Bonjour à tous.
Je vous remercie beaucoup de me recevoir comme témoin dans le cadre de votre étude sur la criminalisation de la non-divulgation de la séropositivité.
J'ai organisé mon témoignage autour des quatre questions qui nous ont été acheminées par M. Girard, le greffier de ce comité. D'ailleurs, je le remercie beaucoup de m'avoir soutenue dans ma préparation à cette rencontre.
Essentiellement, votre première question concerne la pertinence et le contenu de la directive fédérale. Comme médecin spécialiste en santé publique et comme responsable de Montréal sans sida, la question de la criminalisation de la non-divulgation de la séropositivité a souvent été portée à mon attention.
La directive est pertinente, sans aucun doute. Au Canada, il y a eu près de 200 poursuites de personnes vivant avec le VIH dans des cas de non-divulgation du statut sérologique. À l'international, si l'on en juge par les textes parlant de ces problèmes, le Canada était perçu comme un État dont l'interprétation était assez discutable pour ce qui est de la possibilité réaliste de transmission du VIH. Cette directive arrive donc à point nommé, car elle présente une interprétation beaucoup plus à jour que la décision rendue par la Cour suprême en 2012. Elle est beaucoup plus en phase avec les avancées de la science sur la vie avec le VIH et sur la transmission du VIH.
Ce qu'on sait, c'est que la criminalisation de la non-divulgation de la séropositivité n'est généralement pas une mesure recommandée par les autorités de santé publique. Cela ne réduit pas vraiment le risque de transmission. De plus, cela ne mène pas nécessairement à des changements durables de comportement chez les personnes. Cela peut même nuire aux efforts de prévention en santé publique, parce que cette criminalisation contribue à la stigmatisation des personnes vivant avec le VIH. Cela peut nuire, d'une certaine manière, à la relation entre le patient et son équipe traitante. Dans certains cas, cela peut même réduire le recours au dépistage du VIH chez les personnes qui sont à risque de contracter le VIH.
Cette directive est reçue avec beaucoup de soulagement dans le milieu de la prévention du VIH. Nous avons l'impression qu'elle va réduire le recours à la justice pénale dans les cas de non-divulgation du VIH. Nous sommes heureux qu'on ait enfin une meilleure compréhension de la vie avec le VIH et de la transmissibilité du VIH.
Cette directive est pertinente, sans aucun doute, notamment du fait qu'elle est publique. Cela joue beaucoup pour réduire la stigmatisation. Le fait que cela ait été rendu public et qu'il y ait eu une couverture médiatique envoie un message très clair et très intéressant.
Je ne m'étendrai pas beaucoup sur le contenu, parce que la directive a été précédée d'un rapport très étoffé sur l'état de la science. Essentiellement, nous sommes contents de voir que la directive couvre deux avancées très intéressantes d'un point de vue médical. Premièrement, il y a le fait que le VIH soit maintenant perçu comme une maladie chronique qui se gère médicalement, ce qui améliore beaucoup la qualité de vie des personnes ainsi que leur espérance de vie. Le deuxième élément médical très pertinent est le fait que le VIH se transmette beaucoup moins facilement que ce qui était perçu dans le passé. Les avancées de la science nous montrent que, lorsque les personnes ont accès à des stratégies de prévention efficaces, le risque de transmission par voie sexuelle varie entre nul et négligeable. C'est le cas lorsque les personnes ont une charge virale supprimée, lorsque les personnes utilisent de façon constante le condom et lorsque les personnes accomplissent des actes sexuels à risque réduit. Ce sont tous des éléments de contenu qui font partie de la directive et qui sont très intéressants.
La directive contient un autre élément pertinent, lequel permet de répondre à votre deuxième question, à propos des meilleures pratiques en matière de non-divulgation du statut sérologique. La directive reconnaît d'abord et avant tout que, en réalité, la non-divulgation est un problème de santé publique, et non un problème de justice pénale. Cela est bien écrit dans la directive et nous trouvons cela très intéressant.
Effectivement, les interventions qui se sont montrées efficaces pour changer durablement les comportements et prévenir le VIH, ce sont celles basées sur une approche de santé publique qu'on appelle généralement une approche à intensité graduée. Cela veut dire que, sur le plan de la santé publique, les interventions qui seront proposées à la personne pour l'accompagner vers un changement de comportement afin de réduire les probabilités de transmettre le VIH sont basées sur le risque réel de transmission et sur une approche que l'on veut le plus possible volontaire. C'est de cette manière qu'on va arriver à des changements durables de comportement pour réduire le risque de transmission.
Dans la grande majorité des cas, nous déterminons les facteurs qui font qu'une personne ne prend pas les précautions nécessaires pour prévenir la transmission du VIH. Souvent, il y a toute une constellation de facteurs, qui peuvent être médicaux, sociaux ou culturels, et ceux-ci sont mieux pris en compte par une approche de santé publique que par une approche de criminalisation, en l'occurrence.
Dans les très rares cas où nous n'arrivons pas à des changements volontaires de comportement au moyen d'une approche comme celle-là, il existe des lois, par exemple la Loi sur la santé publique, au Québec, qui nous permettent d'opter pour une approche un peu plus coercitive, telle que la divulgation du statut sérologique sans consentement de la personne. C'est toutefois rarissime que nous devions aller jusque-là. En santé publique, nous n'avons jamais vraiment besoin de recourir à la justice pénale pour arriver à nos fins en matière de prévention de la transmission du VIH, par exemple lorsqu'il y a une menace à la santé de la population.
Selon nous, les meilleures pratiques sont donc celles qui se basent sur une approche de santé publique.
Je m'en voudrais de parler de meilleures pratiques en matière de non-divulgation du VIH sans parler, plus généralement, de meilleures pratiques de prévention du VIH. Ces meilleures pratiques se basent d'abord sur une réduction de la stigmatisation des personnes vivant avec le VIH et des communautés à risque de contracter le VIH, de même que sur un meilleur accès aux services de prévention et de traitement du VIH. C'est vraiment de cette façon que nous allons arriver à nos objectifs de santé publique en matière de VIH.
Au Canada, la très grande majorité des nouveaux diagnostics de VIH sont attribuables à des personnes qui ne connaissent pas leur statut de séropositivité, et non à des personnes qui se savent porteuses du VIH ou vivant avec le VIH et qui ne prennent pas les précautions nécessaires pour éviter la transmission. Ces cas sont très rares, en réalité, quand on regarde l'ensemble des personnes vivant avec le VIH.
Cela nous amène à aborder votre troisième question, qui est celle des meilleures façons pour que travaillent ensemble le système de justice pénale et les autorités de santé publique. Effectivement, ce travail plus rapproché nous permet d'atteindre davantage nos objectifs de santé publique.
Au-delà de cette question importante de la criminalisation de la non-divulgation du statut sérologique, il y a d'autres éléments de criminalisation qui peuvent nuire aux efforts de santé publique. Montréal sans sida a recueilli les commentaires de communautés. Entre autres choses, plusieurs ont dit que tout ce qui menait à la criminalisation du travail du sexe, de la consommation de drogue ou de sa possession faisait partie des éléments qui augmentaient la stigmatisation des communautés à risque de contracter le VIH et qui les éloignaient des services de prévention du VIH. En réalité, sur le plan de la santé publique, cela nous éloigne de nos objectifs d'élimination de la transmission locale du VIH.
Donc, chacun des pas que fait le système de justice pour se rapprocher des autorités de santé publique et des communautés les plus touchées par l'application des lois criminelles nous aide à atteindre nos objectifs de santé publique.
La directive et le rapport du ministère de la Justice sont un excellent exemple de collaboration efficace entre la justice et les autorités de santé publique. La justice a fait appel à l'expertise épidémiologique et méthodologique des autorités de santé publique pour aller chercher une connaissance fine de l'état de la science et trouver la manière de la traduire en outils juridiques efficaces. On peut imaginer le recours à ce genre de collaboration pour d'autres applications du droit criminel, dont celles que j'ai nommées plus tôt.
Je n'en dirai pas davantage sur ce point, mais je suis très ouverte à répondre à vos questions. Je veux vraiment garder mon temps de parole pour vous parler d'autres choses.
Votre dernière question porte sur le rôle que pourrait jouer le gouvernement fédéral pour...
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Bonjour à tous. Je m’appelle Isaac Bogoch. Je suis médecin et chercheur spécialisé dans les maladies infectieuses et dans le VIH à l’Hôpital général de Toronto et à l’Université de Toronto. Merci beaucoup de m’avoir invité à comparaître devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes pour discuter de la criminalisation de la non-divulgation du statut sérologique.
Dans les prochaines minutes, je me propose d'aborder quelques pistes de solutions sur la manière d'appréhender la criminalisation de la non-divulgation du VIH par la lorgnette des dernières découvertes scientifiques et des données disponibles, et de discuter des conséquences pratiques du projet de loi. Je compte surtout aborder deux points: l'actualisation de nos connaissances sur la transmission du VIH à l’heure actuelle, et tout ce qui concerne les dimensions cliniques, la santé publique et la perception des patients en matière de criminalisation de la non-divulgation du VIH.
Je compte ainsi parvenir à démontrer que la criminalisation de la non-divulgation du VIH est contre-productive dans la réduction du fardeau que représente le VIH au Canada et dans le monde.
Sachez tout d'abord que je n’ai que du respect pour les personnes infectées par le VIH et pour celles qui risquent de le contracter. Notre objectif ici doit être de discuter des données, des lois et des politiques récentes d’une manière qui ne soit pas fondée sur un jugement de valeur.
Commençons par le début, c’est-à-dire par les progrès réalisés dans la connaissance de la transmission du VIH et du risque de transmission de ce virus. Au cours de la dernière décennie, et surtout des trois dernières années, d’énormes progrès ont été réalisés dans notre compréhension des risques de transmission du VIH et de la façon dont nous pouvons atténuer et, à terme, éliminer ces risques de transmission grâce à une pharmacopée adaptée. Je parle ici des médicaments antirétroviraux.
Comme notre temps de parole est limité, je vous renvoie à deux études qui ont contribué à transformer la politique sur la santé publique dans le monde, dans le cas du VIH.
La première a été menée par Alison Rodger et ses collaborateurs et a été publiée dans le journal de l'American Medical Association en 2016. Celle-ci a porté sur 1 166 couples dont un des deux partenaires était séropositif et prenait des médicaments antirétroviraux. Le groupe étudié comprenait des couples hétérosexuels et des hommes ayant eu des rapports sexuels avec d'autres hommes.
L’étude a examiné la transmission du VIH entre partenaires d'un même couple n'utilisant pas de préservatifs, celui des deux qui était séropositif ne présentant pas de charge virale détectable. On parle de charge virale non détectable quand les médicaments antirétroviraux donnent des résultats et que le virus ne peut être détecté chez la personne séropositive par des tests sanguins conventionnels.
Soit dit en passant, nous savons que le virus est toujours présent et qu'il reviendra à des niveaux détectables si les couples cessent de prendre leurs médicaments. Cependant, il suffit que la personne prenne ses médicaments et que ceux-ci soient efficaces pour que la charge virale soit indétectable.
Pendant les deux années environ qu'a duré l’étude, les couples hétérosexuels ont signalé 36 000 rapports sexuels sans condom et les hommes 22 000 rapports sexuels non protégés avec d'autres hommes. Savez-vous combien il y a eu de cas de transmission du VIH dans les couples où la personne séropositive présentait une charge virale indétectable? Zéro! Il n’y a eu aucun cas de transmission du VIH. Voilà une donnée importante à retenir. Il n'y a eu aucun cas de transmission du VIH par une personne séropositive prenant ses médicaments antirétroviraux et ne présentant pas de charge virale détectable.
La deuxième étude dont je veux vous parler porte une griffe canadienne. Elle a été réalisée sous la direction de Jennifer LeMessurier en collaboration avec d’autres médecins et scientifiques canadiens, et a été publiée dans le Journal de l’Association médicale canadienne en 2018.
Cette étude est intéressante, parce qu’elle est fondée sur une revue systématique. Autrement dit, l'équipe de chercheurs a évalué plusieurs études publiées, comme celle que je viens de mentionner, et elle en a combiné les conclusions sous la forme d'une seule grande étude pour dégager une vue d'ensemble du risque de transmission du VIH, surtout quand une des deux personnes du couple a une charge virale indétectable.
Comme on parle de 12 études au départ, l'échantillon est nettement plus valable parce que beaucoup plus grand. Les chercheurs ont calculé le nombre de fois où le virus a été transmis d’une personne séropositive ne présentant pas de charge virale détectable à une personne séronégative. Ils en parlent comme étant le nombre de transmissions du VIH par personne-année. Tout comme l’étude dont j'ai parlé avant, celle-ci a été acclamée parce qu'elle a porté à la fois sur des couples hétérosexuels et sur des hommes ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes.
En 1 327 années-personnes, le VIH n’a pas été transmis une seule fois d’une personne séropositive ne présentant pas de charge virale détectable à une personne séronégative. Pas une seule fois. Vous vous souvenez de cette importante donnée? Zéro!
Ce ne sont là que deux exemples d’études de haut niveau publiées dans des revues médicales jugées par des pairs qui sont très suivies. D’autres études confirment ces résultats.
Ces données et d’autres sont à l’origine de ce qu’on appelle maintenant le mouvement I égale I, pour: « indétectable égale intransmissible ». Cela signifie que, si une personne est séropositive, qu’elle prend des médicaments antirétroviraux et qu’elle est porteuse d'un virus indétectable pendant quatre à six mois, elle ne peut transmettre le VIH. Elle ne peut infecter personne d'autre.
« I égale I » a été adopté par les principaux organismes de santé publique dans le monde, comme le Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida, ONUSIDA, l’Organisation mondiale de la santé, les Centers for Disease Control and Prevention des États-Unis, le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies et, plus près de chez nous, par la ministre de la Santé du Canada, , et par l’administratrice en chef de la santé publique du Canada, la Dre Theresa Tam.
Au Canada, on dénombre quelque 65 000 personnes qui vivent avec le VIH auxquelles s'ajoutent environ 2 500 nouveaux cas par an. Environ 20 % des personnes séropositives ignorent leur diagnostic et ne sont pas sous traitement. Ce sont ces personnes qui risquent de transmettre l’infection à d’autres.
Le traitement contre le VIH est facilement accessible au Canada, mais nous devons faire encore mieux pour réduire le plus d’obstacles possible afin de permettre l’accès au dépistage, au traitement et à la prévention du VIH. Il faudrait modifier notre Code criminel de manière à ne pas porter d’accusations contre toute personne séropositive présentant des risques nuls ou très négligeables de transmettre le virus à d’autres personnes, ce qui est le cas de celles et de ceux qui prennent leurs médicaments contre le VIH et dont la charge virale est indétectable. Il est urgent de réformer le Code criminel afin de retirer cette infraction de tout ce qui touche au droit relatif aux agressions sexuelles pour se limiter à la transmission intentionnelle et réelle.
La directive fédérale de décembre 2018, publiée dans la Gazette du Canada, qui fournit des lignes directrices en matière de non-divulgation de la séropositivité, souligne ce fait et représente un pas dans la bonne direction, mais il faut faire davantage.
Étant donné l’énorme stigmatisation encore associée au VIH au Canada et dans le monde, le Code criminel actuel est un obstacle qui empêche ou retarde le dépistage de ce virus. C’est ce que j’entends régulièrement dans ma clinique de l’Hôpital général de Toronto. Beaucoup de patients ont peur de se soumettre à un test et tardent à le faire par crainte de répercussions légales. N’oubliez pas que ceux qui sont infectés par le VIH et qui ne prennent pas de médicaments sont les plus à risque d’infecter d’autres personnes, ce qui contribue à l’épidémie actuelle au Canada et dans le monde.
Le droit canadien décourage les gens de se soumettre à un test de dépistage et à un traitement efficace qui éliminerait pourtant tout risque de transmission du VIH. Il est crucial de ne plus invoquer le droit relatif aux agressions sexuelles pour criminaliser la non-divulgation du VIH et de limiter le recours au Code criminel aux seuls cas de transmission intentionnelle et réelle du VIH.
Si nous voulons un jour mettre un terme à cette épidémie — et c’est ce que nous ferons —, nous devons d'abord miser sur des lois et des politiques qui répondent aux besoins des personnes infectées par le VIH ou qui risquent de l’être en leur offrant un milieu bienveillant, favorable et exempt de tout jugement de valeur.
Comme le Code criminel canadien actuel ne va pas dans le sens de ces objectifs, les personnes séropositives sont davantage stigmatisées, ce qui va à l'encontre de toute logique. La criminalisation de la non-divulgation du VIH peut faciliter la transmission du VIH, car elle fait obstacle à ceux et celles qui pourraient être soumis à un test de dépistage et à une thérapie efficace. Nous pouvons enrayer le VIH au Canada et dans le monde, et si nous modifions le Code criminel, nous ferions un pas dans la bonne direction.
Merci beaucoup de votre temps.
Bonjour. Je m’appelle Jonathan Shime et je suis criminaliste chez Cooper, Sandler, Shime & Bergman, LLP à Toronto. Au cours de la dernière décennie, j'ai consacré une importante partie de ma pratique à représenter des personnes accusées de ne pas avoir déclaré leur séropositivité. Je suis également conseiller juridique de plusieurs organismes provinciaux et nationaux de lutte contre le VIH.
Je remercie le Comité de son invitation. Je trouve encourageant que le Comité rencontre et consulte un vaste groupe de personnes touchées par le VIH et par l’application abusive du droit pénal au Canada pour poursuivre ceux qui ne divulguent pas leur séropositivité. J’espère qu’à l’avenir, ces consultations se poursuivront, en particulier auprès des membres des communautés queer, noire et autochtone.
En ce qui concerne les communautés autochtones, je tiens à souligner que nous sommes réunis sur des terres que les Autochtones habitent depuis des temps immémoriaux. Nous reconnaissons que le territoire sur lequel nous nous réunissons est un territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin Anishinabe. Cette reconnaissance est essentielle dans le cadre du devoir que nous avons envers la réconciliation avec les communautés autochtones. Toutefois, il ne faut pas se contenter de vœux pieux au début de chaque réunion. Dans ce contexte particulier, cela signifie que nous devons reconnaître l’incidence disproportionnée du VIH sur les communautés autochtones.
En 2016, l’Agence de la santé publique du Canada a estimé que 63 000 personnes environ vivaient avec le VIH ou le sida. Quelque 9,6 % d'entre elles étaient autochtones, alors que les Autochtones ne représentent que 4,9 % de la population canadienne totale. De plus, le taux de prévalence du VIH chez les Autochtones au Canada en 2016 était estimé à 362 pour 100 000 personnes de ce groupe, soit deux fois plus que le taux de prévalence dans la population générale. Cela signifie qu’un nombre disproportionné de personnes vivant avec le VIH au Canada sont autochtones et que leur nombre augmente rapidement, plus rapidement que celui de la population en général.
Cela revêt une grande importance pour nos échanges, car de plus en plus d’Autochtones pourraient être poursuivis au pénal pour non-divulgation de leur séropositivité, et l'on se trouverait ainsi à accroître le nombre déjà disproportionné d’Autochtones ayant eu des démêlés avec la justice pénale et étant emprisonnés. Les conséquences pourraient être graves sur les efforts que nous déployons pour étendre la santé publique à nos collectivités autochtones. Le projet de loi stigmatise les personnes séropositives, rendant le dépistage et le traitement moins probables. Cela, à son tour, comme vous l’avez déjà entendu, stimule le risque de propagation du VIH.
Les collectivités autochtones ont de nombreux besoins, notamment en eau potable, en écoles locales efficaces, en centres communautaires et en services de counseling culturellement adaptés pour composer avec le traumatisme intergénérationnel du système des pensionnats et de la rafle des années 1960. Ces collectivités n’ont pas besoin de compter encore plus de résidents atteints du VIH et étant soumis aux dispositions du Code criminel ou envoyés en prison.
J’ai eu l’occasion de travailler dans ce domaine pendant de nombreuses années en qualité d’avocat. J’ai également examiné les témoignages des personnes qui m'ont précédées devant le Comité. Je me propose de dégager plusieurs des grands thèmes ayant été abordés jusqu'ici ou qui le seront aujourd’hui. Voici ce dont il est question.
La grande majorité des personnes vivant avec le VIH au Canada divulguent leur statut à leur partenaire sexuel parce qu’elles se sentent extrêmement responsables de leur santé et de celle de leur partenaire.
Heureusement, nous avons fait de grands progrès dans notre compréhension de la science du VIH et du risque statistiquement négligeable associé aux fait d'avoir des rapports sexuels avec une personne qui vit avec le VIH. Cela revient à dire qu'il n'y a réellement aucun risque — ou qu'il y a un risque zéro, pour reprendre l'expression — de transmission par des personnes présentant une charge virale supprimée ou utilisant un condom. Malheureusement, le droit pénal a été trop lent à reconnaître cette réalité et, par conséquent, des personnes qui ne posaient aucun risque pour les autres ont été injustement accusées, reconnues coupables, envoyées en prison et stigmatisées comme des délinquants sexuels. Le Comité doit recommander un mécanisme de révision de ces condamnations pour réparer les torts du passé.
La directive fédérale de décembre 2018 constitue, certes, un pas important dans la bonne direction, mais il reste beaucoup à faire pour que la loi relative à la non-divulgation du VIH soit conforme à nos connaissances scientifiques et ne soit pas une remise en question des initiatives de santé publique dans ce domaine.
De façon générale, le droit pénal est un instrument brutal qui doit être utilisé avec parcimonie pour que seuls ceux qui méritent d'être sanctionnés le soient. La mauvaise compréhension du VIH et du risque négligeable de transmission par des personnes vivant avec le VIH lors de rapports sexuels a donné lieu à une surcriminalisation importante.
L'application du droit relatif aux agressions sexuelles en particulier, pour judiciariser ceux qui ne divulguent pas leur séropositivité, est excessivement punitive et ne fait qu'ajouter à la stigmatisation des personnes vivant avec le VIH. En outre, elle entrave les importants efforts déployés en santé publique pour maximiser le dépistage et la communication ouverte avec des fournisseurs de soins de santé qui deviennent alors témoins des poursuites criminelles engagées contre leurs propres patients. Il y a donc lieu de ne plus appliquer les dispositions du Code criminel relatives aux agressions sexuelles en pareils cas.
Comme le VIH doit être considéré comme un problème de santé publique, il n’y a aucune raison pour que les lois encadrant la santé publique ne soient pas invoquées pour assujettir les personnes dont la conduite justifie une intervention de l’État.
Par exemple, en Ontario, la Loi sur la protection et la promotion de la santé permet au médecin hygiéniste d’obliger une personne à prendre ou à s’abstenir de prendre toute mesure précisée dans l’ordonnance à l’égard d’une maladie transmissible, cela afin de réduire ou d’éliminer le risque pour la santé que présente une maladie transmissible. Cette ordonnance peut obliger la personne visée à se conduire de manière à n'exposer personne d'autre à l’infection.
Il n'y a pas lieu de craindre que cette sanction légale soit trop faible dans les circonstances, car la loi prévoit que toute personne ne se conformant pas à une telle ordonnance du médecin hygiéniste puisse être traduite devant un juge de la Cour de justice de l’Ontario. Celui-ci peut, entre autres choses, ordonner à l'intéressé qu'il se conduise de manière à ne pas exposer les autres à l’infection. Le juge peut également ordonner que la personne soit placée sous garde ou détenue dans un hôpital ou un autre établissement approprié pour un maximum de six mois. Autrement dit, le régime de réglementation comporte toutes les exigences nécessaires pour répondre aux préoccupations concernant la non-divulgation du VIH, sans pour autant soulever les préoccupations associées à la criminalisation et à la stigmatisation en vertu du Code criminel.
L'application des dispositions légales en matière de santé publique permettrait à l’État d'intervenir dans des circonstances appropriées, y compris pour arrêter la personne concernée et la placer en détention au besoin, sans qu'il soit nécessaire de recourir au droit pénal.
Si le Parlement juge qu'il y a lieu de recourir au droit pénal, son utilisation devra alors être limitée aux cas de transmission intentionnelle et réelle du VIH, comme c'est le cas en Angleterre, au Pays de Galles et, plus récemment, en Californie à la suite de l'adoption du bill 239 du Sénat de cet État. C’est ce qui a été demandé dans une déclaration consensuelle communautaire signée par 174 organismes de partout au pays. Je sais qu'elle a été remise au Comité.
S'il fallait juger une infraction par la lorgnette du Code criminel, il faudrait alors veiller à ne pas se fonder sur le droit traitant des agressions sexuelles. Les personnes ne divulguant pas leur séropositivité ne devraient pas être stigmatisées comme des délinquants sexuels inscrits au registre des délinquants sexuels, au même titre que les pédophiles et ceux qui se livrent à des activités sexuelles coercitives.
Nous invitons le Parlement à entreprendre de vastes consultations auprès des parties intéressées afin d’examiner d’autres options, y compris la possibilité de porter des accusations pour négligence criminelle en vertu du Code criminel.
Merci.
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Merci, et bonjour à tous.
Je remercie mon bon ami Jonathan Shime d'avoir rappelé que nous sommes en territoire autochtone et d'avoir parlé de l'engagement à l'égard de la réconciliation.
Merci aux membres du Comité de prendre le temps d'examiner un enjeu qui est essentiel. Merci à eux de m'avoir invité.
Je suis avocat et directeur exécutif chez HALCO, la HIV & AIDS Legal Clinic Ontario, la seule clinique d'aide juridique au Canada qui se consacre exclusivement aux séropositifs. Non seulement elle offre des services directs à ceux qui ont le VIH en Ontario, mais elle a aussi des activités dans les domaines de la vulgarisation juridique et de la réforme du droit.
La criminalisation de la non-divulgation de la séropositivité est un aspect omniprésent dans tout notre travail, qu'il s'agisse de conseiller des clients, d'offrir des ateliers, de discuter avec les décideurs politiques ou d'intervenir auprès de tribunaux comme la Cour suprême du Canada. Mais avant d'aborder la question de la loi, de ses conséquences et des mesures qui seront nécessaires à l'avenir, il n'est pas inutile de rappeler la réalité actuelle du VIH. Les nouvelles sont excellentes. Les séropositifs qui ont accès à un traitement et à des soins suivis ont à peu près la même espérance de vie que les séronégatifs. Il y a lieu de s'en réjouir.
La connaissance des stratégies de prévention est plus avancée que jamais, et il est beaucoup plus difficile de transmettre le VIH qu'on ne le croyait généralement par le passé. Il en a été question ce matin. Le risque de transmission est nul si le préservatif est utilisé correctement et demeure intact — il est très important de ne pas oublier le préservatif — et, bien sûr, dans le cas des personnes vivant avec le VIH qui ont une charge virale supprimée.
Bien qu’il ne faille pas négliger cette réalité, il est également très important de se rappeler que bien des gens ont des obstacles institutionnels, sociaux et économiques non négligeables à surmonter pour accéder à des soins et à des médicaments qui peuvent leur sauver la vie. De plus, les attitudes sociales à l'égard des séropositifs sont loin d'avoir évolué aussi rapidement que la science. En d’autres termes, la stigmatisation liée au VIH et la discrimination qui l’accompagne demeurent bien ancrées et omniprésentes au Canada. Il est honteux que, comme le révèle une étude pancanadienne réalisée en 2012 pour l’Agence de la santé publique du Canada, 24 % des personnes interrogées répugnent à endosser un chandail qui été porté par une personne vivant avec le VIH. Vingt-deux pour cent d’entre elles se sentaient mal à l’aise d'aller faire des courses à la petite épicerie de quartier si elles savaient que le propriétaire était porteur du VIH. Selon une étude réalisée en 2018, il y a quelques mois à peine, 15 % des Canadiens craignent de contracter le VIH s'ils se trouvent à proximité d'une personne porteuse; 25 % croient que certains risquent de ne pas se soumettre à des tests par crainte d'être repérés et traités différemment; 71 % pensent que les personnes porteuses du VIH sont susceptibles de cacher leur état à autrui par crainte de la stigmatisation liée au VIH.
À cause de ces attitudes, les problèmes juridiques abondent. Qu'il s'agisse du refus de services ou du refus de mesures d'adaptation en milieu de travail, les manquements aux droits de la personne sont très répandus. La protection de la vie privée est un souci constant pour bien des gens, face à des acteurs institutionnels, à des fournisseurs de services ou à des voisins, et les recours juridiques peuvent être difficiles voire impossibles à exercer. Et bien sûr, puisque nous sommes ici pour en discuter aujourd’hui, le Canada demeure un chef de file mondial dans les poursuites intentées contre des porteurs du VIH, car le nombre des poursuites de cette nature dépasse les 200.
On ne saurait assez dire à quel point la surcriminalisation — un terme utilisé explicitement par le gouvernement fédéral — pèse lourd sur le groupe des séropositifs.
Pour commencer, on ne sait pas quels comportements sont passibles d'emprisonnement, car les approches varient beaucoup d'un bout à l'autre du Canada. N'oublions pas que le chef d'accusation retenu est presque toujours celui d'agression sexuelle grave. Il s'agit d'une des infractions les plus graves du Code criminel et elle est conçue pour réprimer les actes de contrainte sexuelle les plus dégoûtants et horribles. Le Canada est le seul pays à avoir adopté pareille approche.
Les conséquences d’une condamnation sont extrêmement lourdes. Par exemple, une condamnation est passible d’une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité et le prévenu peut être inscrit à vie sur les registres des délinquants sexuels, ce qui entraîne une stigmatisation énorme et a des répercussions durables sur toute l'existence. Sans oublier que les possibilités d'emploi s'en trouvent extrêmement réduites. Pour ceux qui ne sont pas citoyens, une condamnation équivaut plus ou moins à une expulsion. Pour couronner le tout, il y a des poursuites non seulement lorsqu’il n’y a aucune allégation de transmission ni aucune intention de transmettre le VIH, mais aussi dans des circonstances où l'activité sexuelle en cause présente un risque négligeable, voire nul, de transmission.
Même lorsque, en fin de compte, des accusations ne sont pas portées ou qu’il y a acquittement, les forces policières publient souvent des communiqués qui contiennent des photos et des renseignements sur la santé. Ces divulgations peuvent avoir et ont effectivement des conséquences brutales. Les personnes en cause peuvent perdre le contact avec des membres de leur famille et des amis, perdre leur emploi et leur logement et être victimes de violence.
La crainte de surcriminalisation, ajoutée aux répercussions d’une condamnation, serait difficile à supporter pour n'importe qui, mais elle a des conséquences particulières pour un groupe qui a toujours été stigmatisé. Elle occasionne un stress grave chez des personnes immunocompromises et souvent marginalisées.
De plus, nous entendons régulièrement parler de la crainte qu’un ex-partenaire vindicatif ne s’adresse à la police pour faire intenter des poursuites. Il y aurait aussi des partenaires violents qui se servent du droit pénal pour mieux se livrer à des mauvais traitements: ils menacent de s’adresser à la police à moins que leur partenaire ne continue de faire ce qu'ils exigent. C'est une forme d'extorsion.
Chose révoltante, il arrive que des femmes séropositives qui sont victimes de violences sexuelles aient très peur de se défendre parce qu'elles craignent de devenir des accusées et d'être inculpées d’agression sexuelle grave.
La surcriminalisation a également des conséquences tragiques sur le plan de la santé publique. Elle fait obstacle aux efforts de prévention du VIH et entrave les soins, les traitements et le soutien dont les séropositifs ont besoin, car ils sont portés à éviter les tests de dépistage, comme on nous l’a dit, et les échanges honnêtes et ouverts avec les professionnels de la santé et d’autres fournisseurs de services, y compris les autorités de la santé publique, craignant à juste de titre que ces échanges ne soient utilisés contre eux devant les tribunaux.
Bref, la loi est complètement déphasée au vu des données scientifiques et des impératifs de la protection des droits de l’homme, et elle entrave les soins, le traitement, le soutien et les efforts de prévention. Comme le gouvernement fédéral l’a reconnu, elle a aussi un impact disproportionné sur les Autochtones, les Noirs originaires d’Afrique et des Antilles, et les homosexuels.
Parlons sans détour: on a l'impression, chez les séropositifs, que c'est la maladie elle-même qui est criminalisée, et non un comportement. C’est inacceptable et cela doit changer.
Nous félicitons le gouvernement fédéral de la directive récemment publiée sur la limitation des poursuites pour non-divulgation du VIH. C’est un progrès, mais il faut faire davantage pour limiter encore plus la surcriminalisation des personnes porteuses du VIH. Le gouvernement fédéral doit rendre la loi conforme aux données de la science et aux impératifs de protection des droits de la personne de manière à soutenir les soins, le traitement et la prévention. Il peut le faire en ne considérant plus l’infraction comme une agression sexuelle et en mettant l’accent sur la transmission intentionnelle et réelle. Cette réforme du Code criminel est urgente et doit se faire en consultation avec les personnes porteuses du VIH.
En guise de conclusion, je vous exhorte respectueusement à recommander avec insistance au gouvernement de commencer immédiatement à travailler avec les personnes porteuses du VIH à la réforme du Code criminel.
Merci. Meegwetch. Thank you.
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Merci beaucoup, monsieur le président, et merci aux témoins.
J'affirmerai d'emblée que je suis tout à fait d’accord pour dire que, lorsqu’une personne est séropositive, prend des médicaments antirétroviraux et a une charge virale indétectable, elle ne devrait pas faire l'objet de poursuites. J’appuie également la directive émise par le .
Cela dit, j’ai également examiné l'arrêt le plus récent de la Cour suprême, dans l’affaire Mabior. Il rappelle que, aux termes de la loi, il doit y avoir un acte malhonnête et, deuxièmement, qu’il doit y avoir un risque important de lésions corporelles graves. L'arrêt précise la définition.
Je suis en train de passer en revue 59 arrêts publiés depuis 1998, mais je ne les ai pas encore tous vus. Pouvez-vous citer des cas où une personne a été poursuivie et condamnée alors qu’elle n’avait pas d’intention criminelle et avait une charge virale faible? Il est arrivé, il est vrai, que des personnes soient poursuivies, mais dans toutes les affaires que j’ai étudiées jusqu’à maintenant, elles ont été acquittées, au bout du compte.
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Comme je suis l’un des deux avocats du groupe, je serai heureux de répondre en premier. M. Ryan Peck aura peut-être quelque chose à ajouter.
Il faut distinguer deux éléments. Le premier, quelque peu indirect, c’est qu’il n'est pas tenu compte de l’impact de la criminalisation sur le groupe des séropositifs. Le deuxième, c'est l’impact sur les personnes accusées. Même si elles ont été acquittées, elles ont été traînées devant le système de justice pénale. Et il y a, plus généralement, des conséquences pour les initiatives en matière de santé publique.
Quant aux condamnations, je représente actuellement deux hommes que je ne nommerai pas devant le Comité. Tous deux sont en appel, tous deux devant la Cour d’appel de l’Ontario, et tous deux ont été déclarés coupables. Nous savons que l’un d’eux est ce qu’on appelle un « non-progresseur ». Un non-progresseur peut exercer un contrôle sur son corps pour une raison inconnue; il peut contrôler sa charge virale en l’absence de toute intervention médicale. Il n'a donc besoin d'aucun médicament. Son corps peut, tout seul, maintenir la charge virale à des niveaux à peu près indétectables. À un moment donné, si la maladie progresse, il peut recourir à une intervention médicale avec traitement antirétroviral, mais la plupart des non-progresseurs n'en ont pas besoin.
L'homme en question avait une charge virale indétectable. Il a eu des relations sexuelles avec une femme pendant quelques mois, et il a été reconnu coupable en première instance malgré le témoignage d’un expert convoqué avec le consentement du procureur de la Couronne. Cet expert a affirmé qu’il y avait un risque statistiquement négligeable que le non-progresseur, vu sa charge virale naturellement supprimée, puisse un jour transmettre le virus à la plaignante. Malgré tout, le juge a prononcé une condamnation. Voilà un cas.
Il y a environ six mois, j’ai terminé la présentation d'un appel concernant une série d’infractions reprochées à un accusé. Une de ces infractions portait sur une activité sexuelle avec préservatif, et la preuve semblait montrer qu’il n’avait même pas éjaculé. En l’absence d’éjaculation, il n’y a pas de transmission de fluide corporel, et donc, aucun risque de transmission du VIH. De plus, les deux parties ont reconnu que le prévenu portait un préservatif. Il a pourtant été condamné en première instance. La Cour d’appel de l’Ontario étudie actuellement son appel.
Ces deux messieurs ont été condamnés même s'il n’y avait aucun risque de transmission et si des mesures ont été prises, soit par protection naturelle du corps supprimant la charge virale, soit par l’utilisation du préservatif et l'absence d'éjaculation. Malgré tout, les tribunaux ont condamné les accusés.
Il y a donc au moins deux exemples sur ma liste de criminaliste où une condamnation a été prononcée.
Par le passé, en Ontario, par exemple, lorsqu’il y a eu des préoccupations au sujet d'erreurs judiciaires, on a lancé des enquêtes publiques en vertu de la Loi sur les enquêtes publiques. Je ne suis pas sûr qu’il faille aller jusque-là, mais on pourrait facilement constituer un comité.
À Ottawa, comme vous le savez peut-être tous, il existe déjà un comité de révision des condamnations criminelles qui examine diverses affaires. C’est un processus à la fois lourd et long qui, si je peux me permettre de le dire, est doté de beaucoup trop peu de ressources. Le gouvernement devrait lui en accorder davantage, lui qui devrait se préoccuper des erreurs judiciaires commises par le passé au Canada.
On pourrait certainement créer un comité d’examen spécial qui serait habilité à entendre des personnes qui ont été emprisonnées ou des groupes communautaires, lorsque des cas particuliers donnent lieu à des préoccupations. Il pourrait voir si les condamnations étaient justifiées ou s’il s’agissait d’erreurs judiciaires, non seulement en se fondant sur les données scientifiques telles que nous avons pu les comprendre à l’époque — et qui, soyons justes, ont pu alors être parfois mal interprétées par les jurys ou même par les juges —, mais aussi en s'appuyant sur la compréhension actuelle des acquis scientifiques.
Lorsque le gouvernement de l’Ontario a dû examiner des cas de décès d'enfant et des préoccupations au sujet d'erreurs judiciaires liées au syndrome du bébé secoué et du sens à donner à l'expression, il a lancé, cette fois également, une enquête publique. Je ne pense pas que ce soit nécessaire dans le cas qui nous occupe. Quoi qu'il en soit, le gouvernement a notamment examiné toutes ces condamnations passées à travers le prisme des données scientifiques actuelles sur le syndrome du bébé secoué, de la compréhension que nous en avions et de l'influence que la science, correctement appliquée, aurait dû avoir sur le résultat des poursuites. Par conséquent, un certain nombre de ces affaires ont été renvoyées à la Cour d’appel de l’Ontario et ont été examinées par elle ou par d’autres tribunaux.
Chose certaine, la mise sur pied d’un comité qui pourrait examiner expressément ces condamnations et qui regrouperait peut-être d’anciens juges ou avocats, serait un progrès. Je sais que M. Peck a également réfléchi à la question. Peut-être a-t-il des réflexions à nous livrer à ce sujet.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie les témoins d'avoir accepté de comparaître.
Je tiens particulièrement à remercier M. Peck, un homme gai d’un certain âge, d’avoir rappelé qu’il y a des éléments positifs auxquels il faut travailler. C’est très important. Cela aide aussi à lutter contre la stigmatisation, en soulignant les choses constructives qui se sont faites, dont l'adoption de la directive, même si son application est étroite.
Maintenant, bien sûr, en tant qu’homosexuel d’un certain âge, j'éprouve toujours de l'impatience au sujet de notre lutte contre le VIH-sida. J’ai déjà dit au Comité que je me félicite de la tenue de ces audiences. Ce qui me déçoit, c’est que nous les tenions à la fin de la législature. Il est important que l’initiative découlant de nos audiences ne soit pas perdue pendant la période électorale et que nous poursuivions ce travail.
Cela dit en guise de préambule, je voudrais revenir sur une question qui a été soulevée indirectement à quelques reprises dans les exposés. Il s'agit ici du comité de la justice. Je voudrais parler de diverses formes de tests, mais ce n’est probablement pas la bonne tribune pour le faire, sinon dans la mesure où la criminalisation peut constituer un obstacle à l'utilisation de tests. Tous ou presque tous, vous avez évoqué d’autres obstacles dans le système de justice pénale qui nuisent à la lutte contre l’épidémie de VIH-sida. Je voudrais revenir à la Dre Mercure. Vous avez parlé notamment de la criminalisation du travail du sexe. Pouvez-vous nous parler plus longuement des autres aspects du recours au droit pénal qui gênent notre lutte contre cette crise?
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Merci, monsieur le président.
J’aimerais répondre, peut-être de façon inhabituelle, aux commentaires de M. Garrison. En tant qu’homme gai encore tout jeune...
Des voix: Oh, oh!
M. Randy Boissonnault: ... j’ai vécu toute ma vie dans l’ère non criminalisée d'après 1969. Écoutez, je vais travailler très fort pour revenir représenter les citoyens d’Edmonton-Centre et continuer de faire ce que je fais. Je veux que le secrétariat de la communauté LGBTQ2 reçoive du financement jusqu'au prochain mandat afin que nous puissions continuer à faire progresser ce travail.
Je tiens à vous remercier de votre solidarité à l’égard de ces questions, Randall, et je remercie tous les membres du Comité d’avoir soulevé ce problème. Je sais que je ne suis pas toujours d’accord avec mes collègues conservateurs, mais lorsque nous arrivons à mettre de côté la partisanerie pour nous concentrer sur la santé publique, dans un comité sur la justice, j'ai vraiment l'impression qu’il y a quelque chose qui fonctionne au Parlement. Merci.
Je vais maintenant donner la parole aux témoins.
[Français]
Docteure Mercure, j'ai pour vous une question qui n'a jamais été traitée ici: est-ce qu'il faut qu'une personne connaisse son statut sérologique avant de pouvoir recevoir un traitement contre le VIH?
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Ce sont deux excellents points.
La première question est de savoir pourquoi quatre à six mois. Essentiellement, les médicaments réduisent la charge de VIH chez une personne, qui passe de très grande à très, très petite. En somme, la période de quatre à six mois sert à garantir que la personne continue de prendre ses médicaments et de supprimer son virus. Si une personne ne prend pas ses médicaments ou si, pour une raison quelconque — peut-être qu’elle prend le mauvais médicament, qu’il s'agit d'un virus résistant ou qu’il y a une charge virale détectable —, cette personne risque de transmettre le virus. Si les gens subissent un examen tous les six mois environ et que le virus est supprimé de manière stable, nous savons que le risque est essentiellement nul. C’est le premier point.
La deuxième question concerne la prophylaxie préexposition au VIH, aussi appelée PrEP. Nous savons que les personnes qui sont séronégatives, mais à risque de contracter le VIH pour quelque raison que ce soit — des personnes séronégatives qui risquent de contracter le VIH, donc — en prenant, dans la plupart des cas, un comprimé de médicament antirétroviral par jour, peuvent presque éliminer leur probabilité de contracter l’infection. En médecine, tout comme dans la vie, rien n’est 0,0 % ou 100 %, mais avec la PrEP, si on la prend effectivement, on élimine pratiquement le risque de contracter le VIH. Elle éliminerait aussi le risque de transmission du VIH à quelqu’un d’autre.
Ce sont deux excellents points à soulever au Comité. Merci de les avoir portés à notre attention.
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Je m’appelle Merv Thomas. Je suis un Cri-Nehiyaw de la Saskatchewan.
Je tiens tout d’abord à saluer le peuple algonquin, sur le territoire duquel se tient cette réunion à Ottawa. Je témoigne par vidéoconférence depuis le territoire des Salish de la côte à Vancouver, en Colombie-Britannique.
Je tiens à remercier le Comité de m’avoir invité à témoigner. Je suis ici à titre de chef de l'exploitation du Réseau canadien autochtone du sida, un poste que j’occupe à temps partiel. Je travaille également à la Circle Of Eagles Lodge Society en qualité de directeur général, alors j’apporte une perspective unique du fait que je travaille en étroite collaboration avec les Autochtones dans le domaine du VIH et que j'aide les Autochtones à réintégrer la société.
Le mandat principal du Réseau canadien autochtone du sida est le VIH, mais en 2013, son mandat a été élargi pour inclure l’hépatite C, les infections transmissibles sexuellement par le sang et la tuberculose, la santé mentale et les problèmes de comorbidité. La Circle Of Eagles Lodge Society exploite deux maisons de transition et plusieurs autres programmes culturels.
Je suis né et j’ai grandi en Saskatchewan. J’ai été témoin du colonialisme, de la discrimination systémique, du racisme, du système des pensionnats indiens et des lois et politiques du Canada, j'ai senti leur impact et j'ai vu la façon dont ils ont contribué et continuent de contribuer à la surreprésentation des Autochtones dans les prisons.
En 2017, 92 % des personnes incarcérées en Saskatchewan étaient autochtones. Je sais aussi que la Saskatchewan possède les taux de VIH les plus élevés et qu'environ 80 % des personnes vivant avec le VIH sont autochtones. Cette discussion avec le comité de la justice de la Chambre des communes et les lois dont il est question ici contribuent aux problèmes des Autochtones, notamment au fait qu'ils sont surreprésentés dans les prisons et très nombreux à être porteurs du VIH.
J’aimerais parler de certaines statistiques du rapport de la vérificatrice générale concernant les Autochtones dans le système correctionnel fédéral. Ce bureau a déclaré:
Au cours de la décennie écoulée entre mars 2009 et mars 2018, la population carcérale autochtone a augmenté de 42,8 %, alors que la croissance générale a été de moins de 1 % pendant la même période. Au 31 mars... les détenus autochtones représentaient 28 % de l'ensemble de la population carcérale sous responsabilité fédérale, tandis que les Autochtones ne constituent que 4,3 % de la population canadienne.
En ce qui concerne le VIH, je tiens à souligner que les Autochtones continuent également d'être surreprésentés en ce qui a trait au VIH et au sida. Cette tendance est à la hausse, car les Autochtones se tournent vers la toxicomanie pour traiter leurs traumatismes. La consommation de drogues injectables constitue le vecteur de cette épidémie.
En Colombie-Britannique, nous sommes aux prises avec une crise des opioïdes, mais cette crise s’étend aussi à d’autres régions et il est temps d’agir. De nombreux Autochtones qui ont des démêlés avec le système de justice pénale sont très à risque. La plupart de ceux qui ont des démêlés avec le système judiciaire ont des problèmes de toxicomanie et ils sont touchés.
J’aimerais raconter l’histoire d’un jeune homme de Regina, en Saskatchewan. Il était membre d'un gang, c'était un jeune homme de 23 ans. Il avait trois enfants. Il a été transféré dans la région du Pacifique parce qu’il voulait quitter ce gang, commencer une nouvelle vie pour sa femme et ses enfants et repartir à neuf dans l’espoir d’un changement positif. Il est arrivé à une maison de transition de la Circle Of Eagles Lodge Society, mais il s'est absenté sans rien dire peu après. Puis quelques jours plus tard, il est revenu à la maison de transition, manifestement sous l’influence d’une substance quelconque. Avant même qu'on puisse le prendre en charge, il est reparti.
J’ai reçu un appel de l'hôpital me disant qu’il était dans le coma. Je suis allé avec un autre membre du personnel et nous sommes restés avec A.B. jusqu’à ce qu’il passe dans le monde des esprits ce soir-là. Appeler sa mère et l’entendre pleurer est l’une des choses les plus difficiles que j’ai eu à faire dans toute ma carrière.
Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai découvert qu’il vivait aussi avec le VIH. Cela soulève un autre enjeu qui, je l'espère, sera abordé. Il est très difficile de vivre avec le VIH dans la communauté en raison de la stigmatisation et de la discrimination. Imaginez ce que cela peut signifier que d'être un homme séropositif dans un établissement fédéral. La divulgation ouverte de son statut sérologique au sein de la population carcérale comporte des dangers qui n'existent même pas dans une communauté. Nous savons aussi que les Autochtones quittent leur foyer et leur réserve pour avoir accès à des soins de santé, mais ils fuient aussi la persécution. En raison de leur séropositivité, bon nombre d’entre eux ne sont pas autorisés à rentrer chez eux.
Un autre défi auquel font face le Circle Of Eagles Lodge et les organisations qui aident les Autochtones à effectuer la transition de retour vers leur communauté est l’accès aux renseignements médicaux. Nous continuons de voir beaucoup de gens libérés sans pièce d’identité valable, et je me demande ce qu'il en est pour ceux qui vivent avec le VIH. Comment peuvent-ils avoir accès à un médecin ou à un spécialiste du VIH? Comment les aide-t-on pour qu’ils continuent de recevoir leurs médicaments après leur libération? Dans le cas d’A.B., quelles mesures de soutien étaient en place pour l’aider avec le VIH?
La recherche a démontré que la charge virale d'une personne médicamentée était indétectable et que la maladie était alors intransmissible. À l’occasion de la Journée mondiale du sida et de la Semaine de sensibilisation au sida chez les Autochtones l’an dernier, la ministre de la Santé, , a réitéré la position du Canada selon laquelle « I égale I ».
Je suis très préoccupé par le fait que le Canada continue de criminaliser les dépendances et le VIH, au lieu d'en faire des enjeux de santé. Je suis également préoccupé par le fait qu’on utilise souvent le terme « réduction des préjudices », mais on n’a pas vraiment envie de s’assurer que tous les ordres de gouvernement travaillent de concert.
Je tiens à souligner que le modèle du Portugal devrait être considéré tant par le Comité que par le gouvernement fédéral. En y décriminalisant les dépendances, on y a considérablement réduit le taux d’incarcération et le taux de VIH.
À l’occasion de la Semaine de sensibilisation au sida chez les Autochtones, l’an dernier, le SCC a signalé qu’il avait distribué sept seringues depuis qu'il fait la distribution de seringues propres en prison. Il faut que ce soit amélioré.
La Commission de vérité et réconciliation comporte plusieurs appels à l’action. Le Comité peut aider à répondre à ces appels. Nombre d'entre eux concernent la santé, comme la recommandation 19, qui dit : « Nous demandons au gouvernement fédéral, en consultation avec les peuples autochtones, d’établir des objectifs quantifiables pour cerner et combler les écarts dans les résultats en matière de santé entre les collectivités autochtones et les collectivités non autochtones... ». Cette partie traite également de la santé mentale, des maladies chroniques, de l’incidence de la maladie et des blessures et de la disponibilité de services de santé appropriés.
En ce qui a trait à la justice, il est demandé aux gouvernements fédéral et territoriaux de fournir un financement suffisant et stable pour évaluer et établir des sanctions communautaires réalistes qui offriraient des solutions de rechange à l’incarcération des délinquants autochtones et de cibler les causes sous-jacentes de la délinquance.
Pour gagner du temps, je vais me garder de parler des autres appels à l'action de la Commission de vérité et réconciliation, mais si vous voulez les vérifier, ils se trouvent aux numéros 30, 31, 32 et 33.
La criminalisation du VIH n’est pas une loi juste. Il existe des solutions de rechange.
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Je remercie le Comité de m’accueillir aujourd’hui. Je comparais d’abord devant vous en tant que guerrier, puis en tant que survivant de la criminalisation de la non-divulgation de la séropositivité.
Comme l'a dit le très honorable Pierre Elliott Trudeau, « L’État n'a rien à faire dans les chambres à coucher. » Pourtant, le Canada est un chef de file mondial en matière de condamnation de personnes pour non-divulgation de leur séropositivité.
Je fais partie des plus de 200 personnes qui ont été déclarées coupables, condamnées. Ma vie a pris fin le 12 février 2009. C’est ce jour-là que j’ai reçu un appel qui a changé ma vie en m'informant que je faisais l'objet d'un mandat pancanadien pour agression sexuelle grave. Mes genoux se sont dérobés sous moi.
Je suis un père. Je suis un grand-père. J’y viendrai plus tard parce que, pour l’instant, avec ce qui se passe, je ne réussis pas à voir mon petit-fils. Comment expliquer à un jeune de 22 ans, qui cherche des renseignements sur tout au moyen d'Internet, que je ne suis pas cette personne vulnérable? J'ai le sens de la famille.
Je veux vous rappeler qui j’étais avant que ces accusations ne bouleversent ma vie. Je travaillais pour Parker Construction, à Windsor, en Ontario, où j’avais récemment été promu au poste de chef de l’équipe de démolition après incendie. Je travaillais 60 heures par semaine, à 22,50 $ l’heure, avec les avantages du personnel et une carte essence. J’avais une vie, j'étais père de deux enfants, Tyler et Kayla, qui avaient 14 et 13 ans à l’époque, un moment important de l'adolescence. Comment leur annoncer que leur père devait partir?
Je me suis livré à la police le lendemain. On a refusé de me remettre en liberté sous caution. Or, au Canada, quand on vous refuse la libération sous caution, il faut attendre 90 jours avant de pouvoir s'adresser à un tribunal. Je me suis trouvé un avocat et j'ai demandé à être remis en liberté sous caution, mais encore une fois, on me l’a refusé.
Au cours des 13 mois qui ont suivi, je me suis présenté en cour alors que j’étais détenu. Je veux vous ramener au moment où je me suis livré et où on m’a refusé la mise en liberté sous caution. Lorsque je suis entré dans le système correctionnel, je n’ai pas reçu mes médicaments avant deux semaines. La seule fois où mon statut sérologique a été détectable, c’est en prison. Je vis avec le VIH depuis 15 ans et mon statut est indétectable. Il l'était au moment où ces accusations ont été portées contre moi.
Au cours des 13 mois qui ont suivi, je me suis présenté en cour alors que j’étais détenu. On m’a dit que je risquais 10 ou 15 ans. Je n’ai pas eu d'analyse de sang pendant 28 mois, alors comment pouvaient-ils m'assurer que je recevais les meilleurs soins de santé pendant que j’étais en prison?
Vous ne le savez peut-être pas, mais lorsque vous êtes en détention provisoire, en attente d’un procès ou d’une libération, vous ne recevez aucun soin de santé. Je ne pouvais pas voir un dentiste avant le prononcé de la sentence, et je me suis retrouvé avec une infection telle que le dentiste de la prison n'a eu d'autre choix que de passer par ma cavité nasale.
C'est désormais dans la peau de Chad Clarke, le délinquant sexuel condamné, que je suis en train de faire l'apprentissage de la vie après la prison. On m’a donné une deuxième chance. Je m'enorgueillis d'être le grand-père d’un petit-fils de quatre ans du nom de Gavin, un prénom d'origine galloise qui signifie « petit faucon ». Lors de ma première rencontre avec la table ronde, on m’a dit que je pourrais voir mon petit-fils parce que quelque chose serait fait. Eh bien, je vais continuer de participer jusqu’à mon dernier souffle pour réclamer que quelque chose soit fait.
Je n’ai même pas besoin de regarder ma copie; je vais simplement parler du fond du coeur. Si je suis passé par là et que les 200 personnes avec qui nous avons pu communiquer au Canada sont passées par là, combien y en a-t-il d’autres?
Il m’est arrivé à maintes reprises de souffrir du trouble de stress post-traumatique, et j’aurais préféré être condamné à 25 ans de prison et sortir sans traîner de boulet plutôt que d’avoir à vivre en société en tant que délinquant sexuel inscrit. C’est ce qui me pose problème: l'aspect qui fait que les problèmes de santé mentale que j’avais avant d’aller en prison ont empiré depuis mon incarcération.
Je m’isole beaucoup. J’ai perdu le contact avec beaucoup de membres de ma famille. De mes trois frères, il y en a un qui comprend, qui est prêt à pardonner et à oublier ce que j’ai fait au reste de la famille. Comme je l’ai dit, j'ai le sens de la famille. Ma famille est connue dans le Sud-Ouest de l’Ontario. Je vis à cinq minutes de ma famille, ma mère et mon père. Ils ne me saluent pas de leur voiture. Ils font comme si je n'existais pas.
Je m'excuse de prendre autant de temps. Voilà ce qu’est ma vie. Je vis tous les jours avec cette étiquette pour agression sexuelle grave. Mon fils a 24 ans. Il souffre d’un trouble intellectuel léger, mais il comprend. À maintes reprises, mon fils est venu me dire: « Papa, si je pouvais me vider de tout mon sang aujourd’hui pour te le donner afin de mettre tout cela derrière nous une fois pour toutes, je le ferais. » C’est pour cette raison que je vais m’asseoir à cette table et à bien d’autres jusqu’à ce qu'on prenne la mesure de la situation.
J’ai eu l’occasion de prendre la parole à la conférence internationale sur le sida qui s'est tenue à Amsterdam. On m’a notamment demandé ce que le Canada pouvait faire. Je vais être honnête avec vous tous et vous dire que j'ai été un peu vexé. Je voulais leur dire ce que je pensais vraiment que nous pourrions faire. J’ai dit que, si le Canada veut vraiment atteindre les cibles 90-90-90, il doit cesser de criminaliser les personnes séropositives et devenir le banc d'essai.
Ensuite, pourquoi n’y a-t-il que quatre provinces au Canada où les antirétroviraux sont facilement disponibles? Ce fait démontre bien que nous avons un problème.
À Amsterdam, la a pris la parole après que j’ai dit que si le Canada prenait la chose au sérieux, il ne devrait pas se contenter d’appuyer la campagne Indétectable = Intransmissible. Il devrait la mettre en œuvre, car il est chef de file mondial en matière de condamnation des gens. C’est la première étape. La science prouve qu’après trois mois... Ma charge virale était devenue indétectable après trois mois de traitements lorsque l’accusation s'est abattue sur moi. J’ai été sous médicaments pendant huit mois seulement. Je ne connaissais pas la durée de vie du VIH. Je n’avais aucune idée de ce qui s’en venait. Ce que je savais, c’est que j’allais en prison à cause d’un appel téléphonique.
J’ai communiqué avec la clinique sur Byng, j’ai pris des médicaments et j'ai suivi mon traitement à la lettre. Je parle à des utilisateurs de drogues injectables. Je leur donne un cadre, parce qu’il faut établir un lien de confiance avec eux. J’ai moi-même fait face à ces circonstances à la suite de mauvaises décisions prises alors que j’étais un jeune de 18 ans qui avait fui son village de 2 500 habitants. Avant cela, j'avais été un enfant de choeur, élevé dans une ferme.
Lorsque vous permettez à ces gens de se faire entendre, en ce qui concerne le sexe qu’ils pratiquent ou les drogues qu’ils consomment, et que vous permettez qu'ils s'expriment, ils vous diront quel est le problème, quels sont les obstacles auxquels ils font face et ce dont ils ont besoin pour arranger les choses et obtenir des médicaments.
Je recommande vivement qu'on procède à une réforme législative parce que les lois actuelles brisent des vies. C’est une chose d’être séropositif, c’en est une autre d’être poursuivi au criminel, d’être déclaré coupable, d’être incarcéré et d’être inscrit dans un registre de délinquants sexuels pour le reste de ses jours. Je ne peux pas voyager à l'étranger pour une durée supérieure à sept jours sans en aviser la police, sinon c’est une infraction, ce qui m’est arrivé.
Il y a une chose que j’aimerais vous dire maintenant. À l’heure actuelle, je suis sans abri. J’ai reçu un avis d’expulsion le lundi de Pâques et j’ai eu 12 heures pour quitter mon domicile, car il y avait une personne payée pour être chez moi afin de s’assurer que je parte. Encore une fois...
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Bonjour. Je vous remercie de vous attaquer à cette question importante et d'avoir invité le centre à participer. Pour mettre mes observations en contexte, je précise qu'en plus de ma fonction au centre, je suis le coprésident du comité directeur de la stratégie de l’Alberta visant les infections transmissibles sexuellement et véhiculées par le sang ainsi que le fondateur du Edmonton Men's Health Collective, un organisme de santé communautaire dirigé par et pour les minorités sexuelles et de genre à Edmonton, en Alberta.
En prévision de la rencontre d’aujourd’hui, j’ai eu le privilège de prendre connaissance des observations faites par mes estimés collègues et j’ai entendu ce qui a été dit plus tôt. Bien qu'il arrive que j'aie une forte estime de moi-même, je ne crois pas que je saurais retracer le contexte et les faits essentiels beaucoup mieux qu’ils ne l’ont déjà fait. Je vais nous épargner un peu de temps et passer à ce que je pense que nous pouvons faire.
Ici aussi, mes collègues ont fixé au Comité des orientations assez concordantes, à savoir que la directive de la procureure générale du Canada visant à limiter les poursuites pour non-divulgation de la séropositivité est sans doute un pas très important dans la bonne direction, mais il faut aussi reconnaître les limites de sa portée et de son impact.
Par conséquent, comme l’ont fait valoir de nombreux témoins qui ont comparu devant le Comité et près de 200 organisations de partout au pays qui ont signé la Déclaration de consensus communautaire visant à mettre fin à la criminalisation injuste du VIH, la seule façon de nous attaquer efficacement à ce problème à l’échelle nationale est d'effectuer une réforme du Code criminel. Bien qu’il reste à préciser comment opérer exactement, un très large consensus se dégage de tous les témoins présents aujourd'hui pour soustraire les cas de non-divulgation du VIH de l'application des lois sur l'agression sexuelle.
Si nous avons un consensus général sur ce que nous pouvons faire à ce sujet, la question est alors de savoir pourquoi il est important d’agir. Je vais donner deux raisons au Comité.
Tout d’abord, comme vous l’avez entendu, un consensus se dégage, appuyé par le CDC des États-Unis et notre propre , à savoir que les personnes vivant avec le VIH qui ont et qui maintiennent une charge virale indétectable ne peuvent pas transmettre le virus sexuellement. Autrement dit, ce qui est indétectable est intransmissible, I = I.
Bien que ce large consensus soit relativement nouveau, l'idée que le traitement soit une forme efficace de prévention du VIH ne l'est pas. En fait, en 2014, cela étant entendu, l’ONU a fixé de nouvelles cibles de traitement du VIH: 90-90-90. Essentiellement, cet engagement stipule que d’ici 2020, 90 % des personnes vivant avec le VIH recevront un diagnostic, 90 % des personnes diagnostiquées recevront un traitement et 90 % des personnes sous traitement auront une charge virale supprimée ou indétectable. Si ces objectifs ambitieux sont atteints, 73 % des personnes vivant avec le VIH auront une charge virale supprimée, ce qui mettrait fin à l’épidémie telle que nous la connaissons d’ici 2030.
Toutefois, selon les plus récentes données publiées que j’ai pu trouver, l’Agence de la santé publique du Canada estime qu'en 2016, seulement 86 % des personnes vivant avec le VIH au Canada avaient reçu un diagnostic et seulement 81 % des personnes ayant reçu un diagnostic suivaient un traitement, le seul point positif étant que 91 % des personnes sous traitement avaient atteint une charge virale indétectable. Par conséquent, seulement 63 % des personnes vivant avec le VIH ont une charge virale indétectable, soit 10 % de moins que l'objectif de 2020.
Bien que troublant, il y a une lueur d'espoir. Nous constatons que les personnes vivant avec le VIH au Canada, lorsqu’on leur propose un traitement efficace, réussissent assez bien à prendre les médicaments prescrits et à atteindre une charge virale indétectable, ce qui est bénéfique pour leur santé, la santé des personnes qui leur sont chères et la santé de la population en général. Là où nous accusons du retard, c’est dans le système de santé et les deux objectifs dont il est le premier responsable, à savoir veiller à ce que les gens aient accès à des modes de dépistage sécuritaires et accessibles et veiller à ce que les personnes ayant reçu un diagnostic obtiennent des soins et des traitements qui leur conviennent. On pourrait donc penser que, sachant cela, notre pays adopterait une approche unifiée et coordonnée pour faire face à la situation. Eh bien, on aimerait le croire.
Au cours de la séance précédente, William Flanagan a fait part d'une étude canadienne, publiée en 2018, qui montre que la criminalisation de la non-divulgation diminue la probabilité que les hommes gais et bisexuels se soumettent à des analyses. Je rappelle au Comité qu’il s’agit d’une population qui représente environ la moitié de toutes les nouvelles infections au VIH chaque année. Voilà votre premier « 90 ».
D’autres collègues ont évoqué les préoccupations des patients séropositifs à l’égard du partage de renseignements importants avec les fournisseurs de soins de santé au sujet de leur traitement, et ce, par crainte que ces détails intimes ne soient utilisés contre eux dans le cadre de poursuites criminelles, empêchant leur accès aux traitements appropriés. Voilà votre deuxième « 90 ».
Alors que le système de santé s’efforce de franchir la ligne d’arrivée pour mettre fin à l’épidémie de VIH au Canada, pourquoi le système de justice le stoppe-t-il dans son élan? Vous ne pouvez pas, d’une part, indiquer que I = I, écrire #nohivstigma sur Twitter et vous rapprocher des cibles 90-90-90, et d’autre part, maintenir un scénario où l’application du droit pénal est tellement disproportionnée et extrême que vous augmentez la stigmatisation plus rapidement que vous ne pouvez l’éliminer. C’est contradictoire et c’est contre-productif. Pas étonnant que les gens soient mêlés.
Par conséquent, je demande au Comité ce qui est le plus juste: s’engager à adopter des lignes d'action en santé publique éprouvées et largement avalisées qui peuvent mettre fin efficacement à l’épidémie de VIH et réduire la vulnérabilité de tous les Canadiens à l’infection par le VIH, ou maintenir un scénario où la loi est appliquée de façon si vague et inégale que les personnes vivant avec le VIH, qui font ce qu’elles peuvent pour prévenir la transmission du virus, sont injustement et cruellement ciblées dans le cadre d’une croisade à laquelle je ne peux attribuer aucun avantage? Je crois que nous devons répondre à cette question, parce que je ne crois pas que les deux options puissent exister en parallèle.
En terminant, je vais vous donner une dernière raison d'agir, à mon avis. En plus de travailler dans ce domaine, je suis une personne qui vit avec le VIH depuis huit ans. On a beaucoup dénoncé devant ce comité la vulnérabilité et la marginalisation des personnes vivant avec le VIH. Oui, le VIH et la criminalisation de la non-divulgation ont une incidence disproportionnée sur les personnes vulnérables, et il est de notre devoir de veiller à ce qu’elles soient protégées et à ce qu’elles puissent mener une vie exempte de stigmatisation, de discrimination et de criminalisation inutile. Cependant, outre la vulnérabilité, les qualités qui me frappent le plus chez les personnes vivant avec le VIH sont la résilience, le courage et l’innovation.
Nous sommes un groupe aussi diversifié qu’on puisse l’imaginer, uni par un sort commun qui a traversé nos vies et fait de nous une seule entité, qui, face à ce qui semblait annoncer une mort certaine, s’est mobilisé et organisé, a participé et dirigé des recherches vitales, a élaboré des politiques et des pratiques avant-gardistes, alors que beaucoup de gens au pouvoir fermaient les yeux sur ses besoins. Il a fait tout cela pour que nous puissions vivre. Et c'est ce que nous faisons. Près de 70 000 Canadiens vivront et ne mourront pas grâce aux sacrifices consentis.
Et cela va beaucoup plus loin puisque l'impact de leurs efforts s’étend bien au-delà des personnes vivant avec le VIH. Des modèles novateurs et des infrastructures cruciales mis au point et construits par les personnes vivant avec le VIH ont été adoptés et mis en place avec succès par ceux qui travaillent dans les domaines des droits sexuels et des droits des minorités de genre, de l’hépatite C, de la lutte contre les opioïdes, pour ne nommer que ceux-là. La société canadienne a été transformée de manière permanente et positive par les décennies de contributions apportées par les personnes vivant avec le VIH dans notre pays.
Dans cette optique, alors que je préparais ces observations et que je revoyais les témoignages de la session précédente, que j’entendais parler des horribles expériences de ceux dont la vie a été détruite par l’application de la loi, j'ai éprouvé une forte déception, voire de la colère.
Certains d’entre nous autour de cette table ne pèsent décidément pas lourd, comme leurs contributions à ce pays, si l'on permet sciemment que des choses aussi horribles continuent de se produire. Entendons-nous: il faut voir un profond manque de respect envers notre héritage collectif et notre contribution à ce pays dans le fait de permettre la poursuite d'une telle application vague, inégale et inutilement cruelle de la loi.
Heureusement pour le Comité, rien de cela n'est nécessaire. Tout au long de cette étude, bon nombre d’entre nous, soit des personnes vivant avec le VIH, des organismes communautaires, et des experts en droit et en santé publique, ont apporté leur soutien au Comité afin de redresser une situation injuste depuis trop longtemps.
Pour le compte des personnes vivant avec le VIH au Canada et de tous les autres, j’espère que vous accepterez cette offre.
Merci.
Bonjour. Je m'appelle Maureen Gans. Je suis directrice principale des Services à la clientèle au centre de santé communautaire Parkdale Queen West. Pour ceux qui ne sauraient pas ce que sont les centres de santé communautaire, nous offrons des services de soins primaires, dont des services cliniques et de santé mentale, ainsi que des services et des activités de promotion de la santé. Notre centre s'inscrit dans une perspective de réduction des préjudices. On pourrait même dire que nous sommes un organisme de réduction des préjudices offrant des services de santé primaires. Nous sommes financés par le bureau provincial de lutte contre le sida pour faire du dépistage anonyme du VIH sur place. Si le résultat du test est positif, nous proposons une prise de sang de confirmation et les coordonnées d'un spécialiste pour le traitement. Les fonds accordés par le Bureau de lutte contre le sida nous permettent également de faire de la sensibilisation.
Au cours du dernier exercice, nous avons testé 485 personnes. De ce nombre, neuf se sont révélées séropositives. Toutes ont divulgué leur état, toutes ont accès à un fournisseur de soins primaires et toutes prennent des antiviraux. Celles dont le résultat était négatif viennent souvent repasser des tests. Cela nous permet de nouer des relations de confiance, de fournir des conseils sur la prophylaxie pré-exposition et de fournir du soutien et de l'aide si le résultat du test devient positif.
Vous nous avez demandé, dans votre invitation à témoigner, de réfléchir à la meilleure façon d'aborder la question de la non-divulgation de la séropositivité. Cela suppose que le problème est la non-divulgation et non la criminalisation de la non-divulgation. Il ne semble pas y avoir de preuves solides que la non-divulgation soit un problème puisque, jusqu'ici, beaucoup de poursuites ont été intentées contre des gens dont l'état comportait un risque faible ou négligeable de transmission du VIH et que, dans la majorité des cas, il n'y a pas eu de transmission effective. Pourquoi donc criminaliser?
La criminalisation est souvent considérée comme une mesure visant à protéger les femmes et à leur rendre justice si elles ont été infectées ou potentiellement exposées au VIH par leur partenaire sexuel masculin. Mais cela peut être préjudiciable. Une étude réalisée en 2007 auprès d'organismes de services de lutte contre le sida au sujet d'une quarantaine de femmes séropositives et auprès de fournisseurs de services de première ligne a permis de soulever une série de préoccupations. Il faut tenir compte des autres problèmes auxquels certaines femmes, notamment celles qui vivent une relation vulnérable, peuvent faire face lorsqu'elles insistent pour que leur partenaire utilise un préservatif et qu'elles doivent alors révéler leur état ou assumer une responsabilité pénale. On craint que la divulgation entraîne la perte de relations, des conséquences non seulement émotionnelles, mais aussi financières, ou des conséquences concernant le dossier d'immigration si la femme est parrainée par son mari. Il y a aussi le risque de maltraitance et de violence physique ou de menace de poursuites pénales, surtout en cas de rupture des relations, lorsque la femme peut faire l'objet de mesures de vengeance ou de contrôle sous la forme d'accusations non fondées ou de menaces d'accusations criminelles.
Il faut savoir que les personnes séropositives, mais surtout celles qui sont déjà marginalisées et surreprésentées dans le système de justice pénale, ne seront pas nécessairement protégées contre des allégations, des menaces, des enquêtes policières ou des accusations au pénal si elles divulguent leur état. La menace d'une plainte à la police est une arme puissante entre les mains d'un ex-amant déçu ou d'un partenaire violent. Même si l'affaire n'a pas de suite, la menace ou l'enquête peut être extrêmement préjudiciable.
Pour les communautés racialisées, et notamment pour les communautés noires et africaines, on a pu constater que la criminalisation de la non-divulgation entraîne la pathologisation, la criminalisation et le profilage des hommes noirs comme prédateurs sexuels dangereux. Les poursuites pénales contre des personnes atteintes du VIH intéressent énormément les médias. Les visages profilés dans de nombreux médias sont ceux d'hommes noirs. Il se peut bien qu'il n'y ait pas eu plus d'hommes noirs que de blancs parmi les accusés, mais des études révèlent que les gens en général ont l'impression que ce sont des hommes hétérosexuels noirs qui sont responsables et qu'ils sont surreprésentés dans ces affaires. Lorsque l'accusé est un immigrant, c'est un élément souvent signalé, et cela renforce la conviction que le VIH est un problème d'étrangers, importé des Caraïbes et de l'Afrique par des gens qui veulent profiter du système canadien. C'est ainsi que les communautés noires ont constaté que les accusations de non-divulgation servaient à renforcer le sentiment anti-immigrants.
Comme on l'a dit tout à l'heure, bien avant tout règlement judiciaire, les avis transmis par la police aux médias peuvent révéler au public l'identité des accusés, y compris leur photo et leur séropositivité, ainsi que les allégations criminelles et les détails de leur vie personnelle et sexuelle. La criminalisation multiplie donc la stigmatisation. Aucune autre maladie infectieuse ne suscite autant de peur et d'aversion que le VIH.
Des maladies infectieuses peuvent provoquer des crises de santé publique, mais on ne criminalise pas, par exemple, les parents qui ne divulguent pas leur refus de faire vacciner leurs enfants contre la rougeole. D'autres ITS peuvent avoir des répercussions importantes sur le plan de la santé physique et psychologique et, bien qu'on soit tenu d'informer son partenaire sexuel de toute ITS, seule la non-divulgation du VIH est assortie de mesures pénales.
Il existe de nombreuses maladies infectieuses dont on traite les symptômes sans avoir de remède à la maladie elle-même. Pourquoi, dans ce cas, criminaliser exclusivement la non-divulgation du VIH? Qu'est-ce qui prouve que la criminalisation réduit la probabilité que des personnes infectées transmettent la maladie? Je ferais valoir, comme beaucoup l'ont fait avant moi, que la criminalisation risque de décourager des gens de se soumettre à des tests de dépistage. Quand on ne connaît pas son état, on ne peut pas être accusé de transmettre sciemment la maladie.
Parlons donc de dépistage et de traitement. L'avantage du dépistage anonyme dans un organisme de réduction des préjudices, surtout quand il est effectué par des testeurs communautaires et non par des professionnels de la santé, c'est qu'on y voit beaucoup de gens issus de communautés marginalisées qui n'iraient pas nécessairement faire de dépistage ailleurs, par exemple de nouveaux arrivants, dont beaucoup de personnes racialisées, des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes qui consomment également des drogues, des personnes non assurées, des travailleuses du sexe, et des personnes s'identifiant comme trans ou non binaires.
Je souligne que les organismes de dépistage ne se sont pas toujours montrés inclusifs ni bienveillants à l'égard des consommateurs de drogues. C'est peut-être ironique, mais les testeurs passent souvent du temps à essayer de convaincre ces gens de cesser de consommer de la drogue plutôt que de leur donner des conseils sur les moyens de consommer de façon plus sécuritaire.
Les personnes qui, une fois diagnostiquées séropositives, ne suivent pas de traitement et ne divulguent pas leur état sont présumées délibérément déloyales ou même malveillantes, mais certaines raisons expliquent que des gens ne reçoivent pas de traitement. Il y a un manque d'accès à la prophylaxie pré-exposition ou post-exposition; même dans les grandes collectivités, l'accès peut être limité à des cliniques spécialisées. Il se peut aussi que les médecins de famille ordinaires ne connaissent pas bien les protocoles de traitement. Il y a aussi le manque d'accès au traitement après le diagnostic, la méfiance à l'égard du système de soins de santé, le manque d'information sur le droit à la vie privée et le manque de connaissances sur l'efficacité du traitement.
Ce dont les femmes, les personnes qui consomment des drogues et les communautés racialisées ont besoin, c'est d'un investissement dans la popularisation de l'impact bénéfique du dépistage du VIH et d'autres initiatives de santé publique pour modifier les comportements qui risquent de favoriser la transmission du VIH. Nous devons faire du dépistage la pièce maîtresse de nos stratégies et nous devons mettre le traitement à la disposition de tous ceux qui en ont besoin. Nous devons investir dans le soutien social et affectif des personnes atteintes du VIH pour éliminer la peur, l'isolement et la discrimination dont les gens qui divulguent leur état font l'expérience.
Merci.
Je rends hommage aux territoires traditionnels ancestraux sur lesquels je me trouve aujourd'hui et à tous les territoires de l'île de la Tortue.
Je suis conteuse et je vais présenter mon exposé à la façon traditionnelle.
Vous avez en main deux de nos nombreux documents de recherche rendant compte de l'expérience concrète de l'infection au VIH et de la criminalisation. Je n'ai pas demandé à être séropositive, mais me voici, guerrière autochtone, pour défendre tous ceux qui vivent avec le VIH. Je me dévoue à la collectivité pour faire entendre la voix de nos chercheurs, qui sont doués. Tous les noms sont des pseudonymes pour protéger les femmes qui ont courageusement partagé ce qu'elles ont vécu et éprouvé dans leur expérience de la maladie et de la loi.
Je vais d'abord citer Adèle, de la Colombie-Britannique:
Comment savoir ce que pense le juge? Quel est son point de vue sur le VIH, et peut-être même sur les femmes? On ne le sait pas. Il est censé être impartial. Mais tout le monde a des principes moraux et des valeurs. Et on ne sait pas... on ne sait pas non plus ce qu'il sait sur le plan médical.
Maintenant, je vous demande de penser à un être cher — une fille, une sœur, une tante ou une nièce. Sans que ce soit sa faute, comme moi, elle est atteinte du VIH. Elle a été agressée sexuellement. Elle se bat pour sa vie. Tout ce qu'elle a en tête, c'est survivre. Elle veut simplement s'en sortir vivante. Elle ne se dit pas: « Oh, j'aurais dû lui dire que j'ai le VIH. » Elle a été accusée et reconnue coupable de non-divulgation du VIH, et elle purge une peine. C'est maintenant une délinquante sexuelle inscrite au registre. La voilà libérée, et elle fait face à la stigmatisation et à la discrimination dans la collectivité. Son visage est affiché sur des poteaux de téléphone, des clôtures et même sur les vitrines de magasin. « N'ayez pas de relations sexuelles avec cette femme séropositive; c'est une délinquante sexuelle inscrite. » Elle ne peut pas s'approcher des enfants, et pourtant elle porte la vie. Elle perd ses enfants. Elle perd son nouveau-né.
Ce sont des histoires vraies, et, avec la permission de ces personnes, je porte leurs histoires, leurs larmes et leurs peurs.
Julie, de la Colombie-Britannique, raconte courageusement son histoire:
Ils sont trois [hommes] à m'avoir violée. Ils sont entrés par effraction chez moi et m'ont gardée prisonnière pendant 24 heures; ils m'ont battue et violée. Et si j'avais dit que j'étais séropositive, je serais morte. Je le sais très bien. Alors, quel est le rapport avec la loi?
Comment se protéger contre cette loi? Nous craignons maintenant pour nos vies. Le sexe n'est plus spontané ni romantique. Nous sommes tous des êtres sexuels, mais nous devons dire halte, comme Lilian, de la Colombie-Britannique, le traduit théâtralement:
Excuse-moi, mais nous ne pouvons pas avoir de relations sexuelles tout de suite. Je dois d'abord appeler un avocat, mon médecin, le juge, le policier et un technicien de laboratoire pour prouver que j'ai bien divulgué mon état et que la charge virale est indétectable. Combien de personnes faut-il inviter dans sa chambre à coucher?
Pourquoi cette question? Parce que cela m'est arrivé. Je fréquentais quelqu'un qui voulait avoir des relations intimes et je lui ai dit que je devais lui expliquer quelque chose. J'ai expliqué que j'étais atteinte du VIH. Il n'avait aucune idée de ce que c'était. Je l'ai calmé et lui ai expliqué les choses précisément. J'ai pris le temps de l'instruire. Je lui ai demandé de porter un condom. Nous nous sommes fréquentés pendant environ un an, et je me suis rendu compte qu'il enlevait parfois le préservatif à mon insu ou sans ma permission. Je ne craignais pas de lui transmettre le VIH; je craignais ce qu'il aurait pu me transmettre. Je fais des prises de sang tous les trois mois. Je connais mon état, mais je ne connais pas le sien. Je n'ai aucune preuve. Est-ce qu'il m'a menti?
Un an et demi après la fin de la relation, il a appelé pour demander à me voir. En tant qu'amie, j'ai dit oui. Il m'a dit: « Tu m'as donné le VIH. » Mon cœur s'est arrêté de battre. Les émotions en chute libre. Je savais que c'était impossible. Je suis une éducatrice, je connais les faits scientifiques, je suis indétectable. Mais je n'ai pas pu m'empêcher de tomber dans cet état de confusion. Après lui avoir posé quelques questions, j'ai découvert qu'il n'avait reçu son diagnostic que ce mois-là et qu'il venait de devenir séropositif. C'est ce que je lui ai expliqué. Pour toute réponse, il a sollicité des relations sexuelles, que j'ai refusées. Il m'a dit que, si je n'avais pas de relations sexuelles avec lui, il irait voir la police et dirait que je lui ai donné le VIH sans jamais l'avoir averti de mon état. Il était en train d'utiliser ses nouvelles connaissances contre moi, en disant qu'il savait que ce n'était pas vrai, mais que la police, elle, ne le savait pas. Où était la preuve que je l'avais informé? J'ai trouvé la force de lui dire: « Vas-y, la porte est ouverte, appelle la police, sors d'ici. »
J'ai vécu dans la peur pendant les six mois qui ont suivi, attendant qu'on vienne frapper à ma porte. Je sursautais chaque fois que le téléphone sonnait. Je passais mon temps à regarder autour de moi et j'étais paralysée chaque fois que je voyais une voiture de police. Je suis forte et je suis informée sur le VIH. Mais imaginez celles qui ne le sont pas; elles pourraient subir encore une relation de contrôle ou de violence.
Cette préoccupation est compréhensible puisque, devant un tribunal, cela pourrait se résumer à la parole de l'un contre la parole de l'autre, de sorte que la personne atteinte du VIH devra trouver le moyen de prouver qu'elle a révélé sa séropositivité au partenaire sexuel.
Catherine, de la Saskatchewan, explique: « Ils s'adressent à la police et portent des accusations, par dépit, par méchanceté. »
Zainab, de l'Ontario, demande: « Est-ce que je dois lui faire signer un document, contresigné par le voisin et mis sous clé? »
Trudy, de la Saskatchewan, voudrait savoir: « Comment peut-on être poursuivi si la maladie n'est pas transmise? »
Rita, de l'Ontario, demande: « Et ceux qui ne sont même pas instruits, qui ne savent pas lire, qui sont malades et qui ne le savent même pas? »
Marisa, de la Saskatchewan, demande: « Est-ce que je dois informer quelqu'un avec qui j'ai eu des relations sexuelles il y a 10 ans? » « Et si le condom se déchire? »
Nous vivons tous dans la peur de cette loi canadienne, alors que nous ne sommes pas des délinquants sexuels.
Merci.
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Je pense qu'il y a quelques raisons à cela. Nous fonctionnons dans une perspective de réduction des préjudices, et il n'y a donc pas de jugement de valeur. Le résultat du test est positif ou négatif. Il y a consommation de drogue ou non. Il y a relations sexuelles contre paiement ou non. Les choses sont ce qu'elles sont.
Avant tout, quand les gens viennent faire des tests, on commence par de la sensibilisation. Nous avons beaucoup de coordonnateurs chargés de la réduction des préjudices qui vont dans les bureaux de Toronto, parfois de façon très officielle, et qui font du dépistage. Mais il y a aussi des gens qui vont dans les rues, sous les ponts, dans les refuges.
Ils y parlent de dépistage. Ils encouragent les gens à venir. Ils leur font savoir que c'est anonyme, pas nominatif, mais bien anonyme. Des gens viennent souvent discuter avec nous avant. Ils ne sont même pas testés la première fois. Ils comprennent progressivement ce que nous faisons. Ils s'habituent à l'idée et ils finissent par revenir.
Puis ils sont testés. Parfois, le premier test est négatif. Ils reviennent régulièrement. Ils finissent par avoir un résultat positif. Parfois aussi, le résultat est positif dès la première visite. Les gens qui font le dépistage sont exceptionnellement efficaces en counseling. Il faut être certifié pour faire ce dépistage, et c'est en partie à cause du volet counseling. Il nous est facile de faire suivre un traitement, parce que nous avons accès à des médecins qui offrent des traitements. À ma connaissance, il n'y a jamais personne qui, ayant eu un résultat positif, ait refusé le traitement.
La seule exception pourrait être une personne non assurée. Je ne crois pas que nous ayons testé une personne non assurée pour laquelle nous n'ayons pas pu trouver de traitement. Environ 20 % de nos clients ne sont pas couverts par l'Assurance-santé de l'Ontario. Ce sont probablement les plus vulnérables à cet égard. Un groupe de centres de santé communautaire du centre-ville de Toronto envisage de mettre sur pied une clinique commune pour traiter ces gens, pour tester et traiter ceux qui n'ont pas d'assurance-maladie.