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Merci, monsieur le président, et merci aux membres du Comité de me permettre de comparaître devant vous aujourd'hui.
Comme le président l'a indiqué, j'étais l'avocat principal dans l'affaire Carter. C'est pourquoi je crois que je connais probablement mieux que quiconque ce dont il est question et ce que cette affaire représente, étant donné que j'ai participé à préparer ce dossier. Préparer le dossier, cela veut dire que nous avons déterminé de quoi il allait être question, comment nous allions plaider, comment le gouvernement pourrait réagir à nos plaidoyers, les éléments de preuve que nous allions présenter, les arguments que nous allions invoquer et les observations que nous allions présenter.
Je puis vous dire, en me fondant sur tout cela, et j'en parlerai davantage si le temps me le permet, que la définition de « grave et irrémédiable » donnée dans le projet de loi est clairement en contradiction avec l'arrêt Carter, et que de mon point de vue, un point de vue incontestable, elle est clairement inconstitutionnelle; j'ajoute que, si le projet de loi était adopté, il sera annulé.
Je vous dis cela, mais ce n'est pas seulement parce que j'ai participé en tant qu'avocat principal à l'affaire Carter. Je conteste des dispositions en vertu de la Charte depuis sa création même — il y a 34 ans —, et j'ai probablement plus d'expérience à ce chapitre que n'importe quel autre autre avocat en pratique privée du Canada, et j'ai d'ailleurs eu quelques succès notables. Alors, lorsque je dis que ce projet de loi, si on y laisse la définition de « grave et irrémédiable », est à mon avis inconstitutionnel, je le dis en fait avec une grande certitude.
En fait, j'aimerais parler de deux enjeux pendant le temps qui m'est imparti. Le premier vise à savoir s'il y a quoi que ce soit, dans la décision Carter qui permettrait au Parlement d'adopter le projet de loi, dans la mesure où il comprend les expressions « raisonnablement prévisible », dont vous comprenez tous le sens, de même que l'expression « déclin avancé et irréversible » et, puisqu'on y est, « incurable ». J'affirme que rien, dans l'arrêt Carter, ne le permet. En fait, il y a dans l'arrêt Carter bien des choses qui sont incompatibles avec ces expressions.
J'ai distribué un assez long mémoire dans lequel j'explique un grand nombre de ces enjeux plus techniques, et je ne vais pas les répéter pendant le temps dont je dispose. Toutefois, j'ai demandé au greffier de bien vouloir distribuer maintenant un document que j'ai découvert seulement après avoir rédigé le mémoire. Il s'agit d'une transcription d'une séance de la Cour suprême du Canada qui a eu lieu tout juste en janvier dernier, au moment où le gouvernement fédéral demandait une prolongation de six mois pour donner au Parlement plus de temps pour mettre la loi en oeuvre.
Vous devriez l'avoir reçu; le document concerne une affaire dont a été saisie la Cour suprême du Canada, Lee Carter c. Procureur général du Canada. L'extrait concerne un échange entre la juge Karakatsanis et Rob Frater, avocat du gouvernement fédéral, de même que le juge Moldaver.
C'est très révélateur, à mon avis. Allez, je vous prie, au bas de la page 18, à la ligne 19, et voici ce que dit la juge Karakatsanis:
Monsieur Frater, puis-je vous poser une question: est-ce que votre position relativement à la loi du Québec signifie que vous êtes d'accord pour dire qu'elle est conforme à l'arrêt Carter? Je pense en particulier au fait qu'il y est question d'une personne en fin de vie, tandis que, dans l'arrêt Carter, nous avons rejeté l'expression « en phase terminale ».
C'est on ne peut plus clair. La Cour suprême du Canada, dans Carter, a rejeté l'exigence selon laquelle la personne devait être en phase terminale. Si vous poursuivez, vous verrez un échange entre le juge Moldaver et M. Frater, où il affirme que la loi du Québec est « sous- inclusive ». Il veut dire par là qu'elle n'allait pas aussi loin que le voulait l'arrêt Carter, ce qui, bien sûr, soulève d'importantes questions touchant la constitutionnalité de la loi du Québec.
Je peux vous expliquer comment nous avons plaidé cette affaire. C'est mon adjoint et moi-même qui avons choisi l'expression « grave et irrémédiable »; ce sont nos mots. Nous avons délibérément écarté le mot « incurable », parce que le mot « incurable » ne reflète pas l'exigence nécessaire. Nous avons choisi les mots « grave et irrémédiable ».
Le gouvernement nous a demandé ce que nous voulions dire par là. Comme vous pouvez le voir dans notre mémoire, nous avons expliqué en détail ce que nous voulions dire par là, et nous n'avons pas parlé de « phase terminale ». Alors, dans son argumentation devant la juge de première instance, l'avocat du gouvernement a dit — et, encore une fois, cela figure dans le mémoire — que le problème, dans la définition donnée par la partie demanderesse de l'expression « grave et irrémédiable » c'est qu'elle ne comprend pas les mots « phase terminale ». La juge de première instance a peut-être utilisé l'expression « phase terminale » 100 fois dans ses motifs, en parlant d'autres régimes, etc., mais elle n'a pas demandé qu'une personne se trouve en phase terminale pour se prévaloir de l'aide médicale à mourir.
Comme je l'ai dit, la Cour suprême du Canada, dans sa décision, dans sa déclaration relative aux personnes qui pouvaient se prévaloir de l'aide médicale à mourir, n'a pas posé pour limite le fait d'être « en phase terminale ». Vous pourriez dire que « raisonnablement prévisible », c'est différent de « en phase terminale ». Eh bien, ce n'est pas différent de la phase terminale; c'est simplement une autre façon de définir la phase terminale. Certains définissent la phase terminale de manière arbitraire, en disant que c'est une période de six mois précédant la fin de la vie. D'autres la définissent de manière vague, en disant « à la fin de la vie », comme dans la loi du Québec.
Ce projet de loi propose une définition semblable, mais les conséquences sont toujours les mêmes. Il impose l'expression « en phase terminale », ce qui est tout simplement contraire à l'arrêt Carter. La raison pour laquelle c'est inconstitutionnel, c'est que, en définissant les personnes qui ont droit à l'aide médicale à mourir, le Parlement exclut un groupe entier de personnes qui, autrement, pourraient se prévaloir des mêmes droits prévus dans la Charte que ce que la Cour suprême du Canada a accordé dans Carter, c'est-à-dire le groupe des personnes qui ont un handicap physique et dont la mort n'est pas raisonnablement prévisible.
Dans les quelques minutes qu'il me reste, j'aimerais vous dire que — et je l'explique en donnant plus de détails dans mon mémoire —, en tant que personne handicapée, j'ai été très sensible et attentif aux arguments présentés par les organismes de défense des droits des personnes handicapées, des organismes dont je soutiens habituellement la cause. Toutefois, quant au sujet qui nous occupe, je crois qu'ils avaient fondamentalement tort, tout simplement parce qu'ils laissaient entendre que toutes les personnes handicapées ne sont pas en réalité handicapées. Vous allez entendre Mme Pothier et M. Baker. S'ils n'utilisent pas l'expression « le modèle social du handicap », je puis vous dire que l'unique postulat qu'ils présentent devant les tribunaux et devant la Cour suprême du Canada consiste à dire que nous ne sommes pas vraiment handicapés; nous avons tout simplement des facultés amoindries, et c'est la société qui nous handicape, puisque nous vivons dans une ville où il faut utiliser des escaliers pour accéder à un immeuble et dans une société où les gens possédant toutes leurs facultés ont leur propre idée de ce que signifie vivre dans la dignité.
Je reconnais qu'il n'existe pas qu'une seule conception de la vie dans la dignité, mais je rejette la notion selon laquelle les gens qui ont un problème de santé grave, peu importe la cause, peuvent subir des souffrances intolérables et peuvent dire qu'ils ne vivent pas dans la dignité, même si la plupart des personnes handicapées surmontent leur handicap et reconnaissent que les choses qu'elles doivent faire pour vivre au quotidien ne sont pas indignes. Le raisonnement qui sous-tend le projet de loi , dans la mesure où il comprend une disposition sur la prévisibilité raisonnable, porte que la plupart des personnes handicapées, dont, dans tous les cas le décès n'est pas prévisible, seraient d'une façon ou d'une autre incapables de prendre une décision éclairée sur l'opportunité de demander de l'aide pour mourir.
J'ai déjà lu — et vous l'entendrez de nouveau — que, si les gens disent cela, c'est parce que le handicap peut être de nature temporaire, transitoire ou situationnelle et que, si vous laissez une personne handicapée choisir de mourir, elle pourrait le regretter plus tard. Essayez de concevoir cela. La juge de première instance a entendu tous ces arguments et les a rejetés. L'idée qu'un handicap puisse être de nature temporaire, transitoire ou situationnelle a été présentée à la Cour suprême du Canada par des groupes de personnes handicapées. La Cour suprême du Canada a rejeté cette idée, et pourtant, le projet de loi prévoit essentiellement que les personnes handicapées seront toutes privées de la protection des droits que la Cour suprême du Canada leur avait octroyés dans l'arrêt Carter. Le Parlement ne peut pas faire cela.
Le Parlement ne peut pas faire cela en prétendant qu'il y a justification en vertu de l'article premier. L'article premier a été débattu en long et en large dans l'affaire Carter. Cet arrêt a créé, en ce qui concerne les droits constitutionnels, un plancher, non pas un plafond. Le Parlement peut conférer des droits supplémentaires, et les tribunaux peuvent conférer des droits supplémentaires, mais le Parlement ne peut supprimer aucun des droits que la Cour suprême du Canada a accordés aux personnes handicapées. Le projet de loi , en fait, retranche de l'arrêt Carter les droits qui avaient été accordés aux personnes handicapées, et il ne peut pas faire cela.
Je vois que mon temps est écoulé. Je suis de toute évidence prêt à répondre à vos questions.
Merci.
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Merci beaucoup. Je suis heureux d'avoir l'occasion d'être ici à Ottawa avec les honorables membres de votre comité pour discuter de cette question très importante pour notre pays.
J'ai déposé mon mémoire, dans lequel j'aborde les trois aspects suivants: le caractère sacré de la vie, les soins palliatifs et la liberté de conscience. J'espère que vous avez eu l'occasion de le lire; j'ai respecté la limite que vous avez imposée de 750 mots.
J'aimerais dire pour commencer qu'à mon avis, il est important de reconnaître deux choses. La première, c'est que je comparais ici à titre d'Autochtone. Je fais partie de la tribu Wolastoqiyik du Nouveau-Brunswick. En anglais, on nous appelle les Maliseet; en français, les Malécites. Selon mes enseignements, ceux de mes Aînés, bien sûr —, la vie est respectée à toutes ses étapes. Je l'ai mentionné dans mon mémoire. Je suis également ici à titre de catholique. Un principe de notre foi catholique veut également que la vie soit respectée à toutes ses étapes.
Comme je devais venir ici, un de mes amis m'a remis une copie d'un texte de loi instituant la Journée du pape Jean Paul II, qui a été promulguée par le Parlement et a reçu la sanction royale le 16 décembre 2014; dans ce texte, le Parlement reconnaît le rôle important qu'a joué Saint Jean Paul II, non seulement dans son pays, mais dans le monde entier également.
J'aimerais m'attarder en particulier sur sa « Prière pour la Vie ». Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, monsieur le président, je vais pendant ce temps tenir à la main ma plume d'aigle.
Ô Marie, aurore du monde nouveau,
Mère des vivants, nous te confions
la cause de la vie: Regarde, ô Mère,
le nombre immense des enfants que l’on
empêche de naître, des pauvres pour qui
la vie est rendue difficile, des hommes et
des femmes victimes d’une violence inhumaine,
des vieillards et des malades tués par l’indifférence ou
par une pitié fallacieuse.
Fais que ceux qui croient en ton Fils
sachent annoncer aux hommes de notre temps,
avec fermeté et amour l’Évangile de la vie.
Obtiens-leur la grâce de l’accueillir
comme un don toujours nouveau, la joie
de le célébrer avec reconnaissance
dans toute leur existence et le courage d’en témoigner
avec une ténacité active, afin de construire,
avec tous les hommes de bonne volonté, la civilisation
de la vérité et de l’amour, à la louange et à la gloire de Dieu
Créateur qui aime la vie.
C'était le 25 mars 1995.
À l'annonce du projet de loi faite par deux ministre, la ministre de la Santé a indiqué qu'une certaine somme d'argent serait investie dans les soins palliatifs. J'aimerais porter à l'attention des honorables membres de votre comité une étude dont le rapport s'intitule Avec dignité et compassion: Soins destinés aux Canadiens vulnérables. L'étude a été menée par un comité parlementaire en 2011. C'est un long rapport, un rapport exhaustif, mais je recommanderais que vos recherchistes, à tout le moins, en prennent connaissance, car il contient une déclaration très ferme touchant l'importance des soins palliatifs et la nécessité de s'assurer que les gouvernements protègent cet aspect. Il suffit de modifier la Loi sur la santé du Canada pour que cela soit possible. Bien des gens placés dans un hospice ou un autre type de centre attendent littéralement l'heure de mourir. Je connais beaucoup de gens, des amis, des parents, des membres de ma famille, qui se sont retrouvés dans cette situation. Il est important que le gouvernement s'assure que la vie des personnes à qui il ne reste plus que quelques jours soit le plus agréable possible.
L'autre aspect qui m'intéresse, c'est la liberté de conscience. Bien sûr, nous savons que c'est un droit fondamental, selon notre Charte.
Je me souviens du débat à ce sujet, dans les années 1980. Remarquez, j'étais de l'autre côté; je défendais les droits des Autochtones, à ce moment-là, dans toutes les régions du pays pour veiller à ce que ce document puisse réellement protéger nos peuples.
Parmi les signataires de la Déclaration universelle des droits de l'homme, il y a une personne du Nouveau-Brunswick, le professeur Humphrey. L'article 18 de ce document dit que « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ». Cette expression est bien sûr reprise dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, encore une fois, à l'article 18.
Non seulement le Canada a reconnu l'existence de ces déclarations en particulier, mais, en tant qu'État, le Canada a également signé ce qu'on appelle le protocole facultatif, qui permet à un citoyen d'un pays donné de remettre en question le pouvoir décisionnel du Parlement et le fait qu'il s'acquitte réellement des obligations qui sont les siennes en vertu des instruments internationaux.
Ma cousine, Sandra Lovelace, a bien sûr été la première à invoquer le protocole facultatif devant les Nations unies, et elle est aujourd'hui sénatrice. Il était question de son identité de femme autochtone qui avait perdu ses droits en raison de son mariage avec un non-Autochtone. Au bout du compte, les Nations unies ont sanctionné le Canada, qui a changé sa loi en 1985.
Si je le dis, c'est peut-être que, quand je regarde ce projet de loi, je me demande si les conseillers du ministère de la Justice l'ont examiné à la lumière de la liberté de conscience — parce qu'il n'en est pas question ici —, et je me demande s'il est vraiment conforme au droit international. Est-il conforme aux instruments des Nations unies? Bien sûr, il y a toutes sortes d'experts au ministère de la Justice. Je pose simplement la question au Comité, monsieur le président, car je crois qu'il ne faudrait pas passer cette question sous silence. Je me souviens que, dans les années 1980, lorsque cette loi a été adoptée, il y avait des gens qui disaient parfois: « bon, bouchez-vous le nez et laissez faire, même si vous n'êtes pas d'accord. »
La conscience est vraiment importante et vraiment essentielle. Si vous obligez quelqu'un à faire quelque chose contre son gré, quelqu'un qui a de véritables croyances, qu'arrivera-t-il à la profession médicale? Qu'arrivera-t-il aux institutions qui existent et ne veulent pas participer au projet que le Parlement s'apprête à adopter? Presque tout le monde dit que c'est inévitable, que ce sera adopté, mais il faut qu'il y ait une raison, et je crois que les parlementaires devraient comprendre que cela exige une étude. Certes, ils disent qu'ils mèneront une étude dans cinq ans, mais il est impossible d'attendre cinq ans. La situation va évoluer.
Voilà ce que j'avais à dire, monsieur le président et honorables membres, car je sais que les trois partis sont représentés ici. Je tiens à vous remercier sincèrement de m'avoir permis de venir vous rencontrer.
J'ai demandé à comparaître parce que, à partir du 31 mai 1991, date de ma nomination comme juge d'un tribunal provincial, jusqu'au mois d'octobre 2014, date de la fin de mon mandat de lieutenant-gouverneur de la province du Nouveau-Brunswick, j'étais pratiquement réduit au silence. Un juge ne peut pas commenter des enjeux publics, et, lorsque vous êtes représentant de Sa Majesté, il vous est définitivement interdit de le faire, alors, au bout du compte, on m'a déchargé de ce fardeau particulier en octobre 2014. Je me suis présenté ici aujourd'hui pour dire qu'il faut témoigner une grande compassion à l'égard des gens qui sont malades, qui souffrent ou qui font face à la mort, mais nous devrions tous également leur rendre la vie agréable au cours de ces dernières étapes.
Merci beaucoup, monsieur le président et merci aux membres du Comité, de m'avoir écouté. Je vous souhaite ce qu'il y a de mieux, mais je tiens à vous dire une autre chose. Pendant mon mandat de lieutenant-gouverneur, j'ai visité des écoles du Nouveau-Brunswick. Dans certaines écoles, croyez-le ou non, les élèves font une prière pour les parlementaires et pour les juges, tous les jours, parce que cela fait partie de la discipline de leur école. J'ai été impressionné. Je ne savais pas qu'ils faisaient cela.
Encore aujourd'hui, pendant que vous siégez et que vous poursuivez vos débats, il y a dans certaines écoles de la province du Nouveau-Brunswick des gens qui prient pour vous, et la prière est puissante. Nous avons besoin de prières; nous avons besoin d'une puissance supérieure et nous avons besoin d'une autorité supérieure, qui prendra des décisions éclairées.
Merci beaucoup.
J'ai vu votre document d'information, et je me suis dit que je devrais passer au moins une minute à vous parler de moi, car vous ignorez probablement qui je suis.
De 2009 à 2011, j’ai présidé le groupe international d’experts chargé par la Société royale du Canada de rédiger ce qui serait, espérait-elle à l'époque, un rapport national historique sur la prise de décisions en fin de vie au Canada. Nous recommandions la décriminalisation de l’aide médicale à mourir pour les personnes aptes à prendre des décisions.
Nous recommandions également que la « maladie en phase terminale » — je crois que c’est le sujet dont j’aimerais le plus discuter, aujourd’hui — ne soit pas une condition pour déterminer si une personne est admissible à l’aide médicale à mourir pour deux raisons. La première raison avait déjà été signalée, et elle est juste: il n’existe pas de méthode scientifique pouvant donner un pronostic précis d’espérance de vie relativement à une maladie terminale. Deuxièmement, si le terme « maladie terminale » devient une condition nécessaire aux termes de la loi, alors il serait nécessairement trop limitatif; cela ne fait aucun doute.
Dans l'affaire Carter c. Canada, la juge de la Cour suprême s'est dite d'accord sur ce sujet. Le ministère de la Justice a tenté de justifier les limites qu'il veut intégrer au projet de loi et qu'il applique aux personnes dont le décès naturel est prévisible, en disant essentiellement que la juge a déclaré, aux paragraphes 1 à 7 de Carter, qu'elles s'appliquaient aux situations de fait que présente l'espèce.
Ce que le ministère omet de dire, c'est que, tout juste avant cette déclaration, le tribunal a clairement déclaré que les dispositions du Code criminel en question étaient nulles dans la mesure où elles prohibent l'aide d'un médecin pour mourir à une personne adulte capable qui consent clairement à mettre fin à sa vie et qui est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables.
Voici ce qu'il en est. La déclaration sur les situations de fait doit être lue à la lumière des critères qui avaient été établis. Le tribunal applique ses critères aux situations de fait, pas le contraire. Il ne faut pas considérer que cette précision vise à justifier l'inclusion des phases terminales d'une maladie, à ce moment-là, comme une des conditions pour l'accès à l'aide médicale à mourir.
De la manière dont la proposition se présente aujourd'hui, le fait de réunir en vrac toutes les personnes qui ne font pas face à une mort prévisible pour les mettre dans une catégorie générale de gens « vulnérables » entraînera inévitablement cette généralisation très excessive et cette disproportionnalité flagrante que la Cour suprême avait cernées lorsqu'elle a annulé certaines dispositions actuelles du Code criminel.
Il me semble que le ministère de la Justice est bien au courant du fait que le projet de loi qu'il soumet est trop restrictif. Pourtant, il n'arrive pas à présenter une justification sensée de la limite qu'il associe à la phase terminale, étant donné que, quand on y pense, le respect de la vie humaine n'est certainement pas menacé quand on accède à la demande d'une personne capable qui désire qu'un médecin l'aide à mourir, car elle souffre d'une affection clinique incurable qui fait que, pour elle, la vie ne vaut plus la peine d'être vécue.
En refusant à de tels patients une aide médicale à mourir, on ne remplit aucun objectif souhaitable et on ne fait à coup sûr rien pour protéger les personnes vulnérables. La seule conséquence, c'est que l'on condamne ces mêmes personnes vulnérables à continuer de souffrir, voire, pourquoi pas, à faire une tentative de suicide malhabile. Je pourrais vous donner de multiples exemples, si vous me demandiez de vous parler des cas particuliers que je connais bien et dont je connais exactement l'issue. Il ne s'agit pas d'un simple exercice théorique, ici.
L'an dernier, dans le Journal of Medical Ethics, j'ai publié un article, cosigné par Suzanne van de Vathorst, professeure clinicienne à l'école de médecine de l'Université Erasmus; j'ai fait valoir que les patients capables souffrant, par exemple, d'une dépression incurable devraient avoir droit à l'aide médicale à mourir. Je ne veux pas aujourd'hui aller dans les détails de cet article, mais je tiens à vous dire que, fondamentalement, il est fondé sur la reconnaissance du fait que certaines maladies psychiatriques incurables sont reconnues pour entraîner des souffrances graves, tout aussi douloureuses que les douleurs physiques les plus douloureuses, et qu'un nombre important de patients ne répondent pas aux modes de traitement existants. Nous parlons d'environ 30 % des gens atteints d'une dépression clinique. Les patients déprimés ne sont pas en tant que tels incapables, et la façon dont ils évaluent leur qualité de vie est souvent, en fait, très réaliste.
Rien dans la Charte des droits et libertés ne laisse croire que le fait de qualifier de « malade mental » ou de « vulnérable » une personne ne justifie qu'on lui retire sa capacité d'agir dans les questions de vie ou de mort, et c'est pourtant ce que le projet de loi actuel propose.
On a beaucoup parlé de cette catégorie de patients, et vous avez entendu divers témoins experts en parler. On a brossé de sombres portraits des dangers supposés auxquels feraient face les Canadiens les plus vulnérables. Les comptes rendus des témoins experts ont été en substance rejetés à l'unanimité par les juges de la Cour suprême. En fait, vous allez entendre, tout de suite après nous, Harvey Chochinov, qui a vu le témoignage des experts qu'il avait convoqués complètement rejeté par la Cour suprême. Il a également été rejeté par le groupe d'experts qui conseillaient les provinces et les territoires sur ce sujet de même que par le comité mixte spécial du Parlement.
Le ministère de la Justice qui a mal compris la situation juridique et politique actuelle de la Belgique, par exemple, s'appuie sur ce document d'information législatif préparé par son organisation plutôt que sur des études de recherche à grande échelle, ayant fait l'objet d'un examen par les pairs; il s'inspire d'une poignée d'affaires — réfléchissez à cela — qui circulent sur Internet. Voilà le niveau d'expertise qui a débouché sur ce document d'information.
La Cour suprême a en fait rejeté l'approche anecdotique adoptée pour cet enjeu. Je cite le jugement:
La question dont nous sommes saisis doit être tranchée sur le fondement non pas d'anecdotes contradictoires, mais de la preuve.
La réalité, la voici. Toutes les recherches importantes, dans les études soumises à un examen par les pairs, sur ce sujet, en arrivent à la même conclusion: l'aide médicale à mourir ne constitue pas une menace pour les gens vulnérables. Les données probantes existantes s'opposent en outre aux arguments selon lesquels nous devrions d'abord mener une étude sur les répercussions éventuelles d'un régime qui respecterait les critères énoncés par le tribunal. La raison en est que tous les éléments de preuve scientifique disponibles, dans toutes les administrations qui ont décriminalisé l'aide médicale à mourir, contredisent les inquiétudes touchant des cas de violence soulevés même par des groupes qui défendent les droits des personnes handicapées, comme nous l'avons déjà souligné.
J'aimerais en parler un peu, rapidement, parce que vous en avez déjà entendu beaucoup sur le sujet. J'aimerais vous présenter quelques données concernant la Belgique et les Pays-Bas, deux pays qui font figure d'hommes de paille dans le contexte.
Aujourd'hui, les maladies neuropsychiatriques concernent environ 4 % des patients qui ont demandé l'aide médicale à mourir en Belgique. Cela donne environ 70 personnes sur plus de 1 800 cas d'euthanasie. Dans la grande majorité des cas, la demande de ces patients a été rejetée, et ce serait en raison d'un excès de prudence. Il est vrai que, globalement, le pourcentage de ces cas a peu à peu diminué ces dernières années, mais il semble qu'il se maintiendra à son niveau actuel. En général, de tels cas doivent être pris en charge par des équipes spécialisées de cliniciens.
Cela se passe de la même manière aux Pays-Bas. En 2013, le pays comptait 42 patients psychiatriques; en 2014, il en comptait 41 et, en 2015, il en comptait 56. Il n'y a pas eu d'augmentation soudaine de cas d'euthanasie de patients psychiatriques. La dépression est mentionnée dans à peu près la moitié de ces cas. Le document d'information que le ministère de la Justice a transmis parle d'une lettre que 65 psychiatres et psychologues ont fait parvenir à un journal local ou à un journal du pays, et ce n'est pas une blague.
L'association des psychiatres des Pays-Bas, l'association professionnelle de ce pays, représente environ 3 600 psychiatres. Ils ont élaboré des lignes directrices spécifiques pour des cas de ce type en exigeant que chacun des patients soit vu par deux psychiatres et un autre médecin. Cette façon de faire permet d'assurer que les patients sont capables et qu'aucune option de traitement n'a été laissée de côté. Voilà la réalité, dans ce pays.
Je crois que ces chiffres illustrent bien le fait qu'un nombre relativement petit de patients psychiatriques recourent à l'aide médicale à mourir, mais ce sont des patients de ce genre que la version actuelle du projet de loi condamnerait à des souffrances continues et inutiles, et voilà pourquoi il est si important de modifier le projet de loi.
Dans les débats publics actuels sur les critères d'admissibilité, on entend des expressions comme « compromis raisonnable » ou « démarche prudente », et on utilise en partie la même rhétorique que le ministère de la Justice, mais je crois que l'on passe à côté de quelque chose de fondamental, c'est-à-dire que la Cour suprême a énoncé en fait des critères minimums clairs que la nouvelle loi doit respecter. Ces critères auraient été élaborés en vue d'établir des limites raisonnables à l'article premier de la Charte. Le projet de loi proposé, pour les motifs mentionnés, ne respecte pas en fait ces critères.
C'est pourquoi je vous prie instamment, alors, de modifier la version actuelle du projet de loi, comme je l'explique dans ma déclaration préliminaire, en gardant à l'esprit que la norme minimale de la Cour suprême est la suivante: la demande d'aide médicale à mourir doit être formulée par un adulte capable; sa maladie doit être incurable; le patient doit estimer que sa vie ne vaut pas la peine d'être vécue. Il n'y a rien à ajouter à cela.
Permettez-moi rapidement, pendant ma dernière minute, de parler des directives anticipées ainsi que des mineurs matures. Aujourd'hui, nous permettons à des patients de prendre des décisions anticipées touchant le type de soins qu'ils accepteront lorsqu'ils ne seront plus capables. Des décisions anticipées de ce type pourraient même avoir pour effet de hâter la mort, par exemple. De telles directives anticipées sont en général respectées.
Nous pouvons dire sans nous tromper que, en effet, la Cour suprême n'a pas besoin que le gouvernement, aujourd'hui, reconnaisse les directives anticipées dans le contexte de l'aide médicale à mourir ou qu'il inclue les mineurs matures parmi les gens admissibles à l'aide médicale à mourir. À mon avis, et j'y ai réfléchi, ce serait souhaitable dans les deux cas et ce serait un prolongement logique du raisonnement qui sous-tend le jugement. Je recommande donc — et cela figure également dans ma déclaration préliminaire — que ces questions fassent l'objet d'une étude, pendant les 18 à 24 prochains mois, et que cela devienne un processus obligatoire, codifié dans la loi.
Merci de votre temps.
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Je me souviens même de la première Charte qui avait été élaborée, dans les années 1980, et des débats qui avaient eu lieu à ce moment-là; si la clause nonobstant a été incluse, ce n'est pas pour rien. Je me souviens précisément de la raison pour laquelle elle a été incluse: pour faire en sorte que ce ne soit pas seulement le Parlement qui l'adopte, mais qu'il faudrait également réunir le vote de 70 % des provinces du pays.
Je suis certain qu'à l'époque le gouvernement a dû consulter diverses personnes quant aux répercussions de la clause nonobstant. Bien sûr, nous savons qu'elle a été invoquée à quelques reprises, au Canada, sous la compétence de diverses assemblées législatives. Aujourd'hui, nous disons qu'elle est dépassée.
J'ai été déçu de constater que ni le gouvernement précédent ni le gouvernement actuel n'avaient exploré publiquement la clause nonobstant. Cette option a été abandonnée, à ce que je sache, et aussi selon ce qu'affirme le gouvernement actuel.
La loi, c'est la loi. La Cour suprême a rendu sa décision, mais les juges savent également que, au bout du compte, le juge qui a le dernier mot, c'est le Parlement. C'est le Parlement qui promulgue les lois, et, si l'un de nos droits fondamentaux est la liberté de conscience, alors je crois que le Parlement doit également protéger ce droit, de façon qu'il ne revienne pas à une province ou à une autre de se demander si les organismes peuvent forcer le personnel médical à faire cela. M. Arvay a souligné que la juge en chef s'était opposée à ce qu'on l'y oblige.
Je crois que la faiblesse de la loi actuelle, c'est qu'elle ne contient rien touchant le respect de ce droit fondamental, et, si ce n'est pas prévu en vertu du droit pénal, on l'utilisera comme défense, et ce sera contesté devant des tribunaux provinciaux et jusque devant la Cour suprême du Canada, ce qui prendra probablement de cinq à sept ans, et il y aura également beaucoup de contestations à ce chapitre.
Je ne vois pas pourquoi le Parlement ne pourrait pas intégrer un article sur la liberté de conscience, dans le projet de loi, à l'intention des gens qui ne veulent pas y participer, y compris les institutions. Par exemple, l'hospice qui a vu le jour à Fredericton et l'hospice de Saint John ont tous deux dit qu'il était absolument exclu qu'ils se conforment à la loi même s'ils étaient forcés de participer à ce projet.
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Je vous remercie de me poser la question.
Ma déclaration est fondée sur la façon dont, au cours d'une période qui s'est étendue sur de nombreuses années, depuis que ces administrations ont commencé à décriminaliser cette pratique, on a essentiellement étudié chacun des cas qui ont été signalés dans ces pays et tenté de découvrir quelles catégories de patients demandaient ce service.
Lorsque nous parlons de personnes vulnérables, qui est-ce qui nous vient habituellement à l'esprit? Nous aurions tendance à penser qu'il pourrait s'agir de personnes qui ont de la difficulté à accéder à des soins de santé, par exemple, ou de personnes qui ont de la difficulté à obtenir des soins palliatifs parce qu'elles n'en ont pas les moyens. Il y a un certain nombre de raisons. La réalité, c'est que, dans pratiquement toutes ces administrations, la grande majorité des patients qui demandent l'aide médicale à mourir sont en fait des patients atteints d'un cancer de stade avancé. Même s'il y a un peu de fluctuation, ces chiffres sont assez stables. Il s'agit de la majorité écrasante.
Par exemple, s'il y avait un grave danger pour les personnes atteintes de maladie mentale qui reçoivent l'aide médicale à mourir, on s'attendrait à ce que, après que cela s'est produit pendant de nombreuses années, les chiffres explosent à un certain moment. Si vous étiez préoccupés par les cas prétendus d'abus, vous verriez qu'au cours d'une année, il y aurait peut-être eu 10 personnes, puis 20 personnes, et, tout d'un coup, il y en aurait eu des centaines et des centaines, et ça serait la façon dont on se débarrasse des personnes atteintes de maladie mentale. Bien entendu, ce n'est pas ce qui est en train de se produire. Ce qui se passe réellement, c'est que, dans toutes ces administrations, y compris les Pays-Bas et la Belgique, la majorité écrasante des patients de ce genre qui demandent l'aide médicale à mourir voient leur demande refusée. À mes yeux, il s'agit vraiment d'une forte indication du fait que des mesures de protection sont en place précisément pour ces types de patients vulnérables, et je suis heureux qu'elles existent.
Ne vous méprenez pas. Je comprends tout à fait votre préoccupation. Je dis simplement que, lorsqu'on regarde les données probantes, au-delà des anecdotes, il n'y a rien qui appuie ces allégations, et, oui, je vais m'en tenir à cela.
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La réponse est « non ».
Tout d'abord, il est intéressant de constater que, même si, dans l'affaire Carter, la juge de première instance avait employé des termes qui étaient assez semblables à « une situation médicale caractérisée par un déclin avancé et irréversible », elle les avait utilisés pour dire que la personne devait être dans un état avancé d'affaiblissement de ses capacités. Nous n'avons pas fait valoir cet argument. Elle l'a formulé d'elle-même. Fait intéressant, toutefois: la Cour suprême du Canada n'a pas adopté la position de la juge de première instance sur ce point; elle a essentiellement adopté sa position sur tout, sauf sur ce point. Je considère le libellé de la disposition « situation médicale caractérisée par un déclin avancé et irréversible des capacités » comme étant très semblable à ce dont la juge de première instance voulait parler, selon moi.
L'un des problèmes que me pose cette disposition, c'est que je ne sais vraiment pas ce qu'elle veut dire. Si elle exige un genre de progression de l'« empirement » — je ne suis pas certain que ce terme soit approprié —, je la rejette.
L'une des raisons pour lesquelles nous avons plaidé contre le terme « terminale », c'est que nous avions à l'esprit, notamment, une personne nommée Tony Nicklinson, dont vous, ici présent, avez probablement entendu parler: l'homme qui était atteint du syndrome de déafférentation motrice. Il avait subi un grave accident vasculaire cérébral quand il avait 50 ans. Il ne pouvait pas bouger un muscle de son corps, à part ses paupières — ou, je crois, ses globes oculaires —; pourtant il allait rester dans cet état pendant au moins 20 ans. Nous nous sommes dit que c'était une chose que de laisser entendre qu'une personne pourrait être capable d'endurer la souffrance pendant quelques mois lorsque la mort est imminente, mais il est tout simplement inhumain que de laisser entendre qu'une personne doit endurer cette souffrance pendant 20 ans; c'est tout simplement cruel; il s'agit d'une forme de torture.
Quand Tony Nicklinson a subi son AVC et qu'il a été atteint d'une maladie appelée syndrome de déafférentation motrice, était-il déjà dans une situation médicale caractérisée par un déclin avancé et irréversible des capacités? Peut-être bien, si tout cela signifie que l'on présente des symptômes au lieu d'avoir quelque chose à craindre, mais, si cela exige un certain genre de progression, que l'état de santé empire, eh bien, son état ne pouvait pas empirer davantage.
Ainsi, cette disposition me pose problème. Elle soulève plus de questions qu'elle ne donne de réponses. La raison d'être du projet de loi, selon ce que j'ai entendu dire quand le gouvernement fédéral a comparu devant la Cour suprême du Canada pour demander une prorogation de délai, c'est de clarifier les choses pour la profession médicale. Peut-être bien qu'à elle seule, la décision Carter donne le frisson aux gens de cette profession. Alors, le projet de loi a été conçu pour clarifier les choses. Eh bien, il ne fait qu'ajouter à l'incertitude; il ne clarifie rien du tout.
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Mesdames et messieurs les députés, je m'appelle Harvey Max Chochinov. J'ai le titre universitaire de professeur distingué de psychiatrie à l'Université du Manitoba. Je dirige l'Unité de recherche en soins palliatifs du Manitoba, et je suis titulaire de la seule chaire de recherche du Canada en soins palliatifs. J'ai passé toute ma carrière à travailler et à mener des recherches en soins palliatifs de fin de vie. Je suis également l'ancien président du Comité externe sur les options de réponse législative à
Carter c. Canada.
Aujourd'hui, j'ai le privilège de vous faire part de certaines réflexions sur le projet de loi en me concentrant sur des amendements possibles à prendre en considération. Mes observations, que vous avez reçues, décrivent ces amendements plus en détail et comprennent ma justification des raisons pour lesquelles les limites actuellement décrites dans le projet de loi — y compris la limite de l'accès aux patients dont la mort est raisonnablement prévisible, mais pas les dispositions relatives à la santé mentale, aux directives anticipées et aux mineurs — sont éminemment justifiables et prudentes.
Les amendements que je vous ai présentés afin que vous en preniez connaissance comprennent les suivants:
Premièrement, le gouvernement devrait envisager un amendement prévoyant que l'accélération médicale de la mort prendra la forme d'une aide au suicide, pourvu que le patient soit capable de prendre une dose mortelle de médicaments par lui-même. L'euthanasie devrait être réservée aux cas où les patients ne sont plus capables d'ingérer une dose mortelle de médicaments de façon indépendante.
L'expérience à l'étranger révèle que l'euthanasie et l'aide au suicide sont des pratiques très différentes du point de vue de leur mise en oeuvre et de leur létalité. Dans les administrations qui offrent seulement l'aide médicale à mourir, cette aide compte pour environ 0,3 % des décès. Dans celles qui offrent l'euthanasie, cette forme de mort compte pour 3 à 4 % des décès.
Si on extrapole ces chiffres au Canada et que l'on prévoit environ 260 000 décès par année, un régime offrant exclusivement l'aide médicale à mourir devrait donner environ 800 à 1 000 de ces décès par année. D'autre part, un régime dominé par l'euthanasie devrait donner entre 8 000 et 10 000 de ces décès par année.
Selon les experts qui ont comparu devant le comité externe, cette grande différence s'explique principalement par l'ambivalence. L'ambivalence est une dynamique importante lorsqu'on envisage une accélération de la mort. Même si l'aide au suicide offre la possibilité de changer d'idée — de 30 à 40 % des patients qui avaient reçu une ordonnance en Oregon ne l'ont en fait jamais utilisée —, l'euthanasie réduit considérablement cette possibilité, une fois qu'une date a été fixée et que des attentes sont établies quant à un moment et un endroit précis.
Les données sont claires. Le projet de loi garantira que, chaque année, des milliers de personnes qui sont ambivalentes au sujet de l'aide à mourir ne se sentiront pas poussées par les circonstances à passer à l'acte avant qu'elles soient prêtes à mourir.
Deuxièmement, le gouvernement devrait envisager un amendement exigeant que tous les patients qui obtiennent une accélération médicale de la mort reçoivent d'abord une consultation en soins palliatifs. Cette exigence s'ajouterait aux obligations des deux médecins décrits dans le projet de loi actuel et serait cruciale, pourvu que le projet de loi limite l'accès aux patients dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible et qui sont dans une situation médicale caractérisée par un déclin avancé et irréversible des capacités.
Les consultants en soins palliatifs n'assumeraient pas un rôle décisionnel; leur rôle consisterait plutôt à cerner toutes les sources de détresse physique, psychologique, existentielle et spirituelle sous-jacentes à la demande d'aide à mourir afin que l'on puisse s'assurer que les patients sont pleinement informés de toutes les options dont ils pourraient se prévaloir, et, enfin, que l'on puisse documenter leurs conclusions, de sorte que les renseignements anonymisés recueillis de façon prospective pourraient être entrés dans une base de données nationale constituant un fondement détaillé et objectif pour l'examen quinquennal du projet de loi qui serait effectué par le Parlement.
Troisièmement, le gouvernement devrait envisager un amendement exigeant la surveillance et l'approbation judiciaires de toutes les accélérations médicales de la mort. La surveillance judiciaire assurerait un ensemble de points de repère fondés sur des précédents, uniformes et clairement formulés lorsque les critères d'admissibilité sont remplis.
La surveillance judiciaire protégerait les établissements de santé et les professionnels de la santé contre tout danger perçu ou réel associé à l'accélération médicale de la mort et augmenterait probablement l'accès, compte tenu du nombre accru de professionnels de la santé qui seraient préparés à s'occuper de patients demandant l'accélération médicale de la mort. La surveillance dénoterait un leadership profond et indiquerait que, même si le Canada a rendu l'accélération médicale de la mort légale, notre gouvernement ne sait pas encore quelle est la place de cette pratique dans son système de santé actuel.
Quatrièmement, de la manière la plus profonde possible, la surveillance judiciaire garantirait un engagement à l'égard de la transparence et une évaluation objective de tous les facteurs, qu'ils soient d'ordre médical, émotionnel, psychologique, financier ou environnemental, qui pourraient sous-tendre une demande d'accélération médicale de la mort.
En conclusion, je crois que les limites et les mesures de sauvegarde actuellement incluses dans le projet de loi , associées aux amendements que j'ai suggérés, marqueraient l'approche adoptée par le Canada, par rapport à l'accélération médicale de la mort, au coin de l'intégrité, de la transparence et de la sagesse. Merci.
Je suis heureux d'être ici aujourd'hui. Je veux seulement dire que, même si je n'aborde pas toutes nos préoccupations aujourd'hui, l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique continue de s'en tenir aux observations que nous avons présentées précédemment au comité parlementaire devant lequel nous avons comparu.
Aujourd'hui, je me concentre simplement sur le fait de rendre le projet de loi conforme à la Charte. À notre avis, il doit être modifié de manière à s'assurer qu'il est conforme à la décision Carter et à la Charte des droits et libertés. Je dois dire que nous avons été estomaqués quand nous avons vu le projet de loi pour la première fois et que nous avons appris que, non seulement il faisait fi d'un grand nombre des recommandations de base du comité parlementaire, mais qu'il vidait en partie de son essence même la victoire que notre organisation avait remportée dans l'affaire Carter.
À nos yeux, le projet de loi oublie de quoi il était question dans l'arrêt Carter. Cette affaire ne concernait pas seulement le fait d'aider des gens atteints d'une maladie terminale à choisir une façon de mourir dans la dignité; il concernait également le fait de s'assurer que les gens qui sont aux prises avec une souffrance inimaginable causée par une maladie non terminale ont le droit d'échapper à une vie entière de souffrances infinies. Ces deux types de personnes ont comparu devant la Cour, et, fait important, notre organisation a obtenu la qualité pour agir dans l'intérêt public et de plaider cette cause en tant qu'institution, relativement à divers types de patients. La décision n'était pas limitée aux cas en phase terminale, comme nous l'avons entendu de la bouche de la Cour suprême même, en janvier. Elle n'a pas limité la décision aux personnes atteintes d'une maladie terminale ou à celles dont la mort était prévue.
Au dire du gouvernement, eh bien, cette restriction ne limite pas l'accès aux malades en phase terminale. Nous disons que l'effet est le même, que, sous le régime du projet de loi, une personne doit être en train de mourir pour être admissible. La Cour elle-même a affirmé que c'était inacceptable.
Nous avons remporté cette victoire après des années de collecte de données probantes, de travail acharné et de lutte contre un gouvernement fédéral qui s'opposait bec et ongles à la réalisation de ce droit. Nous avons systématiquement été en mesure de contrer chacun des arguments qui ont été rassemblés par le gouvernement au fil des ans. Lorsque nous avons obtenu gain de cause, nous savions que cette décision allait apporter un changement réel pour des personnes qui, autrement, subiraient une mort intolérable et atroce. Nous savions qu'elle changerait les choses pour les personnes qui éprouvaient une souffrance inimaginable causée par une maladie grave et irrémédiable dans la vie, et, maintenant, nous constatons que cette victoire est édulcorée, car la moitié de ces personnes ont été exclues par le projet de loi.
Dans le but de remédier à ce problème, nous appuyons l'amendement qui a été mentionné par Mme Downie, dans sa déclaration d'hier. Nous sommes d'avis que le fait de priver les patients dont la mort n'est pas raisonnablement prévisible du choix de l'aide médicale à mourir contrevient à la Charte et que l'article entier du projet de loi comportant la définition « graves et irrémédiables » devrait être éliminé. Pour le remplacer, nous croyons que l'alinéa 241.2(1)c) proposé devrait être amendé de manière à prévoir que la personne doit avoir des problèmes de santé graves et irrémédiables, y compris une affection, une maladie ou un handicap lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables au regard de son état. Cela — nous le croyons — rendra les critères conformes à l'arrêt Carter.
Si le projet de loi n'est pas modifié de manière à éliminer l'exigence selon laquelle la maladie doit être « incurable » plutôt qu'« irrémédiable », l'exigence d'une situation médicale caractérisée par un déclin avancé et irréversible, et l'exigence selon laquelle la mort naturelle doit être raisonnablement prévisible... le résultat sera une souffrance horrible pour les Canadiens à qui on interdit l'accès à l'aide médicale à mourir, et c'est de cela dont il s'agit. Il ne s'agit pas d'un exercice théorique, ni même d'un exercice — comme il s'en fait souvent en ce lieu, à juste titre — visant à équilibrer des intérêts politiques. Il s'agit de la souffrance intolérable et inimaginable de vrais Canadiens et de leurs droits.
L'exigence d'une mort « raisonnablement prévisible » est extrêmement vague. Vous avez déjà entendu de nombreux témoins le dire, y compris le Collège des médecins de famille du Canada, lequel représentait les médecins qui semblent les plus susceptibles de devoir composer avec ces questions. Nous croyons que cette exigence, plus particulièrement celle de la mort naturelle raisonnablement prévisible, est inconstitutionnelle parce qu'elle contrevient au droit à la liberté prévu dans la Charte. Elle prive les patients d'un choix fondamental concernant leur propre corps. La Cour a conclu que, sous sa forme originale, par son interdiction générale du droit de demander l'aide médicale à mourir, le Code criminel allait à l'encontre de la liberté en limitant la capacité de patients admissibles de prendre des décisions concernant leur propre intégrité corporelle et leurs soins médicaux.
Il va à l'encontre du droit à la sécurité de la personne prévu dans la Charte parce qu'il fait en sorte que le patient doit continuer à endurer la souffrance, et il va à l'encontre du droit à la vie prévu dans la Charte. Comme les personnes sont privées du choix de l'aide à mourir, certaines pourraient s'enlever la vie prématurément dans le but d'éviter une souffrance intolérable, pendant qu'elles sont encore physiquement capables de le faire.
Maintenant, le gouvernement laisse entendre que le fait de limiter l'accès à l'aide médicale à mourir aux personnes dont la mort est « raisonnablement prévisible » est justifié parce que cela va protéger les personnes vulnérables. Nous avons déjà entendu M. Arvay affirmer que cet argument avait été utilisé par le Canada devant la Cour et que la décision de la Cour avait été claire; le législateur ne peut pas avoir recours à une exclusion générale visant toute une catégorie de personnes afin de protéger celles qui sont vulnérables si d'autres moyens moins contraignants sont accessibles pour atteindre le même but, par exemple, évaluer la capacité décisionnelle au cas par cas. Dans l'affaire Carter, le Canada a même concédé ce qui suit lors du procès, et je cite les motifs de la Cour suprême:
« Il est admis que les personnes qui veulent se suicider ne sont pas toutes vulnérables, et qu’il peut se trouver des gens atteints d’une déficience qui ont le désir réfléchi, rationnel et constant de mettre fin à leur propre vie »
Il y a une façon très facile d'interpréter cette déclaration: ces arguments ont déjà été soulevés. Comme cela a été décrit, il y a un cercle —une catégorie de personnes — qui a remporté un droit, à qui on a garanti un droit. Le Canada a tenté de dire que ces personnes n'avaient pas ce droit; il a tenté de justifier leur exclusion. Ces arguments n'ont pas été retenus, et ce droit a été reconnu. Maintenant, le gouvernement est en train d'essayer de priver ces mêmes personnes de cette protection et d'utiliser les mêmes justifications. Ce n'est pas un dialogue. C'est la Cour qui dit: « C'est la loi », et le projet de loi qui dit: « Non, ce n'est pas la loi. Nous disons que la loi, c'est autre chose. Nous disons qu'autre chose est constitutionnel ». C'est tout simplement inacceptable, et, honnêtement, nous ne pensons pas que le projet de loi résistera à une contestation constitutionnelle, et le résultat sera de nouveaux procès coûteux concernant la même question qui a déjà été tranchée par la Cour suprême du Canada.
Pour la minute qui me reste, je ne veux pas trop m'y attarder, mais je veux aborder l'idée d'une approbation juridique préalable, qui continue d'être soulevée dans le cadre des séances du Comité. Elle s'éloigne complètement des pratiques actuelles relatives à la fin de vie, et, bien sûr, comme vous êtes nombreux à le savoir, le Canada a déjà tenté de la faire valoir relativement à l'avortement, et elle avait été rejetée dans la décision Morgentaler. Dans cette affaire, la Cour avait confirmé que l'obstacle procédural que constituait l'approbation préalable contribuait à la violation des droits des femmes prévus dans la Charte en créant des délais et, fondamentalement, en entravant directement l'autonomie des femmes pour ce qui est de faire des choix au sujet de leur propre corps en soumettant leur choix à l'approbation de l'État. Actuellement, notre expérience, en tant qu'avocats, en ce qui a trait aux exemptions est que l'approbation préalable est coûteuse, chronophage, propice aux délais et qu'elle constitue un obstacle important à l'accès. Le Parlement commettrait réellement une erreur s'il reproduisait une fonction d'approbation préalable par l'État pour ce genre de décision médicale profondément personnelle, alors qu'elle avait été rejetée catégoriquement il y a près de 30 ans relativement à d'autres décisions d'ordre médical profondément personnelles.
Merci.
Bonjour tout le monde, et merci infiniment de m'avoir invitée à me joindre à vous. Comme certains d'entre vous le savent peut-être, j'ai coprésidé le Groupe consultatif provincial-territorial d'experts sur l'aide médicale à mourir. Plus récemment, j'ai travaillé avec le groupe de travail sur l'aide médicale à mourir du Joint Centre for Bioethics, en collaboration avec des intervenants du système de santé, afin de nous préparer à la mise en oeuvre de l'aide médicale à mourir en Ontario.
Toutefois, aujourd'hui, je prends la parole à titre personnel. Même si le président nous a conseillé de ne pas adopter une approche philosophique, je vais puiser dans mon expertise disciplinaire en matière d'éthique et de politiques afin de présenter un point de vue supplémentaire dans le cadre de la conversation d'aujourd'hui.
Dernièrement, j'ai eu l'occasion d'écouter les témoignages de plusieurs groupes de témoins. Il a été fascinant — et, je l'admets, c'était prévisible — d'observer la convergence dans certains domaines et la divergence constante dans d'autres. Le projet de loi est fondamentalement une modification du Code criminel à l'intérieur des paramètres de la Charte des droits et libertés et de la décision Carter, et il a des conséquences sur la prestation des soins de santé. Toutefois, il ne s'agit pas du régime réglementaire complet envisagé dans la décision Carter.
Des discussions tenues cette semaine font ressortir la mesure dans laquelle les travaux que nous effectuons collectivement dans le cadre de ce processus de consultation ne sont pas seulement juridiques, même s'il s'agit d'un projet de loi et de la compétence appropriée, ni politiques, même s'ils font partie d'un processus parlementaire. En outre, il s'agit fondamentalement de ce que j'appellerais un travail de valeurs, et j'entends par là la recherche d'un juste équilibre dans le projet de loi entre trois buts éthiques: la reconnaissance et la protection de l'autonomie individuelle, le soulagement ou la réduction de la souffrance, et la prévention des préjudices. Ces trois buts éthiques ont été formulés dans les témoignages présentés par les témoins au cours des trois derniers jours.
Selon son libellé actuel, le projet de loi propose une façon d'équilibrer ces trois buts éthiques. Plus précisément, comme le souligne le préambule, il vise à établir le meilleur équilibre entre:
d’une part, l’autonomie des personnes qui demandent cette aide et, d’autre part, les intérêts des personnes vulnérables qui ont besoin de protection et ceux de la société.
Il propose que cet équilibre soit atteint par la limitation de l'accès à l'aide médicale à mourir aux adultes compétents dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible.
S'agit-il du meilleur équilibre? Les témoignages entendus au cours des trois derniers jours donnent à penser que ce n'est pas le cas, et je suis de cet avis. À juste titre, les témoins ont contesté la définition du terme « problèmes de santé graves et irrémédiables », et plus particulièrement l'alinéa 241.2(2)d) proposé, c'est-à-dire la disposition qui contient le libellé très controversé « raisonnablement prévisible ».
Dans mon mémoire, je recommande que le passage « graves et irrémédiables » soit entièrement retiré et que l'alinéa 241.2(1)c) proposé soit modifié afin d'apporter une plus grande clarté, de la cohérence et la conformité avec les paramètres déjà établis dans l'arrêt Carter.
Compte tenu de sa définition de « graves et irrémédiables », le projet de loi refuse l'aide médicale à mourir aux personnes compétentes qui ont un « problème de santé grave et irrémédiable leur causant des souffrances persistantes et intolérables », mais qui ne sont pas — je cite le document d'information — « à l'approche de la mort » ou « sur une trajectoire menant à une mort naturelle » et dont l'état de santé n'est pas fatal, en soi.
On pourrait soutenir, comme l'ont fait certains témoins, que le fait de limiter l'aide médicale à mourir de cette manière offre une mesure de protection importante aux personnes vulnérables qui pourraient, conformément au préambule, faire l'objet d'une « incitation à mettre fin à leur vie dans un moment de détresse ». Mais, si, comme l'ont fait valoir d'autres témoins, les personnes comme Kay Carter n'étaient pas admissibles à l'aide médicale à mourir, alors de nombreux Canadiens qui souffrent sont abandonnés par le projet de loi .
Pour paraphraser le témoignage présenté par M. Bauslaugh, hier soir, le projet de loi rationne la compassion en la réservant à la souffrance des personnes qui sont mourantes. Aux yeux de nombreuses personnes, moi y compris, l'équilibre entre l'autonomie, la protection des personnes vulnérables et la réduction de la souffrance n'a pas encore été établi au moyen de la définition de « graves et irrémédiables ».
Il y a un autre domaine qui remet en doute le fait que le projet de loi réussit à établir l'équilibre entre ces trois buts éthiques. Hier, plusieurs témoins ont parlé de l'exclusion des mineurs matures, des personnes compétentes qui endurent une souffrance intolérable causée par une maladie psychiatrique et des personnes compétentes qui souhaitent formuler une demande anticipée d'aide médicale à mourir.
Ces exclusions — peut-être temporaires, en attendant une étude plus poussée, conformément à l'engagement non législatif formulé dans le préambule — sont expliquées dans le document d'information comme étant nécessaires pour protéger les « personnes vulnérables » dans ces situations « complexes ». Toutefois, l'exclusion de personnes compétentes au motif d'une présomption de vulnérabilité ne sert pas l'objectif d'établir l'équilibre entre l'autonomie et la prévention des erreurs et de l'abus et pourrait — je le crains — en fait avoir l'effet opposé de marginaliser et d'ancrer encore plus la vulnérabilité sociale des personnes mêmes que nous cherchons à protéger.
La protection des personnes vulnérables est axée sur la compétence, le caractère volontaire et le consentement relativement aux mesures de protection. L'exclusion de personnes autrement compétentes pourrait être justifiable dans la mesure où elle serait proportionnelle et nécessaire pour prévenir une autre injustice. Toutefois, si ce n'est pas le cas, ces exclusions portent atteinte à l'autonomie des personnes compétentes appartenant à ces groupes et les forcent injustement à demeurer dans un état de souffrances persistantes et intolérables.
Le fait d'attendre la cinquième année suivant la sanction royale pour évaluer les résultats d'une étude supplémentaire ne serait ni raisonnable ni juste. Ainsi, se faisant l'écho d'autres témoins, mon mémoire recommande que le projet de loi soit amendé de manière à établir un calendrier accéléré pour l'étude de l'aide médicale à mourir en ce qui a trait aux mineurs matures, aux personnes compétentes atteintes d'une maladie psychiatrique primaire et aux personnes qui ont donné un consentement anticipé pendant qu'elles étaient compétentes.
Je conclurai ma brève déclaration par une réflexion finale sur la vulnérabilité en ce qui concerne le projet de . L'appel à protéger les personnes vulnérables est un but que nous devrions tous avoir en commun, et il est louable, d'un point de vue moral. Toutefois, nous devons nous demander qui décide qui est vulnérable. Est-ce la personne, par son vécu ou son expérience, ou bien est-ce le reste d'entre nous, dans la société, qui décidons quel type de vulnérabilité est important et pour qui, et quelle est la réaction appropriée à la vulnérabilité?
Les témoins ont offert diverses réponses à ces questions. Certains souhaitent fixer des limites quant aux personnes compétentes qui devraient être admissibles à l'aide médicale à mourir et exclure celles qui sont perçues comme ayant besoin de protection ou susceptibles de connaître des moments de faiblesse. D'autres souhaitent établir des mesures de protection procédurales afin de protéger la compétence, le caractère volontaire et le consentement.
Le projet de loi offre un compromis gênant entre ces diverses réponses en faisant pencher la balance des buts éthiques de façon précaire du côté opposé à la préservation de l'autonomie individuelle et en minimisant la souffrance intolérable de personnes compétentes.
Je sais que nous pouvons faire mieux pour les Canadiens.
Merci.
Comment la surveillance judiciaire fonctionne-t-elle, actuellement, du point de vue des exemptions constitutionnelles? Y a-t-il des délais excessifs?
J'ai l'impression que cela ne semble pas être le cas.
Je pense qu'il vaut la peine d'examiner ces données et de les étudier. Certes, cette surveillance n'a pas pour but d'occasionner des délais excessifs, même si M. Paterson a évoqué l'expérience relative à l'avortement. Nous sommes plusieurs décennies plus tard. Nous disposons de technologies qui devraient pouvoir permettre d'établir des liens virtuels afin que les gens puissent faire l'objet d'un examen plus rapide.
La question encore plus générale qu'il faut se poser en ce qui a trait à la surveillance judiciaire, c'est s'il est dans l'intérêt du public de savoir comment ce processus se déroule et que nous soyons le plus transparents et objectifs possible afin que le Canada puisse se dire à lui-même — et le dire à ses citoyens et à la communauté internationale — que, même si la Cour suprême a rendu cette pratique légale, cela ne signifie pas nécessairement qu'elle l'a rendue médicale. Nous n'avons pas encore déterminé si cette pratique s'inscrit clairement dans le système de santé.
Comme j'ai fait partie du comité externe, j'ai fait le tour du monde, et j'ai parlé avec divers médecins, et je peux vous dire que personne n'était à l'aise en répondant que, oui, cela fait partie de la médecine. En Oregon, nous avons rencontré un médecin qui a décrit cette pratique comme un acte d'amour. Nous avons discuté avec un médecin qui prenait part à ces pratiques dans les pays du Benelux — qui pratiquait lui-même l'intervention —, et il nous a dit que ce n'était pas de la médecine, qu'il s'agissait d'un acte social... il s'agit d'un changement dans notre contrat social.
Eh bien, encore une fois, si c'est le cas, le Canada ne voudrait-il pas s'engager à établir le processus le plus transparent et le plus objectif possible, et, pour les cinq premières années, insister pour qu'il y ait une surveillance judiciaire, non pas pour occasionner des délais excessifs, mais pour dire que nous allons le faire d'une façon très transparente et que nous allons être assez courageux, dans cinq ans, pour vivre avec les résultats de ces données? Si, selon les données, nous sommes trop contraignants, alors je pense que nous devrons tous respecter les données et dire que le temps est venu d'élargir la pratique. Si les données indiquent qu'il y a de nombreux cas, du point de vue de la surveillance juridique, où il a été déterminé que des personnes étaient vulnérables et que d'autres mesures doivent être prises, alors nous devrons prendre du recul et nous dire: « Eh bien, peut-être que nos limites sont suffisantes, ou bien nous devons les resserrer encore plus. »
Voilà les justifications que j'offrirais en ce qui concerne la surveillance judiciaire.
Tout d'abord, je voudrais adresser des remerciements à chacun des témoins individuellement.
Docteur Chochinov, nous avons bénéficié, aux comités du Sénat et de la Chambre de l'intervention de votre collègue Me Pelletier, qui a été très utile. Vous n'avez pas été en mesure d'y être, alors je suis heureux de vous rencontrer ici. Merci de votre travail au comité d'experts.
Madame Gibson, votre leadership au sein du groupe de travail provincial et territorial est vraiment très remarquable, et je vous remercie infiniment de tous les travaux que vous avez effectués.
Bien sûr, monsieur Paterson, je vous remercie pour votre plaidoirie acharnée devant la Cour suprême à titre d'intervenant dans l'affaire Carter. Nous avons été très chanceux de bénéficier de votre présence.
Je veux commencer par vous, madame Gibson, au sujet de la vulnérabilité. Je veux vous donner une possibilité, car vous êtes allée vite, à la fin de votre déclaration, au sujet de la vulnérabilité.
Pourriez-vous nous donner un peu plus de détails et mettre la question dans le contexte du cadre du projet de loi et nous expliquer comment nous pouvons beaucoup mieux faire, en conclusion?
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Certaines de mes inquiétudes actuelles tiennent à la façon dont, dans un certain sens, le passage de la décision Carter au projet de loi semble avoir été motivé par une préoccupation réelle au sujet des populations vulnérables. Ce matin, nous avons entendu M. Arvay nous raconter que cela avait donné lieu à certaines exclusions de personnes qui ont été étiquetées et classées dans la catégorie des personnes vulnérables.
Je pense qu'il s'agit d'une réorientation dangereuse, en fait, parce que, tant que nous attribuons l'étiquette de la vulnérabilité à une personne, nous érodons sa capacité. Nous présumons qu'elle n'est pas capable et, ce faisant, nous ne la traitons pas comme une personne égale au reste d'entre nous, dans la société. Je pense qu'il s'agit d'une orientation dangereuse à prendre.
En même temps, nous sommes préoccupés au sujet de la vulnérabilité. Je pense qu'il existe d'autres mécanismes qui peuvent nous permettre de dissiper cette préoccupation. Les mesures de protection qui sont actuellement formulées dans le projet de loi sont assurément sur la bonne voie, mais je commence à devenir nerveuse quand nous allons dans la direction où nous songeons à un examen préalable, à une surveillance judiciaire, mesures qui, selon moi, sont motivées par une préoccupation parfois présentée comme de la transparence, mais plus souvent comme une façon de régler les problèmes liés à la vulnérabilité, alors que nous disposons, dans la pratique des soins de santé, de mécanismes qui serviraient mieux ce but et, de fait, du point de vue d'un patient, leur assureraient une expérience beaucoup plus harmonieuse à la fin de leur vie.
Pour ce qui est du processus d'examen judiciaire, nous avons acquis un peu d'expérience au cours des trois derniers mois relativement à des cas qui ont suivi un processus d'examen judiciaire dans le but de recevoir l'aide à mourir. Les personnes qui ont subi ce processus nous ont priés de ne pas en faire le mécanisme par lequel elles auront accès à l'aide à mourir, car c'est un fardeau, à la fin de la vie d'une personne, que de suivre ce processus particulier.
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Il y a un certain nombre de raisons. J'en ai mentionné certaines, et nos observations écrites décrivent l'affaire un peu plus en détail.
Disons qu'il y aurait une autre affaire de droits fondée sur la Charte dans laquelle une catégorie de personnes aurait gagné un droit. Prenons le mariage gai, par exemple. Disons que, en réaction à une affaire relative au mariage gai — ou à des droits de pension ou à ce genre de choses —, le gouvernement de l'heure disait: « Nous allons déposer un projet de loi, mais, comme le plaignant était un homme gai, et malgré le fait que, oui, il y a eu des mentions des lesbiennes et des transgenres du début à la fin, et ainsi de suite, nous allons nous contenter de limiter son application aux hommes gais, puis il incombera aux lesbiennes, à un certain moment dans l'avenir, d'engager une autre procédure. »
D'une certaine manière, on a l'impression que la situation actuelle est très analogue. Un droit a été reconnu pour une catégorie entière de personnes. Maintenant, le projet de loi intervient et retire des personnes de son champ d'application. Le dialogue — si je puis m'exprimer ainsi — entre le Parlement et les tribunaux devrait, en ce qui concerne la reconnaissance des droits, concerner la mise en oeuvre du droit en question. Nous pouvons tous avoir un point de vue différent sur le nombre de médecins et le nombre de témoins et sur la période de carence, et ainsi de suite. Le Comité connaîtra notre point de vue; d'autres en ont un différent.
C'est à cela que sert le dialogue. Il ne peut pas avoir pour simple but d'exclure des gens.
Un excellent exemple, pas même lié au contexte d'une mort « raisonnablement prévisible », mais à celui d'une maladie « incurable », c'est le fait que, comme vous le remarquerez dans nos observations écrites, il pourrait très bien y avoir une personne atteinte d'un cancer de stade avancé — le cancer de l'anus, dans l'exemple que nous avons utilisé dans nos observations écrites — pour qui d'autres séries de traitements très douloureux et difficiles pourraient — peut-être — guérir cette personne de sa maladie, pourrait éliminer le cancer; pourtant, la personne pourrait très bien dire: « Ce traitement va me causer des brûlures à la vulve et à l'anus, entraînera une dysfonction sexuelle et me causera toutes sortes d'autres choses horribles — même dans l'éventualité qu'il porte fruit, si je guéris —, mais je ne veux pas faire face à cela ». Cette personne pourrait très bien être exclue en raison de la disposition relative à l'incurabilité.
Le terme qu'a employé la Cour suprême était « irrémédiables ». Ensuite, elle l'a défini en disant que la souffrance ne pouvait être atténuée « par un moyen acceptable pour le patient ». Certaines questions ont été soulevées à ce sujet. Je sais que M. Bittle a eu un échange à ce sujet, l'autre jour, avec une personne du ministère de la Justice et qu'ils ont tenté de déterminer s'il s'agissait de la même chose ou si c'était différent. La ministre et les représentants du ministère ont tenté de laisser entendre, selon moi, que c'est la même chose, mais, fondamentalement, ces définitions nous semblent différentes.
La ministre a soutenu que, même s'il y avait encore une disposition au sujet de la douleur ou de la souffrance qui ne peut pas être atténuée par des conditions acceptables pour le patient... c'est différent, car la personne en question pourrait déjà avoir été exclue par le critère relatif à l'incurabilité, puisqu'un médecin pourrait très bien lui dire: « Nous pourrions peut-être vous guérir », puis, le fait qu'il pourrait y avoir certains autres remèdes ou certaines séries de remèdes — dont certains sont acceptables pour les patients, et d'autres pas — n'est pas pertinent, puisque nous avons fait de l'incurabilité la base de référence.
Il ne s'agit là que de quelques façons différentes dont, selon nous, le projet de loi n'est pas conforme à la décision Carter.