoncée.
    Les stéréotypes véhiculés au sujet des travailleuses du sexe asiatiques et immigrantes les font passer pour des victimes passives et ignorantes de la traite des personnes, alors qu'elles ont clairement réclamé la décriminalisation du travail du sexe et l'abolition des lois et des règlements en matière criminelle et d'immigration qui légitiment l'ingérence de la police dans leur vie. Les lois exacerbent notre vulnérabilité, disent-elles. Nous ne sommes pas des victimes. Nous sommes des travailleuses. Nous sommes les mieux placées pour savoir ce qui se passe dans notre vie et pour comprendre comment les lois nous nuisent.
    Voilà ce que vous demandent les travailleuses du sexe migrantes. Ne criminalisez pas notre travail et ne nous empêchez pas de travailler. N'essayez pas de contrôler notre corps. Si vous avez vraiment à cœur nos droits et notre sécurité, laissez-nous décider de notre propre vie et écoutez-nous. Ne faites rien qui risque de nous causer encore plus de dommages et de nous mettre encore plus en danger.
    Butterfly n'est pas le seul organisme à avoir constaté les dommages causés. Beaucoup d'autres organismes qui militent pour que cesse la violence faite aux femmes et les droits de la personne, comme l'Ontario Coalition of Rape Crisis Centres et la Global Business Coalition Against Human Trafficking, sont témoins des ravages des lois qui criminalisent les personnes qui travaillent dans l'industrie du sexe et s'y sont opposés.
(1645)
    Nous exhortons le gouvernement à entendre les demandes de la communauté et à abroger le projet de loi C‑36, qui est préjudiciable aux personnes qui travaillent dans l'industrie du sexe et qui peut même entraîner leur mort.
    Merci.
    Merci, madame Lam.
    Madame Kent, c'est à vous. Vous disposez de cinq minutes.
    Bonjour à tous et merci de me donner l'occasion de m'adresser à vous.
    Je suis Lynne Kent, présidente du Vancouver Collective Against Sexual Exploitation. Nous sommes un collectif d'organismes et de personnes comptant de nombreuses années d'intervention et d'expérience dans ce domaine.
    D'après ce que j'ai compris, le projet de loi C‑36 s'intitule désormais la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d'exploitation. C'est un instrument transformateur sur les plans social, juridique et relationnel par son approche pour lutter contre l'objectivation et de la marchandisation des femmes et des filles. C'est un instrument à la fine pointe, reconnu mondialement, qui vise à protéger le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité des personnes que le commerce du sexe enfreint chaque jour.
    Notre gouvernement s'est fait le champion mondial de tous les droits en matière de santé et d'égalité des sexes, et la LPCPVE vous offre toutes les possibilités de prétendre à ce titre. Elle s'attaque au facteur le plus important de la déresponsabilisation des femmes, soit la commercialisation de leur corps qui découle du soutien de la demande des hommes et de leur sentiment d'avoir droit à des rapports sexuels quand, où et avec qui ils veulent. La LPCPVE dit non et, dans un récent sondage, cinq fois plus de Canadiens sont d'accord.
    Nous revendiquons tous la sécurité des femmes. Il s'est révélé impossible d'empêcher l'exploitation dans le commerce du sexe. Les préjudices causés aux femmes et aux filles exploitées sont bien documentés et l'abrogation de la loi n'y changera rien. En fait, elle augmentera à la fois les préjudices et le danger pour les personnes qui se prostituent, pour l'ensemble des femmes, des enfants et des collectivités.
    C'est un mensonge cruel de laisser entendre que la modification de cette loi offrira plus de sécurité à quiconque se livre au commerce du sexe. Les preuves sont partout. Le lobby en faveur de l'abrogation de cette loi vise davantage la sécurité des exploiteurs. Ne soyez pas dupes: les proxénètes, les clients et les trafiquants sont les seuls à en bénéficier.
    Oui, écoutez ceux qui sont dans le commerce du sexe, mais lesquels? Écoutez-vous les quelques privilégiées qui prétendent être là par choix, ou la grande majorité qui est là par manque de choix, qui a été attirée, séduite et contrainte, qui veut en sortir, qui ne peut pas en sortir, qui est piégée et qui n'a pas de voix? Vous ne les entendrez pas. Elles ne seront pas à cette table, car elles ne sont pas libres de s'exprimer.
    C'est en écoutant les survivantes que vous pourrez vous rapprocher le plus de la vérité, celles qui réussissent à s'en sortir et qui se soucient suffisamment des autres pour se mettre en danger —ne vous y méprenez pas — et raconter toute l'histoire. Celles qui se soucient vraiment de la sécurité et du bien-être de tous les acteurs du commerce du sexe savent que la réduction concrète des préjudices est un leurre. Les lois ne peuvent pas être faites pour servir une minorité. Cette loi doit se concentrer sur la protection et la sécurité de la majorité.
    Les prostituées néo-zélandaises ont manifesté, fait campagne et exercé des pressions en faveur d'une décriminalisation totale, pour s'apercevoir que leur propre capacité d'action était réduite et que l'ensemble des avantages, du contrôle et du pouvoir revenait aux propriétaires de maisons closes, aux proxénètes, aux clients et aux exploiteurs. Si vous abrogez la loi, vous aggraverez les préjudices et le danger pour toutes les femmes et tous les enfants, en particulier les Autochtones, les immigrantes, les pauvres et les racisées, ainsi que pour toutes les enfants âgées de 10 à 18 ans.
    Voulez-vous que ce soit là votre legs? Voulez-vous avoir cela sur votre conscience? Nous serons là pour vous demander des comptes, pour pointer du doigt et imputer la faute à qui elle appartient. Il vous incombe de protéger les collectivités et les personnes exploitées et non de faciliter le commerce du sexe et ces graves préjudices inhérents dont on vous a parlé à maintes reprises.
    Nous avons soumis un mémoire dans lequel nous soulignons les éléments valables dans la LPCPVE. Cependant, cette loi étalon ne remplira ses promesses que si elle est mise en œuvre. Nous avons besoin d'une application cohérente à la grandeur du pays. Nous avons besoin de formation des policiers, d'une campagne d'éducation publique et d'un soutien solide pour les personnes qui quittent le métier.
(1650)
    De quel côté vous rangerez-vous, du côté de la population et des collectivités canadiennes ou du côté du crime organisé? Ce n'est pas la loi qui fait du tort. Ce sont les hommes qui achètent du sexe. Tant que nous ne nous attaquerons pas à la demande, rien ne changera.
(1655)
    Merci, madame Kent.
    Pour la première série de questions, je vais donner la parole à M. Brock, pour six minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Merci beaucoup, mesdames Lam et Kent, de votre présence et de votre témoignage précieux dans le cadre de notre étude de ce projet de loi. Il s'agit d'une révision législative de la LPCPVE. Je tiens à vous remercier pour votre prise de position.
    Je vais commencer par vous, madame Kent. En vue de cette séance, j'ai saisi l'occasion de consulter votre site Web. Vous en avez parlé dans votre déclaration liminaire. Jusqu'à présent — et je suis sûr que nous en entendrons davantage à d'autres occasions et à d'autres dates, nous avons entendu des témoins qui sont des partisans de la décriminalisation. Nous avons entendu des gens, comme vous, qui plaident vivement pour le maintien des avantages qui découlent du projet de loi C‑36.
    Pouvez-vous nous parler un peu plus des effets désastreux de la décriminalisation en Nouvelle-Zélande?
    Eh bien, c'est très intéressant, car quelques années seulement après l'entrée en vigueur de leur nouvelle loi, ces effets ont été révélés pour la première fois dans le rapport sur la traite de personnes. Chaque rapport publié depuis signale qu'ils ont un problème de traite de personnes.
    Voici ce qui est vraiment intéressant. Ils prétendent qu'ils n'ont pas de problème de traite. En fait, j'ai appris de l'organisation des travailleurs et travailleuses du sexe qu'ils se sentent insultés lorsqu'on leur dit qu'ils ont un problème de traite. Ils redéfinissent la traite comme une fête du travail du sexe, une merveilleuse occasion pour des personnes de venir travailler dans un endroit magnifique.
    En réalité, nous avons des témoignages de travailleurs et de travailleuses du sexe en Nouvelle-Zélande qui se sentent carrément trahis. Après tous les efforts qu'ils ont déployés, ils se sont retrouvés, comme je l'ai dit, sans aucune capacité d'agir. En réalité, l'exploitation se poursuivait, mais ils n'avaient aucun recours et aucune issue, puisqu'il s'agissait d'une entreprise légitime. Qui même s'occupait d'eux? Ils n'avaient certainement pas l'impression qu'ils pouvaient aller porter plainte à la police.
    Encore une fois, cela nous ramène à la raison pour laquelle nous ne pouvons même pas dire que notre loi crée des préjudices, puisqu'elle n'a pas été mise en œuvre de façon systématique au pays. Il y a un manque de formation des policiers, un manque d'éducation publique. On n'a pas du tout saisi ce qui est nécessaire. Vous ne pouvez pas affirmer que la loi a causé des préjudices.
    Je tiens à dire que tous ces préjudices existent, mais nous les imputons à cette loi alors qu'il serait plus pertinent de les imputer à bon nombre de nos systèmes de services sociaux, y compris celui de la protection de l'enfance. Ce système jette les enfants à la rue à 19 ans et, devinez quoi, ils aboutissent dans le commerce du sexe. Nous savons que beaucoup d'enfants placés en famille d'accueil travaillent dans le commerce du sexe.
    En ce qui concerne notre système de santé, les Autochtones, les personnes LGBTQ et les femmes en général se plaignent de ne pas être bien traitées. Elles sont victimes de discrimination en ce qui concerne les traitements médicaux et dans le réseau de la santé. Il en va de même pour les services financiers. Nous ne pouvons pas dire que cette loi cause des préjudices, celui‑ci et d'autres, aux travailleurs et aux travailleuses du sexe.
    Je vous remercie.
    Vous avez évoqué le projet de loi et vous avez dit qu'il s'agit d'une loi étalon, d'un instrument transformateur, à la fine pointe. Pouvez-vous proposer des changements que nous pourrions envisager d'apporter, sous forme d'amendements, à ce projet de loi particulier, ou des domaines que nous pourrions envisager d'insérer dans une nouvelle loi éventuelle pour offrir plus de protection aux personnes qui essaient de sortir de cette situation?
    La première chose que je tiens à dire, c'est que je pense que certaines mesures peuvent probablement être prises afin de réduire les préjudices causés aux travailleuses du sexe, notamment en éduquant les policiers et tout le monde. Les travailleuses du sexe ne devraient pas être accusées du tout. C'était l'objectif de la loi. Nous nous en prenions aux exploiteurs. Nous voulions nous en prendre aux auteurs des préjudices et non aux personnes lésées.
    Je pense que c'est un point sur lequel nous devons nous pencher. Comment garantir que l'objectif de la loi soit effectivement réalisé? La seule façon de le faire est d'éduquer et de former les policiers, d'éduquer le public et d'offrir du soutien aux personnes qui veulent s'en sortir.
    La loi prévoit tout cela, mais nous ne l'avons pas mis en oeuvre.
(1700)
    Madame Lam, brièvement, si vous voulez bien, pouvez-vous suggérer des amendements potentiels au projet de loi C‑36 pour offrir une plus grande protection aux travailleuses migrantes asiatiques?
    Je pense qu'il est très clair que l'abrogation intégrale de la loi permettrait de protéger les travailleuses du sexe migrantes et asiatiques. Selon Mme Kent, seules les privilégiées et les proxénètes demandent l'abrogation de la loi. Ce n'est pas vrai: des milliers et des milliers de travailleuses du sexe au Canada vous disent que cette loi nous tue. Elle doit être abrogée.
    Merci.
    Madame Dhillon, vous disposez de six minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je tiens à remercier nos témoins de leur présence.
    Madame Lam, vous avez dit quelque chose qui m'a vraiment frappée. Lorsque j'exerçais le droit pénal, j'avais parfois le même sentiment en m'entretenant avec mes clients. Vous avez décrit comment votre coeur bat la chamade à la sonnerie du téléphone la nuit.
    Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur que vous entendez par là? Quels types de situations déclenchent ce sentiment chez vous? Comment gérez-vous cette situation vous-même? Il nous arrive de vivre des traumatismes indirects, et d'après la façon dont vous vous êtes exprimée et avez témoigné, je peux le ressentir chez vous.
    Pourriez-vous répondre à ces trois questions? Si vous voulez que je les répète, je le ferai avec plaisir.
    Merci beaucoup, et je pense que vous avez posé une question très importante. C'est ce que nous constatons tous les jours dans la communauté, comment la loi cause un préjudice aux travailleuses du sexe. Pourquoi sont-elles la cible de l'agresseur? C'est parce qu'elles savent que la loi ne les protège pas. Elles savent que la loi les vise.
    C'est avec tristesse que je dois dire que [difficultés techniques] assiste à une séance du Parlement. Une autre chose que j'organise le plus souvent, ce sont des funérailles. Chaque fois que je vois la dépouille d'une travailleuse du sexe, je me demande pourquoi. Pourquoi avons-nous encore cette loi? Nous savons que cette loi continue de tuer des gens. Nous savons que la loi fait en sorte que les travailleuses du sexe ne peuvent pas travailler en toute sécurité. Quand les travailleuses du sexe se protègent les unes les autres... Par exemple, certaines travailleuses du sexe ne parlent pas anglais. L'autre travailleuse du sexe l'aide à communiquer avec les clients. Cette travailleuse du sexe est alors jetée en prison et la première travailleuse du sexe doit travailler dans une situation où elle est très vulnérable.
    Pourquoi le faisons-nous encore? Je ne comprends vraiment pas pourquoi tant de gens disent... Surtout, je vois beaucoup de gens dire que le problème ne touche pas les travailleuses du sexe, qu'il ne touche pas les personnes racisées ni les migrants. Ils continuent à dire qu'ils en savent plus que la communauté. Si vous vous souciez vraiment de l'exploitation et de la sécurité des travailleuses, la réponse est très simple. Abrogez cette loi.
    J'ai travaillé avec de nombreuses travailleuses du sexe en Nouvelle-Zélande. J'ai travaillé avec beaucoup d'organismes d'aide [difficultés techniques] dans un pays où les travailleuses du sexe sont moins criminalisées. Elles sont moins vulnérables. Elles peuvent demander de l'aide. Tout l'amalgame entre le travail du sexe et la traite de personne a accru la surveillance policière et la vulnérabilité des travailleuses.
    J'espère vraiment qu'après cette séance, nous aurons un rapport qui reflète vraiment la réalité des préjudices que cette loi cause aux travailleuses du sexe et le fait qu'elle ne peut pas les protéger de l'exploitation, car de nombreux organismes — et non seulement les organisations de travailleurs et travailleuses du sexe, mais des organismes de défense des droits de la personne et de lutte contre la violence faite aux femmes — ne cessent de vous le répéter. Nous espérons vraiment que la loi pourra être modifiée, qu'aucune travailleuse du sexe ne mourra à cause de la haine du travail du sexe, car ce point de vue est source de haine envers les travailleuses du sexe. Nous nous souvenons des six femmes asiatiques assassinées à Atlanta parce que le meurtrier a dit qu'il voulait éradiquer les travailleuses du sexe.
    Lorsque j'entends ici tant de gens dire qu'ils veulent éliminer les travailleuses du sexe, pour moi, ce n'est pas différent. Elles meurent à cause de votre haine des travailleuses du sexe, mais ce sont les corps de travailleuses du sexe. Que cela vous plaise ou non est votre choix, mais vous n'avez pas le droit d'exercer votre pouvoir sur d'autres femmes. Lorsque vous dites que les hommes ne devraient pas utiliser le corps des femmes, je dois vous dire: cessez d'utiliser le corps des travailleuses du sexe au profit de votre carrière et pour obtenir plus de financement.
    Les travailleuses du sexe ne cessent de vous répéter que cette loi les tue. Les travailleuses du sexe disent que cette loi ne les protège pas. C'est un message très important. Je veux que vous l'entendiez, et je tiens aussi à ce que toutes les personnes qui font la promotion du modèle de criminalisation du travail du sexe axé sur la fin de la demande l'entendent. Vous devez vraiment réfléchir à ce que vous faites. Nous ne voulons vraiment pas que d'autres travailleuses du sexe soient tuées.
    Je vous remercie.
(1705)
    Merci, madame Lam, et vous avez tout à fait raison. Nous ne voulons pas que d'autres travailleuses du sexe subissent des préjudices.
    Pouvez-vous nous parler un peu des interactions avec les autorités? À votre avis et selon votre expérience, qu'avez-vous constaté lors des interactions entre les travailleuses du sexe et les autorités, surtout pour celles qui sont racisées ou qui ne parlent pas anglais? Pouvez-vous nous dire comment diffère le traitement qui leur est réservé par rapport au traitement réservé à d'autres personnes, qui ne sont pas des travailleuses du sexe, ou n'y a‑t‑il aucune différence? Les personnes, qu'elles soient racisées ou non, sont-elles toutes traitées de la même façon? Pourriez-vous faire cette distinction, afin que nous puissions mieux comprendre? Je vous remercie.
    Oui. Vous avez soulevé une question très importante. La criminalisation du travail du sexe confère également aux forces de l'ordre des pouvoirs importants pour effectuer un profilage racial. Nous voyons tellement de travailleuses du sexe asiatiques se faire arrêter. Les policiers disent que lorsqu'ils vont sur Internet, ils fouillent dans la section des Asiatiques, elles sont donc ciblées parce qu'elles sont asiatiques. On suppose qu'elles sont des victimes, ce qui mène à leur arrestation.
    De plus, en raison de l'amalgame entre le travail du sexe et la traite de personnes, tout travailleur ou toute travailleuse du sexe qui travaille pour d'autres travailleurs du sexe ou les aide sera arrêté. Cette activité est criminalisée. Il est très évident que cette loi confère beaucoup de pouvoirs aux forces de l'ordre pour cibler les travailleurs du sexe. Les policiers ne peuvent pas être formés, car cette loi est conçue pour cibler les travailleurs du sexe. Merci.
    Merci, madame Dhillon. Merci, madame Lam.
    Je donne maintenant la parole à Mme Michaud, pour six minutes.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins de leur présence.
    Comme je le disais aux précédents témoins, j'essaie de naviguer dans tout cela. C'est un débat extrêmement important et extrêmement particulier. Normalement, quand on reçoit des gens au Comité, tout le monde s'entend un peu sur les mêmes solutions, et il y a une espèce de consensus. Or, dans ce cas-ci, les opinions sont tranchées: c'est noir ou blanc, avec de bons arguments des deux côtés. D'une part, on entend que ce qui protégerait les victimes d'exploitation sexuelle serait d'abroger la loi. D'autre part, on entend que, ce qui protégerait les victimes d'exploitation sexuelle, c'est de renforcer la loi.
    Je vais d'abord m'adresser à vous, madame Kent.
    Vous dites que le fait d'abroger la loi n'apporterait pas la sécurité aux victimes d'exploitation sexuelle. À votre avis, il faut se pencher sur la demande.
    De quelle façon pourrait-on faire cela?
    Je sais que vous avez abordé la question, mais je souhaiterais que vous développiez votre idée.

[Traduction]

    Eh bien, c'est ce que fait la loi. La loi est axée sur la demande.
    J'entends parfaitement le témoignage de Mme Lam. Je tiens à dire que j'ai aussi entendu la même chose de la part de survivantes. J'ai entendu les mêmes propos. Elles disent qu'elles en ont assez d'enterrer leurs amies, mais elles reconnaissent que ce n'est pas la loi qui a enterré leurs amies. Ce sont les acheteurs et les exploiteurs qui ont causé les préjudices qui ont enterré leurs amies. Parfois, c'est le suicide, à cause du travail.
    En tant qu'organisation, nous ne recevons aucun financement. Nous sommes tous des bénévoles. Cela comprend des travailleurs et des travailleuses du sexe, d'anciens propriétaires de maisons closes, des survivants et des survivantes et de nombreuses personnes qui travaillent avec des travailleurs du sexe. C'est ce que nous entendons de leur part.
    La loi ne vise pas à criminaliser le travail du sexe. Quand je dis qu'elle n'est pas appliquée, c'est là que le bât blesse. Elle est très complète. Elle nous donne tous les outils pour faire exactement ce que Mme Lam demande. Cette loi contient des outils pour protéger les travailleurs et travailleuses du sexe. Nous en revenons aux questions suivantes: pourquoi fait‑on du mal à ces personnes? Pourquoi ces personnes ont-elles peur de la police? Nous n'éduquons et ne formons pas les policiers pour qu'ils appliquent cette loi comme elle devrait être appliquée.
    Nous savons aussi que les exploiteurs enseignent aux travailleuses du sexe — les personnes concernées — à avoir peur de la loi, à avoir peur des policiers et à ne pas s'adresser à eux parce que cela les met en danger. Ils ne veulent pas que l'on sache qu'ils leur ont causé des préjudices d'une manière ou d'une autre ou qu'elles ont été agressées.
    Nous imputons à la loi de nombreuses fautes qui n'ont rien à voir avec la loi. Par conséquent, tant que nous le faisons, nous fermons les yeux sur les problèmes sous-jacents qui sont à l'origine des préjudices subis dans le cadre du travail du sexe et de la violence faite aux femmes, un point c'est tout.
    Je tiens simplement à vous dire, madame Michaud, que j'ai écouté les témoignages et vos questions. Je suis vraiment heureuse de voir la mesure dans laquelle vous cherchez de l'information et vous examinez toutes les facettes de cet enjeu en essayant d'aborder un problème très complexe avec bienveillance et solidarité. Je comprends certainement à quel point il est difficile pour des législateurs de défricher le terrain dans ce dossier pour se pencher sur ce que la loi est vraiment censée aborder.
(1710)

[Français]

    Je vous remercie beaucoup.
    Vous dites qu'on devrait éduquer davantage les policiers ou ajouter certains aspects à leur formation. Je suis d'accord là-dessus. Quand on siège au Comité permanent de la sécurité publique et nationale, on voit toujours de nouvelles choses pour lesquelles on devrait éduquer les policiers. C'est un travail constant. On constate que leur formation pourrait être plus longue.
    Par ailleurs, je comprends les victimes dont les expériences avec les policiers n'ont pas été positives et qui ont peur. La loi les met dans une situation particulière, parce qu'elles ont peur de faire des dénonciations. Elles baignent dans l'illégalité, mais elles essaient de travailler, de faire leur métier malgré tout cela. C'est ce qui est arrivé à une jeune fille de Québec l'an dernier, Marylène Levesque, qui a été tuée par un récidiviste parce qu'elle avait probablement peur d'aller voir la police.
    Même si on éduque davantage les policiers, comment fait-on pour jongler avec cela?
    Je vous ai laissé bien peu de temps pour répondre. J'en suis désolée.

[Traduction]

     Je serai très brève. Nous avons certainement [difficultés techniques] ici à Vancouver. Il faut combiner la police et un travailleur social pour que ces femmes ne soient pas seulement confrontées au système judiciaire, qu'elles soient aussi accompagnées par un travailleur social qui veille sur leurs intérêts.
    C'est ce que nos services de police ont fait avec les services à la famille. Ils ont travaillé en étroite collaboration avec les services à la famille afin qu'un défenseur des droits les accompagne lorsqu'ils ont affaire à un travailleur ou une travailleuse du sexe.
    Merci.
    C'est maintenant votre tour, monsieur Garrison. Vous disposez de six minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    J'aimerais revenir à Mme Lam et la remercier tout d'abord pour son témoignage très important. Il repose clairement sur le travail auprès de travailleurs et de travailleuses du sexe plutôt que sur des opinions à propos de ces personnes.
    Madame Lam, j'aimerais explorer un peu plus en détail les problèmes que cette loi risque d'engendrer pour les personnes sans statut légal au Canada. Lorsque vous parlez d'une réticence à s'adresser aux policiers parce que ces personnes n'ont peut-être pas de statut légal, de quoi parlez-vous exactement, madame Lam?
(1715)
    Je dirais que c'est une erreur ou une illusion de dire que cette loi permet aux travailleuses du sexe de continuer à travailler. Surtout pour les travailleuses du sexe asiatiques et migrantes, même certaines d'entre elles qui ont la résidence permanente, en raison de la barrière de la langue et aussi parce qu'elles n'ont pas assez de revenus, une tierce personne ou le client est souvent leur système de soutien très important. Par exemple, elles peuvent avoir besoin de quelqu'un pour les aider à s'annoncer ou à communiquer avec les clients, mais tout est devenu illégal.
    Je crois qu'il y a une couche supplémentaire parce que l'enquête sur la traite de personnes fait toujours intervenir l'ASFC. Nous voyons de nombreuses enquêtes contre le travail du sexe se transformer en enquêtes contre les migrantes. En vertu de la politique d'immigration en vigueur, même les détentrices d'un permis de travail temporaire ne sont pas autorisées à travailler dans l'industrie du sexe.
    C'est pourquoi nous estimons qu'il est très important que la loi assure la sécurité des travailleurs et des travailleuses du sexe, mais en même temps, nous continuons à dire qu'il s'agit aussi de leur travail et de leur gagne-pain. Il s'agit aussi de la capacité d'agir de chacun. Ces personnes devraient avoir le droit de prendre des décisions concernant leur vie et leur travail. Lorsque nous entendons d'autres intervenants dire à quel point ils sont heureux de fermer un salon de massage, nous voyons tellement de travailleurs et de travailleuses qui pleurent et tellement de travailleurs et de travailleuses qui se sentent si impuissants et frustrés lorsqu'ils perdent leur source de revenus.
    Toute cette criminalisation a mis les travailleuses du sexe dans une position où elles ne peuvent pas demander d'aide. Il est très important de ne pas oublier que l'aide ne vient pas seulement de la police. De nombreux systèmes de soutien mutuel sont criminalisés, et il leur est interdit de protéger ces travailleurs.
    Nous devons aussi nous demander si les gens veulent vraiment mettre fin à la violence faite aux travailleurs du sexe ou s'ils veulent mettre fin au travail du sexe. Mettre fin au travail du sexe n'assurera pas la sécurité des travailleurs du sexe. L'abrogation de la loi pénale peut aider les travailleurs du sexe à travailler de façon plus sûre. C'est la loi qui fait en sorte que les gens ont peur de dénoncer, parce que nous avons vu tellement de travailleurs être arrêtés et faire l'objet d'une enquête lorsqu'ils s'adressent à la police.
    L'une des travailleuses a été agressée quatre fois, et elle ne veut même pas crier, car elle a tellement peur que la police vienne. La police vient d'arrêter son amie, et celle‑ci a été expulsée.
    Ce que vous nous dites essentiellement, c'est qu'il ne s'agit pas seulement d'une peur de l'expulsion, mais que l'expulsion est effectivement très fréquente pour les travailleurs et travailleuses du sexe.
    Oui, nous avons beaucoup de [difficultés techniques] et nous les documentons. De même, pour les personnes qui ont la résidence permanente, parce qu'il s'agit d'une accusation criminelle, ces personnes perdront aussi leur statut d'immigration et seront expulsées. Ce n'est pas une crainte, c'est effectivement ce qui se produit. Nous avons beaucoup de documents à ce sujet.
    Vous dites que vous avez produit un rapport à ce sujet. Je vous demanderais de le déposer auprès du Comité afin que nous puissions en tirer parti dans le cadre de nos délibérations. Nous vous en serions très reconnaissants.
    Cela figure aussi dans les rapports de police. Ils disent explicitement qu'ils appellent l'ASFC et expulsent le travailleur du sexe.
    Dans votre déclaration liminaire, vous avez dit quelque chose de très similaire à ce que la représentante de Stella a dit. Vous avez dit que si l'on traite l'ensemble du travail du sexe comme de la violence, on passe à côté de la véritable violence.
    Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur la façon dont cela se passe dans la réalité?
    Nous voulons vraiment faire une distinction. C'est comme la violence conjugale. Ce ne sont pas tous les maris qui maltraitent leur femme. Certains maris maltraitent leur femme, mais nous ne réclamons pas la criminalisation du mariage. Nous devons vraiment faire la distinction et souligner que le travail du sexe en lui-même n'est pas violent, mais que des gens profitent de la criminalisation du travail du sexe pour user de violence contre des travailleurs et des travailleuses du sexe. C'est l'enjeu que nous devons vraiment régler.
    Lorsqu'il y a un amalgame, il devient impossible de faire la distinction entre le bon patron ou le mauvais patron, ou entre un bon client et un mauvais client. En fait, beaucoup de clients sont importants dans le système de soutien des travailleurs du sexe. Lorsque ces personnes doivent se rendre à l'hôpital, leurs clients les y amènent. Ils fournissent aussi différentes formes de soutien social et les mettent en rapport avec différents organismes de services sociaux. Bien sûr, le revenu est aussi un élément très important.
    C'est très important. Nous devons faire la distinction: le travail du sexe n'est pas de la violence. L'ostracisme et la criminalisation font des travailleurs du sexe des cibles de la violence. Voilà pourquoi il est si important de faire la distinction. Si vous les assimilez, vous ne pouvez pas voir la véritable violence.
(1720)
    Diriez-vous qu'il en va de même pour l'amalgame entre le travail du sexe et la traite de personnes et que, par conséquent, les personnes qui sont effectivement victimes de traite de personnes et qui ont perdu leur capacité d'agir passeront au travers des mailles du filet?
    Oui, comme je l'ai dit, la traite ou l'exploitation et la violence se produisent dans différents secteurs d'activité, comme l'agriculture ou le travail en usine, mais nous ne les criminalisons pas. Nous savons que la protection de la main-d’œuvre, la protection des migrants, est le moyen de lutter contre la violence. C'est très important. Nous ne faisons pas d'amalgame entre le travail du sexe et la traite de personnes. C'est ainsi que nous devons vraiment établir la distinction.
    Merci, monsieur Garrison.
    Le suivant est M. Morrison, pour cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Madame Kent, une réponse intéressante a été donnée. Je me demande si vous pourriez nous fournir un peu plus de précisions. Il s'agit des exploiteurs qui convainquent surtout les jeunes de craindre les policiers. Je sais que les jeunes de 12 et 13 ans sont extrêmement impressionnables et ont beaucoup de mal à prendre une décision par eux-mêmes. On les convainc que les policiers sont de « mauvaises personnes ». Je me demande si vous pouvez nous en dire plus sur cette affirmation.
     Cela va même plus loin que ça. Bien sûr, nous avons vu des cas où l'exploiteur a fait participer ce jeune à d'autres actes criminels, comme la contrebande d'armes à feu ou de drogue, et dans un cas, même à un meurtre où le jeune a été considéré comme complice du meurtre. C'est une épée de Damoclès qu'on tient ensuite au‑dessus de leur tête. On le fait même pour un simple vol: « Tu ne veux pas t'adresser à la police. Tu iras en prison à cause de ce que tu as fait. »
    C'est intentionnel. C'est très intentionnel. Ils ne veulent pas que ces travailleurs du sexe s'adressent à la police. Ils ne veulent pas que les préjudices qu'ils causent soient exposés au grand jour.
    Vous savez, je suis absolument d'accord avec Mme Lam sur de nombreux points. J'ai vu et entendu de première main des témoignages de personnes sur ce qui leur arrive, mais je veux simplement revenir en arrière et dire que ce n'est pas la loi qui fait craindre la police. C'est le fait de se faire dire que l'on ne peut pas faire confiance à la police et que l'on ne peut pas s'adresser à la police.
    Je ne défends pas les policiers sans réserve. Nous savons aussi que des policiers ont été complices. Quand nous examinons le profil des clients, nous voyons des avocats, des médecins, des enseignants, des professionnels, des policiers — autrement dit, des personnes qui ont de l'influence et du pouvoir. Ils ont une grande part de responsabilité dans la demande et l'exploitation. Il est donc compréhensible que les gens aient peur d'eux.
    J'en reviens au point suivant: nous devons tous examiner l'objectif de la loi et nous assurer qu'elle réalise son objectif. Son objectif est très bon. Il est important de répondre à la demande. Lorsqu'on décriminalise, lorsqu'on accorde l'impunité aux acheteurs et aux exploiteurs, ils deviennent plus violents. Nous le constatons. Nous en avons la preuve dans le monde entier. Je peux dire que nous en avons la preuve ici à Vancouver. C'est vraiment la volonté politique qui a freiné nos policiers. Ils sont conscients du problème, ils en prennent la mesure, et je pense qu'ils ont des lignes directrices pleines de bienveillance. Ils comprennent comment aborder les problèmes d'exploitation de la façon la plus prudente et la plus constructive, mais il n'y a pas de volonté politique pour les appuyer, les financer et leur fournir les ressources nécessaires pour garantir que nos policiers, tous nos services d'application de la loi, respectent l'esprit de la loi.
    Il y a les dispositions, puis il y a l'opérationnalisation. Nous devons combiner les deux.
(1725)
    Vous avez soulevé une autre question. Il est important que tout le monde comprenne la difficulté que constitue, même pour les forces de l'ordre, la présence de différentes cultures dans différentes régions. Il y en a plusieurs dans le Lower Mainland. C'est très difficile.
    J'ai travaillé avec les services de lutte contre la criminalité et de lutte contre la traite des personnes de Surrey. Quand un travailleur social les aide quand ils vont parler en particulier à de jeunes filles, ça a tellement plus de poids. Une confiance se noue. Il me semble que voir avec le comité de la sécurité publique certains des problèmes de formation... Je sais que la police fait de son mieux. C'est vraiment difficile.
    Je vous remercie, monsieur Morrison.
    Monsieur Anandasangaree, vous avez la parole.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Je tiens à remercier les témoins de leur présence aujourd'hui, et j'aimerais d'abord souligner que je vous parle depuis les terres ancestrales du peuple algonquin.
    Madame Lam, j'aimerais en savoir un peu plus au sujet des travailleurs et les travailleuses du sexe sans papiers. Pouvez-vous nous parler de votre expérience avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada et avec l'Agence des services frontaliers du Canada, et des mesures d'application de la loi ou des menaces de telles mesures auxquelles les travailleurs et travailleurs sans-papiers font face? Pouvez-vous nous faire part de votre expérience et de votre point de vue quant à leur incidence sur les signalements?
    Beaucoup de personnes sans statut ont déjà quantité de problèmes dans leurs rapports avec les services de police, mais pour les travailleurs et travailleuses du sexe, à cause de la loi qui les vise, il y a de plus en plus d'occasions de contacts non désirés avec les services de police. Par exemple, souvent, le travailleur ou la travailleuse du sexe est arrêté parce qu'il y a un tas de formations pour apprendre à repérer les victimes de traite des personnes, de sorte que leurs voisins appellent l'ASFC ou la police pour dire que le voisin ou la voisine est asiatique. Ensuite, la police vient contrôler son identité et l'arrête. Évidemment, les policiers lui demandent aussi si quelqu'un lui a pris son argent, si quelqu'un répond à son téléphone. Il arrive que des travailleurs ou travailleuses du sexe travaillent ensemble et, donc, que quelqu'un aide en répondant au téléphone d'une personne et que celle‑ci aide d'autres personnes à transférer de l'argent à la banque, et tout cela accentue le problème de vulnérabilité.
    À Hamilton, par exemple, nous voyons souvent l'ASFC, la Ville de Toronto et des agents d'application des règlements appliquer conjointement la loi, sans qu'on ait repéré de traite de personnes, mais le travailleur ou la travailleuse du sexe est arrêté et expulsé. Cela arrive aussi dans d'autres villes. Nous voyons aussi comment le profilage racial intervient dans ce processus, et beaucoup de membres des forces de l'ordre continuent de dire qu'ils partent du principe que les travailleurs et travailleuses asiatiques sont vulnérables, et ils ciblent et repèrent donc leurs petites annonces pour aller les trouver. Non seulement les sans-papiers, mais aussi celles et ceux qui sont en règle en ressentent les conséquences.
    Quelles sont les conséquences pour celles et ceux qui ont des papiers?
    C'est comme un profilage racial. Aussi, à propos de la peur de la police, on ne leur dit pas d'en avoir peur. Ils en ont vraiment peur parce que la loi peut être utilisée contre eux et pour les arrêter. Cela arrive, nous le voyons. Souvent, la police se sert du droit pénal pour placer le travailleur ou la travailleuse en détention, et elle appelle l'ASFC pour l'arrêter. Même celles et ceux qui ont des papiers, qui ont un statut d'immigration et qui sont autorisés à travailler au Canada se trouvent encore en situation illégale à cause de l'interdiction liée à l'immigration et ils seront expulsés du Canada, même s'ils ont un statut temporaire. Comme c'est considéré comme un crime, les résidents permanents peuvent également être expulsés. Les personnes n'écoutent pas seulement les peurs des autres au sujet des forces de l'ordre. Elles savent par expérience que la police ne les aide pas, mais est dangereuse pour elles. Dans notre recherche et dans beaucoup d'études sur les travailleurs et travailleuses du sexe, la police et les forces de l'ordre figurent parmi les principaux auteurs de violence contre les travailleurs et travailleuses du sexe. Elles utilisent aussi la loi pour profiter des travailleurs et travailleuses du sexe et en abuser sexuellement.
(1730)
    À propos des travailleurs et travailleuses sans-papiers, pouvez-vous parler des types de services qui existent, de choses comme les soins de santé? Je sais, par exemple, que la Ville de Toronto a pour politique de ne pas poser de questions et de ne rien dire en ce qui concerne le statut. Pouvez-vous en dire plus sur les types de soutiens disponibles, notamment en matière de santé et de maladies transmissibles sexuellement ou sur tout autre type d'aide médicale qui peut être nécessaire dans leur activité?
    Les aides sociales, y compris les services sociaux et de santé et les cliniques d'aide juridique, sont très importantes pour les travailleurs et travailleuses sans papiers. Bien que la Ville de Toronto ait une politique d'accès sans crainte, nous voyons qu'elle n'est pas souvent appliquée et nous voyons encore des travailleurs et des travailleuses se faire arrêter lorsqu'ils appellent parce qu'ils sont victimes de violence. Il est très important de souligner que cette loi et la criminalisation de la prostitution créent pour les travailleurs et travailleuses du sexe, avec ou sans papiers, un obstacle à l'accès aux fournisseurs de services, y compris aux services de santé.
    Butterfly joue un rôle important à la place de la police. Je suis également formatrice au programme de travail social. Les travailleuses et travailleurs sociaux n'aident pas les travailleurs et travailleuses du sexe en travaillant avec la police de cette façon. Il est très important que les membres de la communauté des travailleurs et travailleuses du sexe s'entraident. Là est la solution pour remédier au déséquilibre et à leur exploitation.
    Je vous remercie.
    Madame Michaud, vous avez la parole pour deux minutes et demie.

[Français]

     Je vous remercie, monsieur le président.
    D'entrée de jeu, je vais apporter une clarification.
    Je reçois déjà des commentaires sur Twitter me disant que, éduquer ou former davantage les policiers, ce n'est jamais la solution. Je ne dis pas que c'est la meilleure ou la seule solution, mais je pense que cela peut en faire partie.
    Ma dernière question s'adressera à Mme Lam.
    Madame Lam, je ne sais pas si vous savez qu'en Nouvelle‑Zélande, on a décriminalisé la prostitution. On essaie de voir si cela a généré des progrès considérables. Certaines études démontrent que cela n'a pas éliminé pour autant les mauvais traitements, la prostitution juvénile, la consommation de drogues ni la violence.
    Croyez-vous que nous devrions nous baser sur un modèle comme celui de la Nouvelle‑Zélande, malgré le fait qu'il n'a peut-être pas tous les effets positifs escomptés?

[Traduction]

    Le droit pénal donne des pouvoirs à la police et la loi est conçue pour éliminer les travailleurs et travailleuses du sexe. Par conséquent, peu importe comment on forme les forces de l'ordre et peu importe que la loi soit bien appliquée, elle vise toujours les travailleurs et travailleuses du sexe. C'est pourquoi nous disons que former la police n'aide pas. On le voit avec le mouvement Black Lives Matter et le mouvement pour couper dans le financement de la police. On n'arrête pas de dire que la police n'est pas la solution à de nombreux problèmes sociaux. Pour beaucoup de communautés marginalisées, y compris les groupes racialiasés, les LGBTQ et les pauvres, c'est la police qui fait du mal et qui est le problème.
    Je vous remercie de soulever la question de la Nouvelle-Zélande. Personnellement, j'ai contacté des personnes en Nouvelle-Zélande, et nous avons également travaillé avec un groupe de travailleurs et travailleuses du sexe en Suède. Il est très clair que le modèle de la demande finale qu'utilise le Canada rend la prostitution plus dangereuse et crée un obstacle pour les travailleurs et travailleuses du sexe qui essaient d'avoir accès à toutes sortes de ressources. Évidemment, le modèle de la Nouvelle-Zélande présente un inconvénient, car ce pays a toujours des lois sur l'immigration qui ciblent les immigrants et le racisme y existe toujours. La décriminalisation — c'est‑à‑dire le fait de ne plus mentionner la prostitution dans le droit pénal — est la première étape importante pour la sécurité des travailleurs et travailleuses du sexe. Ils ne sont pas les seuls à le répéter sans cesse. Beaucoup d'organisations de travailleurs et travailleuses du sexe dans le monde entier, pas seulement au Canada, en parlent aussi.
    Je vous remercie, madame Michaud.
    Monsieur Garrison, vous avez deux minutes et demie.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Madame Lam, vous devez avoir remarqué comme moi quelque chose dans certains exposés et dans certaines questions aujourd'hui. Il y a un déni d'autonomie à l'égard de celles et ceux qui se prostituent. Certains ont parlé de la nécessité d'éduquer les travailleurs et travailleuses du sexe et déclaré qu'on leur apprend à avoir peur de la police. Tout cela me semble revenir à leur dénier de toute autonomie. Je crois que c'est ce dont vous nous parlez, c'est‑à‑dire que ce qui rend les choses plus sûres, c'est de donner une autonomie aux travailleurs et travailleuses du sexe. Est‑ce exact?
    Beaucoup de travailleurs et travailleuses du sexe ressentent comme une violence, le fait qu'on dise qu'ils ne sont pas capables de prendre des décisions au sujet de leur vie. C'est leur enlever leur autonomie et ne pas respecter leurs choix. Par exemple, à Toronto, quand la Ville de Toronto a voulu fermer des salons de massage, 200 travailleurs et travailleuses sont allés à la mairie dire que c'était leur travail et qu'ils n'étaient pas victimes de traite des personnes. Ils n'ont pas subi de lavage de cerveau, mais malheureusement, parce qu'ils sont racialisés et que ce sont des travailleurs et travailleuses du sexe, on ne les écoute pas.
    C'est la même chose à ce comité. Nous avons vu tellement de travailleurs et travailleuses du sexe venir vous dire en face que cette loi est préjudiciable et qu'ils n'en veulent pas, mais nous n'écoutons toujours pas et nous continuons de penser que ce sera bon pour eux. L'idée que les travailleurs et travailleuses du sexe sont ignorants, naïfs, qu'ils sont incapables de prendre des décisions en ce qui concerne leur vie, qu'ils ne savent pas ce qu'ils font ou qu'ils ont été piégés est vraiment quelque chose qui viole leurs droits.
    En plus de travailler avec des travailleurs et travailleuses du sexe migrants et asiatiques, je travaille depuis longtemps aussi avec de jeunes travailleurs et travailleuses du sexe. L'approche a également des répercussions sur la façon dont les travailleurs et travailleuses du sexe... Quel que soit l'âge, la criminalisation n'est pas la solution. Alors, quand nous disons que certaines personnes n'ont peut-être pas d'autonomie, nous devons aussi nous demander si nous ne partons pas de quantité d'hypothèses au sujet des autres plutôt que de vraiment écouter la communauté.
(1735)
    Madame Lam, je vous remercie du travail que vous faites pour les travailleurs et travailleuses du sexe et de votre très précieux témoignage aujourd'hui.
    Je vous remercie, monsieur Garrison.
    Monsieur Moore, vous avez cinq minutes environ. Voulez-vous les diviser en deux fois deux minutes et demie? Si le Comité le veut bien, nous pouvons repousser de trois ou quatre minutes, si c'est d'accord.
    Je ne vois pas d'inconvénient à diviser mon temps de parole.
    Très bien. Vous avez donc la parole pour deux minutes et demie, monsieur Moore.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Je remercie les deux témoins de leur présence aujourd'hui. Je crois que cela nous aidera beaucoup dans cette étude.
     Madame Kent, je vous remercie du travail que vous faites avec votre collectif. Nous entendons beaucoup parler du projet de loi C‑36, et je remarque que vous avez soulevé la question des survivantes de l'exploitation sexuelle et que vous avez dit que nous gagnerions à écouter des personnes qui connaissent cette industrie.
    D'après leurs commentaires, que se passerait‑il, selon vous, si le projet de loi C‑36 était totalement supprimé, c'est‑à‑dire si nous n'avions aucune criminalisation dans ce domaine?
    Nous reconnaissons toutes et tous, et beaucoup l'ont dit ici, qu'il y a beaucoup d'exploitation. En fait, les multiples études nous disent que dans cette activité, de 2 à 10 % des personnes sont autonomes. Les autres ne le sont pas. La réponse à cela est-elle de supprimer la loi et de ne pas avoir de loi du tout? Qu'arriverait‑il si nous faisions cela?
    Pas la peine de regarder bien loin pour voir ce qui arriverait. Du jour au lendemain, le Canada deviendrait le bordel de l'Amérique du Nord — cela ne fait aucun doute — et nous serions la meilleure destination de tourisme sexuel du monde. Nous savons qu'aujourd'hui, Kelowna, dans notre province, est souvent considérée comme une très bonne destination de tourisme sexuel.
    Certes, il y a des arguments pour et contre au sujet de la Suède, mais si nous comparons la Suède, qui a imposé le modèle nordique au moment où l'Allemagne décriminalisait la prostitution, eh bien, il n'y a pas de comparaison dans l'exploitation des femmes. L'Allemagne compte maintenant plus de 400 000 femmes prostituées, et les dommages sont cachés. Les histoires sont inimaginables en ce qui concerne la façon dont ces femmes sont traitées.
    La Suède n'a pas éliminé la prostitution, et ce n'est vraiment pas le but. L'objectif est de la rendre sûre. Quand on décriminalise les exploiteurs, comment est‑ce que cela rend la profession sûre ou plus sûre?
    C'est...
(1740)
    Je vous remercie, madame Kent. Je suis désolé. Nous n'avons plus de temps.
    Pour terminer, nous avons M. Miao pour deux minutes et demie.
     Je vous remercie, monsieur le président, et merci de me permettre de remplacer aujourd'hui.
    J'adresse à Mme Lam cette question sur l'avantage de la décriminalisation ou de la légalisation des travailleurs et travailleuses du sexe. Étant d'origine asiatique, je comprends qu'il y a beaucoup de stigmatisation derrière cela. Qu'en pensez-vous?
    À mon avis, premièrement, la décriminalisation est très utile pour que les gens ne considèrent pas que les travailleurs et travailleuses du sexe font quelque chose de mal et que ce sont de mauvaises personnes. C'est très utile pour éliminer la haine envers les travailleurs et travailleuses du sexe et pour promouvoir le respect à leur égard.
    Deuxièmement, comme nous ne cessons de le répéter, la loi pénale vulnérabilise les travailleurs et travailleuses du sexe et fait qu'ils deviennent la cible de violences. Nous voyons en particulier comment la haine envers les Asiatiques peut se recouper avec la haine envers la prostitution et faire de tellement de travailleurs et de travailleuses du sexe les cibles d'agression ou de meurtre.
    En décriminalisant la prostitution, en supprimant cette loi pénale, le travailleur ou la travailleuse du sexe pourra utiliser tout cela — et même à présent, le système juridique n'est pas parfait — et accéder à ces systèmes juridiques ou à des aides comme les autres citoyens. Comme le recommandent beaucoup d'organisations de travailleurs et travailleuses du sexe ainsi que certains organismes juridiques et des organisations de défense des droits de la personne, il est très important de fournir des services sociaux pour réduire la vulnérabilité et lutter contre l'exploitation et la violence à l'égard des travailleurs et travailleuses du sexe.
    Si cette loi pénale est supprimée, les travailleurs et travailleuses du sexe n'auront plus peur quand ils auront besoin d'accéder à ces systèmes. Cela contribuera aussi beaucoup à éliminer la stigmatisation, et c'est une étape très importante.
    Je vous remercie.
    Je remercie les témoins, Mme Kent et Mme Lam, d'être venues aujourd'hui. C'est très aimable à vous, et votre témoignage est très instructif.
    La séance est levée et nous verrons tous les autres membres vendredi.
    Je vous remercie.
Explorateur de la publication
Explorateur de la publication
ParlVU