JUST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent de la justice et des droits de la personne
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 28 mai 2019
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Je déclare la séance ouverte.
Bonjour à tous et bienvenue à la réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne, tandis que nous poursuivons notre étude de la haine en ligne.
[Français]
C'est un grand plaisir d'accueillir M. Rioux à ce comité pour la première fois.
Bienvenue, monsieur Rioux.
C'est aussi un grand plaisir d'accueillir tous les témoins d'aujourd'hui.
[Traduction]
Nous recevons un groupe de marque et beaucoup de témoins dans le cadre du premier groupe.
Je vais commencer par ceux qui apparaissent par vidéoconférence. Nous recevons Mme Lina Chaker et M. Sinan Yasarlar, qui représentent le Windsor Islamic Council et la Windsor Islamic Association.
M'entendez-vous tous les deux?
Parfait.
Vous allez témoigner en premier, une fois que j'aurai présenté tous les autres témoins, car nous ne voulons pas perdre la connexion par vidéoconférence.
Nous recevons dans la salle, à titre personnel, Mme Elizabeth Moore, éducatrice et membre du conseil consultatif de Canadian Anti-Hate Network et Parents for Peace. Bienvenue.
Nous accueillons M. Faisal Khan Suri, président, et M. Mohammed Hussain, vice-président, Intervention directe, de l'Alberta Muslim Public Affairs Council. Bienvenue.
Nous recevons M. Avi Benlolo, président et chef de la direction des amis du Centre Simon Wiesenthal pour les études sur l'Holocauste. Bienvenue.
Les règles sont de huit minutes par groupe.
Nous allons commencer par le Windsor Islamic Council et la Windsor Islamic Association. Je crois savoir qu'ils se partagent le temps.
Allez-y, la parole est à vous.
Bonjour, mesdames et messieurs. J'aimerais remercier les parlementaires de nous permettre de fournir notre point de vue sur la haine en ligne au nom du Windsor Islamic Council et de la Windsor Islamic Association, dont je suis le directeur des relations publiques. Lina Chaker représente le Windsor Islamic Council.
Bonjour à tous.
Le problème concerne les victimes de la haine en ligne. L'utilisation d'Internet est en hausse d'une année à l'autre et continuera d'augmenter au cours des prochaines générations. Tout comme nous avons réglementé d'autres technologies, y compris la télévision, la radio, le cinéma, les magazines et d'autres plateformes de communication, nous ne pouvons faire abstraction d'Internet. Les préjudices que peuvent causer les conversations en ligne transcendent le monde numérique. Nous n'avons pas besoin de citer d'événements violents ni même la plus récente attaque en Nouvelle-Zélande pour prouver que la haine en ligne a des conséquences sur le monde réel.
Nos centres communautaires sont remplis de jeunes troublés qui font face à des pressions négatives par les pairs, à de l'anxiété sociale et à des problèmes de santé mentale. La communauté musulmane internationale globale a été secouée deux fois au cours des dernières années par le terrorisme, à l'instar d'autres communautés. Ces terroristes ont clairement construit leurs connaissances islamiques à partir de sources en ligne mal informées qui ont attisé la haine.
Nous avons notre propre exemple canadien du 29 janvier 2017, à Québec, et la preuve que la motivation a été alimentée par des sites de haine en ligne.
Pour prévenir la haine en ligne et y réagir, nous croyons que le gouvernement du Canada peut prendre trois mesures importantes.
La première consiste à établir des normes et des lignes directrices strictes pour les entreprises de médias sociaux afin qu'elles réglementent elles-mêmes leur contenu. La deuxième, c'est d'appliquer plus rapidement la législation qui criminalise les discours haineux en ligne et hors ligne. La troisième consiste à accroître la sensibilisation au sujet des signalements publics et à répondre à ce type de comportement en ligne.
La première mesure consiste à imposer des normes strictes en matière d'autoréglementation ainsi que des sanctions pour les entreprises de médias sociaux. D'autres pays ont élaboré des stratégies visant à imposer des règlements et des protocoles pour des entreprises de médias sociaux afin qu'elles réglementent elles-mêmes le contenu de discours haineux sur leurs sites. Par exemple, l'Australie et l'Allemagne pénalisent maintenant des sites de médias sociaux qui ne retirent pas le contenu haineux, en recourant à des frais financiers ou même à l'emprisonnement.
Subsidiairement, certains pays comme le Sri Lanka... [Difficultés techniques]... les médias sociaux pour cesser la propagation de mauvaise information et de la haine. Le Canada devrait envisager des politiques du même type que celles qui ont été adoptées en Australie, en Allemagne et même au Sri Lanka pour faire appliquer l'élimination du contenu haineux et lutter contre le terrorisme.
Nous reconnaissons que la réglementation du contenu en ligne pourrait causer des difficultés. Toutefois, notre pays réglemente actuellement d'autres formes de contenu en ligne, comme la pornographie infantile, et il existe une loi antipourriel.
De même, il doit y avoir un effort pour lutter contre la haine en ligne. Pour les personnes qui essaient de contourner de tels règlements, nous devrions nous y opposer en n'autorisant pas les entreprises à fournir des réseaux privés virtuels ou d'autres programmes de blocage de PI à des gens.
La deuxième recommandation concerne l'introduction d'une législation efficace pour pénaliser les personnes qui incitent à la haine. En plus de pénaliser des entreprises de médias sociaux qui ne retirent pas le contenu haineux, nous devons pénaliser les Canadiens qui diffusent de la propagande haineuse, que ce soit en ligne ou hors ligne. Même si nous avons actuellement les outils pour le faire, comme l'article 319 du Code criminel, notre communauté estime qu'ils ne sont pas adéquatement utilisés et qu'ils ne peuvent donc pas couvrir les crimes haineux en ligne.
En fait, nous avons eu un exemple malheureux ici, à Windsor, en Ontario. Une personne peignait des graffitis dans toute la ville, sur les poteaux et sur les panneaux d'autobus scolaire, incitant à la haine et au préjudice à l'égard des musulmans en particulier.
Ces gestes n'étaient pas reconnus comme des crimes haineux au titre de l'article 319, ce qui rend notre communauté pessimiste au sujet des perspectives de tenir compte des discours haineux en ligne. Cet individu a été accusé de délit, et aucune autre accusation n'a été portée contre lui.
C'est pourquoi nous croyons que l'article 13 de la Loi sur les droits de la personne était une disposition législative essentielle qui était consacrée à la propagande haineuse. Toutefois, il peut être modifié ou restructuré pour être plus efficace. Nous reconnaissons que l'article 13 n'était pas fortement utilisé avant son abrogation. Toutefois, nous jugeons qu'il ne s'agit pas d'une raison convaincante pour ne pas le réintroduire.
La haine en ligne peut être responsable d'autres types de gestes dans notre société, y compris des attaques verbales contre des femmes qui portent le hidjab, le fait d'essayer de causer des préjudices à des personnes appartenant à une minorité visible et l'incitation à des confrontations physiques qui se sont produites dans plusieurs supermarchés, zones commerciales et centres commerciaux de notre pays.
Par conséquent, nous ne limitons pas la discussion au sujet de l'article 13, mais espérons que toute législation introduite pour lutter contre la haine sera appliquée prestement pour l'amélioration de notre société canadienne multiculturelle. La fréquence avec laquelle une disposition législative est utilisée ne devrait pas être le fondement en fonction duquel nous décidons si elle existe ou non. Plutôt, elle devrait faire ressortir pour nous que la plupart des gens ne savent toujours pas quoi faire lorsqu'ils sont confrontés à de la haine en ligne.
Nous recommandons une plus grande sensibilisation aux conséquences de la promotion de la haine. Même si nous reconnaissons que l'éducation est généralement un mandat provincial, nous croyons que le gouvernement du Canada peut jouer un rôle vital. Cela nous amène à notre troisième et dernier point: l'éducation du public sur la façon de signaler des incidents de haine.
Mon collègue a passé en revue les deux premières mesures que le gouvernement du Canada pourrait prendre, à notre avis, en introduisant des règlements concernant les entreprises de médias sociaux et des dispositions législatives pour réglementer ceux qui propagent la haine en ligne. Je vais aborder le troisième point: nous croyons que les victimes de la haine en ligne doivent être plus renseignées de sorte qu'elles sachent quoi faire lorsqu'elles y sont exposées.
Lorsque nous étions jeunes, des enseignants nous disaient comment réagir à l'intimidation sur le terrain de jeu. Ce n'est pas vraiment efficace pour le monde en ligne. Ils nous disaient essentiellement que la bave du crapaud n'atteint pas la blanche colombe. Malheureusement, dans le monde d'aujourd'hui, nous apprenons que cette bave, les mots, peut non seulement vous blesser psychologiquement, mais aussi entraîner des activités criminelles et même le terrorisme.
J'aimerais que vous réfléchissiez à la dernière fois que vous avez essayé de signaler un commentaire haineux en ligne. Si l'on présume que le processus de signalement du message était convivial et remarquable — c'est-à-dire que vous voyez en réalité le bouton qui dit « signalement » — sur quoi débouchait-il? Avez-vous eu à faire un suivi personnellement pour voir si le message avait été retiré? Combien de fois l'avez-vous fait? Avez-vous dû l'envoyer à vos amis et les convaincre de le signaler également? Combien d'entre nous continuent de vivre et de voir de la haine en ligne, malgré les rapports continus?
Nous avons quelques recommandations que nous aimerions voir le gouvernement appliquer, de sorte que les entreprises de médias sociaux créent de meilleurs mécanismes pour nous permettre de les aider à réglementer le contenu.
La première est de faciliter le signalement de contenu haineux. Actuellement, par exemple, Facebook n'a pas de bouton « signalement »; le site a un bouton « donnez votre avis ». Ce n'est pas aussi visible.
La deuxième, c'est qu'il faut réduire le temps entre le signalement d'un message et son examen. Comme nous le savons, le temps avance beaucoup plus vite dans l'espace virtuel que hors ligne. Ces processus devraient en tenir compte.
Troisièmement, les entreprises de médias sociaux devraient fournir à la personne qui a signalé le préjudice un compte rendu ainsi que des renseignements au sujet d'autres ressources, y compris des mesures d'application de la loi et d'autres ressources comme la Commission des droits de la personne.
Quatrièmement, les entreprises de médias sociaux devraient examiner les logiciels et d'autres algorithmes qui dirigent les utilisateurs vers du contenu violent et les communiquer aux autorités gouvernementales, afin que le gouvernement puisse contribuer à trouver et à éliminer le matériel extrémiste violent.
Enfin, les entreprises de médias sociaux devraient produire des outils qui nous aident et aident les utilisateurs à faire la distinction entre des renseignements crédibles et de fausses nouvelles.
Comme nous en avons parlé, il existe deux types de contenu en ligne qui peuvent entraîner beaucoup de violence. Le premier est la haine réelle, et l'autre est la désinformation. Nous croyons que le gouvernement du Canada peut soutenir et financer des initiatives communautaires de compétences relatives aux médias numériques pour aider les jeunes et les adultes à faire la distinction entre de la désinformation et des renseignements crédibles comme méthode pour réagir à la haine. Il existe une diversité de programmes qui enseignent avec succès aux deux générations comment distinguer les vraies des fausses nouvelles, les rendant moins susceptibles d'être influencés par des messages haineux. C'est essentiel, étant donné l'industrie de la haine et des fausses nouvelles. De plus, l'enseignement de compétences relatives aux médias numériques habilite les jeunes à prendre le contrôle de leur propre récit identitaire et à réagir aux messages négatifs en les remplaçant par des messages positifs.
En conclusion, comme l'a dit la première ministre Jacinda Ardern, la liberté d'expression ne revient pas au fait de préconiser un meurtre, et ce n'est pas non plus propager du contenu faux ou haineux. Nous remercions le gouvernement du Canada de prendre en considération les conséquences importantes de la haine en ligne et félicitons le très honorable premier ministre Justin Trudeau d'avoir signé l'Appel à l'action de Christchurch, annoncé récemment à Paris, où il s'est engagé à s'attaquer à cette question du contenu violent en ligne. Toutefois, beaucoup d'autres choses doivent être faites.
Pour résumer, nous pressons le gouvernement de lutter contre la haine en ligne de trois manières: d'abord, en établissant des normes et des lignes directrices strictes pour les entreprises de médias sociaux afin qu'elles réglementent leur contenu; ensuite, en appliquant plus rapidement la législation sur le discours haineux, que ce soit en ligne ou hors ligne; et enfin, en accroissant la sensibilisation du public quant à la façon de signaler la haine en ligne et d'y réagir.
Je vous remercie de votre temps et de votre considération.
Merci beaucoup.
Une voix: Puis-je juste...
Le président: Vous avez un peu dépassé votre temps, donc je vais passer au prochain intervenant.
Nous allons maintenant suivre l'ordre du jour.
Madame Moore, la parole est à vous.
Pour commencer, je tiens à remercier le Comité de me fournir l'occasion de prendre la parole aujourd'hui. C'est certainement un privilège que je n'aurais jamais cru qu'on m'accorderait, en tant qu'ancienne extrémiste. Je suis vraiment reconnaissante de pouvoir être ici.
J'aimerais fournir un peu plus de renseignements sur qui je suis et sur la façon dont mes opinions sur la haine en ligne ont été éclairées.
Au début des années 1990, j'étais membre et porte-parole du groupe extrémiste Heritage Front, alors le plus grand groupe haineux au Canada. À l'époque, il agissait comme organisme-cadre pour le droit des racistes, et il a notamment réuni la Church of the Creator et le Ku Klux Klan. Fait encore plus troublant, il essayait de faire ce que la soi-disant droite radicale essaie de faire aujourd'hui, c'est-à-dire percer dans le courant dominant, en cachant la haine sous un vernis de légitimité.
Je devrais ajouter que, avant de lancer l'organisation Heritage Front, le chef Wolfgang Droege a été accusé de nombreuses infractions, y compris la piraterie aérienne, des tentatives de renversement d'un pays ami et des infractions en matière de drogue, notamment la possession, je crois. Il a réussi à influencer des gens, malgré cette apparence de vouloir suivre le courant général et établir des liens avec le Parti réformiste. Ses adeptes ont commis tout un tas d'infractions de leur propre chef, notamment des infractions de crime haineux, des agressions, ainsi que le harcèlement ciblé et sans relâche de personnes antiracistes.
Je me sens très chanceuse d'avoir réussi à laisser derrière moi ce monde terrible de haine. Depuis 1995, je travaille auprès d'organismes à but non lucratif, d'enseignants et d'autorités responsables de l'application de la loi pour sensibiliser les gens au sujet des dangers des groupes haineux. Je siège actuellement aux conseils consultatifs de Canadian Anti-Hate Network et de Parents for Peace, une organisation américaine qui fournit du soutien aux familles de personnes radicalisées.
Dans les années 1990, j'ai été moi-même extrémiste; je communiquais littéralement des messages haineux par téléphone. De plus, avant de quitter le groupe, j'ai aidé à préparer des documents pour Internet. C'étaient d'anciens numéros du magazine de Heritage Front, et ils ont fini par se retrouver sur ce qui allait devenir le Freedom-Site, un des premiers sites Web de suprémacistes blancs au Canada. En 2006, on a découvert que ce site Web, qui était dirigé par Mark Lemire, contenait du matériel qui contrevenait à l'article 13 de la Loi sur les droits de la personne.
Je me sens chanceuse de n'avoir personnellement jamais eu de démêlés avec la loi, mais je reconnais que c'était une possibilité très réelle. Je comprends qu'un échantillon type d'une personne procure une valeur très limitée, mais je devrais dire que l'article 13 a modéré mon comportement. Quand je travaillais sur la ligne directe, j'étais très au courant du fait que des amis qui travaillaient sur des lignes directes semblables à celles de Heritage Front s'exposaient à des accusations au titre de l'article 13, et cela m'a rendue plus attentive. Je n'ai pas laissé s'exprimer sans restriction la haine que je ressentais certainement à l'intérieur de moi, pas plus que je n'y ai cédé. Je comprends, avec du recul, que les messages que je communiquais étaient tout de même haineux, mais ce n'était assurément pas aussi haineux que ça l'aurait été en l'absence d'une telle législation.
Les méthodes utilisées aujourd'hui pour communiquer la haine sont assurément plus perfectionnées et exceptionnellement plus accessibles que ce dont nous disposions dans les années 1990. Comme enfant de l'ère analogique, je dois dire que je suis effrayée par le fait que la trajectoire des jeunes aujourd'hui pourrait être changée s'ils regardent une vidéo sur YouTube ou interagissent avec un compte Twitter ou un compte Reddit.
Les extrémistes racistes ont toujours noué des liens avec des personnes aux vues semblables au-delà des frontières dans d'autres pays, mais nous avons maintenant un environnement où la transmission de la haine ne connaît aucune frontière ni aucun obstacle linguistique — ni même aucun décalage horaire, bien franchement.
Pour pleinement comprendre ce qui est en jeu, je crois qu'il est impératif d'examiner non seulement les mots et les images qui vous sont présentés, mais aussi les émotions qui ont créé ces mots. La haine est enivrante, elle est dévorante et, à mon avis, quand on l'adopte, elle entraîne une contagion qui occulte non seulement d'autres émotions modératrices, mais aussi tout sentiment de raison et de liens avec les autres êtres humains.
J'aimerais lire un passage de l'arrêt R. c. Keegstra de la Cour suprême en 1990. La haine désigne:
une émotion à la fois intense et extrême qui est clairement associée à la calomnie et à la détestation [...]
La haine [...] contre des groupes identifiables se nourrit de l'insensibilité, du sectarisme et de la destruction tant du groupe cible que des valeurs propres à notre société. La haine [...] représente une émotion [...] qui, si elle est dirigée contre les membres d'un groupe identifiable, implique que ces personnes doivent être méprisées, dédaignées, maltraitées et vilipendées, et ce, à cause de leur appartenance à ce groupe.
[...] la propagande haineuse et les procès sont des moyens de faire connaître les valeurs qui servent l'épanouissement d'une société libre et démocratique.
Comme plus de gens que jamais auparavant sont exposés à des idées et à des émotions haineuses au moyen des médias sociaux et du contenu en ligne, et compte tenu de la hausse très troublante du nombre de crimes motivés par la haine au Canada, je me réjouis que le gouvernement revoie l'inclusion de l'incitation à la haine dans la Loi canadienne sur les droits de la personne ou le Code criminel.
L'introduction de la Charte canadienne du numérique semble prometteuse pour ce qui est d'élaborer un modèle réfléchi et mesuré concernant la façon dont les Canadiens peuvent s'attendre à être traités à mesure que l'innovation numérique continue de prendre de l'expansion. Cependant, j'aimerais mettre au défi le Comité de tenir compte du fait que la responsabilité du gouvernement à l'endroit des Canadiens ne devrait pas s'arrêter avec l'adoption de ces mesures. À moins qu'une formation efficace et continue ne soit offerte à toutes les personnes responsables de la mise en oeuvre de ces lois, y compris les juges, les procureurs et les policiers, les victimes continueront de sentir qu'elles ne sont pas entendues et que la justice demeure insaisissable.
À titre d'exemple tout juste la semaine dernière, j'ai entendu parler d'un membre de ma collectivité qui souhaitait signaler un graffiti antisémite qu'il a découvert. Le policier qui a répondu à l'appel n'était pas du tout sympathique, et comme la croix gammée qui a été trouvée était déformée, il s'est contenté de la voir comme un ensemble de L. Ce n'est pas une réponse responsable aux yeux de la communauté.
En tant qu'ancienne extrémiste, femme et mère qui élève un enfant dans une famille interconfessionnelle juive-chrétienne, je crois que les Canadiens vous demandent instamment de répondre avec courage et de nous amener dans une ère où nous pouvons nous attendre à ce que nos enfants soient traités avec respect et dignité, tant en ligne que dans le monde réel. Je crois que nous sommes aussi responsables face à la communauté internationale de faire notre possible pour limiter la haine qui pourrait cibler des groupes identifiables dans d'autres pays, car, comme je l'ai dit, les frontières ne veulent rien dire dans le monde numérique. Ce n'est malheureusement pas un accident si le tireur de Christchurch portait sur une de ses armes le nom d'Alexandre Bissonnette.
L'objectif de la haine est toujours la violence et la mort, et ce jeu commence par l'incitation, des mots et des images que nous pouvons trouver sur Internet.
L'introduction d'une législation pour intervenir dès les premières étapes de la progression de la haine est aussi adéquate que nécessaire. Les valeurs de paix, de diversité et d'inclusion du Canada sont érodées par la promotion et la communication incessantes de la haine en ligne. Il est temps, s'il n'est pas déjà trop tard, d'envoyer un message fort aux extrémistes racistes: leur haine et leur ciblage de groupes identifiables sont non seulement inacceptables, mais aussi illégaux.
Comme je l'ai dit plus tôt, j'ai connu directement les effets modérateurs de telles lois et de tels règlements. Je crois qu'il est temps que nous fassions la bonne chose pour mettre au pas les extrémistes avant que quiconque soit blessé ou perde la vie.
Si j'ai un instant, j'ajouterais très rapidement, en réponse à ce que les intervenants précédents avaient mentionné, que lorsqu'il s'agit de signalement de haine en ligne, je crois que les plateformes doivent faire preuve de plus de transparence lorsqu'elles répondent aux gens. J'ai été moi-même une cible, en tant qu'ancienne extrémiste en ligne, et j'ai reçu des messages de haine, et quand je les signale, si j'obtiens une quelconque réponse, c'est: « nous avons conclu qu'ils ne violaient pas les conditions du service » ou « nous avons conclu qu'ils ont violé les conditions du service », mais il n'y a pas de renseignements supplémentaires pour dire de quelle manière précisément ils ont violé les conditions du service. Il n'y a aucune mention du fait que des mesures ont été prises, que le compte a été suspendu ou que la suspension est temporaire ou permanente. Je crois que les plateformes en ligne doivent aux victimes d'offrir plus de transparence dans ce qu'elles font et de dire si le compte sera surveillé, dans l'avenir, pour toute infraction supplémentaire.
Je vous remercie beaucoup de votre temps aujourd'hui.
Merci, monsieur le président, de nous recevoir.
Je m'appelle Faisal Khan Suri et je suis président de l'Alberta Muslim Public Affairs Council, ou AMPAC. Je suis accompagné de mon collègue Mohammed Hussain, qui est vice-président, Intervention directe.
Le sujet de discussion d'aujourd'hui est non seulement important, mais absolument nécessaire. À la lumière de tous les événements que nous voyons au Canada, dans le monde et particulièrement en Alberta, il justifie absolument notre présence ici, où nous collaborons sur cet effort et mettons en commun nos réflexions. Je remercie encore une fois le Comité de nous avoir invités et de nous permettre de vous faire part de nos points de vue.
Je vais juste vous donner un aperçu de l'AMPAC.
Nous nous consacrons à la défense de l'engagement civique et à la lutte contre le racisme dans la province de l'Alberta. Nous préconisons les activités de défense des intérêts, la mise en oeuvre de stratégies concernant les relations avec les médias, l'établissement de ponts entre les collectivités, l'éducation, l'élaboration de politiques et la formation sur les réalités culturelles.
L'AMPAC imagine une province où une égalité profonde existe pour tous les Albertains, y compris les musulmans, dans un paysage politique et social qui est respectueux et harmonieux pour les gens de toutes confessions et de tous milieux.
Pour que vous puissiez bien comprendre les choses, je dirai, en utilisant un euphémisme, que la haine en ligne influence la haine dans la vie réelle. Pour dire les choses crûment, la haine en ligne est un facilitateur, un précurseur et un grand contributeur non seulement à la haine dans la vie réelle, mais aussi au meurtre.
Nous avons vu beaucoup de tragédies récentes se produire partout dans le monde. En janvier 2017, le tueur de la mosquée de la ville de Québec, Alexandre Bissonnette, a exécuté six hommes musulmans lorsqu'il est entré dans la mosquée armé de deux fusils, et il a tiré plus de 800 balles. Les éléments de preuve dans l'ordinateur d'Alexandre Bissonnette montrent qu'il a cherché à répétition du contenu sur l'anti-immigration, l'extrême-droite et les commentateurs conservateurs; les tueurs de masse; le président américain Donald Trump et l'arrivée des immigrants musulmans au Québec.
En octobre 2018, le nationaliste blanc Robert Bowers a tué 11 personnes et en a blessé sept de plus lors de la tuerie qui s'est produite à l'intérieur de la synagogue Tree of Life, à Pittsburgh. C'est une attaque qui semble avoir été motivée par l'antisémitisme et inspirée par sa participation étendue à des réseaux en ligne de suprémacistes blancs et de l'extrême-droite.
En mars 2019, un tireur isolé muni d'armes semi-automatiques a fait irruption dans la mosquée de Christchurch, en Nouvelle-Zélande. Dans ce qui était une attaque terroriste macabre, ce nationaliste blanc a diffusé des images en direct sur Facebook et Twitter, et 51 fidèles ont été tués.
Nous pourrions vous fournir un très grand nombre d'exemples qui montrent l'accessibilité de la haine en ligne et la façon dont cela influence la haine dans la vie réelle que nous constatons aujourd'hui.
Je crois qu'il est absolument essentiel, si ce n'est fondamental, d'entreprendre de telles études et d'examiner plus à fond cette question, en ayant en place un processus de réflexion approfondie.
La haine en ligne est un facteur clé qui contribue à l'application de la haine sous toutes ses formes — l'islamophobie, l'antisémitisme, la radicalisation, la violence, l'extrémisme, et même la mort. C'est pourquoi nous devons prendre des mesures immédiates pour travailler à la prévention, à la surveillance et à l'application de la loi.
Afin de lutter contre la haine en ligne, l'AMPAC a cerné trois recommandations. La première, c'est d'utiliser l'intelligence artificielle sur les documents en ligne pour repérer toute forme de discours haineux. La deuxième, c'est de rouvrir la Loi canadienne sur les droits de la personne en vue d'en faire un examen exhaustif. La troisième, c'est d'assurer la transparence et la responsabilisation des plateformes des médias sociaux.
Permettez-moi de parler un peu plus en détail de la première recommandation, l'utilisation de l'intelligence artificielle sur les documents en ligne pour repérer toute forme de discours haineux.
Les groupes extrémistes de droite utilisent des plateformes de médias sociaux comme Facebook et Twitter pour créer et promouvoir leurs groupes, communiquer des messages, réunir des gens et d'autres choses encore. La question est la suivante: comment pouvons-nous éliminer leur accès, bloquer leurs adresses IP ou même découvrir ces types de groupes? Certains outils sont utilisés aujourd'hui, comme l'analyse de texte, pour lutter contre la haine en ligne, mais ces groupes deviennent beaucoup plus intelligents, et ils utilisent des images comme des JPEG pour contrer cette surveillance.
Bien que nous soyons ravis de voir que la nouvelle Charte du numérique incorpore des éléments d'une approche qui met à contribution l'industrie, nous croyons que le gouvernement doit financer lui-même des solutions technologiques novatrices pour faire le suivi de la haine en ligne et aider à la mise au point d'une intelligence artificielle qui puisse lutter contre elle.
La technologie de l'intelligence artificielle doit être complète, de manière à ce qu'elle englobe l'analyse de texte et les langues, ainsi que toutes les autres formes de médias sociaux qui sont utilisées pour faciliter la haine en ligne. Nous croyons que l'occasion s'offre, au Canada, particulièrement en Alberta, pour renforcer cette capacité.
Notre deuxième recommandation, soit la réouverture de la Loi canadienne sur les droits de la personne en vue d'un examen exhaustif, nous tient particulièrement à cœur.
Dès que la liberté de parole ou d'expression met un autre groupe, une autre organisation ou une autre personne en danger, sous quelque forme que ce soit, on ne peut plus la justifier comme liberté de parole ou d'expression. C'est maintenant la liberté de haine, qui n'a aucune place dans la Charte canadienne des droits et libertés ni dans toute société pluraliste dans laquelle nous vivons. Cela fait beaucoup trop longtemps que l'on a revu la Loi canadienne sur les droits de la personne.
N'oubliez pas ceci: durant les dernières années, la haine a entraîné le meurtre de civils innocents. Gardez aussi à l'esprit l'importance d'examiner comment l'accès en ligne et d'autres médias ont été utilisés pour propager une telle haine et de telles perceptions extrémistes.
L'AMPAC recommande non seulement de revoir et de rétablir l'article 13, mais aussi d'examiner la Loi canadienne sur les droits de la personne dans son intégralité. L'examen lui-même doit tenir compte des faits sur la hausse de l'islamophobie, de l'antisémitisme, de la xénophobie et de toute autre forme de haine. On doit se poser des questions pour savoir ce qui détermine la haine et comment faire intervenir l'application de la loi relativement à la Charte des droits et libertés.
Une partie de notre troisième recommandation dont nous avons parlé concerne la transparence et la responsabilisation des plateformes de médias sociaux. Même si nous nous réjouissons de la signature de la Charte du numérique, nous croyons qu'il reste encore beaucoup à faire pour ce qui est de réglementer les entreprises de médias sociaux. Nous reconnaissons que les plateformes de médias sociaux ont essayé d'enrayer les discours haineux en fournissant des options de signalement, mais il y a une absence de responsabilisation pour ce qui est de donner suite à ce signalement, ce qui, en retour, minimise toute forme d'application de la loi. Les plateformes de médias sociaux comme Facebook, Twitter et YouTube doivent être tenues responsables par les autorités gouvernementales du signalement des données et de toute mesure de suivi.
Nous sommes bien au courant des difficultés que de tels règlements peuvent apporter à la liberté d'expression relativement à cette recommandation, mais nous avons foi dans une déclaration faite par la première ministre Jacinda Ardern de la Nouvelle-Zélande. Sa persévérance pour ce qui est de contrôler l'amplification de la haine en ligne n'est pas liée à la réduction de la liberté d'expression. Je vais reprendre certains de ses mots. Elle dit: « [...] Ce droit n'inclut pas la liberté de diffuser des meurtres de masse », ajoutant qu'« il ne s'agit pas de saper ou de limiter la liberté d'expression. Il s'agit de ces entreprises et de la façon dont elles fonctionnent ».
Le fait de travailler en collaboration avec les entreprises de médias sociaux, de les tenir responsables et d'imposer une certaine forme de répercussions financières ou d'autres mesures nécessaires fait partie de cette recommandation. Nous espérons que cette initiative permettra d'obliger les plateformes en ligne à être transparentes dans leur signalement.
Pour terminer, je vais revenir aux principaux facteurs qui constituent des priorités pour nous: examiner la prévention, la surveillance et l'application de la loi. Aujourd'hui, les recommandations dont nous avons parlé — la mise au point d'un outil complet sur l'intelligence artificielle qui s'applique aux grandes plateformes de médias sociaux, la mise au point d'une analyse de la langue, du texte et de l'image, la réouverture de la Loi canadienne sur les droits de la personne en vue d'un examen exhaustif, le rétablissement de l'article 13 et le fait de tenir les plateformes de médias sociaux responsables de la communication de données ne sont que les étapes initiales qui pourraient, à notre avis, aider à éliminer la haine en ligne.
Vu l'augmentation de 600 % du nombre de discours haineux intolérants dans les messages sur les médias sociaux de novembre 2015 à novembre 2016, je peux à peine imaginer ou comprendre quelles sont ces statistiques aujourd'hui.
De plus, étant donné les éléments de preuve clairs à l'égard de la haine en ligne, y compris les tueries horribles de gens innocents, le moment est particulièrement bien choisi pour appliquer des changements immédiats légiférés par le gouvernement. Nous ne pouvons plus permettre à la haine d'augmenter. Nous ne pouvons certainement pas permettre que plus de vies soient prises.
Pour terminer, j'aimerais reprendre la déclaration du premier ministre Justin Trudeau: « Les Canadiens s’attendent à ce qu’on les garde en sécurité, que ce soit dans la vraie vie ou en ligne [...] »
Merci beaucoup.
Merci beaucoup.
Nous allons maintenant passer aux amis du Centre Simon Wiesenthal pour les études sur l'Holocauste.
Allez-y, monsieur Benlolo.
Bonjour à tous. Je vous remercie de nous recevoir ici aujourd'hui et de faire ce que vous faites. C'est un travail très important que vous accomplissez tous.
Pour commencer, j'aimerais d'abord vous parler un peu de nous. Nous sommes une organisation internationale des droits de la personne. Nous comptons un réseau de bureaux dans le monde, qui font le suivi de l'antisémitisme et y réagissent, luttent contre la haine et la discrimination et font la promotion des droits de la personne. L'organisation a un statut auprès des Nations unies, de l'UNESCO, de l'OSCE et de nombreuses autres organisations mondiales notables. De plus, le Centre Simon Wiesenthal a remporté des Oscars et créé des musées. Nous procédons actuellement à la création d'un musée sur les droits de la personne à Jérusalem.
Au Canada, nous avons remporté le prix de la Fondation canadienne des relations raciales pour nos ateliers d'éducation sur la tolérance dans le cadre du Tour for Humanity et en classe. Nous éduquons environ 50 000 élèves chaque année, y compris des professionnels chargés de faire appliquer la loi, des chefs spirituels et des enseignants.
L'organisation fait le suivi de la haine en ligne depuis plus de 20 ans. Il y a 20 ans, la haine en ligne se trouvait principalement sur les sites Web. Elle était assez facile à suivre, à documenter et, dans certains cas, à retirer avec l'aide des fournisseurs de services Internet. En fait, nous produisions auparavant un rapport annuel sur la « haine en ligne » au tout début.
L'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne nous permettait de fermer plusieurs sites de haine en ligne simplement en les portant à l'attention du fournisseur de services Internet. Notre capacité de sanctionner les sites de haine est devenue limitée lorsque l'article 13 a été abrogé en 2013. Nous avons perdu un outil inestimable qui fournissait une ligne rouge au public. Si cet outil existait aujourd'hui, il est peu probable que des sites Web antisémites établis au Canada, comme la Canadian Association for Free Expression, le tabloïde Your Ward News et d'autres pourraient trouver facilement un hébergement sur des serveurs canadiens.
L'avènement de sites de réseautage social comme Facebook, Instragram, Twitter et d'autres du même genre a introduit un tsunami de haine dans la sphère sociale. D'après une étude, à peu près 4,2 millions de gazouillis antisémites ont été publiés et republiés sur Twitter entre janvier 2017 et janvier 2018. En revanche, d'après un rapport sur les crimes haineux de Statistique Canada en 2017, entre 2010 et 2017 au Canada, 364 cybercrimes motivés par la haine ont été signalés par la police. De ceux-là, 14 % visaient la communauté juive.
Je vous en parle parce que ce chiffre est en fait assez faible. Vous pourriez être surpris d'entendre ce chiffre, mais c'est faible, compte tenu d'un récent sondage effectué par Léger Marketing qui a révélé que 60 % des Canadiens déclarent voir des discours haineux sur les médias sociaux, ce qui voudrait dire qu'environ 20 millions de Canadiens ont été témoins de haine en ligne.
De plus, dans le cadre de notre propre sondage, les amis du Centre Simon Wiesenthal ont découvert que, en moyenne, au pays, 15 % des Canadiens affichent des attitudes antisémites. Cela représente environ 5 millions de Canadiens. C'est en quelque sorte l'extrémité inférieure de ce seuil; au Québec, ce chiffre augmente subitement pour atteindre la proportion incompréhensible de 27 %.
Les plateformes de réseautage social doivent être tenues responsables du fait d'autoriser la prolifération de la haine en ligne. Nous remarquons que ces plateformes ont commencé à interdire les groupes de suprémacistes blancs ou de terroristes extrêmes. C'est assurément un pas en avant. Toutefois, puisqu'elles exercent des activités au Canada, nous devons demander que ces plateformes se conforment à notre Code criminel, et tout particulièrement à l'article 318 sur l'encouragement au génocide, au paragraphe 319(1) sur l'incitation publique à la haine et au paragraphe 319(2) sur la fomentation volontaire de la haine.
Il est possible que le Canada oblige un commissariat semblable au CRTC doté d'un mandat de réglementer le contenu en ligne et de s'assurer précisément que la haine en ligne est entravée. Effectivement, un des mandats du CRTC est de « protéger les Canadiens ». Le CRTC dit qu'il « s'implique dans des activités qui lui permettent de renforcer la sécurité des Canadiens et de mieux faire valoir leurs intérêts en encourageant la conformité à ces règlements et la mise en application de ceux-ci, y compris les communications non sollicitées ». C'est dans son mandat.
Cette mission semble conforme à notre intérêt qui est de limiter la prolifération de la haine en ligne conformément à la législation canadienne.
L'Appel à l'action de Christchurch visant à éliminer les contenus terroristes et extrémistes en ligne est un pas dans la bonne direction. Toutefois, il doit être mis en application par le Canada au moyen d'outils concrets. Les amis du Centre Simon Wiesenthal recommandent les mesures suivantes qui pourraient aider à endiguer la promotion d'actes haineux contre toutes les communautés par l'intermédiaire des plateformes en ligne.
Premièrement, on doit rétablir l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne afin de rendre illégale l'utilisation des plateformes en ligne pour faire de la discrimination à l'endroit d'une personne ou d'un groupe identifiable.
Deuxièmement, l'article devrait aussi tenir les plateformes et les fournisseurs de services responsables de s'assurer qu'ils n'hébergent pas des sites Web haineux et qu'ils modèrent leurs fils de réseaux sociaux en ligne. Des amendes et des sanctions pénales devraient être imposées aux contrevenants.
Troisièmement, on doit élargir le mandat de Statistique Canada pour qu'il recueille et communique des statistiques sur les crimes haineux de partout au pays. En ce moment, les organisations et les décideurs canadiens font surtout des suppositions. Voilà pourquoi je reviens à ces chiffres de la police. Nous faisons vraiment des suppositions quant à la portée de la haine en ligne et au-delà. Nous avons besoin de meilleurs renseignements recueillis dans l'ensemble du pays pour créer de meilleures politiques.
À ce sujet, j'ai tenu des conférences sur les crimes haineux l'automne dernier et j'ai invité Statistique Canada. C'était la première fois que le ministère assistait à une conférence sur les crimes haineux avec des unités de police de partout au pays. J'ai été choqué d'apprendre que cela ne s'était pas fait auparavant.
Quatrièmement, il s'agit d'améliorer la capacité policière de faire le suivi des crimes haineux et d'y réagir. Dans le cadre de nos recherches, nous avons découvert un manque d'uniformité des brigades de lutte contre les crimes motivés par la haine dans l'ensemble du pays. Certaines villes n'avaient pas les ressources pour mettre en place et déployer des enquêteurs sur les crimes haineux, comme vous venez de l'entendre. L'automne dernier, nous avons organisé la conférence sur les crimes haineux. Je me répète.
Le Canada n'a pas de modèle de pratiques exemplaires pour surveiller et comprendre les crimes haineux et la législation entourant les crimes haineux, et recueillir ces renseignements et les transmettre à Statistique Canada, qui acheminera à son tour ces renseignements aux décideurs.
Cinquièmement, nous devons améliorer la communication entre les procureurs généraux des provinces ainsi que la police lorsqu'il s'agit de faire enquête sur les auteurs de crimes et de discours haineux et d'intenter des poursuites contre eux. Pour ce faire, les procureurs et les agents de police auront besoin d'une formation supplémentaire de sorte que les victimes de crimes et de discours haineux sentent que l'on répond à leurs besoins.
Nous avons des exemples précis dont je peux vous parler plus tard concernant la mauvaise gestion du travail des procureurs avec la police et la rupture de la communication entre eux pour ce qui est de trouver des auteurs de crimes haineux et les traduire en justice.
Le sixième élément est l'éducation. Pour nous, sur le plan institutionnel, c'est un des éléments les plus importants. L'éducation sur l'utilisation responsable des sites de réseaux sociaux et des sites Web est nécessaire maintenant plus que jamais. Nous consacrons littéralement des millions de dollars chaque année au déploiement de nos programmes éducatifs pour éduquer les élèves. Par exemple, nous offrons des ateliers sur la cyberhaine et la cyberintimidation, où nous cherchons à éduquer les élèves.
Même la visite d'un site Web sur l'Holocauste est un exemple. Comment savez-vous quel site Web est légitime? Comment savez-vous lequel est faux? Une formation continue doit se faire dans les écoles de partout au pays, afin que les élèves, les jeunes, la prochaine génération comprennent ce que sont les discours et les crimes haineux et soient en mesure de les distinguer.
Il est essentiel de trouver un juste milieu entre la protection de la liberté d'expression et de celle des victimes de la haine. Notre liberté et notre démocratie doivent être protégées. En même temps, nous devons reconnaître que des groupes victimisés ont aussi besoin d'une protection, et le fait de laisser les acteurs du marché régler le problème apportera des conséquences imprévisibles.
Même le Globe and Mail a avoué, dans un éditorial la semaine dernière, que les temps ont bien changé depuis que la Cour suprême du Canada a invalidé, en 1992, une loi qui criminalisait la « propagation de fausses nouvelles ». Selon le journal, « beaucoup de choses ont changé depuis ce moment. M. Zundel a imprimé et distribué des dépliants grossiers », tandis que les mêmes messages haineux peuvent aujourd'hui être vus par des millions de personnes à la fois et inspirer des gestes violents.
Nous savons ces choses. Les récentes attaques terroristes en Nouvelle-Zélande, au Sri Lanka, à San Diego, à Pittsburgh, etc., doivent motiver le gouvernement et la société civile à prendre des mesures immédiates. On peut empêcher le terrorisme grâce au placement approprié d'instruments, et ceux-ci doivent comprendre une combinaison de mesures juridiques améliorées, d'activités de prévention, l'augmentation des ressources d'application de la loi et des brigades de lutte contre les crimes motivés par la haine ainsi que des programmes éducatifs élargis qui font la promotion de la tolérance, de la compassion et du mérite civique.
Nous espérons que le Comité recommandera d'apporter des amendements immédiats à la Loi canadienne sur les droits de la personne afin de mettre fin à l'incitation à la haine sur les plateformes en ligne.
Merci.
Merci, monsieur le président.
Pour commencer, monsieur Suri, je suis très offusqué de vos commentaires diffamatoires qui essayaient de faire un lien entre le conservatisme et les attaques violentes et extrémistes. Ces commentaires n'ont aucun fondement. Ils sont diffamatoires et ils minent votre crédibilité en tant que témoin.
Permettez-moi, monsieur le président, de lire le compte rendu de la déclaration de [Conformément à une motion adoptée le 13 juin 2019, un passage du présent témoignage a été supprimé du compte rendu. Voir le Procès-verbal de la séance du 13 juin 2019], qui est responsable du massacre de Christchurch. Il a laissé un manifeste de 74 pages dans lequel il déclare ce qui suit: [Conformément à une motion adoptée le 13 juin 2019, un passage du présent témoignage a été supprimé du compte rendu. Voir le Procès-verbal de la séance du 13 juin 2019]. Je ne tenterais assurément pas de faire un lien entre
Bernie Sanders
et la personne qui a ouvert le feu sur des membres républicains du Congrès et presque tué le représentant Scalise, alors vous devriez avoir honte.
Et maintenant, en ce qui concerne...
J'invoque le Règlement, monsieur le président, c'est un comportement inacceptable d'un député à l'égard des témoins du Comité. J'ai le discours devant les yeux, monsieur le président, et à aucun moment on ne fait le lien entre le conservatisme et ce mouvement. Si la droite alternative se limite au conservatisme, c'est un enjeu lié au conservatisme...
Monsieur le président, on ne peut pas laisser un membre du Comité dire à des témoins qu'ils devraient avoir honte. C'est inacceptable.
Écoutez, ce que je vais faire, c'est de permettre à M. Suri de réagir. Je ne suis absolument pas d'accord avec les commentaires formulés, mais, en ce moment, c'est l'intervention de M. Cooper.
Aucune décision n'a été prise actuellement. Il n'y a rien à contester. Je n'ai rien décidé.
Je ne suis pas d'accord avec les commentaires formulés par M. Cooper. Je suis sûr que M. Suri n'est pas d'accord avec les commentaires, et je constate que les autres membres ne sont pas d'accord avec les commentaires. Je crois que M. Suri a le droit de répondre, s'il le veut.
... mettez dans une position de vulnérabilité en exigeant qu'il réagisse à ces attaques. Franchement, c'est inacceptable. Il n'est pas venu ici aujourd'hui pour se défendre. Il est venu ici pour comparaître au nom de son organisation.
C'est injuste, monsieur le président, si vous tentez de l'obliger à répondre et que vous légitimez ce qui a été dit. Je vais demander que nous passions à huis clos immédiatement. Je crois avoir le soutien de mes collègues.
Je ne crois pas qu'il soit question de légitimer ça du tout.
Encore une fois, les membres du Comité peuvent utiliser le temps qui leur revient pour formuler des commentaires. Je ne suis pas d'accord avec le commentaire de M. Cooper, mais c'est son intervention.
J'allais demander, et je donnerai à M. Suri le temps de réagir...
Monsieur le président, je propose que nous délibérions à huis clos.
Un député: J'invoque le Règlement...
L'explication que vous avez fournie n'est pas très réconfortante. Vous dites qu'un membre peut dire tout ce qu'il veut. C'est tout à fait inacceptable.
J'ai proposé une motion pour que nous passions à huis clos, s'il vous plaît, pour poursuivre la conversation. Je ne suis pas à l'aise à l'idée de mettre nos témoins dans une position très difficile d'avoir à écouter notre désaccord.
Très bien.
Il y a une motion pour passer à huis clos. Tous ceux qui sont pour?
Des députés: D'accord.
Le président: Nous allons passer à huis clos, nos excuses à tout le monde.
Je vais demander à tous ceux qui ne font pas partie du Comité de quitter la pièce pour une brève période. Nous vous permettrons de revenir le plus rapidement possible.
[La séance se poursuit à huis clos.]
Nous reprenons.
La réunion avait été suspendue. Toutes nos excuses pour vous avoir retiré du temps. Il est important pour le Comité de discuter de la situation et de la régler.
La parole revient à nouveau à M. Cooper.
Merci, monsieur le président.
Même si je trouve assurément les commentaires formulés par M. Suri très offensants et répréhensibles et que je suis en extrême désaccord avec eux, je vais retirer ce que j'ai dit quant au fait qu'il devrait avoir honte. Ce n'était pas des propos indignes d'un parlementaire, mais je comprends que cela rende certains membres du Comité mal à l'aise, donc, afin qu'on puisse poursuivre, je retire ces commentaires précis, mais absolument pas le reste de ce que j'ai dit.
Monsieur Benlolo, vous avez cité les articles 318 et 319. Et qu'en est-il du paragraphe 320.1?
Je soulève cette question, parce que vous avez cité l'article 13, mais le paragraphe 320.1 est une disposition intéressante du Code criminel, une qui, pour quelque raison que ce soit, a été complètement sous-utilisée. Elle donne à un juge le pouvoir, lorsqu'il a des motifs raisonnables de le faire, de retirer d'un système informatique quelque chose qui constitue de la propagande haineuse.
L'intention n'est pas requise. Tout ce qui est exigé, c'est qu'un juge doit avoir des motifs raisonnables de croire qu'il s'agit de propagande haineuse. Ne serait-ce pas là un outil qui existe déjà et qui a été oublié et sous-utilisé?
C'est juste, et c'est la raison pour laquelle j'ai cité ces dispositions du Code criminel de façon générale. C'est parce qu'il y a vraiment des outils dans le Code criminel. Le problème, c'est que le système juridique et les services de police ne les utilisent pas efficacement.
Lorsque l'article 13 était là, nous pouvions l'utiliser, essentiellement, comme outil pour en appeler aux fournisseurs de services Internet. C'était vraiment simple de dire: « écoutez, ceci est en fait illégal en vertu de l'article 13. Veuillez le retirer ». Ils le faisaient. Souvent, ils se conformaient aux demandes. Nous n'avions pas à entreprendre des démarches juridiques.
Ces genres de dispositions sont utiles. À la lumière de mon expérience, je sais que l'article 13 fonctionnait. C'est la raison pour laquelle j'aimerais qu'il y ait quelque chose de similaire à ça, peut-être quelque chose qu'on mettrait un peu à jour, quelque chose qui correspondrait aussi au Code criminel, pour rendre notre petit système un peu plus solide lorsqu'on veut s'attaquer à de telles choses.
Merci, monsieur le président, et merci à nos témoins d'être là aujourd'hui.
Je veux parler rapidement de l'article 13. Nous avons déjà entendu — au sein du Comité et ailleurs — des points de vue vraiment conflictuels quant à savoir si nous devrions avoir un article 13, si nous devrions avoir un tel article modifié ou si nous devrions trouver d'autres mécanismes pour appliquer la loi et accroître la sécurité en ligne lorsqu'il est question de discours haineux.
J'ai écouté ce que les témoins ont dit ici aujourd'hui. M. Suri a dit que nous devrions modifier ou rouvrir la Loi canadienne sur les droits de la personne. Mme Moore a mentionné la possibilité de rétablir l'article 13. M. Benlolo a mentionné qu'on pourrait ramener l'article 13 en tant qu'outil.
Si l'article 13 était réintégré dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, quel genre d'amendement aimeriez-vous qu'on apporte à l'ancienne version?
Monsieur Benlolo, voulez-vous en parler?
Essentiellement, le cadre de l'article 13 vise les anciens modes de communication numériques. Si mon souvenir est bon, il n'y était pas question des problèmes modernes avec lesquels nous composons, alors il faudrait mettre à jour l'article, essentiellement, afin de tenir compte des sites Web et des sites de réseautage sociaux en plus de tout ce que nous pouvons potentiellement prévoir à l'avenir, parce que tout évolue. C'est vraiment de ce côté-là qu'une mise à jour est requise, selon moi. Ce n'est pas, comme cela a été mentionné précédemment, le téléphone qui est autant en jeu de nos jours, comme nous le savons tous. C'est là où une mise à jour s'impose.
Je suis tout à fait d'accord avec ce que M. Benlolo a dit. Je crois que je reviendrais encore plus loin en arrière. La LCDP n'a pas été examinée depuis 1977, si je ne m'abuse. En 2001, un groupe avait été créé en vue de son examen, mais cette initiative n'a jamais rien donné.
La haine a évolué. Elle s'est modernisée. Nous voyons les médias qui sont utilisés. C'est plus important que jamais de s'assurer de tenir compte de l'utilisation des technologies d'aujourd'hui qui n'existaient pas en 2001. C'est quelque chose qui mérite un examen. Je regarde certaines des choses qui ont été dites pour éliminer l'article 13, et j'estime qu'il faudrait le rétablir.
Je suis assurément d'accord avec ce que M. Benlolo et M. Suri ont mentionné. J'aimerais qu'on ajoute très précisément quelque chose qui concernerait les fausses nouvelles, et ce, à même l'article 13. Si on incite à la violence ou à la haine, et si une personne, par exemple utilise des vidéos ou des photos modifiées ou altérées d'un politicien juif, par exemple, c'est quelque chose qui mériterait une attention particulière. On ne fait pas que promouvoir la haine: on met littéralement des mots dans la bouche de quelqu'un d'autre. C'est une possibilité. C'est quelque chose dont il faut tenir compte.
En plus de ce que M. Benlolo a dit...
Monsieur Benlolo, vous avez parlé de Zundel et de la façon dont il a pu tirer quelque chose des médias imprimés puis le mettre en ligne et en accroître de beaucoup la portée.
S'il fallait revoir l'article 13, un ajout rapide consisterait à l'appliquer aux télécommunications aussi, à tout ce qui concerne Internet. Regardons les choses en face: 41 % du contenu haineux est sur YouTube.
Merci.
Merci beaucoup à tous les témoins qui sont là aujourd'hui.
Nous réfléchissons à la Charte numérique, et vous avez tous mentionné un solide cadre d'application de la loi et une réelle responsabilisation relativement aux plateformes de médias sociaux. Aujourd'hui, sur la Colline, un grand comité international se penche sur les droits des citoyens et les mégadonnées. Nous avons un réel défi, parce que Mark Zuckerberg a refusé ne serait-ce que de comparaître devant le comité en question. Il s'est rendu coupable essentiellement d'outrage au Parlement, en refusant de comparaître devant ce comité international, et c'est là que se situe la plus grande part de notre défi.
Si les principaux intervenants du milieu numérique ne respectent pas ce que nous essayons de faire au sein de nos différentes assemblées législatives partout dans le monde, de quelle façon nos efforts pourront-ils donner des résultats? C'est un défi très important. Il faudra vraiment, selon moi, que tous nos pays les convoquent et les tiennent responsables.
Lorsqu'on entend les chiffres en ligne, les pourcentages que vous avez tous mentionnés, c'est effarant. Déjà là, c'est un très grand défi si on ne peut même pas les responsabiliser à l'égard de ce que nous tentons de mettre de l'avant. Nous pouvons proposer ce qui sera, selon nous, une loi importante, mais si ces grands joueurs ne la respectent pas, où en serons-nous?
Je veux revenir sur quelque chose.
Madame Chaker et monsieur Yasarlar, merci de participer aujourd'hui en provenance de ma collectivité locale de Windsor-Essex. Je suis reconnaissante que vous participiez par vidéoconférence aujourd'hui.
J'aimerais approfondir quelque chose que Mme Chaker a dit en parlant des expériences vécues. Je me demande ce à quoi ça peut bien ressembler sur le terrain lorsque vous tentez de combattre la haine en ligne ou lorsque vous voyez quelque chose et que vous vous dites: « Est-ce de la haine? De quoi s'agit-il? » Vous commencez à tenir des conversations avec d'autres afin qu'eux aussi y mettent fin.
J'aimerais savoir si vous pouvez nous parler de l'incidence liée au fait que le fardeau repose sur vos épaules et sur celles de votre communauté et, plus particulièrement, des jeunes? Je sais que vous travaillez beaucoup auprès des jeunes. Quelle est l'incidence de cette responsabilité qui leur incombe maintenant pour lutter chaque jour contre ce qu'ils voient en ligne?
Je vous remercie de l'occasion que vous m'offrez.
Honnêtement, j'en ai parlé comme d'un concours de popularité. Selon moi, c'est la meilleure façon de décrire tout ça.
Lorsqu'une personne se sent attaquée en ligne, la façon pour elle d'obtenir cette reconnaissance et de s'assurer que le commentaire est retiré ou le contenu, éliminé, c'est, en fait, en textant à tous ses amis de le signaler, afin que Facebook ou peu importe quelle plateforme prenne ça au sérieux. Je crois que cela fait partie de...
Comme vous avez dit, ce n'est pas seulement un fardeau, mais ce n'est pas uniforme lorsqu'on pense à la façon dont les gens sont confrontés à ce genre de message haineux en ligne... Les gens ne sont pas tous également réceptifs et prêts à aider à éliminer ces messages. Tout dépend, vraiment, du nombre d'amis qu'on a, et c'est quasiment comme s'il fallait dire aux gens qu'il faut partager tout ça et qu'il faut s'apitoyer de plus en plus sur notre sort. On se retrouve avec un processus où tout le monde essaie d'obtenir de la sympathie relativement à ce qui lui est arrivé pour avoir l'impression que quelque chose arrivera. En tant que tel, je ne crois pas que ce soit une bonne chose. C'est plus un symptôme du problème, car la situation n'a pas été reconnue d'entrée de jeu.
Merci beaucoup.
Je vais maintenant poser une question plus générale. De quelle façon peut-on tenir les entreprises de médias sociaux responsables? Essentiellement, nous sommes tous leurs clients, non? Nous sommes dans cet espace. C'est une très grande question, mais je dois la poser. Évidemment, j'ai l'impression que vous cherchez des façons de combattre la haine en ligne. Les principaux partenaires dans cette lutte, ce sont les plateformes des médias sociaux. Quelles sont vos suggestions pour qu'on les tienne responsables de ce qui se produit sur leur plateforme?
Je vais vous demander d'y aller un après l'autre.
Écoutez, la question que vous avez soulevée est évidemment la principale question, parce que ces entités sont de plus en plus grandes et que le paysage change. Ce sont elles qui, dorénavant, mènent essentiellement les pays.
Il n'y a pas une réponse simple. Évidemment, j'ai suggéré de les sanctionner et de leur imposer des amendes et des sanctions, par exemple. Le CRTC a peut-être une réponse liée à la façon dont il compose de façon générale avec les diffuseurs.
Beaucoup de ces fournisseurs de réseaux sociaux ont aussi des bureaux, ici, au Canada. Ils exploitent leur entreprise ici même, au pays, tout comme il y a aussi des dirigeants, des directeurs généraux, ici même, au Canada, et c'est peut-être donc une façon d'appliquer nos lois.
Je suis désolé, mais je dois passer au prochain intervenant. Je m'excuse à tout le monde, mais nous manquons de temps.
M. Boissonnault et M. Virani se partagent ces quatre minutes.
Allez-y, monsieur Boissonnault.
Merci beaucoup.
Je vais m'adresser directement à M. Suri et M. Hussain, puis à Mme Moore. J'ai une minute pour chacun d'entre vous, messieurs Suri et Hussain.
Nous avons entendu ce que vous voulez changer dans le Code criminel et la LCDP.
Monsieur Hussain, quel est l'effet de la haine en ligne sur vous, votre famille et les gens que vous représentez, les Albertains que vous représentez?
En fait, je crois que les conséquences de cette haine... Voyons les choses en face: je suis quelqu'un qui se rend régulièrement à la mosquée. Je suis là le soir. Je suis là le vendredi aussi. Après ce qui s'est produit le 29 janvier, après l'incident à Christchurch, et, en passant, la plus jeune victime de Christchurch était en fait un garçon âgé de 3 ans... J'amène mes enfants à la mosquée. Est-ce que j'y ai pensé? Est-ce que j'étais inquiet avant d'entrer? Oui, j'y ai pensé. Est-ce que j'ai tremblé? Bien sûr.
C'est de moi que je parle. J'ai constamment peur de ça, parce que j'ai une jeune fille qui joue au hockey, qui décidera peut-être de porter le hidjab, mais elle est une minorité visible. La consonance de son nom de famille est aussi révélatrice, alors de quelle façon sera-t-elle traitée? À quelle adversité sera-t-elle confrontée?
Rendons-nous à l'évidence: les hommes n'essuient pas le gros de la tempête, mais une femme qui porte le hidjab, oui. Un Sikh qui porte un turban constate les conséquences de cette haine en ligne. C'est très réel.
Je suis assurément d'accord avec ce que M. Hussain a dit. C'est tellement prévalent maintenant lorsqu'on pense à la haine qu'on voit et à la façon dont les médias sociaux sont utilisés pour la promouvoir et s'assurer que les gens y ont accès. Il y a des messages de groupe WhatsApp qui se penchent non seulement sur la fusillade de Québec, mais aussi sur l'incident à Christchurch et l'incident qui s'est produit à Pittsburgh, dans la synagogue. Avant même que ça se retrouve sur Facebook ou Twitter, le bouche-à-oreille fait son travail, et tout devient viral en raison de messages qu'on reçoit sur WhatsApp. Les gens commencent à vivre dans la peur: est-ce que je devrais aller à la mosquée? Est-ce que je devrais aller au terrain de jeu? Est-ce que je serai pris à partie par telle ou telle personne?
Il est arrivé quelque chose qui a été porté à notre attention; c'est l'histoire d'une mère qui déposait ses enfants à l'école dans un secteur d'Edmonton. Quelqu'un est passé à côté d'elle dans une camionnette rouge. En fait, le conducteur du camion voulait demander des directions pour savoir de quelle façon se rendre à un endroit. Cependant, la mère, et ses deux enfants, vivant encore toute la gamme des émotions associées à ce qu'ils avaient vu à Christchurch, ne savaient pas quoi faire lorsqu'ils ont vu ce camion s'arrêter à côté d'eux. Ça n'avait absolument rien à voir avec tout ça.
C'est là où on entre en scène, pour sensibiliser les gens au fait qu'ils ne peuvent pas vivre de cette façon. Ce n'est pas l'intention. Ce n'est pas l'intention des gens de l'Alberta ou des Canadiens de façon générale. Nous ne pouvons pas laisser la peur pénétrer dans notre sanctuaire personnel.
Je dois vous demander de vous arrêter ici, monsieur Suri. Merci du leadership dont vous faites preuve en Alberta et partout au pays.
Madame Moore, qu'est-ce qui vous a aidée à transformer cette haine manifeste après que vous vous êtes rendu compte que ce que vous faisiez était mal? Qu'est-ce qui vous a aidée dans le cadre de votre conversion?
Ça a été un lent processus pour moi au terme duquel je me suis rendu compte que ce que je faisais était mal. J'aimerais bien pouvoir vous fournir une solution miracle et dire: « voici ce qui fonctionnera pour tout le monde », mais je crois que toute personne qui intègre un groupe haineux le fait en tant que particulier, et c'est ainsi qu'elle doit le quitter, à la lumière de ses propres expériences uniques et à ses propres conditions.
Dans mon cas, j'ai interagi avec des cinéastes qui produisaient un documentaire sur la droite raciste, et je faisais partie du film. Lorsqu'ils m'ont interviewée, ils ont commencé à me poser des questions comme: « eh bien, comment vous sentiez-vous par rapport à tout ça? Qu'en avez-vous pensé? Êtes-vous d'accord avec ce que cette autre personne a dit? » Les questions portaient sur une autre scène que nous avions filmée. Le fait d'être filmée et le fait que ces personnes qui ne faisaient pas partie de mon mouvement raciste soient aimables — faute d'un meilleur terme — et qu'ils écoutent ce que j'avais à dire a suscité en moi une certaine responsabilisation au final. Ces gens m'ont fait prendre du recul et réfléchir. Puisque j'étais tellement occupée à faire ce que je faisais, le fait de tout simplement avoir un peu de recul, d'avoir un moment pour arrêter et réfléchir, a vraiment changé la donne dans ma situation.
Non. Nous faisons des tours de quatre minutes. Nous sommes en retard. La bonne nouvelle, c'est que M. Virani aura du temps avec le deuxième groupe.
Merci beaucoup à tous. Je vous remercie de votre leadership dans vos collectivités. Vous changez les choses pour les gens que vous représentez, et votre contribution a été très utile au Comité.
Je suis désolé d'avoir à interrompre le groupe, mais sachez que nous sommes très reconnaissants de vos témoignages.
Je vais demander aux membres du prochain groupe de témoins de s'approcher rapidement, parce que nous avons beaucoup de retard.
Merci. Nous suspendons nos travaux.
Nous allons reprendre la réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Nous accueillons notre prochain groupe de témoins sur la haine en ligne.
Nous accueillons Mme Dahabo Ahmed Omer, membre du conseil d'administration et responsable des relations avec les parties prenantes de la Fédération des Canadiens noirs.
Nous accueillons en outre M. Bradley Galloway, spécialiste de la recherche et de l'intervention de l'Organization for the Prevention of Violence. Bienvenue.
De plus, nous accueillons à nouveau Mme Shalini Konanur, directrice générale et avocate, et Mme Sukhpreet Sangha, avocate-conseil à l'interne, de la South Asian Legal Clinic of Ontario. Bienvenue.
Nous allons procéder conformément à l'ordre du jour, et nous allons donc commencer par la Fédération des Canadiens noirs.
Madame Omer, la parole est à vous. Vous avez huit minutes.
Merci. Bonjour.
Permettez-moi de souligner que nous nous réunissons ce matin sur des terres que détenait le peuple algonquin, les premiers intendants de ce territoire, territoire qu'ils n'ont jamais cédé. En tant que représentant de plus de 1 million de Canadiens de descendance africaine, dont bon nombre ont été déplacés par la traite transatlantique des esclaves et le colonialisme, la Fédération des Canadiens noirs estime que les Canadiens doivent continuellement formuler de telles reconnaissances au sujet des terres dans le cadre du processus de réconciliation nationale avec nos frères et soeurs autochtones.
J'aimerais commencer par remercier le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de m'avoir invitée à discuter avec lui ce matin. Je m'appelle Dahabo Ahmed Omer, et je suis la responsable des relations avec les parties prenantes au sein du conseil d'administration de la Fédération des Canadiens noirs. Je suis ici pour vous parler aujourd'hui en faveur de la modification de la loi canadienne sur les droits de la personne. L'objectif est de fournir aux législateurs, aux responsables de l'application de la loi et aux communautés marginalisées des instruments et des mécanismes plus efficaces pour atténuer l'explosion des crimes haineux et du terrorisme.
Comme vous le savez probablement, il y a eu une horrible pointe de crimes haineux au Canada. Statistique Canada a récemment publié son dernier rapport sur les crimes haineux déclarés à la police selon lequel il y a eu une augmentation de 47 % des crimes haineux déclarés. Les Canadiens noirs constituent non seulement le groupe le plus visé par les crimes haineux selon la race et l'ethnicité, mais la récente augmentation du nombre de crimes haineux découle en grande partie — peut-être même exclusivement — de l'augmentation des crimes haineux ciblant les personnes de descendance africaine.
Si une personne de descendance noire au Canada est par hasard une musulmane, une femme et une membre de la communauté LGBTQ+, elle est encore plus à risque d'être victime de crime haineux. Un tel caractère intersectionnel de la haine est mal compris et est aussi une composante importante de l'équation. À la lumière des résultats de l'« Enquête sociale générale: la sécurité des Canadiens », nous savons maintenant que plus des deux tiers des personnes ciblées par des crimes haineux ne les déclarent pas à la police. L'explication la plus souvent fournie de cette non-déclaration, c'est que les gens ont l'impression que, s'ils déclarent le crime à la police, leurs dires ne seront pas pris au sérieux ou l'accusé ne sera pas puni.
Du point de vue des communautés de Canadiens noirs qui sont victimes d'une surveillance policière excessive, de vérifications excessives de leur identité et d'autres formes de profilage racial, la crainte est d'autant plus accentuée. Même, ici, dans la capitale nationale, il y a récemment eu de la confusion au sein du Service de police d'Ottawa quant à savoir si la municipalité comptait ou non une unité de lutte contre les crimes haineux. Cela accentue la perception selon laquelle les responsables de l'application de la loi sont indifférents à tout ça.
Il est important pour la fédération de souligner que cette explosion de haine qui a été décrite jusqu'à présent reproduit la prolifération de la haine qu'on constate en ligne. L'émission Marketplace de CBC a récemment révélé qu'il y avait eu une augmentation majeure de 600 % des discours haineux de Canadiens en ligne. Nous savons aussi que plus de 300 groupes de suprémacistes blancs sont actifs au Canada et qu'ils utilisent le Web non seulement pour promouvoir la haine et organiser des attaques mortelles, mais aussi pour infiltrer nos institutions publiques fiables.
Par conséquent, personne ne devrait être surpris d'apprendre que, selon un sondage de 2018 d'Angus Reid, 40 % des Canadiens estimaient que les attitudes des suprémacistes blancs étaient très préoccupantes.
La haine mine actuellement la sécurité publique des communautés marginalisées, comme la mienne, tout en menaçant aussi la sécurité nationale. C'est ce qu'a révélé clairement un récent rapport de l'unité du renseignement criminel de la police militaire, faisant état d'une infiltration de suprémacistes blancs au sein des Forces canadiennes par des groupes paramilitaires qui utilisaient le Web pour recruter des membres et promouvoir la haine.
À la lumière des attaques terroristes au Centre culturel islamique de Québec, les récents actes de vandalisme contre des lieux de culte noirs, musulmans, juifs et sikhs et le contexte mondial de coordination entre les groupes de suprémacistes blancs à l'échelle internationale, de plus en plus de Canadiens de toutes origines estiment que le Parlement doit maintenant passer à l'action et agir avec plus de force et de façon plus délibérée contre la haine, qui mine la sécurité publique et la sécurité transnationale.
[Français]
Les Canadiennes et les Canadiens s'attendent à ce que leur Parlement prenne des mesures plus audacieuses pour prévenir les crimes haineux qui menacent la sécurité publique à l'échelle du pays.
[Traduction]
La Fédération des Canadiens noirs sait qu'il y a une tension entre le respect de la liberté d'expression, qui est protégée en vertu de l'alinéa 2b) de la Charte, et la réglementation du discours haineux en ligne ainsi que la possibilité de prévoir des solutions techniques en matière de déclaration et de surveillance du discours haineux ou la désignation de sources de renseignements et de nouvelles légitimes. Cependant, à la lumière de l'expérience vécue par tellement de personnes un peu partout au Canada qui me ressemblent, la Fédération estime que l'absence de limites civiles à la dissémination de haine sur Internet, le mécanisme de communication publique le plus prévalent et facile d'accès, est extrêmement préoccupante.
La Loi canadienne sur les droits de la personne privée de l'article 13 n'est pas un outil approprié pour le XXIe siècle. Lorsqu'on considère que presque tous les Canadiens âgés de moins de 44 ans communiquent en ligne, force est d'admettre qu'il est crucial que tous les partis politiques et les indépendants se réunissent dans le cadre d'un consensus pour rétablir l'article 13 de la loi, qui constitue l'unique disposition civile sur le discours haineux au Canada protégeant explicitement les Canadiens du discours haineux diffusé sur Internet.
Le fardeau de la preuve exigé à l'article 319 du Code criminel est tellement élevé que, à lui seul, il laisse les populations les plus vulnérables, y compris les Canadiens noirs, exposés au préjudice prouvé et associé au discours haineux sans fournir de mécanisme de recours viable.
Cela devient encore là un autre obstacle systémique à l'inclusion, au bien-être et à la sécurité des Canadiens noirs, parmi tellement d'autres groupes ciblés par la haine. Même si le droit de s'exprimer librement est fondamental et essentiel à une démocratie fonctionnelle — et croyez-moi lorsque je le dis, parce que mon pays d'origine est la Somalie — la protection des communautés minoritaires contre les vrais préjudices associés au discours haineux et à la haine en ligne est manifestement justifiée dans une société libre et démocratique. C'est seulement lorsque les Canadiens se sentent en sécurité, protégés et respectés au sein de notre société que le Canada peut s'épanouir et avancer en tant que démocratie.
Merci.
[Français]
Merci, monsieur le président.
Mesdames et messieurs les membres du Comité, le Mosaic Institute est reconnaissant de pouvoir participer à vos délibérations sur la haine en ligne. Nous reconnaissons que votre temps est compté et que vous devez être sélectifs quant aux organisations que vous invitez. Nous vous remercions de nous avoir inclus.
[Traduction]
Le Mosaic Institute est un institut de bienfaisance canadien qui promeut le pluralisme au sein des sociétés et la paix entre les nations. Il mise sur la diplomatie de deuxième type et réunit des gens, des communautés et des États pour favoriser la compréhension mutuelle et le règlement des conflits.
Au fil des ans, nous avons convoqué des jeunes dirigeants chinois et tibétains pour parler de coexistence paisible sur le Plateau tibétain, nous avons réuni des représentants singhalais et tamouls pour parler de réconciliation après la guerre civile au Sri Lanka et nous avons réuni des survivants de génocides pour combattre les atrocités futures à l'échelle internationale.
Fondamentalement, notre mission est de casser les cycles de haine et de violence en créant de l'empathie et en trouvant des terrains d'entente entre les peuples opposés. Par conséquent, nous avons vu directement de quelle façon les discours et l'incidence des médias sociaux peuvent à la fois être un moyen de nous réunir et une arme pour qu'on se saute à la gorge.
L'enjeu est immense. Dans le cadre de nos travaux auprès des Rohingyas, nous avons constaté clairement que les médias sociaux jouaient un rôle déterminant dans la communication de désinformation, la génération de haine et la coordination des tueries de masse, ce qui a mené au décès d'au moins 10 000 innocents et au nettoyage ethnique d'au moins 1 million de personnes de plus. Le Canada n'est pas le Myanmar. Malgré tout, la capacité du Parlement de contenir et combattre la haine et l'incitation à la violence en ligne déterminera littéralement si les gens vivent ou meurent.
Il va sans dire que, dans une société juste et démocratique, il n'y a pas d'idéal plus élevé, pas d'éthique plus importante et pas d'impératif plus sacro-saint que la liberté d'expression. La paix, l'ordre et le bon gouvernement; la liberté, l'égalité et la fraternité, la vie et la poursuite du bonheur, toutes ces choses sont impossibles sans un discours public libre. La liberté d'expression devient sans intérêt si elle n'inclut pas la liberté d'offenser, la liberté de choquer et, franchement, la liberté de se comporter en idiot, même si je suis sûr que cela ne se produit jamais au Parlement.
Des voix: Ha, ha!
M. Akaash Maharaj: Toute limitation de la liberté d'expression doit par conséquent correspondre au strict minimum nécessaire pour préserver la dignité et la sécurité des citoyens.
Nous croyons que des lois canadiennes qui définissent le discours haineux sont suffisantes à cet égard, et la portée des discours interdits n'a pas à être élargie et ne devrait pas l'être. Les cadres juridiques, réglementaires et liés aux médias sociaux ne font pas le poids, pas lorsqu'il est question de définir la haine, mais au moment de la cerner et de la mettre en quarantaine avant que le virus se dissémine et fasse des dommages.
Nous ne sous-estimons pas l'ampleur du défi auquel les législateurs et les entreprises de médias sociaux sont confrontés. Durant les deux heures et demie prévues pour la présente audience, il y aura 54 millions de nouveaux gazouillis et 4,7 milliards de nouveaux statuts, commentaires et messages Facebook.
Voici les recommandations que nous formulons.
Premièrement, les entreprises de médias sociaux doivent, volontairement ou sous contrainte légale, adopter un ensemble de normes de l'industrie concernant la vitesse à laquelle ils doivent examiner les rapports selon lesquels des commentaires violent les lois canadiennes en matière de lutte contre la haine ou les conditions de service de leur plateforme. Par exemple, les normes de l'Union européenne exigent que les entreprises examinent une majorité des rapports en une journée.
Deuxièmement, les entreprises de médias sociaux devraient être obligées d'établir des voies précises pour accorder le priorité aux plaintes venant d'institutions de confiance au sujet du contenu offensant. Une plainte d'une société de protection de l'enfance, par exemple, devrait être traitée comme étant une préoccupation immédiate.
Troisièmement, il doit y avoir des conséquences financières pour les entreprises qui ne retirent pas le contenu illégal dans une période définie, des sanctions assez graves pour que le coût de l'inaction soit supérieur au coût de l'action. La législation allemande concerne l'application de la loi sur le réseau et établit des amendes pouvant atteindre 50 millions d'euros lorsque des messages illégaux restent en ligne pendant plus de 24 heures.
Quatrièmement, les sociétés de médias sociaux devraient être obligées de publier des rapports réguliers de transparence fournissant des renseignements anonymisés au sujet, entre autres, du rendement de leurs systèmes d'apprentissage machine pour intercepter automatiquement les messages interdits, la rapidité avec laquelle elles réagissent aux plaintes des victimes, des institutions dignes de confiance et du public en général et l'exactitude de leur réponse aux plaintes mesurées par un système d'échantillonnage aléatoire géré par une tierce partie des messages qui ont été retirés et des messages qui ne l'ont pas été.
Cinquièmement, les entreprises de médias sociaux doivent être plus franches au moment de communiquer les facteurs et les critères qu'ils utilisent pour décider quels messages sont prioritaires en fonction des utilisateurs. Ils doivent donner aux utilisateurs plus de contrôle et plus de facilité au moment de rajuster de tels paramètres. Trop souvent, les plateformes de médias sociaux privilégient le contenu qui mobilise les utilisateurs en suscitant la peur et la haine. Un modèle d'affaires fondé sur la division de nos communautés ne devrait pas être plus acceptable qu'un modèle fondé sur la mise à feu et à sang de nos villes.
Sixièmement, le Parlement devrait adopter les autorisations nécessaires et les règlements qui s'imposent pour s'assurer que le SCRS et le Centre de la sécurité des télécommunications ont tous les deux le mandat et les moyens de cerner et d'interrompre les efforts organisés par des États hostiles et des acteurs transnationaux qui exploitent les médias sociaux pour susciter la haine et la polarisation parmi les Canadiens dans un effort de déstabiliser notre pays.
Septièmement, le Parlement devrait envisager des instruments législatifs pouvant garantir que les particuliers et les organisations qui s'adonnent à des activités d'incitation à la violence sont tenus responsables par personne interposée de tout acte de violence ou de harcèlement commis par des tierces parties influencées par leurs messages.
Huitièmement, le gouvernement fédéral devrait financer des programmes scolaires pour renforcer les capacités des jeunes Canadiens de résister à la polarisation et à la haine et cultiver la réflexion critique et l'empathie. La meilleure défense contre la haine est une population déterminée à ne pas y succomber.
Enfin, et surtout en cette année électorale, je vous dirais que les parlementaires doivent prêcher par l'exemple. Tout le monde dans la salle sait que les gardiens de notre démocratie sont non pas les ministres, mais les législateurs. Nous comptons sur vous pour vous placer entre nos dirigeants et les leviers du pouvoir et veiller à ce que les charges publiques et les ressources publiques soient seulement utilisées dans l'intérêt public. Plus que tout, nous attendons de vous que vous soyez le miroir du meilleur de nous-mêmes et favorisiez la compréhension mutuelle qui rend possible une société vaste et pluraliste florissante, au sein de laquelle nous sommes un seul peuple et un seul pays.
Durant la prochaine campagne, vous et votre parti devrez faire vos propres choix concernant les médias sociaux: vous devez décider de mener une campagne en dénigrant vos opposants, de susciter la participation de vos militants en faisant appel à la colère ou de miser sur ce qu'il y a de meilleur dans notre nature. Vos choix donneront le ton à ce qui se passera dans les médias sociaux cet été, et ce, de façon plus importante que tout texte législatif ou tout règlement adopté. J'espère que vous serez à la hauteur.
Merci.
Merci beaucoup.
Nous allons maintenant passer à l'Organization for the Prevention of Violence et à M. Galloway.
Bonjour. Merci beaucoup de m'accueillir aujourd'hui. Je vous remercie de l'invitation.
Je m'appelle Brad Galloway. Je suis chercheur et spécialiste en intervention au sein de l'Organization for the Prevention of Violence, qui est située à Edmonton, en Alberta. Mes principaux objectifs au sein de cette organisation sont de participer à la recherche qui s'en vient et qui concernera précisément le mouvement extrémiste de l'extrême-droite au Canada, et, de façon plus précise, vu la situation actuelle, l'examen de la dynamique en ligne de l'extrémisme de droite.
Je mise souvent sur mon expérience personnelle vécue au sein de l'extrême-droite canadienne, puisque j'ai consacré 13 ans à ce mouvement, au Canada, surtout au début, dans un contexte qui n'était pas en ligne. Cependant, j'ai aussi été là pendant environ 10 ans dans un contexte en ligne, alors j'en sais beaucoup au sujet de ce genre d'activité en ligne grâce à un point de vue de l'intérieur. J'ai utilisé beaucoup de mes expériences dans le cadre de recherches universitaires ces derniers temps.
Je travaille aussi auprès de Life after Hate, un autre groupe similaire à l'Organization for the Prevention of Violence. Nous essayons de réaliser des interventions et d'aider d'autres personnes à quitter des mouvements extrémistes. Certaines de ces initiatives incluront à coup sûr le fait d'évaluer des façons de créer des stratégies d'intervention en ligne pour intervenir auprès des gens et fournir des ressources aux personnes qui veulent quitter ces types de mouvements.
Je crois que les communautés se créent en fonction d'idées, d'expériences et de cultures communes. Afin de se distinguer et de se définir, les groupes se comparent aux autres de façon positive et négative. C'est dans ce dernier cas que des problèmes peuvent survenir.
Une société diversifiée d'un point de vue culturel et sain est une société où on respecte la différence entre les cultures et les collectivités, qui y accorde de la dignité et la célèbre, même. Cependant, lorsque des groupes commencent à se distinguer en se comparant de façon négative à d'autres groupes en s'attachant à des motifs comme la race, la religion, la culture et l'ethnicité et ainsi de suite, on s'expose à de possibles conflits destructeurs et incessants. Cela crée une mentalité de « nous contre eux ».
C'est en ce sens que la haine et l'extrémisme sont des phénomènes interreliés qui existent le long d'un continuum de comportements et de croyances fondés sur un état d'esprit « nous contre eux ». La perpétuation de la rhétorique associée à tout ça peut créer un environnement où la discrimination, le harcèlement et la violence sont considérés par les gens non seulement comme une réaction raisonnable, mais comme une réponse nécessaire. Lorsqu'une telle attitude n'est pas remise en question, qu'on la laisse s'enraciner, des divisions parfois violentes au sein de la société peuvent miner qui nous sommes en tant que Canadiens et fragiliser le tissu social du pays.
Au cours des 30 dernières années, les technologies — en premier lieu les téléphones, puis Internet — ont joué un rôle crucial dans la croissance du mouvement suprémaciste blanc partout au Canada. Les premières versions du discours haineux en ligne dans les années 1990 et 2000 étaient communiquées par des appels automatiques et des sites Web. Par exemple, le Heritage Front, un groupe de suprémacistes blancs, avait mis en place des appels informatisés automatiques pour communiquer de l'information raciste. D'autres exemples incluent le réseau Freedomsite et la ligne White Civil Rights.
Au début de 1996, nous avons vu l'émergence des forums de discussion en ligne comme Stormfront, qui, notamment, a été l'un des premiers sites Web de suprémacistes blancs et qui est encore très actif de nos jours. Stormfront a été le premier d'une série de plateformes d'extrême-droite en ligne que les gens utilisaient pour communiquer et s'organiser.
Aujourd'hui, nous voyons plus d'activités sur les sites de médias sociaux, comme Facebook, Twitter et Gab, même si la plupart de ces tribunes conventionnelles existent toujours et sont souvent utilisées en conjonction avec les nouvelles plateformes, y compris des applications. Souvent, des mesures de retrait du contenu et la réglementation sont suggérées pour atténuer l'impact de tels sites et de telles plateformes. Je dirais que, dans les deux cas, il y a des bons et des mauvais côtés, mais ces deux méthodes sont confrontées à de nombreux défis, du point de vue tant juridique qu'éthique.
Pour revenir à la situation présente, les groupes extrémistes et les influenceurs individuels qui s'attachent à promouvoir la polarisation sociale et la haine grâce aux technologies disponibles s'adaptent rapidement aux demandes pressantes des responsables de l'application de la loi, des gouvernements et des entreprises privées des médias sociaux.
De plus, le discours haineux en ligne est extrêmement mobile. Je dirais que ces groupes de haine et plus précisément les groupes haineux organisés, utilisent cette mobilité pour renforcer leurs mouvements de haine transnationaux. Même lorsque le contenu est retiré, on le retrouve ailleurs. Les influenceurs individuels sont capables de s'adapter et de trouver de nouveaux endroits.
Si le contenu est retiré, il réapparaît souvent sur une autre plateforme ou sous le nom d'un autre utilisateur. Souvent, la rhétorique et les réseaux passent des réseaux établis — où un contre-discours est possible et où des journalistes et des responsables de l'application de la loi peuvent effectuer un suivi facile de leurs activités — à des plateformes où la détection est plus difficile et où ce qu'on appelle les « contre-discours » sont plus difficiles à déployer.
Autant au Canada qu'à l'étranger, il y a une multitude d'exemples de gens qui font la promotion de la haine en ligne; d'abord sur les grandes plateformes — Facebook, par exemple —, puis sur d'autres grandes plateformes comme Twitter ou sur l'une des multiples plateformes moins connues, comme Gab ou Telegram. Aujourd'hui, le cyberespace est composé de multiplateformes plus dynamiques, immersives et interactives que jamais; auparavant, tout ce qu'il y avait, c'était une poignée de forums ou de lignes téléphoniques.
Les influenceurs et les propagateurs de haine utilisent comme tribune diverses plateformes interreliées. Cette nouvelle dynamique a manifestement favorisé la mobilisation de l'activisme et de l'extrémiste haineux, en particulier chez les extrémistes violents qui agissent seuls, comme les auteurs des attaques contre la synagogue Tree of Life ou la mosquée de Québec. Ceux qui ont perpétré ces attaques ne sont pas nécessairement entrés en contact directement avec des influenceurs idéologiques ou des groupes organisés, mais la haine qu'ils ressentaient et le sentiment de crise qu'ils attribuaient à un groupe différent les ont poussés à agir.
Donc, quelle est la solution? Je doute qu'il existe une solution miracle. Cependant, nous croyons que la première chose à faire pour prévenir et combattre la propagation des discours haineux et de l'extrémisme, c'est de sensibiliser la population. Pour commencer, le public doit avoir une meilleure compréhension des crimes et des incidents haineux, qui se produisent autant en ligne que dans la vie. Nous avons besoin de meilleures données sur les groupes le plus ciblés par la haine, sur le caractère multidimensionnel des attaques — comment cible-t-on les Noirs, les femmes, les musulmanes qui portent le hidjab — ainsi que sur les lieux où se produisent les incidents. Nous avons besoin de données pour savoir si certains lieux publics, par exemple les transports en commun, ou certaines plateformes publiques, comme Facebook ou Twitter, sont plus propices aux discours haineux ou au harcèlement.
À cette fin, nous devons encourager davantage les gens à dénoncer les crimes haineux dont ils ont été victimes. Souvent, par peur d'être stigmatisés, ou parce qu'ils doutent du résultat, les gens hésitent à signaler un crime haineux à la police. Nous devons lutter contre ces problèmes de façon constructive et adopter une approche multisectorielle afin de les atténuer.
Un exemple récent serait le projet de loi SB-577, dans l'État de l'Orégon, où il y a aussi eu une augmentation rapide des crimes haineux. Le nouveau projet de loi prévoit que les autorités policières aiguilleront les victimes de crime haineux vers un nouveau service d'aide relevant du département de la justice de l'État de l'Orégon. Les victimes de ce genre de crime sont dirigées vers des services locaux de santé mentale, des groupes de défense des intérêts et toutes sortes d'autres ressources utiles. Les victimes y trouvent un environnement sécuritaire et compréhensif et une multitude de ressources pour les aider à comprendre l'incident haineux qui leur est arrivé. Puisque les victimes peuvent s'appuyer sur davantage de ressources, cela pourrait avoir pour effet d'augmenter le taux de signalement.
On peut facilement imaginer des services similaires sur Internet. Certains organismes américains à but non lucratif créent déjà des carrefours de ressources pour les gens dont les renseignements personnels ont été divulgués à des fins malveillantes. Ces ressources pourraient être réutilisées et redéployées afin de lutter contre le problème dont nous parlons aujourd'hui.
De nombreux témoins ont probablement déjà dit que des modifications législatives soulèveraient des contestations judiciaires. Dans le temps qu'il me reste, je vais donc parler des efforts que nous pourrions déployer en amont, sans changer la loi, afin de lutter contre les discours haineux.
Monsieur Galloway, vous avez déjà pris plus de huit minutes. Je vais donc vous demander de conclure assez rapidement. Merci.
D'accord. Je vais conclure immédiatement.
Je crois qu'il faudrait mettre en œuvre, dans le secteur de l'éducation, de vastes campagnes de littératie numérique normalisées et uniformes abordant tout un éventail de questions afin d'aider les élèves et le grand public à gérer tous les problèmes évidemment très complexes auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui.
Encore une fois, merci de m'avoir invité à témoigner aujourd'hui. Je suis prêt à répondre à toutes vos questions.
Je remercie le Comité de nous avoir invités. Je suis accompagnée de ma collègue, Mme Sukhpreet Sangha, et nous témoignerons toutes les deux aujourd'hui à tour de rôle.
Très rapidement, la South Asian Legal Clinic of Ontario est une clinique d'aide juridique sans but lucratif qui aide les personnes sud-asiatiques à faibles revenus de toutes les régions de l'Ontario. Nous oeuvrons dans le domaine du droit des pauvres, ce qui touche en grande partie l'immigration, les droits de la personne, le droit du travail, le droit du logement et le droit relatif à la sécurité du revenu.
À la lumière des dossiers que nous traitons, de ce que nos clients nous disent et des efforts de défense des intérêts qui sont déployés à grande échelle en Ontario et au Canada, nous tentons de cerner les tendances qui ont une incidence sur notre travail sur le terrain. Nos commentaires aujourd'hui refléteront surtout notre travail de première ligne.
Nous avons observé des problèmes de discrimination et de racisme systémiques dans environ 30 % des affaires juridiques dont nous nous occupons. La SALCO a traité des affaires liées à l'accès aux services, au logement, à l'emploi, aux interventions policières et à l'immigration. Nous tentons de lutter contre ces problèmes dans l'appareil judiciaire en général.
La SALCO s'intéresse à la réforme du droit; nous voulons combattre les inégalités croissantes auxquelles font face les communautés racialisées ainsi que les inégalités multidimensionnelles que subissent les gens appartenant à plusieurs minorités, par exemple une minorité de genre, une minorité religieuse et une minorité socioéconomique. Dans le cadre de notre travail, nous avons examiné la façon dont ces éléments sont interreliés dans le contexte des discours haineux sur Internet.
Nous avons eu l'occasion de discuter de ces questions devant les Nations unies. Nous faisons partie du Comité consultatif de la Direction générale de l'action contre le racisme de l'Ontario et avons travaillé sur le projet de loi visant à inscrire cela dans le droit ontarien. Nous siégeons aussi au Comité consultatif de lutte contre le racisme du service de police de Toronto. Nous avons collaboré avec le gouvernement fédéral à la mise au point de sa stratégie nationale contre le racisme. Nous avons récemment étendu nos activités au Québec, et avons défendu des causes types devant la Cour suprême sur le droit de porter le niqab. Nous faisons aussi partie d'une coalition de leaders communautaires de l'Ontario qui est vouée tout particulièrement à la lutte contre les crimes haineux et la montée de la suprématie blanche.
Tous les témoins d'aujourd'hui vous ont très probablement dit qu'il y avait eu une montée évidente, au cours des dernières années, des discours publics à caractère haineux. Il ne fait aucun doute que les plateformes des médias sociaux et Internet ont contribué grandement à la propagation des discours haineux.
Nous savons que les discours haineux en ligne servent de catalyseur aux actes violents commis contre les communautés musulmanes, juives, noires et autochtones, aussi bien au Canada qu'à l'étranger.
Rapidement, je veux souligner qu'une grande partie du discours, une grande partie de la discussion, tourne maintenant autour de l'islamophobie et de l'antisémitisme. Toutefois, selon les données, la haine contre les Noirs est aussi très répandue au Canada, tout comme la haine contre les Autochtones. Je crois que les actes commis contre ces deux communautés sont très rarement signalés, et c'est pourquoi j'estime qu'il serait important que votre comité se penche sur ces communautés particulières, présentes au Canada depuis longtemps, ainsi que sur la haine qu'elles subissent encore à ce jour.
La semaine dernière, un client musulman s'est présenté à notre bureau pour nous supplier de l'aider à faire sortir du Sri Lanka les membres de la famille qui lui restaient, les autres ayant été tués dans une attaque contre la communauté musulmane du Sri Lanka. L'attaque avait été encouragée par le discours haineux sur Internet. Le lien est bien réel. Il y a des gens ici qui sont connectés à d'autres personnes partout dans le monde, et les répercussions de la haine sur Internet sont évidentes.
Je tiens à dire au Comité, en toute honnêteté, que j'ai moi-même reçu énormément de courriels haineux et de messages menaçants sur les médias sociaux. Dans l'un des messages, on menaçait même ma famille, mes enfants et notre organisation.
Hier, j'ai parlé avec un collègue sikh qui avait reçu un message public sur le site Web de l'organisme dans lequel on le traitait de « towel head », soit « tête de serviette ». On lui disait également que sa communauté devrait être déportée et qu'il méritait de mourir.
Mon but n'est pas de choquer votre comité, mais de vous faire part de ce que nous percevons et de ce que nous observons. L'audace et la fréquence des discours haineux que les gens vomissent en ligne aujourd'hui montrent bien que nous n'arrivons pas à contrôler la haine sur Internet. Franchement, il y a très peu de mécanismes tangibles ou accessibles au Canada pour faire en sorte que ces personnes répondent de leurs actes.
Je vais maintenant céder la parole à Mme Sangha.
Je vais surtout parler de la lutte contre le discours haineux en ligne, en particulier du point de vue du droit pénal.
Bien sûr, nous savons tous que le Canada doit réagir à la montée de la haine en ligne de façon rapide, audacieuse et efficace.
Le Comité sait déjà, et cela a été mentionné plus tôt, que nous pouvons utiliser le droit pénal à cette fin, puisqu'il existe dans le Code criminel deux articles qui prévoient des infractions liées aux crimes haineux en ligne: il s'agit des articles 318 et 319. L'article 318 interdit l'encouragement au génocide, et l'article 319 interdit de façon plus générale l'incitation publique à la haine ainsi que la fomentation volontaire de la haine. Il est donc plus probable qu'une personne soit accusée d'une infraction de crime haineux en ligne en vertu de l'article 319. L'application de l'article 318 est d'autant plus limitée que les poursuites ne peuvent pas être engagées sans le consentement du procureur général.
Le paragraphe 319(2) prévoit une infraction mixte. Je cite:
Quiconque, par la communication de déclarations autrement que dans une conversation privée, fomente volontairement la haine contre un groupe identifiable
La peine maximale, s'il y a mise en accusation, est de deux ans d'emprisonnement.
Cependant, je trouve préoccupant que le consentement du procureur général soit nécessaire pour engager des poursuites au titre de cet article. L'utilisation d'Internet comme tribune de diffusion de la haine étant de plus en plus répandue, le Parlement devrait se demander si l'exigence d'obtenir le consentement du procureur général n'impose pas des restrictions indues en ce qui a trait à la poursuite des crimes haineux en ligne. Cette exigence d'obtenir le consentement du procureur général avant d'engager des poursuites pour une infraction de crime haineux en ligne constitue un obstacle supplémentaire et inutile qui empêche les autorités judiciaires d'accuser les personnes concernées.
Par contre, les personnes qui commettent certains types d'infractions de crimes haineux en ligne peuvent être accusées d'infractions plus générales au Code criminel, comme cela se voit parfois. Par exemple, quand une personne est accusée d'avoir proféré des menaces ou de harcèlement criminel, et la motivation haineuse de l'infraction est considérée dans ce contexte comme une circonstance aggravante dans la détermination de la peine, conformément au sous-alinéa 718.2a)(i).
Une autre préoccupation liée à l'application actuelle du Code criminel aux crimes haineux en ligne concerne les relations souvent difficiles entre certains membres des communautés racialisées et la police. De nos jours, on reconnaît généralement que le racisme systémique dans notre système de justice pénale est un problème important qui empêche les gens de ces communautés d'avoir accès à la justice lorsqu'ils sont victimes de crimes haineux, parce que leur recours principal est d'aller voir la police. Il peut être assez difficile pour des personnes racialisées, qui ont déjà été ciblées par des agents de police — je pense aux programmes de contrôle d'identité, par exemple — d'aller demander de l'aide à ces mêmes agents de police parce qu'elles ont été victimes d'un crime haineux.
De plus, le système de justice pénale a excessivement recours, depuis très longtemps, aux peines comme l'emprisonnement ou l'imposition d'amendes, ce qui n'est pas efficace pour lutter contre les crimes haineux commis sur Internet ou dans la vraie vie. Les sanctions punitives qui sont traditionnellement imposées dans le système de justice pénale ont peu d'effet sur la lutte contre le crime haineux et ne réussissent à peu près pas à changer les attitudes et les croyances qui les motivent. Dans cette optique, une solution plus efficace serait d'établir un programme communautaire pour cibler les croyances et les facteurs de motivation liés aux crimes haineux dans une tentative sincère de sensibiliser les gens à la lutte contre le racisme et l'oppression.
Aussi, les dernières analyses de Statistique Canada montrent que le système de justice pénale a de la difficulté à mener à bien une poursuite pour crime haineux; en 2017, la police est arrivée à résoudre seulement 28 % des incidents de crimes haineux. Je suis sûr que la plupart des membres du Comité le savent déjà. Si nous établissons une comparaison avec toutes les autres infractions prévues au Code criminel, à l'exception des infractions routières, la police avait résolu 40 % des crimes au cours de la même année, en 2017. Donc, même quand la victime d'un crime haineux surmonte les obstacles et le signale à la police, les chances d'une poursuite réussie sont inférieures de 12 %, en comparaison des autres types d'infractions.
Nous avons deux recommandations à faire par rapport au droit pénal.
Premièrement, puisque la popularité d'Internet comme tribune de propagation de la haine ne fait qu'augmenter, le Parlement devrait réexaminer l'exigence d'obtenir le consentement du procureur général pour engager des poursuites, puisque cela restreint de façon indue les poursuites pour infractions de crimes haineux. L'exigence d'obtenir un consentement pour engager des poursuites pour crimes haineux en ligne crée un obstacle supplémentaire et inutile pour les autorités judiciaires qui voudraient déposer des accusations. Je souligne que cette exigence est également prévue à l'article 320.1, comme on l'a fait remarquer plus tôt au Comité.
Deuxièmement, nous recommandons au gouvernement d'examiner la possibilité de mettre en œuvre des mécanismes civils et communautaires afin de lutter contre la haine en ligne sans avoir recours au système de justice pénale. Nous croyons que le droit pénal n'est pas le mécanisme le plus efficace pour lutter contre la haine en ligne. Un mécanisme administratif non pénal serait une solution de rechange plus accessible. Le racisme systémique au sein du système de justice pénale mine de façon disproportionnée son efficacité pour les communautés racialisées.
Je vais redonner la parole à Mme Konanur.
D'accord. Je vais terminer très rapidement.
Je ne veux pas répéter ce que tout le monde a déjà dit à propos de l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je vais cependant dire que j'ai utilisé cet article dans le cadre de mon travail, et qu'il était un outil efficace pour combattre la haine en ligne. Dans la formulation de l'article, on reconnaissait que les communications en ligne et informatiques pouvaient être utilisées pour propager la haine.
Nous réclamons le rétablissement de cet article. Nous pouvons, dans le cadre des travaux de votre comité, étudier les problèmes procéduraux qu'il posait et comprendre pourquoi il n'était pas efficace. Il y a beaucoup de détails techniques. Nous pouvons tirer des pratiques exemplaires de ce que nous avons retenu de ce qui ne fonctionnait pas et conserver ce qui fonctionnait. Je crois que j'ai moi-même mené à bien au moins cinq affaires relatives à l'article 13, et aucune n'a été portée devant un tribunal. Le simple fait d'utiliser l'article 13 a permis de résoudre ces problèmes.
Pour terminer, nous voulions surtout dire qu'il est impossible de faire ce travail de façon fragmentaire, simplement en modifiant un article donné du Code criminel ou en y ajoutant un. Ce dont nous avons vraiment besoin est une stratégie nationale de lutte contre la haine. Nous avons besoin d'une stratégie sur la haine en ligne, sur les plateformes des médias sociaux et sur Internet. Il faut aussi que la stratégie prévoie une obligation de recueillir des données à ce sujet.
Beaucoup de données ont été citées ici, mais à dire vrai, les données que nous avons n'effleurent même pas la réalité de la haine en ligne. La plupart des gens ne signalent pas les incidents; la plupart des gens ne vont pas voir la police, comme ma collègue vient de le dire, alors nous ne pouvons pas brosser un portrait fidèle de la situation au Canada. La collecte de données à ce sujet est une suite d'échecs. Pourquoi n'avons-nous jamais exigé que les médias sociaux recueillent des données à ce sujet?
Nous avons également besoin d'une stratégie — je sais que quelqu'un en a parlé plus tôt — d'éducation. Nous avons besoin d'une stratégie nationale dont la direction générale, le secrétariat ou peu importe le nom que vous lui donnerez, veillera à l'engagement et à la continuité des efforts. Cela nous permettra de nous assurer, peu importe ce qui arrive, que nous ne perdons pas de vue l'ensemble de la situation. En considérant la haine en ligne et l'éducation, on peut avoir une vue d'ensemble sur la situation. Nous demandons à votre comité de se pencher sur la question.
Rapidement, je veux aussi insister sur le fait que votre comité ne doit pas recommander d'étudier davantage la question. Cela s'est vu avec le mariage forcé. Des témoins du Royaume-Uni sont venus dire: « Vous n'avez pas besoin d'étudier ce dossier. Vous avez réuni suffisamment de données empiriques pour savoir que vous devez agir maintenant. » Je crois qu'il en va de même pour ce problème.
Merci.
Merci beaucoup. Tout cela nous sera très utile.
Mesdames, messieurs, comme vous le savez, nous avons pris un peu de retard. Puis-je vous demander de limiter votre temps de parole à quatre minutes? Est-ce que tout le monde est d'accord?
La parole va d'abord à M. Barrett.
Merci, monsieur le président.
Merci à tous les témoins d'être venus aujourd'hui; merci de nous faire profiter de votre point de vue, de vos expériences et de vos conseils.
Madame Sangha, je suis très intéressé par l'idée de mettre l'accent sur l'éducation plutôt que sur l'application de la loi et de discuter sur la place publique.
Vous avez parlé du taux d'affaires classées par les forces policières en ce qui a trait aux crimes haineux en ligne. Mon collègue, M. MacKenzie, a déjà été chef de police, et il m'a rappelé que les policiers classent 100 % des affaires de conduite en état d'ébriété dont ils doivent s'occuper. Même si on exécutait tous les jours un programme comme le Programme R.I.D.E., il nous arriverait tout de même, malheureusement, d'attraper des conducteurs en état d'ébriété.
L'idée de l'éducation me plaît énormément. J'ai posé à quelques-uns des témoins que nous avons reçus il y a quelques semaines des questions sur la possibilité de tenir des discussions publiques et de réunir les groupes, afin que les efforts ne soient pas déployés en vase clos dans les collectivités. Nous avons tous un but commun ici: nous voulons mettre un terme à la haine. Cependant, la haine a migré sur Internet, où elle semble se propager plus rapidement. Alors, nous devons nous attaquer aux causes profondes...
Avez-vous des exemples à nous donner de ce genre d'efforts? Peut-être que votre collègue ou vous-même savez si différents groupes religieux ou ethniques se sont réunis à grande échelle. Ont-ils réussi à obtenir des résultats?
Un exemple serait l'organisme Life After Hate, que M. Galloway a mentionné, je crois. Il y a d'autres groupes similaires qui semblent aussi obtenir de très bons résultats; ils déploient sur le terrain des gens qui eux-mêmes appartenaient à des groupes haineux avant de se convertir et de renoncer à leurs impulsions haineuses. Je veux insister sur ce genre d'efforts éducatifs communautaires, parce qu'ils font participer des gens qui ont une véritable expérience. Ils ont une façon particulière de tisser des liens avec ceux qui voudraient relancer la haine ouvertement, sur Internet ou ailleurs, ou qui préconisent la perpétration de crimes haineux.
Ces groupes offrent la meilleure solution pour lutter contre ce problème. J'aimerais qu'il y en ait davantage.
Monsieur Galloway, dans le même ordre d'idées, qui sont les intervenants qui participent ou assistent aux réunions de ces groupes?
En Alberta, notre organisme voudrait au moins établir divers partenariats avec différents groupes œuvrant dans ce domaine. D'ailleurs, j'ai rencontré des gens, en Colombie-Britannique et en Alberta, qui soutiennent la mise en œuvre de programmes fédéraux de littéracie numérique pour les élèves de la maternelle à la fin du secondaire, d'un bout à l'autre du Canada. Nous devons être prêts à prendre des mesures pour donner de l'information aux jeunes, dès le début, à propos de ce genre de contenu. Nous ne voulons pas attendre qu'ils soient adultes et qu'ils soient exposés à tous les contenus de ce genre, n'est-ce pas?
Je crois que la littéracie numérique au Canada n'est pas assez étendue. C'est l'un de nos plus gros problèmes, selon moi. Nous avons déployé tous les efforts possibles pour mettre en place des projets de mobilisation communautaire, pour mobiliser les districts scolaires de tout...
C'est quelque chose que je fais depuis presque trois ans maintenant, en Colombie-Britannique. J'essaie de travailler avec l'organisme Life After Hate, sur le terrain, pour échanger avec les organismes communautaires et d'autres organisations qui sont des intervenants dans ce domaine.
Dans le système public d'éducation ainsi que dans les autres systèmes d'éducation, ce serait très important de commencer plus tôt à donner des cours sur les religions du monde. Ces cours ne devraient pas être optionnels, mais obligatoires. En particulier, je sais qu'on parle rarement de la religion sikhe dans le système public d'éducation. Les gens ne savent pas que les sikhs forment un groupe religieux distinct. Je ne veux pas dire qu'il faudrait aider ces gens à cibler les groupes qu'ils veulent véritablement atteindre — parce qu'ils ne devraient pas tenter de cibler qui que ce soit —; je veux dire que l'ignorance est un véritable problème, parce qu'il alimente la haine.
Très rapidement, je tiens seulement à dire que vous avez expliqué très clairement ma position. Je crois qu'il faudrait faire participer les groupes ciblés et leur demander d'intervenir dans la discussion, qu'il s'agisse de groupes religieux — peu importe lesquels — ou d'autres groupes marginalisés comme les organismes LGBTQ2+, les organismes féminins ou les groupes de minorités raciales. Je crois que cela nous aiderait énormément à mettre l'accent sur l'éducation plutôt que sur l'application de la loi.
Merci beaucoup de vos réponses.
Merci, monsieur le président.
Madame Konanur, je vais m'adresser à vous d'abord. Je vous remercie énormément du travail incroyable que la SALCO fait dans ma circonscription de Willowdale.
Vous avez dit que nous n'arrivons pas à contrôler la haine sur Internet. Vous avez aussi dit que vous aviez malheureusement reçu des courriels haineux. Pouvez-vous nous dire comment vous avez réagi et si les mesures que vous avez prises ont été efficaces? Je sais que vous aidez d'autres personnes et que vous êtes pleine de ressources. Avez-vous obtenu des résultats en signalant l'incident?
C'est une excellente question, parce que cela concerne l'accessibilité. Étant avocate et directrice exécutive de la South Asian Legal Clinic of Ontario, je peux compter sur tout un éventail de privilèges, ce qui me permet de réagir vigoureusement à ce genre d'incident. Je peux appeler la police, et elle va me répondre. Je peux faire toutes sortes de choses que mes clients, je le sais, ne pourraient pas faire.
J'ai répliqué avec mes propres commentaires. Mais il y a des commentaires qui vous font simplement décrocher. Ce genre d'incident est éprouvant sur le plan émotionnel. Après un moment, vous finissez par baisser les bras et dire: « Je ne vais pas réagir », parce que cela ne fait que créer un effet boule de neige. En vérité, je dirais que la résistance émotionnelle de tous ceux qui font ce genre de travail auprès de ces diverses communautés est usée. C'est évident, pour mes enfants en particulier.
À dire vrai, nous voulions aujourd'hui vous dire qu'il n'y a pas de solutions accessibles. C'est pour cette raison que, selon nous, ces discussions interminables à propos des recours civils, des recours administratifs et des services offerts gratuitement aux gens pour qu'ils puissent combattre ce genre de choses au lieu de faire appel au système de justice pénale, concernent surtout l'accessibilité et l'accès à la justice. Oui, il faut examiner les solutions judiciaires pour combattre la haine ciblant des personnes en particulier, mais nous voulons que vous réfléchissiez également aux causes. Pourquoi est-ce que la haine est acceptée? Nous avons rapidement appris à tolérer la haine en ligne, mais nous pouvons changer cela et faire en sorte que la haine ne soit plus tolérée. Cela prend de la volonté. Il nous faudra de la volonté pour nous tenir debout, parce que ce n'est vraiment pas facile.
Il y a une chose que je n'ai pas eu le temps de dire: il y a deux semaines, en Ontario, une décision judiciaire incroyable a été rendue contre deux activistes antimusulmans qui s'en étaient pris au fondateur de Paramount Fine Foods. Le tribunal civil a tranché en faveur de ce dernier et lui a accordé 2,5 millions de dollars. Cette affaire me fait penser: « Si mes clients avaient eu les ressources nécessaires pour accéder à ce genre de recours civil, imaginez le message que cela enverrait à propos de la responsabilité civile des auteurs de ce genre d'acte. » Nous recevons présentement du financement pour nos causes types, et nous avons aussi un programme pour les contestations judiciaires. Serait-il possible d'élargir ces programmes afin de mener à bien ce genre d'effort, grâce au gouvernement fédéral?
Merci beaucoup de votre réponse.
Monsieur Maharaj, lorsque vous avez parlé de rapports de transparence, vous avez dit que les organismes de médias sociaux devraient être tenus de publier ce genre de rapport. C'est la première fois que j'en entends parler. Pouvez-vous nous fournir plus de détails sur le contenu des rapports de transparence?
Les exigences varient d'une administration à l'autre, mais je crois que l'exemple le plus connu est le code de conduite de l'Union européenne visant à combattre les discours de haine illégaux en ligne. Même si sa nature transnationale limite sa portée, le code exige que les organismes de médias sociaux publient des rapports sur le nombre de demandes reçues, sur le nombre de signalements de discours haineux allégués qui ont été transmis et sur le nombre de ces signalements qui ont été analysés et réglés en 24 heures et moins et en 48 heures et moins ainsi que sur le pourcentage des messages qui, au bout du compte, ont été supprimés.
Je trouve que c'est une excellente initiative. Selon l'un des paramètres utilisés pour mesurer les résultats, la proportion des signalements qui ont fait l'objet d'un suivi, par Facebook par exemple, en 24 heures et moins a doublé en l'espace de seulement quatre ou cinq ans. Cela démontre que, lorsque le public a accès à ce genre de données, les organismes de médias sociaux sont très disposés à renforcer la conformité avec leurs propres règles ainsi qu'avec les lois nationales visant à lutter contre la haine.
Je tiens à préciser cependant que, si le Parlement du Canada décidait de s'engager dans cette voie, il faudrait qu'il y aille à fond: nous avons besoin de plus de transparence et de plus d'information détaillée sur les signalements que reçoivent les organismes de médias sociaux et sur la façon dont ils y réagissent. La plus grande faiblesse de l'approche de l'Union européenne est que les organismes de médias sociaux sont seulement tenus de réagir rapidement aux signalements. Rien ne les oblige à déployer des efforts afin d'y réagir efficacement. En d'autres mots, si une plateforme règle 50 % des signalements en 24 heures et moins, l'Union européenne considère que c'est un bon résultat, même si toutes les analyses sont erronées. Il faudrait prévoir une étape supplémentaire et demander à une tierce partie objective d'analyser un échantillon aléatoire de signalements afin d'examiner non seulement la rapidité du traitement, mais aussi l'efficacité avec laquelle les plateformes réagissent aux signalements. Je crois que ce serait une excellente idée.
Cela soulève des risques en matière de protection des renseignements personnels...
Je suis désolé, mais vous avez largement dépassé votre temps. Nous allons donner la parole à Mme Ramsey.
Merci beaucoup. Il y a une foule de sujets intéressants à aborder, mais je crois que je vais parler d'éducation — vu son importance critique — et du travail que vous faites, monsieur Galloway.
Vous avez parlé de déradicalisation, et de la façon dont la haine en ligne se transpose dans la vie réelle et des véritables répercussions de la haine sur la sécurité des gens.
Je veux discuter d'un sujet que Mme Sangha a abordé. Avant tout, je veux vous remercier de votre appel à l'action. Je l'approuve de tout coeur. Les travaux du Comité doivent donner des résultats solides; nous devons définir des objectifs ambitieux, mais avoir également une incidence sur le terrain.
Vous avez soulevé le fait que, au Canada, bien des gens ont une relation difficile avec la police. Ils ne vont pas voir la police parce qu'ils ne lui font pas confiance et ils ne lui font pas confiance à cause de la façon dont ils ont été traités. Le signalement en ligne est donc très important, selon moi, puisque dans ce contexte, les gens n'ont pas à surmonter cet obstacle ou à subir le racisme et vivre les autres problèmes qui surviennent lorsqu'ils interagissent avec la police. C'est une situation très difficile.
J'ai une question à poser, et je vous demanderais de répondre dans l'ordre suivant: Mme Omer, Mme Konanur, puis Mme Sangha. Voici: De quelle façon devrions-nous structurer ce processus de signalement afin que tous et toutes soient à l'aise de dénoncer un incident? Qui devrait en être responsable? Quels sont vos réflexions à ce sujet?
Je fais partie d'une coalition appelée Justice pour Abdirahman. Nous existons depuis près de trois ans maintenant, et une grande partie de nos activités concernent l'accroissement de la transparence et de la reddition de comptes des services policiers.
Entre autres choses, nous avons réalisé que les membres de nos communautés — des communautés marginalisées ou vulnérables — ne pouvaient pas interagir avec quelqu'un qui fait partie des forces policières.
Notre groupe a recommandé à de nombreuses reprises de créer un groupe civil composé de membres de la communauté, de membres qui ont vécu des interactions négatives avec la police, de particuliers qui ont fait des recherches dans ce domaine et de jeunes hommes noirs qui ont été soumis à la discrimination ou au profilage racial par des agents de police. Ce conseil ou cette entité aurait un rôle et des responsabilités neutres et objectives. Ainsi, les communautés visées par les crimes haineux se sentiraient plus à l'aise de signaler les incidents auprès de cette entité. Elle comprendrait des personnes qui défendent leurs intérêts, comme moi-même, des gens avec qui les victimes peuvent entrer en relation, avec qui elles peuvent tisser des liens en sachant que l'information qu'elles donnent ne sera pas utilisée contre elles.
Il arrive souvent que les membres de notre communauté craignent les représailles. Ils ont l'impression que les services policiers ont accès à leurs renseignements. Ils craignent de se présenter devant des policiers qui disposent de renseignements comme leur adresse ou leur numéro d'immatriculation. Un conseil ou un comité composé de membres de la communauté — un organisme communautaire, donc — pourrait agir à titre d'intervenant afin d'inciter les communautés à faire appel à ses services. Il pourrait leur dire: « Je vais défendre vos intérêts. Je vais être votre agent de liaison, vous pouvez me faire confiance. » Cette partie objective pourrait servir d'intermédiaire entre la communauté et la police pour transmettre de l'information.
Incidemment, cela pourrait créer un lien de confiance entre la police et la communauté si cette dernière voit qu'une entité neutre — cet organisme — peut défendre ses intérêts et jouer un rôle de médiateur. Je crois que cela pourrait aider à tisser des liens de confiance qui n'existent pas présentement entre la police et la communauté.
Je dirais la même chose. Ma dernière demande concernait surtout la mise sur pied d'une entité fédérale qui recueillerait ce genre de données. Le travail de Statistique Canada... Nous avons récemment eu une discussion au téléphone avec Statistique Canada à propos de la collecte d'information sur l'itinérance cachée. Même s'il peut sembler extrêmement difficile de recueillir des données sur ce phénomène, Statistique Canada avait des idées très novatrices sur la façon dont cela pourrait être fait à l'échelle du pays. Donc, si les brillants esprits qui travaillent à Statistique Canada peuvent trouver des façons de recueillir des données sur l'itinérance cachée, je suis sûre, vu le travail incroyable qu'ils font, qu'ils pourront élaborer des mécanismes pour recueillir les données que nous voulons.
Nous ne devons pas nous arrêter à des rapports sur les incidents signalés à la police, parce qu'ils sont loin de rendre compte de la situation réelle. Je crois qu'il serait extrêmement important d'établir une stratégie nationale et de mettre sur pied une entité quelconque, dont un sous-groupe serait chargé d'analyser les données et de publier des rapports sur les données.
Je vais aller très vite.
Vous faites tous un travail formidable. Merci.
Je tiens en particulier à vous remercier, monsieur Galloway, de donner une voix à ceux qui habituellement n'en ont pas.
Madame Konanur, c'est toujours un honneur de recevoir des représentants de la SALCO.
Monsieur Maharaj, je vais reprendre où vous vous êtes arrêté. Je veux dire qu'il est crucial pour les parlementaires de faire preuve de discipline et de bien se comporter en tout temps, pas seulement cette année. Je dois dire que cela me trouble quand des sénateurs du Parlement remettent en question l'existence de la suprématie blanche. Je suis aussi troublé d'apprendre aujourd'hui que des représentants élus avaient l'intention de faire des annonces à propos de notre politique d'immigration devant des hôtels qui ont été la cible d'incendies criminels à Toronto. Je vais m'en tenir à cela.
J'ai une question pour vous quatre à propos de l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ma question va paraître un peu pointue, mais je suis un avocat et j'aime examiner les détails; nous, les avocats, aimons aller au fond des choses.
Auparavant, l'article 13 prévoyait une exception pour les entreprises de télécommunications. Croyez-vous qu'il faut la conserver ou que les entreprises de télécommunications et les plateformes de médias sociaux devraient être tenues de rendre davantage de comptes?
Deuxièmement, pourra-t-on prévenir les contestations fondées sur la liberté d'expression en ajoutant simplement — même si c'est peut-être superflu — une précision pour dire que rien dans cette disposition ne permet d'enfreindre le droit à la liberté d'expression, qui est protégé par la Constitution?
Troisièmement, avons-nous besoin d'ajouter une définition de la « haine »? C'est M. Irwin Cotler, un ancien procureur général, qui l'avait proposé dans un projet de loi d'initiative parlementaire.
Quatrièmement, devrait-on déterminer une sorte de seuil qui permettrait d'établir quels actes haineux sont visés à l'article 13? Cela ne viserait pas les actes isolés, mais plutôt les vastes attaques organisées.
Si vous pouviez tous les quatre répondre à toutes mes questions — ou même à seulement quelques-unes —, ce serait merveilleux. Merci.
J'ai déjà parlé la première plus tôt, et vous allez maintenant me forcer à recommencer. C'est bon, ne vous en faites pas.
Vous avez posé de nombreuses questions. Je les ai toutes écrites.
À propos de l'exception, je ne crois pas qu'il devrait y en avoir une. Selon moi, les plateformes de médias sociaux et les entreprises de télécommunications devraient être tenues responsables au même titre que les personnes. Nous insistons beaucoup sur les personnes qui publient des messages en ligne, et elles doivent être tenues responsables de leurs actes et rendre des comptes, mais cela devrait aussi valoir pour les entités qui sont censées surveiller ce qui est publié, signaler les incidents et recueillir des données à ce sujet puisque, à la lumière d'une grande partie de l'information qui a été donnée aujourd'hui, nous ne savons même pas définir la haine. Je crois que les entreprises de télécommunications devraient accroître leurs efforts de surveillance et qu'elles ne devraient avoir droit à aucune exemption.
En ce qui concerne la définition de la « haine », j'ai ma définition. Je doute que tout le monde ait la même. Comme être humain, je dirais que la haine, pour moi, c'est quand une personne me regarde et me dit que je lui suis inférieure parce que je suis musulmane et que je suis noire. Comme être humain, c'est ce que je ressens, mais pour décrire la haine d'une façon que tout le monde pourrait comprendre, je dirais — et je l'ai écrit — que la haine repose sur la destruction. La haine contre des groupes identifiables, donc, se nourrit d'insensibilité et de sectarisme et suppose la destruction autant du groupe ciblé que des valeurs de notre société. Dans ce contexte, la haine est la plus dangereuse des émotions, parce qu'elle nie la raison. Elle est dirigée contre les membres d'un groupe identifiable et commande le mépris et le rejet de ces personnes en soutenant qu'elles n'ont pas le droit au respect et qu'elles doivent être maltraitées.
Voilà ma définition. Je crois que cela reflète le côté humain de la question, mais aussi, je pense, le côté législatif, puisque les mots ont de l'importance. La haine et les crimes haineux commencent toujours par des mots.
Je crois qu'une définition de la haine serait un élément clé. Je vous remercie de poser cette question.
Il ne vous reste qu'environ 15 secondes, monsieur Virani. Si quelqu'un d'autre a un bref commentaire à faire, ce serait parfait.
Je vais répondre très rapidement à l'une de vos questions: vous avez demandé s'il devrait y avoir un seuil, advenant le rétablissement de l'article 13. Je répondrais: absolument. Laissez-moi vous redonner les chiffres que j'ai réunis. Chaque seconde qui passe, on publie 6 000 gazouillis et 521 000 messages sur Facebook. Aucun tribunal, aucun organisme quasi judiciaire, ni aucune procédure judiciaire ne pourraient traiter même en rêve le raz-de-marée de plaintes que génère ce degré d'activité.
Si l'article 13 est remis en vigueur, ce devrait être pour établir un précédent ou pour une affaire qui ne peut pas et ne devrait pas être raisonnablement traitée par les plateformes de médias sociaux elles-mêmes.
Vous avez proposé d'ajouter un énoncé général à la fin pour préciser que la disposition ne limite pas la liberté d'expression; je ne crois pas que ce soit nécessaire. La Cour suprême a déjà été claire à ce sujet: aucune de nos libertés n'est absolue; elles doivent toujours rester dans la limite du raisonnable.
Je ne crois pas que nous devrions diluer l'article 13 avec cet ajout.
Je veux remercier tous les témoins. Encore une fois, vos commentaires nous ont été incroyablement utiles. Nous tiendrons compte de la diversité des groupes que vous représentez, de vos opinions et de vos expériences quand nous rédigerons notre rapport. Merci beaucoup.
Nous allons poursuivre la séance à huis clos. Je demanderais à tout le monde de bien vouloir quitter la pièce d'ici deux ou trois minutes. Nous allons prendre une courte pause.
[La séance se poursuit à huis clos.]
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