:
Mesdames et messieurs, la séance est ouverte. Il s'agit de la 16
e réunion du Comité de la défense nationale.
Nous poursuivons notre étude sur le recrutement et le maintien des effectifs, et nous accueillons aujourd'hui le professeur Christian Leuprecht ainsi que Mme June Winger, présidente nationale de l'Union des employés de la Défense nationale.
Avant de donner la parole à M. Leuprecht pour sa déclaration préliminaire de cinq minutes, je vous dirai, mesdames et messieurs, que nous allons continuer de surveiller l'horloge. Nous avons 16 minutes de retard. Je propose de réduire d'une minute le temps de chacun au premier tour et d'une minute le temps de chacun au deuxième tour. J'espère que cela nous rapprochera de l'heure prévue. À moins que je n'entende des objections passionnées et insurmontables, nous allons procéder ainsi.
Sur ce, monsieur Leuprecht, vous avez cinq minutes.
:
Merci, monsieur le président.
[Français]
Je vais intervenir en anglais, mais je vais répondre aux questions dans les deux langues officielles.
Je vous remercie de votre invitation.
[Traduction]
La semaine dernière, j'ai été appelé à témoigner devant le Comité OGGO au sujet de l'approvisionnement. Aujourd'hui, on m'a demandé de faire part de mon expertise sur le recrutement et sur le maintien des effectifs des Forces armées canadiennes et de l'ensemble de l'Équipe de la Défense. Les sujets des témoignages de la semaine dernière et de cette semaine sont reliés.
Il faut parfois jusqu'à 15 ans pour concevoir, lancer, effectuer les acquisitions et mettre en œuvre un nouveau système comme le programme de chasseurs de la prochaine génération de l'armée de l'air. Il faut autant de temps pour former des membres au fonctionnement de ces systèmes complexes, mais cela est moins évident. Pourtant, pendant des années, les Forces armées canadiennes ont dû privilégier leurs opérations. Maintenant, nous devons reconstituer les effectifs. Malheureusement, les processus de recrutement du personnel et d'acquisition de l'équipement ne sont pas synchronisés pour régénérer et maintenir les effectifs et pour les harmoniser avec la modernisation de l'équipement.
Par conséquent, les Forces canadiennes souffrent d'une grave pénurie d'expérience, surtout au niveau des militaires du rang et des officiers. Ce « chaînon manquant » constitue le centre de gravité des Forces armées canadiennes. Son personnel s'occupe du recrutement, de la formation ainsi que de l'intégration et de la surveillance dans les unités. Cette situation pose un grave risque d'échec, car les Forces armées canadiennes ne sont pas prêtes à faire face à la demande croissante de services et à la complexité des missions actuelles.
Pendant des années, les Forces canadiennes étaient robustes et la nature des conflits était telle, que le gouvernement pouvait choisir des ensembles de forces dans notre armée. Entretemps, les capacités fondamentales de base se sont érodées, et dans l'environnement de sécurité actuel, le gouvernement n'a plus le luxe de choisir des ensembles de forces de base ou réunis sur mesure. Cette pénurie menace dangereusement la réputation du Canada, comme l'indiquent les réprimandes que le Canada a reçues du secrétaire général de l'OTAN et de l'administration Biden.
Ce « chaînon manquant » ne comprend pas seulement le personnel chargé de la formation et du fonctionnement de l'équipement. Il comprend également les membres auxquels le gouvernement fait appel en dernier recours, que ce soit pour gérer la distribution nationale des vaccins ou pour atténuer les retombées des établissements de soins de longue durée mal gérés pendant la pandémie. Ces membres constituent donc la capacité la plus importante et la plus sous-estimée des Forces canadiennes. Ils méritent d'être traités pour ce qu'ils sont.
Les talents doivent être recrutés, formés et conservés. À cet effet, les deux premiers piliers du nouveau parcours des FAC ne sont pas seulement les plus urgents pour l'organisme, mais ils font également l'objet de l'étude actuelle de la Défense nationale sur le renouvellement de la génération du personnel et sur la modernisation du modèle d'emploi.
Au 22 février dernier, les FAC comptaient 7 600 membres de moins que leur effectif minimal autorisé. Cependant, les déséquilibres du système de formation accroissent en réalité ce nombre à 10 000 membres du personnel opérationnel. Autrement dit, les Forces canadiennes fonctionnent actuellement avec seulement 85 % de l'effectif requis pour ses mandats et ses rôles actuels. Elles manquent surtout de caporaux-chefs [difficultés techniques]. Cette pénurie de personnel expérimenté causera toute une cascade de répercussions au cours des années à venir.
La stabilisation et le rétablissement du personnel militaire sont donc des priorités absolues. Il faut générer du personnel possédant les compétences requises pour la centaine de fonctions professionnelles et de postes de commandement menacés, notamment dans la Marine ainsi que dans les domaines de la cybernétique, de l'espace et de l'information. Il faut réduire l'attrition précoce du service ainsi que l'attrition malsaine due à la discrimination, au harcèlement, aux mauvais comportements et à l'inconduite sexuelle tout en créant des conditions favorisant l'acquisition et le perfectionnement des compétences du personnel.
À cet égard, je présente les recommandations suivantes en vue de moderniser et de régénérer les FAC et d'assurer la préparation opérationnelle de cette institution nationale vitale et vénérable et de cet instrument de politique étrangère et de pouvoir national.
Premièrement, il faut étendre le bassin de talents du personnel des Forces canadiennes et de la fonction publique. Au lieu d'effectuer un recrutement de masse, il faut suivre une approche ciblée afin de placer les personnes qui conviennent aux postes qui leur conviennent. Le recrutement est une initiative à laquelle doivent participer l'ensemble du gouvernement et de la nation. Tous les députés doivent assumer, dans leur circonscription, le rôle clé de renforcer la confiance des gens envers les Forces armées canadiennes et de leur montrer qu'elles sont un employeur de choix. Ils devraient surtout cibler les femmes, les groupes ethnoculturels ainsi que les immigrants et les communautés autochtones.
Deuxièmement, il faudrait rendre l'Équipe de la Défense plus agile en réduisant et en simplifiant les centaines de politiques et de processus de ressources humaines. Ces processus onéreux sont en partie responsables des pénuries de personnel qui prévalent dans l'ensemble de l'Équipe de la Défense.
Puisque les Forces armées canadiennes ne disposent pas de suffisamment d'argent et de personnel, elles devront moderniser les règles et les processus pour faciliter le recrutement et le maintien des effectifs, pour les rendre plus abordables et pour créer les autorités ministérielles requises pour appliquer ces règles et processus. Alors seulement pourrons-nous reconstituer les FAC, les stabiliser et récupérer les capacités de son personnel. À cette fin, les FAC doivent moderniser des centaines de politiques désuètes liées au recrutement et au maintien des effectifs. Les organismes centraux devront traiter cela en priorité.
Le Comité devra veiller à ce que le Conseil du Trésor, notamment son président, traite en priorité absolue le renouvellement des politiques du MDN et des FAC. Les retards bureaucratiques et politiques ne feront qu'aggraver la capacité de fonctionnement des Forces armées canadiennes.
Troisièmement, les députés ont le pouvoir de renforcer le troisième pilier du parcours des Forces canadiennes. Ils peuvent soutenir les familles des militaires en investissant davantage dans la réduction du stress qu'elles ressentent. Ils devront pour cela renforcer l'efficacité et l'efficience de la coopération, de la coordination et de la collaboration intergouvernementale entre les autorités fédérales, provinciales, territoriales et locales dans des domaines comme l'accès aux soins de santé, à l'éducation et à la garde d'enfants.
[Français]
Je vous remercie.
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Je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître aujourd'hui.
L'Union des employés de la Défense nationale de l'Alliance de la Fonction publique du Canada représente les 20 000 travailleurs civils de la Défense. Nos membres veillent à ce que les opérations militaires soient prêtes en tout temps et à ce que les militaires vivent et travaillent dans des endroits sûrs. Nos membres sont des experts qui travaillent dans les bases et dans les bureaux, dans les entrepôts, dans les aéroports, dans les laboratoires et dans les garages. Ils fournissent des services cohérents et éclairés afin que les militaires puissent servir avec agilité et qu'ils soient prêts au combat.
La privatisation, la sous-traitance, l'inconduite sexuelle, le harcèlement et la discrimination sous-tendent le travail de nos membres et nuisent à leur satisfaction professionnelle.
Notre rapport de 2020 soulignait les dangers de la sous-traitance des services de nettoyage. Nous y avons souligné que leur manque de marge de manœuvre budgétaire oblige les commandants des bases à sous-traiter régulièrement des travaux essentiels à des coûts plus élevés pour obtenir des services de moindre qualité. Par exemple, voici une citation tirée d'une note d'information du MDN à Kingston:
On a constaté que, pour augmenter leur marge de profit, les sous-traitants utilisaient des produits nettoyants de qualité inférieure ou inadéquate, ce qui occasionnait de l'entretien supplémentaire, des problèmes environnementaux et des problèmes de santé et de sécurité.
Le contrat signé avec le Groupe Dexterra à Kingston s'élève à un peu plus de 3 millions de dollars sur six ans. C'est moins de la moitié de ce qu'il faudrait pour payer les travailleurs au salaire minimum. Il est donc bien évident que cela entraînera de mauvais services.
Notre rapport décrit également la situation d'une travailleuse contractuelle rémunérée au salaire minimum qui a nettoyé un centre médical du MDN. Pendant la plus grande partie de son emploi, elle n'avait reçu aucune formation sur le SIMDUT et elle ne savait pas que les produits chimiques qu'elle utilisait pouvaient lui nuire et faire du tort à d'autres personnes. On lui avait ordonné de diluer les solutions de nettoyage, et elle devait nettoyer des zones sécurisées sans posséder la cote de sécurité requise. Sans qu'elle n'en soit coupable, son travail a compromis la santé des patients et des autres travailleurs. Elle a fini par quitter cet emploi pour un travail mieux rémunéré avec avantages sociaux dans un restaurant-minute.
Le MDN doit cesser de recourir à la sous-traitance et rapatrier les services contractuels existants. On ne devrait recourir à la sous-traitance que très rarement pour des raisons bien explicites et détaillées.
Un harcèlement systémique est enraciné au sein du MDN, et il ne se limite pas aux militaires.
L'une de nos membres, Kristina MacLean, a subi du harcèlement sexuel et racial continuel pour lequel elle a déposé de nombreux griefs et des plaintes. Elle a gagné, ce qui n'a fait qu'accroître le harcèlement dont elle était victime. Mme MacLean explique que les gestionnaires ont peur de reconnaître les actes d'inconduite, parce qu'ils craignent que cela bloque leurs promotions. Ils font disparaître les problèmes, et ils ont essayé de la faire disparaître elle aussi.
La culture des casernes de pompiers est tout aussi toxique.
Les pompiers de la base des Forces armées canadiennes de Valcartier ont déposé neuf plaintes pour violence en milieu de travail, dont huit ont donné lieu à des plaintes. Des pompiers de la base de Suffield ont accusé le chef adjoint des pompiers d'user de violence sous les yeux du chef de la caserne, qui observait, les bras croisés. Les plaintes de 2019 ne sont pas encore réglées.
Notre syndicat travaille à l'enquête sur l'inconduite sexuelle et sur le harcèlement en milieu de travail menée par l'ancienne juge de la Cour suprême Louise Arbour. L’hon. Anita Anand a présenté des excuses pour cela, et nous l'en félicitons. Nous appuyons sa mise en œuvre de la recommandation initiale de Mme Arbour exigeant que tous ces incidents fassent l'objet d'une enquête et de poursuites dans le système de justice civile.
Le MDN doit maintenant accélérer les enquêtes en cours. Il doit faire respecter les politiques en matière de harcèlement et veiller à ce que ceux qui commettent ces mauvais traitements en subissent les conséquences. Il doit inclure les travailleurs civils dans tous les aspects des examens qu'il mène sur les systèmes actuels.
Quant à la satisfaction professionnelle, les écarts salariaux constituent un problème majeur, car les travailleurs opérationnels du MDN sont moins bien payés que leurs homologues du secteur privé.
Par exemple, les pompiers du MDN gagnent environ 20 % de moins que leurs homologues municipaux. Les pompiers du MDN effectuent un éventail beaucoup plus vaste de tâches de sécurité et de sûreté, plus vaste que les tâches d'un pompier municipal de première classe. Ils ne reçoivent pas non plus la retraite anticipée qui est offerte à presque tous les pompiers des autres administrations.
Merci. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
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À mon avis, dans le domaine cinétique, l'universalité du service demeurera indispensable, parce que le fait de déployer certaines personnes et d'autres pas risque de nuire au moral du personnel.
Mais il y a, par exemple... Vous avez parlé des TI. C'est un défi très particulier, parce que nous avons maintenant un cybercommerce du côté militaire, mais nous n'avons pas de cybercommerce équivalent du côté civil. Le ministère cherche d'autres solutions, mais nous avons besoin de ce côté civil, car il nous permettra d'attirer des personnes qualifiées qui ne veulent pas nécessairement se joindre à l'armée.
Il y a certaines tâches que seuls des militaires peuvent accomplir, mais nous pourrons compenser certaines lacunes si l'on nous accorde la souplesse de créer des métiers équivalents du côté civil. Il faut aussi prévoir davantage de mutations latérales pour que les gens puissent passer d'un ministère à un autre à ces mêmes postes et qu'ils puissent venir du secteur privé au ministère avec la permission de le quitter pour aller travailler ailleurs.
Nous ne sommes pas très agiles dans ces domaines.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je tiens à remercier nos deux témoins de leur présence et de leurs témoignages d'experts.
Professeur, je suis très heureux que vous témoigniez pour cette étude, parce que vous avez beaucoup contribué à celle que nous venons de terminer.
J'aimerais parler de l'universalité du service. Je sais que ma collègue, Mme Findlay, en a aussi parlé. Vous avez parlé de « moderniser le modèle ». Je vais vous lire un extrait des Directives et ordonnances administratives de la défense. Je pense que la modernisation du modèle contribuerait à résoudre notre problème de recrutement.
Le principe de l'universalité du service [...] sous-entend que les militaires doivent exécuter les tâches militaires d'ordre général ainsi que les tâches communes liées à la défense et à la sécurité en plus des tâches de leur groupe professionnel militaire ou de leur description de groupe professionnel militaire. Entre autres, les militaires doivent être en bonne condition physique, aptes au travail et déployables pour aller effectuer des tâches opérationnelles générales.
Quels défis cela pose‑t‑il pour le recrutement et le maintien des effectifs, monsieur?
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Malheureusement, l'organisme ne savait même pas exactement quelles étaient ses failles, et encore moins comment y remédier. Il a maintenant la capacité analytique de déterminer où trouver ces employés et lesquels il lui faut.
Le recrutement et le maintien des effectifs posent des défis très particuliers. Ce sont les deux premiers piliers du nouveau parcours des FAC, parce qu'ils soutiennent tout l'organisme, et à l'heure actuelle, ils sont plus vulnérables que jamais.
Je dirais que ce problème découle du fait que pendant 20 ans, le gouvernement s'est concentré sur les opérations et a poussé les Forces armées canadiennes à participer à des opérations sans mettre... L'organisme est trop petit pour mener en même temps d'importantes opérations, du maintien et de l'entretien ainsi que pour procéder à une régénération majeure. Voilà pourquoi le gouvernement a dû se concentrer sur les opérations. Il n'a investi ni dans la régénération, ni dans le maintien, ni dans l'entretien.
Je supplie donc le Comité de surveiller cela, car les Forces armées manquent de personnel clé, et cela entrave gravement leur capacité de répondre aux demandes du gouvernement lorsqu'elles sont appelées à intervenir dans des opérations critiques et complexes.
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Les militaires aiment dire qu'on ne naît pas soldat, on le devient. Je pense qu'à bien des égards, cela s'applique aussi aux Forces armées canadiennes modernes, et même davantage à l'heure actuelle, parce que l'organisme doit entraîner les personnes dont il a besoin, il doit concevoir leur formation, qui est parfois très longue. La formation complète d'un officier peut exiger jusqu'à sept ans, et parfois plus suivant le métier dont il s'agit. L'officier doit acquérir cette expérience.
Je pense que les gens ne comprennent souvent pas que l'on peut en quelque sorte appauvrir l'organisme. Il faut que son personnel, qui possède une expérience cinétique et une expérience de déploiement à l'étranger, soit par exemple en mesure de combler une très faible capacité de livraison de vaccins ou la prestation de services dans des établissements de soins de longue durée, ou de régler tout autre problème que le gouvernement pourrait confier à ses forces armées.
Je pense que l'organisme a la capacité d'accueillir des personnes qui veulent s'y joindre, mais qui, par exemple, n'ont pas la condition physique, les aptitudes mathématiques requises, ou autre. Malheureusement, il n'a pas pu accorder suffisamment d'attention et de ressources à ces personnes, parce qu'il devait attirer tout le monde qu'il pouvait vers le côté opérationnel.
C'est tout à fait faisable, mais il s'agit de savoir comment répartir les maigres ressources de l'organisme, surtout pour soutenir les ressources humaines et les officiers subalternes qui effectuent le gros du travail, tant du côté des opérations que de l'instruction et de la formation.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie les deux témoins de leur présence. Nous en sommes toujours très heureux.
Je vais d'abord m'adresser au professeur Leuprecht.
Je vais poursuivre dans la même veine, sur la question de l'universalité. À l'avenir, nous aurons probablement de plus en plus besoin des services des Forces pour répondre aux urgences climatiques; c'est ce que l'on a vu par le passé. Bien sûr, il y a eu la COVID‑19, mais il y a aussi eu des incendies et des inondations, entre autres.
Serait-il pertinent, à tout le moins, d'étudier l'idée de mettre sur pied une organisation paramilitaire ou une forme de milice qui serait affectée spécifiquement à ce genre de réponse? Cela pourrait même intéresser certaines personnes, qui ne désirent pas participer aux combats, par exemple, ce qui pourrait être positif sur le plan du recrutement.
Selon vous, devrait-on creuser cette possibilité?
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Madame Normandin, il s'agit d'une excellente question.
Je vais faire parvenir au Comité une étude que j'ai menée à ce sujet.
Il y a quatre options à cet égard.
Premièrement, il y a l'option américaine. On pourrait créer un organisme comme la Federal Emergency Management Agency, la FEMA, qui est une vaste bureaucratie qui coûte très cher et qui tourne très lentement. J'imagine que c'est approprié dans le cas des États‑Unis, mais il y a de bonnes raisons pour lesquelles d'autres alliés n'ont pas adopté ce système.
Deuxièmement, on pourrait avoir des organisations qui répondent aux urgences. Par exemple, l'Australie et une bonne partie des pays européens ont des services d'intervention d'urgence. À moyen terme, nous pourrions établir une telle organisation au Canada, mais, à court terme, cette infrastructure n'existe pas. Depuis des années, j'insiste sur le fait que ce genre d'infrastructure est indispensable.
Présentement, lorsqu'on fait appel aux Forces armées canadiennes pour des déploiements nationaux, les ressources sont disponibles; nous avons ce luxe. Cependant, si une vaste crise internationale survenait et que nous avions besoin des forces pour protéger nos alliés, notre pays et le continent, ce genre de ressource ne serait plus disponible. Il est donc indispensable que les provinces créent des organismes qui pourront fournir des bénévoles et de la main-d'œuvre qualifiée.
La troisième option est celle que nous avons adoptée, c'est-à-dire l'augmentation des ressources et de l'expertise de la Croix‑Rouge canadienne. Or cela a aussi ses limites. En effet, l'effectif de la Croix‑Rouge a des spécialisations limitées. La Croix‑Rouge doit avoir un effectif dont les spécialisations sont plus larges, afin de répondre aux exigences que vous avez énoncées.
La quatrième option, que j'ai présentée dans mon étude, est celle que je préfère. Elle consiste à créer une unité d'environ 2 000 personnes au sein des Forces armées canadiennes. Cette unité serait consacrée au déploiement national et s'occuperait d'atteindre les objectifs que vous avez énumérés. Si l'on n'a pas besoin de mobiliser cette unité pour un déploiement national, elle pourrait participer au développement des communautés autochtones du Grand Nord. D'une part, une telle unité pourrait améliorer la capacité de réponse du Canada aux exigences nationales; d'autre part, elle pourrait être un complément aux efforts de développement des communautés du Grand Nord. Le Grand Nord a besoin des effectifs et des ressources dont seules les Forces armées canadiennes disposent.
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Je vous dirai, madame, que les forces sont maintenant concentrées de façon très forte sur la régénération des Forces armées canadiennes. C'est un effort énorme.
Le problème, c'est que le manque d'effectif fait que d'autres aspects des Forces armées canadiennes sont négligés. Il faut toujours se concentrer sur un aspect ou un autre.
En ce qui concerne la régénération, on est à un moment critique. En effet, on risque de casser l'organisation si l'on ne réussit pas. L'un des problèmes est certainement que l'on n'a pas assez de ressources et d'effectifs, mais je dirai aussi que les procédures sont très compliquées. Avant qu'une personne soit embauchée dans les Forces armées canadiennes, il faut en moyenne 200 jours.
Comment peut-on être compétitif? Même si des candidats veulent présenter leur candidature, on ne peut pas s'attendre à ce qu'ils ne puissent pas payer leur loyer pendant 200 jours. Ils vont accepter un autre emploi dès qu'on leur en proposera un.
D'une part, une bonne partie de ces procédures doivent être mises à jour; d'autre part, il y a aussi des politiques qui sont imposées à l'organisation par les gouvernements et par les organismes centraux.
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Je vous remercie pour cette question.
Certainement. Je peux vous donner un exemple qui remonte à l'éclosion de la pandémie. Je peux vous dire que le ministère de la Défense nationale a travaillé très fort pour assurer la sécurité de tous les employés et les militaires. Nous avons vraiment bien collaboré. Il y a eu beaucoup de consultations et nous avons mis en place tous les processus nécessaires pour traiter la sécurité en priorité absolue.
Il n'en a pas été de même pour les employés contractuels. Je peux vous parler d'employés contractuels d'une base en particulier que l'on a obligés à continuer de travailler. On leur a confié des tâches qui ne faisaient pas partie de leurs tâches habituelles, car celles‑ci n'étaient plus nécessaires à cause de la diminution de l'effectif due à la pandémie. On ne leur a pas donné d'équipement de sécurité. Ces employés, ces entrepreneurs, mettaient leur vie en danger, et ils mettaient littéralement la vie des employés de la Défense nationale et des militaires en danger en risquant de les contaminer. Si l'un d'eux avait été infecté, le virus se serait vite propagé.
Nous avons dû travailler très fort avec le ministère de la Défense nationale et avec les entrepreneurs pour régler ce problème. Dans la plupart des cas, nous avons réussi, mais pas partout. Nous avons eu beaucoup de chance que cette situation n'ait pas produit de répercussions catastrophiques.
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Il comprend les cadres subalternes et les gestionnaires qui, en fin de compte, font avancer l'organisme. Ils constituent le fondement sur lequel reposent les opérations. Ils effectuent une grande partie du maintien et de l'entretien. Ils participent activement à la régénération des Forces armées canadiennes. Cette pénurie assujettit ceux qui restent à des pressions et à une charge croissantes. Ce problème est très grave, parce qu'en plus de tous les autres défis à relever en servant la famille des FAC, les membres de ce chaînon manquant subissent une pression énorme.
Comment protéger ce chaînon manquant? Comment faire progresser ces personnes? Comment veiller, à mesure que nous prenons du retard, à établir une stratégie systématique de remplacement des membres de ce chaînon manquant? Nous nous trouvons dans cette situation précisément parce que nous n'avions pas les ressources, le temps et les capacités nécessaires pour nous concentrer sur la régénération. Nous nous sommes servis de ce chaînon manquant pour nous concentrer de façon disproportionnée sur la réalisation des opérations du gouvernement du Canada. Cela nous a réussi pendant une brève période, mais au bout d'un certain temps, nous avons épuisé l'organisme.
En raison de la pandémie... Ce n'est pas un manque de recrutement en tant que tel. Il y a un manque de formation, car en 2021, l'organisme n'a attiré que la moitié des candidats qui se présentent normalement — non pas par manque d'intérêt, mais parce qu'il n'avait pas la capacité de recruter et de former ces gens. La pandémie a aggravé ces difficultés.
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Il ne s'agit pas tant de savoir quelles politiques doivent être éliminées, mais plutôt si nous avons la capacité de... Si vous mettez des gens dans le système de formation, ce ne sont pas eux qui vont moderniser vos politiques. C'est en partie une question de dotation; il n'y a pas tant de monde qui puisse faire ce travail. Je me ferai un plaisir de fournir plus de détails au Comité par la suite.
Il y a littéralement des centaines de politiques à mettre à jour. Ce n'est pas que l'organisation ne veut pas le faire, c'est qu'elle n'a pas le personnel pour le faire. Et quand on les met à jour, il faut des mois ou des années pour les faire passer à travers le système, les organismes centraux.
C'est pourquoi je disais que vous devez exhorter le Conseil du Trésor et la présidente du Conseil du Trésor à traiter en priorité les mémoires qui leur sont présentés par le ministère de la Défense nationale. Cela ne peut pas prendre des semaines ou des mois pour passer à travers le système, parce que cela le met encore plus en danger.
Les conditions d'emploi varient d'un pays à l'autre, alors il n'est pas si facile de faire des comparaisons. On peut s'inspirer, par exemple, d'un pays comme la Suède, qui a fait des efforts considérables récemment pour reconstituer ses effectifs. C'était déjà avant l'invasion russe en Ukraine.
Je pense que nous devons nous tourner vers des pays qui ont des valeurs et des objectifs semblables aux nôtres. Par exemple, les Pays-Bas passent souvent inaperçus dans le tourbillon de la conversation. On peut penser aussi à l'Australie, qui a toujours dépensé 2 % de son PIB. Elle représente environ les deux tiers de notre population et les deux tiers de notre économie, mais en raison du contexte de sécurité dans lequel elle doit évoluer, avec la moitié de la population mondiale qui est concentrée à moins de 500 milles de ses côtes, elle porte une attention beaucoup plus serrée que nous à ces questions.
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Ma question, cette fois-ci, s'adresse à Mme Winger.
Cette semaine, une des témoins a mentionné que, dans la mesure où les gens quittent les forces armées, on leur accorde souvent la priorité pour occuper des postes dans les organisations paramilitaires et dans le secteur public. Or ils amènent parfois avec eux la culture toxique que nous observons présentement au sein des forces armées.
En premier lieu, j'aimerais savoir si vous observez le même phénomène.
Ensuite, croyez-vous que le fait de lutter contre les milieux toxiques au sein des forces armées aura éventuellement un effet positif aussi sur le secteur de la défense, sur les organisations paramilitaires et sur la fonction publique?
:
C'est une question très intéressante que vous soulevez, et c'est évidemment une situation très complexe.
Il est presque impossible d'éradiquer les comportements acquis dans un milieu de travail toxique. On ne peut pas donner de la formation à des gens qui ont ces comportements et ces idées et espérer [difficultés techniques] voir la lumière et changer leurs façons de faire. Ce sont généralement des traits innés chez les gens.
Peu importe pour quelle raison ils quittent l'armée, s'ils présentent ces traits, ils finissent souvent par obtenir la préférence pour les postes de la fonction publique. La Défense nationale est très favorable à l'embauche d'anciens militaires, et c'est normal. Le problème, c'est que lorsqu'on adhère à ces idéologies, c'est comme si on portait un uniforme caché. Ces gens‑là arrivent avec les mêmes croyances, dans un environnement où ils sont très à l'aise, où les choses leur sont familières et où ils ont le soutien de militaires en exercice. On voit bien qu'ils se soutiennent les uns les autres lorsqu'ils sont au travail.
Bien sûr, il y a une hiérarchie à l'intérieur de cela, mais...
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Monsieur Leuprecht, je suis heureux de vous revoir. Merci de votre présence.
Pour commencer, j'aurais une question en rapport avec votre nomination, qui est relativement nouvelle, je crois, au conseil d'administration de l'Institut allemand d'études stratégiques et de défense. J'en profite pour vous demander s'il y a quelque chose à tirer de l'expérience des Allemands, que ce soit bon, mauvais ou horrible. Parfois, le fait de voir les mêmes problèmes ailleurs nous donne une idée de leur importance chez nous, mais il peut aussi en ressortir de bonnes choses, et peut-être même des perspectives très actuelles en ce qui concerne la guerre en Ukraine.
Est‑ce qu'il y a quelque chose dans l'expérience allemande qui pourrait nous éclairer en ce qui concerne le bassin de talents, comme vous dites, mais aussi le processus de recrutement?
:
Monsieur Spengemann, c'est une excellente question, mais en fait, je ne suis pas certain que les Forces armées canadiennes aient besoin que plus d'experts-conseils viennent leur dire quels sont leurs problèmes et quels sont leurs défis. Elles le savent trop bien. Ce qui leur manque actuellement, à l'interne, c'est le personnel civil et militaire pour pouvoir relever tous ces défis.
Ce dont les Forces armées canadiennes ont désespérément besoin, bien plus que d'experts-conseils, c'est d'un engagement soutenu de 15 ans de la part de tous les partis à la Chambre pour régénérer, soutenir et faire fonctionner cette organisation. J'exhorte tous les partis à unir leurs efforts lors des votes sur des décisions clés en matière de défense et à s'engager collectivement à tracer une voie d'avenir pour les Forces armées canadiennes.
C'est comme pour une organisation du secteur privé: si on change constamment de voie ou si on ne fait pas attention, comme certains disent que c'est le cas pour cette organisation, on risque de se retrouver dans le pétrin. Maintenant que nous sommes dans le pétrin, nous avons vraiment besoin d'une attention soutenue, parce que c'en est devenu gênant auprès de nos alliés, monsieur Spengemann.
:
Merci, monsieur Spengemann.
Cela met fin à notre première heure.
Au nom du Comité, je tiens à remercier M. Leuprecht et Mme Winger de leur contribution à cette étude et, comme toujours, de leurs excellentes observations.
Monsieur Leuprecht, je reviens sur la remarque que vous avez faite en réponse à la question de Mme Normandin, au sujet de l'étude. Ce serait bien de fournir cette information.
Sur ce, nous allons suspendre la séance et inviter les prochains témoins à s'installer.
Merci encore.
:
Merci, monsieur le président.
Bonjour, je veux remercier le Comité de m'avoir invité pour discuter du recrutement et de la rétention du personnel dans les Forces armées canadiennes. Je suis accompagné de Robyn Hynes, ma directrice des opérations, et nous sommes ravis d'être avec vous pour la prochaine heure pour vous parler de nos constatations concernant ces enjeux, d'après ce que nous avons constaté.
Bien que ce soit mon premier témoignage devant ce comité depuis le début de la 44e législature, j'ai déjà eu le plaisir de rencontrer plusieurs membres individuellement, et j'espère pouvoir rencontrer les autres membres du Comité prochainement.
Comme vous devez en avoir entendu parler, les problèmes entourant le recrutement et la rétention sont causés par de nombreux facteurs.
[Français]
Pour ce qui est du recrutement, différentes raisons peuvent inciter des personnes à choisir ou non de s'enrôler dans les Forces armées canadiennes. Ce sont aussi différentes raisons qui peuvent expliquer pourquoi les Forces armées canadiennes n'arrivent pas à recruter certains Canadiens dans leurs rangs.
De plus, lorsqu'ils quittent les Forces armées canadiennes pour des raisons autres que médicales ou disciplinaires, les militaires le font pour diverses raisons. Cependant, si l'on regroupe ces raisons, certaines tendances se dégagent, et l'on découvre l'existence d'enjeux systémiques. Au cours des 23 années d'existence du bureau de l'ombudsman, nous avons surveillé de près ces enjeux et avons recommandé aux Forces armées canadiennes des mesures pour les résoudre.
[Traduction]
Je tiens à aborder quelques-uns des thèmes que nous examinons ou prévoyons examiner, et qui affectent directement le recrutement et la rétention.
En juin dernier, j'ai donné une conférence de presse pour parler des problèmes entourant l'inconduite dans les forces armées et au ministère. Pendant cette conférence de presse, j'ai déclaré que le système de redressement de griefs des Forces armées canadiennes est défaillant. Je maintiendrai cette position tant qu'on n'aura pas trouvé une solution durable à des problèmes profondément ancrés, et aux longs délais qu'ils causent, qui reviennent après chaque tentative pour éliminer rapidement les retards.
Comme je l'ai dit à plusieurs d'entre vous, mon organisation est dans une position unique pour en juger. On nous décrit parfois comme une ressource de dernier recours. En effet, habituellement nous demandons aux plaignants d'épuiser les mécanismes du système des griefs avant de revenir nous voir, sauf en cas de circonstances urgentes. Je peux cependant affirmer que nous intervenons de plus en plus souvent tôt dans le processus de grief, et cette tendance est troublante.
Le système de grief est le principal mécanisme de recours vers lequel un militaire des Forces armées canadiennes peut se tourner pour rectifier une injustice ou résoudre différents problèmes. Les militaires se butent toutefois à des délais importants dans le processus de grief. Pour certains, ces délais peuvent entraîner des difficultés financières, du stress physique et émotif, des relations brisées, ou pire encore. Récemment, j'ai dû intervenir dans deux dossiers de grief, le premier ayant été ouvert il y a plus de neuf ans, l'autre il y a plus de quatre ans. Depuis, mon bureau a reçu une réponse à sa demande concernant tous les griefs en retard, pour connaître les types de griefs concernés et la durée du retard. Cela brosse un portrait clair du problème en termes de nombre, mais n'explique pas les causes du problème.
Comme je l'ai indiqué dans deux lettres adressées au chef d'état-major de la défense à la fin de 2021, je crois fermement que la solution au problème des griefs réside à la fois dans les personnes et dans le processus. Malheureusement, beaucoup de solutions qui ont été lancées au fil des décennies n'ont fait qu'augmenter temporairement le personnel afin de réduire les dossiers en retard.
Les problèmes sous-jacents dans le système des griefs sont intimidants, mais ne rien faire pour s'y attaquer ne ferait qu'éroder davantage la confiance des militaires. Comme l'ont déjà fait beaucoup de militaires, d'autres qui ont une brillante carrière devant eux quitteront les forces armées à cause de l'inaction. Il est décourageant pour nous de continuer de signaler à la chaîne de commandement des problèmes que soulevait le premier ombudsman, entre 1998 et 2005. Le cycle se poursuit.
[Français]
Les simples colmatages, comme s’attaquer au fait que le chef d’état-major de la défense a des pouvoirs financiers très limités lorsqu’il s’agit de redresser un tort envers un militaire, n’ont aucun sens.
Du point de vue de la rétention du personnel, toute personne susceptible de s’enrôler devrait savoir qu’il y a un système de redressement qui fonctionne si elle devait rencontrer un problème pendant son service militaire. À l’heure actuelle, cela ne peut être garanti. Cette situation aura une incidence sur la capacité des FAC de maintenir son personnel en poste.
[Traduction]
Suivant le thème de la confiance, nous devons aussi rendre l'institution plus forte en garantissant l'indépendance des organismes de surveillance. Le Centre d'intervention en matière d'inconduite sexuelle, le CIIS, le bureau de l'ombudsman et d'autres autorités militaires et civiles doivent être mieux à l'abri des influences extérieures réelles ou perçues. Si aucune mesure supplémentaire n'est prise pour consolider cette indépendance, la confiance continuera de s'éroder.
Je souhaite maintenant aborder un second thème, celui de la crise culturelle qui frappe les Forces armées canadiennes et le ministère de la Défense nationale. Les histoires d'inconduite continuent de faire les manchettes. Nous savons donc que des personnes talentueuses et compétentes ont quitté les Forces armées canadiennes à cause de ces histoires, à cause d'un lien personnel avec ces histoires ou à cause de la façon dont les Forces ont réagi. Cela est difficile à mesurer, mais on peut présumer que la situation a eu une incidence sur le recrutement. La culture générale dans les forces armées, y compris ses initiatives pour promouvoir l'inclusion et la diversité dans ses rangs, continue d'en souffrir.
Bien que nous ayons vu des changements organisationnels prometteurs comme la création du poste de chef, Conduite professionnelle et culture, nous ne voyons rien à l'horizon qui ressemble à un changement substantiel.
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Je vais donc me limiter au dernier thème, celui de la famille.
La politique de défense du Canada, « Protection, Sécurité, Engagement », contient d'abord et avant tout des promesses envers les gens qui composent la Défense. Malheureusement, près de cinq ans après la publication de ce document, les membres de la communauté de la Défense continuent de rencontrer d'importantes difficultés sur le front intérieur. En général, les personnes qui passent par le nouveau processus de transition vers la vie civile me font part de commentaires positifs. Cependant, mon bureau continue d'intervenir dans des dossiers où un militaire n'est clairement pas prêt à quelques jours, voire à quelques heures de sa libération.
En conclusion, nous avons besoin d'un système où les gens aient la certitude d'être traités équitablement. Nous avons besoin d'une culture de respect pour chaque personne au sein des Forces armées canadiennes et du ministère de la Défense nationale, et nous avons besoin d'un soutien pour nos familles, parce qu'elles sont l'épine dorsale des forces armées qui nous servent.
Merci, monsieur le président.
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Comme je l'ai dit dans mes propos liminaires, je pense qu'il y a une crise de confiance au sein des forces armées quant à savoir si les gens seront traités équitablement. C'est l'élément central de notre mandat. Quand les gens se tournent vers nous, c'est qu'ils veulent être traités équitablement, et nous essayons de les aider à ce que tel soit le cas.
Cependant, il y a aussi tous les cas d'inconduite qui font régulièrement les manchettes et qui font perdre confiance aux gens. Celles et ceux qui dénoncent une situation d'inconduite — qu'il s'agisse d'une inconduite sexuelle ou d'un abus de pouvoir — veulent savoir qu'ils seront traités équitablement. Ils veulent avoir l'assurance qu'ils seront entendus. [Difficultés techniques] pour faire face à cette situation particulière.
Par ailleurs, dans mes tournées des bases et des escadres, j'entends parler de familles et de militaires qui ont de la difficulté à payer leur logement. Comme d'autres témoins l'ont dit, certaines politiques sont désuètes et elles n'offrent pas la souplesse voulue pour évoluer au rythme des facteurs économiques qui touchent non seulement les militaires, mais bien sûr tous les Canadiens. Cela concerne le logement, l'inflation et bien d'autres choses. Certaines de ces politiques, comme l'indemnité de vie chère, n'ont pas été mises à jour. Les taux n'ont pas été actualisés depuis 2008. Or, l'économie et la situation économique dans l'ensemble du pays ont changé. Cela a créé une situation très injuste pour beaucoup de militaires et leur famille partout au pays.
Il y a toutes sortes de raisons pour lesquelles les gens décident de quitter l'armée, mais je crois vraiment que tout cela se ramène à un problème de base: un manque de confiance dans le fait que le système puisse les traiter équitablement. Un changement s'impose: il faut imposer une culture du respect, et il va falloir davantage respecter la personne. Nous devons aider les familles des militaires et les aider davantage à soutenir nos militaires.
L'initiative Canada sans faille vise à régler ce problème en collaboration avec les provinces et les territoires, mais je crois fermement que le doit directement traiter avec les provinces et les territoires.
À ce sujet, une partie de la terminologie, pendant que je lisais le document d'information et que j'écoutais... Un effort est fait pour s'attaquer aux injustices [difficultés techniques]. Je comprends tout cela, et cela fait certainement partie des griefs, mais nous avons entendu parler d'un certain niveau d'inconduite sexuelle dans les FAC. Cela peut sembler insignifiant, mais quand on commence à cataloguer l'inconduite sexuelle comme une injustice en disant qu'il faut rétablir l'équité à cet égard, on minimise également le problème en classant certaines choses dans la même catégorie.
Avez-vous réfléchi à la possibilité de dire qu'un grief...? Je sais qu'il n'existe pas de grief vraiment classique, mais étant donné la nature des cas d'inconduite sexuelle et des enjeux systémiques, ne pourrait‑on pas dire qu'il s'agit d'un problème plus vaste qu'un problème d'injustice et qu'il devrait y avoir, dans la terminologie, une définition ou une catégorisation qui reconnaisse ce qui s'est passé?
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Merci beaucoup, monsieur Lick.
Je suis heureuse de vous revoir. Je vous remercie d'être présent à cette réunion du Comité.
J'aimerais commencer par vous rappeler une sortie publique que vous avez faite il y a environ un an, en mars 2021, afin de demander au gouvernement de rendre votre bureau véritablement indépendant.
Selon ce qui avait été rapporté dans les médias, vous souhaitiez que votre bureau soit indépendant et vous mentionniez que la structure de votre bureau minait la confiance dans votre capacité à vous battre pour les membres des Forces armées canadiennes.
J'aimerais que vous nous parliez de ce qui rendait votre bureau insuffisamment indépendant, à votre avis.
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Dans ce cas particulier, l'une des raisons pour lesquelles j'ai fait cette déclaration était pour demander, comme tous mes prédécesseurs l'avaient fait avant moi, une plus grande indépendance, en particulier pour faire rapport au Parlement en tant que mandataire du Parlement. Comme je l'ai dit lorsque j'ai parlé du système de règlement des griefs, c'est pour faire en sorte que les gens aient davantage l'assurance qu'une organisation complètement indépendante — et perçue comme étant complètement indépendante — surveille le ministère de la Défense nationale et l'armée. C'est pour donner aux gens confiance dans le système que cet organisme est indépendant.
Au fil des ans, nous avons vu de l'ingérence dans notre bureau. Nous avons vu nos pouvoirs changer sans consultation. Tous ces éléments d'ingérence administrative et d'ingérence directe entraînent des problèmes de confiance. Ils nous empêchent également d'exécuter [difficultés techniques].
L'une des principales raisons pour lesquelles j'ai demandé cette indépendance, c'était pour pouvoir faire avancer un dossier particulier, quel qu'il soit, au‑delà du ministre. Le ministre — quel qu'il soit et quel que soit son parti — est toujours membre d'un certain parti, et les questions qui touchent les militaires... L'armée est une institution canadienne qui est essentielle pour tous les Canadiens et qui doit être entendue par ceux qui représentent tous les Canadiens, c'est‑à‑dire le Parlement, sans que ce soit filtré par le parti alors au pouvoir.
Dans certains cas, je devrai peut-être aller au‑delà du Parlement et peut-être jusqu'au premier ministre — pour toute question particulière dont nous entendrons parler — parce que l'importance de l'armée en tant qu'institution canadienne pour la sécurité nationale est vitale, et ces questions, quelles qu'elles soient, doivent être entendues par le Parlement. C'est la principale raison pour laquelle j'ai demandé une plus grande indépendance.
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Bien sûr. J'ai justement sous les yeux les délais de traitement des griefs.
Dans les Forces armées canadiennes, il y a deux paliers de grief. Il y a l'autorité initiale et l'autorité de dernière instance. Le palier de grief de l'autorité initiale dispose d'un délai de 120 jours pour répondre. Auparavant, il était de 90 jours, mais il a ensuite été porté à 120 jours. Au dernier palier, en fait aucun délai n'est imposé à l'autorité de dernière instance pour rendre une décision.
Selon les derniers chiffres que j'ai, pour les griefs en première instance, il y en avait 566, et 307 d'entre eux étaient en attente d'une décision depuis plus de quatre mois. Pour ce qui est du palier de l'autorité de dernière instance — encore une fois, je me ferai un plaisir de vous fournir ces chiffres après la réunion —, il y avait 687 dossiers au palier de l'autorité de dernière instance. Plus de 340 d'entre eux attendaient une décision depuis un à quatre ans, et 33 d'entre eux étaient toujours en suspens après quatre à neuf ans.
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J'aimerais simplement rappeler au Comité qu'en ce qui concerne les questions et les plaintes de ce genre, qui sont de nature criminelle, nous les renvoyons à l'organisme d'application de la loi compétent. Cela ne fait pas partie de notre mandat.
Pour ce qui est des questions qui ne sont pas de nature criminelle, il est difficile de dire pour l'instant, je crois, si nous constatons un changement important dans la chaîne de commandement. Je pense que nous verrons cela avec le temps. Nous espérons voir cela avec le temps. Avec la plus grande visibilité de ces choses que nous voyons dans les médias, je pense qu'il y a beaucoup plus de pressions sur la chaîne de commandement pour que ces questions soient bien gérées.
Quand j'ai discuté de ce problème avec le chef d'état-major de la défense, il m'a dit qu'il tenait ces gens responsables, qu'il tenait la chaîne de commandement responsable. Nous verrons; notre travail consiste à surveiller l'évolution avec le temps et voir si cela se produit vraiment.
Nous recevrons certainement des plaintes de temps à autre. Mme Hynes pourrait peut-être vous en donner un exemple. Au fil du temps, nous entendons des plaintes selon lesquelles il y a des retards dans le traitement d'un processus ou d'un problème d'inconduite. C'est très typique de certaines des plaintes que nous entendons.
Mme Hynes pourrait peut-être vous donner un exemple.
C'est plus une déclaration qu'autre chose. Je dirais que j'ai toujours trouvé inquiétant, avec la présence d'une base militaire dans ma circonscription, que nous ayons des dizaines de personnes dont les problèmes liés au système de paie Phénix n'ont pas été réglés, depuis plusieurs années dans certains cas. Cela touche les pensions, l'impôt payé et perçu et tout le reste. Ces personnes ont appelé à maintes reprises pour faire régler les problèmes dans le système de paie Phénix au sein des forces armées. Pourtant, lorsque c'est le bureau du député qui appelle, ces questions sont généralement résolues dans un délai de quatre à six semaines.
Je ne comprends pas pourquoi, lorsque les employés appellent eux-mêmes, le ministère ne prend pas cela aussi au sérieux. En fait, le ministère nous a dit qu'à moins qu'un bureau de député ne téléphone, il n'y porte pas attention, ce qui est vraiment triste.
Monsieur Lick, vous avez dit qu'il y avait des retards, et Mme Hynes nous a fourni les échéanciers. Ces retards sont-ils liés au délai entre le dépôt d'une plainte et son règlement? Qu'est‑ce qui a pris plus de temps? Est‑ce l'enquête? Quelle est la raison de l'arriéré? Y a‑t‑il un retard dans l'obtention du soutien ministériel ou du soutien de la chaîne de commandement pour traiter une plainte, ou les retards au sein de votre bureau sont-ils attribuables à la dotation ou au financement? Que se passe‑t‑il?
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Lorsque nous parlons de retards, il s'agit des retards dans le système de griefs, qui est le mécanisme interne disponible — dans ce cas‑ci, pour les militaires — au sein du ministère. Ce n'est pas au sein de notre bureau comme tel.
Nous voyons certaines des situations dont vous venez de parler, de sorte que si nous appelons au sujet d'un grief, nous voyons parfois une réponse plus rapide.
Nous essayons de le faire seulement dans des circonstances impérieuses. Simplement parce que lorsqu'une personne nous appelle, notre rôle n'est pas de la placer en tête de liste, car si nous le faisions chaque fois que quelqu'un nous appelle, ce serait injuste. Lorsqu'il y a des circonstances impérieuses... et chaque situation est un peu différente. Il y a diverses raisons à cela. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous allons mener une enquête systémique sur les mécanismes de recours l'an prochain.
Nous estimons que ce n'est pas simplement une question de ressources. Nous l'avons constaté au fil des décennies. En y consacrant des ressources, on réduit l'arriéré pendant un court moment, mais il revient. Pourquoi? C'est la réponse que nous voulons approfondir.
J'ai quelques idées...
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Certainement. Les FAC sont en train d'apporter des changements. La pandémie a eu une incidence sur le recrutement, comme d'autres témoins vous l'ont dit.
L'une des raisons les plus courantes pour lesquelles nous recevons des plaintes concerne le recrutement et les retards dans le recrutement. En fait, l'autre jour, je parlais justement avec un de mes amis qui est réserviste et d'après ses discussions avec ses collègues, le problème est celui dont nous entendons constamment parler, à savoir que le processus de recrutement est tout simplement trop long. Il y a [difficultés techniques] aussi long, et il y a de nombreuses façons de faire les démarches en ligne. Mais il y a certains problèmes [difficultés techniques] que les FAC essaient de régler en ce moment, simplement pour que le processus ne soit pas trop long.
Je dois admettre que, du côté civil de la dotation, les difficultés sont très similaires. Les processus sont tout simplement trop longs pour que le volet civil du ministère et les FAC puissent soutenir efficacement la concurrence et les gens partent pour aller dans le secteur privé.
Encore une fois, nous examinerons cela de plus près dans un an environ. Cependant, je pense qu'il y a deux ou trois choses à considérer. La première, dont j'ai discuté avec le chef d'état-major de la défense, il y a quelque temps, c'est de s'assurer que les gens sont tenus responsables du traitement d'un grief particulier dans le cadre du processus. Dans leurs ententes de gestion du rendement, les chaînes de commandement — du moins au niveau le plus élevé — s'engagent toutes à s'assurer que le processus se déroule dans les délais voulus. Nous verrons comment les choses se dérouleront.
Encore une fois, il faut affecter les ressources nécessaires. Je crois qu'il s'agit notamment de voir si les chaînes de commandement obtiennent les bons conseils en ce qui concerne la politique sur les avantages et l'interprétation appropriée de la politique, afin de rendre une décision équitable en temps opportun. Cela pourrait être une chose à vérifier. De plus, est‑ce que les comités des griefs et les autorités des griefs disposent des bonnes personnes pour traiter efficacement un processus de grief?
Je ne pense pas nécessairement que tout le monde voudrait aller travailler pour l'autorité des griefs, mais je crois important que nous ayons des personnes de qualité à long terme, pas seulement à court terme, pour pouvoir soutenir efficacement le système. Sans un système de règlement des griefs efficace, rapide et équitable, vous ne donnerez jamais à tous les membres de l'institution l'assurance qu'ils seront traités équitablement.
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Certainement. Lorsque nous recevons une plainte, ou même une demande d'information, une grande partie de ces renseignements nous sert pour notre analyse des tendances. En pareil cas, nous examinons toujours les plaintes et demandes d'information ainsi que les enquêtes qui peuvent être menées à la suite de ces plaintes, et nous examinons les tendances pour voir s'il y a des problèmes systémiques que nous devons étudier plus en profondeur. Cela alimente notre plan d'enquête systémique.
Je viens d'ailleurs d'envoyer un rapport à la sur les affectations pour motifs personnels et le statut particulier. C'est un sujet dont j'ai entendu parler non seulement lorsque je me suis rendu dans diverses bases et escadres, mais aussi dans le cadre des plaintes et des demandes d'information que nous recevons par téléphone, par courriel, etc. Cela nous a révélé un problème particulier. Peut-être que la politique n'était pas interprétée correctement ou qu'elle était incohérente d'un bout à l'autre du pays et que les gens étaient traités injustement.
La est maintenant saisie de ce rapport. Il sera publié à la fin d'avril ou en mai. Vous y trouverez des recommandations sur la façon dont les gens devraient être traités.
Nous ferons la même chose pour le recrutement si nous constatons qu'il y a des problèmes particuliers. Le principal problème que nous avons constaté, et Mme Hynes pourra vous en parler en détail, ce sont les longs délais au sujet desquels nous recevons des plaintes. Je n'ai pas pu obtenir de réponse.
Ce sont là les problèmes typiques dont nous entendons parler, ainsi que les doléances des gens qui estiment avoir été injustement empêchés de s'enrôler. Cependant, les retards sont certainement le sujet de plainte le plus fréquent.
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Il est très difficile pour nous de répondre à cette question. Le commandant du personnel militaire serait la personne la mieux placée pour répondre à ce genre de question.
Il est certain que dans les types de demandes d'information que nous recevons, ou dans les plaintes, nous voyons certainement des secteurs... En général, nous recevons les plaintes de personnes qui estiment avoir été traitées injustement. En général, nous ne recevons pas de plainte concernant une personne qui démissionne parce qu'elle veut occuper un autre emploi. Nous ne recevons pas ce genre de plaintes parce qu'il ne s'agit pas vraiment de plaintes.
Les plaintes que nous recevons portent sur diverses situations où il y a des problèmes familiaux et où les gens ne peuvent pas s'occuper efficacement de la situation familiale en continuant d'être des militaires, ou ne peuvent pas avoir accès à des soins de santé appropriés et doivent rester dans la région où leurs enfants, le conjoint ou le partenaire peut être pris en compte.
Il y a diverses raisons pour lesquelles les gens quittent l'armée. Il appartient certainement au commandant du personnel militaire de mieux répondre aux tendances dans ce domaine.