Bonjour à tous. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous allons procéder à notre séance d'information sur les négociations en cours de l'accord de libre-échange nord-américain.
Nous allons commencer très bientôt, mais avant cela, je veux souhaiter la bienvenue à nos deux témoins et les remercier de leur présence. Je sais que vous avez été très occupés. Sachez par conséquent que le fait que vous ayez bloqué du temps dans vos horaires chargés pour venir nous voir et faire le point sur ces négociations est très apprécié.
Du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, nous recevons Dany Carriere, qui est la directrice des négociations commerciales pour l'Amérique du Nord, et Steve Verheul, qui est sous-ministre adjoint de la Direction des politiques et des négociations commerciales. Soyez les bienvenus. Nous sommes heureux que vous soyez là.
Je crois que vous êtes familiers avec le fonctionnement des comités. Nous allons commencer par vos déclarations liminaires, puis il y aura une période de questions d'environ deux heures. La séance n'est pas télédiffusée en direct, mais il y a une caméra de Global TV. Les délibérations seront donc relayées à d'autres réseaux une fois que nous aurons terminé.
Je vais maintenant laisser la parole à M. Verheul. Nous allons d'abord écouter sa déclaration liminaire, puis les membres du Comité pourront lui poser quelques questions.
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Merci beaucoup. Bonjour à tous et merci à vous, monsieur le président.
Je m’appelle Steve Verheul, je suis négociateur en chef du Canada pour l’ALENA et sous-ministre adjoint de la Direction des politiques et des négociations commerciales d’Affaires mondiales Canada. Je suis accompagné aujourd’hui de Mme Dany Carriere, qui est coordinatrice principale des politiques de l’ALENA et directrice des négociations commerciales pour l’Amérique du Nord à Affaires mondiales Canada.
Je vous remercie de m’avoir invité à venir faire le point sur les négociations de l’ALENA. Je voudrais saisir cette occasion pour reconnaître le travail effectué par le Comité durant ses audiences sur l’ALENA, y compris lors des consultations pancanadiennes et internationales. L’information que ces rapports fournissent est très précieuse, et je vous en sais gré.
Comme c’est ma première comparution devant ce comité depuis le lancement des négociations au mois d’août, je vous donnerai un aperçu des rondes de négociations que nous avons eues jusqu’à présent et je vous indiquerai par la suite où en sont les pourparlers.
Comme vous le savez tous, les négociations en vue de moderniser l’ALENA ont été officiellement lancées par les trois ministres responsables de l’accord le 16 août 2017, à Washington D.C. Jusqu’à présent, nous avons tenu une succession rapide de cinq rondes de négociations. Chaque ronde était constituée d'une trentaine de tables de négociations portant d’une part sur des thèmes traditionnels en matière d’accord commercial, comme le traitement national, l’accès aux marchés des biens, l’investissement, le commerce transfrontalier des services et les marchés publics, et d’autre part sur des thèmes commerciaux plus récents comme le commerce numérique, les bonnes pratiques réglementaires et les petites et moyennes entreprises.
Le Canada a accueilli la troisième ronde des négociations à Ottawa il y aura bientôt deux mois. Près de 600 délégués nationaux étaient présents, sans compter quelque 300 journalistes, une centaine d’intervenants et 75 représentants des provinces et des territoires.
Après les trois premières rondes, les partenaires de l’ALENA ont annoncé les conclusions concernant les chapitres sur la concurrence et les PME. À la fin de la quatrième ronde, les ministres se sont réunis pour faire le point sur les négociations, comme ce fut le cas lors des deuxième et troisième rondes. Étant donné la portée et la complexité des négociations, les ministres ont décidé de prolonger le délai entre les rondes afin de procéder à d’autres travaux techniques et consultations nationales. Ils ont également réaffirmé l’objectif de parvenir à un accord dans un délai raisonnable.
Le Mexique a récemment accueilli la cinquième ronde des négociations à Mexico où il a été annoncé que Montréal accueillera la sixième ronde du 23 au 28 janvier 2018. Avant cette prochaine ronde des négociations, les négociateurs poursuivront leurs travaux à Washington D.C du 11 au 15 décembre.
Comme vous le savez, les objectifs du Canada dans le cadre de ces négociations sont fondés sur des consultations approfondies et continues avec les Canadiens, à savoir les entreprises, la société civile, les syndicats, les peuples autochtones et les milieux universitaires. Le gouvernement du Canada a rencontré plus de 900 intervenants canadiens, incluant différentes collectivités locales à l’échelle du pays, tout en poursuivant les pourparlers avec les parties prenantes durant les rencontres de l’ALENA et entre les rondes. Le gouvernement a en outre reçu plus de 44 000 mémoires par l’intermédiaire de la Gazette du Canada, sur le site Web des consultations en ligne de l’ALENA et par courriels adressés directement à l’équipe de consultation de l’ALENA.
Ces vastes consultations sont une occasion unique pour les Canadiens représentant les nombreuses régions et populations de notre société de donner leur point de vue sur les priorités du Canada dans ces négociations.
De plus, pour nous assurer que les prises de position du Canada sont bien orientées, nous avons établi un vaste mécanisme de consultation qui comprend un comité directeur et mobilise divers groupes sectoriels. Ces groupes appartiennent notamment aux secteurs de l’agriculture, de l’automobile et des pièces, de la société civile, de la culture, de l’énergie, des infrastructures et des marchés publics, de la main-d’oeuvre, des métaux, des services et des transports.
Nous travaillons également en étroite collaboration avec nos collègues provinciaux et territoriaux qui se déplacent là où ont lieu les négociations pour s'enquérir sur une base régulière des plus récents développements dans les pourparlers.
Globalement, l’objectif du Canada est d’en arriver à transformer un accord déjà valable en un accord moderne et progressiste. Nous souhaitons que l’ALENA puisse relever pleinement les défis du XXle siècle. C’est donc dire que nous devons réduire les formalités administratives, harmoniser les règlements là où il est logique de le faire, et rendre la circulation des biens et des services plus efficace pour nos entreprises.
Nous croyons également que l’ALENA doit être plus progressiste et inclusif. Dans cette optique, le Canada cherche à y intégrer d’importants chapitres sur le travail et l’environnement, à renforcer le droit des gouvernements à réglementer dans l’intérêt public, à renforcer la collaboration à des activités visant à promouvoir l’égalité des sexes par l’inclusion d’un chapitre sur le commerce et l’égalité des sexes, et enfin, à accroître la participation des peuples autochtones au commerce nord-américain.
À cette fin, lors de la cinquième ronde qui s’est tenue au Mexique, le Canada a déposé son projet d’inclure un chapitre sur le commerce et les peuples autochtones. Ce chapitre vise à permettre aux peuples autochtones de tirer un meilleur parti des débouchés d’un ALENA modernisé.
Pour le moment, les négociations de l’ALENA se déroulent sur deux fronts. Le premier front est la voie traditionnelle où l’on pourra voir se concrétiser de véritables améliorations dans un certain nombre de domaines, notamment les télécommunications, les bonnes pratiques en matière de réglementation, les douanes et la facilitation des échanges commerciaux, les mesures sanitaires et phytosanitaires, les annexes sectorielles, les services financiers, la lutte contre la corruption, les obstacles techniques au commerce et bien d’autres. Ce sont les domaines auxquels nos parties prenantes attribuent la plus grande importance. C’est un message que nous continuons d’entendre régulièrement lors de nos consultations.
Comme dans toute négociation, il existe des domaines complexes où le Canada a des approches et des objectifs qui diffèrent de ceux de ses partenaires commerciaux. Il en va de même pour l’ALENA. Un de ces domaines inclut la valeur des panels spéciaux binationaux pour les droits antidumping et compensateurs, ou le chapitre 19, que les États-Unis cherchent à éliminer et que le Canada cherche à améliorer. Cela dit, nous nous attendions à ce qu’il y ait des difficultés.
Ce qui pose vraiment problème, ce sont les propositions extrêmes déposées par les États-Unis aux troisième et quatrième rondes et qui s’inscrivent aux termes du deuxième front. Il s’agit notamment de l’ensemble des règles d’origine pour le secteur de l’automobile, d’une proposition de marché public fondée sur un dollar pour chaque dollar versé, approche non conventionnelle pour le règlement des différends, et d’une disposition de caducité.
En ce qui concerne les règles d’origine pour les automobiles, les États-Unis proposent une teneur en valeur régionale de 85 %, un contenu américain de l’ordre de 50 % et la traçabilité de tous les intrants. La proposition est tout à fait inapplicable et elle nuirait non seulement au secteur de l’automobile canadien et mexicain, mais également au secteur de l’automobile américain. Le Canada et le Mexique ont tous deux souligné les effets négatifs de la proposition américaine pour les États-Unis et l’Amérique du Nord en général.
En ce qui a trait aux marchés publics, les États-Unis ont déposé une proposition fondée sur un dollar pour chaque dollar versé qui, aux termes de l’Accord, éliminerait pratiquement l’accès du Canada aux marchés publics américains. Le Canada a rejeté cette proposition considérée comme tout à fait irréalisable, et sachez que nous ne nous engagerons pas sur cette base.
Quant au règlement des différends, les Américains tentent par cette proposition de revenir à une époque antérieure à l’Organisation mondiale du commerce où les plus grandes économies l’emportaient sur les plus petites. Les engagements commerciaux exécutoires sont fondamentaux et constituent un élément essentiel à tout accord commercial, y compris l’ALENA. Le Canada entend respecter ce principe fondamental de la mise en oeuvre efficace des obligations légales.
Pour ce qui est de la disposition de caducité, les États-Unis proposent que l’entente expire au bout de cinq ans, à moins que les parties ne conviennent de la prolonger. Le Canada est d’avis que cela créerait un climat commercial instable et nuirait à l’investissement étranger en Amérique du Nord. Nous continuons de nous opposer à cette proposition ainsi qu’aux autres propositions extrêmes.
Les États-Unis ont également proposé l’élimination totale des tarifs canadiens sur le lait, la volaille et les oeufs, sans proposer l’élimination des leurs, là où dans certains cas, ils ont davantage de protections sur les produits tels que le lait, le sucre et les produits contenant du sucre, et autres. Cette proposition est également inacceptable.
Même si le Canada est confronté à ces propositions extrêmes, il demeure déterminé à moderniser et à améliorer l’ALENA. Nous continuerons de collaborer de façon constructive avec le Mexique et les États-Unis afin d’en arriver à des résultats mutuellement avantageux pour un ALENA moderne qui continuera de servir nos exportateurs pendant des décennies.
Soyons clairs. Nous continuerons de collaborer de façon constructive et d’apporter des suggestions et des idées nouvelles à la table des négociations, mais nous n’accepterons pas les propositions des États-Unis qui affaibliraient radicalement les avantages de l’ALENA pour le Canada, et qui mineraient la compétitivité du marché nord-américain par rapport au reste du monde. Les négociateurs canadiens travaillent d’arrache-pied pour élaborer des propositions de grande qualité avant la réunion intersessionnelle qui se déroulera à Washington, et nous avons hâte d’accueillir nos collègues mexicains et américains à Montréal pour la sixième ronde.
Je vous remercie. J'ai bien hâte de répondre à vos questions.
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Eh bien, voilà une des questions qui nous causent des maux de tête: de quoi les Américains ont-ils besoin pour en ressortir gagnants?
Je pense que nous pouvons déployer beaucoup d'imagination afin d'élaborer des propositions qui, selon nous, pourraient certainement être considérées comme avantageuses pour les États-Unis ou l'Amérique du Nord, notamment dans des secteurs comme celui de l'automobile. Nous pourrions présenter d'autres propositions afin d'aller dans le sens où les États-Unis tentent de se diriger avec la clause de caducité et le règlement de différend. Nous avons fait des propositions, et je pense que nous pourrions résoudre un grand nombre de problèmes.
Ce qui nous préoccupe, c'est que selon certains membres de l'administration américaine, les États-Unis veulent avant tout réduire les avantages dont jouissent le Canada et le Mexique pour se les approprier afin que l'accord soit plus avantageux pour eux et le soit moins pour le Canada et le Mexique. À notre avis, les négociations ne réussiront que si toutes les parties en ressortent gagnantes. Il faut donc que les trois parties bénéficient de l'accord et fassent de l'Amérique du Nord un marché plus concurrentiel.
Or, en augmentant les avantages des États-Unis et en réduisant ceux des autres partenaires, on ne peut que le rendre moins concurrentiel. Nous n'accepterons certainement pas de tels résultats pour le Canada.
Pour ce qui est de votre deuxième question concernant les plans de rechange, nous commençons à réfléchir sérieusement à ce qu'il se produirait selon divers scénarios. Si les États-Unis amorcent le processus pour se retirer de l'ALENA, il s'écoulera six mois avant qu'ils puissent s'en retirer officiellement. Il faudra donc voir s'ils donnent ou non cet avis de six mois. Je pense que l'industrie américaine et d'autres intéressés réagiront fortement et tenteront de convaincre les États-Unis de ne pas prendre la mesure finale une fois les six mois écoulés. Nous pourrions collaborer très étroitement avec les parties prenantes et les représentants américains pour tenter d'empêcher les États-Unis de prendre cette deuxième mesure.
Si le pire arrive et que les États-Unis se retirent officiellement de l'ALENA, nous disposerions d'un certain nombre de plans de rechange pour que les répercussions soient aussi légères que possible. Nous avons quelques idées à ce sujet, mais je ferais remarquer que les répercussions seraient également substantielles sur les États-Unis et la compétitivité du marché nord-américain.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Comme Mme Ludwig et M. Masse l'ont indiqué, nous étions aux États-Unis la semaine dernière. L'un des thèmes que nous avons entendus à répétition, c'est en gros le principe de « ne pas nuire ». Nous avons entendu cela à répétition de la part du secteur de l'automobile et de celui de l'agroalimentaire, mais aussi du côté de la sécurité.
Il y a un enjeu que j'essaie de comprendre, et vous pouvez peut-être m'aider. Quand vous parlez aux Américains de la sécurité par rapport au commerce, ils semblent avoir comme perspective de placer la sécurité en premier, suivie du commerce. On semble croire que pour le Canada, le commerce passe en premier, et que la sécurité vient ensuite.
En ce qui concerne l'ALENA et l'Amérique du Nord, avec l'ALENA, la cybersécurité est supérieure, de même que la sécurité alimentaire, la sécurité énergétique et la défense de l'Amérique du Nord. J'essaie de penser à ce qu'est, pour l'Amérique du Nord...? Qu'est-ce qui est dans l'intérieur supérieur des États-Unis, du Canada et du Mexique?
Je parlais à un homme qui intervient dans le secteur de la sécurité. Il disait qu'en théorie, vous pourriez avoir moins d'échanges commerciaux avec les États-Unis, et alors, le Canada serait obligé de se tourner vers d'autres marchés. Je sais que le premier ministre est en Chine en ce moment, alors je vais utiliser cet exemple. Si vous avez une faiblesse des entreprises canadiennes, ces dernières risquent davantage de faire l'objet d'une prise de contrôle. Il peut s'agir d'un sujet de préoccupation avec les entreprises chinoises appartenant à l'État. J'ai demandé à deux membres du Congrès s'il était dans leur intérêt supérieur d'avoir des entreprises chinoises appartenant à l'État sur leur frontière au nord, hypothétiquement, et je ne pense pas qu'ils avaient même pensé à la sécurité.
La question que je veux vous poser — et encore là, ce sera une opinion — est la suivante: est-ce dans l'intérêt supérieur des États-Unis, du point de vue de la sécurité, de se retirer de l'ALENA? Vous pourriez répondre par thème, en couvrant la cybersécurité, les aliments, l'énergie et la défense. Où gagne-t-on?