JUST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent de la justice et des droits de la personne
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TÉMOIGNAGES
Le mercredi 19 septembre 2018
[Énregistrement électronique]
[Traduction]
La séance est ouverte. Bonjour à tous. Je suis très heureux de vous accueillir. Le Comité permanent de la justice et des droits de la personne poursuit aujourd'hui son étude du projet de loi C-75.
Nous recevons des témoins exceptionnels. Pour la première partie de la séance, je suis très heureux d'accueillir des représentants de l'Association du Barreau canadien. Il y a le responsable de la coordination en matière de L & RD, M. Tony Paisana.
Bienvenue. Il faudrait me dire ce que signifie L & RD.
Excellent.
Mme Kathryn Pentz est la vice-présidente de l'Association.
Nous recevons également M. Michael Johnston, qui est avocat.
Bienvenue.
Comme vous le savez tous, chaque groupe dispose de 8 à 10 minutes, mais je ne vous interromprai pas avant 11 minutes.
Je cède la parole aux représentants de l'Association du Barreau canadien.
Je vous remercie de nous avoir invités à présenter le point de vue de l'Association du Barreau canadien sur le projet de loi C-75. L'ABC est l'association nationale qui représente 36 000 avocats, étudiants, notaires et professeurs. Un des volets importants de notre mandat consiste à améliorer le droit et l'administration de la justice. C'est ce volet de notre mandat qui fait en sorte que nous témoignons devant vous aujourd'hui.
Notre section représente à la fois des avocats de la Couronne et de la défense de partout au pays. Pour ma part, je pratique surtout dans le domaine du droit criminel à Vancouver. J'ai fini par m'intéresser particulièrement aux questions touchant les délais judiciaires après avoir représenté Barrett Jordan à la Cour suprême du Canada. Je suis accompagné de Mme Kathryn Pentz, qui est procureure de la Couronne en chef en Nouvelle-Écosse. Elle est également vice-présidente de la section du droit pénal de notre organisation.
Nous avons fourni au Comité un sommaire de notre mémoire de 40 pages que vous pouvez consulter en cliquant sur l'hyperlien qui est inclus dans le sommaire. Je vous recommande de lire ce document plus volumineux. L'analyse approfondie des plus de 300 pages que compte le projet de loi ne pouvait qu'être résumée brièvement dans les 12 pages du sommaire. Le document volumineux contient des références détaillées à des sources originales, des statistiques et des explications concernant nos 17 recommandations.
Ma déclaration préliminaire portera sur deux points de vue globaux qui sous-tendent notre position sur le projet de loi C-75. Premièrement, nous croyons qu'il est bien préférable d'entreprendre des réformes fondées sur des données probantes que d'adopter une politique en matière de droit pénal à la hâte ou, comme certains le disent, de façon irréfléchie. Deuxièmement, les projets de loi omnibus comme le projet de loi C-75 empêchent d'importants organismes comme le vôtre d'examiner chaque proposition. Ils empêchent également le public de comprendre et de participer à ce débat important.
Permettez-moi de commencer par les réformes fondées sur des données probantes. Pour tout professionnel ou membre d'un comité chevronné, je dirais que cela devient rapidement assez clair lorsqu'une modification proposée est fondée sur des données probantes plutôt que proposée précipitamment en réponse à la grogne populaire. Comme vous le constaterez en lisant nos mémoires, nous saluons les réformes importantes qu'a lancées le gouvernement dans plusieurs volets, particulièrement ceux du processus de mise en liberté sous caution et des infractions contre l'administration de la justice. Ces réformes sont reliées à des études empiriques en plus d'être compatibles avec la jurisprudence actuelle et logiques.
Toutefois, il en est autrement pour d'autres propositions de réformes, dont la quasi-abolition des enquêtes préliminaires et l'introduction d'éléments de preuve au moyen d'un affidavit. Elles sont différentes et grandement indéfendables parce qu'elles ne sont pas fondées sur des données probantes, ne sont pas compatibles avec la jurisprudence, et elles sont illogiques, à notre humble avis. Par exemple, en regardant les témoignages de fonctionnaires qui ont comparu devant vous plus tôt cette semaine, j'ai trouvé plutôt incroyable qu'aucune donnée pertinente n'avait été fournie pour justifier la proposition de restreindre les enquêtes préliminaires. Parallèlement, on n'a pas cité d'études, ni fourni de données probantes pour expliquer pourquoi ou en quoi l'introduction de ce qu'on a dit être des éléments de preuve de routine entraîne des délais à l'heure actuelle. Sans vouloir offenser qui que ce soit, je dirais que ce type de réponses à l'arrêt Jordan paraît louche et a été critiqué, à juste titre, par divers intervenants qui ont comparu devant vous.
Mon deuxième point d'ordre général porte sur l'aspect omnibus du projet de loi C-75. Tout comme elle l'avait fait lorsque le gouvernement précédent était au pouvoir, notre association déplore le recours aux projets de loi omnibus. Le projet de loi est assez volumineux. Dans notre mémoire, nous examinons pas moins de 14 différents éléments du système qui sont visés par le projet de loi. Des modifications de fond et des changements dans les procédures sont apportés pour divers volets, allant de l'abolition des récusations péremptoires — un sujet qui est si important en soi qu'on s'attendrait à ce qu'un projet de loi ne porte que sur cette question — jusqu'à de simples modifications liées à la technologie utilisée dans les tribunaux. Certaines réformes sont présentées clairement. D'autres sont dissimulées dans le projet de loi, comme l'inclusion très problématique d'une présomption réfutable dans les causes de traite de personnes.
L'autre problème que nous avons soulevé concernant les projets de loi omnibus, c'est qu'ils ne permettent pas une mise en oeuvre et des changements graduels, ce qui pourrait être très utile si l'on veut réduire les délais judiciaires sans fragiliser indûment les protections dont jouit l'accusé.
Bien entendu, le projet de loi propose de grandes réformes qui, si des efforts constants sont déployés pour réduire les délais, pourraient bien alléger la pression sur le système sans qu'il soit nécessaire de rejeter des outils importants qui ont fait leurs preuves au fil du temps. S'ils sont rejetés, on se retrouvera avec de nouvelles contestations fondées sur la Charte et des demandes préalables au procès — autrement dit, d'autres délais. Il est possible de faire des réformes bien définies pour réduire les délais qui ne nécessitent pas le retrait général de protections procédurales.
Dans notre mémoire sur le projet de loi C-75, nous faisons deux propositions en ce sens concernant le système de choix dans les affaires de meurtre et la comparution par vidéoconférence pour les audiences non contentieuses.
Nous sommes ravis de parler d'autres propositions que notre association a présentées, tout récemment dans le cadre de l'étude sur les délais menée au Sénat, et nous avons apporté notre document qui inclut les 10 principaux moyens de réduire les délais qui a été fourni à ce comité. On y trouve notamment des propositions sur la réforme des dispositions législatives sur la détermination de la peine, des suggestions pour ce qui est de déterminer si des normes d'approbation de la Couronne devraient être appliquées à l'échelle nationale et d'autres solutions au problème en question.
Maintenant que j'ai terminé mon introduction générale, je cède la parole à ma collègue, qui vous parlera de certains problèmes précis que pose le projet de loi C-75 que nous avons soulevés.
Comme l'a mentionné mon collègue, nous avons formulé 17 recommandations détaillées. Certaines d'entre elles visent à améliorer légèrement ce qui est proposé, tandis que d'autres reflètent nos grandes préoccupations. J'aimerais me concentrer sur deux éléments: la proposition de restreindre les enquêtes préliminaires et celle d'introduire ce qu'on appelle des « éléments de preuve de routine ».
On justifie l'idée de limiter les enquêtes préliminaires en disant que c'est un moyen d'améliorer l'efficacité des tribunaux. Pourtant, des études indiquent qu'au plus 2 % de toutes les comparutions à la cour servent à une enquête préliminaire. De l'avis des professionnels de première ligne — tant les procureurs de la Couronne, comme moi, que les avocats de la défense —, le système n'est pas surchargé d'enquêtes préliminaires.
Par ailleurs, la modification proposée restreint arbitrairement les enquêtes préliminaires aux infractions rendant leur auteur passible d'une peine maximale d'emprisonnement à perpétuité. Nous disons que c'est arbitraire parce que certaines infractions punissables d'une peine maximale d'emprisonnement à perpétuité, comme le vol qualifié, sont extrêmement vastes et peuvent englober des actes beaucoup moins graves que d'autres infractions qui sont exclues de ce critère, comme les voies de fait grave, des infractions commises avec une arme à feu et des infractions liées au crime organisé. Ces infractions peuvent être bien plus graves que celles qui sont punissables d'une peine maximale d'emprisonnement à vie, en particulier celles qui peuvent entraîner l'imposition de peines minimales obligatoires.
Il y a les gens qui soutiennent qu'à l'ère de la divulgation complète, il n'est pas nécessaire de procéder à des enquêtes préliminaires. Or, le fait est que même si toute l'information est divulguée, la viabilité de la preuve de la poursuite n'est pas toujours évidente. Ce que dit un témoin dans une déclaration à la police ou quand il rencontre la Couronne ne correspond pas nécessairement à ce qu'il dira à la barre. L'autre chose, c'est que souvent, l'accusé croit que les témoins ne comparaîtront pas, surtout s'il s'agit d'une personne qui est associée de très près. Il ne peut y avoir aucune discussion et aucune résolution tant que le témoin ne se retrouve pas à la barre.
Je vais vous donner deux exemples qui illustrent l'importance des enquêtes préliminaires. Récemment, dans ma province, il y a eu une enquête préliminaire dans une affaire d'agression sexuelle. La victime était le seul témoin et ses preuves étaient très solides. L'avocat de la défense a ouvert des discussions au sujet d'un plaidoyer de culpabilité. L'enquête préliminaire a duré environ une heure et demie et il y a maintenant une possibilité de résoudre l'affaire, d'éviter qu'elle se retrouve en Cour suprême, ce qui aurait duré plus d'une semaine.
Dans une autre affaire d'agression sexuelle, l'affaire reposait sur des preuves génétiques, car la plaignante n'était pas en mesure d'identifier son agresseur. Lors de l'enquête préliminaire, le contre-interrogatoire au sujet des preuves médico-légales a montré certaines irrégularités dans le rapport. Les problèmes n'ont pas rendu le rapport irrecevable à l'enquête préliminaire, mais cela aurait pu être fatal si la Couronne s'en était rendu compte seulement pendant le procès. La Couronne a été en mesure de corriger les irrégularités et a réussi à obtenir une déclaration de culpabilité.
L'enquête préliminaire est un outil important qui contribue de façon inestimable au fonctionnement efficace du système de justice pénale. Par exemple, elle donne une possibilité d'explorer des requêtes préliminaires comme des demandes en ce qui concerne l'article 276 et les demandes de type O'Connor qui autrement seraient étudiées au milieu du procès, ce qui risquerait d'entraîner des délais.
Une deuxième chose qui nous préoccupe beaucoup au sujet du projet de loi C-75, c'est qu'on y propose de permettre la présentation d'éléments de preuve de routine au moyen d'un affidavit ou d'une déclaration solennelle. Si un accusé souhaite contre-interroger le policier, une demande doit être présentée.
Selon nous, ces dispositions posent des difficultés considérables. La définition de « éléments de preuve de routine » est tellement vaste que la Couronne pourrait produire pratiquement tout aspect du témoignage d'un policier au moyen d'un affidavit. Si l'accusé souhaitait qu'un contre-interrogatoire ait lieu, ce qui serait sans doute le cas, il lui faudrait donner avis de son intention. Si l'on ne parvenait pas à une entente, le tribunal serait alors appelé à se prononcer. Dans ce processus également, la défense serait nécessairement forcée d'exposer des aspects de sa stratégie pour pouvoir faire entendre le témoin.
Un tel processus nécessiterait plus de ressources judiciaires. Il ne s'agirait pas simplement de faire entendre le policier. Cela aurait exactement l'effet contraire à celui qui est souhaité dans le cadre du projet de loi C-75. Cela prolongerait les délais.
Cette proposition comporte également des problèmes d'ordre pratique qui sont mis en évidence à la page 13 de notre mémoire. Qui rédigera l'affidavit? S'agira-t-il de la Couronne et des policiers, qui sont déjà débordés? Comment le juge des faits soupèsera-t-il la preuve d'un affidavit si elle contredit le témoignage présenté de vive voix? Comment les jurys devront-ils traiter une preuve par affidavit?
Je terminerai en disant que notre association est consciente de la nécessité de simplifier des aspects du système de justice pénale en réponse à l'arrêt Jordan. Nous croyons que de telles réformes doivent être fondées sur des données probantes et présentées de manière à ce que votre comité, les professionnels et le public puissent avoir un réel débat. Nous proposons de légères améliorations aux propositions actuelles et nous nous opposons complètement à d'autres propositions.
Pour ce qui est de certaines modifications proposées dans le projet de loi qui concernent d'autres aspects que les délais, comme le processus de sélection du jury, nous croyons qu'un examen plus approfondi devrait être mené.
Je vous remercie de nous avoir donné l'occasion de vous présenter un exposé. Nous serons ravis de répondre à toutes vos questions.
Je m'appelle Michael Johnston. Je suis un citoyen et un avocat et, aussi souvent que me le permettent les causes de mes clients, je plaide devant jury.
Avant de vous parler du projet de loi C-75 et de la sélection des jurés, j'aimerais prendre un instant pour vous remercier de me donner cette occasion extraordinaire sur le plan de la démocratie. Ce ne sont pas tous les pays qui donnent à leurs citoyens l'occasion de s'exprimer dans le processus législatif. Les régimes politiques ne sont pas tous prêts à entendre des témoignages qui peuvent remettre en question le bien-fondé d'une mesure législative proposée. Donner aux citoyens la parole et l'occasion de participer véritablement aux décisions du gouvernement témoigne d'une démocratie vivante.
En principe, le projet de loi C-75 vise à donner aux citoyens une plus grande possibilité de s'exprimer. Il vise à donner l'occasion à plus de citoyens de siéger comme jurés, à faire participer un plus grand nombre de citoyens au processus. Dans la mesure où le projet de loi C-75 contient ce principe, on doit le souligner et s'en réjouir. Cependant, l'adoption de bonnes mesures législatives requiert plus que de la bonne volonté. Je crois que nous le savons tous.
Les mesures contenues dans le projet de loi C-75 qui portent sur la sélection des jurés semblent un peu superficielles. À mon humble avis, elles nécessitent une plus longue réflexion et un meilleur calibrage si l'on veut atteindre l'objectif énoncé, et surtout, dans certains cas, il faut supprimer des éléments, car si l'on veut agir, on doit avoir la preuve qu'il y a un problème et qu'on parviendra à une solution.
Il faut que le procès devant jury soit mieux compris quant à la façon dont les provinces et le gouvernement fédéral interagissent pour la constitution des groupes de jurés représentatifs. Il faut que la mesure dans laquelle la récusation motivée fonctionne avec les récusations péremptoires soit mieux comprise.
Au bout du compte, le procès devant jury n'est pas quelque chose qui est simplement apparu du jour au lendemain. À bien des égards, son apparition précède la conquête normande, avec les procès par témoignages justificatifs. Au cours du dernier millénaire, la procédure régissant le procès a évolué lentement, par essais et erreurs. Je vous dirais que les dispositions qui ont persisté à travers le temps ne sont pas que des vestiges de l'histoire; elles résistent à l'épreuve du temps.
Concernant la sélection des jurés, le projet de loi C-75 est présenté 48 jours après que le gouvernement a déclaré publiquement qu'il n'acceptait pas un verdict. À mon humble avis, 48 jours pour examiner des dispositions et trouver des solutions, ce n'est tout simplement pas assez.
Par conséquent, à mon humble avis, les propositions contenues dans le projet de loi C-75 qui portent sur la sélection des jurés constituent, en bonne partie, des mesures présentées à toute vapeur en réponse au jugement rendu. En outre, bien qu'il manque dans le projet de loi un lien rationnel entre les objectifs nobles qu'il énonce et les mesures qu'il contient, il y a néanmoins des choses à proposer, à mon humble avis.
Nous savons qu'il y a malheureusement un grand problème: la surreprésentation des Autochtones dans notre système de justice pénale. En conséquence, ils sont sous-représentés sur les bancs des jurés. Quel est le lien? Ce sont les casiers judiciaires. Ils sont utilisés pour exclure des contribuables, des citoyens qui ont le droit de voter aux élections fédérales et provinciales. Des casiers judiciaires qui ne les empêchent pas d'assumer leurs responsabilités et leurs devoirs de citoyen les empêchent toutefois de faire partie d'un jury. Jusqu'à 3,8 millions de Canadiens ont un casier judiciaire. Tant les provinces que le gouvernement fédéral utilisent les casiers judiciaires pour exclure jusqu'à 10 % de la population.
Si le projet de loi C-75 vise à éliminer la discrimination dans le processus de sélection des jurés, il s'agit de l'objectif le plus facilement réalisable. Il faut cesser d'utiliser les casiers judiciaires pour exclure des citoyens, et si l'on veut exclure des citoyens parce qu'on croit qu'ils ont un parti pris, il faut le prouver. Il existe déjà des dispositions qui portent là-dessus, l'alinéa 638(1)b) qui porte sur la récusation motivée.
Cela dit, le projet de loi C-75 est noble en principe. Il propose déjà de modifier l'alinéa 638(1)c) pour restreindre l'exception. Il vise à ce que les gens qui sont allés en prison, mais qui n'ont été emprisonnés que 12 mois puissent exercer les fonctions de juré; on modifie alors évidemment la période, qui passerait de un an à deux ans.
Le Parlement souhaite que les gens qui ont un casier judiciaire participent. Il veut leur donner une voix, mais n'oubliez pas ce que j'ai dit au sujet de cette interaction entre les provinces et le gouvernement fédéral. Malheureusement, la volonté du Parlement de faire en sorte que des gens ayant un casier judiciaire qui ont purgé une peine d'un an dans un établissement, par exemple, participent se heurtera au fait que presque chaque province exclut les gens qui ont un casier judiciaire, pour des raisons bien moindres.
En Ontario, lorsqu'on a été déclaré coupable d'une infraction qui fait l'objet d'une poursuite par voie de mise en accusation, une exclusion automatique s'applique. Dans ces cas, il est facile pour le gouvernement d'établir les fondements lui permettant de dire qu'on ne peut être exclu que pour cette raison d'un bout à l'autre du pays.
Dans son rapport, le juge Iacobucci a compris l'interaction entre les deux ordres de gouvernement. Il a formulé une recommandation que je vous propose d'adopter et de pousser un peu plus loin. Je propose que l'article 626 du Code criminel prévoie que personne au Canada — ou aucun citoyen — ne peut être exclu du devoir de juré du seul fait d'un casier judiciaire, ou qu'il prévoie simplement que l'exclusion pour cette raison doit être semblable à celle du gouvernement fédéral. Cette recommandation visait les provinces qui excluent les époux de médecin ou d'autres personnes qui n'étaient autrement pas admissibles.
Je sais qu'il ne me reste presque plus de temps. J'ai deux autres points que je souhaite aborder brièvement. Je veux surtout parler de la récusation motivée à l'article 640 du Code criminel. C'est une petite disposition qui est autrement dissimulée dans cette disposition omnibus, et il est possible que peu de personnes en aient parlé, mais cette disposition de droit pénal est presque demeurée inchangée depuis 1892. On a confié à des jurés, assermentés ou non, le soin de décider si une récusation motivée est fondée.
C'est également important pour donner aux citoyens une voix et encourager leur participation. Les jurés se choisissent eux-mêmes. Quand ils concluent que les jurés peuvent faire partie d'un jury, ce jury est à l'image des choix des plaideurs et des jurés proprement dits. Cette mesure législative propose que les juges procèdent à une réforme complète de cette façon de faire et qu'ils soient les seules personnes à prendre cette décision. Rien n'indique que cela fournira une vraie solution ni même que cela accélérera les choses le moindrement.
En toute déférence, il n'y a aucune bonne raison de s'ingérer dans les procédures de récusation motivée. Elles jouent un rôle très important pour assurer à un défendeur — pour qui existe le droit de subir un procès avec jury — que l'entité est indépendante, impartiale et représentative. Avec tout le respect, j'estime que l'idée de changer les procédures de récusation motivée est sans fondement. On devrait s'en défaire à moins que ce soit justifié si l'on persiste à modifier l'article 640.
Je veux enfin dire un mot sur les récusations péremptoires. En tant qu'avocat plaidant devant jury, il m'arrive souvent de faire face à des candidats jurés ou à des tableau de jurés non représentatifs. De nombreuses situations sont possibles. Dernièrement, j'ai pris part à un procès avec juge et jury de quatre semaines pour défendre mon client, un musulman éthiopien, dont le coaccusé était aussi musulman. Je vous assure qu'il n'y avait pas beaucoup de Noirs ou de musulmans dans le tableau des jurés d'Ottawa. Nous avons dû recourir, presque dans la pleine mesure de nos capacités, à la récusation motivée et aux récusations péremptoires pour obtenir le 12e juré, le seul étant issu d'une minorité raciale visible.
Je le mentionne parce que les récusations péremptoires sont importantes pour protéger les droits de l'accusé. Ce qu'on semble souvent oublier à ce sujet, c'est qu'un procès avec jury est un avantage dont l'accusé peut se prévaloir. Lors du dépôt de cette mesure législative, le ministère du Procureur général a cité deux rapports en guise de justification. Cependant, en tant qu'avocat, j'aime toujours consulter la source originale. Je vous recommande donc de consulter le rapport d'enquête du Manitoba, que l'on cite pour justifier l'élimination de cette disposition.
En 1991, on a laissé entendre que ces récusations péremptoires devraient être éradiquées compte tenu de la discrimination qu'elles rendent possible. À l'époque, toutefois, le rapport fait une recommandation supplémentaire, à savoir changer la façon dont les jurés sont sélectionnés de manière à ce que l'on puisse questionner davantage les candidats. On ne peut pas tout simplement se montrer tatillon, et je demande respectueusement au Comité d'en tenir compte.
Si vous allez jusqu'à éliminer les récusations péremptoires, je dirais que le juge Iacobucci, quand il a étudié la question en 2013, en est arrivé à la conclusion non partisane et déterminée qu'il est bon de les garder, mais d'assurer une certaine surveillance à l'aide d'un mécanisme qui ressemble à la récusation américaine de type Batson.
Je suis maintenant certain d'avoir dépassé le temps qui m'était alloué, mais je serai heureux de répondre à vos questions sur la sélection des jurés ou sur autre chose.
Merci beaucoup.
Merci, monsieur le président.
Merci aux témoins d'être ici aujourd'hui. J'ai trouvé remarquables tous vos exposés, car ils portent précisément sur la majeure partie de ce que nous avons entendu au cours des derniers jours.
Monsieur Johnston, vous avez soulevé un problème, à savoir un procès qui s'est révélé controversé à cause du bassin de jurés. Nous reconnaissons également que cela ne remonte pas à très longtemps. Pour réaliser les énormes changements que nous tentons d'apporter, vous avez raison de dire qu'il faut effectuer beaucoup plus de recherches et chercher à régler le problème plutôt que de procéder à toute vitesse.
Je crois que c'est ce qui sous-tend vos observations. Ai-je raison? Vous croyez qu'un changement s'impose, mais nous devons prendre le temps de l'apporter.
Nous devons absolument calibrer le système en tout temps. Un système comme celui de nos procès avec jury doit être modernisé. Une analyse est nécessaire pour s'assurer qu'il accomplit ce qu'il est censé accomplir. Cela dit, nous devons évidemment mieux comprendre le système. La dernière étude approfondie est celle réalisée en 1980 par la Commission de réforme du droit.
Nous avons besoin d'une compréhension non partisane des procès avec jury, car, même s'ils existent dans notre démocratie, ils ne se fondent pas sur des décisions démocratiques. Ce n'est pas assujetti, disons, à l'opinion publique. En fait, c'est censé nous protéger exactement contre l'inverse. Je suis donc parfaitement d'accord avec vous. Nous devons comprendre le système de façon non partisane avant d'en retirer des morceaux.
Il arrive parfois ici que le bon sens fasse défaut, et qu'il soit plus important de procéder à la hâte. Je pense que vous avez parfaitement raison. Nous devons prendre notre temps et faire les choses correctement plutôt que d'apporter précipitamment des changements importants.
Pour ce qui est de l'autre aspect qui m'intéresse, madame Pentz, je pense que vous avez mentionné les enquêtes préliminaires.
J'ai passé un peu de temps dans les forces de l'ordre, et les enquêtes préliminaires ne sont pas courantes. Il y en a très peu. Je ne pense pas que quelqu'un nous ait présenté des chiffres à ce sujet, mais je crois que beaucoup plus souvent, une enquête préliminaire fait en sorte qu'un procès n'a pas lieu. Un arbitrage est fait par la Couronne et la défense avant la tenue d'un procès, et c'est souvent réglé de la façon dont vous avez parlé. Une des parties dit qu'il n'est pas nécessaire d'entreprendre un procès.
Est-ce ce que vous avez observé, ou suis-je le seul à penser ainsi?
Non, c'est certainement ce que nous avons observé.
Comme je l'ai mentionné, selon le chiffre que nous avons trouvé, cela accapare moins de 2 % du temps des tribunaux. J'ai donné l'exemple d'un témoignage ayant beaucoup de poids et d'un litige en voie d'être réglé, mais il y a certainement des cas où la Couronne a appelé à la barre un témoin clé qui s'est avéré flou et équivoque au point de rendre irréaliste la possibilité d'une condamnation. Ce n'est pas toujours évident en regardant la déclaration que nous avons reçue de la police ou même en rencontrant le témoin. Appeler le témoin à la barre pour savoir ce qu'il va dire peut être essentiel à la résolution d'une affaire, que ce soit en retirant une accusation ou à la suite d'une réponse à l'accusation.
C'est parfois l'inverse. On se retrouve avec un témoignage éloquent qui ne semblait pas l'être autant sur papier.
Si je peux me permettre d'ajouter une chose à ce sujet, à la page 14 de notre principal mémoire, nous citons une étude sur des cas d'aide juridique au Manitoba. Elle mentionne un taux de résolution de 75 % à la suite d'une enquête préliminaire.
Une fois de plus, cela m'aurait semblé exact selon ce que j'ai vu sur le terrain.
Mon autre point est celui de la production d'éléments de preuve fournis par la police au moyen d'un affidavit. En me fiant à mon expérience, je ne vois pas vraiment en quoi cette mesure est nécessaire dans la loi. Je ne suis plus dans le milieu depuis 20 ans, mais dans le passé, la Couronne et la défense prenaient part à des discussions préalables au procès au sujet de ce que les deux parties voulaient voir, ce qui signifie que le non-recours à des témoins de la police au moyen de ce processus, et les éléments de preuve pouvaient ou non être inclus, pouvait être accepté au procès. C'est peut-être minime, mais je crois que l'ajout de cette possibilité dans la loi — et corrigez-moi si je me trompe — pourrait très bien finir par faire dérailler une audience et demander beaucoup plus de temps que de tenter d'éliminer le recours aux témoins au moyen de ce processus.
D'après votre expérience, la Couronne et la défense se rencontrent-elles pour prendre ce genre de décisions?
Oui, monsieur, exactement, et cela permet de faire gagner beaucoup de temps. Comme nous l'avons mentionné dans notre rapport, les éléments de preuve sont souvent recevables et le sont régulièrement par voie d'admission. Par exemple, s'il s'agit de la déclaration d'un agent qui a eu un contact minimal avec l'accusé ou un agent qui a indirectement touché ou manipulé une pièce à conviction, la défense reconnaîtra qu'il ne faut pas appeler ce témoin à la barre. Ce genre d'admission se fait tous les jours.
Dans la procédure recommandée, la défense devrait dorénavant présenter la demande. Comme nous le disons, ce n'est qu'une autre étape dans la procédure qui engorgera le système.
Espérons que nous aurons le temps de vous donner brièvement la parole à la fin.
Allez-y, monsieur Fraser.
Merci beaucoup.
Je vous remercie tous de votre présence ici. Je vous suis reconnaissant de vos exposés et des mémoires que vous avez présentés.
J'ai cru comprendre que, d'après le point de vue de l'ABC, la façon dont ce projet de loi aborde les infractions contre l'administration de la justice pour combattre les délais judiciaires est bien accueillie. Le fait d'avoir une sorte de processus de déjudiciarisation auquel seraient assujetties les infractions contre l'administration de la justice semble être une bonne idée, et je vous suis reconnaissant des mémoires que vous avez présentés à ce sujet.
Je me demande toutefois une chose: vous recommandez de modifier cela pour accorder une plus grande souplesse à la Couronne au moment de traiter les situations... Vous proposez essentiellement que ce ne soit pas autorisé si une personne subit des dommages corporels. Vous parlez ensuite de dommages moraux, et on ne sait pas trop à quoi s'en tenir — il faut donc retrancher cela —, ou s'il y a des dommages matériels, n'en tenons pas compte et remettons-en-nous à la Couronne pour ce qui est de la souplesse.
Si je lis bien le passage, vous dites essentiellement que, à moins que le manquement soit associé à des dommages corporels, vous pensez que la Couronne devrait avoir la souplesse nécessaire pour recourir au régime de déjudiciarisation, n'est-ce pas?
Oui, vous avez raison. Nous félicitons le gouvernement d'avoir présenté une mesure pour déjudiciariser ce genre d'affaires. Comme nous l'indiquons dans notre principal mémoire, il y a environ 78 000 cas de ce genre chaque année. Ils ne sont pas tous liés à une libération sous caution ou au défaut de se conformer à une ordonnance, mais c'est souvent le cas.
Essentiellement, nous croyons que cela fonctionnera dans ce projet de loi au moyen de quatre réserves: si le manquement a causé des dommages corporels, des dommages moraux, des dommages matériels ou... La dernière m'échappe pour l'instant, mais quoi qu'il en soit...
Les pertes économiques, oui, merci. Ce que nous proposons, c'est l'élimination de toutes les réserves, sauf celle des dommages corporels, car il y a d'autres moyens d'aborder les autres problèmes, s'ils sont graves au point de ne pas recourir à ce genre de réponse. Nous ne pouvons pas perdre de vue le fait que c'est totalement à la discrétion de la police ou de la Couronne. Ce sont elles qui décideront d'emblée ou plus tard, après que la personne ait été accusée, s'il convient de lui accorder l'avantage de la déjudiciarisation. Si les dommages moraux, les pertes économiques ou les dommages matériels sont importants, elles pourront décider de ne pas recourir au régime de déjudiciarisation.
Il est toutefois possible d'avoir ce genre de choses, mais que ce soit malgré tout exactement ce qu'on veut retirer du système. Voici l'exemple présenté dans notre mémoire: deux amis se bagarrent et l'un est visé par une ordonnance de non-communication. Après avoir bu un peu, il appelle son ami pour tenter de s'excuser, ce qui fâche la victime. C'est compréhensible, mais c'est le genre d'infractions mineures contre l'administration de la justice qui pourrait très bien être dévié vers un système où les conditions peuvent être modifiées.
Je vois. Merci de votre réponse.
Madame Pentz, je vais vous poser une question. L'une des choses que nous avons entendues au sujet des enquêtes préliminaires, c'est qu'elles demandent peu de temps aux tribunaux. Je crois que vous avez parlé d'une proportion de 2 %. D'autres témoins ont parlé de 3 % du temps des tribunaux. Le problème n'est-il pas le délai attribuable à la préparation d'une audience qui n'aura pas lieu, pour ensuite établir la date d'un procès, ce qui reporte la tenue d'un procès ou allonge la période de temps consacré à l'affaire?
La question n'est pas tant le temps des tribunaux, mais la période nécessaire pour mettre toutes ces choses en place. Cela se traduit souvent par d'importants délais, car l'horaire des tribunaux est très chargé. Êtes-vous d'accord?
Nous avons fait remarquer dans notre mémoire que ce n'est pas une grande... Vous avez cité le pourcentage du temps passé devant les tribunaux. Je pense que dans 75 % des cas, même si l'affaire était admissible à une enquête préliminaire, il n'y en a pas eu. Bien sûr, cela réduit les frais associés, mais depuis que les autres dispositions destinées à simplifier les enquêtes préliminaires ont été mises en place, il ne semble pas y avoir de grands problèmes de délais, d'après notre expérience.
Il ne faut pas oublier qu'il y a d'autres mécanismes à la disposition de la Couronne pour accélérer les choses. Dans le pire des cas, si nous craignons des délais excessifs, nous pouvons toujours opter pour une mise en accusation directe. La Couronne peut admettre des déclarations par écrit, et le tribunal peut, tout à fait, restreindre un contre-interrogatoire qu'il considérerait vexatoire.
Il peut arriver qu'on prévoie une enquête préliminaire, puis qu'elle n'ait pas lieu, mais ce n'est pas la majorité des cas, d'après notre expérience.
Merci.
Parlons maintenant un peu des suramendes compensatoires. J'apprécie votre appui à l'idée de redonner aux juges le pouvoir discrétionnaire qu'ils avaient perdu en 2013 et qui serait obligatoirement rétabli pour l'imposition de suramendes compensatoires.
Vous parlez toutefois de la possibilité de modifier le projet de loi afin de laisser aux juges le pouvoir de décider de ne pas en imposer à l'égard de certaines infractions contre l'administration de la justice. En quoi serait-ce nécessaire si nous redonnons aux juges le pouvoir discrétionnaire de ne pas en imposer si elles causent préjudice de toute façon?
Nous faisons cette proposition en réaction au nouveau pouvoir discrétionnaire ajouté au régime lorsque les infractions contre l'administration de la justice s'accumulent et génèrent une suramende élevée. On confère un pouvoir discrétionnaire spécial aux juges, afin qu'ils puissent réduire l'amende dans ce contexte, mais il n'existe rien de tel pour les infractions autres que celles contre l'administration de la justice.
Je conviens que c'est peut-être redondant si nous étendons le pouvoir discrétionnaire à tout et que nous éliminons cet exemple, mais tant qu'à créer ce nouveau pouvoir discrétionnaire pour les infractions commises contre l'administration de la justice, alors nous ne voyons aucune raison de ne pas l'étendre aux autres infractions qui se cumulent de la même façon.
Merci beaucoup. C'est mon tour.
J'aimerais vous remercier tous les trois de vos excellentes présentations et de vos excellents mémoires. J'aimerais, en fait, creuser quelques-unes des recommandations que vous n'avez pas eu la chance de nous expliquer en détail, comme je peux le comprendre.
Je dirai d'abord, aux représentants de l'Association du Barreau canadien que la première page de votre sommaire présente votre position de manière très succincte. Vous écrivez: « d'autres propositions, dont celle de restreindre les enquêtes préliminaires et d'introduire des 'éléments de preuve de routine' au moyen d'un affidavit, auraient pour effet d'empirer, plutôt que d'atténuer, les délais judiciaires, tout en sacrifiant d'importantes protections procédurales. » Je trouve que c'est un excellent résumé.
En fait, madame Pentz, votre anecdote sur les enquêtes préliminaires en Nouvelle-Écosse concorde parfaitement avec ce que nous disait hier M. Star, un avocat de la défense de la Nouvelle-Écosse. J'ai trouvé ces observations très utiles.
Comme je l'ai dit, j'aimerais toutefois parler un peu de choses dont vous n'avez pas encore eu la chance de parler. L'Association du Barreau canadien nous soumet 17 recommandations. J'aimerais parler avec vous de la 15e, par laquelle vous proposez de supprimer du projet de loi C-75 les dispositions sur l'étouffement et ce qu'on appelle les peines « supermax », que vous qualifiez de « particulièrement inutiles ». Pouvez-vous vous expliquer?
Concernant l'étouffement, d'après notre interprétation, le projet de loi C-75 créera une troisième cause d'imputabilité en cas de voies de fait causant des lésions corporelles ou de voies de fait armées — c'est ainsi que c'est défini — et d'agression sexuelle. Ainsi, plutôt que d'établir l'existence de lésions corporelles ou d'agression armée, l'étouffement constituerait une infraction distincte, qu'il y ait ou non lésions corporelles ou utilisation d'une arme. Ces infractions seraient traitées de la même façon que les autres infractions.
Nous jugeons que c'est redondant parce que l'étouffement constitue déjà une forme de voies de fait. Si une personne en agresse une autre en l'étouffant, elle sera inculpée en vertu de l'article 266. L'étouffement sera considéré comme un facteur aggravant lors de la détermination de la peine, compte tenu de la façon dont les voies de fait ont été causées. Il est donc redondant de créer une toute nouvelle infraction, alors que nous essayons de simplifier le Code criminel.
Le problème est sensiblement le même pour les infractions assorties de peines « supermax ». L'étouffement, la violence familiale et les condamnations multiples constituent déjà des facteurs aggravants qui sont pris en compte lors de la détermination de la peine. Nul besoin, donc, de créer un régime de peines « supermax ».
Concernant l'étouffement, je souligne que la Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada s'est penchée, il y a un certain temps déjà, en mai 2006, sur l'idée de faire de l'étouffement une infraction distincte. Elle avait alors conclu, comme nous aujourd'hui, que c'est déjà une forme de voies de fait au sens de l'article 266. Elle avait aussi précisé qu'il pouvait constituer une infraction au sens de l'article 268, sur les voies de fait graves mettant la vie en danger si l'étouffement est extrême.
Elle est donc parvenue à la même conclusion que nous: il n'est pas nécessaire d'en faire une infraction distincte.
J'aimerais m'adresser à M. Johnston, mais je vous poserai une dernière question avant. Votre recommandation 16 consisterait à supprimer du projet de loi l'article 389, qui prévoit l'adoption d'une présomption réfutable dans les affaires de traite de personnes. Pourquoi?
Nous avions soumis un mémoire en 2014, sur la première mouture de ce projet de loi, qui s'appelait alors le projet de loi C-452. Vous constaterez que certaines parties de ce mémoire sont reproduites ici. La présomption réfutable est vulnérable aux contestations fondées sur l'article 7 et l'alinéa 11d) de la Charte, puisqu'elle pourrait contrevenir au droit d'être présumé innocent.
Nous ne croyons pas que l'article 1 puisse avoir préséance, parce qu'il n'y a pas assez de preuves que les critères de l'article 1 seront satisfaits. Si une personne se trouve habituellement en compagnie d'une personne exploitée, cela ne signifie pas nécessairement qu'elle est responsable de son exploitation. En fait, ces dispositions pourraient mettre à risque diverses personnes pouvant se trouver en compagnie de personnes exploitées, qui ne sont pas exploitées elles-mêmes, mais qui s'adonnent à être au même endroit.
Nous en donnions un exemple dans notre mémoire original, celui d'un travailleur rémunéré dont le collègue serait non rémunéré et victime d'exploitation. Cette personne courrait le risque d'être inculpée pour traite de personne sur la base de la présomption réfutable.
Monsieur Johnston, vous avez parlé avec verve en faveur d'un élargissement du bassin de candidats à la fonction de juré, et nous en avons beaucoup entendu parler hier aussi, pour des raisons de représentativité. On nous a dit hier qu'il serait préférable d'utiliser les cartes d'assurance-maladie plutôt que des titres de propriété parce que par définition, les personnes qui ne sont pas propriétaires ne pourraient pas être convoquées. Aujourd'hui, vous nous avez recommandé d'ajouter à la liste les personnes ayant un casier judiciaire pour élargir le bassin, ce qui y ajouterait 10 % de la population, un chiffre considérable. Nous avons également entendu hier qu'il conviendrait aussi d'inclure à la liste les résidents permanents, puisqu'ils seraient suffisamment liés à la collectivité pour y être inclus.
Seriez-vous d'accord avec ces autres recommandations?
Je serais d'accord avec ces autres propositions. Je sais que certaines personnes parleront, notamment, d'augmenter la participation des jurés en leur permettant de se porter volontaires, plutôt qu'en les obligeant à assumer cette fonction par assignation ou avis de sélection.
Cela dit, il y a de nombreuses façons dont nous pourrions favoriser une plus grande participation des jurés, et je serais prêt à toutes les accepter.
Je n'ai que 30 secondes.
Concernant la récusation motivée et l'article 640, vous êtes très clair. Cet article existe depuis 1892. En gros, vous nous dites qu'il n'y a pas lieu de corriger quelque chose qui fonctionne, mais nous avons entendu bien d'autres personnes nous dire qu'il faudrait abolir la récusation péremptoire comme le propose le projet de loi. Hier, le professeur Roach nous a dit que si nous éliminions la récusation péremptoire, il faudrait peut-être renforcer les dispositions sur la récusation motivée. Seriez-vous d'accord avec cela, si nous choisissons cette avenue?
Je ne suis pas d'accord, parce que la récusation péremptoire permet à l'inculpé de contester l'inéquité de la situation. Nous savons que les bassins de candidats et les jurys sont constitués par les gouvernements provinciaux. Ils sont constitués au hasard, comme il se doit. Or, la personne inculpée doit avoir son mot à dire dans la sélection des jurés. À la simple vue des candidats, il y a toutes sortes de raisons pour lesquelles une personne pourrait juger bon de demander une récusation péremptoire.
Mais je crois surtout qu'il reste un risque de préjudice dans le processus de récusation motivée. Quand on conteste la sélection de jurés potentiels et qu'on leur demande s'ils sont racistes... C'est le genre de situation où des personnes qui ne seraient peut-être pas hostiles à l'inculpé ou au plaignant pourraient se sentir victimes de préjudice. Nous pourrions alors utiliser la récusation péremptoire de la bonne façon.
Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins d'être ici aujourd'hui et je leur suis reconnaissante de leurs mémoires très détaillés.
J'aimerais poser une question aux représentants de l'Association du Barreau canadien. Vous parlez, dans votre mémoire, de vidéoconférence, de technologie et des modifications apportées en ce sens. L'idée, derrière le projet de loi C-75, est selon moi de réduire les délais judiciaires.
Vous recommandez deux modifications à ces dispositions. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi?
Bien sûr. L'explication se trouve à partir de la page 18 de notre mémoire. Nous recommandons deux modifications. La première concerne la nouvelle disposition proposée selon laquelle le juge devrait exposer les motifs pour lesquels il décide de ne pas recourir à la technologie. Nous trouvons cette disposition inutile et paradoxale avec l'autre disposition du projet de loi, selon laquelle on devrait toujours présumer de la comparution en personne.
Qu'est-ce que cela signifie concrètement? Supposons que le tribunal reçoive une demande de comparution par téléconférence, mais que cette demande soit jugée inappropriée parce qu'il serait préférable de s'en tenir à la présomption de témoignage en personne, le juge serait désormais tenu de justifier sa décision, bien que ce soit la présomption de départ. C'est un peu déroutant et contradictoire, donc que nous recommandons de supprimer cette disposition, qui revient à divers endroits dans le projet de loi et prescrirait de justifier le refus d'une comparution par vidéoconférence ou téléconférence.
Notre deuxième recommandation est que les propositions sur la vidéoconférence et la technologie se limitent, généralement, aux audiences non contentieuses. Nous ne voudrions en rien éroder indûment le droit d'une personne de confronter son accusateur et de bénéficier d'audiences en personne. Cette mesure se veut une alternative pour les collectivités éloignées et les autres collectivités pouvant en bénéficier, lorsqu'il n'y a aucune autre solution.
Monsieur Johnston, avez-vous des commentaires à faire sur le recours à la technologie et à la vidéoconférence, à la lumière de votre expérience des procès avec jurés et des procès en général?
Oui. Je suis généralement contre l'utilisation de la technologie pour la tenue de procès et la comparution de témoins par téléconférence ou à distance. Je suis souvent contre ces méthodes, parce qu'à mes yeux, un procès criminel est un processus lent et délibératif, dans lequel il me semble important que les jurés, entre autres, puissent bien comprendre et sentir les témoignages. En toute déférence, j'estime préférable d'évaluer le témoin en personne, en chair et en os, de vive voix, plutôt que par vidéoconférence.
Je suis peut-être une relique d'une époque révolue, mais personnellement, je préfère que les témoins comparaissent en personne.
C'est intéressant. Merci.
J'aimerais aussi parler un peu de l'avis de l'ABC sur la violence contre un partenaire intime. Nous avons entendu des témoignages selon lesquels plutôt que de véritablement protéger les femmes violentées, le renversement du fardeau de la preuve constituerait un recul, parce qu'elles oseraient moins dénoncer les crimes.
Qu'en pensez-vous? Je sais que vous avez vraiment présenté votre position en détail, mais pouvez-vous nous en parler un peu?
Pour la mise en liberté sous caution, nous nous opposons au renversement du fardeau de la preuve pour deux raisons principales, mais nous ne contestons pas les témoignages que vous avez entendus. D'autres témoins avant nous ont dit que cela pourrait faire diminuer le nombre de dénonciations, un problème troublant que nous prenons évidemment au sérieux.
La principale raison pour laquelle nous nous opposons à cette modification, c'est qu'elle est redondante, parce que l'autre modification proposée dans le projet de loi C-75 oblige le juge à tenir compte du fait que la personne ait déjà commis le même genre d'infraction ou non et que la victime en était un partenaire intime. Concrètement, cela signifie que le juge sera déjà obligé de soupeser ces questions, sans qu'il soit nécessaire de renverser le fardeau de la preuve pour accentuer l'importance de la violence commise contre un partenaire intime.
Nous estimons aussi cette disposition fragile, sur le plan constitutionnel, parce que le fardeau de la preuve quant à la mise en liberté sous caution est le plus souvent renversé dans des contextes comme le trafic de stupéfiants, où l'accusé (s'il s'agit effectivement d'un trafiquant de drogues) est tenté contrevenir aux conditions de sa mise en liberté parce que c'est très lucratif et complexe, et qu'il est très difficile de s'en sortir immédiatement. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'autres facteurs à prendre en considération dans le contexte de la violence familiale, mais ce genre d'affaires n'est pas suffisamment comparable pour justifier le renversement du fardeau de la preuve.
Merci.
Le faible taux de dénonciation est un très grave problème dans le contexte de la violence fondée sur le sexe, et il est très difficile d'inverser la tendance. Avez-vous des propositions à faire dans ce contexte pour aider davantage les femmes dans notre système judiciaire?
Je crois personnellement que ce n'est jamais du gaspillage que d'investir dans les services d'aide aux victimes. Même si l'on se désensibilise un peu à force de travailler dans les tribunaux pénaux, de mener des contre-interrogatoires et d'entendre des récits tragiques, on ne peut oublier que les victimes sont souvent confrontées à cet univers pour la première fois. Elles ont besoin d'aide, et plus il sera facile pour elles d'obtenir de l'aide, plus elles seront encouragées, avec le temps, à dénoncer leur agresseur.
Nous sommes évidemment inquiets pour la présomption d'innocence, en raison des mesures qui la limitent, mais il y aurait beaucoup de place à l'amélioration hors des salles d'audience, ce qui ne nécessiterait pas le même genre de compromis. C'est ce sur quoi il faut mettre l'accent, parce que de mon point de vue personnel, en tout respect, le tribunal pénal ne devrait pas être la réponse à tous les maux de la société.
Comme nous accueillons des représentants de l'Association du Barreau canadien et qu'il n'est pas encore 16 h 30, nous avons encore 10 minutes pour poser quelques questions brèves. Y a-t-il des membres du Comité qui auraient de courtes questions à poser?
Je vois M. Nicholson et M. Cooper se manifester.
Quelqu'un de ce côté? Monsieur Fraser et monsieur McKinnon.
Vous devrez être très brefs. Si vous avez plus d'une question, posez-les toutes en même temps pour qu'on puisse y répondre. Je ne vous donne pas plus de deux minutes pour la question et la réponse.
Monsieur Nicholson.
Madame Pentz, vous avez parlé des enquêtes préliminaires et avez donné l'exemple d'une affaire d'agression sexuelle, dont l'enquête préliminaire avait accéléré la résolution.
J'ai parlé avec diverses personnes qui sont passées par là. Parfois, les victimes d'agression sexuelle et de violence ont l'impression que l'enquête préliminaire et le procès équivalent à subir deux procès, ce qui accentue leur souffrance.
Y a-t-il des gens qui vous ont parlé de la difficulté associée à ce processus?
C'est assurément une préoccupation, et il arrive que la victime dénonce la situation et affirme trouver stressant de devoir témoigner deux fois. D'autres témoins, en revanche, verront l'enquête préliminaire comme une répétition en vue du procès et la trouveront utile.
Quand un témoin comparaît, je trouve important que la Couronne et le tribunal s'assurent qu'il n'y ait pas d'abus à son égard pendant le témoignage, que l'interrogatoire ne soit pas abusif et qu'on s'en tienne aux éléments pertinents. Quand tout cela est respecté, cela peut vraiment rendre le processus plus facile pour la victime, mais l'on ne peut pas nier qu'il est traumatisant de témoigner en matière sexuelle. Plus il faut le faire, plus c'est difficile, c'est certain. C'est une préoccupation, mais de notre point de vue, c'est le genre de situation où il faut faire attention de ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Ce sont des professionnels. Effectivement, on ne peut pas le nier que pour les personnes qui dénoncent...
J'ai une sous-question concernant l'élimination de la récusation péremptoire. Vous croyez que cette mesure cause du tort aux Autochtones et aux personnes racialisées, en fin de compte. Est-ce bien votre position?
Effectivement. Nous croyons qu'un accusé racialisé peut utiliser la récusation péremptoire pour s'assurer d'un jury plus représentatif. Nous sommes conscients de l'argument contraire, mais j'aimerais mentionner une chose. Le débat, à juste titre, porte sur la surreprésentation des personnes autochtones dans le système et de leur sous-représentation parmi les jurés. Cependant, le processus de récusation péremptoire a une application bien plus pratique dans certains cas.
Il y a un exemple récent de sélection des jurés qui me vient à l'esprit. J'ai travaillé avec un accusé qui souhaitait fonder sa défense sur le concept de la conclusion à une alternative raisonnable, un cas où les instructions peuvent être assez compliquées pour un jury, puisqu'il faut expliquer le concept de la preuve circonstancielle et la différence entre une supposition et une conclusion. Je craignais que les membres du jury qui ne parlaient pas tellement couramment l'anglais n'arrivent pas à bien comprendre les instructions et que cela puisse nuire à la recherche de la vérité. Même si l'accusé était racialisé, j'ai choisi d'utiliser la récusation péremptoire pour exclure des personnes qui ne semblaient pas bien comprendre la langue anglaise, même si elles étaient de la même race que mon client, parce que je craignais qu'elles ne puissent comprendre les instructions comme je le souhaitais. On perd parfois de vue ce genre de considérations dans l'analyse.
Merci beaucoup.
Je m'adresse à nouveau aux gens de l'Association du Barreau canadien. Je note que vous appuyez dans votre mémoire la reclassification des infractions. Vous signalez toutefois une possible conséquence non souhaitée dont on nous a déjà parlé relativement aux stagiaires et aux étudiants en droit qui peuvent représenter devant le tribunal un prévenu accusé d'une infraction punissable sur déclaration par procédure sommaire pour autant que la peine maximale soit de six mois. Vous indiquez que le problème pourrait être réglé en modifiant cette disposition de manière à tenir compte de la nouvelle peine maximale de deux ans moins un jour. Ne craignez-vous pas de voir des étudiants et des stagiaires en droit prendre en charge des dossiers où la peine maximale atteint maintenant deux ans moins un jour?
S'il y a lieu de s'inquiéter, quelles mesures devrions-nous prendre pour apporter un changement de la sorte en évitant une telle situation non souhaitée où l'on verrait un avocat inexpérimenté prendre en charge une cause dans laquelle un prévenu pourrait se retrouver incarcéré pour une période de deux ans?
Je suis bien au fait de cette préoccupation. Cela étant dit, comme à peu près toutes les infractions punissables par voie sommaire seront désormais assorties d'une sentence maximale de deux ans moins un jour, ce nombre peut devenir en quelque sorte trompeur. Nous avons formulé une autre recommandation concernant la détermination de la peine. À mes yeux, c'est une question qui devrait relever des barreaux provinciaux, plutôt que du Code criminel. Outre les restrictions prévues dans le Code criminel, chaque barreau provincial devrait fixer les limites du travail autorisé pour les stagiaires en droit quant au type d'infractions en cause. Je ne crois pas que cela pose nécessairement problème, mais je comprends où vous voulez en venir.
Je note en outre l'argument soulevé par un témoin précédent qui indiquait qu'un recours trop fréquent à la peine maximale pourrait avoir des conséquences collatérales. Nous sommes également d'accord sur ce point auquel il conviendra de s'intéresser de plus près si ce projet de loi est adopté.
L'inflation des peines, les répercussions sur l'immigration et les questions frontalières avec les États-Unis...
Merci.
Je m'adresse également aux représentants de l'Association du Barreau canadien. À la page 9 de votre mémoire, vous indiquez que la reclassification des infractions pourrait entraîner des délais supplémentaires dans les cours provinciales. Pourriez-vous nous en dire plus long à ce sujet?
Les cours provinciales sont les seules à pouvoir être saisies des infractions punissables par voie sommaire. Il y a donc une proportion de 99 % de l'ensemble des causes criminelles qui sont déjà traitées par les cours provinciales. Avec l'élimination des enquêtes préliminaires, on peut s'attendre à un plus grand nombre de procès devant un juge seul dans les cours provinciales. Il y a donc toute une série de circonstances problématiques qui s'accumulent et risquent de surcharger les systèmes judiciaires provinciaux. Je suis conscient que les nominations ne relèvent pas de cette instance, mais nous jugeons la situation préoccupante et y voyons une raison de plus de ne pas se débarrasser des enquêtes préliminaires.
M. Fraser m'a coupé l'herbe sous le pied avec sa question, mais j'en ai une connexe au sujet des infractions mixtes.
Ce projet de loi transforme plus de 115 infractions en infractions mixtes. Estimez-vous que la liste établie est adéquate? Croyez-vous que l'on devrait l'allonger ou la raccourcir? Que pensez-vous du processus de transformation en infractions mixtes?
Nous sommes tout à fait favorables à la création d'infractions mixtes, car cela offre une plus grande latitude au procureur de la Couronne tout en élargissant l'éventail de peines possibles à l'égard de certaines infractions.
La possibilité de prononcer une ordonnance de sursis est un bon exemple des avantages d'une telle mesure. Les peines avec sursis ne sont généralement pas envisageables pour les infractions avec dommages corporels qui sont assujetties à une peine maximale de 10 ou de 14 ans. Si l'on réduit la peine maximale à deux ans par voie de déclaration de culpabilité via procédure sommaire, l'ordonnance de sursis devient une possibilité. Cela pourrait être un outil très important dans les négociations avec la Couronne.
En outre, j'ai moi-même entendu des procureurs de la Couronne qui souhaitaient éviter la procédure par voie sommaire parce qu'ils estimaient qu'une peine de six mois n'était pas conséquente compte tenu de la gravité de la faute commise. Nous sommes donc favorables à la transformation en infractions mixtes en raison de cette latitude qu'elle offre. Nous sommes toutefois conscients du risque d'inflation des peines et avons recommandé l'ajout d'une clause « pour davantage de certitude » afin que cela ne puisse pas se produire.
J'ai vu que Mme Khalid avait levé la main.
Monsieur Rankin, vous n'avez pas posé de question jusqu'à maintenant. Est-ce que ça va pour l'instant?
Merci beaucoup, monsieur le président. C'est une très brève question.
Vous mentionnez également dans votre mémoire l'imprécision du terme « partenaire amoureux » utilisé dans la définition de « partenaire intime ». Je n'ai pas pu voir si vous recommandiez un libellé différent pour cette définition.
Si cela est possible, pourriez-vous nous transmettre le libellé que vous proposez?
Vous avez raison. Nous n'avons pas recommandé de libellé. Nous nous demandons ce qu'on entend exactement par relation amoureuse. Peut-on parler d'une telle relation après un seul rendez-vous avec quelqu'un? Si vous avez fréquenté quelqu'un il y a 10 ans, s'agit-il d'une relation amoureuse?
Nous craignons que de telles relations ne permettent pas nécessairement d'établir le lien de confiance qui caractérise selon nous la relation avec un époux ou un conjoint de fait. Nous n'avons pas tenté de trouver un libellé différent, mais nous pourrions assurément en discuter.
Si j'ai bien compris, vous proposez dans votre mémoire que l'on supprime l'expression « partenaire amoureux »...
... de la définition. Je vois.
Un grand merci d'avoir témoigné devant nous aujourd'hui. Votre contribution nous sera très utile et nous l'apprécions vivement.
Nous allons nous interrompre maintenant quelques instants le temps que les prochains témoins puissent prendre place. Nous nous efforcerons de reprendre nos travaux sans trop tarder, car un vote est prévu tout de suite après.
Nous reprenons nos travaux.
Nous accueillons notre deuxième groupe de témoins. Tel que convenu entre eux, ils vont s'adresser à nous dans l'ordre suivant. Nous allons débuter avec Cheryl Webster, professeure à l'Université d'Ottawa. Suivra Tony Doob, professeur émérite du centre de criminologie et d'études sociolégales de l'Université de Toronto. Nous terminerons avec Jane Sprott, professeure à l'Université Ryerson. Les députés auront ensuite des questions à vous poser. Bienvenue à tous.
Madame Webster, vous avez la parole.
Merci, monsieur le président.
Au cours des 10 dernières années, de nombreuses études ont été menées au sujet du processus de remise en liberté provisoire et de la détention préalable au procès. Tous les chercheurs en sont arrivés à peu près à la même conclusion: des correctifs s'imposent de toute urgence. On devrait donc féliciter le gouvernement pour la réforme législative proposée. Toute tentative pour remettre sur ses rails notre système de remise en liberté provisoire est une bonne chose en soi, et les mesures législatives proposées ciblent plusieurs des principales préoccupations. Je m'inquiète seulement du fait que l'on s'attaque aux symptômes, plutôt qu'aux causes sous-jacentes du problème. Il est donc peu probable que l'on parvienne à rectifier ainsi une situation pouvant raisonnablement être considérée comme critique.
Voici comment nous en sommes arrivés là selon moi. C'est en raison de la mentalité de minimisation des risques développée au fil des 20 à 30 dernières années que notre système de remise en liberté sous condition s'est détérioré à ce point. Cette mentalité s'est lentement infiltrée dans l'ensemble du système, redéfinissant du même coup les objectifs que l'on cherche à atteindre.
En 1971, on considérait qu'il s'agissait d'une procédure sommaire visant à déterminer rapidement si un prévenu pouvait être remis en liberté avant son procès et, surtout, à s'assurer qu'il allait se présenter devant le tribunal. Dans notre société actuelle très soucieuse des risques, nous avons à toutes fins utiles laissé de côté les motifs primaires de détention pour nous concentrer surtout sur les motifs secondaires au moment de déterminer si un prévenu devrait être mis en liberté. Le processus vise désormais principalement à limiter dans toute la mesure du possible la menace qu'un prévenu peut représenter pour la sécurité publique.
Cependant, comme nous n'avons pas encore pu mettre au point une façon de déterminer avec certitude quels prévenus vont récidiver une fois remis en liberté, notre vive détermination à bien gérer les risques s'est traduite dans les faits par une forte réticence de la part de tous les intervenants du système de justice pénale à exercer leur pouvoir décisionnel de remise en liberté.
On considère dorénavant que la décision de remettre un prévenu en liberté est bonne lorsqu'il ne commet pas d'infraction criminelle pendant sa libération, et qu'elle est mauvaise lorsqu'il récidive. On ne dit plus simplement que c'était la meilleure décision possible compte tenu des renseignements disponibles lorsqu'elle a été prise. Les décisions au sujet de la remise en liberté provisoire sont maintenant évaluées en fonction du comportement d'un individu qui sera tenu personnellement responsable si un incident tragique se produit.
Il ne faut pas s'étonner de constater que les principaux décideurs ont choisi de jouer la carte de la prudence, soit en s'opposant à la remise en liberté pour laisser à quelqu'un d'autre le fardeau de cette décision, soit en remettant effectivement en liberté le prévenu, mais pas sans lui avoir imposé au préalable toutes sortes de conditions.
En première ligne, les forces policières déposent de plus en plus d'accusations malgré que les taux de criminalité soient à la baisse, notamment pour les crimes avec violence. En outre, un plus grand nombre de prévenus sont détenus en attente de leur audience pour remise en liberté provisoire. Une fois devant le tribunal, le processus exige plus de temps, un plus grand nombre d'ajournements et d'étapes de traitement, ce qui signifie en fin de compte plus de journées passées en détention préventive en attente de la décision concernant la remise en liberté provisoire.
Pour ceux qui se voient effectivement accorder une remise en liberté, un plus grand nombre de conditions sont imposées, celles-ci sont plus sévères et on exige souvent le versement d'une caution. Bien évidemment, les prévenus sont plus nombreux à contrevenir à leurs conditions de remise en liberté en commettant le plus souvent des actes qui seraient normalement considérés comme des comportements non criminels, plutôt que des infractions graves. En conséquence, la police porte un plus grand nombre d'accusations pour des infractions relatives à l'administration de la justice.
Compte tenu des dispositions renversant le fardeau de la preuve pour les détenus qui ont enfreint une ordonnance de la cour pendant leur remise en liberté provisoire, les chances de se voir accorder une seconde remise en liberté sont considérablement réduites. Même dans les cas plus rares où le prévenu obtient une nouvelle remise en liberté provisoire, des conditions additionnelles et même plus strictes sont souvent imposées, ce qui accroît d'autant le risque d'un retour devant le tribunal en raison d'une nouvelle infraction. Comme le casier judiciaire du prévenu devient de mieux en mieux garni, les chances qu'il obtienne une libération provisoire s'il commet une autre infraction, même si elle est mineure, s'amenuisent encore davantage. Le fameux phénomène de la porte tournante du système de justice pénale s'intensifie donc avec ces individus qui amorcent le processus en étant toujours présumés innocents.
Mais comprenez-moi bien. Je ne suis pas en train de vous dire que personne ne devrait être détenu en attente de son procès. Au contraire, la détention est dans bien des cas la meilleure solution pour veiller à ce qu'un prévenu se présente devant le tribunal ou éviter qu'il mette en péril la sécurité de qui que ce soit.
Je veux faire valoir que nous optons maintenant automatiquement pour la détention, ou tout au moins pour une remise en liberté retardée, plutôt que de nous assurer d'incarcérer les bonnes personnes tout en libérant rapidement les individus dont nous craignons simplement une récidive, et ce, sans fondement véritable, et ceux qui ne mettraient pas véritablement en péril la sécurité publique si jamais ce risque se concrétisait. En bref, nous nous sommes éloignés du juste équilibre entre les droits d'individus toujours considérés innocents et ceux de la collectivité dans son ensemble. Les coûts de nos pratiques inspirées par notre aversion du risque ne sont pas négligeables. Les coûts énormes associés au nombre accru d'audiences devant les tribunaux pour une remise en liberté provisoire n'ont d'égal que ceux découlant de la détention préventive de ces prévenus pendant des périodes encore plus longues.
Du point de vue des institutions, la gestion de cette population croissante pose maintenant de sérieuses difficultés aux centres de détention provisoire, particulièrement dans un contexte de surpeuplement carcéral avec les risques de perturbations qui s'ensuivent. Du point de vue administratif, leur nombre accru et les temps de traitement de plus en plus longs ont grandement contribué à des problèmes généralisés de délais juridiques. Pour les prévenus, même les brèves périodes de détention provisoire ont des effets dévastateurs en les rendant notamment moins aptes à se défendre, à conserver leur emploi et à subvenir aux besoins de leurs proches. Sur le plan moral, il est nettement problématique de se retrouver avec un plus grand nombre de personnes détenues avant leur procès, plutôt qu'après avoir été trouvées coupables.
Même dans la perspective de la sécurité publique, il est difficile d'affirmer — ce qui est plutôt ironique — que nous sommes mieux protégés. Le nombre de crimes violents diminue depuis le début des années 1990. Une proportion non négligeable des prévenus convoqués à une audience de mise en liberté sous condition ont commis des infractions mineures sans violence ou ont simplement contrevenu à une condition de leur remise en liberté en ayant un comportement non criminel. En outre, la plupart des recherches révèlent que les délinquants sous responsabilité fédérale en libération conditionnelle sont très peu susceptibles de commettre de nouvelles infractions, et encore moins des infractions avec violence. Il n'y a aucune raison de croire que la situation serait différente pour ceux qui bénéficient d'une remise en liberté provisoire.
Les solutions devront passer par un changement en profondeur. L'état actuel de notre système de remise en liberté provisoire est attribuable à une mentalité largement fondée sur une aversion pour le risque et une détermination à bien le gérer. Ce sont des problèmes à la fois de nature endémique et systémique. De fait, on pourrait parler d'un véritable cercle vicieux où ils s'alimentent l'un l'autre. Il nous faut une approche qui démantèlera ce modèle d'interdépendance en remettant en question la mentalité sur laquelle il est fondé. C'est sous cet aspect que la loi proposée me cause certaines préoccupations. À mon sens, on pourrait dire que l'on se contente de rafistoler le système en place pour la remise en liberté provisoire, un peu comme on l'a fait avec les efforts déployés récemment, parfois à grande échelle, pour réduire le nombre de prévenus en détention provisoire.
Ces initiatives ont produit certains résultats, mais les améliorations apportées sont somme toute mineures et ont été, dans certains cas, éphémères. Pour opérer un changement systémique, il convient d'instaurer un nouvel état d'esprit qui obligera tous les principaux intervenants à revoir leur perception de la remise en liberté provisoire en s'inspirant des objectifs visés au départ.
J'aimerais vous donner l'exemple du pouvoir discrétionnaire des forces policières dans le contexte des mesures législatives proposées. Je me réjouis de constater que l'on s'efforce de réduire le nombre de cas où des prévenus sont gardés en détention par la police. En Ontario, presque la moitié des dossiers criminels débutent par une audience pour remise en liberté provisoire. Il faut noter que seulement 30 % de ces dossiers comportent des accusations pour crime violent. Il s'agit d'un problème grave et toute réduction du fardeau imposé aux tribunaux saisis des demandes de remise en liberté sera bénéfique. Il est toutefois difficile de changer la culture qui sous-tend le processus décisionnel des forces policières. Mes préoccupations à ce sujet sont de deux ordres.
Premièrement, je ne suis pas certaine que la police se servira régulièrement de cette latitude accrue. Comme il n'y a toujours pas d'efforts véritables qui sont déployés pour réduire les risques personnels ou institutionnels lorsqu'une situation se détériore, je ne vois guère en quoi ces mesures pourraient encourager, voire obliger, les forces policières à agir différemment à l'avenir.
Deuxièmement, même dans les cas où la police décidera de libérer le prévenu, j'ai bien peur qu'on lui impose de très nombreuses conditions afin de minimiser les risques encourus par la police elle-même. Étant donné que les corps policiers peuvent imposer un très large éventail de conditions et que la plupart des détenus vont accepter n'importe quoi pour éviter l'incarcération, d'autant plus qu'aucun avocat ne les conseille à cette étape du processus, je crains également que le principe de l'échelle ne soit pas respecté. Avec l'imposition d'un grand nombre de conditions pouvant être très sévères, les contraventions demeureront la norme et le cercle vicieux ne sera pas rompu.
Ces deux approches des services policiers m'apparaissent tout à fait compréhensibles dans le contexte de la culture du risque qui prévaut actuellement, car personne ne veut se retrouver avec la fameuse patate chaude entre les mains. Tant et aussi longtemps que nous ne nous attaquerons pas aux causes des problèmes de notre système de remise en liberté provisoire, plutôt qu'à leurs symptômes, les mesures législatives proposées, tout au moins dans leur forme actuelle, ne seront peut-être tout simplement pas suffisantes.
Merci.
En 1997, quelque 3 800 jeunes purgeaient des peines d'incarcération au Canada. En 2015, on n'en comptait plus qu'environ 500. Il y a des enseignements à tirer des modifications apportées au système de justice pénale pour les adolescents. Nous pourrions ainsi y voir plus clair relativement aux aspects du projet de loi C-75 que vous nous avez demandé d'aborder, à savoir la remise en liberté provisoire et les accusations relatives à l'administration de la justice.
Au milieu des années 1990, on convenait généralement qu'un trop grand nombre de jeunes étaient incarcérés, mais il nous a fallu 20 ans pour en arriver à la situation actuelle. On cherchait notamment à sortir du système juridique les causes faisant suite à des délits mineurs. Ainsi, les tribunaux et les services correctionnels pour les jeunes seraient mieux à même de traiter les cas plus graves.
Je dirais que les changements proposés dans ce projet de loi concernant la remise en liberté provisoire et les accusations relatives à l'administration de la justice visent, entre autres, une plus grande sélectivité dans la manière dont les dossiers sont traités.
Comment y sommes-nous parvenus dans le cas des jeunes? Premièrement, les gens s'entendaient de plus en plus quant aux objectifs que devrait viser le système. Deuxièmement, les modifications apportées à la loi ont permis de consolider ce consensus. Troisièmement, le libellé des mesures régissant le système de justice pénale pour les adolescents a cessé de s'articuler autour de dispositions formulant clairement de grandes aspirations, mais n'obligeant aucunement les décideurs à changer quoi que ce soit. On a plutôt adopté des directives que l'on pourrait qualifier d'« opérationnelles » imprimant une orientation plus stricte. Quatrièmement, les gouvernements ont voulu souligner l'importance des modifications apportées à la loi en instaurant des processus de sensibilisation pour veiller à ce que chacun sache bien qu'une approche véritablement nouvelle était nécessaire. Autrement dit, les différents intervenants du système de justice pénale devaient modifier leurs comportements conformément aux nouvelles intentions exprimées dans la loi.
Si j'ai certaines réserves quant aux propositions du projet de loi C-75 relativement à la remise en liberté provisoire et aux infractions relatives à l'administration de la justice, ce n'est pas parce que je ne suis pas d'accord avec les objectifs que l'on semble viser. C'est plutôt que je ne pense pas que ces objectifs pourront être atteints.
Comme vous le savez sans doute, nous n'avons pas été vraiment efficaces dans nos efforts pour limiter le recours à la détention préalable aux procès chez les jeunes, comparativement à ce que nous avons réussi à faire au chapitre de la détermination de la peine. Les restrictions, qui existaient au départ dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents quant au recours à la détention avant le procès, n'étaient pas aussi directives que les limites applicables à l'utilisation des peines d'incarcération. Même si les mesures législatives concernant la détention préalable au procès pour les jeunes ont été améliorées en 2012, rien n'indique que le processus décisionnel a évolué en conséquence depuis. La loi a changé, mais pas la pratique. En 2003, quelque 41 % des jeunes incarcérés étaient en attente de leur procès. En 2015, cette proportion s'était accrue pour atteindre 56 %.
Parlons maintenant des changements mis de l'avant quant au traitement des accusations relatives à l'administration de la justice et au processus de remise en liberté provisoire. Il y a une question qui me vient à l'esprit en relisant les modifications proposées à l'article 16 du Code criminel. Est-ce que quiconque sera désormais tenu de modifier ses façons de faire en raison de ces changements?
Bien évidemment, ces changements s'appuient sur des principes tout à fait valables. Il faut, par exemple, établir clairement que l'on doit chercher en premier lieu à mettre en liberté le prévenu à la première occasion raisonnable. Une telle affirmation ne va pas toutefois complètement à l'encontre de l'esprit des dispositions actuelles. Quelles sont les mesures proposées qui vont obliger, ou tout au moins fortement encourager, les agents de police, les procureurs ou les fonctionnaires judiciaires à changer la façon dont ils déterminent quelles pratiques sont les plus efficaces?
Je pose la question en sachant qu'un officier de police est encouragé à imposer au prévenu des conditions raisonnables susceptibles d'éviter la poursuite ou la répétition d'une infraction, ou encore la perpétration d'une autre infraction. On semble préconiser ici l'imposition de conditions supplémentaires qui vont sans doute se traduire par un résultat que ce projet de loi cherche à éluder, à savoir le dépôt d'accusations additionnelles relatives à l'administration de la justice lorsque ces conditions supplémentaires ne sont pas respectées. Les mesures régissant actuellement l'arrestation d'un prévenu et sa remise en liberté provisoire sont complexes et ne permettent pas de savoir exactement à quoi s'en tenir.
Je considère que les juges de la Cour suprême dans l'arrêt Antic ont simplement reformulé en langage simple le libellé du Code criminel. Le langage simple n'est pas une mauvaise chose en soi, mais les décisions subséquentes des tribunaux me portent à croire que ce n'est pas nécessairement suffisant.
Selon l'article 493.2 proposé, un juge de paix ou un juge doit accorder une attention particulière à la situation des prévenus autochtones et des prévenus appartenant à des populations vulnérables qui sont surreprésentées au sein du système de justice pénale. Plus loin, dans les changements proposés à l'article 515, on fait de nouveau état du principe de la retenue. On souhaite manifestement que tous les prévenus, surtout s'ils sont autochtones ou membres d'un autre groupe défavorisé, bénéficient de l'application de ce principe. Pourquoi alors ne pas exiger que des motifs soient fournis lorsqu'on veut assortir une ordonnance de remise en liberté provisoire de restrictions allant au-delà d'un simple engagement non assorti de conditions?
De la même façon, si on juge qu'il est nécessaire d'imposer des conditions ou une mesure de sécurité, pourquoi ne pas exiger une justification? Pour les Autochtones et d'autres personnes désavantagées, pourquoi ne pas exiger que les personnes qui suggèrent ou imposent des conditions indiquent les raisons pour lesquelles ces conditions sont nécessaires et comment il est possible de les respecter? Autrement dit, si vous souhaitez accroître la précision des preneurs de décisions, dites-le. Exigez des justifications pour les restrictions de la liberté.
Toutefois, il y a un autre problème. En effet, le Code criminel, tel que modifié par le projet de loi C-75, enverrait des messages contradictoires. D'un côté, la loi énoncerait que les personnes innocentes ne devraient pas être emprisonnées sans une bonne raison. Mais en même temps, le projet de loi allonge la liste des soi-disant infractions qui entraînent l'inversion du fardeau de la preuve.
Lorsque les lois actuelles en matière de mise en liberté sous caution ont été adoptées au début des années 1970, aucune infraction n'entraînait l'inversion du fardeau de la preuve. L'allongement de la liste se fait graduellement depuis le milieu des années 1970 et, selon moi, sans preuve empirique liée à la nécessité d'apporter ce changement. La plupart des infractions — sinon toutes — qui entraînent l'inversion du fardeau de la preuve sont des infractions que les tribunaux devraient prendre très au sérieux de toute façon. Le problème avec l'allongement de la liste, particulièrement à ce stade, c'est que le message est clair. La décision de mettre la personne sous garde est l'option privilégiée et sécuritaire à court terme pour les personnes préoccupées par le risque, nonobstant les articles tels les énoncés proposés concernant la restriction.
Ces deux domaines du Code criminel, c'est-à-dire les accusations relatives aux infractions contre l’administration de la justice et la mise en liberté sous caution, ont visiblement besoin d'attention. Ce qui m'inquiète le plus au sujet de cette série de propositions, c'est qu'elles ne réussiront pas à entraîner les changements souhaités.
J'aimerais terminer en vous communiquant quelques statistiques qui illustrent l'importance de cet enjeu.
En Ontario, pendant l'année qui s'est terminée en juin dernier, 46 % des 208 000 affaires qui ont été réglées devant les tribunaux provinciaux de l'Ontario ont commencé par des séances de libération sous caution. Comme Mme Webster vient de le souligner, les cas de mise en liberté sous caution ne sont pas tous nécessairement des cas graves. En fait, seulement 31 % de ces cas de mise en liberté sous caution concernaient des crimes contre la personne.
Une autre chose qui indique que ces cas ne sont pas nécessairement graves, c'est que parmi ces séances de libération sous caution, 40 000 séances, ou 42 % d'entre elles, ont débouché sur le retrait des accusations ou leur suspension au procès ou avant celui-ci. Dans quelle mesure ces affaires pouvaient-elles être graves si toutes les accusations ont été retirées ou suspendues?
Je ne suis pas convaincu que les changements contenus dans le projet de loi C-75 modifieront grandement ces chiffres. J'espère que j'ai tort.
Merci. C'était parfait.
Vous avez terminé sur une telle note que je me demandais si vous aviez une autre page.
On m'a demandé de comparaître pour formuler des commentaires sur le projet de loi C-75 et sur les modifications relatives à la mise en liberté sous caution et aux infractions contre l'administration de la justice, ou le non-respect des conditions. Au cours de la dernière décennie, la plupart de mes recherches ont été axées sur la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et sur les questions liées à la mise en liberté sous caution et celles liées aux conditions de mise en liberté sous caution.
Les modifications visant la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et la mise en liberté sous caution que contient le projet de loi C-75 semblent se concentrer à la fois sur les conditions imposées aux jeunes et sur les mesures à adopter lorsqu'un jeune ne les respecte pas. Comme mes collègues, je crois qu'on doit absolument se pencher sur ces deux enjeux, et j'approuve tous les efforts en vue de tenter de les régler.
Les recherches ont tendance à montrer qu'on impose aux jeunes de nombreuses conditions à vaste portée et que ces conditions contiennent souvent de grands objectifs sociaux qui vont bien au-delà de la raison d'être des conditions de mise en liberté. Les filles sont plus susceptibles d'être assujetties à de telles conditions.
L'utilisation de ces conditions à vaste portée sociale ou fondées sur un traitement pose problème pour plusieurs raisons, et l'une de ces raisons, c'est que la personne accusée est innocente aux yeux de la loi à cette étape et qu'on connaît très peu de choses à son sujet. Il s'ensuit que peu importe les bonnes intentions associées à ces conditions à vaste portée thérapeutique, elles ne permettront probablement pas d'atteindre les objectifs souhaités et pourraient aggraver la situation. Par exemple, il se peut que le jeune ne puisse pas respecter les conditions. Il n'est donc pas surprenant que plus on impose de conditions à un jeune et plus la période d'imposition est longue, plus ce jeune est susceptible de ne pas les respecter.
Les modifications visant la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents vont dans la bonne direction. En effet, le projet de loi C-75 vise à interdire l'imposition de conditions à la mise en liberté sous caution comme solution de rechange aux mesures en matière de santé mentale ou de bien-être social. De plus, le projet de loi C-75 tente de rappeler aux juges que les conditions de mise en liberté sous caution peuvent être imposées seulement s'il est nécessaire d'assurer la comparution devant le tribunal ou la sécurité du public, ou si les conditions sont raisonnables relativement aux circonstances de l'infraction, ou si le jeune sera raisonnablement en mesure de les respecter. Le projet de loi C-75 tente également d'offrir des solutions dans le cas du non-respect des conditions, et des solutions de rechange aux accusations ont été présentées dans l'article 4.1 proposé.
Toutes ces propositions vont dans la bonne direction, mais encore une fois, comme l'ont dit Mme Webster et M. Doob, je crains que cela n'entraîne pas beaucoup de changements concrets. Lorsqu'on se fonde sur les points forts de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, on se rend compte que pour amorcer un changement, comme M. Doob l'a mentionné, on doit offrir de la formation et de la sensibilisation sur ces changements. De plus, ces changements doivent être opérationnels ou prescriptifs, et non des objectifs vagues et trop ambitieux. Pour que les pratiques changent sur le terrain, les gens doivent être au courant des changements et comprendre l'intention qui les motive.
Si la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents a si bien réussi à utiliser, de façon sélective, les tribunaux et la détention, c'est sans doute en partie parce qu'il s'agissait d'une toute nouvelle loi. En effet, une nouvelle loi signifie de nouvelles pratiques, ce qui oblige les gens à adopter une nouvelle attitude. De plus, des années avant l'entrée en vigueur de cette Loi, on a offert beaucoup de formation et de sensibilisation aux personnes responsables de sa mise en oeuvre. C'était probablement indispensable, non seulement pour assurer son acceptation à grande échelle, mais aussi pour aider à obtenir le soutien opérationnel des personnes qui appliquent la loi sur le terrain. Il faut faire la même chose dans ce cas-ci ou il n'y aura probablement aucun changement.
De plus, même si tous ces changements vont dans la bonne direction, les modifications sont toujours vagues et peu prescriptives. Encore une fois, les plus grandes réussites de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents sont attribuables aux articles qui contiennent des directives opérationnelles précises, plutôt que des objectifs ambitieux. En présumant, par exemple, que les policiers et la Couronne croient déjà qu'ils utilisent les pratiques exemplaires et qu'ils portent des accusations en cas de non-respect des conditions seulement lorsque c'est nécessaire, on ne sait pas précisément si les solutions de rechange aux accusations contenues dans l'article 4.1 proposé suffiront pour modifier les pratiques actuelles, surtout s'il y a peu de sensibilisation ou de formation sur ces changements et leurs objectifs.
Des problèmes semblables se posent dans le cas de l'imposition de conditions. On ne sait pas vraiment si les modifications proposées liées à l'imposition des conditions de mise en liberté sous caution entraîneront une plus grande retenue. Il y a très peu de directives à cet égard.
Dans ce cas-ci, le point de départ de la plus grande partie des éléments liés aux conditions de mise en liberté se trouve dans le Code criminel et dans la capacité d'ajouter toute autre condition raisonnable que le juge considère comme souhaitable. On ne sait pas précisément comment la modification proposée à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents — avec un autre énoncé selon lequel les conditions doivent être raisonnables relativement à l'infraction — réduira le nombre ou la gamme de conditions imposées aux jeunes. Si on souhaite restreindre l'imposition de conditions aux jeunes, le projet de loi C-75 devrait probablement aborder directement cette question.
De plus, je partage les préoccupations de mes collègues en ce qui concerne l'élargissement du pouvoir discrétionnaire accordé à la police. On ne sait pas si les policiers l'utiliseront, mais s'ils le font, cela pourrait accroître le recours aux conditions, ce qu'on tente justement de limiter à un autre niveau.
Je présume que je fais valoir trois points. Tout d'abord, si on souhaite modifier les conditions de mise en liberté, il faut absolument offrir de la formation et de la sensibilisation. Ne croyez pas que si vous adoptez une loi, tout changera aussitôt pour se conformer à l'intention du Parlement. Deuxièmement, si on souhaite restreindre le nombre et la portée des conditions imposées aux jeunes, il faut aborder cette question directement, plutôt que de demander qu'elles soient raisonnables. Si les policiers ont un plus grand pouvoir d'imposer des conditions, il se peut qu'ils l'utilisent. Il me semble que lorsqu'on ajoute d'autres mesures pour réagir aux infractions liées au non-respect des conditions, on se concentre davantage sur le symptôme du problème que sur le problème lui-même, c'est-à-dire le recours aux conditions.
Enfin, comme M. Doob l'a mentionné, les limites imposées aux conditions de mise en liberté sous caution sont beaucoup plus précises pour les jeunes que pour les adultes. Si le fait d'imposer des conditions générales — et parfois intrusives — de nature thérapeutique est considéré comme étant inapproprié pour les jeunes, j'aimerais savoir pourquoi ce n'est pas également le cas pour les adultes. S'il est important que les juges s'assurent au préalable qu'un jeune est en mesure de respecter une condition qui lui sera imposée, pourquoi n'est-ce pas aussi le cas pour les adultes?
Des enjeux semblables existent dans le système des adultes, mais ces problèmes sont beaucoup plus difficiles à résoudre, car le Code criminel est beaucoup moins prescriptif et plus ambivalent que la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Et parfois, comme M. Doob l'a souligné, il contient des dispositions qui se contredisent au sujet de la mise en liberté sous caution.
Il y a des arguments très valables selon lesquels, encore une fois, en se fondant sur l'exemple de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, il serait temps de réécrire complètement les lois sur la mise en liberté sous caution visant les adultes. Cela pourrait nécessiter un changement dans la façon de penser et dans les pratiques plutôt que l'ajout constant de modifications. Il est peut-être temps de réfléchir à ce que nous souhaitons accomplir avec l'utilisation des conditions et consulter les preuves accumulées jusqu'ici sur les répercussions et les conséquences engendrées par ces conditions. Toutefois, de façon plus générale, on peut souhaiter apprendre des réussites de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, qui laissent croire que si on souhaite apporter des changements réels, il faut adopter une approche prescriptive et informer les responsables de l'application de la loi des changements qui ont été apportés.
Merci, monsieur le président.
J'aimerais également remercier les témoins.
Je m'adresserai d'abord à M. Doob. Je vous ai peut-être mal entendu. Je vous ai en quelque sorte entendu à moitié. J'aimerais que vous nous fournissiez tout d'abord des éclaircissements sur votre exposé, dans lequel vous dites qu'on devrait fournir, par écrit, les raisons qui motivent l'imposition de conditions.
Si des conditions sont imposées — nous parlons du processus de mise en liberté sous caution en général —, l'une des préoccupations qui sont soulevées, c'est que les conditions mènent à des accusations d'infractions relatives à l’administration de la justice. Je crois que lorsque nous imposons des restrictions sur la liberté d'action de personnes innocentes aux yeux de la loi, nous devrions être en mesure de les justifier.
Il faut fournir des raisons. Je crois que cela ne devrait pas être considéré comme étant une exigence trop élevée pour les juges concernés, car on peut présumer que la loi exige qu'ils sachent pourquoi ils imposent ces mesures.
J'ai participé à un grand nombre d'affaires de mise en liberté sous caution, et ce qui me préoccupe, c'est qu'on semble imposer à l'accusé toute condition qui semble utile et valide sur le plan thérapeutique. Pourquoi ne pas avoir ceci? Pourquoi ne pas avoir cela? Ce sont toutes des choses qui semblent bonnes. Il y a une norme ou une exigence stéréotypique selon laquelle on se dit que si une personne a été accusée d'une infraction pendant qu'elle était apparemment en état d'ébriété, on devrait lui imposer une condition liée à l'interdiction de consommer de l'alcool. Nous savons que cela ne sera probablement pas très utile. Pourquoi la personne ne cherche-t-elle pas à obtenir un traitement? Pourquoi n'essaie-t-elle pas autre chose? Je crois que nous devrions indiquer que les restrictions doivent être minimales. Elles devraient être mises en oeuvre pour une bonne raison. Si nous n'avons pas de bonne raison, nous ne serons pas en mesure de l'appliquer. Si nous avons une bonne raison, ce ne sera pas très difficile pour le juge.
Il existe déjà des arriérés dans nos tribunaux; ne voyez-vous pas que cela créera encore plus d'arriérés? Vous avez parlé d'un grand nombre de cas qui sont traités devant les tribunaux de remise en liberté sous caution. Comment cela est-il faisable?
C'est faisable pour deux raisons. Dans le prochain groupe de témoins, vous entendrez quelqu'un qui a probablement assisté à des séances de tribunaux de mise en liberté sous caution et qui a mené plus d'observations systématiques sur ces tribunaux que quiconque au pays, et je crois que lorsqu'on assiste à des séances de mise en liberté sous caution, on se rend compte que ces tribunaux ne sont pas bien menés.
Il y a très longtemps, c'est-à-dire dans les années 1970, j'ai effectué quelques travaux sur des séances de mise en liberté sous caution. Ce qui est intéressant au sujet des séances de mise en liberté sous caution des années 1970 comparativement à celles d'aujourd'hui, c'est que la mise en liberté sous caution était réellement un processus sommaire. En effet, la personne se présentait devant le tribunal et la Couronne indiquait les raisons pour lesquelles il fallait lui imposer des conditions. On s'entendait généralement sur ces conditions. Habituellement, il n'y avait qu'une seule comparution. Nous savons que maintenant, il est plutôt rare qu'une seule comparution soit suffisante.
Nous observons donc, dans le processus de mise en liberté sous caution, un processus prolongé qu'on n'avait pas prévu dans les années 1970 et qui n'existait pas à ce moment-là lorsque les lois actuelles sur la liberté sous caution ont été adoptées. Je comprends le point que vous faites valoir, mais je crois que le problème de l'encombrement des tribunaux saisis des demandes de mise en liberté sous caution est plus complexe et ne peut pas se régler simplement en indiquant que les juges devront fournir les raisons qui justifient l'imposition de conditions.
Pour parler de façon plus générale de la question des infractions contre l'administration de la justice découlant d'ordonnances délivrées par des tribunaux de cautionnement, avez-vous des données sur le temps utilisé par ces infractions dans les tribunaux? Cette question ne s'adresse pas nécessairement à M. Doob, mais à tous les témoins qui souhaitent y répondre.
C'est exact. Je crois que c'est important.
Comme l'a dit Mme Webster, lorsqu'on ramène une personne libérée sous caution après une accusation d'infraction relative à l'administration de la justice, je crois qu'il y a souvent une accusation grave et que l'accusation relative à l'infraction contre l'administration de la justice n'est qu'une accusation supplémentaire et n'ajoutera probablement pas grand-chose au processus.
Je crois que le problème concerne plutôt les cas dans lesquels la seule nouvelle infraction qui arrive plus tard est une infraction relative à l'administration de la justice. Je ne sais pas pour l'instant. Nous avons mené quelques travaux à cet égard pour le gouvernement de l'Ontario, mais je ne me souviens pas pour l'instant quel était le nombre de ces infractions. Ce n'était pas un nombre négligeable, mais je crois que vous avez raison lorsque vous dites que la plupart de ces infractions seraient liées à une accusation plus grave.
Merci beaucoup.
Monsieur Doob, je vous remercie de rendre le droit accessible à une personne qui n'a pas étudié dans ce domaine. Je vous remercie beaucoup de votre séance d'information, et j'aurais aimé pouvoir observer l'une de vos classes et certains de vos travaux. J'ai beaucoup aimé vos commentaires.
Dans le cas des personnes LGBTQ qui sont surreprésentées dans le système judiciaire ou des Autochtones ou des personnes racialisées, lorsque vous recommandez que les conditions de mise en liberté sous caution soient à la fois nécessaires et qu'il soit possible de les respecter, et lorsque vous recommandez d'exiger les raisons motivant tout ajout de conditions, comment cela fonctionnerait-il concrètement?
Je reviendrais à la présomption d'innocence, et il incombe à la Couronne de prouver que des conditions sont nécessaires. Il est assez facile de comprendre qu'il faut éviter que le prévenu n'entre en contact avec sa prétendue victime; de constater l'existence d'une victime. Comme il nous importe de la protéger, voilà pourquoi nous imposons cette restriction.
Le problème découle de restrictions très générales. Je me souviens d'un cas, à Toronto, il y a bien des années. On soupçonnait l'individu appréhendé d'être essentiellement un prédateur de jeunes enfants. En effet, il possédait notamment un plan de la ville montrant l'emplacement de diverses cours d'école et de divers terrains de jeu. Le problème était qu'on lui imposait de ne pas s'en approcher à moins de tant de mètres. Dans une ville qui en est assez bien pourvue, on peut juger de la nature restrictive de cette condition. Je pense que le problème sauterait aux yeux d'un juge averti.
Ce n'est pas tout. J'ai parfois observé, particulièrement dans les petits tribunaux, l'éventuel garant d'un prévenu, membre ou pas de sa famille, vraiment contester la nécessité de conditions qu'on lui imposait, alors qu'il savait qu'il serait très difficile à cette personne de s'y plier.
Des mécanismes officieux permettent de contester des décisions, mais ils sont inefficaces dans les tribunaux. Il devrait incomber à ceux qui imposent des conditions de savoir pourquoi ils le font. Rappelez-vous qu'il existe, d'après moi qui ne suis pas avocat, une présomption pour la libération sans condition des prévenus.
Le point de départ de l'échelle des décisions que la Cour suprême a décrite dans l'arrêt Antic est la libération sans condition. Ça suffit, la plupart du temps. Le problème est que nous imposons à la personne une foule de conditions vouées à l'échec.
Je pense que McKinnon et moi nous nous sentons en compagnie tenue en haute estime, avec vous, les non-juristes de ce côté-ci.
En avez-vous contre la disposition inversant le fardeau de la preuve ou contre l'allongement de la liste?
Il me semble que la liste s'allonge quand un problème particulier devient plus préoccupant. Si je savais que les données laissent entendre — ce qui n'est pas le cas — qu'il faut imposer plus de restrictions à telle catégorie de prévenus qui risquent d'esquiver leur comparution ou de commettre d'autres sortes d'infractions graves et ainsi de suite, je serais mieux disposé.
La liste actuelle découle parfois de faits particuliers, parfois simplement d'une inquiétude générale sur la gravité d'une affaire, ce qui, entre autres choses, nourrit la volonté de démontrer cette gravité par l'inversion du fardeau de la preuve. Il faut, il me semble, revenir aux principes premiers. Les lois en matière de cautionnement adoptées au début des années 1970 visaient à corriger un problème alors très grave. Des spécialistes qui ont étudié ces lois avant 1971, comme Friedland, sont revenus examiner les processus judiciaires pour dire que c'était à recommencer.
Je pense que nous trois, nous pouvons commencer à adopter des positions conformes à cette affirmation. Nous avons compliqué les choses. Nous avons laissé entendre que chaque infraction commise par un prévenu pendant sa libération sous caution résultait nécessairement d'une mauvaise décision. Facile à dire après coup, mais, suivant la même logique, aucun chirurgien n'opérerait de patient, par crainte des conséquences terribles et imprévisibles.
Nous voulons corriger les mauvaises décisions, examiner le processus de décision. Mais nous avons moins prise sur les résultats.
J'ai une petite question.
Madame Sprott, vous avez dit que nous devions examiner la formation et la sensibilisation. Est-ce à dire que nous devrions légiférer sur cet aspect ou est-ce un message clair à notre intention pour le financement... et qu'un engagement clair du ministère de la Justice doit être que ça se fera?
Oui, je serais d'avis que c'est un message pour le financement... et que le ministère de la Justice doit agir, très semblablement à ce qui est arrivé à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Elle semble vraiment d'une efficacité spectaculaire à cet égard.
Voilà un groupe de témoins vraiment éminents. Je vous suis reconnaissant d'être tous ici. Monsieur Doob, je connais particulièrement votre éminente carrière de criminologue.
Vous avez d'abord, monsieur Doob, parlé de votre expérience de la loi sur la justice pour les adolescents et de transformer des voeux en mesures efficaces. Vous avez ensuite dit que vous étiez d'accord avec les objectifs du projet de loi C-75, mais que vous doutiez qu'il modifie les comportements, qu'il fallait modifier, avez-vous dit, si nous voulions changer les choses. Vous avez ensuite dit que, parfois, le projet de loi répétait simplement la jurisprudence, par exemple l'arrêt Antic.
Comment nous y prendre pour agir utilement? Vous avez donné un exemple de ce que nous pourrions faire, exiger des motifs pour justifier plus de garanties, plus de conditions et plus de restrictions dures. N'est-il pas cependant probable que ça se résumera simplement à la vérification, par un juge, d'un formulaire ou à l'emploi d'une terminologie normalisée, apprise par coeur, comme celle des directives au jury et ainsi de suite? On coche une case, on se sent bien, mais rien n'a vraiment changé.
Je cite seulement l'une de vos idées, et je voudrais que vous nous en disiez un peu plus.
J'ai conclu mes observations en disant que j'espérais me tromper.
Des voix: Oh, oh!
M. Anthony Doob: Je pense que la motivation des conditions est un bon point de départ. C'est peut-être le contraire, mais nous discutons du projet de loi que nous avons sous les yeux plutôt que d'éducation, de processus complexes d'éducation ou d'un départ à neuf. En fait, je préférerais recommencer à zéro en ce qui concerne les libérations sous caution, dont on a commencé à modifier le système quelques années après les modifications de 1971. L'un des avantages de l'âge est la mémoire de ces faits. Nous avons commencé à modifier le système, et la réussite de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents m'a impressionné.
La Loi sur les jeunes contrevenants qui l'a précédée avait été modifiée un certain nombre de fois, particulièrement au milieu des années 1990, de manière à englober toutes les sortes d'idées qui semblaient faire l'unanimité. Les députés conservateurs, néo-démocrates et libéraux semblaient tous d'accord sur les principes généraux des objectifs visés. Un certain nombre de modifications avaient eu lieu avant, les dernières au milieu des années 1990, puis ça n'a pas beaucoup changé. Je me souviens de l'annonce, par le gouvernement, du projet de loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Ma première réaction — et, encore une fois, j'étais alors dans l'erreur — était que ce n'était pas vraiment nécessaire, que le projet du gouvernement pouvait se réaliser sous le régime de la Loi sur les jeunes contrevenants. Le gouvernement de l'époque a fait adopter sa loi, et tous ont bien vu qu'elle établissait de nouvelles règles, que les règles du jeu avaient changé. Ça s'est accompagné de mesures de sensibilisation.
Pour vraiment répondre à votre question, je pense que pour vraiment changer le régime de libération sous caution, il faut partir de zéro. Pas aujourd'hui, parce que ça ne se fera pas aujourd'hui, mais nous devrions commencer — pas nécessairement par une imposante commission royale — par nous interroger: « Que faire de ces articles du Code criminel et comment atteindre nos objectifs? », c'est-à-dire la détention des contrevenants qui posent des risques et la libération des autres. Faisons-en nos principes de départ. Réfléchissons ensuite à la marche à suivre, trouvons des solutions nouvelles et veillons à bien les communiquer aux joueurs du système de justice pénale.
Merci.
Madame Webster, j'espère que vous ne vous formaliserez pas que je profite de votre présence, mais je dois vous dire que votre nom a été prononcé en vain, hier, par la Criminal Lawyers' Association...
... concernant certains de vos travaux de recherche sur les enquêtes préliminaires. Dans son mémoire, cette association vous a citée. Je vais lire deux phrases qu'on vous attribue, pour vous demander si vous les maintenez.
Des voix: Oh, oh!
M. Murray Rankin: Voici comment on vous a citée:
Dans ce contexte, il est remarquable que nos données — bien qu'elles datent quelque peu — laissent entendre que l'enquête préliminaire semble avoir changé l'évolution des procès de manière à réduire l'emploi de coûteuses ressources judiciaires.
Puis:
... les enquêtes préliminaires ne semblent pas occuper beaucoup les tribunaux et, à ce titre, elles ne sont pas susceptibles de contribuer sensiblement au problème des délais judiciaires.
L'avez-vous écrit et le maintenez-vous encore?
C'est ce que j'ai écrit. Mais j'esquiverai la question par cette question: Est-ce que j'y crois toujours? Ces propos m'ont été inspirés d'une étude que nous avons faite, M. Doob et moi.
Oui.
Il y a au moins 15 ans. Sur les données dont nous disposions à l'époque, rappelez-vous que c'était une base nationale de données, très complète, 2,2 millions de dossiers et ainsi de suite. Nous nous sentions donc en confiance. Nos analyses nous ont amenés à croire exactement ce que vous avez décrit. Je pensais seulement à la première phrase, sur le changement d'évolution des procès. Nous avons constaté, par exemple, que dans 9 des 11 provinces ou territoires sur lesquels nous possédions des données, les affaires précédées par une enquête préliminaire étaient résolues par un tribunal provincial, ce qui permettait d'éviter le renvoi à un tribunal supérieur, qui, nous le savons, était plus coûteux, exigeait plus de ressources, etc. Les procès aboutissaient soit à une absolution inconditionnelle, à un plaidoyer de culpabilité ou à un renvoi vers le tribunal provincial.
Nous avons aussi constaté que dans deux des quatre provinces ou territoires sur lesquels nous possédions des données, un nombre non négligeable de cas aboutissait à l'abandon d'au moins un des chefs d'accusation après l'enquête préliminaire, ce qui, encore une fois, portait à croire que ce processus permet d'élaguer les affaires mal étayées.
En ce qui concerne la deuxième phrase, sur les coûts, manifestement, l'enquête préliminaire en engage certains, à cause de sa durée et des comparutions. Le témoin antérieur a dit que très peu de dossiers profitaient de l'enquête préliminaire. On y a recours très rarement. Il est difficile de concevoir comment elle pourrait être très coûteuse en comparutions...
C'est conçu pour satisfaire au principe de Jordan et abréger les délais judiciaires. Votre conclusion était qu'elle était peu susceptible de contribuer notablement au problème des délais judiciaires.
Je reconnais que c'était il y a longtemps. Voilà pourquoi je voulais profiter de l'occasion pour vérifier ce que vous en pensiez aujourd'hui.
Cette interruption par une petite plaisanterie vise seulement à vous faire remarquer que nous sommes à sept minutes et qu'il faut passer au suivant.
Madame Khalid.
Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins. J'ai seulement quelques notions de droit, mais cette étude me paraît très fascinante.
À maintes reprises, ces trois dernières années, depuis que je siège à ce comité, nous avons entendu parler de la nécessité de réformer notre système de libération sous caution. Pensez-vous que, dans sa version actuelle, le projet de loi C-75 répondra au moins à certains des défis qu'affronte notre système? Permettra-t-il de comprimer les délais? De désengorger le système?
Monsieur Doob.
Non, je ne le crois pas vraiment. Vous savez, c'est une bonne idée que de sensibiliser les gens à la présomption de remise en liberté. Le processus le permet et ainsi de suite.
Voici le problème. La plupart des décideurs du système de justice pénale prennent leurs décisions de bonne foi, je suppose, en fonction de la solution optimale à leurs yeux. Je ne crois pas qu'ils se fondent sur de mauvaises raisons ou des motifs fallacieux. Dans un métier difficile, ils cherchent à faire pour le mieux.
Je suis d'accord avec Mme Webster sur le problème de risque. Si j'étais jeune policier, je pense que j'aurais tendance à faire prendre les décisions à un niveau supérieur et à refiler à d'autres les décisions difficiles, mais je ne vois rien qui changera tout cela. Les gens essaient de faire de leur mieux. Manifestement, ils éprouvent leurs propres inquiétudes à l'idée de remettre en liberté quelqu'un qui pourrait commettre une infraction grave. Alors, pourquoi ne pas refiler le problème au suivant? C'est ce qui m'inquiète. Je pense qu'il est très optimiste de penser que la disposition à cette fin sera très efficace.
Revenons à la modification apportée par le gouvernement antérieur aux dispositions sur les libérations conditionnelles de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Il se trouve que je suis d'accord avec un certain nombre d'autres personnes pour considérer que les modifications apportées en 2012 par ce gouvernement aux lois en matière de cautionnement pour les adolescents étaient une amélioration. Si j'avais à choisir entre les deux, j'opterais pour les modifications de 2012. Ont-elles changé quelque chose? Non, mais c'est assez évident. Les données le disent assez clairement. Auraient-elles pu changer quelque chose si elles avaient été présentées autrement, si un travail de sensibilisation avait été fait, si leur importance avait été expliquée? Peut-être, mais ce n'est pas ce qui s'est produit.
Je crains que ces dispositions, qui font partie d'un projet de loi volumineux, ne soient perdues de vue dans la confusion. On n'impose aucune sensibilisation. Absolument rien n'est changé dans les habitudes.
Alors, comment appliquer un système de mise en liberté sous caution qui serait compris de la même manière par tous les joueurs, à qui on dirait: « Voilà l'objectif de ce programme? » Comment faire?
Je ne crois pas que ce soit possible par des modifications mineures à la loi. Si nous voulons du changement, il faut affirmer nos intentions à l'égard de la totalité de l'article.
Je ne veux pas vous compliquer la vie, mais le système de justice pénale comporte un certain nombre de zones comme ça, pour lesquelles nous avions d'assez bonnes idées au début, qui n'ont pas eu l'effet escompté ou des idées qu'il faut reprendre à zéro, pour avoir changé les conditions. Ces modifications seraient l'une de ces zones.
Une autre de ces zones serait la question de la mise en liberté sous condition des détenus des pénitenciers. Je pense que son fonctionnement est décevant. Elle pose beaucoup de problèmes.
On commence par l'étudier. Encore une fois, le processus n'a pas besoin d'être lourd. On peut le focaliser sur ce genre de choses.
Par le passé, nous avons tous les trois étudié diverses questions. Nous en étions capables, nous pouvions prendre un problème, l'étudier, proposer un nouvel ensemble de mesures, puis avec l'accord sincère de tous, changer les choses. C'est ce que nous ambitionnerions de faire sur ces sujets.
Je voudrais parler un peu des dispositions sur le renversement du fardeau de la preuve et de la violence contre un partenaire intime. Au cours des derniers jours, certains témoins ont affirmé que ces dispositions entraîneront une sous-déclaration de la part des partenaires victimes de mauvais traitements. Êtes-vous d'accord?
N'importe qui d'entre vous peut répondre.
Honnêtement, je ne crois pas que la plupart des victimes ou des contrevenants dans le cas de la majorité des infractions, et peut-être même particulièrement les partenaires intimes victimes de violence, savent si le fardeau de la preuve est inversé ou non. Je ne crois pas que ces dispositions feront une grande différence en ce qui concerne les signalements ou le traitement des causes. Je ne pense pas non plus qu'elles auront l'effet prévu, c'est-à-dire, je présume, d'incarcérer davantage de personnes, car les procureurs de la Couronne et les autorités judiciaires connaissent bien les préoccupations relatives à la violence contre un partenaire intime. À mon sens, il s'agit d'un changement injustifié qui envoie un message erroné.
Encore une fois, c'est peut-être parce que je ne suis pas avocat que je pense que, si je demandais aux gens de me dire sur qui repose le fardeau de la preuve dans le cas d'une personne accusée de violence contre un partenaire intime, ils n'auraient aucune idée de quoi je parle. Si je leur expliquais, ils n'auraient aucune idée de la réponse.
J'ai beaucoup d'inquiétudes, mais celle-là n'en est pas une.
Je vous remercie beaucoup.
La sonnerie va retentir dans environ trois minutes, alors nous avons le temps pour seulement une très courte question.
Monsieur Nicholson.
Que voulez-vous dire? Je ne comprends pas pourquoi vous dites que ce changement envoie un message erroné. Le renversement du fardeau de la preuve vise à protéger la victime. Je crois que c'est le message que le projet de loi envoie, c'est-à-dire que nous voulons mieux protéger les victimes de violence conjugale.
Vous dites qu'on envoie un message erroné. Pouvez-vous m'expliquer?
Le message qu'on envoie, c'est que, premièrement, on a fait preuve de clémence dans le passé dans ce genre de cas. On laisse entendre que les tribunaux ne les ont pas pris au sérieux. De façon plus générale, les dispositions sur le renversement du fardeau de la preuve vont à l'encontre de la présomption d'innocence. On risque de croire que ces personnes doivent être détenues simplement parce qu'elles sont accusées d'une infraction qui vise un partenaire intime.
Ce qui me préoccupe de façon globale, c'est qu'on semble ne pas avoir procédé à une analyse minutieuse des modifications au Code criminel qui s'imposent. C'est tout.
Est-ce qu'il y a d'autres questions brèves?
S'il n'y en a pas, je vais remercier les témoins. Comme toujours, votre contribution a été extrêmement utile.
Nous allons maintenant faire une pause et reprendre après le vote. Si tout le monde peut donc revenir après le vote, ce serait fantastique.
Nous accueillons maintenant notre troisième groupe de témoins.
Je suis très heureux de souhaiter la bienvenue à Mme Nicole Myers, docteure, Département de sociologie de l'Université Queen's. Bienvenue.
Nous accueillons également Mme Rebecca Bromwich, directrice du Programme de résolution de conflits au Département de droit et des études juridiques de l'Université Carleton. Je vous souhaite aussi la bienvenue.
Nous recevons également, de la Society of United Professionals, M. Garrett Zehr, membre du comité des relations externes, et Mme Kendall Yamagishi, aussi membre du comité des relations externes. Je vous souhaite la bienvenue à tous les deux.
Nous allons avoir également le plaisir d'entendre Stephanie Heyens, avocate plaidante principale en droit criminel pour Aide juridique Ontario dans la région de York. Mme Heyens devait faire partie du quatrième groupe de témoins, mais nous l'avons inclue dans le présent groupe parce qu'elle a un vol à prendre.
Nous allons d'abord écouter les exposés des quatre témoins puis nous allons passer aux questions avant d'accueillir notre prochain groupe de témoins.
Je suis désolé de notre retard. Nous ne pouvions faire autrement, malheureusement, en raison du vote, mais nous sommes ravis de pouvoir enfin commencer.
Madame Myers, la parole est à vous.
Je vous remercie, monsieur le président, et je remercie les membres du Comité de m'avoir invitée à m'exprimer aujourd'hui sur les dispositions relatives à la libération sous caution et le nouveau processus pour traiter les infractions contre l'administration de la justice.
Comme d'autres l'ont souligné, depuis 2005, au Canada, un plus grand nombre de personnes ont passé du temps en détention avant procès qu'en détention après condamnation dans nos établissements provinciaux et territoriaux. Le taux de détention avant procès a plus que triplé au cours des 30 dernières années. Parmi toutes les personnes détenues au Canada dans les établissements fédéraux et provinciaux, 37 % sont en détention provisoire. Toutefois, si on examine seulement les établissements provinciaux, on constate que ce pourcentage atteint presque 59 %. Cela signifie que 59 % des personnes détenues dans les pénitenciers provinciaux n'ont pas été reconnues coupables d'une infraction criminelle.
Afin de comprendre ce problème, j'étudie le système de libération sous caution au Canada depuis 2005. J'ai passé des centaines de jours à observer les tribunaux de mise en liberté sous caution, où j'ai assisté à des milliers de comparutions pour libération sous caution. J'ai fait ce travail principalement en Ontario, mais j'ai recueilli des données partout au pays. J'ai aussi examiné des dossiers complets et mené des entrevues avec des gens qui ont passé par le système de libération sous caution en tant qu'accusés, et avec des personnes qui ont agi comme caution. J'ai aussi interviewé des avocats de la défense, des procureurs de la Couronne, des juges de paix et des représentants d'organismes communautaires qui participent au processus de mise en liberté sous caution. C'est à la lumière de cette expérience que je présente mes observations aujourd'hui au sujet des modifications proposées.
Je vais d'abord dire que je suis d'accord avec les commentaires formulés par mes collègues du groupe de témoins précédent, à savoir le professeur Doob, la professeure Webster et la professeure Sprott. Aujourd'hui, mes commentaires porteront sur les points suivants: codifier le principe de retenue, le recours aux cautions et l'imposition de conditions de libération de même que créer un nouveau processus pour traiter les infractions contre l'administration de la justice.
Avant de commencer mes observations, je dois donner un peu de contexte. Il est important de reconnaître que la plupart des personnes accusées finissent par être libérées sous caution. La plupart des accusés libérés le sont avec le consentement du procureur de la Couronne, ce qui signifie qu'il ne s'agit pas du résultat d'une audience de justification contestée. La Couronne consent à la libération de l'accusé. Cependant, cette libération est rarement inconditionnelle. En Ontario, 76 % des accusés doivent avoir une caution pour obtenir leur libération. Ce n'est pas ce qui se passe partout au pays. En effet, l'Ontario fait un peu figure d'exception en ce qui concerne la fréquence avec laquelle les cautions sont utilisées.
L'exigence d'une caution peut entraîner divers retards dans le processus de mise en liberté sous caution, car il faut parfois un certain temps pour trouver quelqu'un qui est jugé acceptable et qui est disposé à aller au tribunal et à assumer ce rôle particulier. L'exigence d'une caution peut particulièrement être problématique pour les gens marginalisés qui ne sont peut-être pas en mesure de trouver une personne qui puisse assumer ce rôle. L'exigence d'une caution peut également retarder la décision quant à la libération. Le nombre de comparutions augmente de même que le temps passé en détention provisoire, et, au bout du compte, l'accusé risque de demeurer détenu s'il n'a pas été en mesure de trouver une personne appropriée.
En général, les cautions doivent aussi être physiquement présentes au tribunal, afin qu'elles puissent entendre les allégations. Elles peuvent également être appelées à la barre pour témoigner lors d'une audience de libération sous caution et elles peuvent aussi être interrogées dans le cadre d'une libération sur consentement.
J'encourage et j'appuie la codification du principe de retenue et l'approche échelonnée et j'encourage un recours restreint aux cautions. Cela étant dit, j'ai quelques préoccupations, non seulement à propos du recours continuel aux cautions, mais aussi en ce qui concerne l'absence de structure pour encadrer le pouvoir discrétionnaire de prendre ce genre de décision, ainsi que d'autres conditions de libération. Je vais aborder ce point dans un instant.
En ce qui concerne d'autres conditions de libération — autre que la surveillance — nous ne savons pas très bien dans quelle mesure elles contribuent à atténuer le risque. Certaines y contribuent probablement, mais nous savons qu'il y a un certain problème en ce qui concerne le nombre de conditions qui sont imposées couramment. Certaines peuvent être problématiques à première vue, tandis que d'autres peuvent être difficiles à respecter, particulièrement pendant de longues périodes. Il y a aussi certaines conditions qui sont susceptibles de condamner l'accusé à l'échec.
Chaque condition de libération crée une occasion de commettre une nouvelle infraction criminelle, ce qui augmente le risque que l'accusé se retrouve de nouveau dans le système de libération sous caution. Lors de mes travaux, j'ai observé qu'en moyenne 7,8 conditions de libération étaient imposées aux accusés, mais il y en a eu parfois aussi peu qu'une seule. Je n'ai par contre jamais vu un accusé être libéré sans condition. J'ai même vu une personne se voir imposer 34 conditions distinctes, ce qui signifie 34 occasions de commettre une nouvelle infraction criminelle.
Les conditions de mise en liberté sous caution imposées le plus souvent sont les suivantes: être ouvert aux règles et à la discipline à la maison, ne pas posséder d'armes, résider avec la caution, ne pas avoir de contact avec la victime ou le témoin, respecter les limites ou les endroits interdits, suivre des traitements ou des séances de counselling, s'abstenir de consommer des drogues ou de l'alcool et respecter le couvre-feu ou l'assignation à résidence. Ces conditions ne sont pas toutes problématiques, mais certaines le sont.
Même si, prises isolément, les conditions ne sont pas problématiques, elles peuvent l'être dans leur ensemble. On établit parfois une série de conditions qui s'avèrent très onéreuses, restrictives et difficiles à respecter pendant de longues périodes.
Dans le cadre de mes travaux, j'ai constaté qu'un grand nombre des conditions n'avaient aucun lien clair ou logique avec les allégations ou les motifs de détention.
Nous savons également que, lorsque les conditions sont imposées en grand nombre et pendant de longues périodes, l'individu est davantage susceptible d'être accusé de non-respect. Le temps moyen de règlement d'une affaire est d'environ quatre mois. C'est une longue période lorsqu'on est assujetti à diverses conditions.
Je le répète, j'appuie la codification du principe de retenue en ce qui concerne l'imposition de conditions, mais je suis d'avis qu'il faut en faire davantage relativement à l'encadrement du pouvoir discrétionnaire de déterminer comment les conditions seront imposées.
Selon moi, il devrait y avoir un lien clair et rationnel entre la condition et les allégations ou les motifs de détention. Il faudrait également tenir compte de la capacité raisonnable d'une personne de respecter les conditions pendant la période à laquelle elles s'appliquent.
Par conséquent, en ce qui a trait au recours aux cautions ainsi qu'aux conditions, je crois qu'il faut en faire davantage pour orienter les décideurs, à savoir les policiers, lorsqu'ils doivent décider de détenir quelqu'un en vue d'une audience de libération sous caution, les procureurs de la Couronne et les officiers de justice, lorsqu'ils doivent consentir à une libération ou décider d'une libération à la suite d'une audience de justification. Il faudrait aussi orienter les décisions quant aux types de conditions à imposer.
Si nous souhaitons vraiment modifier les pratiques en ce qui concerne les libérations sous caution, nous devons nous concentrer d'abord sur les policiers, qui sont les gardiens du processus judiciaire. Nous devons voir comment encourager les policiers à exercer leur pouvoir en matière de libération et nous assurer que les conditions imposées par les policiers sont raisonnables.
Je suis également d'avis que des critères devraient être établis pour orienter la décision de libérer une personne ou de lui imposer des conditions. Par exemple, s'il est peu probable qu'une personne soit condamnée à une peine d'emprisonnement, peut-être qu'elle ne devrait pas être mise en détention au début du processus.
En ce qui concerne la décision de libérer une personne, nous devrions, si possible, prendre cette décision rapidement et imposer moins de restrictions à cette personne.
Je le répète, la plupart des accusés sont finalement libérés. Plus nous prenons cette décision rapidement, moins de temps l'accusé passera en détention avant procès, ce qui permettra d'éviter les conséquences négatives d'une telle détention. Nous pouvons également améliorer l'efficacité des tribunaux en évitant que la même personne se présente sans cesse en cour avant qu'une décision soit prise quant à sa libération sous caution. Je vous encourage à envisager de structurer le pouvoir discrétionnaire davantage en conformité avec les amendements proposés à la LSJPA concernant l'imposition de conditions aux adolescents
Je vais parler en dernier lieu de la réponse aux infractions relatives à l'administration de la justice. Comme vous l'avez déjà entendu, même si les taux de criminalité diminuent tout comme les taux de crimes violents, les accusations relatives à des infractions contre l'administration de la justice ont augmenté continuellement au fil du temps. Notre système de justice pénale consacre passablement de ressources au maintien de l'ordre, à l'incarcération et au traitement des accusations concernant l'administration de la justice.
Il faut se rappeler que les conditions de mise en liberté sous caution criminalisent généralement un comportement qui n'est pas en soi un crime, comme par exemple parler à une personne en particulier, revenir à la maison après une certaine heure ou consommer de l'alcool.
Parfois, les conditions imposées sont clairement ou étroitement liées aux préoccupations relatives à la sécurité publique, mais ce n'est pas toujours le cas. Restreindre l'imposition de conditions est un premier pas, car c'est ce qui est le plus important de faire si nous voulons observer un changement important.
Ce qui me préoccupe, c'est que la comparution pour manquement devient un processus parallèle qui risque d'occasionner les mêmes difficultés et problèmes que nous observons actuellement.
À l'heure actuelle, on ne sait pas précisément comment et quand la police doit prendre la décision d'accuser quelqu'un ou de la faire comparaître, et les circonstances dans lesquelles on ne peut pas avoir recours à une comparution pour manquement sont tellement peu précises que cela a une incidence sur l'utilité de ce nouveau processus.
Encore une fois, je vous invite à vous pencher sur ce qui est proposé pour les adolescents qui sont déclarés non coupables ou dont les accusations de non-respect des conditions sont retirées, et à examiner ce que cela a donné en ce qui concerne le traitement des dossiers.
Le fonctionnement actuel du système de libération sous caution constitue un problème important auquel il faut remédier. Ce qu'on propose est un bon début, et, d'une certaine façon, on va un peu plus loin que codifier ce qui figure dans l'arrêt R. c. Antic. Je dois dire que la codification est importante et j'ai formulé un certain nombre de recommandations dans mon mémoire qui devraient être envisagées en vue d'éviter les problèmes que ce projet de loi vise à éliminer.
Je crois que nous devons prendre du recul, réfléchir sérieusement à l'objectif que nous voulons atteindre en ce qui concerne le processus de libération sous caution et travailler à modifier certaines pratiques. Les problèmes relatifs à la libération sous caution ne sont pas nouveaux, et, au fil du temps, une culture s'est installée dans les tribunaux. Cette culture est fondée sur la minimisation du risque, car on sent une crainte ou une hésitation à prendre la décision de libérer un accusé. En fournissant une structure ou une orientation sur la façon de prendre ces décisions, on pourrait permettre une évolution des pratiques actuelles et promouvoir l'uniformité dans la prise de décisions. Si nous souhaitons modifier la façon dont les décisions ont été prises dans les années antérieures en ce qui concerne la libération sous caution, il faudra nécessairement fournir une orientation et de l'information claires.
Je vous remercie.
Je vous remercie, monsieur le président.
Honorables membres du Comité, je vais commencer non pas en citant des chiffres, mais bien en lisant un extrait d'une lettre à la rédaction publiée dans le Moncton Times & Transcript le 2 novembre 2005, qui se lit comme suit:
Cher rédacteur, j'écris cette lettre parce que j'estime que la communauté devrait savoir. Je suis actuellement incarcérée au New Brunswick Youth Centre pour purger une peine plutôt longue pour des délits mineurs. Lorsque le juge a prononcé ma sentence, la communauté était ravie. C'était pour elle un trouble-fête de moins dans les rues. Ne se rend-elle pas compte que cet endroit ne fait pas des jeunes des personnes meilleures, bien au contraire? Depuis que je suis ici, je suis devenue une personne beaucoup plus en colère. J'en ai appris bien davantage sur la façon de commettre des crimes sans me faire prendre...
Cette lettre a été rédigée par Ashley Smith, qui, moins de deux ans plus tard, est décédée à l'établissement Grand Valley par auto-strangulation. En 2013, son décès a été considéré comme un homicide au terme d'une enquête.
Je commence en vous parlant d'elle, parce qu'elle ne peut pas s'exprimer devant vous. Elle était détenue en tant qu'adolescente principalement en raison d'infractions contre l'administration de la justice. Ce sont ces infractions qui la gardaient en prison. C'est ce qui a fait qu'elle était détenue dans des établissements pour adolescents, et c'est ce qui a fait en sorte que, le jour de ses 18 ans, on a présenté une demande pour qu'elle soit transférée dans un établissement pour adultes, où elle a été détenue dans une zone à sécurité maximale.
Comme vous vous en souvenez peut-être, l'infraction désignée qui l'a amenée en détention était celle d'avoir lancé des pommes à un travailleur des postes, mais durant son séjour au sein du système correctionnel pour adolescents, elle a été accusée de plus de 800 manquements à la discipline qui n'auraient pas nécessairement été considérés comme des crimes si elle n'avait pas été en détention, comme par exemple, ne pas avoir rendu une brosse à cheveux en temps voulu. En raison de ces 800 manquements à la discipline, elle a été trouvée coupable de plus de 150 infractions contre l'administration de la justice.
Je suis ici pour appuyer en principe des dispositions qui simplifient les processus afin d'éviter que des accusations pour ce genre d'infraction contre l'administration de la justice soient portées de façon disproportionnée, particulièrement contre des jeunes filles marginalisées et vulnérables, comme l'ont démontré, statistiques à l'appui, les professeurs Doob et Sprott dans le livre qu'ils ont publié en 2009 intitulé Justice for Girls?.
L'affaire Ashley Smith a fait les manchettes à l'échelle nationale, car elle a été associée aux problèmes de santé mentale dans les établissements de détention et aux problèmes qu'entraîne l'isolement cellulaire. Durant les recherches que j'ai menées au doctorat, je me suis rendu compte que ce que le public n'avait pas compris, c'est que le lien entre le fait de lancer des pommes à un travailleur des postes et mourir dans une prison pour adultes est justement les infractions contre l'administration de la justice.
Par conséquent, l'idée de codifier le principe de retenue en ce qui concerne les décisions de libération et de mise en liberté sous caution, comme on le propose à l'article 493.1, que vous pouvez examiner dans le projet de loi, est une idée que j'appuie. Je suis également en faveur de l'idée d'accorder une attention spéciale aux Autochtones. J'aime bien que le terme « groupes vulnérables » soit défini explicitement. Ashley Smith n'était pas une Autochtone, mais elle était vulnérable. Elle était une enfant prise en charge par les services sociaux, ce qui l'a rendue vulnérable.
J'appuie également le nouveau processus de traitement des cas de non-respect des conditions de mise en liberté et je suis particulièrement en faveur de l'ajout de l'article proposé 4.1 à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, qui prévoit, lorsqu'il y a non-respect des conditions, que des mesures extrajudiciaires soient réputées suffisantes.
Ce projet de loi que vous envisagez d'adopter n'est pas parfait, j'en conviens. Il apporte des modifications mineures, mais ce n'est pas une raison, à mon avis, pour ne pas l'adopter. Je crois que c'est un pas dans la bonne direction pour l'instant, et je pense que des changements plus importants seront nécessaires, mais rendre plus juste et simplifier le processus de mise en liberté sous caution et les infractions contre l'administration de la justice, c'est exactement ce qu'il faut faire à la suite du décès d'Ashley Smith.
Je vous remercie.
Merci beaucoup.
Nous allons maintenant écouter les gens de la Society of United Professionals. Je ne sais pas exactement qui va commencer, mais allez-y, je vous prie.
Nous vous remercions de cette occasion de nous adresser à vous au nom de notre syndicat, la Society of United Professionals, qui représente plus de 350 avocats de l'aide juridique de l'Ontario.
Garrett et moi sommes tous les deux avocats de la défense de service. Nous espérons aujourd'hui vous faire connaître notre point de vue en tant qu'avocats qui travaillent jour après jour au front pour défendre des prévenus vulnérables et à faible revenu.
Pour notre exposé d'aujourd'hui, nous avons décidé de concentrer notre attention sur la police et les mises en liberté par voie judiciaire, ainsi que sur les infractions contre l'administration de la justice. Je vais commencer par parler de l'imposition de conditions de mise en liberté excessives et de la façon dont nous croyons que le projet de loi C-75 pourrait en fait exacerber ce problème.
L'alinéa 11e) de la Charte garantit le droit à un cautionnement raisonnable, et la Cour suprême du Canada a affirmé que les conditions de la mise en liberté sont un élément essentiel de ce droit. La jurisprudence a établi qu'il doit y avoir un lien entre les allégations et les conditions, et que les conditions ne doivent pas être punitives, puisque toute personne libérée sous caution est présumée innocente. Nous devons garder à l'esprit que des personnes présumées innocentes sont souvent soumises à des conditions de mise en liberté pendant des mois, si ce n'est des années, dans l'attente de leur procès.
J'aimerais vous relater une histoire que Garrett m'a racontée au sujet d'un de ses clients. Il s'agit d'un jeune homme qui avait été mis en liberté par la police, et soumis à un couvre-feu même s'il n'avait pas de dossier criminel et que les gestes allégués s'étaient produits de jour. Il a subséquemment été arrêté pour ne pas avoir respecté le couvre-feu et a été amené devant le tribunal. Avec l'aide de l'avocat de service assurant sa défense et grâce à un juge d'expérience, cette condition de couvre-feu qu'on pourrait dire inconstitutionnelle a été retirée, mais seulement après une nuit supplémentaire en prison et l'accusation d'avoir manqué aux conditions de sa mise en liberté sous caution. Les clients vont accepter presque n'importe quoi pour ne pas être détenus. J'ai des clients qui m'ont carrément dit, dans des moments de désespoir: « Madame, je ferai tout ce que vous me demandez de faire, mais de grâce, il faut que je sorte d'ici. »
Malheureusement, les relations entre la police et nos collectivités se caractérisent souvent par un grave déséquilibre du pouvoir. Nos clients sont des gens qui souffrent de lésions cérébrales, de problèmes de dépendance, de problèmes de santé mentale et de déficience développementale, ce qui signifie qu'ils vont devoir faire face à la loi plus souvent que d'autres.
Dans le contexte des règles de droit relatives à la mise en liberté sous caution, il s'est établi une jurisprudence qui limite la capacité du tribunal d'imposer des conditions déraisonnables et inappropriées, mais le projet de loi dont il est question, dans son libellé actuel, s'éloigne de ces critères. Il permet à la police d'imposer des conditions qu'un juge ou un juge de paix ne pourraient pas légalement imposer conformément à la jurisprudence actuelle. Le pire, c'est que la police peut imposer de telles conditions sans être soumise au même examen approfondi que les tribunaux. Aucun avocat n'est à vos côtés quand l'agent tape l'engagement qu'il va vous faire signer.
La police peut déjà mettre une personne en liberté moyennant un engagement, et elle devrait le faire davantage. Les changements proposés dans le projet de loi C-75 ne donnent pas à la police plus de pouvoirs qu'elle n'a déjà concernant les mises en liberté. Elle a déjà ces pouvoirs. Cependant, le projet de loi C-75 ajoute au pouvoir qu'elle a en lui permettant d'imposer des conditions additionnelles.
Nos préoccupations relatives à l'imposition de conditions excessives visent également certains éléments du projet de loi C-75 qui traitent de la question du cautionnement établi en cour. Comme je l'ai dit précédemment, la jurisprudence de la Cour suprême du Canada a établi clairement que les conditions de mise en liberté ne peuvent « être imposées que dans la mesure où elles sont nécessaires pour dissiper les préoccupations liées aux critères légaux de détention et pour permettre la mise en liberté de l’accusé ».
Selon le libellé actuel du projet de loi C-75, les tribunaux pourraient ne plus être limités par ce principe quand le prévenu fait face à une situation où il y a inversion du fardeau de la preuve. Dans notre domaine, l'inversion du fardeau de la preuve n'est pas rare. Elle se produit, par exemple, quand mon client a été mis en liberté sous caution après avoir volé une caisse de bière, et qu'il est de nouveau accusé d'être entré dans le même magasin d'alcool, ayant manqué ainsi à ses conditions de mise en liberté. Selon le projet de loi C-75, lorsqu'un prévenu est mis en liberté sous caution dans un cas d'inversion du fardeau de la preuve, « le juge de paix peut assortir la nouvelle ordonnance des conditions supplémentaires visées aux paragraphes (4) à (4.2) qu’il estime indiquées ». Ce que le juge estime indiqué devient donc le nouveau critère légal. On est bien loin du critère actuel établi par jurisprudence, selon lequel les conditions de mise en liberté ne peuvent « être imposées que dans la mesure où elles sont nécessaires ».
On ne cherchait pas nécessairement par cette modification à dévier du critère de la nécessité, mais le libellé doit être tel qu'il n'appelle pas à une application beaucoup trop générale des conditions. Nous avons énoncé certaines des modifications que nous proposons dans notre mémoire.
En ce qui concerne l'inversion du fardeau de la preuve dans les cas d'accusations en matière de violence familiale, nous adhérons au point de vue de la Barbra Schlifer Commemorative Clinic. Dans son mémoire, le personnel a exprimé ses inquiétudes au sujet des conséquences que cela pourrait avoir sur les femmes qui sont accusées. Je souligne que la Barbra Schlifer Commemorative Clinic est une clinique qui offre des services à des femmes ayant elles-mêmes survécu à la violence familiale.
La violence familiale est une question de pouvoir et de contrôle. Il devient dès lors dangereux de rédiger des dispositions législatives fondées sur des hypothèses quant à la personne qui a le pouvoir et le contrôle, sans tenir compte de ceux qui peuvent s'appuyer sur le pouvoir de l'État.
Nous devons nous pencher sur les poursuites exagérées des femmes dont les voix sont souvent oubliées: les femmes racialisées, les femmes autochtones, celles qui ne sont pas dans des relations hétérosexuelles. À titre d'avocats de service, nous voyons souvent des femmes se faire accuser de voies de fait contre un membre de la famille. Elles sont nombreuses à avoir elles-mêmes survécu à la violence familiale.
J'ai personnellement traité avec une femme que le partenaire violent a accusée afin d'exercer un contrôle psychologique sur elle. En exigeant que cette femme assume le fardeau de justifier pourquoi elle ne devrait pas être détenue par l'État, nous ne faisons qu'exacerber le déséquilibre du pouvoir qu'elle vit déjà. Les dispositions visant l'inversion du fardeau de la preuve ne s'appliquent que quand la personne accusée a précédemment été trouvée coupable d'une infraction relative à la violence conjugale, mais selon notre expérience, malheureusement, les faux plaidoyers de culpabilité sont fréquents chez les personnes non représentées. De nombreuses femmes sont trouvées coupables de voies de fait contre un membre de la famille alors qu'elles n'étaient pas la personne en position de pouvoir dans la relation.
Les tribunaux doivent déjà tenir compte du dossier criminel d'une personne qui est accusée, ce qui comprend les verdicts de culpabilité pour violence familiale et les circonstances de l'espèce, au moment de décider de la mise en liberté sous caution, notamment en examinant le motif de détention secondaire. Cependant, si on étend la portée des dispositions relatives au fardeau de la preuve, elles deviennent trop générales et ne cadrent plus avec la présomption d'innocence. Le fardeau devrait toujours incomber à l'État, quand il est question de priver une personne de sa liberté. Plutôt que d'étendre les possibilités d'inverser le fardeau de la preuve, nous préconisons la réduction des possibilités actuelles.
Les dispositions relatives à l'inversion du fardeau de la preuve ont des effets punitifs particuliers pour nos clients qui, étant vulnérables à cause de diverses incapacités, entre autres, sont souvent accusés de délits mineurs et de possession de drogue dans le but d'en faire le trafic, et ce, pour les raisons que nous expliquons plus en détail dans notre mémoire.
Je vais maintenant céder la parole à mon collègue.
Pour la dernière partie de nos déclarations, nous aimerions aborder le régime proposé pour traiter les infractions contre l'administration de la justice, en particulier lorsque ces infractions ne causent pas de préjudice.
Comme le Comité l'a entendu, je crois, ces types d'infractions contribuent dans une très grande mesure à la congestion des tribunaux. Je sais qu'au début de la semaine, le Comité a entendu Jonathan Rudin, des Aboriginal Legal Services, parler précisément de l'effet exagérément disproportionné de ces types d'accusations sur les Autochtones. J'ai vécu cela aussi. J'ajouterais que j'ai vu comment les accusations de ce genre peuvent aussi avoir un effet disproportionné sur d'autres communautés vulnérables, en particulier celles qui font l'objet d'une surveillance policière excessive.
Selon le libellé actuel du projet de loi C-75, la décision de porter une accusation criminelle ou de délivrer une citation à comparaître pour manquement est laissée à la discrétion de l'agent de police, dans le cas d'une infraction contre l'administration de la justice. Malheureusement, selon notre expérience — et je vous relate ce que nous constatons au quotidien —, les policiers ne font pas très souvent preuve de retenue quand il s'agit de porter des accusations. De toute évidence, ce n'est pas toujours le cas, mais c'est une chose que nous constatons.
Je veux vous donner un exemple qui souligne nos préoccupations au sujet des accusations relatives à des infractions contre l'administration de la justice en l'absence de préjudice.
Il n'y a pas très longtemps, un individu comparaissait dans un de nos tribunaux qui sont saisis des demandes de libération sous caution. Il avait été arrêté pour ne pas avoir respecté le couvre-feu faisant partie de ses conditions de mise en liberté, quelques semaines avant, et ce, même si l'accusation initiale pour laquelle il était en liberté sous caution avait été retirée. Quand il a été arrêté, il n'était même plus soumis à ces conditions de mise en liberté. Il a passé une nuit en détention et a comparu le lendemain. En fin de compte, il a manqué une journée de travail à cause de cela.
J'aimerais vous lire un extrait très profond des motifs du juge Iacobucci, dans la décision R. c. Hall:
La liberté perdue est perdue à jamais et le préjudice qui résulte de cette perte ne peut jamais être entièrement réparé. Par conséquent, dès qu’il existe un risque de perte de liberté, ne serait-ce que pour une seule journée, il nous incombe, en tant que membres d’une société libre et démocratique, de tout faire pour que notre système de justice réduise au minimum le risque de privation injustifiée de liberté.
En conclusion, nous sommes d'avis que les infractions contre l'administration de la justice qui ne causent aucun préjudice ne devraient faire l'objet d'aucune poursuite. La police devrait exercer son jugement, en pareilles circonstances, et ne rien faire ou, comme le propose la loi, délivrer à la personne une citation à comparaître pour manquement.
Je serai ravi de répondre à vos questions.
Je suis venue vous exposer mes préoccupations au sujet de l'article 278 du projet de loi C-75. Vous vous souviendrez que l'article 278 du projet de loi vient ajouter un article au Code criminel, soit l'article 657.01. Cette disposition permettrait l'admission en preuve dans toute instance criminelle, y compris les procès, de ce que cet article définit comme étant un « élément de preuve de routine ». Cela se ferait au moyen de la déclaration solennelle d'un policier. Cet article vise donc à remplacer le témoignage de vive voix d'un policier par un affidavit ou une déclaration solennelle.
L'Aide juridique et moi sommes contre l'adoption de cette modification. La définition de l'expression « élément de preuve de routine présenté par la police » est beaucoup trop large. Cela aura pour effet de priver les individus accusés d'infractions pénales de nombreux droits fondamentaux relatifs à l'application régulière de la loi qui sont protégés par les articles 7 et 11 de la Charte des droits et libertés. Nous croyons que cela causera une augmentation des retards relatifs aux affaires criminelles, plutôt que leur réduction.
Enfin, nous croyons aussi que cet article est inutile, car il existe déjà en common law et dans le Code criminel des procédures servant à soustraire un policier de l'obligation de témoigner quand la situation le justifie.
Nous estimons que la définition de l'expression « élément de preuve de routine présenté par la police » est beaucoup trop large. Cette expression évoque des activités non controversées telles que la signification d'assignations à comparaître par la police et la signification d'avis juridiques aux accusés en vertu de la Loi sur la preuve au Canada, mais l'article proposé englobe plutôt une définition qui inclut des éléments comme « l’observation », « l’identification » ou « l’arrestation » de l'accusé et « l’obtention » de preuves matérielles. Bien que ces activités puissent constituer des actes de routine que les policiers accomplissent tous les jours, pour l’accusé, elles se situent au coeur même de sa défense. L’observation par le policier et la preuve recueillie par le policier constituent souvent la seule preuve de culpabilité.
Pire encore, cette disposition fait en sorte que la définition d’« élément de preuve de routine présenté par la police » demeure sujette à interprétation. Les tribunaux seront autorisés à ajouter d’autres activités policières à une liste déjà trop longue. Parce que cette définition est si générale, l'article 278 va contrevenir à de nombreux droits fondamentaux relatifs à l'application régulière de la loi. Certains diront que l'effet pratique d'une déclaration solennelle faite par un agent de police est de fournir une preuve identique à ce qu'il fournirait en cour de vive voix, mais ce n'est tout simplement pas vrai. La rédaction d'une déclaration solennelle peut s'étaler sur plusieurs jours, alors que la mémoire faiblit et que les souvenirs changent.
De plus, le témoignage de vive voix en cour permet au juge d'évaluer la crédibilité et la fiabilité des allégations, en partie en observant le comportement et le langage corporel du témoin pendant son témoignage. La Cour d'appel de l'Ontario vient de revoir cette question de la preuve touchant le comportement. Refuser cet outil aux juges et aux jurys pourrait très bien mener à un nombre croissant d'appels, et même à des condamnations injustifiées.
C'est déjà suffisamment regrettable, comme résultat, mais quand je pense à la façon dont un procès va se dérouler après le dépôt de la déclaration solennelle d'un policier, je vois des conséquences qui frappent droit au coeur de l'application régulière de la loi et du respect des droits fondamentaux des personnes accusées. Le premier effet concret de l'article proposé est que la déclaration solennelle du policier sera admise pour la véracité de son contenu. Par conséquent, la juge de première instance devra entreprendre son analyse de la preuve du ministère public en présumant de la véracité du contenu de la déclaration solennelle. Faute d'incohérences internes évidentes, la juge devra présumer qu'elle n'a aucune raison de douter des allégations.
Si l'affidavit, la déclaration solennelle, contient une preuve de culpabilité, la défenderesse doit se défendre contre ce document solennel incontesté. Cela inverse le fardeau de la preuve pour le faire passer de la Couronne à la défenderesse. L'accusée n'est plus innocente jusqu'à preuve du contraire. Elle est coupable et doit maintenant prouver son innocence. L'inversion du fardeau de la preuve à un procès criminel n'est pas une atteinte négligeable aux droits de l'accusé. L'un des principes fondamentaux de notre système de justice pénale est qu'il incombe au ministère public de faire la preuve de l'acte qui est reproché à l'accusé et qui pourrait mener à son incarcération.
De plus, parce qu'un avocat de la défense ne peut contre-interroger un bout de papier, l'obligation de porter le fardeau de la preuve devient injuste. Souvent, contre-interroger un témoin peut ébranler sa crédibilité ou sa fiabilité au point où cela soulève un doute raisonnable et mène à un acquittement. Le contre-interrogatoire est le premier et le meilleur outil pour contester une allégation et pour faire ressortir ce qui se rapproche le plus de la vérité objective. C'est l'expression du droit fondamental d'affronter son accusateur. Le contre-interrogatoire est la raison pour laquelle on qualifie la common law de « modèle accusatoire ». Il faut reconnaître que limiter le contre-interrogatoire pour quelque raison que ce soit constitue un revirement fondamental qui favorise la poursuite et nuit à l'accusé. Je crois que c'est ce que l'article 278 cherche essentiellement à accomplir. Il vise essentiellement à abolir ce droit fondamental au contre-interrogatoire.
Étant donné que l’article 278 permet de remplacer les témoignages des policiers par des déclarations sous serment présumées vraies, la seule façon pour la défense de se défendre est de faire témoigner ses propres témoins. Or, il n'est pas rare que le seul témoin autre que le policier soit l’accusé lui-même. L’article 278 entraînera donc la perte du droit au silence pour l’accusé, puisque ce dernier sera forcé de témoigner. Pourtant, le droit au silence est un autre droit fondamental de notre procédure régulière, et nul ne devrait être forcé de répondre à une affirmation sommaire à moins que la preuve n’ait survécu à un contre-interrogatoire ou que l’accusé ne décide lui-même de témoigner.
Enfin, lorsque la défense voudra contester la requête du ministère d'admettre au procès le témoignage qu'un policier soumettrait par l'intermédiaire d'une déclaration sous serment, elle devra divulguer une partie de sa propre preuve, attendu que de tels éléments doivent être fournis avec la demande de contestation présentée au juge et au ministère à cet égard. Les mesures législatives proposées vont donc à l’encontre de la présomption d’innocence, qui est considérée comme le « fil d’or » du droit pénal et qui prévoit que nul n’est tenu, de façon générale, de divulguer des éléments de preuve, du moins tant que le ministère public n’a pas terminé la présentation de sa preuve.
De plus, il n’est pas difficile d’imaginer — sans chercher pour autant à présumer de sa mauvaise foi — que, dès lors que la poursuite sera avertie par la défense des lacunes potentielles du témoignage d’un policier, elle fera tout pour corriger ces faiblesses en faisant d’autres recherches, qui entraîneront à leur tour des obligations de divulgation supplémentaires de la part de la Couronne et, subséquemment, d'autres retards en amont du procès.
Ceci commence à expliquer pourquoi l'article proposé allongera la durée du temps requis pour la mise au rôle des procès plutôt que de la réduire. Cet article crée une occasion de litige additionnelle pour le ministère et la défense puisque, pour admettre la déclaration sous serment d’un policier au procès, la partie qui en demande l’admission — généralement, le procureur de la Couronne — doit déposer et plaider une requête devant le juge du procès. Or, cette requête doit être plaidée avant qu’une date de procès puisse être fixée, car il est impossible de savoir combien de temps il faut bloquer pour une affaire avant de savoir combien de témoins seront appelés à comparaître.
Pour l’accusé qui n’est pas représenté par un avocat, l'article proposé donnera vraisemblablement lieu à des délais additionnels. Dans toute affaire mettant en cause un accusé non représenté, le juge de procès aura l’obligation de s’assurer que l’accusé comprend bien les conséquences de l’admission de cette preuve documentaire. Il sera peut-être nécessaire d’ajourner l’audience pour permettre à l’accusé de se trouver un avocat et de le consulter afin de déterminer la façon d'admettre ce document; il lui faudra évaluer l'incidence que ledit document pourrait avoir sur l'affaire qui le concerne et établir un modus operandi. On peut vraisemblablement s'attendre à ce que cela donne lieu à des condamnations injustifiées et, assurément, à une recrudescence du nombre d'appels.
Du reste, l'article 657.01 proposé n'est pas nécessaire puisque la common law et le Code criminel contiennent tous les deux des dispositions permettant aux policiers d'être dispensés de témoigner, le cas échéant. Avant ou même pendant le procès, la défense peut admettre la véracité de certains faits qui, de toute manière, auraient été corroborés par les témoignages des témoins. Parfois aussi, la défense et le ministère peuvent convenir d'admettre la véracité de certains faits par l'intermédiaire d'un exposé conjoint des faits — qui est rédigé et présenté au tribunal —, et les admissions de ce genre ne se limitent pas aux éléments de preuve de routine. Elles peuvent comprendre tout élément de preuve jugé non controversé par les deux parties.
En outre, la partie XVIII.1 du Code criminel porte essentiellement sur la gestion de l'instance, sur ces mesures législatives que peuvent évoquer les juges chargés de la mise en état pour simplifier les procès et pour gérer le processus d'établissement des horaires lorsque les procédures s'annoncent très complexes ou très litigieuses.
Pour terminer, disons que l'article 278 du projet de loi C-75 nuira au processus pénal plus qu'il ne l'aidera. Son application viendra éroder les droits fondamentaux relatifs à l'application régulière de la loi garantis aux termes de la Charte canadienne des droits et libertés, et elle causera des retards additionnels inutiles, étant donné qu'il existe déjà des mécanismes qui permettent de simplifier l'admission des éléments de preuve de routine.
Dans cette optique, Aide juridique Ontario et moi recommandons que l'article 278 soit retiré au complet du projet de loi C-75.
Merci.
Merci beaucoup.
Merci à tous nos témoins. Nous allons passer aux questions, en commençant par M. MacKenzie.
Merci, monsieur le président, et merci à nos experts de leur présence.
Madame Heyens, je crois comprendre qu'il s'agit d'une question qui vous intéresse beaucoup. J'ai aussi cru comprendre que vous passiez passablement de temps en cour à discuter avec les procureurs de la Couronne en prévision des procès.
Mes impressions sont-elles correctes?
Oui. J'ai, malheureusement, 20 ans d'expérience dans les procédures touchant aux affaires criminelles.
C'est ce que je pensais, et sachez que je vous admire pour cela.
Le projet de loi a été proposé afin de tenter d'éliminer les délais dans le système pénal. Je crois que vous avez démontré de manière évidente que l'article en question va vraisemblablement engendrer plus de retards qu'il va en éliminer. Ai-je vu juste?
À partir de ce que vous dites, aurais-je aussi raison de présumer que les discussions qui se tiennent avant le procès entre les avocats de la Couronne et les avocats de la défense — et je crois que c'est ce que vous avez dit — permettent d'atténuer le poids de ces questions, certes, mais aussi celui de bien d'autres qui, en route vers le procès, deviennent des faits convenus, ce qui permet d'écourter le procès?
Ce sont des choses que nous faisons au quotidien. Cela fait partie de nos tâches quotidiennes. Nous pilotons des discussions d'avant procès avec les avocats de la Couronne ou avec le juge présent à ce moment-là. Bien entendu, ces démarches visent en partie à déterminer combien de temps durera le procès, et elles donnent toujours lieu à des admissions de part et d'autre.
D'accord.
Puisqu'il est question de cela, sachez que j'ai un peu d'expérience avec l'évolution des choses dans ce domaine, et que je comprends de quoi il retourne.
J'ai bien l'impression que les mesures proposées sont une tentative mal avisée de prêter main-forte au système, sauf que, comme vous l'avez expliqué, elles risquent de compromettre l'accélération du processus.
Avez-vous envisagé ou examiné les enjeux relatifs à l'élimination des enquêtes préliminaires?
Non. J'aurais tendance à me fier aux documents d'Aide juridique Ontario. Je sais que M. Field et M. Pratt ont comparu hier. J'ai été invitée à parler de cette question.
Merci.
L'affaire Ashley Smith en est un exemple terrifiant des problèmes associés à la mise en liberté sous caution. C'est un cas qui n'aurait jamais dû se retrouver dans le système de justice pénale. Elle avait besoin d'aide, mais pas de l'aide du système de justice pénale. Le système de soins de santé mentale l'a probablement laissée tomber lorsqu'elle était très jeune, mais elle s'est retrouvée dans le système de la justice, dans ce système qui ne l'a pas aidée et qui ne lui a rien apporté de bon.
Comment pouvons-nous réparer le système actuel? Vous avez tous reconnu qu'il y a des problèmes, mais que feriez-vous pour réparer le système de mise en liberté sous caution? Je ne sais quelle autre question je pourrais vous poser à part celle-ci: si le système est déréglé, comment pouvons-nous le réparer?
Si vous me le permettez, en ce qui concerne Ashley Smith, les recherches que j'ai effectuées dans le cadre de mon doctorat m'indiquent qu'elle n'a jamais été diagnostiquée comme ayant une maladie mentale avant de tomber sous la garde des services correctionnels et, plus précisément, avant de passer de longues années en isolement cellulaire. Je désapprouve complètement ce qui est arrivé, et ma conclusion à cet égard, avec tout le respect que je vous dois, c'est que cette analyse est incorrecte. Le système de soins de santé mentale n'est pas la raison préliminaire pour expliquer pourquoi les choses sont allées de travers.
En ce qui concerne votre question sur la façon de réparer le système de mise en liberté sous caution, j'ai indiqué que j'appuie ce qu'ont présenté Mme Sprott et M. Doob. Ce qu'il faut, c'est un remaniement en profondeur, et si nous regardons le portrait global, il faudrait un programme d'enseignement pour veiller à ce que les pratiques et la culture présidant à l'application de la loi changent elles aussi, comme cela s'est fait lorsque la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents est entrée en vigueur, en 2003. On avait prévu un budget de 20 millions de dollars pour éduquer et former les gens. J'avais terminé ma maîtrise à ce moment-là et j'ai participé à cela dans une certaine mesure.
Pour régler certains de ces problèmes, il faudrait un remaniement systématique du système de mise en liberté sous caution accompagné d'un enseignement et d'un soutien axés sur la modification de la culture et des pratiques.
Les dispositions du projet de loi proposé fait quelques pas en ce sens, alors je m'abstiendrai de dire: « Ne faites pas cela; vous devriez attendre et porter un grand coup plus tard ». Je dirais plutôt: « Faites ce petit bout de chemin maintenant et vous pourrez porter un grand coup plus tard. »
Si vous m'aviez posé la question il y a deux ans, je vous aurais dit que je ne croyais pas nécessaire de reprendre depuis le début. Je croyais vraiment que la loi était adéquate, et que le problème était plutôt l'application que tout un chacun en faisait. Sauf que j'étudie cette question depuis 2005 et que je constate que les choses ne font qu'empirer au fil des ans. Je ne suis plus convaincue que nous arriverons au changement en profondeur que nous recherchons en procédant à de petits ajustements. Néanmoins, je suis d'accord avec Rebecca lorsqu'elle dit que c'est un début. Ce n'est pas rien. La présomption d'innocence est le point de départ. Nous partons avec l'idée que vous allez obtenir une libération inconditionnelle. C'est là le point de départ. Ensuite, nous progressons en nous assurant d'établir un lien clair entre les types d'encadrement dont une personne pourrait avoir besoin ou entre les conditions qui pourraient s'appliquer.
Nous devons limiter les conditions qui s'appliquent de façon générale, et cela a beaucoup à voir avec le changement de culture. Il y a cette peur du risque. Il y a une réticence. Parfois, le simple fait de codifier une partie de la jurisprudence peut s'avérer utile pour structurer ce processus et essayer de guider les gens dans une certaine mesure. Cependant, je crains qu'en l'absence d'initiatives à grande échelle en matière d'éducation, ces seules mesures ne soient pas suffisantes pour mobiliser tout le monde et imprimer le changement d'orientation requis à l'égard de ce qui est devenu une pratique bien incrustée et bien acceptée.
À qui ces efforts d'éducation s'adressent-ils? À tout le monde, et aux avocats de la Couronne en particulier.
Les procureurs de la Couronne sont des intervenants de premier plan dans le processus de mise en liberté sous caution. Si la plupart des gens sont libérés sous consentement, cela signifie que le ministère détient un pouvoir considérable. C'est lui qui détermine quelles seront les conditions de libération puisque, comme on l'a expliqué, un accusé acceptera presque n'importe quoi pour être libéré, peu importe l'absurdité patente des conditions imposées. Les accusés savent peut-être qu'ils vont enfreindre ces conditions dès qu'ils vont mettre le pied dehors, mais ils accepteront n'importe quoi. C'est dire à quel point la détention provisoire est désagréable.
Il faut inciter les procureurs de la Couronne à changer d'orientation, parce que les avocats de la défense qui souhaitent obtenir une libération sous consentement se retrouvent à essayer de répondre aux besoins de la Couronne. Une audience de justification contestée ouvre la porte au risque et à l'incertitude, et peut, au final, déboucher sur une détention ou sur une libération encore plus contraignante ou chère.
Je tiens avant tout à remercier tous les témoins. Tous vos témoignages m'ont été fort utiles.
J'ai un certain nombre de questions et elles vont dans différentes directions. Ma première question s'adresse à Mme Myers.
Vous avez souligné que certaines des conditions que nous voyons sont immensément problématiques parce qu'elles ont peu à voir avec les accusations. Pouvez-vous nous donner quelques exemples pour que nous puissions mieux nous familiariser avec...
Par exemple, il n'est pas rare de voir un couvre-feu imposé à quelqu'un qui aurait commis une infraction à midi, ou d'entendre un juge dire quelque chose comme: « Vous avez fait du vol à l'étalage dans tel Shoppers Drug Mart. On vous interdit donc d'entrer dans n'importe quel Shoppers Drug Mart de la province ». Ou on vous refuse de mettre les pieds dans la région du Grand Toronto. Les conditions peuvent prendre une ampleur considérable par rapport aux allégations présentées en cour.
D'accord. Merci.
Ensuite, vous avez dit que nous pourrions examiner toute la jurisprudence et essayer de la codifier. Pouvez-vous nous signaler quelques-unes des affaires phares que nous connaissons?
Je crois que je fais plus spécifiquement allusion à l'affaire Antic et à la réitération de l'approche progressive qui reconnaît que la présomption d'innocence et la libération inconditionnelle sont le point de départ, ce qui nous rappelle que les conditions ne sont pas imposées pour punir quelqu'un ou pour modifier son comportement, et que nous devons garder à l'esprit que tout cela se produit dans le cadre d'allégations, alors que rien n'a encore été prouvé.
Formidable. Merci.
Madame Bromwich, je vous remercie aussi de votre témoignage.
Vous avez parlé des groupes particulièrement vulnérables. C'est une question qui a été soulevée il y a quelques jours. Pouvez-vous nous dire en quoi consistent ces groupes vulnérables?
Comme je l'ai dit, l'une des raisons pour lesquelles j'aime cette proposition législative, c'est que la vulnérabilité y est mentionnée sans nécessairement être décrite de façon spécifique. Comme cela a déjà été signalé au Comité, les peuples autochtones sont surreprésentés de façon disproportionnée à tous les échelons de notre système de justice pénale, ainsi que dans notre système correctionnel. Il y a une surreprésentation disproportionnée des personnes marginalisées et des personnes racisées. J'ai aussi entendu des statistiques indiquant que c'est aussi le cas des membres de la communauté LGBT.
Cela dit, il y a aussi une surreprésentation disproportionnée de pauvres dans le système et de personnes qui ont des problèmes de santé mentale. En matière de vulnérabilité, je crois qu'il est très utile de considérer les choses dans une optique intersectionnelle. Il faut éviter le piège de la case à cocher — correspondez-vous à tel ou tel groupe? — et s'intéresser plutôt au parcours de vie. Si le questionnement sur la vulnérabilité pouvait être un peu plus nuancé, je crois que cela pourrait être utile.
Absolument.
Je ne suis pas sûr que cela devrait être autorisé, mais vous disiez que même si le projet de loi est un pas dans la bonne direction, vous seriez on ne peut plus d'accord avec des modifications de plus grande portée. Je sais que vous n'avez que deux ou trois minutes, mais j'aimerais vous entendre au sujet de ces modifications.
La mesure dans laquelle les infractions contre l'administration de la justice ont été utilisées et continuent d'être utilisées dans les cours juvéniles — particulièrement à l'égard des filles — est problématique. Nous avons besoin d'un remaniement: il faut faire un examen sérieux de ces dispositions et rétablir la Commission du droit — j'aime mentionner cela aussi souvent que possible — afin qu'une étude systématique puisse être effectuée sur la façon dont fonctionne le système de justice pénale et sur la façon dont la loi fonctionne. De plus, l'examen ne devrait pas se faire à la pièce, mais plutôt en considérant le Code criminel dans son ensemble.
C'est ce que je recommanderais.
Merci à vous tous. C'est une séance particulièrement réussie.
J'aimerais commencer par Mme Myers et Mme Yamagishi. Je crois que vos propos se chevauchaient.
Mme Yamagishi a souligné à juste titre qu'il était possible actuellement d'obtenir une mise en liberté sur remise d’une promesse. Mme Myers a dit que l'on devrait commencer par une prémisse de libération. C'est censé être ce que nous faisons déjà. R. c. Antic ne fait que rapporter cela et codifie, comme vous le dites, le statu quo. Les tribunaux ont été clairs, et maintenant, nous mettons cela dans la loi et nous prétendons avoir fait quelque chose. Vous avez dit que nous devrions structurer la discrétion des juges, de la police, etc., mais comment devons-nous faire? Avez-vous des suggestions sur la façon de procéder? J'ai l'impression que c'est déjà censé être comme c'est maintenant. Les témoins avec lesquels vous étiez tous d'accord — M. Doob, Mme Webster et Mme Sprott — ont tous dit dans leurs propres mots qu'il nous faut des changements en profondeur, et pourtant, nous continuons d'essayer de faire du rapiéçage. Pourquoi procédons-nous de la sorte? Selon ce témoignage, on dirait que tout ce que nous faisons n'est qu'un ravaudage législatif futile.
Je vous pose la question à vous deux. Comment pouvons-nous régler cela?
Bien sûr, je peux répondre à cela.
Dans nos présentations écrites, nous avons une proposition d'amendement pour l'article sur les mises en liberté sur promesse qu'effectue la police. Je crois que l'une des choses qui déçoivent les avocats de la défense, c'est le fait qu'en dépit de toutes les lois que nous pouvons nous donner, s'il n'y a pas de changement de culture important, de changements systémiques importants et de changement majeur d'attitude chez les policiers, nous allons continuer de voir un écart entre ce qui sort de la jurisprudence et l'objet de nos efforts sur le plan législatif.
Ce que je crois, c'est que les lois peuvent donner le ton. Par exemple, si un engagement que je juge déraisonnable a été imposé à l'un de mes clients, et que la loi affirme que sa mise en liberté est contraire à la loi, je peux contester. Les tribunaux en arriveront éventuellement à une décision, décision qui pourra être publiée dans les médias. On pourra chercher à démontrer que la police ne fait pas ce que la loi lui dit de faire.
Bien que je croie qu'il nous faut travailler sur plusieurs plans — législatifs, culturels et sociétaux —, les modifications apportées à la loi peuvent donner l'orientation générale que les avocats de la défense pourront utiliser pour faire avancer les choses.
Je suis tout à fait d'accord. Je vais insister sur ce point. Ces modifications envoient un message clair. On nous dit: voilà comment on doit faire les choses. Oui, dans une certaine mesure, il faudra codifier ce qui a été établi par la jurisprudence, mais je soutiens que le fait que ce soit écrit dans la loi et que l'on ait une référence à laquelle s'attacher permettra de cristalliser l'intention et de donner le ton.
Je crois que ce qui est proposé — réitération du besoin de faire montre de retenue, du fait qu'il devrait être raisonnable d'inciter quelqu'un à se conformer et de la nécessité de tenir compte des groupes vulnérables — ne peut pas nuire. Je pense toutefois que ce n'est qu'un début.
Vous avez dit que les choses ont empiré au fil des ans depuis que vous avez commencé à étudier cette question. Il y a eu l'affaire Antic. Ce qui s'est retrouvé dans la loi est pratiquement un copier-coller de cela. Vous croyez que cela donne le ton et je comprends ce que vous dites, mais disons que les modifications ne font pas grand-chose.
Monsieur Zehr, vous vous êtes montré plutôt provocateur vers la fin de votre résumé. Je veux vous donner la chance de préciser votre pensée. Vous avez dit que nous devrions renoncer complètement à nous acharner sur les infractions contre l'administration de la justice. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?
Eh bien, la nuance est importante: il s'agit des infractions contre l'administration de la justice qui ne causent pas de préjudice. Bien entendu, ce sont celles-là qui m'intéressent.
De toute évidence, les accusations pour infraction à l'administration de la justice vont continuer d'exister et ce n'est assurément pas la loi qui va changer cela. Ce que je dis, c'est que lorsque ces infractions ne causent aucun préjudice, le régime proposé aux termes de la loi devrait tenir compte de ce qui est requis pour établir si, oui ou non, une personne peut être mise en liberté avec les mêmes conditions qu'avant, avec des conditions additionnelles ou se retrouver derrière les barreaux.
D'un point de vue philosophique, la chose se résume à la question suivante: en l'absence de préjudice, pourquoi la personne devrait-elle faire face à des accusations criminelles à cause de cela? Nous ne devons pas oublier que la personne qui est dans cette situation — essentiellement, en attente d'un cautionnement — est présumée innocente. Elle doit néanmoins s'astreindre à un couvre-feu, ce qui n'est pas mon cas.
Supposons qu'ultimement, l'accusation est retirée. Dans ce scénario, il semblerait très injuste de punir cette personne pour un couvre-feu qui lui était imposé alors qu'elle était présumée innocente.
Je comprends ce que vous dites. Merci.
Madame Heyens, je tiens à vous dire que votre exposé à propos de l'article sur les éléments de preuve de routine a été le plus efficace que nous avons entendu jusqu'ici à ce sujet. En effet, la vaste majorité des exposés que nous avons entendus, sinon tous, ont répété qu'il s'agissait d'une disposition — allons-y poliment — mal avisée. Vous avez assurément capté mon attention, et je vous en félicite.
Vous avez soulevé deux questions. Tout d'abord — et c'est quelque chose dont je n'avais pas encore entendu parler —, il y a le fait que ceci va en quelque sorte forcer une personne à témoigner et que cela va brimer le droit de garder le silence que lui confère la Constitution.
Comme je n'ai pas beaucoup de temps, je veux également signaler que j'ai l'impression que, de toute manière, l'exposé conjoint des faits serait la solution dans pratiquement tous les cas, alors pourquoi avons-nous besoin de cela? J'aimerais vous entendre là-dessus et sur le premier aspect que j'ai souligné.
Enfin, nous avons entendu, hier, le témoignage d'une représentante de l'Association du Barreau canadien.
Une voix: Est-ce que c'était hier?
M. Murray Rankin: Oui, je crois que c'était hier, mais je peux me tromper.
Mme Pentz s'interrogeait sur la façon de traiter les déclarations sous serment et les témoignages oraux. Comment un juge sera-t-il en mesure de juger de la valeur d'un témoignage oral par rapport à celle d'une déclaration sous serment. Elle a souligné à quel point cela allait être difficile.
Ce sont les questions que je voulais vous poser.
Mon Dieu!
Tout d'abord, merci. Je suis flattée.
Je crois que c'est passablement évident, et c'est là le problème. Je crois que tout cela est évident.
Au Canada, le droit de garder le silence est quelque chose qui est encore protégé aux termes de l'article 7 de la Charte. Comme nous l'avons appris dans certaines affaires récentes, rien n'oblige un accusé à témoigner. La raison en est évidemment qu'un bon contre-interrogatoire arrive souvent à miner suffisamment une allégation, ce qui rend ledit témoignage superflu. C'est comme si quelqu'un vous accusait d'une chose ridicule. À moins que l'accusation ne remette en cause la véracité de quelque chose qui s'est produit, pourquoi seriez-vous tenu d'y répondre?
C'est un bout de papier — qui a fait l'objet d'un serment, certes, mais c'est quand même un bout de papier — qui est présenté, et le juge est forcé... C'est ce qui me dérange. La déclaration est admise « pour la véracité de son contenu ». Il y a des choses qui sont présentées comme éléments de preuve lors d'un procès et qui ne sont pas admises pour la véracité de leur contenu. Parfois, elles ne servent qu'à appuyer la trame du récit, pour aider l'auditoire à comprendre la séquence des événements ou autre chose. Sauf que lorsqu'un bout de papier est admis pour la véracité de son contenu, cela signifie que le juge est forcé de l'examiner et d'examiner les allégations. À moins que la déclaration ne fasse état de quelque chose de platement contradictoire, le juge doit commencer son analyse de la culpabilité ou de l'innocence par « ceci est vrai ».
Cela pourrait aller pour « je lui ai servi un avis » ou quelque chose d'autre, mais lorsqu'il s'agit de « je l'ai vu commettre une infraction », comment allez-vous vous défendre autrement? On ne peut pas contre-interroger un papier.
Par conséquent, vous devez témoigner. Vous devez présenter votre preuve. Bien qu'il y ait un droit constitutionnel qui vous permet de garder le silence ...
Merci, monsieur le président.
Merci à tous nos témoins.
Je vais commencer par vous, monsieur Zehr, en restant aligné sur les questions de M. Rankin. Vous dites que les infractions administratives ne devraient pas prêter flanc à des accusations, sauf quand elles causent un préjudice. Or, une action qui cause un préjudice n'est-elle pas une infraction en elle-même?
Avant de taxer ce manquement d'infraction, ne devrait-on pas raisonnablement considérer comme une infraction cette chose qu'il a faite et qui a causé un préjudice?
C'est un bon point, mais en même temps, il pourrait y avoir, par exemple, le non-respect de la condition de ne pas entrer en contact. Si une personne est accusée et que l'une des conditions est de ne pas entrer en contact avec telle ou telle personne, le manquement pourrait être perçu comme un geste ayant causé un préjudice, même si le geste en lui-même ne saurait être élevé au rang d'infraction. Il se peut que la personne se rende à une adresse où il lui est défendu d'aller, et que cela cause un tort émotionnel ou psychologique à la personne que l'on cherchait à protéger. Aucune nouvelle menace n'a été proférée, aucune agression n'a été commise, mais cette seule présence pourrait être considérée comme un non-respect de condition ayant causé un préjudice, bien qu'aucune infraction additionnelle n'ait été commise.
Mais ce manquement ne peut pas, en lui-même, donner lieu à une accusation. Est-il vraiment approprié d'appliquer une accusation criminelle à un bris administratif? Existe-t-il d'autres recours?
C'est une bonne question. Si le comportement en lui-même ne constitue pas une activité criminelle, peut-être que oui. À ce moment-là, peut-être que toutes ces accusations devraient être renvoyées à cette comparution pour manquement. Ultimement, c'est là que seront fixées les conditions de libération ultérieures.
Je vois ce que vous voulez dire, et je suis d'accord avec vous. Si le fait d'entrer en contact n'est pas, en lui-même, un comportement criminel, pourquoi ce comportement est-il criminalisé?
J'aimerais poursuivre sur cette lancée. Sans égard au fait qu'il s'agisse d'un comportement criminel ou non, ou qu'il y ait préjudice ou non, quelle devrait être la conséquence appropriée pour un manquement? Je veux dire, si les conditions ne s'accompagnent d'aucune conséquence, à quoi bon faire un suivi.
Il y aura une conséquence pour cette personne. Encore une fois, la police peut décider de ne rien faire. Elle peut donner un avertissement, et nous savons qu'elle le fait. Parfois, la police se contente de donner un avertissement, comme « vous n'avez pas respecté la condition qui vous a été imposée; si vous recommencez, des accusations seront portées contre vous ».
L'autre option — qui figure dans le projet de loi — est la possibilité de renvoyer le cas à une comparution pour manquement. Il y aura des conséquences puisqu'à ce niveau, l'officier de justice doit décider si la personne peut être remise en liberté, s'il y a lieu d'imposer d'autres conditions ou s'il y a lieu d'opter pour la détention. En fin de compte, chacun de ces manquements s'accompagnerait de conséquences.
Normalement, ces conséquences seraient de mettre un terme à la mise en liberté sous caution et de remettre le contrevenant derrière les barreaux.
Ultimement, c'est ce qui arriverait. Il se peut aussi que l'on juge nécessaire de faire monter la personne d'un cran dans le système, par exemple, ou de lui imposer des conditions additionnelles. C'est un peu comme une autre audience sur la mise en liberté sous caution. Selon le cas, il faudra faire monter la personne d'un cran dans le système ou imposer de nouvelles contraintes.
Merci.
Je vais maintenant m'adresser à Mme Yamagishi.
Vous avez dit que les conditions qu'un juge impose peuvent varier, et qu'à cela s'ajoute tout ce que le juge estime souhaitable. En clair, c'est un processus grand ouvert.
Qu'arriverait-il si l'on remplaçait ce que le juge estime souhaitable par ce qu'il considère comme étant nécessaire? Cela répondrait-il à vos préoccupations?
En partie, oui.
Je remarque qu'un cas de jurisprudence comme celui de l'affaire Antic nous indique qu'un juge peut aller au-delà de ce qu'il considère comme nécessaire. Il se peut aussi qu'il n'y ait rien, comme d'autres intervenants l'on fait remarquer, que le juge estimera que les conditions ne devraient pas punir l'accusé et qu'elles ne devraient pas être là pour modifier le comportement de la personne. Outre le fait que les conditions sont celles que les juges estiment nécessaires, elles doivent aussi être pertinentes. Voilà comment cela devrait fonctionner, du moins, en partie.
Je le répète, notre présentation écrite présente une série d'amendements précis en matière de formulation.
Diriez-vous que les conditions imposables devraient se limiter à celles qui ont pour objet de protéger la sécurité publique ou d'assurer que l'accusé va se présenter en cour?
Oui.
Encore une fois, c'est une clarification que donne la loi actuelle. L'un des aspects préoccupants que nous avons relevés... Il y a cette affaire Morales qui remonte à 1992 — elle circule depuis très longtemps — où l'on affirmait que la sécurité publique doit être prépondérante. Cependant, nous pouvons voir toutes ces autres conditions qui n'ont pas nécessairement quelque chose à voir avec la sécurité publique, ni même avec les motifs principaux, comme cela a été discuté dans une autre affaire qu'a traitée la Cour suprême du Canada, en 1992, l'affaire Pearson.
Je crois que cela renvoie à ce que disait M. Rankin: lorsque nous faisons ces modifications législatives, nous n'en voyons pas les résultats. Comme le disait Mme Myers, le fait d'énoncer clairement ces choses dans les lois nous donne des éléments auxquels nous pouvons nous accrocher, des éléments qui me permettront d'interjeter appel, des éléments dont je pourrai argumenter en cour.
Oui. Vous étiez à 5 minutes 54. C'est très bien.
Je remercie tous nos experts d'aujourd'hui. Vous avez été d'une grande aide, et sachez que nous vous en savons gré. Je crois que vous serez à temps pour votre avion.
Nous allons faire une courte pause pour permettre aux prochains témoins de s'installer.
Reprenons nos travaux.
Nous allons entendre notre dernier groupe d'experts de la journée. Comme nous avons environ une heure de retard, ce dernier groupe est une combinaison des experts des groupes 4 et 5.
Nous sommes très heureux d'accueillir Mme Sarah Leamon, avocate criminelle chez Leamon Roudette Law Group. Content de vous revoir ici.
Ensuite, il y a M. Geoffrey Cowper, qui travaille pour la firme où j'étais, Fasken Martineau DuMoulin. Je vous souhaite la bienvenue.
De l'Advocates' Society de Toronto, nous recevons M. Brian Gover, qui est le président, et M. Dave Mollica, qui le directeur des politiques et pratiques. Soyez les bienvenus.
Nous allons d'ailleurs commencer par l'Advocates' Society. Monsieur Gover, vous avez la parole.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je m'appelle Brian Gover, et je suis président de l'Advocates' Society. Comme on vient de le mentionner, M. Dave Mollica m'accompagne. Il est le directeur des politiques et pratiques.
Je vous remercie de nous donner l'occasion de comparaître pour discuter du projet de loi C-75. L' Advocates' Society a également préparé un mémoire qui servira de complément à notre exposé aujourd'hui.
L'Advocates' Society est une association sans but lucratif de plaideurs qui a été fondée en 1963. Elle compte aujourd'hui environ 6 000 membres au Canada qui fournissent des plaidoiries aux gouvernements et à d'autres groupes sur des questions qui touchent à l'accès à la justice, à l'administration de la justice et à la pratique du droit par les plaideurs. Cela fait partie de notre mandat.
Parmi nos membres, on trouve notamment des procureurs de la Couronne et des avocats de la défense, si bien que mes observations ce soir reflètent les points de vue diversifiés et éclairés de tous nos membres.
L'Advocates' Society félicite le gouvernement de vouloir implanter des réformes pour améliorer l'efficacité de notre système de justice pénale. Ce système, selon les mots mêmes qu'a employés la ministre de la Justice à la Chambre des communes le 24 mai dernier, « est considérablement surmené », un surmenage que sentent tous les intervenants dans le système, notamment les juges, les avocats, les plaignants, les témoins, et plus particulièrement les Autochtones et les gens marginalisés qui ont des problèmes de maladie mentale ou de toxicomanie et qui sont surreprésentés dans le système, à la fois comme victimes et comme accusés.
Certains mécanismes prévus dans le projet de loi C-75 pour mettre en oeuvre les réformes inquiètent toutefois l'Advocates' Society, car ils risquent de porter atteinte aux droits des victimes et des accusés. Dans notre mémoire, nous avons souligné les points sur lesquels l'Advocates' Society presse le Comité d'examiner plus à fond les dispositions du projet de loi C-75. Aujourd'hui, je vais me concentrer sur deux éléments clés, soit l'abolition de la récusation péremptoire de jurés, et l'acceptation d'éléments de preuve de routine présentés par la police par écrit.
Dans le cas de l'abolition de la récusation péremptoire de jurés, l'Advocates' Society n'est pas convaincue que la proposition contenue dans le projet de loi C-75 est le fruit d'un examen minutieux ou de vastes consultations. L'Advocates' Society recommande donc, avant que des mesures soient prises, qu'on procède à un examen approfondi de la question et qu'on consulte les intervenants sur d'autres mesures possibles.
La récusation péremptoire procure tant à la poursuite qu'à la défense un mécanisme pour s'assurer que le jury sera représentatif et impartial. Elle accorde en outre à l'accusé un certain contrôle sur la sélection des juges des faits qui décideront de son sort dans une procédure pénale. La grande majorité des avocats de la défense considèrent que la récusation péremptoire est un outil indispensable pour protéger le droit à un procès équitable de l'accusé, en particulier lorsqu'il s'agit d'une personne autochtone ou de couleur. Dans ce cas, la défense peut se prévaloir de la récusation péremptoire pour tenter d'avoir un jury représentatif de la population canadienne.
La raison invoquée dans l'énoncé concernant la Charte de la ministre pour abolir la récusation péremptoire est que tant la Couronne que la défense peuvent l'utiliser de façon discriminatoire. Le fait que son utilisation puisse donner lieu à des abus ne devrait pas servir à justifier son abolition. Comme la récusation péremptoire joue un rôle social utile, on doit mettre l'accent sur sa réforme plutôt que sur son abolition.
Si on s'inquiète d'une utilisation discriminatoire de la récusation péremptoire, il faut cibler l'abolition de cette utilisation, plutôt que la récusation péremptoire comme telle. Les quelques tribunaux au Canada qui se sont penchés sur la question ont statué que l'utilisation discriminatoire de la récusation péremptoire par la Couronne contrevenait au paragraphe 11(d) et à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés en privant l'accusé du droit à un jury représentatif.
Aux États-Unis, lorsqu'un avocat considère que son adversaire a eu recours à la récusation péremptoire à des fins discriminatoires, il peut présenter ce qu'on appelle une récusation de type Batson — qui tire son nom de l'arrêt de la Cour suprême des États-Unis de 1986 dans l'affaire Batson c. Kentucky — et demander que le juge exige une raison neutre du point de vue racial pour avoir utilisé la récusation péremptoire. Si le juge considère que l'opposant a fait une première impression ou présenté une preuve prima facie, le fardeau de la preuve revient alors à la partie qui a demandé la récusation péremptoire de justifier son utilisation.
Du simple fait de son existence, le mécanisme Batson a grandement refroidi les ardeurs discriminatoires dans la sélection des jurés aux États-Unis. L'Advocates' Society recommande donc qu'on procède à une étude approfondie et qu'on consulte les intervenants sur l'utilisation et l'utilité de la récusation péremptoire. Elle recommande également que l'on adopte au Canada une procédure de type Batson au lieu d'abolir la récusation péremptoire.
La deuxième source d'inquiétude concerne les modifications proposées aux dispositions du Code criminel qui portent sur ce qu'on appelle les « éléments de preuve de routine » par écrit. L'Advocates' Society croit que ces dispositions n'accroîtront pas l'efficacité, qu'elles empiéteront sur les droits de l'accusé et qu'elles sont vulnérables sur le plan constitutionnel. L'Advocates' Society recommande donc qu'elles soient supprimées entièrement du projet de loi C-75.
La définition de l'expression « éléments de preuve de routine » est si vaste que la grande majorité des éléments de preuve fournis par les agents de police dans un procès criminel seraient admissibles au moyen d'un écrit. Dans les faits, on priverait ainsi un accusé de la possibilité de vérifier la crédibilité et la fiabilité des témoins de la Couronne dans le cadre du contre-interrogatoire, que tous considèrent comme un élément central de notre système de justice pénale et un droit protégé par la Constitution pour ceux qui sont accusés d'une infraction criminelle.
Le contre-interrogatoire est l'occasion pour l'avocat de la défense de détecter les incohérences ou les faiblesses dans les éléments de preuve de la police et de déterminer si la divulgation a été complète. En décelant les problèmes dans les éléments de preuve de la Couronne, on peut réduire le nombre de condamnations injustifiées. Le fait de restreindre grandement le droit d'un accusé à contre-interroger les témoins de la Couronne ne rendra pas nécessairement le système de justice pénale plus efficace tout en demeurant équitable. Aucune donnée empirique, à notre connaissance, ne soutient un tel argument. Le juge du procès doit continuer d'avoir la responsabilité de veiller, en appliquant les règles régissant la procédure pénale et les éléments de preuve, à gérer le procès de manière à ce que les contre-interrogatoires qui sont abusifs, redondants ou non pertinents ne gaspillent pas le temps du tribunal.
Si on ajoute à cela la proposition visant à éliminer les enquêtes préliminaires, sauf dans les affaires les plus graves, le fait d'accepter de cette façon les éléments de preuve de la Couronne risque de créer un obstacle insurmontable à une défense pleine et entière. De plus, en demandant à l'accusé qui veut que les éléments de preuve de la Couronne soient présentés oralement de justifier sa requête, on le forcerait probablement ainsi à révéler des aspects de sa défense à la Couronne. Cela pourrait aller à l'encontre du droit de l'accusé garanti dans la Constitution de garder le silence face à des accusations criminelles. L'Advocates' Society recommande donc que l'article 278 et les autres articles proposés qui portent sur les éléments de preuve de routine de la police soient complètement supprimés du projet de loi C-75.
Merci, monsieur le président, et mesdames et messieurs les membres du Comité, d'avoir permis à l'Advocates' Society de comparaître ce soir. Nous serons heureux de répondre à vos questions.
Je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser au Comité au sujet du projet de loi C-75, particulièrement en ce qui touche à l'enquête préliminaire. J'en suis à ma première comparution devant le Comité et je suis très heureuse d'être ici.
Je suis criminaliste au sein du cabinet Walter Fox & Associates depuis plus d'une dizaine d'années. J'ai choisi la défense en matière pénale notamment en raison de mon passé, car je suis née en Iran et j'ai vécu sous un régime tyrannique.
Je vais concentrer mes observations sur l'enquête préliminaire, ce que je suis très ravie de faire, car je pense que l'enquête préliminaire offre une mesure de protection procédurale essentielle à tous les accusés, mais en particulier aux gens marginalisés, à ceux qui n'ont pas les moyens d'avoir un avocat, à ceux qui ont des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie, et à ceux qui sont surreprésentés dans le système de justice pénale, notamment les Autochtones.
Je vais vous parler brièvement des statistiques dont nous disposons. Nous savons que de 2015 à 2016, une enquête préliminaire a été effectuée dans 3 % seulement des accusations portées devant un tribunal, et nous savons également qu'au cours de ces mêmes années, 7 % seulement des accusations ayant fait l'objet d'une enquête préliminaire ont dépassé le plafond présumé.
Nous avons aussi des statistiques qui indiquent que les affaires assorties d'une enquête préliminaire sont beaucoup plus susceptibles d'être réglées par un tribunal en Ontario que renvoyées devant la Cour supérieure, et comme je passe le plus clair de mon temps à la Cour de justice de l'Ontario et à la Cour supérieure de justice, je peux vous confirmer que les ressources à la Cour supérieure de justice sont extrêmement limitées, et que tout ce que le gouvernement fait pour s'assurer que les affaires n'aboutissent pas inutilement devant la Cour supérieure est extrêmement bénéfique.
Ce sont les statistiques dont nous disposons, mais il y a également des statistiques et des renseignements que nous n'avons pas. À ma connaissance, il n'y a pas d'études statistiques qui démontrent que l'élimination de l'enquête préliminaire pour certaines infractions accélérerait le déroulement des procès, et donc protégerait le droit des accusés de subir leur procès dans un délai raisonnable. Nous ne disposons pas de ces statistiques, et si le gouvernement veut abolir une mesure de protection procédurale très importante, la recommandation que je lui ferais, de même qu'au Comité, serait, à tout le moins, de consacrer du temps et des ressources à ces études empiriques afin de s'assurer d'atteindre le résultat souhaité en éliminant ces mesures de protection procédurale.
Je recommanderais en outre que les résultats de ces études soient communiqués à la population.
J'aimerais maintenant consacrer le reste de mon exposé aux répercussions de l'élimination de l'enquête préliminaire sur les groupes marginalisés. Je pense que c'est très important, et je sais que c'est une source de préoccupation pour l'honorable ministre de la Justice. Il est clairement indiqué dans l'énoncé concernant la Charte pour le projet de loi C-75 que le projet de loi vise à remédier à la surreprésentation de certains groupes dans le système de justice, notamment les Autochtones et ceux qui ont des problèmes de santé mentale et de toxicomanie, et j'ajouterais un autre groupe: ceux qui n'ont pas les ressources financières pour embaucher un avocat.
Parlons maintenant des effets négatifs qu'aura l'élimination de l'enquête préliminaire sur les gens que je viens de mentionner.
Un des effets, à mon avis, concerne le recours aux enquêteurs privés. L'élimination de l'enquête préliminaire amènerait en effet la défense à recourir beaucoup plus souvent aux services d'un enquêteur privé, et je vais vous donner un exemple. Dans certaines affaires, la défense doit obtenir de l'information sur les antécédents de la partie plaignante ou d'un témoin, soit le genre d'information que la Couronne ne divulguerait pas. L'enquête préliminaire permet donc à la défense d'explorer la question, mais s'il n'y a pas d'enquête préliminaire, elle devra embaucher un enquêteur privé pour obtenir l'information.
Cette situation désavantagerait les personnes qui, au départ, n'ont pas les moyens d'embaucher un avocat et qui ne peuvent pas embaucher un enquêteur. S'il n'y a pas d'enquête préliminaire, ces personnes sont fortement désavantagées par rapport à celles qui ont les ressources pour embaucher un avocat et un enquêteur privé.
Un autre problème, bien sûr, est celui de la divulgation. Eh oui, la Couronne a l'obligation de divulguer l'information — c'est tout à fait vrai —, mais il y a une grande différence entre divulgation et divulgation organisée. À mes débuts, nous avions l'habitude de recevoir des montagnes de documents papier qui étaient simplement brochés ensemble. Je devais tout séparer, passer le tout en revue, puis décider ce qui allait où, ce qui était important, ce qui était secondaire et ce qui manquait.
Au cours des dernières années, les choses ont changé, et nous nous éloignons maintenant des documents papier au profit du contenu sur disque. Nous recevons les disques, nous devons ensuite utiliser un ordinateur pour télécharger leur contenu, nous devons l'imprimer, puis nous devons examiner toute l'information.
Ce n'est pas un problème pour moi, qui suis avocate de formation. C'est mon travail. Mais il en va tout autrement pour les accusés qui n'ont pas les moyens d'embaucher un avocat. Ils n'ont pas de formation juridique, et bien souvent, pas de formation scolaire. Certains ont des problèmes de toxicomanie ou de santé mentale qui les empêchent de fonctionner normalement, mais on s'attend à ce qu'ils examinent les éléments communiqués et démêlent le tout pour comprendre les allégations auxquelles ils devront répondre.
L'enquête préliminaire présente l'avantage pour eux de voir la Couronne organiser la preuve. Les témoins vont témoigner d'une manière logique et organisée. L'accusé qui n'a pas d'avocat peut donc se faire une idée des allégations auxquelles il devra répondre.
L'enquête préliminaire présente également l'avantage de donner l'occasion à l'accusé de prendre place dans une vraie salle d'audience et de voir comment les choses se déroulent, de même que lui donner l'occasion de contre-interroger les témoins. Ainsi, sa première comparution n'a pas lieu devant la Cour supérieure, où il subit un procès et risque de perdre sa liberté. Je soutiens donc que priver les personnes non représentées et les groupes marginalisés de cette occasion les place dans une situation très désavantageuse.
Je sais que les enquêtes préliminaires font l'objet de critiques, l'une d'elles étant qu'elles fonctionnent comme des interrogatoires préalables et qu'il ne s'y passe pas grand-chose. Je ne suis pas d'accord, et j'ai énoncé mes idées dans mon mémoire. Si le gouvernement s'inquiète à ce sujet, je lui recommande de légiférer pour renforcer, en quelque sorte, l'enquête préliminaire. Il pourrait, par exemple, élargir la compétence des juges pour les autoriser à contraindre la Couronne à fournir des éléments de preuve, ce qu'ils ne sont pas en mesure de faire à l'heure actuelle.
On peut également élargir la compétence des juges pour les autoriser à entendre les demandes fondées sur la Charte. C'est un élément très important quand les seuls éléments de preuve pesant contre l'accusé ont été obtenus en violant des droits que la Charte garantit. Si on élimine ces éléments de preuve à l'étape préliminaire, il n'y a alors pas de procès, un résultat auquel on aboutirait ultérieurement.
Ma dernière recommandation porte sur les conférences préparatoires à la sortie. Ces conférences se tiennent actuellement de façon informelle, mais elles sont, à mon avis, extrêmement utiles, car le juge présidant à l'enquête préliminaire donne son avis sur les forces et les faiblesses de la preuve, ce qui permet tant à la Couronne qu'à la défense de prendre une décision éclairée sur la tenue éventuelle d'un procès.
Enfin, je veux vous laisser sur une réflexion. Le système de justice doit être efficace, mais ce n'est pas l'élément le plus important. Sous un régime dictatorial, on n'entend jamais parler de retards ou d'inefficacités. On arrête les gens, on leur tient un procès de cinq minutes derrière des portes closes, on les emprisonne et on les exécute de façon prompte et efficace.
Nous vivons au Canada dans une démocratie constitutionnelle, et je pense que tant les habitants que les élus doivent veiller à ce qu'un accusé bénéficie d'un procès juste et ait une chance équitable de se défendre dans le système de justice pénale contre un État qui dispose de ressources infinies.
Merci.
Merci.
Je remercie tous les membres du Comité de m'accueillir ici aujourd'hui. C'est toujours un plaisir et un honneur de comparaître devant vous.
Je vais me concentrer ce soir sur la question des enquêtes préliminaires. Nous savons que le projet de loi C-75 vise à apporter de vastes et profondes modifications au Code criminel, et que la plupart des modifications le sont dans le but de moderniser notre système de justice, de réduire les délais et de respecter les plafonds présumés qui ont été établis dans l'arrêt Jordan. Ce sont là des efforts que je salue bien bas.
Comme le Comité le sait également très bien, les enquêtes préliminaires ont pour but d'évaluer et de tester la solidité des arguments de la Couronne, et non pas de prendre une décision définitive au sujet de la culpabilité. Elles peuvent servir actuellement pour toutes les infractions punissables par mise en accusation.
Le projet de loi C-75 vise à limiter l'accès aux enquêtes préliminaires aux adultes qui sont accusés d'infractions passibles d'emprisonnement à perpétuité. Il vise également à renforcer les pouvoirs du juge afin de limiter l'éventail des questions explorées dans le cadre de l'enquête et la liste des témoins à convoquer. Il est important de souligner que l'article 537 du Code criminel accorde déjà des pouvoirs au juge pour contrôler la procédure des enquêtes préliminaires; le projet de loi vise, bien sûr, à renforcer ces pouvoirs.
La raison de ces mesures semble être en lien direct avec les tentatives de réduire les délais. Nous savons que lorsqu'une personne opte pour une enquête préliminaire, l'affaire prendra beaucoup plus de temps à aboutir et nécessitera vraisemblablement plus de ressources judiciaires, comme en témoignent les statistiques de Statistique Canada et de l'Association du Barreau canadien. Vous trouverez l'information sur ces statistiques dans les notes de bas de page de mon mémoire, que j'ai fait parvenir à l'avance aux membres du Comité. Elles sont aussi publiées en ligne.
Même s'il est vrai que les enquêtes préliminaires allongent la procédure, les mêmes études révèlent que très peu de gens choisissent d'emprunter cette voie. La grande majorité des personnes accusées d'une infraction criminelle n'optent pas pour une enquête préliminaire, et selon les statistiques consultées, la fréquence des enquêtes représente entre environ 2,8 % et 5 % des affaires criminelles, soit très peu. D'autres statistiques indiquent également que le nombre d'enquêtes préliminaires a connu une baisse rapide et constante au cours des dernières années. Les théories abondent pour expliquer le phénomène, mais il est fort probable que les exigences plus rigoureuses, en matière de communication de la preuve, qui ont été instaurées à la suite de la décision Stinchcombe, en soit la cause.
Cela ne veut pas dire que les enquêtes préliminaires sont inutiles et qu'elles doivent être éliminées dans le but de raccourcir les délais. En fait, comme elles sont rarement utilisées, la lenteur du système de justice pénale ne peut pas, à mon avis, leur être attribuée; en les éliminant, on pourrait raccourcir les délais, mais de façon négligeable dans le meilleur des cas.
Par ailleurs, certaines données indiquent que l'élimination des enquêtes préliminaires pourrait en fait allonger les délais, car ces enquêtes sont très utiles pour simplifier les procédures pénales, et lorsqu'elles sont utilisées, elles sont utiles tant pour la défense que pour la Couronne et l'accusé.
Les enquêtes préliminaires sont également utiles lors de l'interrogatoire des témoins, tant les témoins civils que les témoins de la police, et sont d'une aide précieuse pour l'avocat de la défense et pour la personne accusée qui n'a pas l'occasion d'interagir avec ces témoins avant le procès et de procéder à des entrevues avant procès.
Les enquêtes préliminaires sont également utiles pour mettre au jour des questions relatives à la Charte qui pourraient faire l'objet d'une contestation pendant le procès. Elles sont utiles pour éliminer les accusations peu solides et favoriser des discussions productives en vue d'un règlement. Elles sont également très utiles pour s'assurer que les questions au procès sont ciblées et que seuls les témoins pertinents sont appelés à témoigner. Les enquêtes peuvent aider la Couronne à mettre au jour des faiblesses ou des obstacles insurmontables dans la preuve qui pourraient l'amener, en fin de compte, à retirer les accusations, à surseoir aux accusations, ou encore à reprendre des discussions productives en vue d'un règlement. Les enquêtes peuvent aussi aider la défense à prendre conscience de la gravité des preuves contre l'accusé et l'amener à opter pour un plaidoyer de culpabilité en début d'instance, qui peut être considéré comme un facteur atténuant dans la détermination de la peine, ce qui est bien sûr à l'avantage de son client.
Les enquêtes préliminaires sont également un outil très utile pour les accusés qui ne sont pas représentés par un avocat. Comme l'a mentionné mon amie, Mme Hassan, ce ne sont pas tous les accusés qui ont les moyens d'embaucher un avocat. Pendant l'enquête préliminaire, la personne qui n'est pas représentée a l'occasion de se familiariser avec le système de justice pénale, sans que sa liberté soit menacée. La personne peut aussi se familiariser avec les règles de la preuve et les procédures relatives à sa communication, et elle peut alors prendre la mesure des preuves qui pèsent contre elle et prendre une décision éclairée à ce sujet, soit aller en procès ou peut-être inscrire un plaidoyer.
À mon avis, le fait de limiter les enquêtes préliminaires à ce qui est proposé dans le projet de loi C-75 aura une incidence disproportionnée sur les personnes marginalisées et qui n'ont pas les moyens d'embaucher un avocat.
Nous savons qu'une allégation d'infraction criminelle est l'une des plus stigmatisantes qui puissent être portées contre quelqu'un. Elle peut le limiter gravement en créant pour lui des obstacles ou en aggravant ceux existants. Une personne accusée a donc le droit de se défendre, et c'est un droit protégé par la Charte de pouvoir le faire en utilisant toutes les ressources du droit.
Les protections procédurales, comme les enquêtes préliminaires, sont extrêmement importantes; en fait, elles sont essentielles. Dans l'affaire R. c. Catellier de 2016, le tribunal a reconnu une fois de plus l'importance de l'équité procédurale et de l'enquête préliminaire. L'enquête préliminaire y est même considérée comme une protection procédurale pour l'accusé.
En tant qu'avocate criminaliste de la défense, le fait qu'on restreigne l'utilisation d'un outil exploratoire très utile qui a été mis à la disposition des personnes accusées d'une infraction criminelle au pays m'inquiète beaucoup, et ce, d'autant plus que la décision ne repose pas sur une base probante.
Les délais dans le système de justice pénale ne servent, bien sûr, personne. Ils ne servent pas la collectivité ou le plaignant. Ils ne servent pas les témoins, et ils ne servent pas non plus l'accusé. L'accusé veut que la question soit réglée. S'il est détenu, il veut passer le moins de temps possible en détention préventive. Pour diminuer les délais et pour mieux y remédier et accroître l'efficacité, je propose respectueusement qu'au lieu de limiter les enquêtes de cette façon, on adopte une approche plus dynamique, plus multidimensionnelle et plus nuancée, comme de meilleures pratiques de gestion.
Vous trouverez la liste de mes suggestions à la page 8 de mon mémoire. Il s'agit notamment, de mémoire, de faire en sorte que l'avocat ait une estimation plus exacte du temps et que les ressources judiciaires soient adéquates, en particulier dans les collectivités éloignées et en croissance, etc. Je crois que des approches concrètes comme celles-ci auront pour effet de raccourcir les délais tout en permettant aux accusés d'avoir droit à une enquête préliminaire et d'avoir la possibilité de se défendre de manière adéquate.
Je vous remercie de m'avoir écoutée, et je serai heureuse de répondre à vos questions.
Merci, monsieur le président, et mesdames et messieurs les membres du Comité.
Je vous remercie de me donner l'occasion de discuter du projet de loi C-75. Je tiens à préciser tout d'abord que je témoigne à titre personnel. Je ne représente pas de cabinet ou d'organisation. Je pourrais passer pour un non-initié dans le débat, mais les choses se préciseront dans un instant.
Si on a suggéré que je témoigne, c'est principalement parce qu'en 2012, j'ai rédigé un rapport intitulé « A Criminal Justice System for the 21st Century ». Dans ce rapport, j'ai parlé de ce que je considérais être une culture de complaisance à l'égard des délais dans notre système de justice pénale. Cette expression et le rapport ont été cités par la majorité, et la minorité, dans l'arrêt Jordan comme l'une des raisons nécessistant que des mesures soient prises pour réduire les délais dans nos systèmes.
J'ai aussi siégé pendant presque une dizaine d'années au conseil d'administration de notre société d'aide juridique, en administrant le côté défense de notre système de justice pénale, ce qui m'a permis de voir les problèmes administratifs du point de vue de la gestion. Je ne suis pas, toutefois, un praticien du droit criminel. J'ai pratiqué le droit pénal à l'occasion, mais seulement à haut risque pour mes clients.
J'ai quelques observations générales à faire, puis je vous parlerai de quelques besoins particuliers.
Premièrement, je pense que la chose la plus utile que je puisse faire, c'est de jeter un peu de lumière sur la situation en général. Les délais ont une très longue histoire dans notre système de justice et dans presque tous les systèmes de justice qu'on peut étudier. Quand on examine attentivement la question, on se rend compte que les délais sont un problème chronique, récurrent, et que les solutions sont toujours des solutions temporaires et à court terme qui ne procurent pas d'avantages durables pour le bien public.
J'aimerais mentionner tout d'abord qu'il faut prendre conscience qu'une solution durable nécessitera des changements législatifs qui auront un impact sur la culture dans notre système, de même que des changements systémiques.
À mon avis, un des problèmes dans ce débat est qu'on s'efforce d'éviter les délais, et que cela ne devrait pas être notre but. Notre but ne devrait pas être d'éviter une catastrophe. Notre but devrait être d'administrer la justice en temps opportun en servant l'intérêt public et en répondant aux besoins des victimes et de la collectivité en général. Il nous arrive trop souvent de ne pas tenter d'atteindre ce but dans tous les éléments de notre système, et je pense que nous devons accomplir ce changement culturel.
Le succès des changements envisagés dépend non seulement de leur bien-fondé, mais aussi des ressources qu'on y investit pour les accomplir. Historiquement, les changements législatifs qui ont été faits sans être accompagnés des ressources nécessaires sont légion.
Deuxièmement, il faut documenter ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Un des problèmes vient du fait que les gens font des changements, et qu'ensuite personne ne fait de suivi et ne recueille de l'information sur leurs conséquences pour pouvoir réagir de la bonne façon. Les deux derniers éléments sont les plus difficiles à accomplir dans tout système, mais ils sont aussi les plus importants. Je vais revenir sur les conséquences de cela plus tard avec des propositions précises.
Au sujet de l'élimination ou la limitation des enquêtes préliminaires, je dirais que pour la plupart des gens dans cette salle, le débat a commencé quand vous étiez en 7e année. J'ai participé à mon premier débat sur l'utilité des enquêtes préliminaires dans les années 1980, ce qui ne me rajeunit pas. Au début des années 1990, toutefois, la plupart des premiers ministres au pays étaient d'accord avec l'idée que les enquêtes préliminaires n'étaient plus nécessaires et que leur nombre devait être radicalement réduit.
À mon humble avis, le fait que les enquêtes préliminaires dans leur forme actuelle aient vu le jour il y a plus d'une centaine d'années ne justifie pas qu'on les maintienne. Je pense qu'on doit s'en débarrasser et trouver de meilleures façons d'atteindre leurs objectifs premiers.
Si je peux revenir à une de mes remarques précédentes, la réalité de l'arrêt Stinchcombe a modifié le contexte dans lequel les enquêtes préliminaires sont menées. Je pense qu'il faut en prendre conscience et dire au système qu'il doit trouver de meilleures façons d'atteindre ces objectifs.
Au sujet des éléments de preuve de routine de la police — et il se pourrait bien que je sois la voix dissidente dans tout ce débat —, si vous vous promenez dans les tribunaux provinciaux sans être praticien en droit pénal, vous aurez l'impression qu'on consacre beaucoup de temps à des riens, à des choses auxquelles les gens ne devraient pas consacrer de temps. Les contribuables qui le font diront: « J'ai été appelé à faire partie d'un jury et je me suis promené dans la salle d'audience. Qu'est-ce qui s'y passait? » Il faut s'occuper du problème. J'appuie la proposition visant à recenser les catégories de preuves qui ne nécessitent pas de contre-interrogatoire de plein droit. On peut faire confiance aux juges pour déterminer quand une demande ne nécessite pas de contre-interrogatoire.
Mais ce qui est plus important encore, c'est une occasion d'apprendre. Si nous le faisons, nous pourrons apprendre comment faire la différence entre les preuves qui nécessitent une approche conventionnelle et celles qui n'en nécessitent pas.
Je vais dire deux choses au sujet des récusations péremptoires. Premièrement, je m'inquiète de l'effet des vases communicants. Si on abolit les récusations péremptoires, les récusations motivées gagneront en popularité ailleurs. L'expérience a été tentée dans d'autres systèmes. On sait que les récusations motivées peuvent bondir de façon astronomique, car c'est ce qui s'est produit dans certains États aux États-Unis. Elles peuvent entraîner une perte d'efficacité et des délais importants, et je pense que c'est une préoccupation tout à fait légitime.
Je me permets de faire une observation que vous n'avez sans doute pas encore entendue. Elle concerne le système de jurés que nous avons au Canada. Nous avons fait de l'étude du système de jurés une infraction criminelle, car les jurés ne sont pas autorisés à parler des délibérations du jury. Aux États-Unis, une foule de recherches légitimes sont effectuées sur l'efficacité des jurés — sur leur façon de travailler, sur les éléments positifs et négatifs —, car la recherche est autorisée. Au Canada, l'article 649 du Code criminel ne l'autorise pas.
Des voix réclament de temps à autre qu'on nuance la question, et je suggère fortement à quiconque a à coeur le système de jurés d'appuyer une modification visant à nuancer l'interdiction afin de permettre que des recherches légitimes soient effectuées sur le système de jurés au Canada. La proposition erre dans les corridors et, à mon humble avis, quelqu'un devrait s'en emparer pour la dépoussiérer et l'inclure dans le débat.
J'ai aussi une observation à faire sur les infractions administratives. J'ai examiné la question en Colombie-Britannique, et je dirais que l'augmentation astronomique des infractions administratives justifie qu'on les traite de façon différente. La question de savoir comment les traiter suscite beaucoup de débats, mais j'espère qu'après un examen minutieux, on aura un point de vue différent sur les conditions de remise en liberté et la façon de les superviser.
Mon dernier point n'est pas d'ordre législatif, mais une observation à propos d'une question cruciale au succès de tout ensemble de propositions. Si les ressources consenties sont réparties de manière inéquitable entre les juges, la Couronne et les agents de police, et qu'on n'accorde pas de ressources suffisantes aux avocats de la défense grâce à des programmes d'aide juridique, les propositions vont échouer. Je peux vous le garantir. L'aide juridique est encore l'enfant pauvre dans ces débats et discussions, et à mon humble avis, elle peut être une source de partenariats efficaces pour accroître l'efficacité de notre système.
Merci.
Merci beaucoup.
Vos exposés ont tous été excellents. Quand on enchaîne les exposés, il est parfois difficile de demeurer concentrés, mais vous avez réussi à garder notre attention. C'est fantastique.
Nous passons maintenant aux questions. Nous allons commencer par M. Cooper, qui sera certainement divertissant.
Merci, monsieur le président.
Je vais poser mes questions à Mme Hassan ou à Mme Leamon.
Tout d'abord, il n'y a pas de preuve empirique qui indique qu'en limitant les enquêtes préliminaires, on fera gagner du temps aux tribunaux et on réduira l'arriéré. Les preuves sont, au mieux, anecdotiques. Dans la mesure, toutefois, où il y aura un gain quelconque d'efficacité, le projet de loi C-75 maintient quand même les enquêtes préliminaires — Dieu merci — pour les causes impliquant une peine maximale d'emprisonnement à perpétuité. Il me semble donc que les enquêtes préliminaires qui prennent le plus de temps portent sur les infractions les plus graves, comme le meurtre.
Cela ne prouve-t-il pas encore une fois que la mesure ne fera en rien gagner du temps aux tribunaux? Nous connaissons les statistiques qui révèlent que 86 % des affaires se règlent à l'issue de l'enquête préliminaire.
Je trouve très intéressant que vous souligniez que le processus d'enquête préliminaire demeurera accessible à ceux qui sont accusés d'une infraction passible de la peine maximale, soit l'emprisonnement à perpétuité. Ce faisant, on appuie implicitement l'importance des enquêtes préliminaires. On dit qu'une personne y a droit uniquement si elle a commis l'infraction la plus horrible possible. En tant qu'avocate criminaliste de la défense, cela n'a pas vraiment de sens.
Je peux vous dire que les enquêtes préliminaires sont très utiles lorsqu'une personne est accusée de nombreuses infractions différentes et que la même information se rapporte à de nombreux actes criminels, ou quand de nombreuses parties sont impliquées. Je pense beaucoup à mes clients qui sont accusés, par exemple, de trafic de drogues et de complot. Dans ce genre de situations, elles sont très utiles, car on réussit à réduire le nombre de personnes accusées après seulement un ou deux jours d'enquêtes préliminaires, et certaines personnes sont éliminées. On réduit ainsi de beaucoup les ressources nécessaires et le temps du tribunal.
Je ne sais pas si Mme Hassan a quelque chose à ajouter.
J'ajouterais seulement, pour revenir à ce que j'ai déjà dit, qu'on ne peut pas sacrifier les droits des gens et les protections procédurales dans le but de gagner du temps. On ne parle pas d'un restaurant-minute. On parle du système de justice. N'oublions pas cela au moment de prendre des décisions.
Oui, j'en conviens. À bien des égards, il semble quelque peu illogique de limiter la mesure aux peines maximales d'emprisonnement à perpétuité.
Madame Leamon, vous avez parlé du trafic de stupéfiants, une infraction qui, à ce qu'il me semble, n'est pas passible d'une peine d'emprisonnement à perpétuité en vertu du Code criminel, alors qu'une infraction comme le vol l'est. Certains genres de vols peuvent donner lieu à des peines d'emprisonnement à perpétuité, mais même si les types de peines imposées dans des affaires de vol ou de trafic de stupéfiants seraient de la même portée, une infraction donnerait droit à une enquête préliminaire et l'autre pas.
Absolument. Voilà qui crée des situations vraiment illogiques. Par exemple, la personne commettant une tentative d'entrée par infraction ne peut se prévaloir d'une enquête préliminaire, alors que celle qui y parvient peut en obtenir une. La personne accusée de conduite avec les facultés affaiblies causant des lésions corporelles, et qui s'expose ainsi à des peines d'incarcération extrêmement longues et punitives, n'aurait pas droit à une enquête préliminaire, alors que celle qui a causé un décès en conduisant avec les facultés affaiblies y aurait droit. Ce genre de disparité me semble des plus bizarres. Je ne pense pas qu'il existe de preuve ou de fondement logique justifiant pareille mesure.
En effet. M. Cowper a fait référence à l'affaire Stinchcombe , mais vous avez tous les deux fait observer que les enquêtes préliminaires sont utiles dans bien d'autres cas.
Madame Hassan, vous avez parlé de la différence entre la divulgation et la divulgation systématique, mais les enquêtes préliminaires servent notamment à découvrir certains faits. Peut-être pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet.
C'est effectivement le cas, et je pense que c'est là une facette très importante de l'affaire pour les accusés non représentés. Par exemple, j'ai pris part à un très long procès pour fraude au cours duquel une enquête préliminaire a eu lieu. Un certain nombre de coaccusés n'étaient pas représentés. Ces personnes ont pu prendre connaissance de la preuve réunie contre eux. J'ignore qui d'autre est avocat de la défense ici, mais dans les affaires de fraude, il y a des boîtes et des boîtes de preuves, et il est impossible d'y venir à bout, parfois même pour les avocats de la défense. Cela permet toutefois de découvrir des renseignements et je pense que c'est certainement un aspect très important de la question. Peut-être pourrions-nous renforcer cette mesure en augmentant le pouvoir des juges qui président les enquêtes préliminaires.
Merci, monsieur le président. Je voudrais aussi réserver quelques minutes pour mon collègue, M. Virani.
Merci.
Madame Hassan, je m'intéresse beaucoup aux conférences préparatoires à la sortie. Je vais d'abord jouer la carte de celui qui n'est pas avocat. Je ne sais pas vraiment en quoi tiennent ces rencontres.
Les juges qui président ces conférences sont-ils les mêmes qui instruisent les procès eux-mêmes?
Non. Les audiences préliminaires ont lieu devant la Cour de justice de l'Ontario, et une fois que l'accusé est cité à procès, l'affaire est renvoyée à la Cour supérieure de l'Ontario, où les procès se déroulent.
Je craignais que si un juge opine lors d'une conférence préparatoire, il ne se montre partial s'il est saisi de l'affaire ultérieurement.
D'accord. Vous avez aussi indiqué que ces conférences préparatoires devraient être obligatoires et être suivies d'une réponse écrite du juge. Combien de temps cette tâche exigerait-elle des juges?
J'ai déjà participé à des conférences préparatoires à la sortie. J'ai expliqué ce qu'il en est dans mon mémoire. Après l'audience préliminaire, le juge fait part verbalement des faiblesses et des forces du dossier à la défense et à la Couronne, sans nécessairement devoir procéder par écrit. Ce ne sont pas tous les juges qui le font, et pas tous les avocats de la Couronne ou de la défense exigeront qu'ils le fassent. La Couronne et la défense devraient s'entendre pour le demander à l'étape de la conférence préparatoire. Cette procédure est informelle, mais extrêmement utile. J'ai certainement constaté que c'était le cas dans plus d'une affaire; je pense donc que si c'était fait systématiquement, cela donnerait à la défense et la Couronne quelque chose à soupeser sérieusement lorsqu'elles décident de s'adresser aux instances supérieures ou non, car un juge qui n'est pas celui qui instruira le procès leur fait part des faiblesses et des forces du dossier.
Merci.
Vous avez en outre proposé que les juges qui président les audiences préliminaires qui n'ont pas le pouvoir d'évaluer la preuve devraient être autorisés à le faire.
Je me demandais quelles seraient les conséquences de cette démarche lors du procès préliminaire. Est-ce que cela rallongerait ou simplifierait le processus? La démarche favoriserait-elle la justice en général? La décision du juge d'avant-procès serait-elle applicable au procès proprement dit? Si le juge d'avant-procès indique que certaines preuves sont irrecevables, cela serait-il contraignant pour le juge d'instance?
C'est ce que j'ai indiqué. Si le gouvernement craint que l'audience préliminaire ne serve qu'aux fins de découverte, alors accordons aux juges le pouvoir d'en faire plus. Je vous donnerai un exemple pratique. Je pense l'avoir déjà fait.
Parlons d'une preuve comme une déclaration obtenue en violation des droits de l'accusé. Si les juges étaient autorisés à s'occuper de cela lors de l'audience préliminaire, théoriquement, ils indiqueraient que la Charte a été violée et que la déclaration est irrecevable. Voilà qui réglerait la question: il n'y aurait plus de déclaration. La Couronne devrait alors aller de l'avant sans déclaration ou, dans les cas où la seule preuve a été obtenue en violation des droits prévus par la Charte, l'affaire s'arrêterait là parce qu'il n'y aurait plus de preuve. Elle ne se rendrait donc pas à l'instance supérieure et n'exigerait plus de temps, alors que c'est exactement ce qu'il se passera si on saisit l'instance supérieure de cette affaire d'application de la Charte.
Si l'affaire se rendait jusqu'à l'instance supérieure, le juge ne pourrait-il pas dire que la preuve exclue lors du procès préliminaire devrait faire partie du procès et demander si elle pourrait être présentée de nouveau? Pareille chose pourrait-elle se produire?
Cela dépendrait du libellé de la loi, mais ce que je propose, c'est que le juge chargé de l'audience préliminaire soit doté de ce pouvoir et que sa décision soit irréversible. La Couronne ne pourrait alors pas s'adresser à l'instance supérieure, car cela irait à l'encontre du but poursuivi en examinant l'affaire lors de l'audience préliminaire.
Merci, monsieur le président.
Je tiens tout d'abord à souhaiter très rapidement la bienvenue à M. Cowper. J'ai moi-même déjà été avocat pour Fasken.
Mesdames Hassan et Leamon, je vous poserai quelques questions.
Je prends acte de vos observations. Nous avons entendu bien des opinions, parfois contradictoires, au cours des trois jours que nous avons passés jusqu'à présent à cette étude, lesquels nous ont semblé comme trois mois. Cependant, votre remarque sur le fait que notre pays est une démocratie constitutionnelle et que nous voulons assurer l'application régulière de la loi est, bien sûr, comprise.
Vous avez fait remarquer que la justice n'est pas un établissement de restauration rapide. Ce n'est pas non plus un banquet offrant huit services, n'est-ce pas? Je pense que le droit de subir un procès dans un délai raisonnable est, comme nous le savons tous dans cette salle, protégé par la Charte. L'arrêt Jordan vise à assurer le respect de ce droit. Nous tentons de trouver un juste équilibre.
Je prends acte de vos remarques sur les enquêtes préliminaires.
J'ai deux questions. Vous avez indiqué que ces enquêtes servent à faire des découvertes instructives, particulièrement pour les accusés non représentés, mais qu'en est-il des répercussions traumatisantes qu'elles peuvent avoir, particulièrement dans les affaires d'infractions d'ordre sexuel?
J'aimerais aussi savoir si vous avez quelque chose à dire sur certains propos que nous avons entendus sur l'inversion du fardeau de la preuve relativement à la mise en liberté et sur les répercussions de cette procédure sur les femmes, particulièrement les Autochtones?
En ce qui concerne votre première question sur... Je veux d'abord répondre à ce que vous avez dit sur le fait que la justice n'est pas un établissement de restauration rapide ou un banquet. Il faut tenir compte du fait que l'arrêt Jordan prend en compte l'audience préliminaire. Quand la Cour suprême nous a accordé 30 mois, c'est la limite. Cette dernière prend en compte l'audience préliminaire. En enlevant l'audience préliminaire, j'ai l'impression que le délai en sera raccourci d'autant. On ne commencera donc pas immédiatement à 30 mois.
Pour ce qui est de l'effet sur les plaignants, il s'agit ici encore de trouver un juste équilibre, mais je pense que nous devons garder à l'esprit le fait que quand une personne est accusée, il ne s'agit que d'allégations et elle est innocente jusqu'à preuve du contraire. Selon moi, le plaignant n'est pas une victime jusqu'à ce que la culpabilité de l'accusé soit prouvée en cour.
C'est une question d'équilibre, et je suppose qu'il revient au gouvernement de décider ce qui est le plus important. Je ferais toutefois respectueusement remarquer que je pense qu'il est extrêmement important de se rappeler que lorsqu'une personne est accusée d'avoir commis une infraction, ce ne sont que des allégations. Nous ignorons si elle est coupable, sinon, nous n'aurons évidemment pas besoin du système judiciaire.
Nous devons trouver un juste équilibre entre les droits de chacun.
J'aimerais en dire davantage à ce sujet.
Je me préoccupe fort des répercussions de cette modification sur les personnes accusées d'infractions d'ordre sexuel au pays. Mes préoccupations sont accentuées par le projet de loi C-51, dont j'ai traité devant le Comité il y a peut-être quelques mois, même si cela me semble bien loin. Quoi qu'il en soit, ce projet de loi limite considérablement la capacité de l'accusé de se défendre efficacement et de répondre aux accusations de crime de nature sexuelle dont il fait l'objet.
Les crimes de nature sexuelle sont ceux qui, parmi ceux dont on peut être accusé, stigmatisent le plus. Si le gouvernement adopte le projet de loi C-51 dans sa forme actuelle, ainsi que la modification que le projet de loi C-75 apporte au chapitre des enquêtes préliminaires, les seules personnes accusées d'une infraction d'ordre sexuel qui pourront se prévaloir d'une telle enquête sont celles qui ont commis une agression sexuelle grave ou ayant causé des lésions corporelles. Voilà ce qui me préoccupe fortement.
Je peux vous dire que lorsque j'agis à titre d'avocate de la défense, la grande majorité des fois où j'utilise le processus d'enquête préliminaire, c'est dans des affaires de crimes de nature sexuelle, car ce processus est extrêmement utile aux fins d'enquête ou de découverte. Comme M. Cooper l'a fait remarquer, 87 % des affaires se résolvent après le processus d'enquête préliminaire. Dans la grande majorité des cas, cela évite au plaignant de témoigner et d'être traumatisé de nouveau.
Avez-vous brièvement quelque chose à dire sur l'inversion du fardeau de la preuve dont nous avons entendu parler au sujet de la mise en liberté?
En fait, je suis favorable aux dispositions du projet de loi C-75 en ce qui concerne la mise en liberté. Quand vient le temps d'inverser le fardeau de la preuve en cas d'allégations de violence conjugale, ce à quoi vous faites référence, je ne suis évidemment pas en faveur d'une telle inversion à titre d'avocate de la défense spécialisée en droit criminel. C'est à la Couronne que devraient revenir de prouver les motifs de détention.
Oui, je pense que cette inversion pourrait... Je n'ai jamais sérieusement réfléchi aux répercussions que cette procédure pourrait avoir sur les femmes ou les personnes marginalisées qui font l'objet d'accusations, mais je pense qu'elle aurait des conséquences néfastes sur la communauté LGBTQ2 et les gens qui n'ont pas de relations hétérosexuelles. Si on inverse subitement le fardeau de la preuve et les oblige à montrer pourquoi ils devraient être libérés, ils pourraient être plus souvent détenus. Voilà qui pourrait être très problématique.
Merci.
Merci à tous.
Je ne veux pas être accusé d'avoir un parti pris contre Toronto; je m'adresserai donc à M. Gover. Je suis enchanté de vous voir, monsieur Gover.
Je crois comprendre que vous et l'Advocates' Society êtes en faveur des récusations péremptoires. Vous avez indiqué que si nous voulons apporter des changements à cet égard, nous devons effectuer d'autres études et de plus amples consultations. Vous avez également proposé que nous examinions la procédure mise en oeuvre aux États-Unis dans l'affaire Batson c. Kentucky, laquelle permet de régler la question de la discrimination. Comment cela fonctionnerait-il? Y aurait-il plus de récusations motivées?
M. Cowper a dit que si nous procédons à la réforme, cela aurait pour effet de causer davantage de délais, parce qu'il y a plus de récusations motivées. Pourriez-vous nous expliquer comment cela fonctionnerait? Certains témoins nous ont affirmé que nous devrions accorder aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire de se pencher sur la représentativité — si tel est le mot — du jury et de décider si elle est équitable. C'est ce que nous avons entendu de la part d'autres témoins. Comment procéderiez-vous?
Nous procéderons juré par juré aux fins de récusation péremptoire, et c'est quand la partie qui a soulevé une objection, que ce soit la Couronne ou la défense, considère que le jury n'est plus représentatif que l'utilisation discriminatoire sous-tend l'exercice de la récusation péremptoire. C'est en pareil cas que nous appliquerons cette procédure.
Je ne pense pas que cela accaparerait beaucoup de temps lors du choix du jury, monsieur Rankin. D'après mon expérience, c'est le genre de démarche qui prendrait quelque chose comme 5 à 10 minutes à un juge pour déterminer d'entrée de jeu s'il y a une preuve prima facie ou une première impression d'utilisation discriminatoire.
Dans l'ensemble, je pense que cela permettra d'économiser du temps en raison des arguments soulevés par M. Cowper.
Ayant parlé de la question à des collègues américains, je pense qu'il pourrait être utile de savoir que la procédure Batson rallonge rarement le processus, alors que les récusations motivées peuvent engendrer des semaines et des semaines de retard aux États-Unis. J'ai parlé à quelqu'un qui m'a indiqué que des questionnaires avaient été distribués à 1 200 personnes l'an dernier à Seattle pour former un seul jury. Sur le plan des risques, donc, les récusations motivées risquent davantage de provoquer des retards que la procédure Batson.
Monsieur Cowper, je tiens à dire, aux fins du compte rendu, que je vous suis très reconnaissant du travail que vous avez accompli relativement au système de justice pénale du XXIe siècle, de tous les services que vous avez rendus à la profession et du rôle de chef de file que vous avez joué dans le domaine de l'aide juridique. Je vous en remercie.
Je veux aussi vous donner espoir en vous indiquant que le Comité a réalisé des études et recommandé que l'article 649 du Code criminel soit modifié. Vous voudrez savoir pourquoi. C'est pour permettre aux jurés d'obtenir des services de counselling dans les rares occasions où ils sont traumatisés en accomplissant leur devoir. Si nous modifiions cet article, je pense que vous considéreriez que cela ouvrirait la porte à la tenue d'un plus grand nombre d'études universitaires sur les jurés dans certaines conditions. Je vous remercie de nous avoir aidés à établir certains liens.
Madame Hassan, je veux vous dire, si je le puis, à quel point j'ai trouvé percutante votre remarque sur l'efficacité brutale de certains régimes en comparaison des droits constitutionnels prévus par la Charte et la common law. Vous nous avez donné, alors que nous restons assis ici pendant des heures à effectuer nos études, une idée de l'importance de notre travail. Je vous remercie de ce rappel.
Je vous remercie également d'avoir fait quelque chose que je n'ai pas vu d'autres témoins faire, c'est-à-dire parler de l'importance des enquêtes préliminaires pour ce que vous avez qualifié de groupes marginalisés, comme les gens qui éprouvent des problèmes de santé mentale et de dépendance, ainsi que les pauvres. Vous nous avez présenté un argument très puissant en parlant des personnes non représentées à qui on remet des boîtes ou des versions électroniques de documents et qui se font dire de se débrouiller avec cela.
Vous avez également parlé des personnes qui ont souvent besoin des services d'enquêteurs privés et demandé comment un pauvre pourrait obtenir ces services dans l'état où se trouve l'aide juridique. Ce sont des arguments très importants, et je tiens à vous remercier de nous les avoir présentés.
Aux paragraphes 31 et 32 de vos recommandations, toutefois, vous expliquez précisément comment nous pourrions élargir le pouvoir des juges présidant une enquête préliminaire. Vous en avez parlé avec notre collègue. Vous avez proposé d'encadrer davantage la divulgation, de conférer au juge un pouvoir discrétionnaire accru lors des enquêtes préliminaires et fait intriguant, de laisser les tribunaux s'occuper des questions relatives à la Charte pour éviter la tenue d'un procès subséquent où on devrait reprendre toutes les procédures et où la preuve qui avait été jugée irrecevable ferait subitement avorter le procès. À l'évidence, cela nous permettra d'économiser beaucoup de temps.
Suffirait-il de modifier les dispositions relatives à l'enquête préliminaire pour faire ces deux choses? Avez-vous une idée de la manière dont nous pourrions concrétiser vos propositions?
Je pensais laisser cela à la discrétion du gouvernement, mais je suggérerais simplement de modifier le projet de loi de façon à élargir le pouvoir des juges pour leur permettre de faire les choses que j'ai recommandées: contraindre la Couronne à divulguer les éléments de preuve, entendre les demandes fondées sur la Charte et faire les conférences préparatoires à la sortie. Je vous laisse le soin d'établir le libellé.
Très bien, merci.
J'aimerais prendre un instant pour remercier Mme Leamon. Je suis ravi de vous revoir. Merci d'être ici.
Je vais vous poser une autre question sur un sujet que vous n'avez pas abordé: selon vous, pourrions-nous réduire considérablement les délais judiciaires en prenant des mesures à l'égard des peines minimales obligatoires? De telles mesures seraient-elles efficaces, peut-être même plus que les enquêtes préliminaires? Qu'en pensez-vous?
Oui, absolument, selon moi. Je sais que la grande majorité de mes clients qui encourent une peine minimale obligatoire ont davantage tendance à vouloir subir un procès qu'à faire un plaidoyer précoce, car la peine minimale les décourage de faire un plaidoyer. Oui, éliminer les peines minimales obligatoires ou réduire considérablement le nombre de peines minimales obligatoires aurait une incidence réelle sur les délais.
Selon un de nos témoins, il s'agit du gros problème dont personne n'ose parler dans ce projet de réforme: on veut gagner du temps, mais le projet de loi ne mentionne même pas les peines minimales obligatoires.
Enfin, à la page 8, vous proposez brièvement 10 pratiques et techniques de rechange pour la gestion des procès. Je sais que vous n'aurez pas le temps de toutes nous les présenter, mais je recommande au Comité de les examiner. Ce sont des suggestions très pratiques qui pourraient avoir une incidence énorme si vous prenez les délais au sérieux. Je n'en dirai pas plus. Merci de les avoir organisées aussi succinctement.
Merci.
Je dirai, très rapidement, que mes recommandations sont fondées sur mon expérience d'avocate criminaliste travaillant dans les tribunaux. Ces propositions réduiraient grandement les délais.
Merci beaucoup à toutes et à tous d'être ici aujourd'hui. J'ai trouvé vos exposés très intéressants. Je suis heureux que vous ayez aussi soumis des mémoires.
Madame Leamon, j'aimerais m'adresser d'abord à vous.
Vous avez dit qu'en réalité, les enquêtes préliminaires allongent le traitement des affaires. Évidemment, il faut fixer une date pour l'enquête préliminaire, et le procès a lieu après. C'est vrai que cela prolonge le processus; je comprends donc ce que vous voulez dire.
Vous avez aussi déclaré qu'on n'y a pas souvent recours et qu'elles ne contribuent donc pas beaucoup au problème des longs délais. Les données que vous avez analysées à ce sujet incluent-elles les cas dans lesquels une enquête préliminaire était prévue, mais où l'on y a renoncé, ou s'agit-il des enquêtes préliminaires qui ont bel et bien lieu?
D'après ce que j'ai compris, ce sont les enquêtes préliminaires qui ont bel et bien lieu, mais il faudrait que je vérifie les ressources documentaires pour répondre avec certitude.
D'accord.
Souvent, on fixe la date de l'enquête préliminaire. Évidemment, entretemps, la défense monte son dossier, et lorsqu'arrive la date de l'enquête, qui est parfois un an plus tard ou du moins plusieurs mois plus tard, on peut avoir décidé de procéder autrement, ou il peut y avoir eu des discussions avec la Couronne. On choisit parfois la voie de l'enquête préliminaire, puis, dans l'intervalle, d'autres décisions sont prises. Si l'on renonce à une enquête préliminaire, cela ne compte pas comme un cas dans lequel on n'y a pas eu recours, et le recours à l'enquête aura en fait prolongé le règlement de l'affaire en question.
Voyez-vous ce que je veux dire?
Oui.
Bien sûr, nous n'y pouvons rien. Les instructions de nos clients changent parfois avec le temps, parce que leurs circonstances changent ou pour d'autres raisons. Une personne qui, au départ, voulait aller de l'avant avec l'enquête préliminaire ou le procès peut changer d'idée six mois ou un an plus tard et déclarer qu'elle veut simplement inscrire un plaidoyer ou procéder autrement.
Je peux vous dire que lorsqu'on décide d'avoir recours à une enquête préliminaire, la décision est prise après que nous avons eu l'occasion de discuter et de négocier avec la Couronne, et que ces négociations ont échoué. Je pense qu'au moins deux des trois enquêtes préliminaires que j'ai à venir, c'est-à-dire la majorité d'entre elles, ont été demandées par la Couronne. Ce n'est pas toujours la défense qui les demande; c'est aussi souvent la Couronne, car c'est avantageux pour les deux parties.
Évidemment, monsieur Cowper, après l'affaire Stinchcombe, la raison principale de la tenue d'une enquête préliminaire n'est pas aussi évidente qu'elle l'était auparavant pour ce qui concerne le processus de divulgation.
Je sais, madame Hassan, que vous avez dit que c'était utile pour la divulgation.
Monsieur Cowper, vous avez déclaré qu'il existe d'autres moyens de faire les choses, à l'extérieur du cadre officiel d'un tribunal. D'après vous, la divulgation fait-elle partie des choses qui pourraient être faites ailleurs que dans le contexte d'une enquête préliminaire? Y aurait-il d'autres voies à suivre si les enquêtes préliminaires étaient utilisées moins souvent qu'elles le sont actuellement?
Je pense le contraire de certains de mes collègues ici présents. À mon avis, il serait dangereux de donner plus d'autorité et un plus grand pouvoir décisionnel aux juges qui président les enquêtes préliminaires. En ce moment, ils renvoient l'affaire au tribunal. Leur seule tâche est de déterminer s'il y a suffisamment d'éléments de preuve pour qu'il y ait procès.
En prenant des éléments du procès et en les incluant dans la première étape, en réalité, vous créez deux procès, qui auront lieu l'un après l'autre. À mes yeux, c'est un changement dangereux qui devrait être examiné avec circonspection.
J'ajouterais aussi — et c'est une question de culture — qu'avant, tout tournait autour des enquêtes préliminaires. Aujourd'hui, les enquêtes préliminaires ont perdu beaucoup de terrain. Franchement, elles sont en train de mourir d'une mort naturelle. Ce que nous devons faire, c'est tenter de trouver comment utiliser les outils actuels pour atteindre les objectifs qui, auparavant, pouvaient seulement être atteints au moyen des enquêtes préliminaires. À mon avis, il faut se concentrer sur la relation entre la Couronne et la défense, et non sur les juges et les décisions prises par les juges de première instance avant le procès plutôt que pendant le procès. Nous devons nous défaire de l'approche rigide et théorique du processus pénal. Cela comprend la divulgation et les décisions préliminaires, qui, selon moi, doivent être prises par le juge de première instance et non par d'autres fonctionnaires judiciaires.
Merci beaucoup pour votre réponse.
J'aimerais m'adresser brièvement aux représentants de l'Advocates' Society. Vous avez parlé, durant votre exposé, des éléments de preuve de routine. De façon générale, je sais que vous avez de grandes préoccupations par rapport à cette partie du projet de loi.
D'après vous, en permettant qu'un élément de preuve de routine soit reçu en preuve au moyen d'un affidavit sans droit automatique au contre-interrogatoire, réduirons-nous ou prolongerons-nous les délais judiciaires?
S'il était strictement question d'efficacité et si nous ne nous souciions pas de la défense pleine et entière, évidemment, la réponse serait que nous réduirions les délais, mais ce que nous disons, c'est qu'il y a une préoccupation plus vaste, soit la défense pleine et entière.
Dans de pareilles affaires, pour les raisons que j'ai présentées plus tôt, les risques de violation des droits constitutionnels sont tout simplement trop grands. L'article 7 de la Charte garantit le droit à la justice fondamentale. D'après mon expérience, il est rare qu'un avocat de la défense procède machinalement et qu'il conteste systématiquement la continuité des éléments de preuve et autres. C'est rare parce qu'il existe beaucoup d'autres façons de créer la culture dont M. Cowper parle.
D'après moi, rendre recevables les éléments de preuve de routine n'est pas la solution, et les rendre recevables de cette façon posera problème. Il y aura inévitablement des contestations constitutionnelles et une plus grande incertitude, deux choses qui sont à éviter dans la gestion du système de justice pénale.
Merci beaucoup.
La journée a été longue; les trois dernières journées l'ont été. C'était la fin de la série de questions.
M. Doherty a demandé la permission de poser une question brève. Ce sera la dernière question.
Vous avez droit à une question brève, monsieur Doherty.
Excellent.
J'aimerais remercier les membres du Comité et les invités. Je n'ai pas écouté des heures et des heures de témoignages. C'est seulement...
Honnêtement, j'ai seulement pris des légumes et de l'eau.
Je tiens à remercier les témoins pour leurs témoignages très enrichissants.
J'ai une question pour Mme Leamon. Nous entendons souvent parler des postes de juge vacants et des défis connexes. Je suis ici depuis une heure, et ce sujet n'a pas été soulevé une seule fois. Pourtant, les médias, bien sûr, parlent continuellement des affaires qui sont annulées.
Vous mentionnez dans votre mémoire qu'une bonne façon de réduire les délais judiciaires serait de doter rapidement les postes de juge vacants. Comme vous le savez, c'est un grave problème que pose le gouvernement actuel. Malgré la pression de la population et malgré la mise en liberté d'auteurs de crimes graves, il reste plus de 30 postes de juge vacants.
Pouvez-vous nous parler des expériences que vous avez vécues par rapport au manque de juges?
Je dois déclarer la question irrecevable. Je suis désolé, mais elle n'a rien à voir avec le projet de loi C-75.
Cela fera partie du projet de loi C-75 une fois que le projet de loi C-75...
Monsieur Doherty, c'était la fin de la série de questions. Il n'y avait plus de questions. Je vous ai donné le droit de poser une question de courtoisie parce que je reconnais, comme je le fais habituellement, que nous devons toujours nous montrer accommodants envers les invités. La question n'est pas liée au projet de loi. C'est une tentative de marquer des points politiques.
Je ne veux pas aller trop loin. Si vous voulez reformuler votre question pour établir un lien avec le projet de loi C-75, je vous permets de le faire.
Madame Leamon, on vous a demandé de témoigner et de proposer des manières de réduire les délais judiciaires. Je ne suis pas avocat, comme d'autres ici aujourd'hui, mais j'ai lu votre mémoire, et l'une des suggestions que vous y faites est de doter rapidement les postes de juge vacants.
Pouvez-vous nous parler des expériences que vous avez vécues par rapport au manque de juges?
Oui. Je peux vous dire que le problème se pose surtout dans les collectivités éloignées, donc en travaillant à Vancouver et dans la vallée du bas Fraser...
... et à d'autres endroits partout dans le Nord de la Colombie-Britannique.
Il y a des endroits comme Fort McMurray, par exemple...
... ma ville natale. Je travaille là aussi. Il y a deux juges dans toute la ville, donc si l'un d'eux est malade et l'autre attrape un rhume...
Oui, toutes sortes de problèmes surviennent; c'est donc important que nous disposions des ressources nécessaires. Je tiens aussi à souligner qu'il est tout aussi important de financer l'aide juridique que de pourvoir les postes de juge vacants. Il faut adopter une approche en plusieurs volets, et cet élément n'en est qu'un parmi tant d'autres.
Merci.
Chers collègues, je le répète, la journée a été longue. Je vous remercie pour votre patience.
Je remercie aussi nos témoins.
Aux représentants de l'Advocates' Society, merci d'avoir témoigné depuis Toronto. Nous vous en sommes très reconnaissants.
À vous trois, merci beaucoup.
La séance est levée.
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