JUST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent de la justice et des droits de la personne
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 1er mars 2018
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
C'est avec grand plaisir que je déclare ouverte cette séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Nous allons poursuivre notre étude sur la traite des personnes au Canada en compagnie de nos distingués témoins. Nous sommes heureux d'accueillir l'ancienne députée Joy Smith, qui est fondatrice et présidente de la Joy Smith Foundation. Madame Smith, soyez la bienvenue. Je souhaite également la bienvenue à Mme Diane Redsky, directrice exécutive du Centre Ma Mawi Wi Chi Itata. Je crois que vous vous trouvez actuellement au Minnesota.
En effet. Je participe à un rassemblement de personnes âgées, alors je vous suis très reconnaissante de votre souplesse. Merci.
Merci beaucoup d'avoir pris le temps d'être avec nous aujourd'hui.
Monsieur Donald Bouchard et Mme Mikhaela Gray, étudiante diplômée de la Faculté d'éducation de l'Université York, sont également avec nous.
Tous nos témoins disposent de 8 à 10 minutes — idéalement 8 minutes, si possible — pour faire leur déclaration, selon l'ordre dans lequel ils apparaissent sur l'avis de convocation.
C'est donc Mme Smith qui ouvre le bal. La parole est à vous.
Merci, monsieur le président.
Je suis ravie d'être de retour parmi vous et de voir les députés à l'oeuvre dans le cadre de cette étude importante.
Comme vous le savez, j'ai passé 11 ans, 4 mois et 59 secondes à la Chambre des communes et j'ai déposé deux projets de loi, soit le projet de loi C-268, qui prévoit l'imposition de peines minimales obligatoires pour la traite de personnes de moins de 18 ans, et le projet de loi C-310, qui prévoit une compétence extraterritoriale de la justice canadienne dans le cas de citoyens ou de résidents permanents du Canada qui vont à l'étranger pour y exploiter des personnes ou s'adonner à la traite de personnes, et qui permet de les ramener au Canada afin qu'elles subissent un procès.
J’ai dû mener une lutte acharnée pour attirer l’attention des Canadiens sur ce crime odieux, car à l'époque, peu de gens au Canada, y compris les parlementaires, connaissaient le problème de la traite de personnes. Les choses ont bien changé depuis. La population est aujourd'hui consciente de la gravité du problème, alors nous avons fait beaucoup de chemin en très peu de temps.
Ce qui m'a amenée au Parlement, en fait, c'est mon travail auprès des survivants de la traite de personnes, et je suis très heureuse que Diane Redsky soit ici aujourd'hui. Elle est la directrice exécutive du Centre Ma Mawi et elle est comme une soeur pour moi. Elle a fait un travail extraordinaire.
Je suis également ravie de vous présenter Donald Bouchard, un ancien trafiquant, qui en fait beaucoup aujourd'hui pour lutter contre ce fléau. Je suis une personne très sceptique. Au début, j'avais du mal à croire qu'il était sincère, et cela m'a pris des années avant de le croire, puis j'ai vu le travail remarquable qu'il faisait et l'influence qu'il avait sur les trafiquants pour les dissuader d'acheter et de vendre des enfants.
Tout d'abord, sachez que j'ai lu tous les bleus et tous les témoignages qui ont été recueillis dans le cadre de cette étude. Vous avez reçu des représentants de divers ministères, de la GRC et d'autres, de même que des agents frontaliers, pour discuter des progrès qui ont été réalisés dans ce dossier. D'ailleurs, je félicite les membres du Comité de se pencher sur la question de la traite des personnes.
Je sais que même Rob Nicholson — j'imagine que vous n'êtes plus le ministre Nicholson, mais bien le député Nicholson — a été sceptique à un moment de sa vie. Je suis en train d'écrire un livre qui s'intitule I Just Didn't Know, car lorsque les gens en prennent conscience, ils veulent agir, tout comme le député Nicholson et nous tous autour de cette table aujourd'hui. La traite de personnes implique d'acheter et de vendre des filles mineures, principalement, mais aussi des garçons, en vue de les exploiter, et dans certaines provinces, les Autochtones sont surreprésentées parmi les victimes de la traite.
On a entendu de nombreuses définitions de la traite de personnes qui portent à confusion. J'en ai utilisé plusieurs, dont une en particulier, dans le cadre de mes projets de loi. J'ai souvent répété que quiconque vend ou achète une personne se livre à la traite de personnes. Parfois, je pense que nous nous empêtrons dans les détails des définitions, alors qu'il s'agit en fait d'êtres humains.
Tant de filles ont perdu leur autonomie et leur dignité parce qu'on les a vendues à quelqu'un et qu'on les a forcées à fournir des services sexuels à des hommes. Les jeunes filles sont largement représentées parmi les victimes, peu importe la communauté dont elles sont issues. Il va s'en dire que les parlementaires, dans cette enceinte, doivent comprendre qu'ils doivent prendre des mesures concrètes pour combattre le fléau de la traite des personnes.
Le plan d'action national est arrivé à échéance en mars 2017. Par conséquent, nous devons mettre en place un plan d'action à l'échelle nationale pour lutter contre la traite des personnes, mais il ne suffit pas d'adopter des lois ici: il faut offrir des refuges sécuritaires et réhabiliter les victimes de la traite. Nous devons les aider à reprendre leur vie en main.
C'est essentiel. La fondation a mis sur pied un programme de sensibilisation qui est offert aux étudiants du secondaire, et j'ai été étonnée de voir autant de jeunes filles — il n'y a eu que deux garçons — venir nous dire: « Je pense que mon petit ami est en train de me conditionner ». Par conséquent, dans le cadre de ce programme, on apprend à ces jeunes les techniques utilisées par les prédateurs sexuels. Évidemment, au début, ils les amadouent pour gagner leur confiance. C'est tellement insidieux et horrible.
Ce phénomène est largement répandu. De plus, j'estime qu'il ne faut d'aucune façon légaliser la prostitution, car cela ne ferait que mettre la vie d'un plus grand nombre de jeunes filles en danger.
Les parlementaires doivent prendre des mesures concrètes. Les deux mesures dont je viens de parler, monsieur le président, sont d'une importance cruciale. Il s'agit notamment d'établir un plan d'action national pour aider à la réhabilitation des victimes de la traite et veiller à ce qu'elles reçoivent l'éducation et tout ce dont elles ont besoin pour reprendre leur vie en main. Quant aux maisons d'hébergement, je sais qu'il y a certains endroits un peu partout au pays où les victimes de la traite de personnes peuvent aller pour être réhabilitées, mais il n'y en a pas assez.
Les gens parlent parfois de prostitution, mais je n'utilise pas ce terme. Une jeune fille se fait leurrer; le trafiquant réussit à l'amadouer en la couvrant de compliments et de cadeaux et en lui faisant miroiter la promesse qu'il la mariera un jour, mais le conte de fées se transforme rapidement en terrible cauchemar. Le trafiquant lui dit qu'il doit être remboursé pour tous ces cadeaux, et la situation devient tout à coup épouvantable et très brutale. Les jeunes filles sont effrayées. Je pourrais vous raconter un million d'histoires, mais je sais que je n'aurai pas le temps en huit minutes. J'essaie vraiment de vous dresser un tableau d'ensemble des choses que je vois aujourd'hui en 2018 et auxquelles il faut s'attaquer.
Combien de temps me reste-t-il?
Vous êtes rendue à 6 minutes 46, mais prenez votre temps. Je pense que nous sommes tous renversés par ce que vous nous dites, et vous nous donnez des renseignements précieux.
Je pense que les prédateurs sont de plus en plus nombreux à traquer leurs victimes sur le Web. Le monde d'aujourd'hui n'est plus ce qu'il était. Nous sommes à l'ère d'Internet. Les gens disent que tout est clandestin, mais je vous dirais que tout se fait par Internet. De nos jours, tous les jeunes ont des téléphones cellulaires; les trafiquants aussi. À cause d'Internet, l'emprise qu'ils ont sur ces jeunes est énorme. Bon nombre sont vendus sur le site de Backpage. Vous pourriez retrouver un grand nombre de jeunes filles qui manquent à l'appel sur ce site, mais je ne vous le conseille pas, étant donné que la police le surveille de près, et vous ne voudriez pas être considérés comme suspect.
Par ailleurs, il y a deux mythes que j'aimerais dissiper. Tout d'abord, au sein de la communauté autochtone, je crois fermement que... Je ne veux pas entendre aux nouvelles que ces jeunes filles étaient des travailleuses du sexe. C'est totalement faux. Près de 90 % d'entre elles ont d'abord été attirées puis forcées de travailler dans cette industrie. Du jour au lendemain, elles se sont retrouvées dans des situations horribles. Tout bascule, et sans même s'en rendre compte, elles sont devenues des prostituées. Je pense qu'il faut aller plus loin que cela.
Je dirais qu'il faut aussi porter beaucoup d'attention aux hôtels. C'est là que ça se passe. Cela ne se passe plus vraiment dans la rue. Les prédateurs amènent plutôt leurs victimes dans des hôtels et des maisons.
Il s'agit d'un crime odieux. Monsieur le président, j'ai vu des choses que j'aurais souhaité ne jamais voir, parce qu'on ne peut jamais effacer ces images. Il faut souligner le travail des travailleurs de première ligne, c'est-à-dire les services de police et les groupes de lutte contre l'exploitation des enfants sur Internet qui ne ménagent aucun effort et qui voient des choses que la plupart d'entre nous ne peuvent voir, de même que les dirigeants des ONG, tels que Diane Redsky et Megan Walker, qui oeuvrent dans le domaine depuis de nombreuses années. Je pense que nous devons nous assurer que ces travailleurs de première ligne reçoivent des services de counselling et puissent se tourner vers des personnes ressources. Cela a fait 24 ans à Noël que je lutte contre la traite des personnes, et je considère qu'on n'accorde pas assez d'importance au rôle que jouent les travailleurs de première ligne. Ils ne peuvent pas travailler efficacement auprès des victimes s'ils ne reçoivent pas le soutien dont ils ont besoin.
Nous avons encore beaucoup de travail à faire ici au Canada. Je ne voudrais pas vous prendre trop de temps, car il y a des personnes très intéressantes qui sont venues témoigner aujourd'hui. J'espère que tous les parlementaires examineront ce dossier très attentivement, car si vous pensez que cela ne peut pas arriver à votre famille, eh bien, détrompez-vous. J'ai travaillé avec des familles de parlementaires. J'ai travaillé avec des maires dont les enfants ont été victimes de la traite des personnes. J'ai rencontré énormément de gens et, à moins de mettre fin à la traite de personnes au Canada et de veiller à ce qu'il y ait des conséquences pour les trafiquants... J'ai aussi appris beaucoup de choses au fil du temps. Vous avez devant vous Donald Bouchard, un ancien trafiquant. À l'époque, lorsque je l'ai connu et que j'ai appris ce qu'il faisait, je rêvais presque d'y faire la peau, mais il faut savoir que les gens peuvent changer.
Nous devons tous unir nos efforts dans cette lutte contre la traite des personnes. Je pense que son témoignage, de même que celui de Mikhaela, étudiante... Je suis très heureuse qu'elle soit ici aujourd'hui.
Je pense que nous aurons l'occasion d'en parler davantage aujourd'hui, et je serai ravie de répondre à vos questions.
Merci, monsieur le président.
Merci beaucoup, madame Smith, pour votre travail et tous les efforts que vous consacrez à ce dossier.
Je vais maintenant céder la parole à Mme Redsky.
Merci. Je vais rapidement vérifier l'heure pour m'assurer de bien utiliser mes huit minutes. Je vais lire les notes que je vous ai envoyées à l'avance.
Je vous remercie de me donner cette occasion de témoigner devant vous par vidéoconférence, et je remercie également Joy Smith de m'avoir permis de participer à cette discussion importante.
Je voudrais d'abord reconnaître le territoire ancestral des Anishinaabe, tant à Duluth qu'à Ottawa, sur lequel nous avons le privilège de nous trouver aujourd'hui.
J'ai divisé mon exposé en trois volets. Je vais devoir parler rapidement, alors je m'excuse auprès des interprètes, mais j'ai beaucoup de choses à dire et je veux utiliser mon temps efficacement. Mon exposé portera donc sur les recommandations nationales, les pratiques prometteuses et la façon dont le Comité peut aider les travailleurs de première ligne. Mes notes d'allocution vous ont déjà été transmises.
Je vais surtout m'attarder aujourd'hui à l'exploitation sexuelle, c'est-à-dire à la traite de personnes à des fins sexuelles. Il y a plusieurs intersections entre le travail forcé et l'exploitation sexuelle, mais dans le cadre de mon exposé, je vais seulement parler de l'exploitation sexuelle d'un point de vue national, de première ligne et autochtone.
Il ne faut pas oublier que la traite des personnes est basée sur l'offre et la demande. Il y aura toujours une offre tant qu'il y aura une demande. Les filles et les femmes continueront d'être achetées et vendues aussi longtemps que les lois permettront aux hommes de le faire. La traite des personnes est enracinée dans la cupidité, la misogynie, le racisme, le classisme et le sexisme à son pire. Il est tout à fait possible d'empêcher ce crime.
Avant de commencer, il est important de reconnaître tous les survivants de l'exploitation sexuelle, qu'ils soient actuellement des victimes ou sur la voie de la guérison. Leur voix n'est pas souvent entendue, et j'encourage fortement le Comité à recueillir leurs commentaires, leurs conseils et, surtout, leur appui à vos recommandations.
Mon premier point concerne les recommandations nationales. En 2014, j'ai fait partie d'un groupe de travail national sur la traite des femmes et des filles à des fins d'exploitation sexuelle au Canada, aux côtés des meilleurs experts et dirigeants du pays. Encore à ce jour, le rapport de ce groupe demeure le plus pertinent sur la question. On peut le trouver sur le site Web du Centre Ma Mawi Wi Chi Itata. Son rapport final, intitulé « C'est assez », renferme 34 recommandations sur la façon de mettre fin à l'exploitation sexuelle au Canada. Il y a sept recommandations qui s'adressent précisément au Comité, et elles portent sur les lois.
Premièrement, il faut appliquer les lois relatives à la traite de personnes et à l'exploitation sexuelle qui existent déjà.
Deuxièmement, nous devons donner des raisons aux femmes et aux filles victimes de la traite de se manifester. Nous devons changer le Code criminel pour que les lois se concentrent sur les actions du trafiquant plutôt que sur les perceptions, les antécédents et le comportement de la victime. Nous devons accroître le recours à des causes d'action civile et à des procédures de confiscation des biens au civil pour que les profits des trafiquants soient remboursés aux victimes. Il faut faire appel à des témoins experts pour soutenir le témoignage des victimes et faire en sorte que les victimes de la traite aient accès à des dispositifs d'aide au témoignage.
Troisièmement, nous devons éliminer et épurer les casiers judiciaires des victimes pour des crimes non violents commis en conséquence directe du fait d'avoir fait l'objet de la traite — ce qui est essentiel pour aider les femmes à reprendre leur vie en main.
Quatrièmement, nous devons accroître la capacité de la police de fournir des services centrés sur la victime.
Cinquièmement, nous devons renforcer les mesures de protection pour les femmes et les filles migrantes.
Sixièmement, il faut mettre fin au morcellement de la réglementation municipale touchant l'industrie du sexe au Canada.
Septièmement, nous devons décriminaliser les femmes et les filles qui vendent ou ont vendu des services sexuels et affaiblir la demande pour les femmes et les filles assujetties à la traite en criminalisant ceux qui achètent des services sexuels. Autrement dit, il faut utiliser le modèle suédois.
Ensuite, j'aimerais vous parler des pratiques prometteuses. J'attirerais l'attention du Comité sur la stratégie lancée au Manitoba en 2002. Il s'agit de la première stratégie au Canada destinée à lutter contre l'exploitation sexuelle et la traite de personnes à des fins sexuelles. C'est en mémoire de Tracia Owen que la province du Manitoba a décidé de rebaptiser sa stratégie Tracia's Trust. Jusqu'en 2006, le Manitoba était la seule province du Canada à avoir une telle stratégie de lutte contre l'exploitation sexuelle. Quatorze ans plus tard, l'Ontario a emboîté le pas. Je vous demanderais donc de vous pencher particulièrement sur la stratégie du Manitoba, qui mise notamment sur les services, les lois, la sensibilisation du public et la prévention.
C'est une stratégie très exhaustive. Sans entrer dans les détails, je vous dirais que le Manitoba investit 11 millions de dollars dans cette stratégie provinciale en vue de s'attaquer à l'exploitation sexuelle et à la traite de personnes, et ce, en fonction d'une population de 1,2 million d'habitants. Aucune autre province n'investit autant que le Manitoba, et ce n'est pas encore suffisant.
Grâce à la stratégie provinciale, plusieurs ressources uniques ont pu être conçues. Au Mawi Wi Chi Itata Centre, nous avons ouvert l'une des premières maisons d'hébergement pour filles de 13 à 17 ans, et nous avons aussi le seul pavillon de ressourcement en milieu rural du Canada pour les jeunes victimes de traite de personnes à des fins sexuelles. Le centre a été ouvert en 2010. Nous avons aussi des programmes de formation spécialisée pour les survivantes.
Nous avons énormément de succès au Manitoba en raison des initiatives locales menées par les organisations communautaires, par les dirigeantes autochtones et par un comité consultatif expérientiel composé de survivantes qui guident et dirigent la conception des services. Qui peut mieux fournir les réponses à nos questions que des femmes ayant des connaissances expérientielles, des femmes ayant vécu de telles situations?
Le Manitoba a aussi un service téléphonique provincial d'urgence concernant la traite de personnes. Nous avons aussi un bureau des poursuites distinct qui est spécialisé dans l'exploitation sexuelle et la traite de personnes à des fins sexuelles. Winnipeg a l'un des rares services de police au Canada à avoir une unité spéciale de lutte contre l'exploitation sexuelle dotée des meilleurs et plus brillants agents d'application de la loi, car c'est ce qu'il faut pour répondre à la demande et aider les femmes.
Surtout, ces services sont conçus, dirigés et assurés par de nombreuses organisations autochtones, de concert avec des personnes ayant survécu à la traite de personnes en raison de la surreprésentation des filles autochtones. Je souligne le mot « filles ». Ce sont les filles de moins de 18 ans qui sont ciblées pour la traite de personnes à des fins sexuelles. Il y a un énorme marché pour la victimisation des femmes et des filles autochtones.
Nous avons la seule loi provinciale en matière de traite de personnes, et je vous encourage à vous pencher là-dessus également. Il y a aussi la collaboration avec nos partenaires américains du Dakota du Nord. Le Manitoba et le Dakota du Nord ont un réseau d'agences et d'organisations d'application de la loi qui travaillent ensemble, car dans la traite de personnes à des fins sexuelles, on se fiche bien des frontières.
D'après ce que nous entendons de nos filles qui sont à Hands of Mother Earth — notre pavillon de ressourcement en milieu rural que nous avons depuis 2010 et notre maison d'hébergement —, et d'après ce que nous savons de la victimisation des filles autochtones de 12 à 17 ans, l'exploitation sexuelle commence très tôt, dans certains cas dès 9 ans. Elles sont préparées et attirées aussi bien en ligne qu'en personne. Les filles des collectivités des Premières nations du Nord sont particulièrement à risque.
Le contrôle exercé par le trafiquant peut prendre diverses formes. Il peut se présenter comme un petit ami, un trafiquant de drogues, un oncle, une figure paternelle, un papa ou un homme plus âgé qui leur fournit des drogues et un toit. Elles sont soumises à des activités sexuelles de 6 à 10 fois par jour, même, et ce, 7 jours par semaine, et doivent remettre l'argent ou l'équivalent en drogues. Les survivantes décrivent cette expérience comme étant de multiples incidents de viols payés.
La méthamphétamine devient un facteur clé du contrôle des filles. Une fille est plus profitable pour un trafiquant qu'une femme d'âge adulte. Il est parfois très difficile d'intervenir dans la relation, à cause du lien traumatique qui se tisse entre la victime et le trafiquant, et nous devons vraiment comprendre cette dynamique de pouvoir. La plupart des victimes de la traite de personnes le sont parce que ce sont des enfants qui ont été confiées aux Services à l'enfance et à la famille, et que bon nombre de ces enfants ont fait l'objet de multiples placements au cours de leur vie.
D'où vient la demande? Les hommes sont nombreux. Ce n'est pas qu'une poignée d'hommes qui font beaucoup de mauvaises choses. Ce sont beaucoup d'hommes qui font de mauvaises choses. Les trafiquants sont aussi variés que la demande et les hommes qui violent et agressent sexuellement nos filles. La vente d'une quantité donnée de drogue ne se fait qu'une fois. Pour la traite de personnes, on recrute et on attire des femmes et des filles, car une femme ou une fille peut être vendue à maintes reprises. Nous n'avons pas qu'une poignée de victimes, au Manitoba. Nous avons des centaines de filles chaque jour, au Manitoba.
Je dois aussi souligner le pouvoir des survivantes. Ces filles ont toute leur vie été abandonnées par le système et les adultes. Malgré cela, dans un milieu favorable — avec des services adaptés aux traumatismes subis et offerts par des organismes autochtones, ou des survivantes sont employées pour offrir de l'aide, ce que nous appelons la médecine du coeur —, elles s'épanouissent au cours de leur processus de guérison et plusieurs deviennent des leaders survivantes. En fait, notre pavillon de ressourcement en milieu rural et notre maison d'hébergement emploient en ce moment plusieurs jeunes femmes qui ont déjà participé au programme et qui travaillent maintenant pour le programme à aider d'autres filles.
La troisième partie — et j'ai presque fini —, c'est que j'ai quatre recommandations à faire au Comité sur les façons d'aider.
Premièrement, renouvelez le Plan d'action national, et ce faisant, mettez l'accent, cette fois, sur le financement des services de première ligne.
Deuxièmement, la collecte de données est extrêmement importante, mais ne laissez pas cela vous arrêter. Faites-le de concert avec d'autres politiques et programmes de financement. Nous avons seulement besoin d'une méthode coordonnée et d'une définition. Tandis que certains cherchent à répondre à la question de savoir combien il y a de victimes de la traite de personnes, il y a les organismes de première ligne comme nous, et bien d'autres sur le terrain, qui n'arrivent pas à accueillir toutes les victimes qui se présentent.
Troisièmement, nous avons besoin d'améliorer l'ensemble de la stratégie de service aux victimes pour qu'elle soit directement liée à la guérison à vie plutôt qu'aux démêlés avec la justice. Nous perdons trop de filles parce qu'elles se suicident à cause de démêlés avec la justice. Les femmes et les filles ont besoin de ce soutien pour rebâtir leur vie. Enfin, comme le disait Joy Smith — et c'est très important —, il ne faut pas annuler le projet de loi C-36. Je vous prie de veiller au maintien du projet de loi C-36, Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d'exploitation. Les défenseurs comme moi et bien d'autres, à l'échelle du Canada, ont travaillé très fort à faire entendre les voix des victimes d'exploitation sexuelle et de traite de personnes, dans cette conversation. Notre expérience nous vient de nombreuses années de travail au front avec des filles et des femmes dont les voix ne sont pas souvent entendues.
Acheter les services sexuels de femmes et de filles représente de la violence contre les femmes; c'est aussi simple que cela. Les effets les plus dommageables se font sentir chez les femmes et les filles autochtones. Nous avons besoin que les mesures législatives nous aident, plutôt que de perpétuer le racisme et d'occasionner des torts supplémentaires. Nous devons faire en sorte que les lois fonctionnent pour les femmes et les filles autochtones, plutôt que d'aider les auteurs des crimes à les victimiser. Si le projet de loi C-36 est annulé, cela va nous empêcher complètement de protéger les femmes et les filles. Vous ferez des trafiquants des entrepreneurs, et les policiers auront les mains liées devant la forte demande. Par exemple, la police de Winnipeg a fait 84 arrestations en 2016, le double en 2017, et cela va continuer. Nous avons besoin de ces outils pour la police, afin de réagir à la demande.
Criminaliser la demande est sensé. Étant donné que nous nous sommes tournés vers nos amis suédois pour obtenir des conseils sur le lancement du budget sous le thème de l'égalité des sexes, j'espère que nous pouvons aussi continuer de maintenir la version canadienne du modèle suédois dans le projet de loi C-36, qui criminalise l'achat de services sexuels tout en assurant que les victimes d'exploitation sexuelle et de traite de personnes ne seront pas criminalisées.
Meegwetch. Merci.
Merci beaucoup de votre témoignage très utile, madame Redsky, et de l'expérience dont vous faites profiter le Comité.
Nous passons maintenant à M. Bouchard.
Monsieur Bouchard, c'est à vous.
Merci beaucoup de l'invitation, monsieur le président. Je vous en sais gré.
Ce n'est pas facile pour moi d'être ici aujourd'hui. C'est humiliant, mais c'est important, car j'étais là et je sais comment ces prédateurs pensent.
Si je suis vivant aujourd'hui et que je peux vous raconter mon histoire, c'est uniquement parce qu'un jour, je suis entré dans une chapelle et j'ai remis ma vie entre les mains de Jésus Christ, et parce que j'ai été entouré de personnes qui m'ont aidé à comprendre la gravité de mon style de vie. Ils m'ont montré comment corriger les choses, et j'ai pu retourner à l'autre bout du pays, à chaque endroit où j'avais pratiqué la traite de personnes, pour rencontrer les victimes et faire face à chacun des actes criminels que j'avais commis afin de réparer mes gestes. Grâce à cela, j'ai pu mettre de l'ordre dans ma vie et aller à la source de mon problème. C'est très important pour changer, qu'on soit victime ou trafiquant. Il faut aller à la source. Une fois que j'ai fait cela, ma vie a changé et je suis devenu pasteur.
Aujourd'hui, j'entends beaucoup de témoignages de victimes qui racontent comment elles ont été attirées dans ce commerce, comment elles ont été agressées, et comment elles ont gardé le secret. L'une des choses les plus importantes que les trafiquants font, c'est vous enlever votre estime de vous-même, votre dignité, puis ils essaient très fort de vous accrocher aux drogues.
Je parle à des victimes, et j'en ai interrogé une hier matin. Elle a participé à un programme Teen Challenge parce que je l'y ai inscrite il y a un an, et elle termine maintenant avec grand succès. Elle m'a raconté qu'à l'époque où elle était avec un des types, le chef du gang, il regardait par la fenêtre dans la cour d'école voisine et lui a demandé si elle voyait les filles qui s'y trouvaient. Il lui a dit qu'elles étaient des guichets automatiques ambulants. Ils veulent attirer des filles de 9 à 14 ans parce que c'est ce qui est en demande de ces temps-ci.
Une fois qu'elles sont des victimes de telles agressions, bien de ces filles perdent leur estime d'elles-mêmes et leur dignité, et elles souffrent du syndrome de Stockholm. Elle développe de l'empathie pour leur agresseur. C'est un crime très grave dans notre pays, et il doit être puni à l'extrême.
Si j'avais été puni à l'époque où je m'adonnais à ce commerce, il y a des années, cela m'aurait découragé, mais la loi n'était pas là pour me punir et on a fait fi de mes gestes. Je suis vraiment heureux qu'aujourd'hui, des personnes comme Joy Smith luttent contre cela. Je me suis joint à elle dans ses efforts pour faire changer les lois.
Plus nous réussissons à dissuader un trafiquant, plus nous diminuerons les nombres de cas. Aujourd'hui, je fais de l'aumônerie en prison, et j'en fais beaucoup dans la rue. J'ai formé environ 50 personnes pour qu'elles puissent travailler avec moi dans la rue, et nous essayons de joindre le plus de personnes possible. Bien entendu, les filles ne sont pas dans la rue comme avant, mais cela nous permet d'établir beaucoup de contacts.
Il n'y a pas si longtemps, alors que je faisais mon travail d'aumônier en prison, une des filles m'a été présentée, et elle m'a dit qu'elle faisait ce que j'avais fait. Sa mère l'avait formée à la traite de personnes. Cet esclavage des temps nouveaux représente un grave problème. Les filles sont maintenant recrutées parce qu'il est plus facile pour une fille de recruter une autre fille, ce qui fait que cela s'étend. Cela dépasse tout simplement toute mesure humaine. Elle a fait la traite de 5 ou 6 filles, je crois, alors qu'elle n'avait que 17 ans.
Je crois qu'il faut infliger aux trafiquants une peine maximale. Les trafiquants sont sans coeur et impitoyables, et tout ce qu'ils veulent, c'est abuser de la personne jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien. Quand je suis retourné dans les rues pour corriger mes torts, deux ans après ma conversion, je me souviens d'avoir vu certaines filles que j'avais eues, et c'était des squelettes ambulants; elles étaient complètement détruites. Quand vous leur dites qu'une meilleure vie est possible, elles ne savent pas du tout vers qui se tourner.
Je suis vraiment content quand je vois des installations comme celles de Joy Smith, des endroits où elles peuvent aller. Bon nombre de ces filles ne savent pas où aller. Je trouve qu'il existe beaucoup de ressources pour permettre aux policiers d'arrêter les trafiquants de drogues, mais je ne crois pas qu'il y ait de telles ressources pour arrêter les prédateurs comme ceux qui pratiquent la traite de personnes. Je crois que si c'était le cas, nous constaterions une grande différence. Ces trafiquants sont des lâches, ils sont impitoyables, et ils se fichent de la vie humaine.
À l'époque, j'étais avec un partenaire qui m'avait formé. Il a même kidnappé des filles, il a voyagé avec elles, et il les a obligées à se prostituer. Elles n'avaient aucun choix. Plus vous les rendez dépendantes... parfois, ces filles ont des marques partout sur les bras. Tout ce qu'elles veulent, c'est leur prochaine dose, pour tuer leur douleur. C'est ainsi que ces prédateurs profitent d'elles, jusqu'à ce qu'elles finissent par mourir d'une surdose ou d'une maladie.
Et alors, on passe à la suivante. Ils se fichent qu'elles meurent. Comme vous le disiez, elles sont réutilisables. Quand elles sont finies, il ne reste plus rien d'elles. Elles sont bonnes pour les ordures.
Bon nombre des gens qui achètent des services sexuels ont des fantasmes extrêmes et veulent tabasser les filles ou les agresser sexuellement. Les trafiquants promettent la protection, mais ils ne sont jamais là. Pendant que les filles se font battre, ces types sont au bar ou dans une chambre d'hôtel à fumer du crack. Je trouve qu'avec la méthamphétamine en cristaux — le crystal meth —, c'est encore pire parce que c'est abordable, ce qui fait que pour bien des jeunes filles qui ne peuvent se payer du crack ou de l'héroïne, il est bien plus facile d'obtenir du crystal meth pour 5 ou 10 $.
Comme une des victimes me le disait cette semaine, une fois que vous avez fait de la méthamphétamine en cristaux, ce qui arrive à votre corps n'importe plus, car c'est tout ce que vous voulez et vous perdez la raison. Cette fille vivait dans des immeubles abandonnés de Winnipeg — une fille magnifique. Ses parents sont venus à moi et m'ont demandé si je pouvais aider leur fille. Elle avait perdu la raison. Je ne croyais pas qu'il y avait de l'espoir, alors j'ai beaucoup de gratitude pour Teen Challenge, car cette organisation l'a prise en main et lui a donné une vie.
Le soutien est si important pour ces filles, pour qu'elles reviennent à la raison et pour qu'elles comprennent qu'elles n'ont pas à s'identifier au traumatisme qu'elles ont vécu pour le reste de leur vie. Elles ont besoin de soutien et de soins. Je crois qu'il nous faut plus d'installations. Bien des gens que je forme au travail de la rue veulent savoir où envoyer une fille qu'ils ont trouvée. Il y a beaucoup de programmes pour les toxicomanes, mais très peu pour les filles qui ont été agressées et qui ont été victimes de la traite de personnes.
Je pense que si on légalisait la traite de personnes ou la prostitution, les trafiquants auraient le feu vert et cela échapperait alors à tout contrôle. Je sais que si je retournais à la rue aujourd'hui, ce qui est inconcevable, je pourrais faire 5 000 $ par jour en faisant la traite de personnes, et ce, sans rencontrer beaucoup de résistance.
Je trouve vraiment qu'il est important de se pencher sur cet enjeu. Beaucoup de ces filles sont contrôlées sous la menace d'un revolver. Je me souviens d'une fille qui travaillait pour moi. Elle était dans le passage de l'hôtel, et elle a dit à mon partenaire: « Je veux arrêter. Je ne peux plus faire ça. Chaque fois que je fais un job, j'ai le goût de vomir. » Il a sorti un revolver et l'a mis à sa tempe en lui disant: « Personne n'arrête, ici. » Heureusement, quelqu'un a ouvert la porte de sa chambre, elle y a accouru et s'est sauvée ainsi. C'est comme ça. À partir de ce moment-là, elle a eu peur pour sa vie, car elle risquait de se faire prendre pour l'avoir vendu.
Il est aussi très important que ces filles puissent trouver un refuge, quand elles se sortent de ce milieu.
Tout le monde est l'enfant de quelqu'un. C'est ma devise, alors quand je vais dans la rue, mon travail est vraiment d'aller chercher les enfants qui ont été attirés là-dedans. Je peux les reconnaître à un mille à la ronde. Pour moi, c'est vital de ramener une enfant à ses parents. Rien ne se compare à cela.
Quand je faisais la traite de personnes, une jeune de 14 ans était venue à moi. On lui avait promis une vie de prestige et elle voulait que je l'envoie dans la rue. Je me suis assuré qu'elle n'irait pas et je l'ai retournée à son père. Aujourd'hui, ce n'est plus comme cela. Plus ils peuvent en avoir de jeunes... ce qu'ils veulent, ce sont des filles de 9 à 14 ans. C'est ce qui est recherché, parce que c'est beaucoup plus malade que ce l'était avant. Ils s'en prennent vraiment aux personnes les plus vulnérables, et c'est la raison pour laquelle je devais absolument me lancer dans cela. Aujourd'hui, j'ai trois enfants, et pour moi, les enfants sont précieux. Même maintenant que je suis plus vieux et que je suis un homme d'affaires, je me lance dans cela parce que je veux sauver ces enfants et ces jeunes filles d'une vie tragique.
Je vous remercie beaucoup.
Je vous remercie beaucoup d'avoir eu le courage de nous raconter votre histoire. Je suis vraiment content que vous soyez devenu cette personne qui aide maintenant les gens. C'est merveilleux. Merci.
Nous allons maintenant écouter Mme Gray.
Merci de m'avoir invitée à témoigner aujourd'hui.
Je voudrais également remercier le Comité d'avoir entrepris une enquête sur ce problème important.
Je tiens aussi à saluer et à remercier les femmes et les filles qui ont raconté, à moi et aux nombreuses personnes qui me guident et me soutiennent dans mes recherches, ce qu'elles ont vécu à cause de la traite des personnes.
Je suis étudiante de maîtrise à l'Université York, où je termine une thèse sur l'éducation et la traite des personnes.
La meilleure amie de ma mère, Sarah, a été vendue aux fins d'exploitation sexuelle en Ontario quand elle avait 11 ans. Elles ont repris contact il y a quelques années. Après avoir entendu son histoire, je me suis jointe à un groupe de travail contre la traite des personnes qui soutient l'établissement d'une maison d'hébergement potentielle dans la région de York, au Canada, et d'une résidence à Kolkata, en Inde. J'ai été choquée d'apprendre que la traite des personnes est un problème qui prend de l'ampleur au Canada. Plus de 90 % des victimes de la traite des personnes au Canada sont nées ici. Une enquête plus poussée a révélé qu'en Inde, des programmes de réintégration ont été mis sur pied et sont bien connus de la population. Ces programmes sont toutefois plus rares au Canada. J'ai supposé qu'étant donné que la traite des personnes est prévalente et qu'on en parle ouvertement dans les médias et les écoles, il devient possible de concevoir des ressources dont on parle aussi ouvertement et qui deviennent aussi connues.
En menant des recherches dans le Bengale-Occidental, en Inde, j'ai étudié le rôle de l'éducation et de la formation professionnelle des femmes qui ont échappé aux trafiquants et réintégré la société. En novembre 2017, j'ai réalisé une étude qualitative d'un mois au cours de laquelle des femmes et des filles victimes de la traite des personnes à des fins d'exploitation sexuelle commerciale ont été invitées à raconter leur histoire. J'ai également interrogé des travailleurs de première ligne qui soutiennent des victimes de la traite des personnes et entrepris une étude documentaire approfondie. La traite des personnes sert à exploiter et à mésestimer les femmes et les filles dans le monde entier: tant les pays développés que les pays en développement sont touchés.
Vous vous demandez peut-être: « pourquoi l'Inde? »
Sachez que la traite des personnes y connaît une croissance exponentielle. En réaction, on y offre de nombreux programmes afin d'aider les victimes de la traite des personnes. Les récits de femmes qui ont été exploitées en Inde peuvent contribuer à l'élaboration de pratiques exemplaires afin d'aider les femmes victimes de la traite des personnes au Canada.
Mes recherches montrent que l'éducation revêt une importance cruciale dans la lutte contre la traite des personnes. Tout d'abord, elle est nécessaire pour combattre la traite des personnes, car elle permet de changer les mentalités et de renforcer l'autonomie des femmes. En outre, l'éducation et la formation professionnelle sont nécessaires à la réintégration des victimes dans la société.
Les constats ne se limitent pas à l'éducation et montrent que les stratégies de réintégration à long terme doivent inclure l'emploi et le logement; il manque toutefois de données fiables à ce sujet.
Je traiterai de chacun de ces constats et formulerai des recommandations, non pas pour déprécier les efforts et les initiatives que le Canada a mis en place, mais plutôt pour les enrichir en proposant une stratégie d'autonomisation dans le cadre de laquelle on travaille directement avec les victimes.
L'éducation constitue une arme contre la traite des personnes, car elle réduit le nombre de personnes qui en sont victimes.
La traite des personnes est un problème d'inégalité entre les sexes. Comme Statistique Canada l'indique dans son énoncé du27 février, la majorité de ceux qui s'adonnent à la traite des personnes au Canada sont des hommes, alors que la majorité des victimes sont des femmes. C'est également le cas dans le reste du monde.
L'éducation peut combattre les injustices systémiques, comme l'inégalité entre les sexes, qui favorise l'expansion de la traite des personnes.
Il faudrait d'abord envisager des approches adaptées à chaque sexe dans le domaine de l'éducation. Il faut encourager les filles pour qu'elles comprennent leur valeur et leurs droits. Qui plus est, nous devons éduquer les garçons pour qu'ils comprennent et respectent la valeur des filles. Comme l'UNESCO l'indique, « la sensibilité à l'égalité entre les sexes contribue à favoriser le respect d'autrui, sans égard au sexe. »
De plus, il faut parler de la traite des personnes aux fins d'exploitation sexuelle aux garçons et aux filles. Nous avons appris que des filles d'à peine 9 ans faisaient l'objet de la traite des personnes au Canada. Nous devons donc sensibiliser la prochaine génération, et ce, dès la sixième année.
Il faudrait en outre envisager une approche stratégique nationale en matière d'éducation pour veiller à joindre tous les jeunes dans le cadre d'une démarche préventive intégrale.
Le faible niveau d'instruction constitue un des cinq principaux facteurs de risque quant au trafic des personnes. Près de la moitié des victimes de la traite des personnes n'ont pas terminé leurs études secondaires. La pauvreté est un autre obstacle qui empêche les filles d'avoir accès à de solides formes d'éducation qui les renseignent sur leur valeur et leurs droits et de terminer leurs études, ce qui les rend vulnérables à la traite des personnes. De plus, en raison de leur manque d'instruction et de leurs besoins financiers, les femmes et les filles peuvent retomber entre les griffes des trafiquants après avoir été secourues.
Nous devons veiller à ce que les femmes et les filles aient accès à l'éducation, particulièrement dans les communautés vulnérables. Il faut, par exemple, accroître l'accès aux études secondaires et, surtout, postsecondaires dans les régions éloignées. Il faut donc affecter des fonds et des ressources pour accroître l'accès à l'éducation supérieure.
L'étude montre que l'éducation et la formation professionnelle rendent les femmes et les filles autonomes. Grâce à l'éducation, les participantes espèrent contribuer à la société d'une myriade de manières, notamment en aidant d'autres femmes qui ont fait l'objet de la traite des personnes. Sans plateforme, toutefois, l'éducation et la formation tout habilitantes soient-elles, ont des limites. Ainsi, bien des femmes sont de nouveau la proie des trafiquants.
Je me suis penchée sur un modèle de réintégration qui porte fruit en Inde: celui des entreprises de la liberté. Ces dernières offrent des emplois dignes aux femmes victimes de la traite des personnes. Le concept s'apparente à celui de l'entreprise sociale. Les entreprises fournissent le soutien et les soins nécessaires à la transition vers la société, notamment sous la forme d'une communauté de femmes aux parcours de vie communs et des conseillers. Shrishti, le Loyal Workshop et Freeset sont trois entreprises de la liberté que j'ai visitées en Inde.
Un survol préliminaire de la situation au Canada ne m'a permis de trouver qu'une entreprise de ce genre. Il s'agit d'une initiative canadienne qu'Huronia Transition Homes a lancée en janvier 2017 sous le titre d'Operation Grow. Il existe peut-être d'autres entreprises de la liberté du Canada, mais je voudrais faire la remarque suivante. À titre d'étudiante des cycles supérieurs, j'ai d'abondantes ressources à ma disposition. S'il existe d'autres entreprises de la liberté et que je peine à les trouver, imaginez à quel point il peut être plus difficile pour une victime de la traite des personnes de les dénicher. C'est un problème. Au Canada, il faut envisager d'instaurer de telles entreprises à l'échelle du pays et d'accroître les efforts existants.
Pour les femmes victimes de la traite des personnes, le logement constitue un élément essentiel. En Inde, j'ai visité une maison du nom de Mahima, qui compte quatre résidences destinées aux victimes de la traite des personnes. Dans deux d'entre elles, les femmes et les filles reçoivent des soins médicaux, de la nourriture, des vêtements, des conseils, des compétences pour se débrouiller dans la vie quotidienne, de l'aide juridique, de l'éducation, de la formation professionnelle et des services de placement dans le cadre de partenariats avec des entreprises de la liberté. Il existe des stratégies de réintégration exhaustives. Les personnes qui ont participé à l'étude ont indiqué que la maison leur avait donné de l'autonomie et les avait aidées à se préparer en vue de l'avenir. Bien des femmes ont exprimé leur espoir.
La SA Foundation est un exemple d'organisation canadienne en train d'établir des pratiques exemplaires sur les plans de l'hébergement et de la réintégration des victimes de la traite des personnes. Au Canada, il faut qu'il y ait plus de résidences adaptées aux femmes victimes de la traite des personnes qui offrent des soins holistiques et facilitent la réintégration, y compris des maisons d'hébergement d'urgence de premier recours.
En outre, il faut offrir du financement stable pour le soutien et l'hébergement intégrés.
Au Canada, la plupart des victimes de la traite des personnes ont 13 ou 14 ans. Nous devons nous demander qui est vulnérable au pays et pourquoi. Ce peut être pour des questions de religion, de séquelles du colonialisme et des pensionnats autochtones, d'accès à l'éducation supérieure, de sexe ou de pauvreté. Les Canadiens doivent apprendre à accepter l'histoire et s'employer à rectifier la situation.
La meilleure amie de ma mère a été vendue à des trafiquants en Ontario. Il y a 40 ans, des filles étaient vendues aux fins d'exploitation sexuelle commerciale au Canada. Aujourd'hui, le problème non seulement perdure, mais va en s'aggravant.
En conclusion, l'éducation est nécessaire sur plusieurs fronts pour combattre la traite des personnes. Cependant, le manque de données fiables au Canada est fort préoccupant. Nous devons examiner la traite des personnes d'un point de vue interdisciplinaire pour en saisir la complexité. Le milieu universitaire pourrait être mobilisé afin de soutenir la recherche et d'élaborer des approches fondées sur des données probantes. Nous devons analyser les efforts actuels pour déceler les manques, évaluer l'efficacité des programmes et établir les besoins en matière de financement. Les chercheurs, les enseignants, les analystes de données et les érudits doivent travailler ensemble pour lutter contre ce problème et mettre fin à cette injustice.
Merci de m'avoir écoutée. C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
Merci beaucoup, madame Gray, de nous avoir fait part des fruits de votre recherche. Nous vous en sommes reconnaissants. Je suis enchanté que quelqu'un comme vous se soit dirigée dans ce domaine et nous fournisse des renseignements utiles.
Nous passerons maintenant à la période de questions.
Nous commencerons par M. Nicholson.
Merci beaucoup.
Je remercie de tout coeur nos témoins, qui nous ont été d'une grande aide. Ce n'est pas facile de venir ici pour nous donner tous ces renseignements et ces témoignages. Je peux vous affirmer que tout cela est très utile.
Je tiens à faire une remarque à propos d'un excellent documentaire produit par la Joy Smith Foundation sous le titre Human Trafficking: Canada's Secret Shame. Moi et les membres de mon personnel ici présents avons écouté ce documentaire d'une durée approximative d'une heure et demie. Je recommande au Comité de le regarder. C'était très émouvant de voir les différentes personnes figurant dans ce documentaire, dont vous, Monsieur Bouchard. C'était formidable.
Je vous félicite, Joy, et toutes les personnes qui ont conçu ce documentaire, car, à l'instar du projet de loi déposé au Parlement, il s'agit d'un effort qui aura des effets durables à cet égard.
Joy, vous avez indiqué que ceux qui s'adonnent à la traite des personnes sont à l'affût de victimes, notamment grâce aux ordinateurs. Est-ce que d'autres personnes utilisent les ordinateurs pour chercher des victimes afin de voir si elles peuvent faire quelque chose pour les aider?
J'ai parlé des moteurs de balayage que les agents de police et d'autres intervenants utilisent afin d'essayer d'intercepter des informations, mais il y a trop peu de ressources à l'heure actuelle pour les intercepter vraiment efficacement. Diane a fait mention de la force de police de Winnipeg et la police régionale de Peel, qui sont en train de devenir très novatrices. Dominic Monchamp a également accompli beaucoup à Montréal, travaillant à plus de 2 000 dossiers.
Si nous avons lancé le programme d'éducation, c'est pour empêcher les victimes de tomber entre les griffes de trafiquants. Comme Mikhaela l'a souligné, plus il y a de gens qui sont informés à ce sujet et, comme Donald l'a fait remarquer, plus il y a de ramifications pour les trafiquants, mieux c'est, car il faudra un pays pour éradiquer ce fléau. Tout le monde a un rôle à jouer.
Il est surprenant de voir quelles sont les familles qui sont touchées par le problème. Le milieu est sans importance. Les gens aiment parler des jeunes à risque. Si on est une fille, on est à risque. Si on est un garçon, eh bien... Quand j'ai fait un exposé à Victoria, en Colombie-Britannique, tous les garçons se sont présentés. Il n'y avait pas une seule femme, rien que de jeunes garçons. Je pense qu'il faut qu'on dissémine l'information et qu'il y ait des ramifications à cela. Comme Diane et Donald l'ont indiqué, la légalisation de la prostitution n'est pas la solution.
[Inaudible] fait une remarque très pertinente dans le documentaire, où un homme affirme qu'il ne correspond à aucun des stéréotypes des gens exploités et que jamais il n'aurait imaginé que sa fille puisse être victime de la traite des personnes. Pourtant, ce documentaire montre que cela peut arriver à n'importe qui.
Madame Redsky, vous avez indiqué que nous devons veiller à criminaliser ceux qui commettent ces crimes. Dans le documentaire, il est question des écoles de michetons. Apparemment, les hommes impliqués dans la prostitution peuvent faire l'objet d'accusations. Ils vont à l'école des michetons, mais rien ne s'ébruite et ils n'ont pas de casier judiciaire. Jugez-vous que ce soit une manière efficace de s'attaquer au problème ou pensez-vous que cela en fasse partie?
[Difficultés techniques] pour combler la demande. Quand on a voulu modifier un comportement, qu'il s'agisse du tabagisme ou de l'alcool au volant, pourquoi les démarches ont-elles porté fruit? C'est parce que des lois ont été instaurées pour criminaliser le comportement néfaste et qu'on a informé et sensibilisé la population.
Dans le cas des écoles de michetons, il faut se rappeler que les contrevenants sont accusés d'infraction sommaire; c'est donc en raison d'une accusation de nuisance publique punissable par voie de procédure sommaire qu'ils aboutissent dans une école de michetons. La société et les Canadiens doivent déclarer que la violence contre les femmes est suffisamment sérieuse pour qu'ils soient accusés d'acte criminel.
Cela étant dit, cependant, pour que les agents de police puissent intervenir quand ils doivent séparer un trafiquant d'une victime, ils ont besoin de tous les outils nécessaires pour le faire. Une loi sur la prostitution envoyant les trafiquants dans les écoles de michetons fait partie de cet arsenal. Si c'est ce qu'il faut, alors nous appuyons certainement pareille mesure.
À Winnipeg, nous avons doublé le nombre d'accusations relatives à la communication et à la prostitution dans le projet de loi C-36. Ces ressources servent habituellement à aider les femmes et les filles. Il y a maintenant plus d'argent, car on arrête un plus grand nombre de clients. Les organisations communautaires disposent donc de ressources financières plus substantielles pour aider les victimes de l'exploitation sexuelle et de la traite des personnes.
Permettez-moi de vous demander quel succès nous remportons à cet égard. Dans votre témoignage, vous avez affirmé que des centaines de personnes sont victimes de la traite des personnes chaque jour et indiqué que le nombre d'accusations a doublé pour passer à 184. Quels sont les problèmes, selon vous? Les acteurs finissent-ils par être déclarés coupables ou s'en sortent-ils en plaidant de manière à faire l'objet d'accusations réduites?
C'est une combinaison d'un certain nombre de problèmes. Il faut se souvenir que c'est une question de volume. Si des centaines de filles sont exploitées, c'est parce que des centaines d'hommes poussent la demande à la hausse; il faut donc que l'offre suive.
Le Manitoba est la province la plus progressiste du pays sur le plan de la lutte à l'exploitation sexuelle, et nous ne pouvons même pas suivre le rythme. L'exploitation sexuelle et la sexualisation des femmes et des filles, qui sont réduites à l'état de marchandises, sont si normalisées dans notre société qu'il faudra faire énormément d'éducation. Le problème exigera l'intervention du gouvernement, lequel est sur la bonne voie au chapitre de l'égalité des femmes grâce aux travaux qu'il accomplit dans ce domaine. Quand on rend les femmes et les filles autonomes, on change automatiquement une famille, une communauté et un pays. C'est vraiment sur ce point que je voudrais qu'on mette beaucoup l'accent.
Votre témoignage et ceux de vos collègues ici présents sont d'une aide considérable à cet égard.
Monsieur Bouchard, permettez-moi de vous interroger à propos d'un incident très émouvant dont vous avez parlé, celui de la fille victime de la traite des personnes que son trafiquant menaçait en lui pressant un revolver sur la tempe. Je pense que depuis lors, elle craint pour sa vie.
Ce type a-t-il déjà été condamné? Pouvez-vous nous raconter la fin de l'histoire?
Ce qui est étrange, c'est que j'étais dans ma chambre d'hôtel quand c'est arrivé. Mon partenaire l'a menacée juste devant ma chambre. L'hôtel était entouré par une vingtaine de voitures de police. Les policiers m'ont appelé depuis la réception en disant: « C'est la police de Calgary. Sortez de la chambre, les mains derrière la tête. » Quand je suis sorti de ma chambre, il y avait des tireurs à chaque extrémité du couloir. Les policiers m'ont cloué au sol et menotté. Le chef de police de Calgary savait ce que je faisais; il m'a donc demandé où était mon partenaire et j'ai menti. Au bout du compte, il n'a pas pu m'arrêter parce qu'il n'existait pas de véritable loi permettant de m'accuser.
À l'époque, les policiers ont fait de ma vie un enfer. Ils étaient à la recherche de mon partenaire. J'ai donc amené Delroy et la fille kidnappée à Regina, et il m'a indiqué qu'il quitterait la ville. Furieux, je lui ai répondu qu'il avait trop attiré l'attention sur l'hôtel. Nous avions fait du Monarch Towers un repaire de prostitution et de vente de crack.
Nous sommes allés à Regina, et c'est là où nous avons rencontré le plus d'opposition, car la GRC s'y entraînait. Mon partenaire s'est caché pendant des mois avant d'être finalement arrêté. Je pense qu'il a reçu une peine très clémente de deux ans ou 18 mois, puis il a été obligé de prendre un emploi à titre probatoire, ce qui signifie qu'il a pris le poste et continué de s'adonner à la prostitution et à la traite des personnes.
Ces hommes ont honte de travailler. Pour eux, travailler est absolument honteux. Les boîtes de nuit sont remplies de ces types qui s'adonnent à la traite des personnes, et on ne fait pas grand-chose à ce sujet.
Quand j'étais à Calgary, il y a plus de 20 ans, autant d'hommes que de femmes étaient victimes de la traite des personnes. Il en va de même à Montréal. Dès qu'une ville accueille un grand événement, comme des courses de voitures, la course Indy... La demande sur le plan de la traite des personnes était très importante à Regina, car c'était une ville de congrès, mais elle était particulièrement élevée à Calgary en raison du Stampede et de l'industrie du pétrole à l'époque. Il y avait alors beaucoup d'argent et tous les trafiquants convergeaient vers la région.
Les propriétaires de l'hôtel étaient au courant de la situation? Ils comprenaient ce qu'il se passait dans leur établissement?
Oh, je vois. D'accord.
Joy, pensez-vous qu'on pourrait en faire plus — vous voyez ce que je veux dire — pour découvrir où ces crimes sont perpétrés, ou est-ce que tout le monde prend soin de ne pas...
On peut certainement faire quelque chose.
Dans un cas dont je me suis occupée, une fille de 12 ans a été retenue prisonnière dans une chambre pendant toute une semaine à Toronto. La chambre avait éveillé des soupçons parce que des hommes y entraient constamment. J'ai demandé à la femme de ménage s'il s'y passait quelque chose, et elle m'a répondu qu'elle ne voulait pas se mêler de cela. Il se passait quelque chose.
La fille en question a fini par sauter par la fenêtre. Elle n'a pas été blessée sérieusement et nous l'avons menée en sûreté, mais elle ne voulait pas dénoncer ses trafiquants. Elle m'a toutefois révélé que de nombreux jeunes étaient amenés à cet hôtel.
Je pense qu'il faut certainement donner des indications claires aux hôteliers, qui devraient annoncer que leur établissement est sans reproche.
Merci, monsieur le président.
Je voudrais d'abord remercier tous les témoins de leurs exposés fort éloquents.
Pour continuer dans la même ligne d'idée que M. Nicholson, j'ai appris, en lisant un article récent, qu'on utilise de plus en plus des appartements loués avec Airbnb pour faire la traite des jeunes femmes et des jeunes hommes. Il est donc encore plus difficile de découvrir où ces actes sont commis.
Monsieur Bouchard, vous avez indiqué que les hôteliers étaient en quelque sorte de mèche avec les acteurs et les trafiquants eux-mêmes. Comment cela fonctionne-il? S'agit-il d'une forme de petite entreprise au sein de laquelle on fait la traite d'un groupe de jeunes, ou existe-il un réseau ou un groupe s'apparentant davantage au crime organisé dans cette industrie?
Il y a plusieurs années, c'était centré sur le crime organisé. Je le sais parce que mon beau-père était un tueur à gages pour la mafia. Donc, à l'époque, c'était plus le crime organisé. De nos jours, je trouve que cela peut être n'importe qui, quelqu'un qui veut faire un coup d'argent. Le gars entend dire que faire du trafic est facile, alors il se trouve une ou deux filles. Il y a des secteurs hôteliers, en particulier à Montréal, à mon avis, particulièrement sur la rue Saint-Jacques, où une chambre dans un motel miteux coûtait à l'époque entre 25 $ et 50 $. Les filles louent une chambre pour la nuit. Le tenancier sait exactement ce qui se passe, mais 75 à 80 % de son chiffre d'affaires est lié à la traite de personnes, de sorte qu'il ne le signalera jamais. Il craint évidemment de le faire.
Lorsque j'étais à Regina, je me suis fait expulser de tous les hôtels. Ce n'était pas parce qu'on m'avait dénoncé; ils avaient trop peur de le faire. C'est arrivé parce qu'à l'époque, les gens des « moeurs » chargés de lutter contre la traite de personnes se rendaient dans les hôtels, examinaient les registres en cherchant des noms, puis posaient des questions du genre: « Savez-vous où se trouve cet homme? C'est lui que nous cherchons. » Donc, le commis leur remettait la clé, puis ils ouvraient nos portes pour nous prendre en flagrant délit. Encore une fois, ils ne pouvaient pas nous arrêter. Il ne faisait que nous repousser d'un hôtel à un autre. En fin de compte, ce qui est arrivé, à Regina, c'est que je n'avais absolument nulle part où aller, et j'ai pensé que c'était un excellent moyen de se débarrasser des prédateurs. Par contre, à ce moment-là, tout ce qu'ils ont à faire c'est de se trouver un autre endroit, où les choses sont faciles, comme les grandes villes. C'est extrêmement difficile à contrôler, parce que les revenus de ces hôtels proviennent principalement de la traite de personnes. Cela démontre à quel point la demande est importante. Par exemple, presque toutes les chambres du Monarch Towers étaient réservées à cela.
Wow.
Madame Smith, j'aimerais d'abord vous remercier d'avoir consacré votre vie à cet enjeu extrêmement important.
J'ai une question pour vous et Mme Redsky. Concernant les victimes auprès desquelles vous intervenez, fournissez-vous des données à un organisme central quelconque, par exemple sur le nombre de victimes que vous aidez à servir, les mesures qui sont prises, l'âge ou le sexe des victimes, etc.? Les organismes qui travaillent en collaboration cherchent-ils à centraliser la collecte de données?
Non. J'ai travaillé sur plus de 2332 dossiers, au fil de nombreuses années. Je les conserve à la fondation. Tout ce que j'ai appris a été immédiatement signalé aux autorités policières de la province où les choses se sont produites. Il n'en demeure pas moins qu'un mécanisme officiel de collecte de données sur ces cas est nécessaire, et que nous devons établir des partenariats entre les corps policiers et les ONG.
Ce qu'on voit actuellement, c'est que beaucoup d'organismes caritatifs sans but lucratif aident les victimes de la traite de personnes, mais que beaucoup de ces victimes n'aiment pas qu'on informe les autorités policières. Cela complique le travail de la police. Je pense que les lois qui ont été adoptées ont aidé les victimes à se manifester; ce sont des personnes très courageuses. Il en va de même pour les parents. Il est très difficile d'inciter les parents dont l'enfant a été victime de la traite de personnes à s'exprimer, car ils ont honte. Je ne sais pas pourquoi, car ce n'est pas leur faute, mais celle du prédateur.
Je pense que nous devons aborder la collecte des données d'un angle novateur. Lorsque Diane travaillait à la Fondation canadienne des femmes, l'organisme a fait un travail remarquable pour recueillir des données sur le nombre de victimes de la traite de personnes. Il avait recensé des milliers de cas de plus que la GRC. Mon fils est dans la GRC; j'ai donc un préjugé favorable à la police — on ne pourrait être plus favorable que moi —, mais la police a habituellement quatre ans de retard, environ, parce qu'elle lutte contre de multiples crimes, notamment des crimes graves liés aux drogues et à la traite de personnes. Je suis convaincue que le gouvernement et les parlementaires doivent contribuer à la création d'un mécanisme de collecte de données.
Les gens disent qu'ils vont le faire. Le budget traite de la création d'une ligne téléphonique nationale, mais il faut plus que cela. Il faut un mécanisme de collecte de données en temps réel.
Avant d'être élue au Parlement, j'ai fait une maîtrise en enseignement des mathématiques et des sciences. Dans les cours de statistique, nous apprenions qu'il y avait diverses façons de collecter des données. Lorsque je suis arrivée au Parlement, j'ai constaté que certains avaient une méthode et que les ONG procédaient autrement. Il faudra un moment donné prendre conscience de la réalité: les ONG recensent des milliers de cas de trafiquants de personnes, ce qui ne correspond pas aux statistiques des services de police qui sont simplement fondées sur les condamnations obtenues. Ils améliorent constamment la collecte de données, mais il faut des données actualisées, car la situation actuelle est très différente de celle d'il y a deux ans.
Lorsque je suis arrivée au Parlement, personne ne savait ce qu'était la traite de personnes. Je ne blâme personne, car ce n'était pas documenté. Lorsqu'on présente un projet de loi au Parlement, il faut tout justifier, ce qui est très difficile. On sait que quelque chose se passe, mais il faut le prouver. Il faut donc inciter de nombreuses victimes à témoigner et cette méthode de collecte de données n'a pas été très précise jusqu'à maintenant.
Je vous recommande fortement d'examiner cet aspect. Toutefois, cela ne doit pas provenir d'une source unique, mais de sources multiples: organisations non gouvernementales, collectivités autochtones, forces policières, services frontaliers, etc. Nous devons travailler ensemble. La devise de la fondation est la suivante: « Travailler ensemble pour éradiquer la traite de personnes ». Actuellement, je ne vois pas d'efforts concertés et concrets nous permettant d'avoir un portrait exact de la situation.
J'espère que cela répond à votre question.
Merci.
Je tiens à dire à tous les témoins que leurs témoignages ont été extrêmement touchants et importants.
Je vais commencer par vous, madame Redsky, si vous le permettez. Je m'intéresse particulièrement au nombre disproportionné de filles et de femmes autochtones que cela touche. Je me demande s'il existe des déficiences systémiques qui rendent les filles autochtones plus susceptibles d'être victimes de la traite de personnes, par exemple le système de placement familial, les attitudes des agents de police, le racisme ou simplement la pauvreté. Avez-vous réfléchi à cela? Que devrait-on faire pour y remédier, à votre avis?
Eh bien, étant moi-même une femme autochtone, je dois dire que nous le vivons au quotidien. Les systèmes contribuent à perpétuer le cycle de vulnérabilité pour les femmes et les filles autochtones et, seulement cette année, on trouve d'innombrables exemples démontrant que ces systèmes nous ont nui et continuent de nous nuire.
L'Association des femmes autochtones a préparé un rapport, auquel je souscris, dans lequel on conclut que nous faisons l'objet d'une surveillance policière abusive et que nous sommes sous-protégées. Divers facteurs entrent en jeu, et la colonisation est la cause principale de la pauvreté et du racisme. En outre, il y a un marché pour les femmes et les filles autochtones. Nous avons créé et permis au Canada de créer une catégorie de « femmes jetables », et ces femmes — dont le sort n'importe à personne — sont des femmes autochtones.
Tant les trafiquants que les hommes, car il y a distinction à faire... Dans le système de l'offre et de la demande, il y a les trafiquants et les clients, et il y a parfois une différence. Premièrement, les femmes et les filles autochtones sont ciblées parce que c'est plus facile, ce qui découle simplement du fait qu'elles sont plus vulnérables au recrutement et à l'exploitation. En outre, elles leur permettent de faire plus d'argent, puisque les femmes et les filles autochtones qui sont victimes de la traite de personnes subissent beaucoup plus d'actes violents comparativement aux victimes non autochtones. Cela découle encore une fois du fait que c'est une possibilité.
À la fin des années 1990, une enquête publique sur la mort de Helen Betty Osborne a conclu que notre société avait marginalisé les femmes autochtones au point où les assassins de Helen Betty Osborne en étaient venus à considérer les femmes comme étant de moeurs légères et dépourvues de valeur humaine. On peut faire ce qu'on veut, sans aucune conséquence. Voilà la triste réalité des femmes autochtones au Canada aujourd'hui.
C'était une réponse très frappante. Comment pouvons-nous commencer à lutter contre l'exploitation par des hommes, contre quelque chose que la société semble essentiellement sanctionner, pour ainsi dire? Comment pouvons-nous faire comprendre à la société qu'il est absolument inacceptable que des hommes puissent acheter des filles?
À titre d'exemple, nous avons parlé de l'importance du projet de loi C-36. Nous devrions peut-être renforcer le pouvoir de nommer et dénoncer publiquement les contrevenants afin que leur identité soit connue. C'est une possibilité.
Avez-vous réfléchi, en général, sur la façon de rendre cela plus socialement répréhensible?
Je pense que nous sommes sur la bonne voie, considérant la place qu'occupent les discussions sur l'égalité entre les sexes au Canada. Cela dit, les solutions passent par les collectivités autochtones elles-mêmes, et il y a du leadership à cet égard. Avec des occasions adéquates, des projets de développement des ressources adéquats, ces voix pourront se faire entendre et nous pourrons commencer à changer la mentalité des Canadiens. Les femmes autochtones, par leur rôle, leur compétence, leur capacité et leur leadership... Nous pouvons y arriver, mais cela doit être dirigé par les collectivités autochtones, dans le cadre d'un partenariat. Nous devons éliminer l'inégalité qui touche les femmes autochtones.
On peut intégrer cet enjeu au débat sur la Loi sur les Indiens. Cette loi qui existe parce qu'on nous considère comme moins qu'humains, et c'est pour cette raison que l'on juge nécessaire de nous assujettir à un plus grand nombre de lois et de règles, et non seulement aux lois applicables à tous. Le discours ne changera pas tant que nous n'aurons pas commencé, en tant que société, à chercher à travailler ensemble et à miser sur les ressources et le leadership que l'on trouve déjà dans les collectivités autochtones.
Je n'aime pas employer le terme « réconciliation » trop souvent, mais il s'agit d'un élément extrêmement important qui est intimement lié à l'égalité.
Vous avez indiqué, si je peux me rappeler vos mots exacts, que nous devons donner aux femmes et aux filles des raisons de se manifester. Comment?
Dans le système judiciaire actuel, rien n'incite les femmes à se manifester. En fait, elles se retrouvent victimes du système; ce sont elles qui font l'objet d'un procès. On met deux à cinq ans pour arriver à une condamnation assortie d'une peine d'un an ou deux ans d'emprisonnement, tout au plus. Pendant tout ce temps-là, les femmes sont victimisées et traumatisées de nouveau. Donc, rien ne les incite à se manifester et à entreprendre des procédures judiciaires.
Nous recommandons de faire un ménage là-dedans pour accroître le nombre de condamnations, le nombre d'individus criminalisés et tenus responsables de leurs mauvais comportements et de la violence qu'ils ont faite aux femmes.
Eh bien, c'est étrange, car je croyais que vous aviez souligné l'importance de conserver la loi. C'était peut-être un autre témoin. C'est ce que vous avez dit au sujet du projet de loi C-36. Dans vos recommandations, à la fin, vous nous invitez à la conserver. Toutefois, je crois comprendre, d'après la documentation qui nous a été fournie — un rapport préparé par Sécurité publique Canada il y a deux ans sur le Plan d'action national de lutte contre la traite de personnes —, qu'entre 2012 et 2016, il y a eu 307 accusations de traite de personnes devant les tribunaux, pour seulement 45 condamnations. Il semble donc que cette loi ne fonctionne pas très bien. Par conséquent, plutôt que de conserver ces lois, il conviendrait peut-être de les modifier. Je lance simplement l'idée.
Cela donne certainement une idée plus globale de l'ampleur de la violence faite aux femmes. Les cas d'exploitation sexuelle et de traite de personnes comptent parmi les nombreux exemples des défaillances de notre système judiciaire pour lutter contre la violence faite aux femmes. Lorsqu'on regarde les chiffres sur les agressions sexuelles et les autres formes de violence à l'égard des femmes, le nombre de condamnations est faible dans tous les cas.
Il reste beaucoup de travail à faire pour améliorer notre système judiciaire pour favoriser l'obtention de résultats concrets et positifs dans la lutte contre la violence faite aux femmes.
Merci, madame Redsky.
Je suis désolé de vous interrompre, mais j'ai beaucoup de questions.
La prochaine question s'adresse à Mme Gray.
Je suis intrigué par votre recommandation — et je pense aussi que cela fonctionne intuitivement — selon laquelle il convient de parler de cet enjeu aux filles, dès la 6e année, pour les sensibiliser. Je comprends cela. Nous avons au pays des gens qui sont contre l'éducation sexuelle. Imaginez leur réaction si vous proposiez de parler de la traite de personnes aux fins d'exploitation sexuelle à des enfants de cet âge.
Avez-vous réfléchi à la façon dont nous pouvons sensibiliser et mobiliser les filles, dès la 6e année?
J'y ai réfléchi, et je pense qu'une des façons de le faire serait d'avoir recours au programme D.A.R.E., qui existe déjà. Cela pourrait être intégré aux discussions avec les élèves relativement aux drogues et à l'alcool. En outre, je pense que cela nous renvoie à un problème sociétal plus important: notre réticence à informer les enfants et les jeunes parce que nous considérons qu'ils n'ont pas, à cet âge, la capacité de comprendre ou d'apprendre certaines choses. Or, si la réalité est que de jeunes filles de neuf ans sont victimes de la traite de personnes, alors je pense que nous devons nous battre par tous les moyens à notre disposition pour les informer. En effet, si nous ne les sensibilisons pas aux risques et aux vulnérabilités possibles, comment pourrons-nous les empêcher d'être victimes? À mon avis, c'est une avenue à explorer.
Nous pouvons également réfléchir à d'autres façons de régler le problème. Nous avons parlé de la valorisation et de l'autonomisation des femmes, et ces discussions... L'UNESCO offre de la formation de sensibilisation à l'égalité entre les sexes. À mon avis, il s'agit d'un outil qui permet d'aborder ces questions et d'orienter les garçons et les filles, pour qu'ils apprennent à se respecter mutuellement et qu'ils prennent conscience de l'importance de chaque personne.
Merci beaucoup, monsieur Rankin.
Il me semble que neuf ans, c'est trop jeune pour être en 6e année; ce serait plutôt la 4e année.
Quoi qu'il en soit, c'est une perspective extrêmement effrayante.
Monsieur Boissonnault.
Merci, monsieur le président.
Merci aux témoins de se joindre à nous aujourd'hui.
Je vais tâcher d'être bref, parce que j'ai cinq ou six questions à vous poser.
Le calcul ne colle pas. Des représentants de Statistique Canada nous ont dit l'autre jour que dans l'ensemble du pays, 350 signalements avaient été faits à la police, mais vous nous avez tous dit que c'est impossible. Mme Redsky a parlé de centaines de cas à Winnipeg; Mme Smith de 2 300; M. Bouchard de centaines; et Mme Gray de centaines ou de milliers.
En Inde, 1 % de la population est victime de la traite de personnes. Est-il réaliste de croire que 350 000 Canadiens et Canadiennes en sont victimes au Canada, car cela correspond au même pourcentage? Est-ce que c'est ce qui arrive au Canada, selon vos estimations?
Je peux me référer à l'enquête menée en ligne par le groupe de travail national, qui date de 2012. Nous avons interrogé 500 organismes sans but lucratif pour femmes — pas des refuges, mais bien des organismes —, afin de savoir combien de femmes victimes d'exploitation sexuelle et de traite de personnes avaient fait appel à leurs services en 2012. Près de 300 organismes ont répondu au sondage en ligne. Nous avons additionné toutes leurs réponses et nous sommes arrivés à plus de 22 000. De ce nombre, seulement une centaine de cas, si je ne me trompe pas, s'étaient alors rendus devant les tribunaux.
Il y a bien des raisons qui font que les femmes décident de ne pas dénoncer la situation et qui compliquent la collecte de données, mais il est tout à fait possible d'améliorer les choses. Il le faut. Les statistiques le prouvent. C'est un crime caché qui est difficile à cerner. Les intervenants qui travaillent sur le terrain sont débordés. Nous avons peine à suivre ce qui se passe, et ce qui n'aide pas, c'est qu'on normalise la sexualisation de nos enfants et leur exploitation à des fins lucratives.
J'aurai quelque chose à demander à chacun d'entre vous juste après, mais j'aimerais pour le moment avoir les commentaires de Mme Smith quant à l'ampleur du problème.
Je suis tout à fait d'accord avec Diane. Il faut savoir entre autres qu'il est très difficile d'en parler pour les victimes et leur famille. Comme je le disais plus tôt, une meilleure collaboration sur le plan statistique nous permettrait de dresser un portrait beaucoup plus clair de la situation.
Diane parlait des organismes de première ligne, et je pense aussi aux appels que reçoit ma fondation; et nous en avons malheureusement perdu, nous ne les avons pas tous enregistrés. Mais ces appels doivent également être jumelés aux rapports de police. Il faut que les différents intervenants collaborent de plus près. Les statistiques exploseraient.
Diane a entièrement raison, nous sommes débordés. Vous avez entendu le témoignage de Donald, qui a parlé de son passé de trafiquant. C'est énorme. Je gage que vous ne saviez pas qu'un hôtel tout entier servait à la traite de personnes. Pourquoi? Parce que vous êtes un homme bien et que la famille et tout le reste vous tiennent à coeur. C'est un monde à part. Bien des gens, surtout des mineurs, sont engloutis par ce monde, qui change leur vie à jamais.
Vous dites que le calcul ne colle pas, mais ce qui ne colle pas pour moi, c'est l'absence de coordination entre les organismes non gouvernementaux et les groupes de femmes, bref, entre les intervenants qui baignent dans ce milieu.
Sachez que lorsque je dis que le calcul ne colle pas, je veux dire que le gouvernement doit redoubler d'efforts...
Mme Joy Smith: Oui, nous comprenons.
M. Randy Boissonnault: ... et faire preuve d'innovation pour recueillir ces données. C'est la même chose pour les statistiques concernant la communauté LGBTQ. Le recensement ne pose pas les bonnes questions. Quand on demande à une famille combien de ses membres sont ouvertement gais, qu'arrive-t-il si deux des quatre enfants sont toujours dans le placard? Difficile de bien refléter la réalité avec ces questions, car à moins que les gens ne s'affichent ouvertement, on ne peut pas savoir où ils en sont dans leur cheminement.
Monsieur Bouchard, on dirait que vous connaissez bien Calgary, de même qu'Edmonton et Regina. Dans une ville comme les autres — je vous laisse choisir laquelle —, et à n'importe quel moment de l'année, combien y a-t-il de trafiquants et combien y a-t-il de victimes de la traite de personnes?
Je me souviens d'être allé à une soirée où tous les trafiquants vont rencontrer les filles, et il y avait des centaines de personnes.
Celles qui sont là sont des prostituées dites de luxe. Les trafiquants aiment parader leur trophée, une seule fille, mais ils peuvent aussi en amener deux ou trois autres qui travaillent dans la rue ou dans les soi-disant salons de massage.
Combien y a-t-il de femmes et de filles par rapport au nombre d'hommes et de garçons, selon votre expérience? Est-ce 90:10, 95:5 ou 80:20? Quel est le ratio?
Je dirais qu'il y a trois fois plus d'hommes maintenant qu'il n'y en avait à l'époque. Je suis intervenant en toxicomanie auprès des garçons, et presque la totalité de ceux que je rencontre ont été violés en bas âge. Ils sont très vulnérables.
Je ne connais pas les statistiques. Je travaille sur le terrain. Pour moi, tous ces chiffres sont...
C'est difficile à dire en ce moment. J'ai quitté ce milieu il y a de nombreuses années. À l'heure actuelle, je traite avec des particuliers, des groupes, et je donne beaucoup de conférences. D'après les commentaires que je reçois, le ratio s'approche probablement de 50:50, mais il est beaucoup plus difficile de débusquer les hommes.
D'accord.
Voici la demande que j'ai pour vous, et elle est peut-être complètement à côté de la plaque. Avant la fin de notre étude, j'aimerais avoir une idée de l'ampleur du problème dans la collectivité. Je ne vous demande pas de données scientifiquement valides, mais si vous pouviez nous dire combien de personnes, à votre connaissance, sont victimes de traite dans une ville donnée, combien il y a de trafiquants, et combien il y a approximativement d'hommes qui achètent ces services, cela nous donnerait au moins une idée générale de ce qui se passe. Vous pourrez transmettre ces renseignements aux greffiers du Comité. Ce serait plus facile d'instiller une certaine volonté politique avec cette information sous le bras, car autrement, nous sommes contraints de nous référer aux 350 signalements compilés par Statistique Canada. La barre est haute. On parle de 500 signalements au total au cours des 10 dernières années. Vous avez raison, le recensement s'améliore, mais il reflète mal la réalité.
Comment interagissent vos organisations avec les organismes de soutien à la communauté LGBTQ2? Nous savons qu'il y a un certain recoupement lorsqu'il est question de réinsertion sociale. Comment se fait le lien avec les groupes pour bispirituels, lesbiennes et LGBTQ en vue d'aider ces personnes à réintégrer la société après un traumatisme. Avez-vous la réponse? Sinon, notre secrétariat peut certainement être utile.
C'est extrêmement important. La communauté LGBTQ est particulièrement vulnérable à la traite de personnes. Notre maison d'hébergement et notre pavillon de ressourcement en milieu rural accueillent tous deux des filles et des transgenres. C'est une population qui manque de ressources; elle manque de tout, en fait. Et il y a très peu d'organismes avec lesquels nous pouvons travailler, même à Winnipeg. Par contre, il est primordial de former des partenariats avec ceux qui existent. Il y a des survivants et des survivantes de la communauté LGBTQ qui n'ont pas peur de dénoncer ce qui ne va pas, et je vous encourage... Je serais heureuse de vous mettre en contact avec quelques-uns d'entre eux pour qu'ils puissent vous parler des besoins qui leur sont propres.
J'aimerais bien en discuter avec vous plus tard.
Avant que le président lève la séance, je veux parler de la publicité du gouvernement de l'Ontario que j'ai vue hier soir: #QuiAiderezVous, qui parle de la violence faite aux femmes. Elle s'adresse aux hommes et aux garçons, les incitant à se demander qui ils aideront s'ils sont témoins d'une agression sexuelle ou de gestes violents envers une femme, que l'incident soit en train ou sur le point de se produire.
Peut-on changer le monde de la traite de personnes avec des campagnes dans les médias ou sur les réseaux sociaux? Je pense par exemple au mot-clic #YouCanStopThis. Est-ce que ce genre d'initiatives de la part des gouvernements et de la société civile ont leur utilité? Êtes-vous en faveur de cela?
Absolument. Toute campagne de sensibilisation en ce sens, qu'on parle de la communauté LGBTQ, des filles ou des garçons, est extrêmement importante pour que la population soit au courant de ce qui se passe. Ces campagnes médiatiques peuvent avoir beaucoup de poids.
Elles peuvent avoir une incidence sur celles qui sont fascinées par ce monde, qu'elles croient merveilleux. Une campagne véhiculant un message puissant, et notre fondation songe à en lancer une elle-même... la portée nationale d'une campagne gouvernementale peut faire toute la différence.
Oui, c'est une campagne au Manitoba. En fait, c'est une campagne nationale. Plusieurs provinces ont suivi le mouvement dénonçant la traite de personnes à l'occasion de grands événements sportifs.
Je me souviens que dans les années 1980 et 1990, c'était cool de fumer et on vantait les mérites de la cigarette. Mais grâce à la multitude de campagnes de sensibilisation, on a fait demi-tour et le problème n'est plus du tout ce qu'il était.
Aussi, vous parliez des clients tout à l'heure, monsieur Rankin. Si on les exposait au grand jour, il y en aurait beaucoup moins. À l'époque, c'est ce qu'on voyait dans la rue: les hommes avaient peur de se faire prendre. Pas les trafiquants, mais les hommes qui achetaient des services sexuels avaient peur de se faire pincer, parce qu'ils ne voulaient pas que leur famille l'apprenne. Dans une ville comme Winnipeg, d'où je viens, si seulement 10 de ces clients étaient exposés au grand jour, il y aurait une baisse considérable du nombre de clients du jour au lendemain.
Merci beaucoup.
Je signale aux membres du Comité qu'il ne nous reste qu'environ huit minutes, parce que nous devons ensuite adopter notre budget, ce qui devrait prendre une petite minute.
Nous allons donc nous en tenir à des questions brèves, et je demanderais aux témoins d'être concis dans leurs réponses.
Allez-y, monsieur Reid.
D'accord. Je vais donc reformuler mes questions et toutes les adresser à Mme Gray.
Je veux quand même saluer mon ancienne collègue, Joy Smith. Mais comme toutes mes questions sont d'ordre statistique, je vais jeter mon dévolu sur Mme Gray, si elle le veut bien.
Vous avez dit dans votre exposé que la moyenne d'âge est de 13 ans. Puis-je présumer qu'il s'agit de l'âge moyen auquel les victimes sont entraînées dans ce monde, et pas de la moyenne d'âge totale des femmes actives dans le milieu?
Je vois. Je ne crois pas que vous ayez parlé du nombre d'années que cela peut durer... Je ne parle pas de mortalité, mais du temps qu'elles passent dans l'industrie — je ne suis pas à l'aise d'utiliser ce terme, mais c'est ce que j'ai entendu. Avez-vous une idée?
Je n'ai pas de données précises, mais d'après les histoires que j'ai entendues et ce que des gens m'ont dit — notamment en Inde, où je travaillais auprès des femmes —, à la mi-vingtaine, les femmes ne sont plus « bonnes » pour la traite. Faute d'emploi et de possibilités de réinsertion sociale, elles peuvent devenir elles-mêmes recruteuses.
Les autres témoins sont peut-être mieux placés pour répondre à la question.
Ça laisse entendre que ce ne serait que certaines des femmes et, je le suppose, seulement celles qui possèdent le plus d'aptitudes personnelles et sociales. Celles qui ne savent pas vraiment compter... Il faut savoir ouvrir un compte bancaire et effectuer une foule d'opérations pour exploiter ce qui, d'un point de vue purement mécanique, est une sorte d'entreprise. Je suppose que toutes les femmes n'ont pas cette porte de sortie, si vous me passez l'expression. Certaines, quand elles cessent d'être utiles à ce trafic, n'ont pas d'autre issue, n'est-ce pas?
Oui, et d'après mes travaux de recherche, faute de cette issue, ces femmes sont recrutées pour aider au trafic.
D'accord.
Une dernière question, si vous permettez, et c'est simplement... Je ne suis pas certain, en fait, si elle s'adresse strictement parlant à Mme Gray, mais, clairement, ce n'est pas un choix de vie qu'on fait quand on dispose d'une large gamme d'options. J'ai dressé une liste, ici, des causes possibles qui feraient tomber une jeune fille — une très jeune fille, en l'occurrence — ou un jeune garçon, selon le cas, dans les filets du trafic de personne à des fins sexuelles.
C'est notamment le sans-abrisme ou le quasi-sans-abrisme et le fait de profiter de l'hospitalité temporaire de parents et d'amis. Ajoutons la nécessité de quitter sa communauté, où on est en danger pour aboutir dans un endroit où on est privé de réseau de soutien. Puis des causes probables: le manque d'aptitudes personnelles et sociales, la méconnaissance de ses droits et des adresses où on peut recevoir de l'aide. J'ai aussi noté la possibilité de toxicomanies ou d'un alcoolisme préalables et, accessoirement, la possibilité de problèmes de santé mentale.
Je vois bien que ça fait beaucoup de causes. Je me demande seulement si vous pourriez nous indiquer le dénominateur commun de leurs antécédents. Quel serait-il?
Voici ce que j'ai vu. Imaginez un joli garçon à qui s'intéresse vraiment une jeune fille. C'est à River Heights, à Winnipeg, un quartier de la classe moyenne supérieure, où les filles assistent à une manifestation sportive au centre communautaire, en été. Les parents leur procurent des cellulaires. Ils s'occupent d'elles. Ce sont de bons parents.
Les beaux garçons y vont, mais, en réalité, ce sont des trafiquants. Les filles l'ignorent. Ils gagnent leur confiance, ils commencent à les inviter dans des fêtes, ils leur donnent un peu de drogue, pas beaucoup, mais juste assez pour qu'elles en redemandent — puis ils exigent quelque chose en retour de tous ces cadeaux. C'est une façon de procéder très répandue de ces entrepreneurs, qui s'associent pour faire beaucoup d'argent grâce à de jeunes filles. Celle dont je parle s'est jetée du haut d'un pont, au milieu de décembre. Heureusement, elle n'est pas morte; il lui a fallu un an pour s'en remettre. C'est du crime organisé: des bandes criminalisées, ce genre d'organisations. Elles font continuellement du recrutement. Elles ont beaucoup d'autres activités.
Pendant toutes mes années d'observations, l'expérience qui s'est révélée la plus fréquente était que quelqu'un visait particulièrement telle jeune fille. J'ai aussi constaté que les enfants victimes de sévices sexuels sont plus vulnérables et plus susceptibles d'être des victimes du trafic de personnes. C'est comme si c'était leur destin...
Puis-je questionner Mme Redsky, parce que, pour le point de vue autochtone, je soupçonne que peut-être quelqu'un...
Je passe maintenant à M. McKinnon et à Mme Khalid, qui ont des questions.
Madame Khalid, avez-vous une petite question?
Merci, monsieur le président.
Petite question pour Mme Gray: Vous avez parlé des entreprises de libération qui aideraient les femmes à s'éloigner graduellement de ce mode de vie pour en adopter un plus normal. Pourriez-vous décrire en quoi elles consistent? Comment peut-on les reconnaître, les trouver et en créer?
Je vous remercie pour la question. Un exemple d'entreprise de libération que j'ai visitée est Freeset, qui emploie 250 femmes victimes du trafic de personnes. On y enseigne diverses compétences, comme l'impression sur tissu et la couture. D'autres entreprises de libération sont des cafés et des restaurants où les femmes sont fournisseuses de services, dans le sens de service à la clientèle, serveuses, ce genre de choses.
Aux États-Unis, il en existe aussi que nous pourrions considérer comme étant du modèle nord-américain. Pour ce qui est d'en créer une, à ma connaissance, rien n'est prévu pour cette activité particulière au Canada. Mais...
Elles offrent aux femmes victimes du trafic de personnes la possibilité de gagner de l'argent et de s'insérer dans un groupe de femmes ayant du vécu et capables de les comprendre. De même, ces entreprises offrent de les libérer grâce à un soutien psychologique et moral et à la formation aux aptitudes personnelles et sociales.
L'une de celles que j'ai visitées, par exemple, enseignait aux femmes l'utilisation du guichet automatique. Elles peuvent leur donner la possibilité de se trouver un appartement, le moment venu. Elles accompagnent vraiment ces femmes pour les aider à se réintégrer dans la société, ce qui représente pour elle la liberté.
Madame Gray, vous avez parlé de l'importance d'inclure les universités comme interlocuteurs, relativement à la recherche et à la collecte de données, et je l'apprécie beaucoup, parce que je pense que ça fait défaut.
Le groupe de travail vient de terminer sa mission. Madame Smith, je pense que vous avez peut-être plus d'expérience et plus de connaissances à ce sujet. Dans quelle mesure la collecte de données a-t-elle été une priorité importante à ce niveau?
Madame Gray, comment peut-on améliorer la collecte de données, c'est-à-dire l'étendre à toute la région?
Je prends la deuxième question, sur l'amélioration de la collecte.
J'ai essayé de faire comprendre la nécessité d'un examen interdisciplinaire de la question. On parle beaucoup de publication de statistiques, ce qui est important pour comprendre l'ampleur du problème, mais que faisons-nous en psychologie? En travail social? Les intervenants de première ligne, comment évaluent-ils l'efficacité des programmes qu'ils exécutent? Que faut-il intégrer dans les programmes scolaires pour servir de campagne de sensibilisation? Comment rejoindre les jeunes sur les médias sociaux?
Je pense que la collecte de données doit vraiment chercher à mobiliser, et j'ai fait allusion aux universités, où on peut trouver les chercheurs qui font du travail commun à ces disciplines. J'en connais qui font de l'excellent travail sur le sans-abrisme à York, par exemple, et qui pourraient communiquer des renseignements sur le trafic de personnes. Le simple fait de trouver des mécanismes et des pistes pour les chercheurs de ces domaines touchant le trafic de personnes serait utile.
À quel point le groupe national de travail sur le trafic de personnes a-t-il été efficace et comment pourrait-on améliorer précisément sa collecte de données?
Je pense que la collecte de données doit prendre beaucoup de place. La force du plan d'action national était dans la mise à disposition de programmes aux victimes de la traite de personnes, dans l'éducation, ce genre de choses. Il était moins centré sur la collecte de données que sur cet aspect de la question. Je pense que nous ne sommes pas parvenus à vraiment mettre sur pied un bon programme de collecte de données, faute de lui accorder la priorité.
La question extrêmement complexe du trafic de personnes imprègne toute la société canadienne. Les améliorations exigent, comme je l'ai dit, de nous adresser aux ONG qui s'occupent quotidiennement des victimes, aux forces policières et à d'autres intervenants et, en collaboration, de rassembler toutes les données collectées.
Le plan d'action national a très bien débuté. Nous devons nous appuyer sur ce socle et y accumuler des éléments utiles. En 20 ans, nous nous sommes améliorés. Au moins, on en parle maintenant au Canada. À l'époque, à nos débuts — ça ne me rajeunit pas — personne ne croyait en l'existence de la traite de personnes au Canada. Maintenant, notre perception est très différente.
Je suis persuadée que par la collaboration et le souci du détail, nous pouvons considérablement améliorer la collecte de données, mais nous devons la privilégier, et ce doit être un sujet de première importance dont nous discutons tous et auquel nous contribuons tous, pour que ce travail soit couronné de succès.
Votre groupe a été incroyablement utile. Je vous en remercie.
Mesdames Redsky, Smith, Gray, monsieur Bouchard, le Comité apprécie vraiment vos positions sur cette question et votre aide.
Chers collègues, le budget qui vous est présenté concerne les 34 témoins que nous entendrons à Ottawa: 24 en personne, 10 par vidéoconférence.
Monsieur Nicholson, voudriez-vous le proposer?
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