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La séance est ouverte. Bienvenue à la 13
e réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes.
Conformément à l'ordre de renvoi du jeudi 31 mars 2022, nous nous réunissons pour étudier le projet de loi , Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
La réunion se déroule en formule hybride conformément à l'ordre de la Chambre adopté le 25 novembre 2021. Des députés sont présents dans la salle et d'autres participent à l'aide de l'application Zoom. Les délibérations seront diffusées sur le site Web de la Chambre des communes.
J'aimerais maintenant accueillir nos témoins, mais je tiens à les informer au préalable que chaque groupe disposera de cinq minutes pour faire sa déclaration liminaire, après quoi les députés auront des questions à poser.
Je n'ai pas de carton de minutage, mais lorsqu'il vous restera 30 secondes, j'agiterai une enveloppe pour vous avertir qu'il vous reste environ 30 secondes. Je devrai vous interrompre lorsque votre temps sera écoulé.
Nous accueillons trois témoins dans le premier groupe: Michael Spratt, avocat en droit pénal et en droit d'appel et associé chez AGP LLP, Jennifer Dunn, du London Abused Women's Centre et le chef Mark Arcand, chef tribal du Saskatoon Tribal Council.
J'inviterai d'abord Michael Spratt à prendre la parole pendant cinq minutes.
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Je vous remercie beaucoup de l'invitation. C'est un plaisir d'être de retour devant vous.
Je m'appelle Michael Spratt, je suis avocat agréé comme spécialiste en droit pénal par le Barreau de l'Ontario et associé au cabinet de droit pénal AGP LLP, ici à Ottawa. J'ai siégé au conseil d'administration de la Criminal Lawyers' Association. J'ai été vice-président de la Defence Counsel Association of Ottawa et j'exerce le droit dans les tranchées de nos tribunaux depuis environ 15 ans maintenant.
J'aimerais aborder brièvement les trois principales caractéristiques du projet de loi. Je commencerai par les peines minimales. En matière de politique de justice pénale, l'adoption de peines minimales obligatoires est un outil de détermination de la peine qui est la marotte des petits esprits. Les preuves sont claires. Les PMO sont un outil inefficace et dangereux. Elles n'ont pas d'effet dissuasif sur les criminels. Elles n'améliorent pas la sécurité publique. Elles ont une incidence disproportionnée sur les Autochtones et les autres Canadiens racisés et elles sont incroyablement coûteuses.
En 2005, le ministère de la Justice a trouvé des preuves que les peines minimales n'ont pas un effet dissuasif sur les criminels. En 2007, le Service d'information et de recherche parlementaires a cité de nombreuses études qui arrivaient à la même conclusion. En 2017, un rapport du gouvernement fédéral a conclu:
Selon des recherches menées au Canada et aux États-Unis, rien ne permet de croire que les PMO ont un effet dissuasif sur la criminalité; certaines études laissent plutôt entendre que les PMO peuvent donner lieu à des sanctions excessives et à des disparités, qu'elles augmentent les coûts du système de justice pénale en raison des niveaux d'incarcération plus élevés, et que les peines plus longues peuvent en fait accroître la récidive.
Coûteuses, racistes, inefficaces, injustes et cruelles: voilà pourquoi, à maintes reprises, nos tribunaux ont déclaré que les peines minimales sont inconstitutionnelles.
Il est très positif que le projet de loi supprime du Code criminel cette politique de détermination de la peine corrosive, mais bien sûr, il ne supprime pas toutes les peines minimales. Nous devons éliminer toutes les peines minimales du Code criminel. Je vais répondre à l'avance à la question: oui, y compris pour le meurtre, une préoccupation particulière pour les femmes qui ont tué leur agresseur.
Voici votre leçon d'histoire. La seule raison pour laquelle la Cour suprême a jugé la peine minimale constitutionnelle en cas de meurtre dans l'affaire Luxton était qu'il y avait une possibilité de contrôle en vertu de la clause de la dernière chance, qui a bien sûr été abrogée.
Au minimum, ce projet de loi devrait être amendé pour prévoir une soupape de sécurité pour le reste des peines minimales obligatoires qui ne sont pas explicitement éliminées et il devrait prévoir l'exigence selon laquelle toutes les options raisonnables en matière de détermination de la peine doivent être examinées et envisagées avant l'imposition d'une peine minimale obligatoire.
J'en viens aux peines avec sursis, l'une des meilleures parties du projet de loi. Nous avons grand besoin de la modification apportée au régime des peines d'emprisonnement avec sursis qui permettra d'uniformiser l'application du droit pénal à la grandeur du Canada. Les provinces ont maintenant des règles différentes en matière de peines avec sursis en raison des conclusions différentes des tribunaux. Sur le terrain, nous constatons que les peines avec sursis apportent efficacité et équité au système de justice.
Certaines personnes, et je serai franc parce que c'est dans ma nature, les membres du Parti conservateur ont dit que les peines d'emprisonnement avec sursis sont trop laxistes. Or, ce n'est pas parce qu'une peine avec sursis est disponible qu'elle sera infligée. Une ordonnance de sursis ne peut être rendue que pour les peines inférieures à deux ans et seulement lorsqu'il n'y a pas de danger pour la sécurité de la collectivité. Les peines avec sursis sont assorties de restrictions importantes et contribuent grandement aux objectifs de dénonciation et de dissuasion.
Si vous pensiez que l'obligation de porter le masque constituait une restriction oppressive qui méritait et justifiait des manifestations massives, attendez d'entendre parler des peines avec sursis, car elles peuvent être plus restrictives et punitives, mais favoriser aussi la réadaptation. Contrairement à l'emprisonnement conventionnel, les peines avec sursis sont assorties de conditions, comme l'assignation à résidence. Les délinquants peuvent être tenus de suivre des séances de counseling, de chercher un emploi, d'effectuer des travaux communautaires et d'accorder des réparations aux victimes de leurs infractions. C'est l'une des meilleures parties du projet de loi.
Très brièvement, dans le temps qu'il me reste, je vais aborder les modifications relatives aux drogues. Le Canada est en proie à une épidémie mortelle de surdoses. En 2020, plus de personnes sont mortes en Colombie-Britannique de surdoses de drogue que d'accidents de la route, d'homicides et de suicides, toutes catégories confondues. Depuis 2016, plus de 20 000 Canadiens sont morts de surdoses d'opioïdes. Une réforme graduelle ne suffit pas ici. Les gens ne mènent pas des vies graduelles et ils ne meurent pas de mort graduelle. Les méfaits de la criminalisation continue sont réels.
En ce qui concerne la question de la drogue, ce projet de loi n'est que la poudre aux yeux. C'est le même type de poudre aux yeux que nous avons vu en 2018, avec un projet de loi qui cherchait à détourner les défenses dans les affaires liées à l'administration de la justice par la déjudiciarisation gérée par la police. Les policiers d'Ottawa ont exercé ce pouvoir quatre fois.
La vraie solution n'est pas de donner plus de pouvoir à la police, mais de les reprendre. Nous avons besoin de la décriminalisation et d'une loi sur l'approvisionnement sûr.
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Merci, monsieur le président.
Je vous remercie de m'avoir invitée. C'est un plaisir de vous revoir tous.
Je suis Jennifer Dunn, la directrice exécutive du London Abused Women's Centre, ou LAWC, situé à London, en Ontario.
Le LAWC est une organisation féministe qui soutient et défend les changements personnels, sociaux et systémiques destinés à mettre fin à la violence des hommes envers les femmes et les filles. Notre centre est non résidentiel. Nous sommes un organisme qui offre aux femmes et aux filles de plus de 12 ans qui ont été victimes de violence, d'agression, d'exploitation, de traite ou de torture non étatique un accès immédiat à des services de counseling, de représentation et de soutien à long terme axés sur les femmes.
Le 8 avril, l' a dit: « Ce que nous voulons, c'est assurer la sécurité des communautés. Ces réformes nous aideront à y parvenir ». Nous sommes en partie d'accord avec l'honorable ministre. La sécurité communautaire est ce que nous souhaitons. Cependant, nous ne pensons pas que le projet de loi , en son état actuel, est le moyen d'y parvenir. Je veux aborder deux questions aujourd'hui. La première est l'ordonnance de sursis. L'autre concerne les peines minimales obligatoires. Je vais commencer par l'ordonnance de sursis.
Avec le projet de loi , afin de surveiller le comportement du délinquant dans la collectivité, le tribunal peut ordonner que celui-ci purge sa peine dans la collectivité. Certaines infractions énumérées dans le projet de loi C-5 sont l'agression sexuelle, le harcèlement criminel, l'enlèvement, la traite de personnes, le gain matériel et l'enlèvement d'une personne de moins de 14 ans. Les femmes et les filles sont cinq fois plus susceptibles que les hommes d'être victimes d'une agression sexuelle, un crime violent en hausse au Canada. Avec l'ordonnance de sursis, de nombreuses femmes seront coincées dans la collectivité avec le délinquant, ce qui les expose à un risque encore plus élevé.
Une peine d'emprisonnement avec sursis n'empêche aucunement un délinquant de continuer à commettre des actes de violence. Les femmes ont besoin que les tribunaux le comprennent. Une ordonnance de sursis pour ces infractions minimise la gravité de ces actes criminels.
J'ai une citation ici d'une femme avec laquelle je suis fière de travailler. Elle s'appelle Caroline. Elle travaille dans le domaine du soutien par les pairs et c'est une survivante. Elle a dit:
Je connais un cas où deux hommes ont été condamnés à quatre ans de prison pour traite de personnes, ce qui n'est rien comparé aux femmes qui vivront une peine à perpétuité après avoir été victimes de traite de personnes, car beaucoup d'entre elles ne s'en remettront jamais et elles devront au minimum passer des années et des années en counseling et à surveiller sans cesse leurs arrières.
Notre travail nous a appris que le meilleur prédicteur du comportement est le comportement passé. Les victimes et les agresseurs vivent dans les mêmes collectivités. Le retour d'un délinquant dans la collectivité en vertu d'une ordonnance de sursis n'est pas toujours la solution.
Le deuxième point que je veux aborder avec vous est l'abrogation des peines minimales obligatoires pour certaines infractions prévues au Code criminel. Je vous exhorte à penser aux personnes les plus marginalisées lorsque vous vous demanderez si c'est suffisant. L'abrogation de certaines peines minimales obligatoires plutôt que d'autres ne contribue pas à la sécurité publique. Les femmes ne sont pas protégées par la loi si l'on ne tient pas compte de toutes les peines minimales obligatoires.
Par exemple, une peine obligatoire d'emprisonnement à perpétuité pour les femmes qui sont reconnues coupables de meurtre dans des situations où elles réagissaient à la violence d'un homme est inappropriée. Chaque année, 40 à 50 % des femmes condamnées à la prison à perpétuité sont des Autochtones et 91 % d'entre elles ont été victimes de violence physique et sexuelle.
La peine minimale obligatoire la plus longue au Canada, la peine d'emprisonnement à perpétuité obligatoire pour meurtre, a entraîné d'innombrables erreurs judiciaires pour les femmes. Il a été prouvé à maintes reprises que le système de justice pénale ne comprend pas parfaitement les répercussions de la violence faite aux femmes.
En écoutant les séances précédentes de l'étude, j'ai également entendu plus d'une fois que le projet de loi permettrait de réaliser des économies. Je me demande si les économies devraient vraiment entrer en ligne de compte dans notre discussion de la vie de femmes. Nous avons besoin d'un changement systémique. Nous devons protéger les femmes. Les femmes méritent de vivre à l'abri de la violence. Les tribunaux doivent prendre conscience que les femmes sont facilement mises en danger.
Mercredi, au Sénat, parlant d'un autre projet de loi, le projet de loi , la sénatrice Pate a déclaré:
Il faudrait plutôt s'attaquer aux problèmes, aux comportements et aux idées qui alimentent la violence misogyne dans notre société et dans nos systèmes juridique et pénal, tout en mettant en place parallèlement de solides réseaux de soutien social, sanitaire et économique qui peuvent concrètement aider les femmes à éviter ou à fuir la violence.
Cela ne pourrait pas être plus vrai pour le projet de loi également.
En conclusion, nous savons que le projet de loi est une tentative de s'attaquer au racisme systémique dans le système de justice pénale du Canada, mais le Comité ne doit pas oublier que bon nombre des victimes de ces infractions sont aussi parmi les personnes les plus marginalisées et vulnérables. Le gouvernement a la responsabilité de prendre des décisions fondées sur les intérêts de tous.
Je vous remercie.
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Tansi. Nanaskomin, kâhkîyaw.
Je suis Mark Arcand, le chef tribal du Saskatoon Tribal Council. Je prends cet appel sur le territoire du traité 6, dans la ville de Saskatoon.
En ce qui concerne le projet de loi , je veux être très clair: il s'agit de l'incarcération massive d'Autochtones, point final. C'est une affirmation forte, mais exacte. En décembre 2021, 32 % des personnes incarcérées dans les pénitenciers fédéraux étaient autochtones, un nouveau sommet historique. Au cours de la dernière décennie, le nombre de femmes autochtones purgeant une peine de ressort fédéral a augmenté de 60 %, passant de 168 en mars 2009 à 270 en mars 2018. Les femmes autochtones représentent près de la moitié des femmes incarcérées dans des pénitenciers fédéraux, alors qu'elles représentent moins de 4 % des femmes canadiennes. Ces chiffres sont étonnants. Ils sont répugnants et inacceptables.
Nous pouvons ensuite nous pencher sur l'incarcération des jeunes. Dans la ville de Saskatoon, 98 % des jeunes filles dans un établissement pour jeunes sont autochtones. Cela mène au système correctionnel, au système correctionnel provincial, puis au pénitencier fédéral.
Lorsque vous parlez du projet de loi , je suis d'accord avec les intervenants précédents qui ont parlé de la violence faite aux femmes. Ce n'est jamais pris en considération dans les PMO. Lorsque nous examinons tous ces éléments, le projet de loi C-5 n'abroge complètement que 13 des 73 PMO. C'est moins d'une PMO sur cinq. Il abroge totalement ou partiellement 20 des 73 PMO seulement. C'est moins d'une PMO sur trois. Il ne traite que de 10 des 28 PMO que les tribunaux ont jugé inconstitutionnelles. Cela ne représente qu'environ une PMO sur trois jugées inconstitutionnelles.
C'est incompatible avec l'appel lancé au gouvernement fédéral d'abroger toutes les restrictions visant le recours aux peines avec sursis et les PMO, conformément aux appels à l'action 30 et 32 de la CVR, aux appels à la justice 5.14 et 5.21 de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et aux recommandations d'innombrables autres rapports de commissions de détermination de la peine et de commissions du droit. En particulier, l'alinéa 718.2e) du Code criminel oblige les juges à prendre en compte les antécédents autochtones d'une personne et à envisager toutes les options de rechange raisonnables à l'incarcération lors de la détermination de la peine, y compris les options de traitement dans la collectivité. Les PMO peuvent empêcher les juges de s'acquitter de cette obligation de reconnaître et de réparer le racisme et le colonialisme.
Lorsque nous parlons de toutes ces choses, il est très important de tenir compte du fait que l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a souligné que les peines minimales obligatoires sont particulièrement sévères pour les femmes et les filles autochtones. Selon la CVR, l'incapacité à fournir des ressources suffisantes et stables pour les programmes communautaires et thérapeutiques nécessaires à la mise en oeuvre des arrêts Gladue et Ipeelee contribue à expliquer pourquoi ces décisions n'ont pas ralenti la surreprésentation croissante des Autochtones dans les prisons.
Le projet de loi est un petit pas dans la bonne direction, mais il doit être amendé pour être un bon pas en avant. Pour toutes les PMO que le projet de loi C-5 n'abroge pas, un amendement pourrait être ajouté afin de garantir que les juges jouissent du pouvoir discrétionnaire de ne pas infliger les PMO si cela crée une injustice. Dans les cas exceptionnels pertinents, les juges devraient être en mesure d'envisager des peines moins sévères, y compris des solutions de rechange à l'incarcération, dont des options de traitement communautaires et culturellement appropriées.
Je suis désolé de ne pas porter de chemise ni de cravate à la Chambre des communes, mais je devais faire une déclaration à propos des pensionnats indiens avec la chemise orange que je porte et de tous les torts qui ont été causés aux Autochtones. Lorsque nous parlons de PMO, ce sont des facteurs qu'il faut réellement prendre en compte dans la détermination de la peine pour des crimes mineurs ou des crimes majeurs comme le meurtre. Bon nombre de nos femmes autochtones qui étaient en état de légitime défense vont se retrouver à purger une peine d'emprisonnement à perpétuité en raison des violences qu'elles ont subies dans leur relation. C'est inacceptable. Les juges doivent être en mesure de prendre des décisions en écoutant la preuve et non en suivant toujours les PMO. Dorénavant, ce n'est pas acceptable.
Même lorsqu'il s'agit de simples accusations liées à la drogue, nous devrions demander que nos concitoyens soient envoyés en thérapie, compte tenu du système des pensionnats et du traumatisme intergénérationnel qui a entraîné tous les effets négatifs pour notre population. J'ai parlé des jeunes femmes, mais dans la ville de Saskatoon, où je travaille, sur les 450 hommes détenus dans un système correctionnel, 80 % sont autochtones. C'est un chiffre élevé.
Ils passent ensuite au pénitencier fédéral, où ils sont encore plus nombreux, et ce n'est que dans la province de la Saskatchewan. Imaginez ces chiffres à l'échelle du Canada. Nous avons le plus faible pourcentage.
Merci beaucoup.
Nanaskomowin.
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Merci, monsieur le président et merci à nos témoins de participer à l'étude du projet de loi , l'ancien projet de loi .
Beaucoup de bons points ont été soulevés. Monsieur Spratt, comme vous avez évoqué les conservateurs, je vous invite à prendre le temps de faire des recherches sur les origines de la plupart des peines minimales obligatoires qui sont abrogées ici. Vous trouverez des liens directs avec les gouvernements libéraux précédents, y compris le gouvernement du père de l'actuel .
Les peines minimales obligatoires prévues dans le Code criminel ne sont aucunement le fait des seuls gouvernements conservateurs, même si, ayant fait partie de l'ancien gouvernement conservateur, je suis très fier des mesures que nous avons prises à l'égard des peines avec sursis. L'une des principales responsabilités qui nous incombe en tant que parlementaires est de mettre en place un cadre législatif qui crée un équilibre et un système de justice équilibré et qui protège les droits, non seulement de l'accusé, mais aussi de la société, des victimes et de leur famille.
En ce qui concerne les peines avec sursis, nous avons constaté que trop souvent, pour un acte très grave commis dans la collectivité, le châtiment infligé aux délinquants était de purger leur peine dans la collectivité. Il y a des situations où c'est approprié, mais il y a des situations où ce n'est certainement pas approprié.
Ma question s'adresse à vous, madame Dunn. J'ai apprécié votre témoignage. L'article 718 du Code criminel énonce que l'un des principaux objectifs de la détermination de la peine est de promouvoir le sens de la responsabilité chez les délinquants et la reconnaissance du tort causé aux victimes et à la collectivité.
Vous avez parlé des victimes dans votre témoignage. Le projet de loi étend l'application des peines d'emprisonnement avec sursis, comme l'assignation à résidence, aux personnes dont il est établi qu'elles ont tiré un gain financier de la traite de personnes. Nous avons beaucoup parlé de la traite de personnes. C'est un fléau pour notre pays et la communauté internationale. Nous avons entendu ici des témoignages très convaincants sur la tragédie que constitue la traite de personnes. Selon vous, quel message cela envoie-t-il aux Canadiens, en particulier aux femmes et aux filles que vous avez mentionnées, si les personnes qui tirent des gains de ce crime sont autorisées à purger leurs peines chez elles, dans leur collectivité?
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Je vous remercie, monsieur le président.
Monsieur Spratt, je comprends votre préoccupation quant au côté néfaste des peines minimales obligatoires. Même s'il n’y en avait plus, je pense que les juges en viendraient probablement, dans bon nombre de cas, à la même conclusion et qu'il y aurait des peines de prison importantes, lorsque les crimes le justifient. Le problème que j'ai n'est donc pas tellement lié à cette question de l'opportunité ou pas d'avoir des peines minimales, mais plutôt au message que nous envoyons.
Seriez-vous d'accord avec moi, monsieur Spratt, pour dire que le système judiciaire est un peu comme la colonne vertébrale de la société? C'est ce qui fait que les gens ne s'entretuent pas. Quand nous avons un problème, nous nous présentons devant les tribunaux et nous demandons à un tiers, soit le juge, de régler le problème.
Présentement, les gens sont inquiets relativement à la montée de la violence avec des armes à feu. Je pense notamment au témoignage de Mme Dunn, plus tôt. De façon évidente, elle manifeste, quant à elle, de l'inquiétude concernant l'abolition des peines minimales obligatoires. Certains individus ont des inquiétudes qui pourraient être irrationnelles et d'autres, rationnelles, mais il y a effectivement des inquiétudes. Si le travail de l'avocat, c'est de plaider et que, le travail du juge, c'est de décider, le travail du législateur, c'est de répondre aux besoins de la population. C'est de rassurer la population et de renforcer la confiance que la population accorde à cette colonne vertébrale de la société qu'est le système judiciaire.
N'avez-vous pas peur, en abolissant les peines minimales obligatoires, que nous envoyions à la population le message selon lequel ces crimes ne sont pas tellement importants?
Nous ne parlons quand même pas de n'importe quels crimes. Vous-même, tantôt, vous donniez l'exemple du meurtre, crime pour lequel nous devrions même abolir les peines minimales obligatoires, selon vous. J'en étais simplement à la question des armes à feu, quand quelqu'un commet un crime en utilisant une arme à feu. Ce sont des choses qui m'apparaissent inacceptables.
Encore une fois, n'avez-vous pas peur, monsieur Spratt, du message que cela enverrait à la population et de l'effet que cela aurait sur la confiance des gens à l'endroit de notre système judiciaire?
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Le système de justice pénale dans un cadre législatif comme celui-ci est un outil très grossier pour transmettre un message au public.
Ce qui me préoccupe le plus, c'est la politisation de la justice pénale au cours des dernières années, l'ignorance des données probantes. Un message est envoyé au public du fait que des actes sont criminalisés et, dans la plupart des cas, même lorsqu'il n'y a pas de peine minimale ou même lorsqu'il y en a une, s'il s'agit d'un crime très grave, la peine est généralement supérieure à la peine minimale.
Bien honnêtement, en ce qui concerne les armes à feu, les dés sont jetés. La Cour suprême a jugé la loi inconstitutionnelle et elle l'est pour de bonnes raisons. Si l'on considère, d'une part, les préjudices potentiels, hypothétiques, les préjudices possibles liés au fait que le public reçoit le mauvais message, d'autre part, il y a l'injustice qui découlait de l'imposition des peines minimales obligatoires.
Le public canadien est capable de comprendre les nuances si on lui parle comme à des adultes. Nous pouvons prendre la criminalité au sérieux sans retirer aux juges leur pouvoir discrétionnaire et nous pouvons faire en sorte que, si la chose est pertinente, des peines très longues soient infligées. Au bout du compte, j'espère que vous serez guidés par la recherche, à savoir que, qu'il s'agisse d'un outil de communication ou non, l'alourdissement des peines par le recours aux peines minimales n'améliore pas vraiment la sécurité du public. C'est ce que vous devriez dire au public.
J'espère que si vous acceptez ces données probantes, et je pense que vous devriez le faire, étant donné les décennies de témoignages que des comités comme le vôtre ont entendus sur le sujet — que l'on ne mente pas au public en lui disant qu'il sera plus en sécurité avec des peines plus longues — que vous vous engagerez dans le travail plus difficile qui consiste à assurer la sécurité du public par des mesures appropriées fondées sur des données probantes et qui sont vraiment efficaces.
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Monsieur Spratt, actuellement, des mères de famille ont peur d'envoyer leurs enfants à l'école parce que des armes à feu y circulent. Le projet de loi prévoit la suppression des peines minimales obligatoires même dans le cas des vols commis avec une arme à feu.
Je comprends ce que vous me dites. Entre juristes, nous pouvons discuter de plein de choses. Cependant, vous, moi et tout le monde, ici, nous travaillons pour la population. Vous dites à la population qu'il a été décidé qu'un vol commis avec une arme à feu est maintenant moins grave qu'auparavant et que nous enlevons les peines minimales pour ce genre de crimes.
Vous aurez beau expliquer que les peines minimales posent des problèmes et que la peine serait la même de toute façon, le message n'est peut-être pas celui que nous souhaitons envoyer.
Ne pensez-vous pas que le moment est mal choisi?
Certaines peines minimales peuvent être abolies maintenant sans problème, mais, dans le cas de crimes graves, par exemple un vol avec une arme à feu, ne pensez-vous pas que nous devrions garder les peines minimales obligatoires?
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Merci beaucoup pour cette question, monsieur Garrison. Je pense que c'est probablement la question la plus importante. J'espérais que quelqu'un la pose.
Quand tout le monde parle des PMO, je vais être honnête. Le gouvernement qui en parle importe peu. Considérant ce qui est arrivé aux Autochtones dans les pensionnats et tout le reste, par l'entremise du gouvernement fédéral et des églises, de tout le reste, qui les tient responsables? Les personnes dont nous parlons en ce moment sont les Autochtones incarcérés par ce système et il n'y a pas de PMO ni de comptes à rendre envers cette structure.
Je mets au défi les gouvernements, les deux ordres de gouvernement, de dire: qui est responsable? Regardez les Autochtones et ce qui découle de tous les effets de ce dont nous venons de parler, de l'incarcération, de l'éclatement des familles. Oui, j'entends les questions sur les vols à main armée. C'est grave, mais quels sont les systèmes de ce phénomène? Pourquoi les gens posent-ils ces gestes? C'est à cause de la façon dont ils ont été traités par ces systèmes imposés par le gouvernement où il n'y a aucune reconnaissance de la responsabilité du gouvernement fédéral, des églises. Personne n'est tenu comptable des meurtres de ces familles, de l'enlèvement de nos enfants. Nous nous demandons pourquoi maman et papa sont si perturbés parce qu'ils se sont fait arracher leurs enfants. Il n'y a aucune reddition de comptes. Soyons honnêtes et commençons à dire la vérité sur la façon dont le gouvernement a détruit les Autochtones de ce pays. Personne n'en parle.
C'est du racisme. C'est du racisme systémique. Les gens doivent être mis au défi. C'est la bonne chose à faire, car lorsque nous parlons de tous ces facteurs, ce sont les raisons pour lesquelles nous avons tant de personnes incarcérées. Nos familles sont détruites. Lorsque vous parlez des gens qui vont en prison à cause des PMO, où est la réadaptation? Montrez-nous les statistiques sur le nombre d'Autochtones qui ont été réadaptées après avoir purgé ces PMO.
La réponse est probablement un nombre minime. À l'heure actuelle, dans le cadre du travail que je fais dans le système correctionnel de la ville de Saskatoon, nous essayons d'empêcher les gens d'aller dans un pénitencier fédéral en les réadaptant par l'éducation, par la réunification des familles, par l'emploi, pour leur donner une autre façon de se comporter.
Je tiens à vous remercier, monsieur Garrison, pour cette question, car elle est très importante. Il faut qu'il y ait une certaine responsabilisation ici, parce que nous sommes confrontés à une crise des Autochtones qui sont incarcérés, en particulier les femmes. Des femmes sont maltraitées tous les jours et si vous ne connaissez pas une femme qui a été dans une relation violente, c'est qu'elle ne veut pas dire la vérité parce qu'elle a peur. Personne ne les aide. Où est la réadaptation pour cela? Elles sont poussées à commettre des crimes violents parce qu'elles se protègent et ce n'est que de la légitime défense.
Merci pour cette question, monsieur Garrison.
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Merci pour cette question.
C'est un sujet très concret. Pour les personnes qui ne comprennent pas et qui ne font pas ce travail tous les jours, voir la réhabilitation des traumatismes appliquée, tout cela est dû à un système de racisme systémique qui a été infligé aux Autochtones.
Deux cas clés mettent en évidence l'absence d'équité entre une personne non autochtone et une personne autochtone dans le système judiciaire.
Colten Boushie a été tué par un fermier non autochtone. Que lui est-il arrivé? Il a été acquitté par un jury entièrement blanc. Même les membres des Premières nations ne pouvaient pas être jurés. C'est un système qui doit changer. Oui, nous faisons de notre mieux pour le faire, mais pourquoi cela coûte-t-il la vie d'un Autochtone?
Prenez le cas de Neil Stonechild et l'enquête sur la police de Saskatoon de l'époque, il y a 20 ans. Nous sommes ciblés en tant qu'Autochtones.
Ces peines devraient être des peines de prison à vie, mais parce qu'ils ont l'argent et le pouvoir, elles ne sont pas appliquées. Cependant, si vous prenez un Autochtone qui est accusé, il est envoyé en prison, parce qu'il ne peut pas se payer le meilleur avocat. Il ne peut pas se payer ce genre de choses.
Michael Spratt a mis le doigt sur le problème. C'est la réalité. Où est l'équité de la justice? Lorsque vous parlez de réhabilitation, la raison pour laquelle les Autochtones commettent ces crimes est qu'ils ont été torturés et traumatisés par un système. Ce système, c'étaient les pensionnats et il mène à l'incarcération.
Je le dis franchement et ouvertement. Lorsque vous n'avez pas eu affaire à des gens assis devant vous comme nous le faisons, que vous n'avez pas été à l'intérieur du centre correctionnel et de la prison fédérale, et que vous n'avez pas parlé à ces personnes qui disent vouloir changer parce qu'elles n'aiment pas cette vie... Ils ne se réveillent pas un matin et décident d'agir ainsi. C'est parce qu'ils ont été traumatisés et que personne ne soutient leur traumatisme pour les empêcher de le faire.
Imaginez que nous retirions les 80 % du système carcéral. Il n'y aurait plus de travail pour les agents des services correctionnels à l'intérieur des établissements. Retirez 98 % des jeunes filles, nous n'aurions plus de prisons pour jeunes filles.
N'est-ce pas logique?
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Je vous remercie, monsieur le président.
Madame Dunn, je comprends l’inquiétude que vous avez exprimée dans votre témoignage, et j'aimerais vous demander votre opinion sur un aspect abordé par M. Spratt. Selon ce dernier, même dans les cas de meurtre, les peines minimales obligatoires devraient être abolies et il faudrait laisser le juge décider de la peine appropriée. Cela peut avoir du sens. M. Spratt nous donnait l’exemple d’une femme accusée de meurtre pour avoir tué son conjoint violent et il nous a parlé d'autres situations de ce genre. Selon M. Spratt, dans un tel cas, la peine minimale obligatoire pourrait porter préjudice à la femme qui, dans les circonstances, est, elle aussi, une victime. J’aimerais avoir vos observations là-dessus.
Devrions-nous effectivement abolir la peine minimale obligatoire pour certains crimes de moindre importance? Je n’aime pas dire qu'ils sont de moindre importance, car, à mon avis, quand quelqu'un commet un crime, c'est toujours important. Je pense toutefois au vol avec une arme à feu, à l’extorsion de fonds avec une arme à feu et au trafic d’armes à feu. Ces crimes me semblent suffisamment graves pour que soit maintenue la peine minimale obligatoire de façon à ce que la population ait confiance dans le système judiciaire.
Quant à vous, compte tenu de ce que M. Spratt nous a dit relativement à une situation comme celle d’une femme accusée d’avoir tué un conjoint violent, ne croyez-vous pas que nous devrions abolir les peines minimales obligatoires dans certaines circonstances?
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Merci, monsieur le greffier.
Rebonjour.
Je souhaite la bienvenue au groupe de témoins suivant. Nous avons André Gélinas, sergent-détective à la retraite, de la Division du renseignement du Service de police de la Ville de Montréal. Nous avons également, de la Canadian Association of Black Lawyers, Raphael Tachie, président, et Jacqueline Beckles, secrétaire. Nous avons également, du Réseau juridique VIH, Sandra Ka Hon Chu, codirectrice exécutive.
Chaque groupe aura cinq minutes pour faire une déclaration liminaire, puis il y aura des tours de questions. Je lèverai un carton vert lorsqu'il ne vous restera plus que 30 secondes, pour vous avertir de conclure. Sinon, je devrai malheureusement vous interrompre à la fin.
Nous allons commencer avec André Gélinas, pour cinq minutes. Allez-y, monsieur.
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Bonjour, monsieur le président.
La prise de position actuelle de ce projet de loi est un constat d'échec des gouvernements successifs et une faillite des services sociaux de notre pays. C'est aussi une tentative incohérente de camoufler la réalité criminelle en essayant de la faire disparaître. On tente de refiler aux juges la responsabilité de faire baisser le nombre de personnes provenant des communautés noires, autochtones ou marginalisées en les encourageant au laxisme. Ce n'est certainement pas une façon appropriée de diminuer le nombre de membres de ces communautés dans la population carcérale.
Le rôle des tribunaux est de faire en sorte que la loi s'applique de façon égale à tous. C'est pour cela que la statue qui représente la justice porte un bandeau sur les yeux: elle juge les faits, et elle doit le faire sans détour. Ce n'est pas son rôle de faire baisser les statistiques, les coûts ou les proportions, voire de s'en préoccuper.
Pour la police et la société, un criminel, c'est une personne qui ne respecte pas les règles minimales que nous nous sommes données et qui compromet la sécurité, le développement et le bien-être de ses concitoyens. Le criminel n'est pas un patient ou un client comme il peut l'être pour d'autres entités.
Le Code criminel ne fait pas de vous quelqu'un de bien ou d'agréable. C'est l'absolu minimum qu'il faut respecter pour fonctionner en société. C'est, comme on le dit en latin, le malum in se, ou le mal en soi.
Ce projet de loi n'est rien d'autre qu'un nivellement par le bas. Il véhicule le message que, si vous ne pouvez pas répondre aux exigences minimales, elles seront simplement abaissées pour éviter que vous soyez tenu pour responsable de vos actes, actes qui mettent la vie des citoyens en danger. Je le répète, on parle ici de crimes commis avec une arme à feu.
Comme nous le savons tous, particulièrement dans la police, le nombre d'armes à feu illégales est en croissance fulgurante. Ce n'est pratiquement que ces armes que nous retrouvons lors des saisies, sur les scènes de crime ou en possession des criminels. Plus il y aura d'armes illégales, plus elles seront utilisées pour des crimes qui sont visés par ce projet de loi et commis par les membres d'organisations criminelles, y compris les gangs de rue.
La violence et l'utilisation des armes à feu sont à la base du contrôle d'un territoire ou d'une activité illicite, comme la prostitution, la vente, la production ou l'importation de stupéfiants. C'est exactement ce que les différents groupes de criminels et leurs membres font en perpétrant les actes criminels visés par ce projet de loi.
Il faut comprendre que ce sont les utilisateurs d'armes illégales qui sont au cœur du problème. Ce ne sont pas les chasseurs ni les tireurs sportifs, mais les membres de gangs de rue ou d'autres souches du crime organisé. Ces gens sont particulièrement résistants aux tentatives de réinsertion sociale à cause du fonctionnement intrinsèque de leurs organisations criminelles. Il est totalement faux et naïf de croire qu'un criminel peut s'absoudre de tout lien avec les gangs de motards, les gangs de rue ou les différents types de mafias.
Les crimes visés par le projet de loi permettent aux individus de progresser dans une organisation criminelle, de gravir les échelons et de se positionner comme des leaders violents dans leurs groupes, quartiers ou communautés. Bref, il s'agit de la façon privilégiée qui est utilisée pour se promouvoir dans le monde interlope en utilisant des armes à feu. Pour eux, la violence fait foi de tout.
La réinsertion est possible pour certains criminels ayant des problèmes particuliers. Ce n'est pas le cas des utilisateurs d'armes à feu dans la perpétration de leurs crimes, car ils le font pour des organisations criminelles dans le but de protéger ou de faire prospérer leurs activités illégales et extrêmement lucratives. Pour espérer contrer ce problème, il faut agir impérativement en amont, car, une fois dans l'engrenage, il est généralement trop tard.
Je vous encourage sérieusement à écouter ce que les policiers auront à vous dire sur l'absence totale de cohérence et de dissuasion dans ce projet de loi. La police possède une vision globale, et, contrairement à ce que certains peuvent penser, elle fait preuve d'une grande lucidité.
Nous côtoyons les criminels et les victimes. Nous voyons de nos yeux le résultat dévastateur de ces activités illicites commises à l'aide, notamment, d'armes à feu illégales. Parfois, nous marchons dans le sang de leurs victimes, dont nous entendons les plaintes quand elles sont apeurées, blessées ou agonisantes. Nous consolons leurs familles et leurs proches. Notre vision à 360 degrés est la plus complète qui puisse exister. Aucune autre profession n'a un regard aussi perspicace et vaste sur la situation de la criminalité.
Il est intéressant de remarquer que les groupes qui réclament des assouplissements aux lois sont généralement ceux les plus éloignés de la commission du crime, des victimes, de la violence réelle et de ses conséquences. Je parle de la violence dont nous sommes des témoins privilégiés à cause de notre mission et de nos interventions, et non pas de la violence que nous pouvons lire dans un rapport ou voir à la télévision.
Il est paradoxal et totalement dichotomique de penser que l'abolition des peines minimales obligatoires qui s'appliquent aux infractions criminelles mettant en cause des armes à feu aura un effet bénéfique sur nos collectivités. Nous constatons une augmentation importante du nombre de fusillades dans les grandes métropoles, comme Montréal et Toronto. La réponse proposée dans ce projet de loi est d'abolir les peines minimales obligatoires pour satisfaire le souhait de certains idéologues. Cela ne fera qu'augmenter l'arrogance déjà bien présente chez les criminels qui commettent les actes que le projet de loi veut justement cibler.
Il n'y aura aucune dissuasion. C'est comme si, devant une augmentation importante du décrochage scolaire et du taux de diplomation, la stratégie serait d'abaisser la note de passage aux examens finaux. C'est un concept qui défie toute logique.
Le message que cela envoie aux policiers qui affrontent ces criminels ne fera que nourrir le découragement et le désengagement de ces policiers. La même hypothèse pourrait être retenue pour les procureurs de la Couronne, qui, eux aussi, sont des remparts de la justice.
Cela n'augure rien de bon pour notre sécurité collective. Comme société, nous sommes devant une abdication et un recul qui ne sont certainement pas une solution à la surreprésentation des communautés ciblées par ce projet de loi.
En dernier lieu, j'aimerais vous faire remarquer que, nulle part dans ce projet de loi, le mot « victime » n'est mentionné.
Je vous remercie, monsieur le président.
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Bonjour, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés. Je vous remercie d'avoir invité la Canadian Association of Black Lawyers à vous faire part de son point de vue sur le projet de loi.
Je m'appelle Raphael Tachie. Je suis le président de la Canadian Association of Black Lawyers. Je suis ici avec ma collègue Jacqueline Beckles, la secrétaire de l'association. Je tiens à souligner que bon nombre de mes remarques sont le fruit du travail impressionnant de Mme Beckles et de notre comité de réforme de la justice pénale. Et surtout, ils sont le reflet de notre vécu en tant que personnes noires au Canada. Lorsque j'entends parler de la suppression des peines minimales obligatoires, la demande de suppression est faite par des personnes qui sont plus éloignées des crimes. J'aimerais souligner que de nombreuses victimes de crimes ont tendance à être des personnes issues des mêmes communautés que celles qui sont confrontées à une surreprésentation dans le système de justice pénale.
Nous vous remercions de l'occasion de nous adresser à vous aujourd'hui. Nos remarques sur le projet de loi s'articulent autour de trois questions.
En général, nous demandons au gouvernement d'examiner la situation avant la détermination de la peine lorsqu'il envisage une réforme de la justice pénale. À l'étape de la détermination de la peine, les priorités concurrentes doivent être équilibrées, y compris la sécurité communautaire. Des progrès importants peuvent être réalisés beaucoup plus tôt, notamment en matière de déjudiciarisation, ce qui conduit en fin de compte à la surincarcération des membres de la communauté noire dans le système de justice pénale.
Nos observations portent sur trois domaines: les peines minimales obligatoires, les ordonnances de sursis et la déjudiciarisation fondée sur des preuves.
En ce qui concerne les peines minimales obligatoires, le projet de loi propose d'abroger un certain nombre de peines minimales obligatoires, notamment les peines minimales obligatoires de quatre ans. Bien qu'il s'agisse d'objectifs vraiment louables et que nous soyons encouragés par ces mesures, les peines minimales de cinq ans seront maintenues lorsqu'une arme à feu à autorisation restreinte ou prohibée est utilisée ou lorsque l'infraction est commise dans le cadre d'une organisation criminelle. Cela comprend les cas où un délinquant est l'objet d'une responsabilité civile, que l'arme ait été ou non en possession de ce délinquant particulier. En conséquence, le seul moyen dont dispose un délinquant pour éviter une peine minimale est que le procureur agisse en vertu de son pouvoir discrétionnaire et accepte de régler les accusations en plaidant en faveur d'une infraction mineure. Cela signifie en réalité qu'une personne noire accusée doit plaider coupable afin d'avoir la possibilité d'éviter une peine minimale.
Afin de remédier à cette possibilité et de préserver le pouvoir discrétionnaire des juges, la CABL recommande d'éliminer toutes les peines minimales obligatoires pour les infractions liées aux drogues et aux armes.
J'ai entendu le chef Arcand et les autres témoins parler plus tôt de la façon dont les peines minimales obligatoires empêchent les juges d'imposer des peines appropriées aux accusés et peuvent les empêcher de vraiment prendre en compte des facteurs pertinents, comme le racisme anti-Noir systémique. Les juges ont été élevés pour remplir une fonction essentielle au sein du système de justice pénale et ils devraient avoir toute latitude pour remplir cette fonction, d'autant plus que nous nous efforçons de faire en sorte que le système judiciaire reflète la communauté qu'il sert.
Les peines minimales obligatoires empêchent souvent une véritable justice d'être rendue. Lorsqu'elles sont incluses dans la loi, la justification est généralement qu'elles sont dissuasives, mais de nombreuses recherches ont démontré que ces peines ne produisent pas souvent ce résultat et n'ont pas d'incidence sur les taux de criminalité.
La deuxième question dont je voudrais parler concerne les ordonnances de sursis. Ce sont des outils essentiels pour lutter contre la récidive, car elles peuvent permettre aux délinquants de maintenir des liens familiaux, un emploi et des engagements scolaires. Le chef Arcand a parlé d'une approche holistique. Nous convenons tout à fait de cela, et de l'accent mis sur le maintien de ces liens pour promouvoir les déterminants sociaux de la justice, en veillant à ce que les délinquants aient la capacité de se remettre de ce qui pourrait être une erreur unique. La suppression de la limite qui se trouvait auparavant à l'alinéa 742.1c) et l'élargissement de l'application des ordonnances de sursis sont de très bons pas dans la bonne voie.
Nous sommes toutefois conscients de l'importance, compte tenu de l'application historique des ordonnances de sursis, de renforcer le fait qu'une telle ordonnance peut être imposée lorsque le tribunal est convaincu que l'exécution de la peine dans la collectivité ne mettrait pas en danger la sécurité de la collectivité et serait conforme à l'objectif et aux principes fondamentaux de la détermination de la peine.
L'inclusion et l'application de cette formulation en ce qui concerne le projet de loi réduira les limites arbitraires à leur utilisation, comme l'obligation pour un délinquant d'avoir un emploi pour être admissible à une ordonnance de sursis.
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Je remercie les membres du Comité de nous avoir invités à parler du projet de loi . Je suis la codirectrice exécutive du Réseau juridique VIH et je fais cette présentation au nom de mon organisation et du Centre on Drug Policy Evaluation.
Aujourd'hui, je vais concentrer mes remarques sur la section du projet de loi qui porte sur les mesures de déjudiciarisation fondées sur des données probantes. Avant de commencer, j'aimerais appuyer les recommandations formulées par les intervenants précédents, qui demandent le rétablissement des peines avec sursis et l'abrogation de toutes les peines minimales obligatoires ou, à défaut, un amendement au projet de loi C-5 qui garantit que les juges conservent le pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer les peines minimales obligatoires si cela entraîne une injustice.
J'en viens maintenant aux mesures de déjudiciarisation fondées sur des données probantes. Bien qu'il reconnaisse dans sa déclaration de principes la nécessité de « protéger la santé, la dignité et les droits de la personne » des personnes qui consomment des drogues, les stigmates associés à la criminalisation et le fait que « l’utilisation de ressources judiciaires est plus indiquée dans le cas des infractions qui présentent un risque pour la sécurité publique », le projet de loi n'abroge pas l'article 4 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Cette incapacité d'éliminer les sanctions pénales pour la possession de drogues sape complètement les principes qui sous-tendent le projet de loi.
De 2014 à 2020, les services policiers au Canada ont procédé à plus de 600 000 arrestations pour des infractions liées aux drogues. Les deux tiers d'entre elles concernaient la simple possession, et pourtant, plus d'un siècle de prohibition des drogues au Canada n'a eu aucune incidence sur les niveaux de consommation de drogues. Comme l'a conclu l'Association canadienne pour la santé mentale, contrairement à la logique de la criminalisation, l'incarcération n'entraîne pas l'arrêt de la consommation de substances et ne prévient pas les dommages.
Comme nous l'expliquons plus en détail dans notre mémoire, la prohibition des drogues alimente la stigmatisation et la discrimination à l'endroit des personnes qui en consomment. Les casiers judiciaires limitent les possibilités d'emploi et de logement. Ils nuisent à la garde des enfants et restreignent les déplacements. La fréquence des contacts de la police avec les personnes qui consomment des drogues conduit au partage de seringues, à l'injection précipitée et à l'isolement pendant la consommation de drogues. Cela crée des obstacles à l'accès aux services de santé et contribue aux épidémies d'infections évitables au VIH et à l'hépatite C, ainsi qu'aux surdoses, qui ont entraîné près de 27 000 décès au Canada entre janvier 2016 et septembre 2021.
Compte tenu des nombreuses preuves démontrant les méfaits associés à la criminalisation de la simple possession de drogues, et conformément à la déclaration de principes du projet de loi , ce dernier devrait inclure une abrogation complète de l'article 4 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
Sans cette abrogation, nous recommandons quelques amendements au projet de loi, en particulier à l'article 10.1 proposé concernant la déclaration de principes.
Nous recommandons que cette section soit explicitement centrée sur les droits de la personne et ne présente pas la consommation de drogues comme principalement une question de santé. Elle devrait reconnaître que la plupart des cas de consommation de drogues ne posent pas de problèmes pour la personne et que la pathologisation de la consommation de drogues contribue en fait à la stigmatisation.
Le projet de loi devrait mentionner les méfaits de la criminalisation du trafic de produits de première nécessité. Il est courant que des personnes vendent des drogues à d'autres membres de leur réseau comme moyen de subsistance pour soutenir leur propre consommation et éviter le sevrage ou pour assurer un approvisionnement sûr.
Enfin, il devrait reconnaître l'impact disproportionné des sanctions pénales pour possession de drogues sur les communautés noires, autochtones et autres communautés racialisées, étant donné les racines racistes du cadre canadien de contrôle des drogues et le fait que les communautés noires et autochtones du Canada continuent d'être accusées, poursuivies et incarcérées de manière disproportionnée pour des infractions liées aux drogues.
Au paragraphe 10.2(1) proposé, qui décrit les options qui s'offrent à l'agent de la paix qui rencontre une personne en possession simple de drogues, l'agent est tenu d'évaluer « s’il est préférable, compte tenu des principes énoncés [dans le projet de loi], plutôt que de déposer une dénonciation contre l’individu à qui est imputée une infraction [...], de ne prendre aucune mesure, de lui donner un avertissement ou de le renvoyer, s’il y consent, à un programme ou à un organisme ou à un autre fournisseur de services dans la collectivité ».
Malgré cette exigence, le paragraphe suivant indique que les accusations ultérieures ne sont pas invalidées si un agent de la paix omet d'envisager ces options. Nous recommandons la suppression pure et simple de ce paragraphe, car, en pratique, il minera complètement l'objectif du projet de loi.
À l'article 10.3 proposé, un procureur pourrait, au lieu de porter des accusations criminelles, opter pour des « mesures de rechange au sens de l’article 716 du Code criminel ». Dans le contexte des infractions liées à la drogue, cela inclut généralement les tribunaux de traitement de la toxicomanie, mais ces tribunaux ont été critiqués pour leur caractère coercitif, leur inefficacité et les nombreuses préoccupations qu'ils suscitent en matière de droits de la personne. Ils ne devraient pas être présentés comme une mesure de rechange à la décriminalisation.
À l'article 10.4 proposé concernant un dossier d'avertissement ou de renvoi, le corps de police « peut tenir un dossier à l’égard des avertissements ou renvois visant les individus à qui sont imputées des infractions prévues au paragraphe 4(1) », qui criminalise la simple possession de drogue.
Cette disposition est contraire à l'esprit du projet de loi et à la déclaration de principes. La tenue de dossiers par la police aurait une incidence négative sur la vie privée des personnes qui consomment des drogues, pourrait être utilisée comme un outil de surveillance et pourrait compromettre le potentiel d'amélioration de la qualité des rencontres des consommateurs de drogues avec la police. Il est impératif que la police ne s'engage pas dans le contrôle, la surveillance et la tenue de dossiers sous le couvert d'une réforme de la sécurité publique. Par conséquent, nous proposons de remplacer « peut » par « ne doit pas conserver de dossiers ».
Je veux conclure en exhortant ce comité à rejeter l'incrémentalisme et à prendre des mesures plus audacieuses en ce qui concerne le projet de loi , qui s'attaqueront mieux au racisme systémique et aux dommages de la prohibition des drogues, y compris l'abrogation complète de l'article 4 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
Merci.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins de leur présence. Nous reconnaissons particulièrement les connaissances diverses qui sont ici.
Ma question s'adresse à M. Gélinas.
Merci de nous aider à nous concentrer. Parfois, nous avons les victimes, et nous avons aussi les délinquants. Parfois, les victimes ne se font pas autant entendre parce qu'elles ont été victimes de crimes odieux et qu'elles ne se sentent pas à l'aise d'en parler. Merci d'avoir soulevé ce point.
Dans le domaine de l'application de la loi, je sais que vous êtes là, en première ligne, à devoir vous occuper des victimes et des conséquences d'un crime grave et violent. Il est intéressant que vous ayez soulevé le fait que dans le crime organisé et les activités des gangs, il y a presque toujours, je crois — et vous pouvez me corriger si je me trompe — des armes à feu illégales, et pourtant nous sommes ici saisis non seulement du projet de loi que nous examinons, mais aussi d'autres projets de loi qui seront présentés pour la saisie de ce que certaines personnes ont appelé des « armes » ou des « armes qui ressemblent à des armes d'assaut », et ne précisent pas ou ne définissent pas vraiment ce genre d'armes.
Je sais qu'à Vancouver, une région que je connais mieux, les armes fantômes sont très populaires. Elles sont imprimées en 3D et utilisées une ou deux fois seulement. D'après votre expérience de la lutte contre le crime organisé et des activités des gangs, avez-vous affaire à de nombreuses personnes qui ont un permis de possession et d'acquisition ou un permis de possession et d'acquisition d'une arme à feu à autorisation restreinte, qui possèdent des armes légales, ou avez-vous presque exclusivement affaire à des armes illégales?
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Oui, je suis tout à fait d'accord là-dessus.
Selon moi, le débat ne se situe pas au bon endroit. En fait, le contrôle des armes à feu au Canada est très efficace en ce qui a trait aux armes légales. Par contre, là où le bât blesse, ce sont les situations où il y a un apport d'armes illégales provenant notamment des États‑Unis. La frontière entre le Canada et les États‑Unis est la plus étendue du monde. Or, la possession d'armes est traitée de façon très libérale chez nos voisins du Sud.
Je considère donc que, si l'on tient pour acquis que le problème provient des armes illégales, les sommes consacrées à d'autres projets devraient être utilisées pour contrer ce problème. En effet, l'expérience nous prouve que les armes saisies à la suite de crimes, notamment celles en possession des criminels ou celles retrouvées sur des scènes de crime, aussi bien présentement que depuis plusieurs années, sont des armes illégales.
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Je suis désolé. Je ne suis pas sûr de ce qui s'est passé. De mon côté, il y a un problème bizarre dans le son.
Je voulais dire que, dans certains cas, il faut plaider coupable avant de pouvoir se prévaloir de la possibilité d'éviter le minimum obligatoire. En exigeant cela, en laissant ce pouvoir discrétionnaire au procureur et non aux juges, ce que vous faites, c'est vraiment criminaliser l'individu. Il n'a même pas la possibilité de plaider coupable, parce que cela l'empêche d'éviter le minimum obligatoire.
En ce qui concerne l'abolition de tous les minimums obligatoires, cela concerne vraiment les infractions liées aux drogues et aux substances. Mme Beckles est probablement la meilleure personne pour en parler. Dans ces cas-là, ce que nous défendons, c'est la possibilité d'imposer une peine avec sursis et de conserver les liens familiaux, d'avoir moins...
Cette approche se concentre sur une approche holistique semblable à la façon dont nous traitons ces questions et les individus qui se retrouvent ici. Gardons-les dans la collectivité, dans la mesure du possible.
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Finalement, le racisme systémique qui est, nous le constatons, endémique au Canada est lié à la fois au niveau d'interactions au sein de la communauté noire et à ce qui se passe une fois que les personnes sont traduites en justice. Ce que nous proposons en ce qui concerne le projet de loi , en particulier, c'est, comme l'a dit mon collègue, M. Tachie, la suppression totale des peines minimales obligatoires, parce qu'elles ne remplissent pas leur fonction.
Au sein de la communauté noire, parce que nos communautés sont généralement soumises à des contrôles policiers excessifs, parce que nous voyons un recours au fichage dans certaines régions, parce qu'il y a presque une logique circulaire appliquée à la criminalité dans la communauté noire, nos communautés sont surveillées par la police et, par conséquent, les infractions et leurs auteurs se trouvent au sein des communautés. Elles font démesurément l'objet de contrôles de police et, résultat, un nombre disproportionné de Noirs et d'Autochtones sont présentés devant les tribunaux.
Nous voyons que le pouvoir discrétionnaire habituellement exercé par la police ou les procureurs ne l'est pas en faveur des délinquants. Lorsqu'il est possible de donner des avertissements, par exemple, ou de déjudiariser des cas, dans la communauté noire, nous ne voyons pas le choix exercé en faveur des délinquants primaires. Ils sont traduits devant les tribunaux. Au tribunal, le procureur n'exerce pas non plus le même pouvoir discrétionnaire de déjudiciariser l'affaire pour que ces personnes bénéficient de cette possibilité, ou de plaider coupable à des infractions moindres et incluses, par exemple. Elles sont poursuivies pour les infractions les plus graves.
Il en résulte la logique circulaire dont je parlais. Mettons des chiffres dessus. Prenons 100 délinquants blancs, 63 % bénéficieront d'une déjudiarisation. Ces chiffres sont exacts parce que nos études montrent qu'on ne déjudiarise pas autant dans la communauté noire que dans d'autres, et les chiffres sont très révélateurs. Pour la communauté noire, la déjudiarisation concerne un tiers environ des personnes qui ont affaire à la police, alors que dans d'autres communautés, elle en concerne les deux tiers. Sur 100 délinquants, une soixantaine seront sans doute déjudiciarisés dans d'autres communautés. Dans la communauté noire, ce sera 30, ce qui veut dire que les 70 autres seront traduits en justice.
Les juges et les autres membres du système de justice pénale en déduisent que les Noirs commettent plus de crimes. Ce n'est, en fait, pas le cas. Tout simplement, ils ne sont pas traités de la même façon lorsqu'ils sont interceptés ou interrogés.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Monsieur Gélinas, vous avez parlé un peu plus tôt de l'augmentation du nombre de fusillades, entre autres à Montréal et à Toronto. J'ai aussi entendu nombre de témoignages qui vont dans le même sens. Il suffit d'écouter les nouvelles de façon sporadique pour s'en rendre compte.
Or, dans le projet de loi , dans sa version actuelle, on propose d'abolir les peines minimales obligatoires concernant plusieurs infractions, dont une infraction portant sur le trafic d'armes à feu. Ce ne sont pas tous les cas de trafic d'armes à feu qui sont visés, mais certains d'entre eux ne feraient plus l'objet d'une peine minimale obligatoire.
Cela est-il illogique et ne fait-il qu'encourager les criminels, comme vous le disiez tantôt?
Cela peut-il toutefois être acceptable dans certains cas, en matière de trafic d'armes à feu?
Comme je le disais tantôt, je n'aime pas dire que certains crimes ne sont pas graves. À mon avis, un crime est un crime. Un crime, c'est toujours grave. Or certains crimes ont des conséquences plus désastreuses que d'autres. Je pense, entre autres, à l'extorsion avec une arme à feu, au vol avec une arme à feu, à la décharge d'une arme à feu avec intention, et non de manière accidentelle, et au trafic d'armes. Ces infractions me semblent un peu plus graves. Je pense que, pour l'instant, ce serait une erreur d'éliminer les peines minimales obligatoires en lien avec ces infractions.
Toutefois, certaines autres infractions prévues dans le Code criminel sont peut-être de nature moins grave. Je pense, entre autres, au fait de décharger une arme à feu par imprudence ou à la possession d'une arme à feu prohibée sans avoir l'intention d'en faire le trafic.
Dans certains cas, considéreriez-vous acceptable que nous éliminions les peines minimales obligatoires ou devons-nous les maintenir dans tous les cas?
Quel est votre avis à cet égard?
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Comme vous l'avez mentionné tout à l'heure, il suffit d'écouter les nouvelles pour constater que le nombre de fusillades augmente à Montréal et à Toronto. Le danger augmente. De plus en plus de personnes innocentes sont blessées ou tuées par balles.
Certaines infractions très graves sont effectivement visées par la disposition abrogeant les peines minimales obligatoires, comme le vol avec une arme à feu, l'extorsion avec une arme à feu et la décharge d'une arme à feu avec intention. Pour le reste, il faut comprendre une chose: c'est un tout. Quelqu'un qui décharge une arme à feu de façon imprudente ne visait peut-être pas une personne. Cependant, cela m'amène à parler de la notion de sécurité publique et du sentiment de sécurité publique.
Les gens qui vivent dans des quartiers où les gangs et les groupes organisés sont très actifs se sentent totalement abandonnés par le projet de loi . Selon eux, le résultat est le même, même si l’on n'avait pas l'intention d'atteindre quelqu'un avec son arme. La peur s'installe. Par la suite, les gens veulent à tout prix quitter leur quartier. Dans certains quartiers, on constate un certain exode. Malheureusement, les gens qui n'ont pas les moyens de déménager deviennent captifs et ils ne peuvent échapper à l'emprise que ces criminels exercent sur ces quartiers.
Je répète que l'utilisation d'une arme à feu n'est pas un geste désintéressé. Lorsqu'un criminel est en possession d'une arme illégale, ce n'est pas juste pour le plaisir. Il y a une intention derrière cela. La personne a l'intention de l'utiliser, et il y a une forte possibilité qu'elle le fasse.
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Je parlerai en premier, puis je céderai la parole à Mme Beckles. Je vous laisserai du temps.
Je vous répondrai en vous parlant de ma propre histoire à cause du commentaire de M. Gélinas tout à l'heure.
Ma famille a immigré à Vancouver quand j'avais 13 ans. Un jour, quand j'avais 15 ans, j'étais au cinéma avec une copine sur la rue Granville. Il y avait deux petits cinémas sur la rue Granville. À la fin du film, je suis sorti du cinéma avec ma copine et j'ai vu une dizaine de jeunes Noirs. Je connaissais la moitié d'entre eux. Je suis allé les saluer et il n'y avait pas 30 secondes que je les avais rejoints que la police nous arrêtait tous. C'était la première fois que j'avais affaire à un policier au Canada et je me suis retrouvé menotté et assis au coin de la rue Granville, avec des gens qui passaient.
Par la suite, j'ai appris que certains des garçons que j'avais vus étaient mêlés à des crimes, etc., et que certains étaient peut-être même armés. Certains appartenaient peut-être même à des gangs, mais des concepts tels que la responsabilité civile, les peines minimales obligatoires, par exemple, rayent d'un trait le brillant avenir de jeunes.
Dans mon cas, si j'ai pu éviter de telles conséquences, c'est uniquement parce que la copine avec qui j'étais allée au cinéma était privilégiée. Son père a intercédé en ma faveur pour dire à la police de Vancouver à l'époque que je ne faisais pas partie de ce groupe et que j'étais allé au cinéma avec une copine, qui se trouvait être sa fille.
Quinze ans plus tard, je suis président de l'Association des avocats noirs du Canada. Je suis associé dans un grand cabinet national. Je dirige un groupe de pratique. Je motive des jeunes en leur expliquant que le droit est une chance pour eux.
Ce que ce type de lois — les lois sur les peines minimales obligatoires — et les grandes déclarations sur les activités des gangs, sur les quartiers et ce genre de choses font, c'est mettre tous les jeunes dans le même sac, quel que soit leur potentiel et quoi que leur réserve l'avenir. Si je suis ici aujourd'hui, c'est à cause de cela. C'est à cause de cette rencontre au coin de la rue Granville ce jour-là. Elle m'a rappelé que mon potentiel pouvait facilement être balayé parce que j'avais traversé la rue pour aller saluer quelqu'un que je connaissais.
Je m'arrêterai là afin que Mme Beckles puisse parler du droit, mais les histoires sont puissantes et je tenais à vous exposer ma propre histoire. Je suis chrétien, j'ai grandi dans la foi chrétienne et, si ce n'était grâce à Dieu, je serais aujourd'hui la personne qu'on étiquette comme criminel et gangster, alors que j'avais bien plus de potentiel que cela.
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Si je puis me permettre, je ne me ferai pas l'écho de ce qu'a dit mon collègue, M. Tachie, mais je dirai en réponse à la question du député que je viens de collectivités qui ressemblent beaucoup à celles dont parle M. Gélinas. J'ai grandi à Pierrefonds, où il y a eu une fusillade pas plus tard que cette semaine ou la semaine dernière. Je l'ai vu aux nouvelles. Ce que je peux dire, c'est qu'une collectivité ne se sent pas en sécurité parce qu'il y a des peines minimales obligatoires. Je le sais parce que je fais partie de la collectivité.
Ce que nous proposons avec l'abrogation des peines minimales obligatoires n'empêchera pas les juges d'imposer une peine juste et équitable. N'oublions pas qu'en présence d'organisations criminelles, de gangs et de crimes très violents, les juges sont habilités à imposer une peine raisonnable et appropriée dans les circonstances.
Tout ce que nous proposons, c'est qu'il n'y ait pas de plancher à ces peines justes et raisonnables, et que les juges ne soient pas entravés, dans les circonstances appropriées, dans l'imposition d'une sentence raisonnable. Comme le député le mentionnait, les peines minimales obligatoires ne sont tout simplement pas raisonnables pour certaines infractions, c'est-à-dire lorsque l'infraction est commise par inadvertance et lorsque le juge, dans toute sa sagesse, son autorité et sa compétence, voit que la peine minimale obligatoire est trop élevée dans certaines circonstances. Les juges sont nommés, et nous vous demandons instamment de les habiliter à appliquer ce qui est juste et équitable en vertu des mêmes lois pour que justice soit faite.
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Je vous dirais simplement que l'utilisation d'une arme à feu est une infraction très grave. Comme société, nous devons envoyer un message très fort, notamment à la magistrature, disant que cela est inacceptable. Si quelqu'un se fait prendre avec une arme à feu, que la personne l'ait utilisée ou non, comme je l'ai expliqué tout à l'heure, il y a une intention derrière cela, qu'elle soit latente ou non. En fait, c'est ce qui constitue un grave danger.
Imaginez-vous un peu comment vous vous sentiriez si vous étiez victime d'une agression commise avec une arme à feu, même si la personne ne faisait que braquer l'arme sur vous alors que vous vaquiez paisiblement à vos occupations. Je ne pense pas que vous vous sentiriez plus en sécurité dans votre communauté de savoir que cette personne ne sera pas assujettie à un minimum de sanctions.
J'ai tout à fait confiance au jugement des juges. Par contre, à moment donné, il faut aussi que le législateur, lui aussi, transmette le message de la société à la magistrature. À partir du moment où quelqu'un franchit un seuil par le fait d'utiliser une arme à feu dans le cadre d'activités criminelles, une ligne vient d'être traversée.
Les jugements évoluent évidemment avec le temps, soit par la doctrine, soit par les décisions issues de la jurisprudence qui lient les tribunaux entre eux. Cependant, je crois que, comme législateurs, vous avez le pouvoir d'envoyer le message à la magistrature et à la population selon lequel cela est inacceptable.
Nous voyons présentement que le nombre de fusillades augmente un peu partout et que l'utilisation des armes est de plus en plus banalisée. Nous voyons sur les réseaux sociaux que les gens n'ont plus peur de s'exhiber avec des armes illégales. Encore une fois, cela touche effectivement plusieurs pans de la société. Il ne faut pas oublier une chose, c'est que les premières victimes des trafiquants d'armes venant des réserves autochtones sont les Autochtones eux-mêmes. Encore une fois, ayant moi-même travaillé à la Division des renseignements pour lutter contre les gangs de rues, je peux vous dire une chose, c'est que la majorité des victimes des gangs de rues sont souvent des gens qui vivent dans la même communauté.
En tant que législateurs, vous avez le devoir de protéger l'ensemble de ces citoyens.
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Je vous remercie, monsieur Naqvi.
Je pense que Mme Beckles est la spécialiste en la matière. Je m'en remets donc à elle.
Je me contenterai de répéter ce que le chef Arcand a dit, parce que je suis tout à fait d'accord avec lui. Il est important, par rapport aux délinquants primaires, notamment, que le système de justice pénale fasse en sorte qu'ils restent à proximité de leur famille, afin de préserver les liens familiaux, qu'ils aient accès à l'éducation et qu'ils puissent avoir la possibilité de se reprendre après ce qui a peut-être été une erreur ponctuelle. Nous devrions commencer par là.
Si vous mettez quelqu'un en prison et que, pour finir, il y retourne, sa collectivité n'est pas plus sécuritaire, surtout s'il y revient dans de pires dispositions qu'avant.
Je vous en prie, madame Beckles, vous avez la parole.
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En ce qui concerne les ordonnances de sursis, je vous demanderai d'abord de garder à l'esprit qu'il s'agit d'une forme d'emprisonnement. Bien qu'elles permettent au délinquant de purger sa peine au sein de la collectivité, elles sont assorties de conditions strictes, dont certaines sont prévues par la loi. Elles garantissent que le délinquant se conforme à l'ordonnance et qu'il est traité correctement.
L'élargissement du recours aux ordonnances de sursis est utile à la fois pour la collectivité et pour le délinquant, et ces ordonnances comportent un aspect de réinsertion, comme M. Tachie vient de l'évoquer. Il ne faut pas oublier que, comme les Noirs font l'objet d'une hypersurveillance et d'une surreprésentation carcérale, ces ordonnances peuvent servir le double objectif de réadaptation et de sanction, lorsque cela s'impose.
Les ordonnances de sursis exposent aussi les délinquants noirs à une surveillance de l'État exigée par la loi et ils doivent se conformer à des conditions. Nous sommes sans réserve d'avis qu'un recours accru aux ordonnances de sursis est approprié, mais nous vous demandons instamment de prendre en compte qu'il s'agit toujours d'une peine punitive, quand bien même elle est purgée dans la collectivité.
Si je peux consacrer un moment à la question posée par M. Cooper, la proposition de M. Gélinas mérite qu'on s'y arrête. Souvent, ces crimes sont commis dans la collectivité et les victimes sont des membres de la collectivité. Il faut souligner que des membres de ces mêmes collectivités viennent vous dire, à vous députés, qu'ils voudraient que vous supprimiez les peines minimales obligatoires, qu'ils souhaiteraient voir prendre des ordonnances de sursis parce que ce sont leurs collectivités qui sont touchées. La communauté noire et la communauté autochtone sont venues vous dire unanimement qu'elles ne veulent plus de peines minimales obligatoires, qu'elles sont les victimes, qu'elles ne sont pas seulement du côté du délinquant, qu'elles pensent aux vraies victimes du crime, c'est-à-dire à leur collectivité. Elles vous disent que c'est important pour elles, que c'est la mesure qu'elles souhaitent voir prendre.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Madame Ka Hon Chu, j'aimerais vous poser deux brèves questions.
Pendant votre témoignage, je vous ai vue lire des notes. Il y avait des renvois à certaines dispositions du Code criminel ou à d'autres lois. Serait-il possible d'obtenir copie de vos notes ou du mémoire que vous avez utilisés pour témoigner?
Je vous pose ma deuxième question tout de suite.
Vous avez beaucoup parlé de décriminalisation, alors que le projet de loi concerne davantage un processus de déjudiciarisation. Autrement dit, les infractions liées aux drogues demeurent des infractions criminelles, mais elles peuvent être traitées parallèlement au système judiciaire comme un problème de santé.
Pouvez-vous me dire si vous êtes favorable à la déjudiciarisation, ou souhaiteriez-vous une décriminalisation pure et simple?
La première question est si des Noirs font l'objet d'une surveillance et d'interventions policières excessives, un certain nombre de personnes seront embarquées et soumises aux caprices du système de justice pénale.
Dans mon exemple, si quelqu'un n'avait pas intercédé en ma faveur pour me sortir de ce système, j'étais arrêté comme membre d'un gang. Si je suis étiqueté comme membre d'un gang et que quelqu'un dans ce groupe était en possession d'une arme, et que nous avons des concepts tels que la responsabilité civile, par exemple... Ce que j'essaie de dire, c'est que quelqu'un qui, à toutes fins utiles, avait probablement un brillant avenir devant lui se retrouve dans les griffes de la justice pénale. On colle des étiquettes à cette personne et cela aura des conséquences pour elle par la suite.
La trajectoire de personnes en est changée, quel que soit leur potentiel et indépendamment du fait qu'elles sont capables de se défendre ou pas. À 15 ou 16 ans, j'étais incapable d'exprimer ma position comme je le fais aujourd'hui. Je ne comprenais pas ce qui m'arrivait.