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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 007 
l
1re SESSION 
l
44e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 22 mars 2022

[Enregistrement électronique]

(1600)

[Traduction]

    Bienvenue à la septième réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes.
    Conformément à la motion adoptée le mardi 8 février, le Comité se réunit pour examiner la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d'exploitation.
    La réunion d'aujourd'hui se déroulera en format hybride, conformément à l'ordre de la Chambre du 25 novembre 2021. Les députés participent en personne ou à distance à l'aide de l'application Zoom. Les délibérations seront publiées sur le site Web de la Chambre des communes.
    J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à nos témoins. Je tiens d'abord à nous excuser d'être un peu en retard à cause des votes que nous avions aujourd'hui. Nous aurons donc peut-être un peu moins de temps.
    Pour le premier groupe de témoins, j'aimerais présenter la surintendante Lisa Byrne de l'Association canadienne des chefs de police, qui parlera pendant cinq minutes. Ce sera ensuite au tour de l'Association du Barreau canadien, représentée par Mme Jeneane Grundberg, présidente de la Section du droit municipal, et par M. Kevin Westell, secrétaire de la Section de la justice pénale. Je crois qu'ils partageront leur temps.
    Nous allons commencer par l'Association canadienne des chefs de police, pour cinq minutes.
    Allez‑y, s'il vous plaît.
    Bonjour tout le monde. Merci de cette occasion de m'adresser au Comité au nom de l'Association canadienne des chefs de police.
    Les enquêtes et les poursuites relatives à la traite des personnes exigent une participation importante de la part des victimes. Cela entraîne une revictimisation des personnes qui doivent raconter à nouveau leur histoire et revivre leurs expériences à plusieurs reprises.
    Bien que la police au Canada mette l'accent sur des pratiques qui tiennent compte des traumatismes, la nature du système requis pour tenir les contrevenants responsables est accusatoire, difficile à naviguer et n'est pas axée sur les victimes. L'objectif premier devrait être de soutenir pleinement les victimes qui sont souvent des enfants et des personnes vulnérables. On peut notamment aider la victime à quitter la situation d'exploitation, ce qui a souvent lieu en l'absence d'accusations criminelles ou de responsabilité du délinquant. Une stratégie importante employée par la police pour lutter contre la traite des personnes à des fins sexuelles consiste à tenir les contrevenants responsables devant les tribunaux en s'appuyant davantage sur des preuves corroboratives et moins sur le témoignage direct de la victime.
    La « Marchandisation des activités sexuelles » et les articles connexes du Code criminel sont utiles à la police pour lutter contre le trafic sexuel. Par exemple, en 2018, la police de Vancouver a utilisé le paragraphe 286.1(2), « obtenir, moyennant rétribution, les services sexuels d'une personne âgée de moins de 18 ans », pour arrêter et condamner 24 individus qui ont déployé des efforts pour acheter des services sexuels auprès d'enfants. En 2020 et 2021, la Police provinciale de l'Ontario a accusé 26 hommes et 2 femmes de diverses infractions liées à la traite des personnes, notamment la traite des personnes, l'obtention d'avantages matériels, le proxénétisme et la publicité de services sexuels.
    Les services de police utilisent ces infractions pour cibler les délinquants qui sont souvent les acheteurs de services sexuels et les profiteurs des victimes de la traite des personnes. Ces infractions peuvent nécessiter ou non une preuve sous forme de témoignage de la victime. Elles sont souvent appuyées par des preuves corroboratives que la police peut obtenir à l'aide de mandats de perquisition, d'ordonnances de production, et d'autres techniques de collecte de preuves.
    Par exemple, je suis au courant d'une enquête menée dans le Sud-Ouest de l'Ontario au cours de laquelle une victime de la traite sexuelle âgée de 17 ans n'a jamais fait de déclaration à la police. Malgré l'offre de soutien à la victime, la combinaison de sa peur et de ses vulnérabilités personnelles l'a empêché de faire une déclaration. Toutefois, la police a pu recueillir suffisamment de preuves pour arrêter l'accusé. On a obtenu un mandat pour fouiller un téléphone que l'accusé avait en sa possession lors de son arrestation. Les preuves qu'il contenait, ainsi que les preuves corroboratives de la mère de la victime, étaient suffisantes pour prouver l'accusation de proxénétisme. Le contrevenant a plaidé coupable et a été condamné à une peine d'emprisonnement.
    Les infractions prévues à l'article 286 du Code criminel ont permis de responsabiliser ce délinquant, alors que les mêmes éléments de preuve, sans le témoignage de la victime, n'auraient pas été suffisants pour prouver une accusation de traite des personnes selon la norme requise devant un tribunal pénal. De plus, lorsque la traite des personnes et les infractions prévues à l'article 286 sont relevées dans la même affaire, la loi à l'étude offre la souplesse nécessaire pour élaborer une stratégie de poursuite lorsque le témoignage de la victime n'est pas ou ne devient pas disponible pour diverses raisons.
    Le Code criminel prévoit également des exceptions pour les personnes qui fournissent leurs propres services sexuels, que ce soit de façon indépendante ou en collaboration, tant que le seul avantage reçu provient de la vente de leurs propres services sexuels. Les exceptions codifiées au paragraphe 286.2(4) et à l'article 286.5 s'étendent à ceux qui aident d'autres personnes à vendre leurs propres services sexuels — par exemple en assurant leur sécurité — et qui en tirent un avantage financier ou matériel, tant qu'il n'y a pas de relation d'exploitation. Par conséquent, la police ne porte pas d'accusations dans ces circonstances.
    La Cour d'appel de l'Ontario a récemment confirmé la constitutionnalité des infractions pertinentes et a défini plus précisément les exceptions dans l'affaire Regina c. N.S. J'encourage le Comité à se référer à cette affaire dans le cadre de son processus décisionnel.
    La Loi ne permet actuellement pas à la police de cibler les personnes qui fournissent leurs propres services sexuels ni celles qui tirent un avantage financier ou matériel de situations non exploitantes. La police a pour objectif de cibler les délinquants prédateurs et les groupes criminels organisés qui exploitent les victimes vulnérables. La loi à l'étude est un outil essentiel pour permettre à la police d'assurer la sécurité des enfants, des adultes vulnérables et des victimes d'actes criminels ainsi que pour, le cas échéant, poursuivre les délinquants qui les exploitent.
    L'ACCP recommande que les dispositions législatives actuelles soient maintenues et ne réclame pas de changements.
    Merci.
    Merci.
    J'accorde maintenant cinq minutes aux représentants de l'Association du Barreau canadien. Je pense qu'ils se partageront le temps alloué.
    Vous avez la parole.
    Monsieur le président, distingués membres du Comité, bonjour.
    Je m'appelle Kevin Westell. Je suis secrétaire de la Section du droit pénal de l'Association du Barreau canadien et criminaliste qui exerce en Colombie-Britannique, soit le territoire traditionnel des nations Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh. C'est ici que je me trouve en ce moment.
    Merci d'avoir invité l'ABC à discuter de cette loi. Mme Grundberg m'accompagne. Nous allons partager le temps alloué. Elle prendra la parole après moi et fait partie du groupe du droit municipal. Je donne quant à moi le point de vue du groupe de la justice pénale.
    L'ABC est une association nationale qui compte 36 000 membres, y compris des avocats, des étudiants en droit, des notaires et des universitaires. Entre autres choses, nous avons pour mandat d'améliorer la loi et l'administration de la justice.
    Ma section de l'ABC est notamment fière de compter parmi ses membres des procureurs de la Couronne ainsi que des avocats de la défense, et également des membres des barreaux du pays qui représentent aussi des témoins vulnérables. C'est pour cette raison que nous disons que nous apportons dans le système un point de vue unique et équilibré de l'utilisateur final.
    Les observations que je vais faire pour exprimer le point de vue des criminalistes portent sur la mesure dans laquelle cette loi est vraiment conçue pour donner suite à l'objectif global qui figure dans le document technique de 2017 du ministère de la Justice, à savoir trouver un équilibre entre les intérêts de deux groupes vulnérables: les victimes de la prostitution et les enfants qui pourraient y être exposés.
    Je vais d'abord parler de l'article 286.1, qui criminalise l'achat de services sexuels auprès d'adultes, y compris les transactions consensuelles et non exploitantes. La vente de services sexuels n'est pas criminalisée, mais la criminalisation de l'achat de services sexuels demeure en soi un risque de préjudice pour les travailleurs du sexe vulnérables au sein de nos populations. Nous estimons que cet article devrait être complètement éliminé. En effet, l'article 286.1 est arbitraire, exagérément disproportionné et trop général. Il rend criminellement responsables les personnes qui offrent des services sexuels consensuels et non exploitants, et les empêche ainsi de prendre des mesures de protection.
    Les articles 286.2 et 286.4 présentent également des risques pour la sécurité. Lorsqu'on restreint la capacité des travailleurs du sexe à faire de la publicité, on limite leur accès à une clientèle, ce qui les force à mener leurs activités dans des endroits publics plutôt qu'à l'intérieur où c'est plus sécuritaire. De plus, lorsqu'on restreint la capacité des travailleurs du sexe à embaucher des employés comme des gardes du corps et des adjoints administratifs en rendant ces personnes passibles de poursuites pénales, on limite gravement leur capacité à se protéger et à s'organiser, à faire croître leur entreprise grâce à des clients réguliers dans des lieux sécuritaires.
    Des contestations fondées sur la Charte qui s'appuyaient sur cette notion ou sur des préoccupations de ce genre ont mené des cours supérieures à statuer que les articles dont j'ai parlé sont inconstitutionnels, et la quantité importante de litiges qui portent sur l'étendue de ces dispositions et sur leur constitutionnalité prouvent que des modifications s'imposent pour en réduire la portée.
    Enfin, d'un point de vue pénal, il y a la question des peines minimales obligatoires. Lors de son assemblée générale annuelle de 2017, l'ABC a adopté une résolution qui exhorte le gouvernement fédéral à éliminer les peines minimales obligatoires pour les infractions autres que le meurtre et à inclure une soupape de sécurité pour les infractions qui ont encore des peines minimales obligatoires. Les peines minimales obligatoires prévues par cette loi sont vulnérables sur le plan constitutionnel, et les sections de l'ABC recommandent de les éliminer.
    La Cour d'appel de l'Ontario, dans Regina c. Joseph, a récemment statué que la peine minimale obligatoire exigée à l'article 286.2 est inconstitutionnelle et inopérante. Le maintien de peines minimales obligatoires prévues par la Loi va à l'encontre de son objectif noble et plus vaste: accorder la priorité à la protection des populations vulnérables contre l'exploitation. L'imposition de peines minimales obligatoires montre constamment qu'elles aggravent l'exploitation des populations vulnérables, en particulier les Noirs, les Autochtones et les populations racisées.
    De plus, comme l'a souligné l'Agence de la santé publique du Canada, les femmes autochtones, qui sont les plus susceptibles se voir imposer une peine minimale obligatoire, sont aussi nettement surreprésentées dans l'industrie du sexe. L'imposition de peines minimales obligatoires aux personnes qui communiquent dans le but d'offrir des services sexuels empêche l'autodétermination de personnes vulnérables et marginalisées par rapport à leur propre corps, ce qui les marginalise davantage. C'est l'opposé de l'objectif que l'on cherchait à atteindre grâce à cette mesure législative.
    Je vous remercie de votre temps, et je serai heureux de répondre aux questions que vous pourriez avoir lorsque ce sera mon tour.
    Je vais céder la parole à Mme Grundberg.
(1605)
    Madame Grundberg, vous avez 30 secondes.
    Premièrement, nous recommandons des révisions pour ajouter des définitions au paragraphe 213(1.1), à propos de l'infraction de communiquer dans le but d'offrir des services sexuels moyennant rétribution.
    Deuxièmement, nous recommandons que la même interdiction s'applique également aux autres situations où des enfants fréquentent... Les cours d'école, les terrains de jeu et les garderies sont mentionnés, mais il faudrait inclure d'autres endroits comme les piscines, les installations récréatives et les centres commerciaux.
    Troisièmement, nous encourageons le Comité à multiplier les consultations populaires.
    Quatrièmement, nous soulignons que depuis que le projet de loi C‑36 est devenu loi, le rapport final de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a été publié. Pour faciliter la consultation, nous avons joint les appels à la justice pertinents, et nous vous encourageons à vous y référer lorsque vous délibérerez sur les modifications futures.
    Merci beaucoup de nous donner cette occasion de témoigner.
    Merci.
    J'espère que vous pourrez finir de parler des points que vous vouliez aborder en répondant aux questions.
    Passons à la première série d'interventions de six minutes, en commençant par M. Cooper.
(1610)
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Merci aux témoins.
    Je suis ravie de voir mon ancienne collègue, Mme Grundberg. Bienvenue. Je vais vous permettre de reprendre où vous vous êtes arrêtée.
    Mais avant... Dans votre mémoire, vous mentionnez l'article 213 et la définition d'« endroit public », que vous avez qualifiée de « circulaire ». Auriez-vous l'obligeance d'en dire plus sur certains des problèmes que présente la définition et sur les changements qui pourraient la rendre plus claire?
    Merci beaucoup, monsieur Cooper.
    Pour situer le contexte, trois interdictions se rapportent à la communication.
    Il y a d'abord l'interdiction visant la personne qui offre des services sexuels moyennant rétribution au paragraphe 213(1.1). C'est le paragraphe sur lequel nous avons mis l'accent dans notre mémoire. Cette interdiction empêche le travailleur du sexe « de rendre ou d'offrir des services sexuels moyennant rétribution [...] dans un endroit public ou situé à la vue du public qui est une garderie, un terrain d'école ou un terrain de jeu ou qui est situé à côté d'une garderie ou de l'un ou l'autre de ces terrains. »
    La définition d'« endroit public » au paragraphe 231(2) ne s'applique qu'à ce paragraphe, mais, comme je l'ai mentionné dans notre mémoire, c'est un peu circulaire. Il est simplement indiqué qu'un endroit public est essentiellement un endroit auquel le public est invité. La définition manque de substance, si je puis dire, ou de contexte.
    On parle ensuite d'une interdiction de gêner la circulation. En vertu du paragraphe 213(1), cette interdiction s'applique à la personne qui offre les services et à celle qui les obtient.
    Or, l'article 286.1, le principal article concernant la communication, s'applique à la personne qui obtient les services moyennant rétribution. Il est plus vaste, car il dit que la personne qui « communique avec quiconque en vue d'obtenir, moyennant rétribution, [d]es services sexuels » commet une infraction. Il y a deux catégories d'infraction, si je puis dire: une infraction générale punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité et, bien entendu, l'infraction plus grave punissable par mise en accusation qui consiste à communiquer « dans un endroit public ou situé à la vue du public […] lorsque cet endroit est soit un parc, soit un terrain sur lequel est situé une école ou un établissement religieux soit un endroit quelconque où il est raisonnable de s’attendre à ce que s’y trouvent des personnes âgées de moins de dix-huit ans ou encore lorsque cet endroit est à côté soit d’un parc, soit d’un terrain sur lequel est situé une école ou un établissement religieux soit d’un endroit quelconque où il est raisonnable de s’attendre à ce que s’y trouvent des personnes âgées de moins de dix-huit ans ».
    Pour la personne qui communique dans le but d'obtenir des services moyennant rétribution, le type d'emplacements est plus vaste et comprend les endroits « où il est raisonnable de s'attendre à ce que s'y trouvent des personnes âgées de moins de dix-huit ans ». À l'heure actuelle, c'est toutefois plus limité pour le travailleur du sexe. Il est question d'un endroit public ou situé à la vue du public, et on en mentionne trois: les garderies, les terrains d'école et les terrains de jeu.
    Le problème avec ces trois termes, dans le contexte de l'article 213(1.1), c'est qu'ils ne sont pas définis. Par exemple, un terme comme « terrain de jeu » peut sembler évident en soi à première vue. Eh bien, qu'est‑ce que cela signifie? S'agit‑il d'un endroit — comme on pourrait d'abord le penser — où il y a des glissades, des barres de suspension et ainsi de suite? Est-ce que cela signifie que c'est limité à une activité extérieure, ou s'agit‑il également des endroits qui se trouvent dans des installations récréatives? Nous ne le savons tout simplement pas. Lorsque les termes sont ambigus, c'est difficile tant sur le plan de la conformité que de l'application.
    Dans notre mémoire, nous énonçons des cas de jurisprudence après 2014 qui ne sont pas directement liés à ces articles, mais pour lesquels on a eu de la difficulté à définir ce qu'on entend par « endroit public ». Nous vous laissons les examiner, car ils montrent que les tribunaux sont aux prises avec ce problème.
    Je vois. Merci pour ces explications.
    Pendant le peu de temps que vous aviez pour faire votre exposé, vous avez brièvement parlé d'élargir l'interdiction de communiquer prévue à l'article 213(1.1) de manière à englober d'autres endroits que les enfants fréquentent. Je suppose que c'est parce qu'il semble irrationnel d'inclure les terrains d'école, les terrains de jeu et les garderies, mais d'exclure des endroits comme les piscines et les parcs publics, que les enfants fréquentent également.
(1615)
    Oui, exactement. Il ne semble pas y avoir d'explication rationnelle. Nous ne savons pas pourquoi ces trois endroits, les terrains d'école, les terrains de jeu et les garderies, ont été choisis. Il semblerait logique d'inclure d'autres endroits que les enfants fréquentent, comme les parcs publics et les piscines.
    Combien de temps me reste‑t‑il, monsieur le président.
    Le temps est écoulé. Bien, merci.
    Merci, monsieur Cooper.
    La parole est maintenant à M. Naqvi, qui dispose de six minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Puis‑je revenir à l'inspectrice Byrne? Je suis désolé. Je me trompe peut-être de titre.
    Voyons d'abord l'expérience sur le rôle de la police dans l'application de cette loi. Il serait très intéressant de connaître les données des chefs de police du Canada que vous posséderiez. Quel est le bilan de l'application de cette loi depuis son adoption? Quelles ont été certaines des difficultés, des lacunes que vous avez peut-être observées dans son application?
    Je n'ai pas de statistiques sous la main, mais je serai heureuse de vous en communiquer plus tard, si c'est acceptable.
    Comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire, la difficulté, pour nous, dans l'application de la Loi, c'est vraiment d'amener la victime à se présenter en cour et de recueillir son témoignage. Dans les affaires de trafic de personnes, il est très difficile d'obtenir la collaboration des victimes et de les amener à témoigner. Les vulnérabilités sont nombreuses, et quand, notamment, des groupes criminalisés de haut vol sont en cause, la victime est exposée à des menaces supplémentaires qui l'incitent beaucoup au silence.
    De plus, en appliquant la Loi, plus nous constatons d'infractions… Nous pouvons nous en servir à la façon de leviers. Elles ne constitueront pas nécessairement les chefs d'accusation que nous porterons à long terme, mais les moyens d'obtenir et de rassembler des éléments de preuve. Nous nous en servons pour obtenir une autorisation judiciaire, par exemple des mandats de perquisition pour fouiller le contenu de téléphones et obtenir d'autres éléments qui pourraient corroborer le témoignage de la victime ou le remplacer.
    Nous ne ciblons pas les personnes qui vendent leurs propres services sexuels, mais les contrevenants qui exploitent des victimes vulnérables, et, aussi, les acheteurs de ces services, qui sont des exploiteurs, particulièrement dans l'entourage d'enfants.
    Voilà certaines des principales stratégies de la police canadienne.
    Si vous avez besoin d'éclaircissements, n'hésitez pas à le dire.
    Vous venez de dire que vous ne ciblez pas les travailleurs autonomes du sexe, par opposition aux personnes qui peuvent être exploitées. Parlons‑en.
    Comment, pour l'application de la Loi, distinguez-vous les deux?
    Pour l'application de la Loi, quand, ordinairement, nous entamons une enquête, c'est habituellement à la suite d'une plainte, déposée par la victime ou un témoin, souvent du fait d'un acte violent ou d'un autre acte manifeste.
    D'habitude, ceux qui vendent leurs propres services sexuels… Si ça se fait consensuellement, paisiblement, ce n'est pas porté à notre attention. En amont, nous ne ciblons pas les personnes qui vendent leurs propres services sexuels.
    Je dirais plutôt que nos enquêtes se font après coup, quand il se commet des infractions supplémentaires ou quand nous avons des motifs, comme la violence, l'intimidation, la coercition ou la présence d'enfants, qui permettent les distinctions en question. Nous ne faisons pas le ciblage proactif de personnes qui vendent leurs propres services sexuels de manière consensuelle.
    D'après votre expérience, l'un des effets indirects de cette loi a‑t‑elle été de contraindre des travailleurs du sexe à la clandestinité, de crainte d'être ciblés par cette loi?
    Par acquit de conscience, je ne peux m'exprimer pour tout le pays. Je peux dire que, ici, à Vancouver, ce n'est pas ce que nous observons. La police y a noué des relations franches et excellentes avec les travailleurs du sexe. Je ne crois pas qu'ils soient entrés dans la clandestinité proprement dite. Ils ne craignent certainement pas l'application de la Loi, parce que ce n'est pas ce que nous faisons. Nous ciblons des endroits pour les autres motifs que j'ai cités, comme la violence, le crime organisé et l'exploitation d'enfants.
(1620)
    Certains de nos témoins nous ont dit que la Loi protégeait mieux les travailleurs du sexe.
    Pour vous qui appliquez la Loi, l'avez-vous concrètement constaté?
    Oui, dans le sens où le propriétaire d'un bordel régulier, conforme à la Loi, qui n'exploite personne et qui fonctionne dans les limites de la Loi… Ça permet de non seulement protéger l'exploitant, mais, également, les femmes qui y travaillent. Dans l'état des choses, la Loi protège également les personnes vulnérables, parce que nous disposons des moyens nécessaires pour entreprendre et poursuivre les enquêtes dans l'espoir de déposer des accusations au pénal.
    Comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire, ça n'arrive pas toujours. Souvent, on considère comme une réussite l'enquête qui permet de sortir la victime, habituellement une femme, du pétrin et de la conduire en lieu sûr. Les accusations au pénal peuvent être secondaires par rapport à son mieux-être.
    Merci.
    Monsieur Westell, l'Association du Barreau canadien a‑t‑elle exprimé une position sur la décriminalisation du commerce du sexe au Canada, en quelque sorte comme en Nouvelle-Zélande?
    Jusqu'ici, nous ne sommes pas tellement avancés sur aucune de nos positions. Je dirais que nous sommes seulement préoccupés par… Le plus près que nous nous sommes approchés de cette position, c'est celle que j'ai indiquée et qui concerne l'article 286.1. Nous ne croyons pas en sa nécessité. Nous ne croyons pas en la criminalisation de l'achat de services sexuels qui ne comporterait aucun élément d'exploitation. Ça ne fait que multiplier les problèmes. Ça n'ajoute rien et ça ne contribue en rien à la protection des Canadiens.
    Je ne veux pas paraître grossier, mais si on dit que la prostitution est le plus vieux métier du monde, c'est qu'il y a une raison. Elle est là pour rester. Il continuera d'y avoir une offre; il continuera d'avoir des acheteurs. Pour cette raison, il n'est pas dans l'intérêt public d'en criminaliser l'achat.
    Merci, monsieur Naqvi.
    Monsieur Fortin, vous disposez de six minutes.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Monsieur Westell, l'Association du Barreau canadien considère que la criminalisation de la prostitution n’est pas nécessairement utile. Cela dit, jusqu’où seriez-vous prêts à aller? Je n'ai entendu personne dire que l’exploitation sexuelle des mineurs était acceptable et qu'elle devrait être légalisée. Par contre, quand on parle de prostitution entre adultes consentants, certaines personnes nous disent que cela devrait être permis et décriminalisé, alors que d’autres soutiennent que cela devrait demeurer criminel. Il y a aussi les questions liées aux gens qui travaillent dans cet environnement.
     Selon l'Association du Barreau canadien, jusqu’où devrait-on aller? Dans le contexte d'un éventuel processus de décriminalisation, quels comportements devrait-on continuer à considérer comme des actes criminels et lesquels devrait-on tolérer davantage?

[Traduction]

    Je déteste me répéter et répéter ma réponse précédente, mais, à mon sens, on ne gagne vraiment rien à inclure une disposition qui criminalise l'achat de services sexuels, en général, parce qu'elle n'est pas assez précise pour répondre à nos préoccupations.
    Intrinsèquement, l'objet de votre question n'est pas l'achat de services sexuels entre deux adultes consentants, mais les rapports d'exploitation qui peuvent évoluer et qui ont évolué à partir de ces contacts au cours de l'histoire.
    Nous devrions criminaliser toute participation d'enfants…
(1625)

[Français]

    Je vous remercie, monsieur Westell.

[Traduction]

    … dans le commerce du sexe.

[Français]

    Madame Byrne, je vais vous poser sensiblement la même question. À votre avis, jusqu’où devrait-on aller? Quelles limites devrait-on établir lors d'une éventuelle révision de la loi? Le Code criminel ne contient-il pas suffisamment de dispositions pouvant encadrer les activités de prostitution? J’ai parfois l’impression qu'entre le Code criminel et la loi, il y a certains dédoublements. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
     Quelles limites devrait-on imposer?

[Traduction]

    Merci.
    Je n'envie pas la position de celui qui doit trouver ce juste milieu, parce qu'il s'agit vraiment d'un juste milieu entre des travailleurs du sexe, adultes et consentants, et ceux qui utilisent l'industrie du sexe pour victimiser et exploiter des personnes, y compris des enfants. Je ne vous envie donc pas ce travail très difficile.
    Actuellement, la police, au Canada, estime que le Code criminel suffit, bien que, entendant les témoins Grundberg et Westell, je comprenne leur point de vue.
    Nous devrions peut-être réfléchir, en ce qui concerne le Code criminel, aux infractions pour lesquelles nous n'avons pas besoin de victimiser quelqu'un de nouveau ni d'obtenir son concours.
    Je ne prétendrai pas être en mesure de vous donner aujourd'hui des réponses légitimes, mais j'estime que nous devrions réfléchir à la possibilité d'ajouter d'autres infractions en élargissant les définitions concernant la participation du crime organisé, la commission d'actes de violence, la participation des enfants et toute infraction qui pourrait être mieux définie par rapport au catégories générales de victimes, en discuter et peut-être, également, examiner les exceptions, pour déterminer si nous pourrons…

[Français]

    Madame Byrne, je me permets de vous interrompre, car mon temps de parole est limité.
    Je crois que nous nous entendons pour ce qui est de l'exploitation sexuelle. Ma question porte davantage sur la prostitution.
    L'Association canadienne des chefs de police s'est-elle penchée sur ce qui se fait ailleurs, dans d'autres États, en matière de décriminalisation?
    Si oui, quels sont les aspects de la décriminalisation avec lesquels vous seriez à l'aise?

[Traduction]

    Je ne suis pas en position de répondre au nom de l'Association.
    C'est certain que, ici, en Colombie-Britannique, nous avons examiné différents modèles, y compris, par exemple, le nordique. Nous avons élaboré des lignes directrices pour l'application de la Loi suivant ce modèle.
    Je le répète, je ne peux pas parler précisément au nom de l'Association canadienne des chefs de police. J'en suis désolée.

[Français]

    Que répondez-vous aux prostituées et aux prostitués — des hommes exercent parfois ce métier — qui disent que c'est difficile pour eux de dénoncer un proxénète, par exemple, compte tenu des dispositions de la Loi? Y a-t-il une solution à ce problème?
    On a voulu protéger ces personnes, mais on a finalement fait en sorte que c'est plus difficile pour elles de dénoncer les abus.

[Traduction]

    Je serais d'accord là‑dessus. Qu'on soit homme ou femme, il est très difficile de dénoncer un proxénète et de témoigner contre lui. En effet on se met intrinsèquement en danger vu que, comme je l'ai dit, beaucoup de proxénètes, à ma connaissance et sur qui j'ai enquêté, font partie du crime organisé, ce qui présente une menace beaucoup plus appréciable.
    Voilà le nœud du problème. Comment amener les victimes à se manifester et à témoigner et comment les protéger sans en faire de nouveau des victimes du système, lequel est adversatif?

[Français]

    La décriminalisation n'aurait-elle pas pour effet d'aider...

[Traduction]

    Merci, monsieur Fortin. Je suis désolé, mais votre temps est écoulé.
    Monsieur Garrison, vous disposez de six minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je questionne Mme Byrne.
    Vos propos me semblent contradictoires. Vous dites que vous n'appliquez pas certains articles de cette loi, mais que vous avez besoin de les conserver contre le trafic de personnes. Voilà la contradiction. Si les poursuites contre le trafic de personnes posent un problème, ne devrions-nous pas améliorer les articles du Code criminel plutôt que d'essayer d'en utiliser des articles que vous estimez inutiles contre le travail du sexe?
(1630)
    Ce n'est pas que je les estime inutiles. Je ne les crois pas nécessaires pour certains groupes démographiques, mais je les dirais nécessaires pour appliquer la Loi au profit des victimes vulnérables et des personnes qui se trouvent en situation d'exploitation.
    Essentiellement, vous dites en avoir besoin pour les victimes de trafic de personnes et d'exploitation. Dans ce cas, n'avons-nous pas besoin de meilleures lois contre ces crimes plutôt que de lois générales sur le travail du sexe en général?
    Peut-être, mais j'hésiterais à en retirer des articles sur le travail du sexe, parce que, pour la police canadienne, il peut être très difficile de rassembler les éléments nécessaires de preuve. Comme je l'ai dit, plus nous avons d'outils à notre disposition — et, souvent, ils nous sont fournis par diverses infractions, qui peuvent ne pas être celles qui conduiraient à des poursuites — plus nos enquêtes seront couronnées de succès.
    Bien sûr, vous dites que, d'après votre expérience acquise à Vancouver — et je sais que c'est vrai dans cette ville et à Victoria — que les articles quelque peu problématiques, particulièrement ceux qui visent les endroits où le travail du sexe est autorisé en public et les services auxiliaires qui pourraient le rendre plus sûr, ne sont pas appliqués dans ces deux villes, mais qui'ils le sont ailleurs au Canada.
    Si nous les maintenons, est‑ce que ça signifie que c'est laissé à la discrétion de la police de décider de leur utilité?
    J'encouragerais le Comité à élaborer un projet de loi applicable à l'ensemble du pays.
    Je comprends que, ici, en Colombie-Britannique, l'application de la Loi se situe dans un contexte démographique très différent. Avec les chefs de police de la Colombie-Britannique et le gouvernement de la province, nous avons mis beaucoup d'efforts dans des lignes directrices sur l'application de la loi. Peut-être deviennent-elles quelque peu subjectives dans l'ensemble du pays et qu'une loi plus musclée, plus concise et plus concrète serait utile à la police.
    Notre comité a entendu pas mal de témoignages de travailleurs du sexe et des organismes qui prennent leur défense. Nous avons notamment entendu dire que ces dispositions rendraient illégale la sollicitation — c'est le terme que j'emploierai, même si je ne le préfère pas — à proximité de certains établissements publics, et obligeaient, ainsi que des municipalités, les travailleurs du sexe à exercer dans des situations dangereuses.
    Seriez-vous d'accord pour dire que si ces articles sont appliqués, ils rendent plus vulnérables des travailleurs du sexe, en leur faisant pratiquer leur métier dans des endroits isolés? Seriez-vous d'accord là‑dessus?
    Je suis désolée, mais il est réellement impossible pour moi de faire des observations à l'extérieur de mon expérience, ici, dans la région de Vancouver. J'hésiterais à en faire sur une situation rurale, par exemple, que je connais mal. Je peux seulement supposer que les propos que vous me rapportez sont peut-être légitimes, mais je ne peux vous donner ni d'exemples ni d'opinion légitime à ce sujet.
    D'accord.
    Nous avons également entendu les organismes de défense des travailleurs du sexe sur le recours à la loi sur l'immigration et à l'interdiction, pour les travailleurs migrants, de participer au commerce du sexe, puisque ça les rendrait davantage vulnérables, ce qui les empêcherait, s'ils sont susceptibles d'être victimes de violence ou d'exploitation, de s'adresser à la police, de crainte d'être déportés du Canada.
    Avez-vous constaté que c'était vrai?
    Dans mon travail, absolument pas. En fait, dans le cadre de nos lignes directrices, nous ne cherchons pas à faire appliquer la loi sur l'immigration. Nous les voulons centrées sur les victimes. La réponse est donc négative, pour la Colombie-Britannique.
    Est‑ce que, encore, ça fait partie des lignes directrices de l'Association des chefs de police de Colombie-Britannique, plutôt que d'être une conséquence de la loi?
    C'est exact
    Excellent!
    J'ai une question pour Mme Grundberg, et je sais qu'il me reste très peu de temps.
    Madame Grundberg, je voudrais savoir au nom de qui vous parlez, aujourd'hui, parce que ce n'était pas très clair.
    Je représente l'Association du Barreau canadien, section nationale du droit municipal.
    Comme on l'a dit plus tôt, l'Association est un organisme-cadre qui étend ses branches sur la totalité du pays. La section du droit municipal comprend elle-même des avocats de pratique privée et des avocats fonctionnaires de municipalités de toute la province.
    Nous avons pu compter sur l'expérience collective de nos 20 membres exécutifs qui représentent l'ensemble du pays. Comme je l'ai dit, il s'agit à la fois d'avocats du privé et d'avocats fonctionnaires.
(1635)
    Les recommandations que vous nous avez destinées proviennent-elles du bureau de cette direction de votre association?
    Oui, c'est exact.
    Ces recommandations ont-elles fait l'objet d'une discussion élargie au sein de l'Association du Barreau canadien? Je vous pose la question parce qu'elles vont à l'encontre d'une grande partie des témoignages que le Comité a reçus sur la sécurité des personnes qui travaillent dans l'industrie du sexe.
    Non, nous n'avons pas pu tenir de plus amples consultations. D'ailleurs, notre troisième recommandation est que le Comité mène des consultations élargies à ce sujet.
    Étant donné le délai, nous n'avons pas eu la possibilité de consulter la Fédération canadienne des municipalités ou les associations provinciales et municipales, par exemple.
    Je vous remercie.
    Merci, monsieur Garrison.
    Monsieur Morrison, vous disposez de cinq minutes.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Madame Byrne, il y a déjà eu deux ou trois questions à ce sujet, mais d'après vous, du point de vue de l'ACPCB et de l'ACCP, comment pourrait‑on reproduire à l'échelle du Canada les bons résultats que vous avez obtenus à Vancouver, en Colombie-Britannique, au chapitre de l'application de la LPCPVE?
    Pour y arriver, il faudrait que les services de police partout au pays parviennent à un consensus. J'ai parlé à différents services de police en vue de la réunion d'aujourd'hui. Il faut absolument se pencher sur les deux types de milieux qu'il y a au Canada: le milieu rural et le milieu urbain. Ils comportent de grandes différences. Cela dit, nos lignes directrices sur l'application de la Loi ont donné de bons résultats ici. Nous les avons élaborées avec l'aide et la collaboration de la communauté des travailleuses et travailleurs du sexe. Nous demandons continuellement des avis sur nos lignes directrices et nous les modifions au besoin.
    D'après moi, pour atteindre cet objectif, il faudrait la collaboration de l'ensemble des services de police, ainsi que de la Couronne et des autres parties au système de justice pénale.
    À cela s'ajoute une autre réussite... Votre témoignage traduit votre compassion et votre expérience. Nous avons constaté, durant notre examen, que tous les services de police ne traitent pas les travailleuses et travailleurs du sexe de la même façon. Il me semble qu'en plus d'uniformiser l'application de la Loi, il faudrait aussi uniformiser la formation, de sorte que les organismes d'application de la Loi auprès desquels les personnes hésitent à porter plainte parce qu'elles ont peur de la police...
    Vous savez, j'ai beaucoup d'expérience dans le domaine policier. Parfois, il faut seulement du temps, mais il faut aussi que les programmes de formation soient créés par les bonnes personnes. Pouvez-vous nous donner des suggestions quant aux mesures à prendre à l'échelle nationale pour faire en sorte que les policiers et les responsables de l'application de la Loi reçoivent une formation adéquate et qu'ils fassent preuve de sensibilité et de bon sens?
    Ma suggestion serait de créer un programme de formation de portée nationale. Bien sûr, nous avons accès au RCSP, une plateforme nationale qui offre de la formation aux policiers, principalement en ligne.
    Je tiens à souligner, cependant, que c'est vrai que la Loi n'est pas appliquée de la même façon partout au pays. Toutefois, c'est aussi vrai que les groupes criminels sont très différents d'un océan à l'autre. C'est un défi. Dans l'Est, les gangs comme North Preston's Finest participent activement au crime organisé et à l'exploitation des femmes et des enfants qui travaillent dans l'industrie du sexe. En Colombie-Britannique, cette réalité est nouvelle.
    Je tiens simplement à ce que les membres du Comité soient conscients de ce problème aussi. Ce n'est pas seulement l'application de la Loi qui diffère d'une région à l'autre, ce sont aussi les groupes criminels qui commettent les infractions.
    Pouvez-vous nous en dire plus au sujet du crime organisé et des gangs? Qu'avez-vous constaté récemment, durant les deux ou trois dernières années, en particulier par rapport aux enfants exploités et impliqués dans le commerce du sexe par des groupes du crime organisé et des gangs? Avez-vous remarqué des changements sur ce plan?
(1640)
    Oui. Nous avons remarqué des changements importants ici à Vancouver. Je pense que c'est beaucoup plus fréquent dans l'Est, surtout en Nouvelle-Écosse et en Ontario, mais ici, nous voyons des jeunes hommes de 12 à 15 ans jouer le rôle de proxénète et recruter des jeunes femmes dans les centres commerciaux et les écoles secondaires. C'est évidemment très inquiétant à tous les égards. Les délinquants sont jeunes, et les victimes aussi. Cela commence à un très jeune âge.
    Merci beaucoup.
    Merci.
    Madame Diab, vous disposez de cinq minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Ma question s'adresse à M. Westell, de la Section de la justice pénale. J'aimerais approfondir le sujet abordé par mon collègue M. Fortin et vos réponses à ses questions. Vous avez dit, au début de votre déclaration, que l'Association du Barreau canadien apportait un point de vue unique et équilibré, ce que j'ai trouvé très bien. J'ai été membre de l'ABC pendant de nombreuses années, mais c'était il y a plus de 10 ans; je peux témoigner de ma participation à l'époque.
    Dans le contexte de notre examen, pouvez-vous nous en dire plus sur le point de vue de votre section? Pouvez-vous aussi nous dire si vous ou votre section avez examiné le modèle de la Nouvelle-Zélande?
    Notre comité tente de déterminer s'il vaut mieux abroger la Loi, la laisser telle quelle ou la modifier. S'il vaut mieux la modifier, quelles modifications devraient y être apportées en vue de régler les problèmes soulevés?
    Je suis d'accord avec vous à plusieurs égards. Il existe déjà des dispositions législatives sur la traite de personnes et autres. Quels sont les objectifs de la Loi, et quelles sont vos recommandations pour le Comité?
    Je vais commencer par dire que je n'ai qu'une connaissance générale du modèle de la Nouvelle-Zélande, de son efficacité et de sa mise en œuvre. Je ne pourrai donc pas répondre à cette partie de la question.
    Pour répondre au reste de la question, je dirais que notre section est formée d'un groupe d'avocats qui comprend des représentants de la Couronne et de la défense. Je le répète, nos membres travaillent spécifiquement sur des dossiers au nom de personnes vulnérables, y compris des victimes d'infractions sexuelles. Tous ces points de vue sont représentés lorsque nous prenons position par rapport à des questions comme celle‑ci.
    Il y a le côté doctrinal, c'est‑à‑dire le principe. Quels principes devraient sous-tendre notre position? Il y a aussi le côté pratique. En pratique, quand les projets de loi ou les dispositions législatives ont une portée trop large, ils donnent lieu à des contestations constitutionnelles qui sont fondées, qu'elles soient couronnées de succès ou non. Ces contestations coûtent du temps aux tribunaux et de l'argent aux contribuables.
    Les lois doivent être non seulement justes, mais aussi précises. La précision protège contre les contestations constitutionnelles découlant d'infractions ou de dispositions législatives d'ordre pénal dont la portée est trop large. Nos réserves relatives à l'article 286.1 se rapportent à cela. L'article touche des personnes qui ne sont pas... Que ce soit en théorie ou en pratique, il est évident que les personnes qui ne répondent pas à la définition classique d'une travailleuse du sexe victime d'exploitation ou d'âge mineur subissent les conséquences des dispositions qui les empêchent de travailler ouvertement, ce qui les met en danger. À notre avis, si elles doivent se cacher, cette obligation les pousse vers la clandestinité.
    Nous vous recommandons d'éliminer l'article 286.1 et de rendre les articles 286.2 et 286.4 plus précis. C'est ce que nous demandons.
    Selon vous, les lois canadiennes sur la prostitution sont-elles utilisées comme un moyen indirect de poursuivre les trafiquants de personnes? Dans l'affirmative, devrait‑il en être ainsi?
(1645)
    La disposition relative à la traite de personnes devrait être utilisée pour poursuivre les trafiquants de personnes. Lorsqu'un trafiquant de personnes ou un individu se livrant à la traite de personnes viole d'autres lois, des poursuites doivent aussi être intentées contre lui en vertu des lois en question. Cela ne pose pas problème.
    La spécificité et la précision faciliteront la tâche des législateurs, des tribunaux et des procureurs.
    En 30 secondes, quels changements apporteriez-vous? Quelles seraient vos recommandations?
    Nous recommandons d'éliminer l'article 286.1. Nous recommandons aussi de réduire la portée des articles 286.2 et 286.4 de sorte qu'il soit très clair qu'ils ne visent pas... Par exemple, ils ne devraient pas interdire l'utilisation par les parties au commerce du sexe... au moyen de mesures prosociales permettant aux personnes qui travaillent dans l'industrie du sexe de travailler de manière sécuritaire et appropriée dans des endroits privés.
    Merci beaucoup.
    Merci, madame Diab.
    Nous passons maintenant à M. Fortin, pour deux minutes et demie.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Je reviens à vous, monsieur Westell. J'interviendrai rapidement, parce que je n'ai pas beaucoup de temps. Comme vous venez de l'entendre, je dispose de deux minutes et demie pour poser mes questions.
    J'aimerais vous entendre sur un aspect en particulier. Mme Byrne nous a dit que certains groupes et certaines organisations criminelles étaient impliqués dans l'industrie du sexe. Elle nous a aussi dit que même des jeunes de 12 ans et plus, qui vont à l'école, participent à cette industrie en tant que proxénètes.
    Quand les personnes impliquées ont moins de 18 ans, ce ne sont pas les mêmes dispositions du Code criminel qui s'appliquent. Cela dit, oublions cet aspect et revenons au problème des groupes criminels de façon générale.
    Premièrement, selon vous, qui représentez l'Association du Barreau canadien, quelle est la principale difficulté que rencontrent les procureurs de la Couronne lorsqu'ils doivent poursuivre des proxénètes membres de groupes criminels?
    Deuxièmement, y aurait-il, à votre avis, une façon de renforcer les lois actuelles afin qu'elles soient plus sévères ou efficaces contre les groupes criminels qui s'investissent dans l'industrie du sexe?

[Traduction]

    Encore une fois, la solution est la précision. Il faut de la précision pour lutter contre le type de proxénétisme mentionné et pour mieux définir les concepts de la coercition et de l'exploitation. Les infractions et les dispositions qui criminalisent les actes visés par la Loi doivent cibler ces éléments, et non...

[Français]

    Pour ce qui est des groupes criminels, voyez-vous une particularité à laquelle nous devrions nous attaquer?

[Traduction]

    Nous devrions nous attaquer à l'exploitation et à la coercition. Nous devrions avoir recours aux dispositions du Code criminel sur les organisations criminelles, en plus des dispositions en question, lorsque nous poursuivons ces individus. Des infractions peuvent être ajoutées dans les cas où des violations sont commises par des groupes criminels...

[Français]

    Je vous remercie.
    Je m'excuse de vous bousculer, monsieur Westell, mais le temps nous presse.
    Présentement, à votre avis, est-ce que les avocats qui travaillent à ces dossiers appliquent les dispositions du Code criminel sur les organisations criminelles ou s'il y a trop de difficultés?

[Traduction]

    J'ai vu beaucoup de procureurs appliquer les dispositions du Code criminel. Elles sont là pour être utilisées et elles devraient l'être.
    Merci, monsieur Fortin.
    Nous passons maintenant à M. Garrison, pour deux minutes et demie.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je vais m'adresser moi aussi à M. Westell parce que là où je voulais en venir tout à l'heure avec la surintendante Byrne, c'est à la possibilité d'avoir recours à certaines parties du Code criminel pour s'attaquer à de vrais problèmes de criminalité.
    Je veux être certain de bien comprendre. Quand vous parlez de précision, vous faites allusion aux services de police qui utilisent les dispositions générales sur le travail du sexe pour s'attaquer à la traite et à l'exploitation. Est‑ce exact?
    Par précision, je veux dire que les dispositions doivent être formulées de manière à être applicables seulement aux éléments visés.
    L'ABC ne s'oppose pas à ce que les dispositions soient utilisées pour poursuivre les malfaiteurs ciblés. Le problème, c'est que si leur portée est assez vaste pour qu'elles soient appliquées à d'autres... Si la disposition est formulée d'une manière assez large pour qu'elle soit appliquée à d'autres délinquants que les malfaiteurs ciblés et que les membres des organisations criminelles, cela peut créer des ennuis. Des contestations seront présentées devant les tribunaux, et l'argent des contribuables sera dépensé pour régler des questions qui auraient pu être résolues dès le départ, à l'étape de la rédaction.
(1650)
    Je constate aussi une contradiction aujourd'hui entre les deux témoins de l'Association du Barreau canadien. Ils semblent présenter des positions radicalement différentes sur la loi.
    Mme Grundberg a suggéré d'élargir les dispositions actuelles relatives à la définition des endroits publics. Ces dispositions font-elles partie de celles que vous recommandez de rendre plus précises? Si je comprends bien, elles sont applicables en tout temps, que des enfants soient présents ou non ou qu'ils soient susceptibles d'être présents. Ce sont les dispositions actuelles qui poussent les personnes contraintes de travailler dans la rue vers des conditions dangereuses.
    Une des représentantes de l'Association du Barreau canadien recommande d'élargir les dispositions à cet effet. Je me demande... Vous ne semblez pas être d'accord.
    Non, nous ne sommes pas en désaccord sur ce point. Il n'est pas dans l'intérêt de la population que le travail du sexe soit pratiqué dans des endroits publics réservés aux enfants, aux familles et à certaines fins. Toutefois, si l'on interdit, à juste titre, la pratique du travail du sexe dans ces endroits, il faut que d'autres dispositions soient assouplies pour faciliter l'utilisation d'hôtels, de logements loués sur Airbnb et d'autres endroits de ce genre. À l'heure actuelle, une personne qui permet qu'un logement loué sur Airbnb soit utilisé à cette fin est partie à l'achat de services sexuels et partie à un crime.
    Nous sommes d'avis que les dispositions en question peuvent être élargies, mais qu'il faut aussi élargir les dispositions concernant les endroits privés.
    Je vous remercie.
    Pour la prochaine série de questions, faute de temps, je propose d'accorder des temps de parole de trois minutes au lieu de cinq minutes, si vous le voulez bien.
    Monsieur Brock, vous disposez de trois minutes.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Je remercie tous les témoins pour leurs témoignages, leur collaboration et leurs réponses aux questions de mes collègues.
    Je vais m'adresser principalement à la surintendante Byrne.
    En ma qualité de nouveau député, j'étais curieux d'entendre votre témoignage. J'ai lu votre mémoire très attentivement. J'ai mené une carrière en droit pendant 30 ans. Durant les 18 dernières années de cette carrière, j'ai occupé le poste de procureur de la Couronne. Je comprends ce que vous voulez dire lorsque vous parlez des défis liés aux poursuites. Toutefois, ce n'est pas là‑dessus que je vais me concentrer.
    Je vais me concentrer sur l'une des grosses questions que nous nous posons depuis plusieurs semaines. D'après vous, du point de vue de l'application de la Loi, à quoi ressemblera le Canada si le Comité et, au bout du compte, le gouvernement recommandent d'abroger la Loi? Avant que vous répondiez... Nous avons reçu plusieurs témoins. Il y en a un en particulier qui me vient à l'esprit. Ce témoin nous a dit que le Canada deviendrait le bordel du Nord et que l'industrie du sexe pourrait faire tout ce qu'elle voudrait.
    J'aimerais votre point de vue de policière chevronnée sur la question.
    Merci, monsieur Brock.
    J'aimerais aussi ajouter à cela mon point de vue de femme. J'aimerais voir un Canada doté d'une approche très équilibrée selon laquelle les femmes — ou dans certains cas les hommes, bien que ce soit surtout des femmes — ont le droit de mener des activités légales pour subvenir à leurs besoins. Nous devons toutefois trouver un équilibre, d'une manière ou d'une autre, car le commerce du sexe, et le sexe lui-même en tant qu'industrie, peuvent être utilisés de façon très négative. J'ai déjà décrit toutes ces situations.
    Selon moi, le Canada trouvera cet équilibre. Je pense que nous pouvons le faire. Je pense que nous pouvons examiner ce qui se fait dans le reste du monde et atteindre réellement cet équilibre, peut-être avec une nouvelle mesure législative, ou en modifiant la Loi actuelle.
    Cependant, les enquêtes comportent tant de défis pour les services de police — je suis certaine que le procureur de la Couronne et vous, en tant qu'ancien procureur de la Couronne, le comprendrez —, notamment les défis d'ordre constitutionnel qui n'ont aucun rapport avec le travail du sexe, comme l'arrêt Jordan. Il y a des questions liées à la divulgation et au fardeau de la preuve requis en cour criminelle, qui n'a fait que croître dans mes 20 ans de carrière dans la police. Ces enquêtes peuvent être très complexes. On en vient à envisager le recours à d'autres dispositions, notamment la disposition sur le crime organisé. J'ai commandé l'équipe des enquêtes sur le crime organisé. On parle d'enquêtes sur plusieurs années avec des poursuites judiciaires qui durent plusieurs années et qui coûtent des centaines de milliers voire des millions de dollars. Est‑ce réaliste, dans tous les cas, si nous voulons trouver l'équilibre que nous recherchons en matière de sécurité publique?
    Je pense que le Canada trouvera cet équilibre sans avoir à mener une enquête d'une telle ampleur chaque fois, ce qui serait impossible dans notre système actuel.
(1655)
    Merci.
    Merci, monsieur Brock.
    Nous passons à M. Anandasangaree, pour trois minutes.
    Ma question s'adresse à Mme Byrne.
    J'aimerais avoir vos commentaires. Pensez-vous que les personnes qui travaillent dans l'industrie du sexe ont été protégées depuis l'entrée en vigueur de la LPCPVE? Ont-elles bénéficié d'une protection accrue? Y a‑t‑il des mesures précises, y compris l'abrogation de cette loi, pouvant garantir une sécurité accrue aux personnes qui travaillent dans cette industrie?
     Il est difficile de répondre à cette question sans exemple précis. D'après mes rencontres avec les gens de la communauté, je peux vous dire que la clé pour protéger les personnes qui travaillent dans l'industrie du sexe est le maintien d'un dialogue ouvert. Il faut aussi encourager les gens à signaler les actes criminels et à se sentir à l'aise avec les policiers. C'est le principal obstacle, à mon avis, plus que toute infraction au Code criminel ou n'importe quelle modification. L'établissement d'un dialogue avec la communauté et l'instauration de la confiance peuvent être les principaux obstacles.
    Je ne peux pas faire de recommandations spontanément. L'ACCP recommande que la Loi demeure inchangée, car nous sommes en mesure de composer avec cette loi et de l'appliquer efficacement dans sa forme actuelle.
    Selon plusieurs témoins — représentants d'organismes et gens de l'industrie —, l'application de la Loi n'est pas uniforme. Vous y avez aussi fait allusion. Donc, que peut‑on faire pour assurer l'application uniforme de la Loi? Devons-nous revoir certaines dispositions de façon à faciliter l'application par les services de police? Certaines dispositions sont-elles totalement inapplicables?
    Non, je pense que les dispositions sont bonnes dans leur forme actuelle.
    C'est curieux, parce que vous parlez d'application de la loi, mais il n'y a pas que ces lois qui ne sont pas appliquées uniformément à l'échelle du pays. D'après mon expérience, de nombreuses lois sont appliquées différemment et à des degrés différents à travers le Canada. Je pense qu'il est dans la nature de notre système que les diverses affaires judiciaires et la jurisprudence d'une province ne soient pas nécessairement contraignantes dans une autre province. Sans cela, je ne vois pas comment l'application pourrait être uniforme, à moins d'envisager des choses comme des lignes directrices nationales en matière d'application de la loi.
    Ceci est ma dernière question. Pensez-vous que cette loi a des répercussions négatives sur les Autochtones, les Noirs et les autres communautés racialisées?
    Je ne le pense pas. En fait, les membres des communautés autochtones que j'ai rencontrés ici à Vancouver appuient cette loi et estiment qu'elle aide à protéger les femmes de leurs communautés qui sont ciblées par le crime organisé. Encore une fois, ce sont ces actes les plus violents et ces délinquants que nous devons vraiment cibler.
    Merci, monsieur Anandasangaree, et merci aux témoins.
    Merci.
    Nous passons maintenant à notre deuxième groupe de témoins. Si je ne me trompe pas, il y a consentement pour continuer jusqu'à 17 h 45, si vous êtes d'accord. Je vois que certains acquiescent de la tête. Je pense que cela devrait aller, étant donné que nous avons commencé en retard. Nous allons poursuivre jusqu'à cette heure‑là.
    Nous accueillons d'abord Mme Andrea Heinz, qui témoigne à titre personnel. Nous accueillons également Mme Diane Matte, de Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle, et Mme Glendyne Gerrard, de Defend Dignity. Elles auront chacune cinq minutes, puis nous passerons aux questions.
    Nous commençons avec Mme Andrea Heinz, pour cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie tous les membres du Comité de l'occasion de me joindre à vous aujourd'hui.
    Je m'appelle Andrea Heinz. J'habite à Edmonton, en Alberta, sur les terres du Traité no 6. J'ai un diplôme en services correctionnels et je suis actuellement étudiante de quatrième année au baccalauréat en administration publique spécialisé en gouvernance, droit et gestion. Mes études ont surtout porté sur la violence envers les femmes et ses répercussions. J'ai publié des articles sur le commerce du sexe et j'ai passé près de 10 ans à interagir avec une multitude de personnes, d'organismes et de groupes, comme les personnes qui entrent dans l'industrie du sexe ou qui en sortent, les acheteurs de sexe qui participent au programme des délinquants sexuels d'Edmonton, les fournisseurs de soins de santé, les étudiants universitaires et les politiciens, les membres et les recrues du Service de police d'Edmonton.
    Avant ce travail, j'ai passé sept ans, de 2006 à 2013, dans l'industrie du sexe autorisée et réglementée d'Edmonton. Je suis entrée dans l'industrie à 22 ans, criblée de dettes, sans éducation ou compétence valable. Une annonce dans le journal local a attiré mon attention. Elle visait les femmes de 18 à 30 ans. Elle disait: « Divertissement pour adultes, gagnez 2 000 $ par semaine ». C'était une annonce pour une maison de prostitution. L'endroit était autorisé par ma ville et semblait sûr. J'étais loin de me douter que le divertissement pour hommes aurait des répercussions si graves sur ma vie par la suite.
    Cinq minutes ne suffisent pas pour vous parler de l'ensemble des indignités et des traumatismes dont j'ai été témoin et que j'ai personnellement subis après avoir été achetée à des fins sexuelles plus de 4 300 fois. J'ai sombré dans une profonde dépression en quelques mois seulement. Après, quelque chose a changé en moi. J'ai alors commencé à me dire que c'était mon choix, que c'était un travail comme un autre, et que c'est le propriétaire de l'endroit où je travaillais qui était responsable du tort que je subissais. Je me suis dit que c'était une question de relations de travail. J'ai commencé à m'identifier comme travailleuse du sexe; je reconnais maintenant que c'était un instinct d'autoconservation.
    Permettez-moi de reprendre les propos de la survivante canadienne Natasha Falle lors de la contestation Bedford: « Je ne pouvais pas admettre que je n'étais pas là par choix. Nous ne pourrions pas vivre dans notre propre peau si nous l'admettions. Nous avions besoin de croire que c'était notre choix. » Cet état d'esprit n'a toutefois pas empêché le préjudice.
    J'ai ouvert ma propre maison de prostitution à l'âge de 25 ans. J'étais convaincue qu'avoir de meilleures conditions de travail assurerait ma sécurité et celle des autres femmes. Cette décision regrettable m'a fait comprendre que la source du mal, ce sont les hommes qui achètent des services sexuels, comme Trisha Baptie l'a exprimé avec justesse. Avant cela, j'entretenais l'illusion selon laquelle c'est moi qui détenais le pouvoir. Or, ce sont des hommes misogynes, à la sexualité exacerbée et estimant avoir tous les droits qui détenaient ce pouvoir et qui en abusaient. J'ai été étranglée, giflée, mordue. On m'a craché dessus. J'ai été agressée verbalement. Il m'est arrivé qu'on retire le préservatif, qu'on me filme à mon insu, qu'on me harcèle, et plus encore.
    Le commerce du sexe est un système patriarcal de viol à peine voilé qui permet aux hommes d'utiliser l'argent plutôt que la force physique pour assouvir leurs besoins de gratification sexuelle immédiate.
    La notion de travail du sexe est omniprésente et semble très acceptable lorsqu'elle n'est pas examinée d'un point de vue critique. L'usage répété d'euphémismes par rapport à cette notion de « travail » tend à recadrer le discours et à justifier ce qui est intrinsèquement de l'exploitation sexuelle. La prochaine fois que vous entendrez l'expression « travail du sexe », examinez‑en la signification réelle. Vous constaterez la réalité qui se cache derrière, celle de femmes objectivées, violées et tuées. Il y a un continuum de préjudices, et même dans le meilleur des cas, le travail du sexe sous-tend toujours l'objectivation des femmes.
    La LPCPVE est une loi bien écrite et équilibrée. Décriminaliser la demande aurait pour effet d'éliminer l'outil le plus puissant dont nous disposions au Canada pour prévenir et contrer l'exploitation. L'abrogation de l'infraction concernant l’achat de services sexuels, soit l'article 286.1, favoriserait l'expansion du marché. L'absence de dissuasion sociale donnerait le feu vert à l'achat de services sexuels. Cela inciterait les exploiteurs à en tirer parti et à ouvrir plus d'agences et de maisons de prostitution, entraînant ainsi une recrudescence du proxénétisme et de la traite des personnes afin de satisfaire à une demande incontrôlée pour le corps des femmes.
    La traite de personnes est une infraction précise comportant un seuil élevé pour le dépôt d'accusations. L'abrogation de la LPCPVE signifierait que le Canada n'aurait aucun outil pour lutter contre la coercition, le proxénétisme et l'exploitation, problèmes actuellement visés par les infractions relatives à la publicité des services sexuels, au proxénétisme et à l'avantage matériel, aux articles 286.4, 286.3 et 286.2, respectivement. Les exploiteurs et les profiteurs espèrent une décriminalisation complète.
    Le Canada n'arrive déjà pas à endiguer la victimisation qui se produit en ce moment. Quel est le plan de notre pays pour se préparer à un éventuel afflux massif de femmes dans le commerce du sexe et pour leur offrir les mesures de soutien importantes dont la plupart d'entre elles pourraient avoir besoin à long terme? Les organismes de bienfaisance et les ONG qui travaillent à réparer les torts subséquents sont largement sous-financés, en plus d'être submergés de demandes de services.
    En fin de compte, les lois en vigueur, quelles qu'elles soient, ne sont pas présentes dans les chambres pendant les échanges. Plus il y aura d'échanges, plus les préjudices seront importants, quantitativement, car ils sont inhérents à cette activité. Nous devons réduire le marché et nous devons enfin souscrire à cette loi et veiller à son application uniforme. Ce n'est qu'alors que nous pourrons procéder à un examen honnête de son efficacité.
    Je vous remercie.
(1700)
    Merci, madame Heinz.
    Nous passons maintenant à Mme Diane Matte pour cinq minutes, s'il vous plaît.

[Français]

     Je remercie le Comité de nous recevoir. Je veux d'abord remercier l'ensemble des femmes survivantes qui sont venues témoigner durant vos séances. Je veux souligner leur apport, et particulièrement celui d'Andrea Heinz, qui est ici aujourd'hui avec nous.
    La Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle, soit la CLES, est un groupe qui intervient, depuis plus de 15 ans, auprès des femmes et des filles victimes d'exploitation sexuelle au Québec. Nous soutenons plus ou moins 200 femmes par année ainsi que des proches, qui viennent chercher de l'aide pour soutenir leurs filles. Nous rencontrons des femmes qui souhaitent sortir de la prostitution et d'autres, non. Elles ont cependant toutes le désir de prévenir l'entrée dans la prostitution des autres femmes. Cela devrait nous dire quelque chose.
    Étant donné que nous avons juste cinq minutes, je vais aller tout de suite à la question fondamentale à laquelle nous jugeons que le Canada est confronté, et tout particulièrement vous, en tant que Comité permanent de la justice et des droits de la personne.
    Est-ce que nous souhaitons, au Canada, affirmer qu'il existe un droit pour les hommes — parce que les clients sont majoritairement des hommes — d'acheter des actes sexuels de la part des femmes et des filles — parce que ce sont majoritairement elles qui sont achetées?
    Si la réponse est oui, vous choisirez de décriminaliser totalement la prostitution et l'achat d'actes sexuels. Cela aura des conséquences énormes sur les femmes et les filles. Des pays tels que l'Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique, l'Espagne et la Nouvelle‑Zélande ont fait ce choix à divers degrés. Ils vivent tous, aujourd'hui, avec un accroissement exponentiel d'hommes souhaitant acheter des services sexuels et, comme nous l'avons entendu plus tôt, même de jeunes hommes qui souhaitent devenir des proxénètes. Cela augmente la traite humaine, et certains de ces pays songent présentement à modifier leur réponse parce qu'ils voient l'impact de la décriminalisation totale.
    Si plus d'hommes veulent avoir accès à des actes sexuels tarifés, plus de femmes et de filles devront y consentir ou être amenées à le faire. Derrière la prostitution se développe une industrie dont on parle trop peu, qui est avide de profit et souhaite entretenir l'idée qu'il s'agit d'un droit pour les hommes d'acheter des actes sexuels et d'un simple choix pour les femmes.
    Nous savons déjà que les femmes parmi les plus marginalisées, les femmes autochtones, les femmes migrantes, les femmes des communautés racisées sont surreprésentées dans l'industrie du sexe. La décriminalisation totale de cette industrie et de la pratique de l'achat d'actes sexuels rend ce fait tolérable et invisible. Nous constatons d'ailleurs que, loin de questionner l'existence d'une telle réalité, des femmes provenant de ces groupes sont souvent instrumentalisées par les défenseurs de la décriminalisation totale de la prostitution, afin de défendre cette pratique patriarcale en invoquant la sécurité des femmes. C'est odieux!
    Si la réponse à notre question est non et si vous souhaitez faire obstacle à cette pratique patriarcale, vous vous intéresserez à ce qui se passe dans des pays tels que la Suède, la Norvège, l'Islande ou la France, qui ont choisi ce qu'on appelle le modèle d'égalité plutôt que le modèle « nordique ». C'est de ce modèle, d'ailleurs, que la loi de 2014 s'est inspirée. Il propose non seulement de réprimer, mais aussi de prévenir l'entrée dans la prostitution, de questionner cette pratique vieille comme le monde, apparemment, de soutenir celles qui sont aux prises avec la prostitution et qui veulent en sortir, et elles sont majoritaires.
    Nous souhaitons aussi, par le modèle d'égalité, cibler les responsables de cette exploitation, c'est-à-dire les clients et les proxénètes, qui sont ceux qui ont le réel choix dans la situation. La France a adopté sa loi criminalisant l'achat d'actes sexuels en 2016. Elle en a fait l'évaluation en 2020. Je vous invite à regarder les rapports qu'elle a produits. Son évaluation est positive, malgré le fait que la loi n'a pas été appliquée de façon égale dans chaque département français et que trop peu d'argent a été investi, entre autres, afin de soutenir les femmes dans leur parcours de sortie de la prostitution. L'évaluation est positive, donc, et la loi est maintenue et renforcée.
    Le gouvernement du Québec a déjà répondu non à la question que je vous posais au début. Il s'est doté d'une politique d'égalité en 2007, qui affirme que la prostitution est une forme de violence envers les femmes. C'est de là que nous devons partir. Le Québec a adopté, depuis ce temps, une stratégie gouvernementale pour contrer les violences sexuelles et, tout récemment, un nouveau plan d'action contre l'exploitation sexuelle des mineurs.
(1705)
     Nous comptons sur vous et nous comptons sur votre compréhension de la situation à laquelle notre société fait face. Nous devons refuser cette pratique, qui place les femmes dans un état d'insécurité et qui va également à l'encontre de l'égalité pour toutes les femmes. Nous croyons...
(1710)

[Traduction]

    Merci, madame Matte.

[Français]

    Je vous remercie.

[Traduction]

    En espérant que vous puissiez terminer en répondant aux questions.
    Nous passons maintenant à Mme Glendyne Gerrard, de Defend Dignity. Vous avez cinq minutes.
    Je m'appelle Glendyne Gerrard, je suis cofondatrice et directrice de Defend Dignity, un organisme national qui vise à mettre fin à toutes les formes d'exploitation sexuelle au Canada.
    Je m'adresse à vous du territoire de la Première Nation des Mississaugas de Credit. Je vous remercie de me donner le privilège de comparaître au Comité aujourd'hui.
    Defend Dignity appuie fermement la LPCPVE et ses objectifs. Nous convenons de la nécessité de dénoncer et d’interdire l’achat de services sexuels qui crée une demande de prostitution, et le fait de tirer parti de l’exploitation d’autres personnes par de tierces parties, afin d'enrayer la prostitution et mettre fin aux préjudices qu'elle cause.
    Dans le cadre de notre travail, nous avons sensibilisé plus de 10 000 personnes au pays au sujet de l'exploitation sexuelle. Nous leur rappelons que la prostitution ne peut exister sans acheteurs. Nous promouvons l'égalité des sexes et cherchons des moyens de démanteler les attitudes patriarcales qui alimentent la demande pour l'achat de services sexuels.
    En outre, afin de mieux comprendre les hommes qui achètent ces services, nous étudions les attitudes des clients à partir de commentaires publiés sur un forum en ligne canadien consacré aux escortes. Sur de tels sites, les clients évaluent et notent les escortes dont ils ont retenu les services.
    Notre analyse des commentaires sur un forum canadien a révélé que le terme le plus fréquemment recherché est « jeune ». Les acheteurs préfèrent les jeunes escortes. Un des clients a écrit: « Payer plus cher, ça ne veut pas dire plus de services. C'est juste le prix à payer pour pénétrer une jeune fille sexy par-derrière ».
    Le deuxième terme le plus recherché fait référence à la taille du corps d'une femme. Certains clients notent sur 10 les différentes parties du corps des femmes.
    Troisièmement, le racisme et les stéréotypes racistes sont omniprésents sur le forum. Au sujet des photos qui figurent sur le site d'une vendeuse, un acheteur a écrit: « Je me demande quand j'aurai aussi une photo de fesses, surtout pour une femme noire. »
    Enfin, les femmes transgenres sont celles qui subissent la plus grande violence. Dans une discussion sur les femmes transgenres prostituées, un acheteur a dit: « Je pense que tout le monde a le droit de choisir avec qui avoir des relations sexuelles, mais ne pas le divulguer, en particulier dans la publicité, c'est de la tromperie, à mon avis, et cela peut entraîner des situations dangereuses. Je ne cautionne pas la violence, mais c'est une réalité. »
    Nous avons aussi un groupe d'hommes qui font de la sensibilisation auprès des clients. Ils répondent aux annonces de services sexuels publiées en ligne et rencontrent les acheteurs au moment de l'achat pour les renseigner sur les préjudices potentiels découlant de leur décision d'achat et, pour ceux qui le souhaitent, des renseignements sur les ressources pour le traitement de la dépendance sexuelle.
    Nos recherches et notre travail auprès des acheteurs de services sexuels ont révélé que leurs attitudes et leurs actions peuvent être nuisibles. Les acheteurs de sexe masculin pensent que les hommes ont le droit de se servir du corps des femmes — principalement — à des fins sexuelles contre rétribution, et que le fait de payer leur donne le droit de faire ce qu'ils veulent. Nos lois font office d'enseignants qui contribuent à façonner notre culture. L'infraction relative à l’achat de services sexuels doit être maintenue afin de décourager ces attitudes et comportements néfastes.
    Defend Dignity fournit également une aide financière par l'intermédiaire de son fonds de soutien aux personnes qui sont dans l'industrie du sexe ou qui cherchent à en sortir. À ce jour, nous avons reçu 291 demandes; près de 200 000 $ ont été versés. Parmi les besoins les plus courants, soulignons le remboursement de dettes, puisque les proxénètes et les trafiquants accumulent souvent des dettes faramineuses sur les cartes de crédit ou les services de téléphonie cellulaire, le counselling traumatologique, le logement, les soins dentaires et l'éducation. Les demandes proviennent de partout au Canada, par l'intermédiaire de 80 fournisseurs de services, d'organismes d'application de la Loi et d'organismes de soutien.
    Les demandeurs sont représentatifs du grand nombre de personnes qui sont dans l'industrie du sexe non par choix et qui ont besoin de la protection de cette mesure législative. Ces personnes sont l'une des principales raisons pour lesquelles nous appuyons la LPCPVE. Nous sommes extrêmement reconnaissants des renseignements qu'elles nous ont fournis dans leurs formulaires de demande et dans les lettres qui les accompagnaient.
    Vous avez reçu un mémoire de Mme Mikhaela Gray, qui a effectué une analyse des données provenant des demandes de financement que nous avons reçues au printemps de 2021 à notre fonds. Elle présente un résumé de ses conclusions dans son mémoire. Cinquante-trois demandes ont été analysées afin de mieux comprendre les diverses expériences des personnes touchées par l'industrie du sexe. Cette analyse a fait l'objet d'un examen par les pairs et sera publiée sous peu dans une revue universitaire.
    Je tiens à souligner deux résultats importants de cette recherche. Les 53 femmes ont utilisé divers termes pour décrire leur expérience: prostitution, escorte, prostitution de survie, traite de personnes. Au total, 96 % des femmes ont déclaré avoir été exploitées par un tiers ou avoir été victimes de la traite de personnes pendant qu'elles étaient dans l'industrie, et 36 % d'entre elles ont été victimes de gangs ou du crime organisé.
    On constate des variations dans toutes leurs expériences, quelle que soit la manière dont elles décrivent leur participation dans l'industrie: choix, exploitation et coercition. Par exemple, neuf femmes ont déclaré être entrées dans l'industrie de manière indépendante, mais six d'entre elles ont également déclaré qu'un trafiquant était intervenu à un moment donné. Des 34 femmes qui ont déclaré s'être prostituées, 26 ont aussi dit avoir été victimes de la traite de personnes.
(1715)
    L'étude a révélé que la définition que les personnes donnent elles-mêmes de leur expérience peut prendre différentes formes. Une terminologie à usage unique ne permet pas de rendre compte adéquatement de leur expérience. Beaucoup ont décrit la façon dont les limites ont été franchies. Elles ont été constamment mises dans des situations qu'elles ne souhaitaient pas.
    Merci...
    Enfin, 12 des 19 personnes qui ont révélé l'âge qu'elles avaient lorsqu'elles sont entrées dans l'industrie du sexe étaient des mineures. L'une d'entre elles n'avait que deux ans lorsqu'elle a été vendue pour la première fois à des fins sexuelles.
     Le titre de la Loi est parfait, car celle‑ci protège effectivement nos collectivités et nos enfants. À la lumière des résultats de cette recherche, nous vous exhortons à maintenir toutes les dispositions relatives à l'intervention de tiers.
    Merci, madame Gerrard.
    Ces dispositions législatives sont essentielles. Merci de les maintenir.
    Je vous remercie.
    Nous allons entamer notre premier tour avec M. Morrison.
    Vous disposez de six minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie nos témoins de cet après-midi.
    Je vais commencer par vous, madame Heinz. Je tiens à vous remercier sincèrement d'être venue aujourd'hui. Il est très important pour le Comité d'entendre le témoignage d'une personne qui possède votre expérience et votre vécu. Je suis vraiment désolé de ce qui s'est passé.
    Ce que j'aimerais entendre, ce sont les améliorations à la LPCPVE que vous souhaiteriez de sorte que nous puissions aider davantage de personnes à ne pas se retrouver dans le commerce du sexe. Je me demande si vous pouvez nous en dire un peu plus, compte tenu de votre expérience.
    Merci beaucoup de cette question.
    Je veux vraiment souligner ce que Mme Gerrard a dit, que cela fait partie de la culture. Cela fait partie de notre culture patriarcale, en particulier ici, au Canada. Nous considérons que notre nation est très progressiste, et elle l'est à bien des égards, mais nous ne sommes pas à la hauteur en matière d'égalité des sexes et d'égalité fondée sur le sexe.
    Je pense vraiment que la Loi est bien conçue. Je pense que le seul aspect qu'il faut vraiment rectifier est peut-être l'article 213. Nous savons que les personnes visées par cette disposition de la LPCPVE sont nos vendeuses de services sexuels les plus vulnérables, celles qui se trouvent dans la rue, qui ont des problèmes de santé complexes, des problèmes de santé mentale non traités, des traumatismes intergénérationnels et des dépendances.
    J'ai vraiment le sentiment... et, s'il vous plaît, je ne suis pas avocate, alors je n'ai pas la réponse exacte, mais je peux dire que les femmes subissent un préjudice. À cet égard, nous les ciblons toujours d'une certaine manière. Nous devons supprimer la totalité des obstacles auxquels elles sont confrontées. Cela inclut la suppression de toutes les condamnations historiques ou actuelles des personnes qui vendent des services sexuels, ainsi que la mise en évidence de l'origine du préjudice. Encore une fois, cela vient de la culture et du patriarcat associé à notre masculinité.
    Je pense vraiment que nous avons, au Canada, des hommes merveilleux qui font de grandes choses, mais nous avons aussi une pourriture sociale qui prend le dessus. Nous le constatons très nettement. L'idéologie du travail sexuel s'infiltre dans toutes les facettes de la vie des femmes canadiennes. Nous ne pouvons pas marcher dans la rue sans être sollicitées à des fins sexuelles. Je fais mon jogging dans mon quartier, avec mes enfants dans une poussette, et des hommes s'arrêtent et me harcèlent. Parfois, je suis même avec mon mari. Tous les coups sont permis.
    J'ai l'impression que nous allons être jetées aux loups et que la chasse sera ouverte. Nous devons vraiment travailler à changer le discours. Les femmes méritent mieux que d'être des produits de consommation sexuelle.
    Merci.
    Que diriez-vous aux personnes qui affirment que nous devrions abroger la LPCPVE et ne rien avoir de tout cela? Que diriez-vous à ces personnes?
    Je pense que c'est un grave manque de vision. D'un point de vue très, très étroit, cela peut sembler logique à certaines personnes: « Elle dit qu'elle veut vendre des services sexuels; qui sommes-nous pour empiéter sur les libertés individuelles? » Nous devons commencer à penser au bien collectif, et surtout au bien collectif des femmes ici au Canada. Encore une fois, nous savons que beaucoup d'entre nous sont soumises à la perversion des hommes, essentiellement.
    C'est vraiment très difficile. C'est très décevant. Je pense que nous devons prendre le recul nécessaire et reconnaître l'activité pour ce qu'elle est, à savoir un accès sexuel coercitif. Ce n'est pas du travail. Nous devons examiner où se situent les limites entre le pouvoir et la soumission. Je ne pense vraiment pas que nous soyons nombreuses à exercer cette activité avec un grand pouvoir. Je sais que ce n'était pas mon cas. Bien sûr, on ne m'a pas mis un pistolet sur la tempe. Je n'étais pas soumise à un proxénète ou un trafiquant. Mon proxénète, c'était la pauvreté. C'est le cas de beaucoup de femmes. Parce que nous sommes si dépendantes de cela, parce que nous sommes matériellement assujetties dans la société canadienne, nous nous rangeons du côté de nos agresseurs. Nous nous rallions à nos agresseurs. Nous sourions à nos agresseurs lorsqu'ils nous maltraitent, parce que nous avons besoin de l'argent. Ce n'est pas juste de faire subir cela aux femmes.
    Alors oui, c'est un énorme problème. C'est un problème à multiples facettes. Nous devons l'aborder sous tous les angles. Il y a tellement de travail à faire. Nous ne pouvons pas nous contenter d'abandonner les femmes, de donner le feu vert à l'exploitation et de penser que le problème se résoudra de lui-même. Cela ne se produira pas.
(1720)
    Merci beaucoup.
    Madame Gerrard, j'ai été vraiment intrigué par votre rapport visant une meilleure compréhension du commerce du sexe et des différentes raisons et justifications. Votre temps de parole a été un peu écourté. Je sais que vous avez été un peu bousculée.
    Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les recherches que vous menez? Ce serait très utile.
    Je vous remercie de cette question.
    La recherche que nous avons entreprise a pour but de nous aider à comprendre pleinement les conséquences de l'industrie du sexe. Voici quelques-unes des questions autour desquelles nous avons articulé notre recherche. Quels sont les facteurs qui poussent une personne à s'engager dans l'industrie du sexe? Quelles sont les conséquences de l'implication dans l'industrie du sexe sur le bien-être émotionnel, mental et physique d'une personne, quelle que soit la façon dont elle décrit personnellement son expérience? Dans quelle mesure des tiers sont-ils intervenus? Je vous en ai parlé. S'agissait‑il d'un ami, d'un gang, d'un trafiquant? Dans quelle mesure un tiers est‑il intervenu? Qu'est‑ce qui permet à une personne de choisir de quitter l'industrie ou de ne pas y entrer ou y retourner?
    Ce sont des points que nous avons examinés. Je peux certainement vous dire que les effets de l'industrie du sexe sur le bien-être physique, émotionnel et mental des personnes étaient tous négatifs. Je pourrais vous lire toutes sortes de citations tirées de nos recherches auprès de ces 53 personnes. Pas une seule d'entre elles n'a été épargnée sur le plan physique, émotionnel ou mental. La violence était omniprésente. Toutes sortes de choses horribles se sont produites.
    J'espère que vous avez retenu que la plus jeune des 53 personnes n'avait que deux ans. Elle a été exploitée par sa famille, ce qui est, malheureusement, un phénomène courant.
    Cette recherche n'a révélé que des effets négatifs.
    Merci, monsieur Morrison.
    C'est maintenant au tour de Mme Brière, qui dispose de six minutes.
    Merci, monsieur le président.

[Français]

     Ma question d'adresse à Mme Matte.
    En ce qui a trait à la situation en Nouvelle‑Zélande, les membres du Comité ici présents ont entendu que, au cours des cinq années suivant la décriminalisation, il n'y avait pas eu d'augmentation du nombre de personnes travaillant dans l'industrie du sexe et que les conditions de travail de ces personnes s'étaient améliorées. Que pouvez-vous nous dire de plus à ce sujet?
     La guerre des chiffres est toujours une guerre un peu spéciale. Les contacts que nous avons avec des femmes en Nouvelle‑Zélande dressent un portait tout autre.
    On parlait tout à l'heure des femmes autochtones. En Nouvelle‑Zélande, les femmes maories ont même créé une organisation pour lutter contre ce choix de leur société. Ces femmes parlent de l'augmentation à la fois de la banalisation de la prostitution dans l'ensemble de la société néo-zélandaise, incluant leur communauté, et du fait que des jeunes filles maories sont amenées de plus en plus dans la prostitution.
    La Nouvelle‑Zélande est le seul pays au monde qui a choisi l'option de la décriminalisation totale. Comme je le disais tout à l'heure, le problème, c'est que la décriminalisation totale de la prostitution rend tout à fait invisibles les méfaits et les conséquences de la prostitution sur les femmes en général, et particulièrement sur les femmes autochtones et les femmes racisées. Selon les données que j'ai, il y a eu une augmentation de la traite à l'international, parce qu'il y a à la fois une augmentation d'hommes néo-zélandais qui veulent acheter des actes sexuels et un accroissement du tourisme sexuel.
    Montréal est déjà reconnue comme la plaque tournante, entre autres, de la traite à des fins d'exploitation sexuelle. On peut tous imaginer ce que cela deviendrait, si le Canada choisissait de décriminaliser totalement la prostitution.
    Nous vous invitons, je vous invite à arrêter de regarder la question de la prostitution sous l'angle de la nécessité de l'amélioration des conditions de pratique de la prostitution. Vous devez regarder pourquoi la prostitution existe, qui est emmené dans la prostitution, l'impact de la prostitution sur l'accès à la sécurité, à la dignité et à l'égalité pour toutes les femmes.
    Vous avez une responsabilité énorme à l'heure actuelle. Vous tenez entre vos mains la possibilité de décider qu'au Canada, on va donner la priorité à un regard sur la prostitution qui est lié à la question de l'égalité pour toutes. Ce que vous avez entendu jusqu'à maintenant, surtout de la part du lobby très puissant qui veut arriver à une décriminalisation totale de la prostitution au Canada, c'est l'histoire de celles dont on veut bien parler. Or cela rend invisibles la majorité des autres femmes et des filles qui sont amenées dans la prostitution, comme le disait Mme Heinz, d'abord par la pauvreté.
    On vient de sortir d'une pandémie et on est encore un peu dedans. Les femmes se sont appauvries au Canada depuis 2020. Est-ce qu'on sait ce que cet appauvrissement aura comme effet sur l'entrée dans la prostitution?
    Il est clair qu'il y a partout au monde une industrie qui s'abreuve à cette pauvreté et aux inégalités sociales et économiques, et qui attend une décision comme celle que, malheureusement, certains d'entre vous portent, à savoir qu'on doit se débarrasser de ces lois parce qu'elles empêchent de consommer des actes sexuels. On se met la tête dans le sable et on croit qu'on n'a pas de rôle à jouer pour mettre fin à cette pratique patriarcale.
(1725)
    Merci.
    Sur votre site Web, on lit que « la loi canadienne a marqué un changement de paradigme à la fois en condamnant l'achat d'actes sexuels et en décriminalisant les personnes en situation de prostitution ».
    Dans la continuité de ce que vous venez de me dire, comment cela se traduit-il sur le terrain, concrètement? Quels changements pourrait-on apporter à la loi pour la consolider?
    Selon nous, le changement le plus fondamental que la loi de 2014 a apporté a été de déplacer le crime d'achat d'actes sexuels dans la section des crimes contre la personne. On a donc reconnu que la prostitution n'était pas une transaction entre adultes consentants. C'est cela qui est le plus important.
    Le problème qui se pose à l'heure actuelle, c'est qu'on regarde seulement la partie du Code criminel. Or les objectifs ou l'inspiration de la loi canadienne sont ancrés dans un modèle qui couvre, comme je le disais tout à l'heure, à la fois la prévention de l'entrée dans la prostitution et la prévention auprès des petits garçons. Ils ne viennent pas au monde en pensant qu'ils peuvent acheter des actes sexuels d'autres personnes, ils l'apprennent. Ils ne naissent pas en voulant être proxénètes un jour, ils l'apprennent. Malheureusement, à l'heure actuelle, ils l'apprennent de partout.
    On parlait tantôt de la culture, des médias et de la banalisation en général. D'abord et avant tout, c'est cela qu'il faut arriver à contrer. Effectivement, on peut se concentrer sur les articles du Code criminel, mais nous croyons qu'aucune personne ne devrait être criminalisée, peu importe où elle se trouve, lorsqu'elle est en situation d'exploitation sexuelle. Cela devrait être très clair. D'ailleurs, dans les modèles qui ont été les plus satisfaisants dans le monde, aucune criminalisation des femmes n'était tolérée. Je dis « femmes », parce que c'est majoritairement des femmes qui sont en cause.

[Traduction]

    Merci.

[Français]

     En plus de cela, on doit...

[Traduction]

    Merci, madame Matte.

[Français]

    ... s'assurer qu'elles ont accès à des programmes de prévention. Si elles quittent le milieu de la prostitution, elles doivent avoir accès à des programmes de soutien. Ces éléments sont inséparables.

[Traduction]

    Je suis désolé, mais je dois vous interrompre. J'espère que d'autres questions à venir vous permettront de compléter votre réponse.
    La parole est à M. Fortin, qui dispose de six minutes.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Madame Matte, vous étiez sur une belle lancée, et j'aimerais vous donner l'occasion de compléter votre réponse.
    Tantôt, vous avez dit que vous privilégiiez le modèle d'égalité plutôt que le modèle nordique. Vous avez aussi dit que, en 2007, Québec avait agi en ce sens. En effet, l'Assemblée nationale a aussi privilégié le modèle d'égalité.
    J'aimerais vous entendre davantage à ce sujet. D'abord, qu'est-ce que le modèle d'égalité? Ensuite, qu'a fait le Québec pour se diriger vers ce modèle?
    En fait, en 2007, une politique d'égalité a été adoptée. À ma connaissance, elle n'existe nulle part ailleurs au Canada. Cette politique reconnaît la prostitution comme... Elle ancre la prostitution dans la question de l'égalité. Une société dans laquelle des femmes, des filles ou des garçons peuvent être consommés, achetés, vendus ou loués — on peut utiliser le mot que l'on veut — est une société où l'égalité pour tous est impossible.
    En 2007, le Québec a fait une avancée énorme. À mon avis, il n'a pas suffisamment agi depuis ce temps, mais l'esprit est quand même le même. On regarde la prostitution comme étant d'abord et avant tout une pratique qui concerne les rapports sociaux de sexe entre les femmes et les hommes. C'est de là qu'on doit partir pour analyser la prostitution. On ne doit pas seulement analyser ses méfaits ou se pencher uniquement sur le fait que cela peut être dérangeant pour certains résidants du quartier ou sur le fait que l'on ne veut pas que les hommes attrapent une maladie vénérienne et qu'ils la transmettent à leur femme. Il faut s'attarder davantage à la question de l'égalité.
    Comme je le disais, le modèle d'égalité tient pour acquis qu'il faut changer les mentalités. Il tient pour acquis que nous vivons dans une société patriarcale, dans une société où certains groupes de femmes sont particulièrement visés. Il tient aussi pour acquis qu'on doit changer la pratique. À partir de là, on utilise des programmes de prévention...
(1730)
    Madame Matte, je ne veux pas être impoli, mais mon temps de parole est limité. Il ne me reste que deux ou trois minutes de temps de parole.
    Pouvez-vous m'en dire davantage sur les répercussions du modèle d'égalité? Qu'est-ce que ce modèle? Que change-t-il? Sur le plan législatif, que doit-on en faire?
    Sur le plan législatif, on doit s'attaquer à l'achat de services sexuels. On doit s'attaquer aux proxénètes et à toute personne ou à tout groupe qui profite de la prostitution d'autrui. Le changement principal consiste à dire que les hommes n'ont pas le droit d'acheter des actes sexuels. L'impact du modèle d'égalité est aussi simple que cela. Tout ce qui entoure cette...
    Je suis désolé de vous interrompre, madame Matte, mais j'aimerais vous poser une autre question avant que mon temps de parole ne soit écoulé.
    Oui, je vous écoute.
    Des témoins nous ont dit que des organisations criminelles étaient impliquées dans l'industrie du sexe. Selon moi, c'est assez inquiétant. Comme on le sait, le trafic d'armes, notamment, cause déjà plusieurs problèmes. En fait, bon nombre de choses en lien avec les organisations criminelles posent problème.
    J'aimerais revenir à l'industrie du sexe. Qu'est-ce que votre travail vous a permis de constater? Est-ce que plusieurs membres d'organisations criminelles sont impliqués dans l'industrie du sexe? Y en a-t-il plusieurs qui profitent de l'industrie du sexe ou qui la gèrent ou est-ce marginal, selon vous?
    J'imagine que la police pourrait mieux répondre à la question que moi.
    Ce que je peux dire, c'est que certaines femmes avec qui nous travaillons sont effectivement aux prises avec le crime organisé. Cela existe donc au Québec, comme cela existe ailleurs au Canada et dans le monde.
    Il y a aussi des femmes qui sont tout simplement amenées dans l'industrie du sexe par la banalisation. Par exemple, une de leurs amies leur a peut-être dit que c'était une façon de gagner de l'argent. Il peut aussi s'agir d'une femme qui a rencontré un homme: il a commencé par lui dire qu'il l'aimait beaucoup et qu'il voulait bâtir quelque chose avec elle. Puisqu'il a besoin d'argent pour faire cela, il l'envoie se prostituer.
    Je répète que j'ai été frappée par les paroles de la personne qui est intervenue lors du dernier tour de questions. Elle a parlé du fait que des jeunes hommes de 12 à 15 ans tentent de convaincre des jeunes filles de vendre des services sexuels.
     Voyez-vous cela dans votre pratique?
    Je n’ai jamais vu des jeunes de 12 ans, mais on voit de jeunes hommes. C'est un des constats. La banalisation du proxénétisme et de l’achat d'actes sexuels fait en sorte que de jeunes hommes se lancent dans la vente de tels services et amènent de jeunes filles de leur école secondaire à vendre des actes sexuels. Ils ramassent l’argent et s’organisent entre eux. Oui, on le voit en ce moment.
    Que proposez-vous pour lutter contre cela, pour empêcher ou dissuader ces jeunes hommes d'entrer dans l’industrie du sexe?
    Cela passe par l'éducation, j'imagine. Vous parliez d'un changement de culture, entre autres.
     Y a-t-il des gestes législatifs concrets qu’on pourrait poser pour enrayer cette problématique?
(1735)
    On doit commencer par regarder la loi de 2014 et lui donner plus de moyens pour apporter des changements relativement aux mentalités et aux programmes éducatifs, ainsi que pour soutenir les femmes qui sont dans la prostitution, y compris celles qui souhaitent en sortir.

[Traduction]

    Merci, madame Matte.

[Français]

    Effectivement, le meilleur moyen, à l'heure actuelle, c'est de maintenir et de renforcer la loi et de s’assurer qu’elle ne criminalise aucune femme, fille ou personne au Canada qui vend ses propres services sexuels.

[Traduction]

    Merci.

[Français]

    Merci.

[Traduction]

    Vous pouvez aussi m'interroger en anglais.
    Madame Matte, je vais devoir vous arrêter. Je suis désolé.
    Les six prochaines minutes sont à M. Garrison.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    J'aimerais remercier les témoins de comparaître aujourd'hui. Leurs témoignages sont on ne peut plus clairs. J'aimerais remercier Mme Heinz d'avoir attiré l'attention du Comité sur le problème des casiers judiciaires des personnes qui ont déjà été impliquées dans le travail du sexe.
    Étant donné que nous avons déjà dépassé le temps imparti, je suis prêt à renoncer à mon temps de parole aujourd'hui.
    Merci, monsieur Garrison. Je vous en sais gré.
    Nous allons maintenant passer à deux tours de quatre minutes.
    Nous aurons M. Brock pour quatre minutes, puis Mme Dhillon pour quatre minutes, et ce sera tout.
    Merci, monsieur le président. Je tiens à remercier nos témoins de cet après-midi pour leurs témoignages et leurs réponses à une multitude de questions.
    Je vais d'abord m'adresser à Mme Heinz. Je vous remercie sincèrement de votre témoignage d'aujourd'hui ainsi que du courage dont vous faites preuve en parlant ouvertement du chapitre sombre auquel vous avez survécu; vous avez fait preuve d'une extrême résilience et vous militez à présent avec vigueur contre l'industrie.
    Je réfléchissais à l'un des derniers commentaires de votre déclaration liminaire, quand vous avez dit que vous vouliez en fin de compte réduire le marché. L'un des objectifs primordiaux de cette loi est de réduire la demande.
     Madame Heinz, je vais vous donner l'occasion de préciser en 30 secondes environ, si vous le pouvez, ce que vous entendez par la réduction du marché, et de nous faire part de vos idées sur la manière de concrétiser cet objectif.
    Merci beaucoup.
    Réduire le marché devrait être notre priorité. Cela éliminera un nombre important de personnes qui vendent des services sexuels et qui ne sont pas là par choix. Toute politique que nous mettons en œuvre va soit élargir le marché, soit le réduire. Nous nous comparons souvent à la Nouvelle-Zélande, mais à mon avis, c'est comme si nous comparions des pommes et des oranges. La Nouvelle-Zélande est une île du Pacifique qui compte environ cinq millions d'habitants. Le Canada a une population environ huit fois plus importante et partage une frontière de près de 9 000 kilomètres avec les États-Unis.
    La population des États-Unis dépasse les 330 millions d'habitants, et leur population masculine d'âge adulte représente plus du double de notre population totale ici au Canada, ce qui signifie qu'il y a plus de 100 millions d'hommes adultes aux États-Unis. Alors quand Cathy Peters a déclaré que nous risquons de devenir le « bordel de l'Amérique », elle a vu juste.
    Aucun d'entre nous n'a de boule de cristal qui lui permet de prédire ce qui se passera avec les changements que nous apporterons, mais nous devons considérer le Canada comme une entité à part entière, comme une nation à part entière, et nous demander quels risques nous sommes prêts à prendre pour assurer la subsistance et la sécurité des femmes.
    Je tiens également à souligner l'efficacité du programme d'Edmonton pour les délinquants sexuels. Nous avons un taux de récidive remarquablement faible de 1 % à 3 % pour les hommes qui participent à ce programme d'une durée de huit heures. C'est un excellent programme pendant lequel j'ai eu la chance de prendre la parole au cours des neuf dernières années. J'ai constaté une évolution spectaculaire chez bon nombre des hommes qui y participent.
    Je tiens à dire que, personnellement, j'estime que l'exploitation est double à bien des égards dans cette industrie. La plupart des hommes ne veulent pas acheter de services sexuels. La plupart des hommes sont également victimes de la culture qui leur dit que leur masculinité exige qu'ils soient des consommateurs sexuels, qu'ils consomment le corps des femmes sans se préoccuper de l'être humain et de tout ce qui va avec.
    Je pense vraiment que les hommes qui ont la possibilité de s'éduquer, qui ont accès à des programmes de mesures de rechange, sont nombreux à changer de cap et à cesser d'exploiter les femmes. Ils me disent toujours: « Je n'avais aucune idée. Je n'en avais vraiment aucune idée. Je tenais cela pour acquis. Elle m'a dit qu'elle voulait être là. Je n'ai vu personne, comme un proxénète, et j'ai pensé qu'il n'y avait pas de mal. »
    Je crois que le problème est que les gens assimilent cela à du sexe naturel et sain — celui auquel, par chance, la plupart des gens participent. Je pense que chaque fois que nous examinons le commerce du sexe, il ne correspond pas à ce que nous savons être un consentement sexuel authentique. L'une des pierres angulaires du consentement sexuel est qu'il est donné librement. Le fait même que nous ayons recours à cette énorme coercition économique pour attirer des personnes marginalisées et vulnérables dans l'industrie montre bien ce qui est nécessaire pour qu'elles jouent le jeu et sourient, comme je l'ai dit, malgré les violences dont elles sont victimes.
    Je pense vraiment que nous avons besoin d'une stratégie qui comporte la création d'un organisme interministériel qui travaillerait avec Condition féminine Canada, la Sécurité publique, FEGC et Justice, car il s'agit d'un problème aux multiples facettes. Il est question de violence conjugale, d'inégalité économique, de trafic et de tous ces problèmes. Il s'agirait donc d'une stratégie qui s'étendrait sur plusieurs décennies. Elle est nécessaire et il faut maintenir le cap.
    Trisha Baptie a déclaré qu'il nous faut plus de temps, et c'est le cas, mais il faut aussi plus d'effort. L'effort n'y est pas; nous pouvons faire mieux pour les femmes et les filles canadiennes. Je pense que l'éducation en est la pierre angulaire. Le gouvernement fédéral doit donner de l'argent aux provinces pour que nous puissions avoir un programme d'études dans tous nos établissements d'enseignement, surtout à partir de la septième année, car nous voyons de jeunes hommes devenir des exploiteurs.
    Merci.
(1740)
    Merci.
    Merci, madame Heinz.
    C'est maintenant le tour de Mme Dhillon, qui dispose de quatre minutes.

[Français]

     Ma première question s'adresse à Mme Gerrard.

[Traduction]

    Dans votre témoignage, vous avez parlé du racisme et des personnes marginalisées dans les publicités. Pouvez-vous nous dire s'il y a une grande différence quand il s'agit d'aider les personnes marginalisées, quand il s'agit de l'application de la loi et quand elles vont à la police pour dénoncer un crime? Sont-elles maltraitées lorsqu'elles s'y présentent? Est‑ce qu'elles évitent d'y aller par crainte d'être elles-mêmes inculpées? Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
    Merci.
    En ce qui concerne notre fonds de soutien aux survivantes, je dirais qu'environ 17 % des personnes qui nous font des demandes sont des Autochtones. Nous ne leur demandons pas précisément quelle a été leur expérience avec la police. Je ne peux répondre à cette question que de manière anecdotique, à partir de mes propres conversations avec différentes survivantes autochtones, noires ou de couleur. Je peux répondre à la question en disant qu'il y a effectivement eu d'assez mauvaises expériences avec la police. Inversement, il y en a qui ont eu de bonnes expériences avec la police.
    Je veux vraiment parler de cela et dire à quel point c'est important. Si nous parlons de modifier la Loi, je vous encourage vivement à inclure un volet formation pour tous les aspects, tous les éléments de notre système judiciaire.
    Comme je l'ai mentionné, nous avons formé 10 000 personnes à l'échelle du Canada. Nous l'avons fait récemment lors d'un sommet, le Sommet canadien sur l'exploitation sexuelle, où nous avons consacré une journée entière à la formation de policiers, de procureurs de la Couronne, de juges et de quiconque voulait participer à cette formation. Une partie de la formation consistait à écouter les témoignages de personnes autochtones: elles relataient leurs expériences à la police quant aux choses à faire, aux choses à ne pas faire et à certains des défis auxquels elles ont été confrontées.
    Je ne nie absolument pas que les Autochtones aient parfois eu des difficultés dans leurs rapports avec la police, mais je pense qu'une meilleure formation est nécessaire, et je crois que c'est possible. Nous avons été très encouragés par la participation d'environ 75 policiers, procureurs de la Couronne et juges à la formation de mai dernier. Ils étaient tous très favorables à la LPCPVE, que vous êtes en train d'examiner; ils voulaient simplement apprendre à mieux la mettre en œuvre et l'appliquer.
    Je vous remercie beaucoup.
    Vous avez également parlé un peu du rapport de recherche, puis vous avez manqué de temps. Est‑ce que le rapport contient des suggestions ou des mesures que les personnes qui ont répondu souhaitent voir dans la Loi?
    Encore une fois, nous n'avons pas posé de questions sur la Loi, mais je peux vous dire, au nom des personnes que je crois représenter lorsque nous communiquons les résultats de cette recherche, que de nombreuses personnes ont parlé des méfaits de l'achat de services sexuels et de la violence des acheteurs. Nous sommes certainement en faveur du maintien de cette disposition. La disposition de l'article 286.1 relative à l'achat de services sexuels doit rester telle quelle, compte tenu de ce que nous dit la recherche: ce sont les acheteurs, les proxénètes, les trafiquants et les exploiteurs qui causent la violence.
    Nous pensons que la loi protège les personnes qui subissent ce type de violence.
(1745)
    Merci.
    Merci, madame Dhillon.
    Je remercie nos témoins d'aujourd'hui. Vous nous avez tous éclairés sur tous les aspects de la question.
    Je vais maintenant lever la séance. Nous nous verrons à la prochaine réunion.
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