Bienvenue à la neuvième séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes. Conformément à la motion adoptée le mardi 8 février, le Comité se réunit pour examiner la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d'exploitation, la LPCPVE.
La réunion d'aujourd'hui se déroule dans un format hybride, conformément à l'ordre de la Chambre du 25 novembre 2021. Les membres sont présents en personne dans la salle et à distance, sur l'application Zoom. Les délibérations seront disponibles sur le site Web de la Chambre des communes.
Avant de commencer, nous allons condenser légèrement les groupes de témoins en deux groupes de 45 minutes. Comme nous avons quelques questions d'ordre administratif à régler, j'aimerais prévoir pour cela 20 ou 30 minutes à la fin de la réunion. J'espère que tout le monde est d'accord.
J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à nos témoins. Avant de vous donner la parole, je vais accorder cinq minutes à chaque groupe de témoins. Lorsque vous en serez à vos 30 dernières secondes, qu'on vous pose une question ou que votre temps soit écoulé, je vous montrerai une carte indiquant qu'il ne reste que 30 secondes. Lorsque vous n'aurez plus de temps, je vous montrerai une carte indiquant que le temps est écoulé. Je suis assez généreux, habituellement, mais je dois tout de même mettre fin à l'échange. Si vous avez besoin de terminer votre réponse, vous pourrez le faire lorsqu'on vous posera une autre question, mais essayez de ne pas dépasser le temps qui vous est alloué.
Pour le premier groupe, nous accueillons Melissa Lukings, titulaire d'un Juris Doctor, auteure et chercheuse, à titre personnel; nous accueillons Susan Davis, directrice de la BC Coalition of Experiential Communities; et du Centre for Gender and Sexual Health Equity, nous accueillons Shira Goldenberg, professeur adjointe et Andrea Krüsi, professeure adjointe, Département de médecine, UBC.
Chaque groupe disposera de cinq minutes, et nous commencerons par Melissa Lukings.
Bonjour. Je m'appelle Melissa Lukings. Comme vous venez de l'entendre, je viens d'obtenir mon diplôme de Juris Doctor de la faculté de droit de l'UNB. J'ai aussi un baccalauréat de l'Université Memorial de Terre-Neuve-et-Labrador. Toutes mes études, donc mes deux diplômes et mes dépenses courantes, ont été entièrement payées par le travail du sexe. Au total, j'ai 14 ans d'expérience du travail du sexe. Cela comprend l'expérience dans des salons de massage, la gestion d'un salon de massage, l'exploitation d'un site Web, ainsi que des années de travail indépendant. Pour ce qui est de la portée de mon expérience, elle couvre l'Ontario, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, l'Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve-et-Labrador.
Avant d'obtenir mon diplôme en droit, j'ai participé activement à la recherche sur le travail du sexe et à la défense des intérêts des travailleuses du sexe partout au Canada, plus particulièrement dans le cadre du Safe Harbour Outreach Project à Terre-Neuve, de SafeSpace à London, en Ontario, ainsi que de l'Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe.
En ce qui concerne l'exploitation, comme j'ai vécu des expériences d'exploitation sexuelle qui se chevauchaient, mais qui étaient différentes de mes expériences de travail du sexe, j'aimerais en parler également. J'ai terminé le cours sur la traite de personnes à des fins sexuelles et l'exploitation sexuelle offert par l'Arizona Trauma Institute, et j'ai également fait du bénévolat pour le Sexual Assault Crisis and Prevention Centre à Terre-Neuve.
J'aimerais souligner les dates. J'ai commencé à travailler dans l'industrie du sexe en 2008. Entre 2008 et 2014, lorsque le projet de loi est entré en vigueur, il s'est écoulé six ans, et de 2014 à 2020, lorsque la COVID‑19 est survenue, le travail a ralenti. Il s'est donc aussi écoulé six ans. J'ai donc travaillé six ans avant, il y a eu une année entre les deux et ensuite, six ans après...
Pour mettre les choses en contexte, j'étais travailleuse du sexe avant l'arrêt Bedford. J'étais travailleuse du sexe après Bedford, mais avant le projet de loi . J'étais travailleuse du sexe après l'adoption du projet de loi C‑36. J'ai vécu l'expérience de l'exploitation sexuelle. Je peux parler des questions juridiques du point de vue de la défense des droits et de l'expérience vécue dans le travail du sexe, en tant qu'employée, employeuse, annonceuse et indépendante — cela fait de moi une tierce partie — ainsi que de l'expérience vécue dans l'exploitation, encore une fois distincte du travail du sexe.
Très rapidement, j'aimerais parler de ce qu'est un témoin expert. Avant de rencontrer tout le monde aujourd'hui, j'ai mené — je ne dirais pas un examen approfondi — un examen en surface des antécédents de chacun. Comme la majorité d'entre vous semble avoir une formation en droit, j'aimerais que tout le monde repense un instant à l'époque où vous étiez à la faculté de droit et où vous appreniez tout ce qui entoure la preuve. Comme c'était un cours obligatoire pour nous, je suppose que ce l'était pour tout le monde. C'est un excellent cours. Vous souvenez-vous du cours sur la preuve?
En preuve, vous avez appris ce qui constitue un témoin expert. Il est ici question d'une perspective impartiale, évaluée par des pairs, publiée et de listes de qualifications. Il est difficile de trouver des témoins experts qualifiés pour les collectivités vulnérables. Il en a beaucoup été question à une époque. J'ai écrit un article à ce sujet. Il est inclus dans mon mémoire, que vous recevrez plus tard.
Que vient faire Paul Brandt dans tout cela? Il m'est impossible de ne pas en parler. Je ne comprends pas. Je ne sais pas qui l'a invité. Après mon enquête sur les antécédents des invités, j'ai ma petite idée, mais peu importe de qui il s'agit, il faut se rafraîchir la mémoire sur les preuves pertinentes et les témoins experts. Un musicien country qui est membre d'un groupe de lutte contre la traite de personnes n'a rien de pertinent à dire sur les répercussions des lois sur les travailleuses du sexe au pays. Cela n'a aucun sens.
Quand on invite un témoin expert, c'est quelqu'un qui est censé fournir de l'expérience et des connaissances qui ne peuvent être acquises sans son témoignage. Je pense que c'était une perte de temps de l'inviter, et cela m'a attristé qu'il ait été invité avant moi, parce que nous avons tous les deux présenté une demande.
Pour illustrer mon propos, j'aimerais vous présenter une métaphore.
Vous devez placer une affiche sur un babillard communautaire. Pour ce faire, on vous donne quelques punaises, une tâche assez simple. Cependant, plutôt que d'utiliser votre pouce pour enfoncer les punaises dans la planche, vous décidez d'utiliser votre perceuse à percussion à essence à usage industriel. Est‑ce que vous réussissez à enfoncer les punaises? Bien sûr. Cependant, ce faisant, cette perceuse à percussion détruit également le cadre du babillard. En prime, vous finissez par causer des dommages structurels extrêmes et importants au mur derrière. Obtiendrez-vous une récompense pour cette affectation? Non. Personne ne va vous donner de récompense pour avoir endommagé le babillard de la communauté, peu importe jusqu'où vous avez enfoncé vos punaises dans le babillard avant qu'il ne se brise et ne tombe du mur.
Votre méthode d'exécution de la tâche a‑t‑elle fini par créer un impact beaucoup plus important que ce que vous aviez prévu? Il semble que oui. Je suis certaine que si le mandat qui vous est confié consiste à afficher un avis sur un babillard à l'aide de punaises et que vous brisez complètement le babillard, personne ne vous attribuera de récompense.
Parlons de ces lois. Ciblent-elles la traite de personnes et l'exploitation sexuelle? Oui, tout comme nous avons ciblé l'avis et les punaises sur le babillard...
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Bonjour. Merci de m'accueillir ici aujourd'hui. Tout d'abord, je tiens à souligner que je me trouve sur les terres des trois grandes nations de Squamish, Musqueam et Tsleil‑Waututh.
Aux fins de ce témoignage, je représente la BC Coalition of Experiential Communities, un groupe de défense des droits et de recherche dirigé par des travailleuses du sexe. Je suis moi-même travailleuse du sexe depuis 36 ans, croyez‑le ou non. J'ai parfois de la difficulté à le croire, mais c'est vrai. Je vais commencer par supposer que vous avez lu mon mémoire et que vous comprenez que certains des renseignements que vous avez obtenus dans le cadre de témoignages devant le Comité sont faux et ne seraient pas admissibles en preuve devant un tribunal, et ne répondraient pas aux critères de l'Énoncé de politique des trois Conseils. Je serai heureuse de répondre à vos questions à ce sujet.
Je vais plutôt me concentrer aujourd'hui sur des recommandations qui pourraient faire en sorte que votre travail soit complet et qu'il produise les meilleurs résultats possible en matière de santé, de sécurité et de choix pour les travailleuses du sexe adultes et consentants au Canada.
Premièrement, en ce qui concerne la santé, le rapport de 2016 du gouvernement canadien à l'ONUSIDA souligne clairement la nécessité de supprimer les lois qui criminalisent le travail du sexe. Le Canada a également l'obligation internationale de s'attaquer à la criminalisation des personnes vulnérables au VIH et au sida, et je cite: « Les lois, telles que celles régissant le travail du sexe [...] peuvent discriminer en criminalisant des comportements ou des identités. » et « Les États ont l'obligation morale et légale de supprimer les lois discriminatoires et d'adopter des textes qui protègent les personnes contre la discrimination. »
Le Comité a entendu Justice Canada parler du nombre d'arrestations et des difficultés éprouvées par les services de police et les procureurs pour cibler l'exploitation. Ce comité doit aussi entendre le ministre de la Santé, l'Agence de la santé publique du Canada, le Service correctionnel du Canada, Affaires internationales et tous les responsables de l'initiative fédérale de lutte contre le VIH/sida au Canada. Les répercussions de la criminalisation sur la santé des travailleuses du sexe et les engagements internationaux du Canada à l'ONU sont essentiels à votre travail.
J'aimerais maintenant parler de la loi.
Les Canadiens et les témoins sont tous d'accord pour dire que les travailleuses du sexe ne devraient pas être criminalisées. Les policiers et les procureurs ont exprimé de la confusion quant à la façon de lutter contre l'exploitation. Ils disent que les lois sur la traite de personnes sont insuffisantes et mettent souvent en danger la sécurité de la victime. Le recours aux lois sur la prostitution est devenu la norme en l'absence de lois efficaces sur la traite des personnes. Il existe de nombreuses lois qui peuvent être utilisées pour lutter contre la violence à l'endroit des travailleuses du sexe sans avoir à recourir aux lois sur la prostitution. Les victimes de la traite de personnes existent dans de nombreuses industries, et non seulement dans le commerce du sexe.
Vous avez entendu parler de l'exploitation des jeunes et des enfants. La stigmatisation du travail du sexe s'étend également aux jeunes qui sont victimes d'exploitation sexuelle rémunérée. Un enfant dont l'exploiteur est accusé en vertu des lois sur la prostitution sera associé à la prostitution pendant toute sa vie. Les personnes qui émigrent au Canada et qui fuient les difficultés économiques, les changements climatiques, la discrimination et bien d'autres menaces sont également exposées à des risques si elles se livrent au travail du sexe. Elles pourraient être jugées interdites de territoire et être expulsées du pays si elles se font prendre. Il est donc impossible pour les travailleuses du sexe migrantes de signaler sans crainte des cas de violence lorsqu'elles en sont victimes ou d'avoir accès aux services de santé.
Malgré les fausses déclarations et les faux renseignements fournis au Comité, les meilleurs exemples de protection de la santé et de la sécurité des travailleuses du sexe se trouvent là où le travail du sexe a été décriminalisé. Une partie de la Prostitution Reform Act de la Nouvelle-Zélande vise à protéger les travailleuses du sexe et les enfants contre l'exploitation. Le 22 février, soit il y a un peu plus d'un mois, l'État de Victoria, en Australie, a également décriminalisé le travail du sexe pour protéger les droits et la sécurité des travailleuses du sexe et pour prévenir l'exploitation.
Le Canada doit s'acquitter de ses obligations internationales et s'attaquer à ces problèmes en abrogeant la LPCPVE dans son intégralité, en abrogeant les alinéas 183(1)b.1) et 196.1a) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, le RIPR, en envisageant des ajouts à l'article 279.01 du Code criminel pour mieux lutter contre l'exploitation ou la traite de personnes, veiller à ce que les ajouts à la Loi soient fondés sur des faits et rédigés en consultation avec tous les intervenants, et en mettant en œuvre une politique et des lignes directrices nationales sur les services de police qui mettent en évidence les droits des travailleuses du sexe et les modifications au Code criminel.
La vérité, c'est que nous sommes des gens de la classe ouvrière, des citoyens et des nouveaux arrivants qui essaient simplement de nous nourrir et de nous loger, nous et nos familles. Les commentaires à l'appui des lois qui nous interdisent de se trouver près des églises, des écoles et des parcs sont blessants et totalement discriminatoires. Nous avons des familles. Nos enfants vont à l'école. Nos croyances sont diverses. Nos enfants ne font pas de prostitution. Nous ne devrions pas être soumis à l'idéologie étroite d'un petit groupe très bruyant.
Les travailleuses du sexe qui migrent ne devraient pas être jugées interdites de territoire.
Les policiers demandent des outils plus efficaces pour lutter contre l'exploitation.
Je vous en prie, travaillez avec nous pour que soient respectées les obligations du Canada envers les travailleuses du sexe.
Merci.
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Merci, monsieur le président.
Bonjour à tous. Merci beaucoup de nous avoir invitées, Mme Goldenberg et moi-même, à participer aux audiences d'aujourd'hui.
Nous sommes toutes deux professeures adjointes au Centre for Gender and Sexual Health Equity de l'Université de la Colombie-Britannique, à Vancouver.
Je suis ici pour vous parler de notre étude empirique sur les répercussions de la LPCPVE sur la santé et la sécurité au travail, dont les résultats sont résumés dans notre mémoire.
Nous avons commencé notre étude longitudinale en 2010 grâce au financement accordé par les Instituts de recherche en santé du Canada et les National Institutes of Health des États-Unis. L'étude comprend une analyse qualitative des expériences vécues par les travailleuses du sexe et des tierces parties, ainsi qu'une cohorte épidémiologique de plus de 900 travailleuses du sexe cisgenres et transgenres actives dans divers milieux de la région métropolitaine de Vancouver.
Caractérisée par sa rigueur, son caractère prospectif et son éventail de méthodes, notre étude était particulièrement apte à évaluer empiriquement l'incidence de la LPCPVE sur la santé et la sécurité au travail des travailleuses du sexe. Nous avons tiré parti des données longitudinales recueillies auprès des mêmes participantes avant et après la mise en œuvre de la LPCPVE en décembre 2014. À notre connaissance, c'est l'étude la plus importante et la plus rigoureuse dont on dispose pour évaluer les répercussions de la LPCPVE sur la santé.
Notre étude souligne les éléments de la LPCPVE qui reconduisent les préjudices causés par des lois antérieures jugées inconstitutionnelles par la Cour suprême du Canada. Je rappelle que les conclusions de notre étude ont également été présentées en preuve dans l'affaire Bedford.
Je vais maintenant résumer très brièvement nos principaux résultats, qui ont tous été examinés par des pairs et publiés dans des revues scientifiques très réputées.
Nous avons constaté que, depuis la mise en œuvre de la LPCPVE, 72 % des participantes n'ont signalé aucun changement dans leurs conditions de travail. Elles ont donc continué à travailler dans des conditions inconstitutionnelles et dangereuses. Malheureusement, 26 % ont déclaré que leur situation avait empiré. Cette détérioration s'est traduite, entre autres, par une moindre capacité à filtrer les clients et à négocier les modalités des transactions, qui sont essentielles à des transactions sexuelles consensuelles. Les travailleuses du sexe immigrantes ont été beaucoup plus touchées par cette détérioration de la situation.
Les travailleuses du sexe continuent de se heurter à d'importants obstacles pour signaler les cas de violence à la police. Cela va à l'encontre de l'objectif de la LPCPVE qui est de faciliter le signalement de la violence, comme le prévoit le préambule. Selon les résultats de l'analyse de l'accès à la justice sur neuf ans, les taux de signalement de la violence ne se sont pas améliorés depuis la mise en œuvre de la LPCPVE. Seulement 26 % des travailleuses du sexe victimes de violence ont fait un signalement à la police. Des pourcentages ahurissants de 87 % des travailleuses du sexe immigrantes racialisées et de 58 % des travailleuses du sexe nées au Canada n'ont pas signalé les cas de violence à la police.
Notre étude a également permis de souligner les effets négatifs de la criminalisation des clients et des dispositions en matière de communication. Parmi les mécanismes par lesquels la criminalisation et le ciblage des clients influent sur les conditions de travail des travailleuses du sexe, nous avons circonscrit notamment les obstacles à la présélection des clients et à la négociation des modalités des transactions, ainsi que le déplacement vers des zones isolées.
Notre étude, comme d'autres études importantes de la professeure Bruckert au Canada, démystifie largement le rôle des tierces parties. Nous avons démontré que les mesures de soutien en matière de sécurité et d'administration prises par des tiers sont liées à l'amélioration de l'accès à la santé et à la sécurité au travail, mais les résultats indiquent que, depuis la mise en œuvre de la LPCPVE, la possibilité, pour les travailleuses du sexe, d'avoir accès à des mesures de soutien par des tiers a été réduite de 31 %.
Enfin, nos résultats indiquent que, depuis l'adoption de la LPCPVE, les travailleuses du sexe ont vu leur accès aux services de santé diminuer de 41 % et leurs possibilités d'accès aux services communautaires, de 23 %.
En conclusion, les données sur la santé publique au Canada et à l'étranger sont sans équivoque. La criminalisation du travail du sexe compromet la santé, la sécurité et les droits des travailleuses du sexe. Des universitaires prohibitionnistes font valoir que le travail du sexe normalise la violence et les inégalités entre les sexes. Mais les ouvrages publiés sur la santé publique donnent à penser que c'est en fait la criminalisation qui en est la cause, parce qu'elle détériore les conditions de travail des travailleuses du sexe en restreignant l'accès à la justice et en renforçant la marginalisation de personnes déjà marginalisées, notamment des Autochtones, des personnes assujetties aux restrictions de la politique d'immigration et de celles qui travaillent dans la rue.
Nos résultats militent donc en faveur de l'abrogation complète de toutes les dispositions de la LPCPVE.
Merci.
Je voulais parler de l'exploitation qui caractérise les relations entre les parties et non des relations entre une travailleuse du sexe et son client; je parle des relations entre la travailleuse du sexe et une tierce partie. Cela recouvre souvent des affaires de violence familiale, de sorte que la solution, si on veut des solutions pratiques, et c'est notre cas, consiste à abroger complètement la LPCPVE et à instituer l'infraction de contrôle coercitif, qui a été proposée hier soir ou aujourd'hui, je crois, et qui criminaliserait le contrôle coercitif d'une personne sur une autre, en visant la relation d'exploitation.
Nous avons déjà les lois sur la traite des personnes et les agressions sexuelles. La décriminalisation et l'infraction du contrôle coercitif nous permettraient de viser juste, sans préjudice pour d'autres, et on réglerait ainsi le problème en aidant celles qui ont besoin d'aide sans nuire aux autres.
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Vous avez pris connaissance de nos antécédents. Vous avez probablement noté que j'ai exercé le métier d'avocat pendant 30 ans, dont les 15 dernières années comme procureur de la Couronne. Je suis très fier de m'être occupé de nombreux cas de traite d'enfants et d'adultes et d'autres cas d'exploitation d'enfants, pas tellement en matière de prostitution, mais il y a un lien entre la traite et la prostitution en vertu de la loi actuelle.
Vous avez passé un moment à parler des experts en général. Les mots que je vais employer sont les miens. Que vous soyez d'accord ou non, vous critiquez beaucoup le témoignage de M. Brandt.
Comme vous le savez, nous avons entendu de très nombreux témoins, et je peux vous assurer qu'aucun d'entre eux n'a été qualifié de témoin expert au sens traditionnel du terme. Nous ne sommes pas un tribunal. Les témoins n'étaient pas des experts au sens juridique de ce qu'un expert est censé apporter à un comité comme le nôtre, mais tous ceux que nous avons entendus dans des affaires comme la vôtre nous ont donné non seulement une perspective théorique, mais nous ont aussi rendu compte d'une expérience vécue.
Quant à M. Brandt, pour sa défense — bien qu'il puisse très bien parler en son propre nom —, son témoignage nous a été utile en ce sens qu'il nous a permis d'avoir un descriptif complet des avantages et des inconvénients de ce projet de loi.
Je sais que vous ne voyez pas d'autre solution que l'abrogation complète de la LPCPVE, et vous avez également parlé de quelque chose qui est présenté à la Chambre aujourd'hui ou le sera sous peu pour offrir une certaine protection aux travailleuses.
Au final, le Comité est chargé de décider s'il va recommander que la loi soit reconduite avec ses forces et ses faiblesses ou qu'elle soit modifiée, nuancée, ajustée, etc.
À ce sujet, si le Comité en vient à conclure qu'il ne convient pas d'abroger la LPCPVE, J'aimerais connaître votre point de vue sur les amendements ou les types d'ajustements qu'il faudrait envisager pour instaurer un juste équilibre entre la réduction de la demande globale et la protection des personnes exploitées.
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Si vous n'êtes pas disposés à l'abroger intégralement, il y a une solution facile, qui consiste à éliminer le préjudice le plus évident. Il s'agirait d'éliminer les dispositions relatives à la publicité, à la communication, à l'achat de services sexuels et au proxénétisme, ainsi qu'aux avantages matériels de tierces parties. Ce sont les plus évidentes.
Il y a d'autres enjeux, mais je pense que nous pouvons tous convenir que ce sont les dispositions fondamentales sur le travail du sexe qui causent le plus de problèmes dans la LPCPVE. Les dispositions concernant les avantages matériels, la publicité, l'achat de services, la communication et le proxénétisme devraient certainement être abrogées. Je pense que ce serait la réponse la plus évidente.
Je peux vous parler de la situation six ans avant et six ans après. Avant la LPCPVE, aucune de mes compagnes n'est morte. Depuis la LPCPVE, nous en sommes, je crois, à sept ou huit maintenant. C'est absurde. Si cette loi est censée aider les gens et non leur nuire, comment se fait‑il que des gens meurent parce qu'ils craignent de signaler un incident à la police? Ce sont des questions extrêmement importantes. On parle de la vie des gens.
À mon avis, le strict minimum est d'abroger ces dispositions principales. L'idéal, si vous voulez le A+, est de décriminaliser. Absolument.
Je suis une profane — comme nous le sommes tous en quelque sorte — qui travaille sur ces questions par défaut, parce que je suis une travailleuse du sexe et que cela s'applique à moi. Mes amies sont également décédées. Je suis avec Melissa. Ce n'est pas une blague pour nous. Ce n'est pas une question d'idéologie. Cela est censé concerner la sécurité de ma communauté. C'est pourquoi j'ai de la difficulté avec certaines de ces choses.
D'après ce que j'ai lu, le collectif des prostituées de la Nouvelle-Zélande a collaboré avec tous les intervenants, y compris avec la police. Elles ont élaboré un cadre juridique qui protégerait les gens contre l'exploitation et veillerait à ce que les exploitants d'entreprise aient les outils dont ils ont besoin pour traiter leurs employés de façon équitable. Elles ont élaboré la Prostitution Reform Act.
Peu de temps après, le nombre de salons de massage et de bordels enregistrés, peu importe comment vous voulez les appeler, a légèrement augmenté. Cela a diminué au fil du temps. Beaucoup de gens pensent qu'il est facile d'ouvrir une entreprise du sexe. Ce n'est pas le cas. C'est un travail exténuant et horrible, et on travaille très tard. Par horrible, j'entends les heures tardives, le fait de ne pas avoir le temps de cuisiner pour soi-même, la fatigue constante et ce genre de choses.
Au début, il y a eu une augmentation du nombre de places enregistrées, mais ce nombre a ensuite un peu diminué. De plus, les estimations du nombre de travailleuses du sexe en Nouvelle-Zélande sont devenues plus claires, et ce nombre était en fait inférieur à ce qu'on pensait.
C'est la même chose pour les jeunes qui risquent de se livrer à la prostitution. On a largement réussi, en se montrant ouvert à l'égard des exploitants d'entreprise et des travailleuses du sexe en général, à repérer des jeunes à risque et à intervenir avant qu'ils soient exploités. On a également réussi à réorienter les ressources vers un meilleur soutien aux jeunes.
Au Canada, nous devrions savoir mieux que quiconque que nous devons faire mieux pour les jeunes et leur offrir des choix pour qu'ils ne se retrouvent pas dans une situation où ils aient l'impression que c'est la seule porte de sortie. On n'en a pas tenu compte dans ces dispositions. On en parle seulement quand ils sont exploités. Eh bien, pourrait‑on faire un peu de prévention?
Je pense que l'une des leçons importantes à tirer de l'expérience de la Nouvelle-Zélande, c'est le dialogue. Là‑bas, on circonscrit et on essaie de régler les problèmes à mesure qu'ils se présentent. Certaines municipalités, par exemple, ont vraiment hésité à adopter la loi dans son intégralité et ont créé des zones interdites et des choses comme cela. Cela va à l'encontre de l'esprit et de l'objet de la loi, qui est en partie de prévenir l'exploitation des travailleuses du sexe et des enfants en Nouvelle-Zélande.
J'espère vous avoir donné un début de réponse. C'est un rapport très complet, et j'en déposerai effectivement le résumé pour que le Comité puisse l'examiner.
Quand je choisis mes clients... J'ai beaucoup de chance. Après 36 ans, j'ai une clientèle nombreuse et régulière. Je connais bien la plupart de mes clients. C'est la question. Si on ne peut pas choisir les clients et qu'on a du mal à en trouver, chaque client est une nouvelle personne, et on ne sait pas à quoi s'attendre. Le filtrage est presque impossible sous ce régime juridique. Les clients ne veulent pas donner leur nom complet. Ils ne veulent pas risquer leur famille, leur emploi ou leur vie dans un processus de filtrage parce qu'ils ont peur d'être visés par cette loi.
Pour celles qui travaillent dans la rue, cela signifie qu'il faut sauter dans la voiture et partir avant d'avoir négocié les conditions. Auparavant, on pouvait se pencher par la vitre de la voiture pour voir si le client avait un kit de viol et s'il était sobre. Aujourd'hui, on négocie sa sortie une fois dans la voiture.
Quant aux clients qui viennent chez moi, je veux savoir qui ils sont avant leur arrivée. Ma maison est l'endroit le plus sûr — comme les salons de massage lorsque j'y travaillais — parce que c'est chez moi. Aller à l'hôtel ou chez un client reste extrêmement risqué, comme c'était le cas avant l'arrêt Bedford. J'ai témoigné dans cette affaire. Je mène cette bataille depuis 20 ans cette année, et c'est vraiment triste en un sens.
La criminalisation des acheteurs de services sexuels n'aide en rien la situation. Ils sont un allié essentiel dans la lutte contre l'exploitation. La police de Vancouver vous dira que, durant l'opération qui a permis d'attraper 47 hommes qui tentaient d'acheter des services auprès d'une adolescente, elle a reçu des appels de clients qui disaient: « Il y a une adolescente qui fait de la publicité pour des services sexuels sur LeoList. » Ils essayaient de référer cette adolescente, qui était en fait une policière, à l'unité de lutte contre l'exploitation. Les clients ne sont pas des croquemitaines.
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Merci, monsieur le président.
J'aimerais poser quelques questions à Mme Davis, car je ne suis pas certain de comprendre sa position. Je crois comprendre de son témoignage qu'elle déplore le fait que les clients, ou les acheteurs, soient pénalisés, car cela pose problème à la prostituée.
D'ailleurs, je vais faire une parenthèse. On m'a averti à plusieurs reprises que le concept de travailleur du sexe englobait beaucoup de gens et de réalités. Cela inclut la prostituée ou le prostitué, mais aussi le proxénète, c'est-à-dire la personne qui gère les affaires de la prostituée, ainsi que le garde du corps, le chauffeur, et ainsi de suite. Or, on ne veut peut-être pas que les mêmes règles s'appliquent à tous ces gens. Je tiens donc à préciser à Mme Davis et aux autres témoins que je vais utiliser les mots « prostituée » et « prostitué » sans mauvaise intention, sans vouloir être dur envers quiconque. Je veux que ce soit clair.
Madame Davis, selon ce que j'ai compris, présentement, la prostituée ou le prostitué ne commet pas un acte criminel, mais le client, oui. Vous dites qu'il faudrait probablement retirer cette interdiction, puisque cela permettrait à la prostituée de discuter avec son client avant de se retrouver seule avec lui.
Si on décriminalise l'achat de services sexuels, quelles interdictions restera-t-il? Selon vous, qu'est-ce qu'on devrait continuer de considérer comme des actes criminels?
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Madame Davis, je dois vous interrompre de nouveau et j'en suis désolé. Mon temps de parole était seulement de six minutes, et j'imagine qu'il ne m'en reste plus que trois, environ. Je vous remercie de votre réponse.
Madame Lukings, tantôt, vous avez mentionné que des gens avaient peur de se tourner vers la police. Vous avez aussi dit que certaines personnes avec qui vous travailliez ou dont vous étiez l'amie étaient décédées. Tout cela est très triste, et personne ne s'en réjouit, évidemment.
À votre avis, comment peut-on régler la situation? Est-ce que vous pensez, vous aussi, qu'il faudrait légaliser tout ce qui concerne la prostitution? Êtes-vous plutôt d'avis qu'il faudrait légaliser seulement l'achat de services sexuels, ou encore qu'il ne faudrait rien légaliser du tout? Comment voyez-vous cela?
J'aimerais que vous me disiez concrètement, en une minute, ce qui devrait être légalisé et ce qui devrait être interdit.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci à tous les témoins d'être parmi nous aujourd'hui.
Quant à savoir ce qu'est un témoin expert, je crois que nous avons ici aujourd'hui des personnes qui ont à la fois de l'expérience vécue et de l'expérience en recherche universitaire et qui pourraient être qualifiées de témoins experts selon n'importe quelle définition.
J'aimerais m'adresser à vous, mesdames Krüsi et Goldenberg, au sujet de ce que beaucoup de témoins nous ont dit. Le problème vient‑il seulement de certaines dispositions de la LPCPVE ou du cadre général de la loi? D'après vos recherches universitaires, à quoi attribuer le préjudice? Pourrait‑on régler la question en modifiant seulement quelques éléments, ou est‑ce le régime général de la LPCPVE qui est en cause?
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Permettez que je réponde ici.
Oui, nous sommes tout à fait d'accord avec nos collègues. Nous pensons que c'est le cadre général qui pose problème. À notre avis, cette loi, comme bien d'autres lois semblables à l'étranger et comme celles qui l'ont précédée au Canada, s'appuie sur cette confusion entre travail du sexe et traite ou exploitation, qui repose en grande partie sur des croyances stigmatisantes et sur des connaissances souvent inexactes.
Nos constatations confirment vraiment que les diverses dispositions de la loi dans sa forme actuelle créent toutes des inégalités en matière de santé et des obstacles à la sécurité et à l'accès aux services de santé pour les travailleuses du sexe, et nous sommes donc tout à fait d'accord avec nos collègues pour préconiser l'abrogation complète de la loi.
Madame Krüsi, voulez-vous ajouter quelque chose?
J'aimerais m'adresser à vous, madame Davis. Au cours de ces audiences, nous avons souvent entendu des témoins dire que, si on définit tout le travail du sexe comme de l'exploitation, on passe à côté de l'exploitation réelle, et que, si on définit tout le travail du sexe comme violent, on passe à côté de la véritable violence.
Madame Davis, compte tenu de votre expérience, quel est votre avis?
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Je pense que l'expérience de Vancouver est très importante à cet égard, et même si notre stratégie policière n'est pas parfaite, loin de là, elle a permis de libérer des ressources pour lutter contre l'exploitation et de ne pas viser indistinctement tout le secteur d'activité en lançant le filet à l'aveugle pour voir si on peut trouver des victimes de la traite des personnes, comme on l'a fait avant les Jeux olympiques.
Avant les Jeux olympiques, on a pris beaucoup de mesures contre la traite des personnes. La police a fait des descentes dans 68 centres d'amélioration de la santé où toutes les travailleuses du sexe étaient asiatiques. Ils n'ont trouvé aucune victime de traite des personnes et ont détenu et expulsé des centaines de femmes. Trois travailleuses du sexe asiatiques de Vancouver ont été assassinées l'année suivante. La corrélation directe est là.
Je crois qu'il faut prendre un peu de recul et comprendre qu'il y a effectivement de l'exploitation et qu'il doit y avoir une façon d'y remédier sans sacrifier les droits des travailleuses du sexe, ce qui est illégal en vertu de la Charte: on n'a pas le droit de compromettre les droits d'un groupe pour en protéger un autre. De plus, les adolescentes ne sont pas des « travailleuses du sexe ». Elles sont « exploitées ». Je pense que cette étiquette a à voir avec nos obligations dans le cadre de l'ONUSIDA, à savoir que nous sommes censés éliminer ce genre de lois discriminatoires, de vocabulaire discriminatoire, etc.
Quant à moi, je répète qu'il faut prendre du recul et, comme toutes mes cohortes le disent, discuter avec les travailleuses du sexe pour élaborer une stratégie qui assurera notre santé et notre sécurité et qui libérera toutes les ressources actuellement employées à des opérations horribles comme Operation Northern Spotlight, qui est une action généralisée et un gaspillage de ressources. Si on veut vraiment lutter contre l'exploitation, il faut investir là où cela compte et travailler à des stratégies qui ont fait leurs preuves.
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Merci, monsieur le président.
Merci à tous les témoins de leurs témoignages. C'est très instructif et intéressant.
Madame Davis, j'aimerais vous poser une question.
À la fin de votre témoignage, vous avez dit que le Canada, pour respecter ses obligations internationales, devrait abroger la LPCPVE. J'aimerais que vous nous en disiez un peu plus à ce sujet, étant donné que le Canada a signé le Protocole de Palerme, qui prévoit, entre autres, que le Canada « adopte [...] des mesures législatives [...] pour décourager la demande » et « adopte les mesures législatives et autres nécessaires pour conférer le caractère d'infraction pénale [...] ».
Comment cela cadre‑t‑il avec l'abrogation de la LPCPVE? Il me semble que la LPCPVE fait précisément cela, décourager la demande et viser cet objectif, conformément au protocole de Palerme.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie les témoins d'aujourd'hui. Vous avez fait d'excellents exposés.
Très franchement, cela fait maintenant plusieurs semaines que nous écoutons cela. Je dois dire que vos témoignages apportaient un point de vue un peu différent et un peu plus éclairé sur cette question, et je tiens vraiment à vous remercier toutes pour cela.
Vous recommandez toutes la décriminalisation, mais vous savez toutes que nous avons des problèmes dans notre société. Nous savons tous qu'il y a de l'exploitation et que cela continuera. Il y a la traite des personnes, etc.
J'aimerais savoir, madame Goldenberg ou madame Krüsi, comment, selon vous, on pourrait lutter contre ces autres problèmes et en quoi ils ont un lien avec la LPCPVE, le cas échéant.
J'aimerais vous entendre à ce sujet.
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Ce qui serait cohérent avec notre plaidoyer en faveur de l'abrogation de ces dispositions en raison du cadre qui, selon nous, les sous-tend et des difficultés qu'elles soulèvent globalement... Mais, si le Comité est en train de débattre de dispositions particulières, je suis d'accord avec nos collègues au sujet des dispositions concernant la communication, la publicité, les choses qui constituent des obstacles à la collaboration avec des tiers.
En même temps, les dispositions concernant les clients sont extrêmement compliquées. Dans une étude dirigée par Mme Krüsi, par exemple, des participantes ont dit carrément que, quand on criminalise le client, on criminalise automatiquement la travailleuse du sexe. En n'abrogeant pas cette disposition, on perpétuerait en quelque sorte les dispositions antérieures qui ont été invalidées, et c'est essentiellement ce que la recherche révèle au sujet de cette disposition.
C'est une question difficile, mais c'est mon point de vue compte tenu des données scientifiques.
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Merci, monsieur le président.
Ma question s'adresse à Mme Lukings.
J'écoutais votre témoignage, tantôt. Selon vous, il faudrait décriminaliser la prostitution.
À votre avis, si on le faisait, si on retirait les infractions déjà prévues au Code criminel, devrait-on, par ailleurs, instaurer un certain nombre de normes que les travailleurs et les travailleuses du sexe devraient respecter?
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J'ai une dernière question à vous poser, si vous me le permettez. Je suis désolé de vous interrompre, je sais que je suis impoli, mais je n'ai pas le choix.
Feriez-vous une distinction entre les différents types de prostitution?
Par exemple, on me parle souvent de prostitution de fin de mois, c'est-à-dire que certaines personnes vont se prostituer à la fin du mois pour acheter de la nourriture ou prendre soin de leurs enfants, notamment. D'autres, qui ont des problèmes de dépendance, font ce qu'on appelle de la narcoprostitution.
À votre avis, existe-t-il des types différents de prostitution et devrions-nous en tenir compte dans notre analyse? Le cas échéant, le traitement devrait-il être différent selon le type de prostitution?
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Je voudrais simplement ajouter que Statistique Canada ne fait pas entrer en ligne de compte les personnes qui ne signalent pas la violence. Nos données en tiennent compte. Je pense que c'est très important.
Nous avons constaté que seulement 26 % des travailleuses du sexe qui sont victimes de violence le signalent, comme le prévoit la LPCPVE. Notre recherche qualitative nous en donne les raisons. C'est à cause de la criminalisation qui continue. Les travailleuses du sexe sont inquiètes, mentalement même, de leur sécurité. Elles hésitent à signaler la violence à la police par crainte que leurs dénonciations soient utilisées par la suite contre elles dans le cadre d'activités d'application de la loi. Dans le contexte d'une stigmatisation structurelle continue, les travailleuses du sexe ont l'impression que leurs dénonciations d'actes violents ne sont pas prises au sérieux et que, le travail du sexe étant supposé intrinsèquement dangereux, elles sont minimisées.
Dans le cas de personnes inquiètes de leur statut d'immigrant, c'est un énorme obstacle à surmonter que de prendre l'initiative de dénoncer la violence.
Merci de votre attention.
À ma montre, j'ai compté 41 secondes.
Je pense qu'il est important de reconnaître que nous sommes tous ici aujourd'hui parce que nous convenons qu'il importe de protéger les victimes de violence et les survivants. Il est cependant très clair que nous ne sommes pas d'accord sur la meilleure voie à suivre pour mettre fin à la violence faite aux femmes et aux filles, en particulier celles d'origine autochtone.
Je pense qu'il est également important de reconnaître que, quand il est question du modèle néo-zélandais ou du modèle nordique, il s'agit de réglementer la prostitution. La LPCPVE elle aussi implique un ciblage de la prostitution ou du travail du sexe à plein temps. Bien que le ministère de la Justice tente de l'appliquer à d'autres genres de travail du sexe, nous avons très peu entendu parler des effets que la LPCPVE aurait eu sur ces autres métiers, comme l'effeuillage.
Je parle d'expérience, ayant travaillé dans diverses régions du Canada et dans certains États américains. J'ai travaillé comme escorte pour des agences, comme indépendante et comme effeuilleuse.
Je pense qu'une histoire personnelle est utile pour comprendre mes expériences en tant que travailleuse du sexe.
Quand j'ai commencé à parler de mon expérience de travailleuse du sexe, je prenais beaucoup de risques. Le premier risque, c'est d'être à tout jamais connue comme personne qui a travaillé dans l'industrie du sexe. Il n'y a pas de retour en arrière.
Le deuxième risque, c'est que les gens utilisent souvent mes antécédents de travailleuse du sexe pour me réduire au silence. Des personnes qui désapprouvaient ont rattaché mon nom de travailleuse du sexe et des photos de moi, nue et demi-nue, à ma véritable identité. C'est ce qu'on appelle souvent le déplacardage des travailleurs du sexe. Les risques sont très réels. C'était une atteinte à ma vie privée et à ma sécurité. Je vis aujourd'hui dans la crainte que ces photos puissent être et soient utilisées contre moi pour compromettre encore plus ma vie privée et ma sécurité.
Quand ce déplacardage est survenu, je me suis adressée à la police. J'avais peu de recours, voire aucun, et aucune accusation n'a été portée. Les policiers ne savaient pas trop comment traiter cette plainte, ni quels torts m'avait été causés. Je me sentais très seule et isolée.
Aujourd'hui, je suis avocate. Je compare cette expérience passée à un incident survenu récemment pendant que j'exerçais mon rôle d'avocate.
En plein milieu d'une audience de cautionnement, j'ai reçu un courriel d'un individu qui conservait mes autophotos — qui n'avaient rien de sexuel — depuis environ deux ans. Il me les a envoyées, accompagnées d'un message sexuellement très explicite. Je me sentais violée. J'ai continué de remplir mon rôle d'avocate de la défense jusqu'à la fin de l'audience, puis je me suis assise dans l'arrière de la salle en attendant l'arrivée d'un gardien. J'ai demandé à lui parler, et nous sommes allés dans une salle attenante pour parler en privé. J'ai immédiatement fondu en larmes. Je lui ai montré le courriel et il l'a pris très au sérieux. Il a pris des notes détaillées et m'a assuré que la police ferait un suivi auprès de moi, ce qui a été fait. J'ai dû embaucher mon propre enquêteur. J'en ai choisi un qui connaissait bien le milieu du travail du sexe parce que j'avais l'impression que l'auteur du courriel était peut-être un ancien client. Nous n'avons pas pu trouver d'autres renseignements pour l'identifier, si ce n'est qu'il vivait probablement aux États-Unis.
La seule différence entre ces deux événements, c'est que je suis maintenant avocate. Tout à coup, des ressources ont été mobilisées, j'étais devenue crédible, les torts que j'ai subis ont été reconnus et confirmés.
Je raconte cette histoire pour montrer à quel point, pour ceux qui pourraient s'identifier comme travailleurs du sexe actuels ou anciens, l'idée de justice est hors de portée. La LPCPVE y contribue également.
Cela dit, j'aimerais attirer votre attention sur la partie de mon mémoire portant sur l'analyse quantitative et qualitative. Je pense qu'il y a des discussions semblables ici aujourd'hui au sujet des données et de la protection accordée à tel ou tel groupe de personnes, mais l'arrêt Bedford établit clairement que l'analyse d'une violation de la Charte ne tient pas compte du nombre de personnes qui bénéficient de l'effet salutaire d'un projet de loi ou d'une loi éventuellement non conforme à la Charte. Les avantages pour un groupe, pas plus que la mesure dans laquelle une loi atteint ses objectifs, ne sont pas pris en compte dans l'analyse de conformité à la Charte.
Il me semble, d'après les observations de l'organe gouvernemental chargé de proposer et de formuler cette réponse législative à l'arrêt Bedford... à tout moment, savait ou on aurait dû savoir que la loi n'était ou n'est pas conforme à l'esprit et à la finalité de l'arrêt Bedford. Il me semble également que le Comité accorde une importance à ce que ces données et avantages accessoires à la façon dont la LPCPVE atteint ses objectifs et dont un groupe en bénéficie. L'arrêt Bedford établit clairement que cela n'a pas d'importance dans une analyse en vertu de l'article 7 de la Charte.
Merci de votre attention.
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Merci de m'accueillir aujourd'hui. Je suis ici pour vous parler de mon expérience de la traite des personnes.
Mes parents étaient adolescents lorsque je suis née, et le fait de grandir en même temps qu'eux a comporté des défis particuliers. Jusqu'à ce que mes parents divorcent, j'étais une bonne élève qui se comportait bien la plupart du temps. Lorsque mes parents se sont séparés, les choses ont changé. Je suis entrée en quatrième année dans une nouvelle école, avec un enseignant qui était constamment sur mon dos. Je faisais également tout pour attirer l'attention de mes parents et les détourner de leur vie amoureuse.
J'ai fini par vivre avec ma mère et mon beau-père, et peu importe mes agissements, j'étais constamment étiquetée comme une menteuse qui n'avait jamais le bon comportement. Plus je voulais attirer l'attention, moins on semblait se soucier de moi. Après un certain temps, j'ai obtenu ce que je voulais et j'ai emménagé avec mon père, mais il avait déjà refait sa vie, avec d'autres enfants et une nouvelle conjointe. Mon comportement rebelle n'était pas le bienvenu chez lui.
Après un certain temps, j'ai emménagé avec ma grand-mère et j'ai commencé à fréquenter une nouvelle école secondaire en ville. Au cours de ma première semaine à cette école, j'ai rencontré un groupe de filles. Au début, on se moquait de moi parce que j'étais la moins expérimentée du groupe. J'ai commencé à faire l'expérience de la drogue, et environ une semaine après mon entrée à l'école, je sautais déjà tous mes cours. Mes nouvelles amies se vantaient de faire partie de gangs. Elles m'ont initié aux drogues, à la cigarette et à l'abus d'alcool. Nous ne nous contentions pas de faire la fête les fins de semaine; nous la faisions tous les jours.
Un jour d'automne, un virage important s'est produit. Je n'oublierai jamais la première fois où j'ai été victime de traite de personnes. Certaines de mes amies sont venues me chercher chez moi un samedi matin. Je me suis mise à vomir peu de temps après et on m'a ridiculisée. J'ai fini par accepter mon nouveau sort et un jour, alors que j'étais assise avec quelques filles et qu'il y avait plein de drogue et une arme sur la table devant moi, une d'elles a pris l'arme et l'a pointée sur ma tête en me demandant si je pensais que quelqu'un se soucierait que je meure, parce que je n'étais plus qu'une prostituée.
Pendant la période de Noël cette année‑là, je me suis réveillée dans une maison servant au trafic de la drogue, avec des gens frappant à la porte à la recherche de leur dose. Les mois suivants sont flous. J'étais toxicomane et je me déplaçais constamment. La dernière fin de semaine où j'ai été victime de traite, j'ai été battue assez violemment, mais cela n'a pas empêché qu'on me remette au travail. Personne ne se souciait du fait que j'avais les deux yeux au beurre noir et le nez cassé, ou que mes lèvres étaient si enflées et meurtries que je ne pouvais même pas fermer la bouche. Je n'étais plus considérée comme un être humain, mais plutôt comme une coquille vide.
Lorsque je suis rentrée chez moi pour me laver, il y avait des policiers et un travailleur social qui m'attendaient pour me conduire à un foyer de groupe. À ce moment‑là, je n'ai pas eu l'impression d'être sauvée. J'étais plutôt terrifiée. J'ai quitté la ville et seul le personnel qui s'occupait de moi connaissait mon histoire. J'ai pris un nouveau départ, avec des règles, de la stabilité et des gens qui se souciaient de moi, et j'ai fait mon chemin.
Des années plus tard, j'ai appris que non seulement les responsables du foyer de groupe, mais ma famille, s'étaient fait dire que je me prostituais. À 14 ans, on m'avait conditionnée à croire que ce choix était le mien. Je n'ai pas eu l'impression qu'il y avait une justice. Je n'ai pu rien faire contre les gens qui m'ont vendue ou qui m'ont achetée. Aucune option ne m'a été donnée, et je ne me suis pas sentie protégée.
Je suis parmi les chanceuses qui peuvent dire aujourd'hui que leur vie a radicalement changé. J'ai survécu. Il m'a fallu des années pour digérer le fait que j'ai été victime de la traite de personnes. Ces années de recherche sur moi-même ont été marquées par des traumatismes, mais j'ai trouvé ce que je valais et je suis maintenant la mère de deux belles filles. Même si c'est mon travail de les protéger farouchement, je me demande qui est responsable de protéger les filles comme moi, qui se retrouvent sans repères et sans personne pour les défendre.
La vie est précieuse. Je suis profondément convaincue qu'aucun d'entre nous ne mettrait son argent à la banque sans système de sécurité, alors pourquoi laisse‑t‑on des vies être dérobées sans répercussions?
J'ai l'impression que je n'ai pas utilisé mes cinq minutes.
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Je vais soulever trois points. Le premier concerne l'acquisition de connaissances. Le deuxième a trait à la source du préjudice causé par la prostitution. Le troisième découle de ce que j'ai appris en faisant de la recherche pendant trois mois en Nouvelle-Zélande.
Notre perception habituelle du monde est patriarcale. À moins d'avoir été en contact avec les théories féministes et de travailler constamment à désapprendre les mensonges qui nous ont été enseignés, c'est le cadre que nous utilisons pour comprendre le monde. Cela signifie que la majorité d'entre vous utilise un cadre patriarcal pour comprendre la prostitution.
Avant 1983, les hommes au Canada pouvaient violer leur épouse sans être inquiétés, parce que le Canada avait décidé que l'acte sexuel était un droit pour les hommes — les maris — et que les femmes — les épouses — étaient obligées de se plier à leurs demandes. Le viol dans le mariage a été criminalisé parce que les féministes se sont battues pour qu'il le soit. Les féministes savaient que les actes sexuels n'étaient pas un droit pour les hommes et que les femmes n'étaient pas obligées de se plier à leurs exigences.
Je vais vous faire une petite démonstration ici d'une façon d'aborder les questions sociales. À la base, nous avons des valeurs et des croyances fondamentales. Ces valeurs fondamentales influencent notre vision et les stratégies que nous utilisons pour apporter des changements. Si nous prenons l'exemple de la prostitution par rapport au travail du sexe, nous pouvons voir que...
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D'accord. Merci. Je vais sauter quelques passages.
Si vous croyez que le sexe est un travail, alors vous croyez que les actes sexuels sont un droit pour les hommes et que les femmes sont obligées de se plier à cela. Cependant, au lieu de mariage, il s'agit plutôt d'un contexte de prostitution. C'est pour cela que la perception du travail du sexe est intrinsèquement patriarcale.
Mon deuxième point porte sur la source du préjudice causé par la prostitution. La source du préjudice dans la prostitution, ce sont les hommes et les actes sexuels qu'ils exigent des femmes. Parmi les autres préjudices, il y a le fait d'être poignardée, tuée par balle, battue et ainsi de suite. Je suis certaine qu'il y a des jours où bon nombre d'entre vous n'ont pas envie de venir travailler et d'accomplir leurs tâches, mais le font quand même pour ne pas être congédiés et parce qu'ils ont besoin de gagner leur vie. Lorsque nous décidons que le sexe est un travail, cela signifie qu'il y a des femmes qui se rendent au travail, qui n'ont pas le goût de le faire, mais qui le font quand même, parce qu'elles ne veulent pas être congédiées et parce qu'elles doivent gagner de l'argent. La seule différence est que les tâches dans ce cas sont des actes sexuels non désirés, comme des fellations et des pénétrations anales, et non pas la rédaction de rapports administratifs ou la participation à des réunions.
Les femmes qui se livrent à des actes sexuels avec des hommes qu'elles ne désirent pas sexuellement subissent des préjudices psychologiques, émotionnels et physiques. Nous appelons cela un viol ou une agression sexuelle. Le fait de le faire en échange d'argent ou de biens ne change rien à cela. Les femmes qui se prostituent ne sont pas des êtres humains spéciaux qui peuvent gérer des choses que d'autres humains ne peuvent pas gérer.
Enfin, j'aimerais parler de la recherche que j'ai effectuée en Nouvelle-Zélande et qui m'a appris que le travail du sexe fonctionne, mais qu'il fonctionne seulement pour maintenir la domination des hommes et la subordination des femmes. Le modèle de la Nouvelle-Zélande est celui que vous devriez suivre si vous n'avez pas honte d'encourager les hommes à exploiter l'inégalité des femmes et à en tirer profit.
J'ai aussi appris que la prostitution est tellement ancrée dans la culture et le paysage d'Aotearoa qu'elle n'est pas perçue comme un problème. Cela s'est produit pour de nombreuses raisons, notamment parce que lorsque l'on a débattu de la prostitution avant l'adoption de la Prostitution Reform Act en 2003, l'argument féministe selon lequel il s'agit d'une forme de violence masculine contre les femmes a été rejeté comme étant oiseux, alors qu'une lecture féministe de la violence faite aux femmes par les hommes est essentielle pour comprendre la prostitution.
Le fait de savoir que les féministes n'ont pas été entendues dans les débats qui ont mené à la célèbre Prostitution Reform Act de la Nouvelle-Zélande met davantage en contexte le silence actuel entourant la prostitution dans le pays. Cela devrait beaucoup nous inquiéter, car les préoccupations des femmes en matière d'égalité des sexes ont été et sont écartées comme étant sans importance en ce qui concerne la prostitution en Nouvelle-Zélande. Le régime actuel rend bien compte de cela. Par exemple, il n'y a pas de services pour celles qui veulent s'en sortir dans ce pays. Pourquoi y en aurait‑il?
En Nouvelle-Zélande et ailleurs, les défenseurs du commerce du sexe ne comprennent pas la violence des hommes contre les femmes et son fonctionnement. Nous le voyons clairement lorsque les défenseurs du commerce du sexe véhiculent ce mensonge selon lequel les femmes peuvent dire quel homme sera violent et quel homme ne le sera pas, grâce à des outils de dépistage dont la teneur n'est pas connue. Peu importe si les femmes peuvent surveiller le comportement des hommes deux minutes dans la rue, une semaine dans une application de rencontre ou 10 ans dans une relation, elles ne peuvent pas savoir quel homme sera violent et quel homme ne le sera pas. Cela revient à dire qu'elles sont les seules à blâmer lorsqu'elles subissent la violence des hommes parce qu'elles n'ont pas été suffisamment à l'affût.
Se débarrasser de la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d'exploitation, c'est faire preuve de courte vue et s'opposer aux femmes. Gillian Abel, une chercheuse dans le domaine du travail du sexe, a déclaré que les politiques concernant ce travail « tendent à se concentrer sur les résultats des inégalités sociales, un peu comme une ambulance installée au bas d'une falaise ». Nous devons maintenir et renforcer la Loi. Les Canadiennes ne méritent rien de moins.
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Merci, monsieur le président.
Merci à tous les témoins de la première et de la deuxième heure.
Il est vraiment important pour nous, parlementaires, de pouvoir obtenir de l'information des universitaires, des chercheurs, des intervenants et des groupes de services aux victimes, mais il est également émouvant d'entendre des histoires personnelles.
Madame Smith, l'expérience horrible que vous avez vécue est vraiment émouvante, et je suis très heureux que vous ayez décidé de venir aujourd'hui nous raconter votre histoire, qui est vraiment difficile à entendre, pour être honnête avec vous.
J'aimerais vous poser une question au sujet de votre expérience. Il est très important pour nous de prendre connaissance des expériences de vie des gens qui ont connu des problèmes liés au commerce du sexe, comme la traite des personnes ou la violence.
D'après votre expérience, si ce genre de loi devait être éliminé, pensez-vous que les victimes vulnérables comme vous lorsque vous étiez plus jeune seraient plus en sécurité ou mieux protégées qu'elles ne le sont maintenant?
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Cela pourrait se faire de plusieurs façons. Premièrement, nous savons que la Loi n'est pas appliquée de façon uniforme dans tout le pays. Il y a beaucoup de secteurs, par exemple dans la ville de Vancouver, où les services de police sont d'avis qu'il s'agit d'une priorité très secondaire et ne vont pas appliquer ces lois essentiellement. Je pense qu'il faut d'abord commencer par appliquer les lois.
Deuxièmement, nous devons vraiment examiner la question dans son ensemble. Je suis une femme autochtone. J'ai grandi avec ma grand-mère et je perçois les choses de façon plus holistique. Une fois que nous aurons ces dispositions législatives qui criminalisent la demande, ce sera un grand pas en avant, mais il faut qu'il y ait plus d'options pour les femmes.
Les taux d'aide sociale sont catastrophiques. Le manque de logements et la pauvreté des femmes sont tous des problèmes extrêmement interreliés, et on ne peut pas les séparer de la prostitution. Nous devons donc vraiment investir davantage dans les services aux femmes et à leurs enfants.
Enfin, il faut une campagne de sensibilisation du public adéquate et solide, comme je l'ai mentionné dans ma présentation. Beaucoup de gens n'ont pas une perception féministe de la prostitution. Leur compréhension est donc qu'il s'agit juste d'une partie normale et naturelle de la vie. Nous devons vraiment faire de l'éducation pour commencer à défaire ces mythes et vraiment nous attaquer au cœur de la prostitution.
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Comme je l’ai dit en 2014, il ne faut pas oublier que le choix est un sujet très compliqué. Les gens font des choix différents chaque jour pour de nombreuses raisons, et les contextes dans lesquels ces choix sont faits varient. Aujourd’hui, nous avons des lois qui... Je ne pense pas qu’elles facilitent les poursuites pour traite de personnes, et je ne pense pas qu’elles aident les travailleuses du sexe, parce qu’elles englobent certaines de leurs activités.
Par exemple, si vous vivez et travaillez dans le même espace. Si quelqu’un sert de chauffeur à une amie, cela pourrait aussi être englobé... S’agit‑il de traite de personnes, oui ou non? Nous nous lançons dans un débat sur les lois qui s’appliquent et celles qui ne s’appliquent pas. Cela complique la tâche des procureurs. Il ne faut pas oublier que ces rôles sont aussi très importants.
Pour ce qui est de la traite de personnes, comme l'a dit Mme Smiley, nous devons prévenir les problèmes avant qu’ils ne se concrétisent. Cette loi est, comme l'a dit Mme Davis, une loi réactive. Ce n’est pas une loi proactive.
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Merci, monsieur le président.
Madame Sayers, je vais continuer avec vous, si vous me le permettez.
Selon ce que je comprends de votre témoignage, il faudrait décriminaliser la prostitution. Or, il faut voir quels seraient les effets, si on la décriminalisait complètement.
On sait que, présentement, offrir ou vendre ses services sexuels n'est pas un acte criminel. Ce qui constitue un acte criminel, c'est le fait de les acheter, le fait que quelqu'un sollicite de la prostitution ou le fait que quelqu'un vive des fruits de la prostitution, par exemple le proxénète ou la personne qui gère les activités du prostitué ou de la prostituée.
Si on élimine tout cela en tant qu'actes criminels, on se retrouvera dans une situation où il sera tout à fait légal de se prostituer, tout à fait légal d'acheter les services d'un prostitué ou d'une prostituée et tout à fait légal de gérer les activités de cet homme ou de cette femme. N'avez-vous pas peur que, le cas échéant, on se retrouve dans des situations déplorables comme celles que Mme Smith nous relatait il y a quelques minutes?
Je comprends que, lorsque cela implique une personne mineure, c'est toujours considéré comme un acte criminel. J'imagine que vous ne nous demandez pas de permettre la prostitution de personnes mineures. Cela dit, même lorsque les personnes ont 18 ans ou plus, il demeure pour le moins inquiétant de permettre une libre prostitution, l'achat de services sexuels et la gestion de ceux-ci, comme s'il s'agissait de n'importe quelle autre entreprise.
N'avez-vous pas peur que cela engendre des situations où des gens vont vendre ou utiliser le corps de quelqu'un d'autre, homme ou femme, pour s'enrichir?
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Oui, et je remercie Mme Smith de nous avoir raconté son histoire. Je sais qu’il faut beaucoup de force pour le faire.
J’aimerais attirer votre attention sur mon mémoire, dans lequel je souligne que, peu importe que nous parlions de décriminalisation ou de légalisation, nous parlons de réglementer la prostitution d’une certaine façon. L'arrêt Bedford a dit qu’on peut réglementer la prostitution, mais qu’on ne peut pas le faire au détriment des travailleuses du sexe. Exactement. Vous pouvez soutenir les victimes et les survivants de l’exploitation, mais vous ne pouvez pas le faire aux dépens des travailleurs du sexe.
Par conséquent, si nous supprimons ces lois demain, il y a d’autres lois dont la police peut se servir. Ce que Mme Davis a dit tout à l’heure, c’est qu’il faut appuyer la police — je n’arrive pas à croire que c’est ce que je dis — pour l’aider à mettre en oeuvre ces lois.
Les outils sont là. Utilisons-les.
Je ne donne pas d’avis juridique. Je crois très important que nous réfléchissions à ce que dit l’arrêt Bedford, parce que je pense que nous nous en éloignons chaque fois que nous examinons les données, chaque fois que nous examinons les effets bénéfiques accessoires.
Je pense que c’est là le mal, et nous nous éloignons de ce que Mme Lukings a dit, de ce que Mme Davis a dit et de ce que Mme Krüsi et ses collègues ont dit. Les données sont très claires à cet égard, et l’arrêt Bedford a dit qu’une personne suffit pour conclure que c'est contraire à la Charte.
Pour ce qui est de mon histoire personnelle, j’en ai déjà raconté quelques épisodes aujourd’hui. La police a refusé de m’aider, et avec les systèmes qui étaient en place, comme c'était criminalisé, je n’ai pas pu avoir accès à des soutiens. Il est très clair, je pense, que lorsqu’on criminalise tout aspect du travail du sexe et qu’on le cible, on aliène et on isole davantage les travailleurs.
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Merci, monsieur le président.
Je tiens à remercier les témoins d’être venus aujourd’hui, et en particulier Mme Smiley, de nous avoir rappelé que les inégalités croissantes dans la société canadienne sont un contexte constant avec tous les problèmes auxquels nous faisons face.
Je tiens à remercier Mme Smith d’avoir raconté son histoire personnelle ici, dans une tribune très publique. Il faut énormément de force pour le faire et je sais que cela poussera d’autres personnes qui sont ou qui ont été exploitées à vivre une vie meilleure.
Madame Smith, dans l’une de vos réponses, vous avez dit que vous pensiez que la criminalisation empêchait peut-être de signaler des incidents d’exploitation. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet et peut-être faire le lien avec votre propre...? Êtes-vous en train de dire que, parce que ces choses sont criminalisées, les gens ne signalent pas les cas d’exploitation?
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C’est un très bon exemple.
Je vais vous raconter une anecdote de la faculté de droit. Je suivais un cours de contentieux constitutionnel à la faculté de droit et je travaillais à une contestation théorique du projet de loi , la LPCPVE, dont nous discutons ici aujourd’hui. Nous étions en train d’établir le résumé des faits, et je me souviens d’avoir entendu mon professeur de droit constitutionnel dire: « Ça ne se passe pas comme ça. » J’ai répondu que si.
Ce dont il parlait se rapportait à mon expérience personnelle. Dans le Nord, il faut avoir un chauffeur. Si vous n’avez pas de chauffeur, vous faites de l’auto-stop. Il n’y a pas de bus Greyhound. Il n’y a pas de taxis. Les taxis n’emmèneront pas un Autochtone où que ce soit, à moins d'exiger des frais exorbitants. Si vous faites des recherches, vous verrez que les taxis vont jusqu'à déposer les femmes autochtones dans des endroits où elles n’ont pas demandé d'aller. J’ai dit: « Vous savez, la LPCPVE empêche les femmes autochtones — en particulier les jeunes femmes autochtones — de bénéficier de ces appuis. »
La raison pour laquelle je parle autant de mon histoire, c’est qu’on ne l’entend pas. On n’en tient pas compte. J’ai commencé à l’âge de 18 ans. J’étais encore à l’école secondaire. J’apprenais à vivre avec une lésion cérébrale. Je venais de survivre à un horrible accident de voiture où j’avais presque perdu la vie. J’occupais deux emplois au salaire minimum. Lorsque vous avez une lésion cérébrale, vous avez des maux de tête, des migraines. Vous êtes fatigué. Je me disais: « Je ne peux pas atteindre mes objectifs d’études universitaires si je travaille au salaire minimum. » Je ne vivais pas à la maison, et le travail du sexe était là.
Si vous vous attaquez au salaire minimum, au logement sûr, à ces autres mesures de soutien... Je n’aurais peut-être jamais travaillé dans l’industrie du sexe. Je ne sais pas, mais cela m’a permis de m'en sortir. Cela m’a menée là où j'en suis aujourd’hui. Je suis avocate et j’aide d’autres victimes et survivants. Je pense que tout est là.
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Je remercie nos témoins du deuxième groupe de leurs exposés et de leur collaboration tout au long de la réunion, et tout particulièrement Mme Smith de nous avoir raconté une histoire si personnelle et éprouvante.
Merci de vous être confiée de la sorte, madame Smith. Je vais dire comme mon collègue M. Morrison. C'était très pénible à entendre. Cela me rappelle des causes semblables dont je me suis occupé en cour il n'y a pas si longtemps, impliquant des jeunes personnes dans votre cas. Merci d'être un bon modèle pour vos enfants.
J'ai une question pour Mme Smiley.
Madame Smiley, j'ai eu l'occasion de lire un article que vous avez écrit avec Trisha Baptie, intitulé: « Le meurtre commis à Québec souligne la nécessité d'abolir la prostitution ». Compte tenu du temps dont je dispose, je vais vous poser trois questions.
Premièrement, à votre avis, la prostitution peut-elle être rendue sécuritaire?
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie toutes les témoins d'être ici cet après-midi.
Comme plusieurs l'ont souligné, vos témoignages sont difficiles à entendre. Je salue votre courage et votre résilience. Vous avez une grande force de caractère.
Ma question s'adresse à Mme Sayers.
Jusqu'à maintenant, nous avons entendu des personnes en faveur de la décriminalisation de la prostitution dire que seules les personnes privilégiées désiraient cette décriminalisation, parce que c'étaient les personnes marginalisées qui subissaient le plus de répercussions ou les répercussions les plus graves liées au fait que la prostitution soit considérée comme un acte criminel.
J'aimerais entendre vos commentaires là-dessus.
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Merci. Je m'excuse si ma liaison Internet s'interrompt. J'utilise mes données cellulaires, alors c'est un peu instable.
Je pense que mon mémoire formule de très bonnes hypothèses quant à la façon dont la loi traite les femmes autochtones en particulier, des hypothèses sur la manière dont on nous considère, nous et ce que faisons.
Quand j'entre dans un centre commercial, je ne suis pas une avocate; je suis une femme autochtone. Je vis le racisme et la surveillance réservés aux femmes autochtones. Lorsque j'entre dans une nouvelle salle d'audience, si les agents de sécurité ne me reconnaissent pas, je ne suis pas une avocate. Je suis une femme autochtone et ils vont supposer que je suis là comme cliente dans une affaire, probablement une des personnes accusées.
Il ne faut pas oublier que c'est ainsi que la loi traite les femmes autochtones. Pis encore, c'est ainsi que la société perçoit les femmes autochtones.
Nous devons examiner ce que cette loi fait et ce qu'elle ne fait pas. Il ne faut pas oublier non plus que l'arrêt Bedford dit que s'il y a une seule perte de vie sous le régime de cette loi, c'est suffisant. Nous ne disons pas combien de personnes en bénéficient. Nous ne disons pas si cela a profité à une ou deux personnes. Une seule perte de vie et ça y est.
Nous avons entendu aujourd'hui qu'il y en a eu sept. Il y en a eu beaucoup. Je pense que c'est là‑dessus que nous devons nous concentrer.
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Je pense qu'en général, la race y est certainement pour quelque chose. Dans la violence masculine sous toutes ses formes, que la femme soit une prostituée ou non, on entend souvent dire que « c'est elle qui l'a voulu ». Il y a aussi du sexisme.
Je tiens à souligner que lorsque j'étais aux Pays-Bas, j'ai parlé à une travailleuse sociale qui intervenait auprès des femmes qui s'exhibent dans les vitrines. On lui a parlé d'une femme qui avait été agressée, qui s'était adressée à la police, qui avait suivi le processus judiciaire et découvert que le juge était en fait un de ses clients.
Nous devons réfléchir à cela aussi si nous voulons aller jusqu'à la décriminalisation totale. Les policiers ont-ils le droit d'aller chez les prostituées pendant leurs pauses? Qu'en est‑il des juges, des décideurs, des conseillers municipaux? Quelle incidence cela a‑t‑il sur les Canadiens?
Je pense qu'il est important d'y réfléchir.
Je remercie tous les témoins de leurs excellents témoignages. Ce fut très instructif. Toute cette étude a été très instructive et vous y avez énormément contribué.
Vous pouvez vous retirer si vous voulez, mais vous êtes les bienvenues si vous voulez rester.
J'ai quelques questions d'ordre administratif à régler. Je m'excuse auprès de M. Moore. Je me suis trompé dans mes estimations de temps parce que je suis novice dans ma charge. J'avais estimé que cela prendrait peut-être 30 minutes, mais ce ne sera probablement pas aussi long.
Comme vous le savez, le projet de loi a été renvoyé au Comité et nous avons l'obligation de l'étudier. Je viens de recevoir des instructions concernant les travaux du Comité. Nous avions prévu pour lundi prochain de poursuivre notre étude de la LPCPVE. La première heure serait consacrée à l'audition des témoins et la dernière, aux instructions de rédaction.
Je crois que M. Anandasangaree a des renseignements concernant la comparution du et de ses fonctionnaires vendredi au sujet du projet de loi .
Désolé, je n'aurais pas dû dire lundi, mais mardi pour la LPCPVE. La première heure sera consacrée aux témoins et la deuxième, aux instructions de rédaction. Ensuite, ce sera jeudi pour le projet de loi et l'étude à ce sujet.
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Au sujet du projet de loi , je suis d'avis qu'il faut agir avec diligence. Je pense qu'il ne faut pas retarder cela, parce que c'est important, j'en suis conscient. Cependant, le projet de loi C‑5 aborde deux questions complètement différentes: d'une part, la déjudiciarisation en ce qui concerne la consommation et la possession de certaines drogues; d'autre part, les peines minimales obligatoires.
Vous vous souviendrez peut-être que cela nous avait amenés, après l'étape de la première lecture, à demander au de scinder le projet de loi C‑5 pour en faire deux projets de loi distincts, de façon à en accélérer le traitement. Ainsi, si on avait pu s'entendre sur la déjudiciarisation, ce qui, à mon avis, était plus probable ou plus facile, on aurait pu adopter ce projet de loi tout de suite. Or, cela n'a pas été le cas. Je ne veux pas revenir en arrière, on doit composer avec la situation telle qu'elle est, mais il n'en demeure pas moins que la crainte que j'avais au début, quand on a proposé de scinder ce projet de loi, est encore présente. Je ne peux pas penser qu'on va régler cela en cinq rencontres.
Mon collègue M. Anandasangaree m'a téléphoné à ce sujet et nous en avons discuté. Sur le coup, je lui disais que je n'avais pas vraiment eu le temps d'y penser. Depuis, j'y ai repensé et j'en ai discuté avec des gens de mon entourage. Ce que je proposerais, d'abord, c'est que nous nous gardions une certaine marge de manœuvre pour prolonger l'étude, au besoin. Pour l'instant, je pense que nous pourrions d'ores et déjà prévoir quatre rencontres pour entendre des témoins sur la question de la déjudiciarisation et quatre autres sur la question des peines minimales. Cela ferait un total de huit séances. Ensuite, nous pourrions en prévoir deux pour l'étude article par article du projet de loi.
C'est ce que je vous propose aujourd'hui, monsieur le président.