JUST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent de la justice et des droits de la personne
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 26 avril 2018
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Bon après-midi à tous.
Je suis ravi de vous accueillir à cette réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne alors que nous entamons notre étude du projet de loi C-375, Loi modifiant le Code criminel (rapport présentenciel).
C’est également un plaisir d’accueillir M. Majid Jowhari, le parrain de ce projet de loi.
Bienvenue à vous, M. Jowhari.
Bienvenue à vous.
Monsieur Ehsassi, au nom de tous les membres de notre comité, je tiens à faire part de nos condoléances les plus sincères aux résidents de votre circonscription à la suite des pertes tragiques dont ils ont été victimes il y a quelques jours avec cette série de meurtres incompréhensibles. Ces condoléances s’adressent également à tous les Torontois.
Monsieur Jowhari, vous allez être le premier à prendre la parole sur le projet de loi qui nous est soumis. Vous disposez d’une dizaine de minutes pour nous expliquer pourquoi nous devrions tous nous dépêcher de voter en sa faveur. La parole est à vous.
Je vous remercie, monsieur le président.
Permettez-moi de commencer par reprendre à mon compte les condoléances que le président a présentées à M. Ali Ehsassi à la suite du drame survenu à Willowdale. Nous pensons à ceux et celles qui ont perdu la vie et prions pour eux, et pour ceux qui ont été blessés dans cette tragédie. Nous félicitons les premiers répondants qui ont fait un travail extraordinaire, ainsi que M. Ehsassi qui s’est rendu dans sa circonscription pour se mettre à la disposition de ces personnes.
Cela dit, je souhaite bonne journée à tous, membres du Comité et collègues. C’est un privilège d’être ici aujourd’hui.
Pour commencer, je vous rappellerai qu’un Canadien sur cinq sera directement confronté à un problème de santé mentale dans le cours de son existence. Quatre sur cinq seront touchés de façon indirecte. Les répercussions économiques des problèmes liés à la santé mentale sont évaluées à 50 milliards de dollars par année, et ce montant ne cesse d’augmenter. Nous savons que certains groupes de la population canadienne sont vulnérables à ces problèmes, mais aussi que la maladie mentale peut toucher tous les Canadiens, indépendamment de leur âge, de leur sexe ou de leurs antécédents. C’est pourquoi une large gamme d’intervenants demande avec insistance des changements réels en la matière.
Ce projet de loi tient compte de ce que j’ai entendu sur le terrain dans ma circonscription, des témoignages de divers groupes qui font la promotion de la santé mentale, comme le Centre communautaire d’hygiène mentale, l’Association canadienne pour la santé mentale et l’Initiative communautaire en santé mentale, et de ce que j’ai appris lors des mes propres recherches et en présidant le caucus sur la santé mentale. J’ai également tenu compte des témoignages des travailleurs de première ligne, des organismes de recherche et, plus important encore, j’ai tiré les leçons des visites que nous avons faites l’an dernier au centre Ray of Hope et à l’Établissement pour femmes Grand Valley.
Comme je l’ai indiqué précédemment, c’est également une priorité de mes électeurs dans Richmond Hill qui, depuis que j’ai été élu, m’ont souvent fait part de leurs préoccupations concernant la dynamique entre le système de justice pénale et la santé mentale.
Au Canada, 10 % de la population a des symptômes de maladie mentale. Vingt-cinq pour cent des jeunes connaîtront des problèmes de santé mentale en faisant la transition vers l’âge adulte. Ils seront particulièrement vulnérables entre les âges de 18 et 24 ans. Cette population vulnérable est largement surreprésentée dans notre système carcéral et des études ont montré que la majorité des jeunes prisonniers ont des problèmes de santé mentale.
D’après la Commission de la santé mentale du Canada, seulement 20 % des jeunes ont accès aux services de santé mentale dont ils ont besoin. Nous devons affirmer très clairement que les besoins en services de santé mentale sont aussi nécessaires que ceux de n’importe quel autre service médical. Une personne privée de ces services risque d’être pénalisée pendant le reste de sa vie.
Dans son rapport annuel de 2012, l’enquêteur correctionnel a constaté que 36 % des délinquants qui se trouvent dans les prisons fédérales étaient étiquetés comme ayant besoin d’un suivi psychiatrique ou psychologique. Quarante pour cent des prisonniers et 69 % des prisonnières étaient traités pour des problèmes de santé mentale pendant leur séjour en prison.
Le projet de loi C-375 modifierait l’alinéa 721(3)a) du Code criminel pour exiger, sauf indication contraire du tribunal, que les rapports présentenciels commandés par les tribunaux comprennent, outre les renseignements usuels comme l’âge, le degré de maturité, le caractère, le comportement du délinquant et son désir de réparer le tort, des renseignements sur les « troubles mentaux dont souffre le délinquant, ainsi que les programmes de soins de santé mentale à sa disposition ».
Comme le projet de loi C-375 a déjà été adopté par la Chambre, les débats à cette occasion ont permis d’exprimer toute une gamme d’opinions sur son contenu dans sa forme actuelle. Certains se sont interrogés sur la nécessité d’un tel projet de loi et d’autres ont estimé qu’il n’allait pas assez loin. Je suis ravi de cette occasion d’aborder ces préoccupations, et je suis curieux de voir quels amendements vous pourriez proposer.
Actuellement, lors des procédures présentencielles, les tribunaux ne sont pas tenus de prendre en compte les antécédents en santé mentale d’une personne alors qu’ils doivent tenir compte de facteurs nébuleux et subjectifs comme le caractère. Comme le projet de loi C-375 garantit que les renseignements pertinents seront pris en compte lors de l’étape présentencielle, une personne ayant des antécédents en santé mentale se verra fournir les soins et les traitements qui conviennent pendant l’administration de la justice et pendant sa réhabilitation.
À long terme, ce projet de loi nous fournit l’occasion de vraiment faire un pas en avant, de diminuer le taux des récidives, d’améliorer la réhabilitation et d’atténuer encore davantage la stigmatisation de la maladie mentale. À court terme, il aura des retombées immédiates sur la qualité de vie dans nos prisons, ainsi que sur l’efficacité des services dans l’administration de la justice et la réhabilitation des populations vulnérables.
Quelle que soit la condamnation imposée à une personne, notre système juridique a intérêt à être pleinement informé des problèmes de santé mentale du condamné. Lorsque cette information est inscrite dans le rapport présentenciel, il est possible de prendre pleinement en compte les influences réciproques de la santé mentale et des conditions d’incarcération. Le fait de disposer rapidement de l’information sur la santé mentale peut s’avérer précieux quand on envisage une solution aussi drastique que l’isolement cellulaire ou au moment de choisir l’établissement qui permettra d’offrir les services de santé mentale les mieux adaptés à un détenu donné.
En veillant à ce que les préoccupations en matière de santé mentale soient prises en compte dans ces décisions, nous pourrons réduire les tensions subies par les agents correctionnels tout en instaurant un milieu dans lequel les causes de réactions incendiaires seront atténuées. Cela favorisera aussi, à long terme, la réduction des récidives. Cela peut s’avérer tout particulièrement utile lorsqu’on envisage des peines d’emprisonnement avec sursis ou lorsqu’il s’agit d’instaurer des conditions de réintégration efficace après la libération.
Le fait de disposer de renseignements sur la santé mentale à toutes les étapes du processus fera que les condamnations seront moins susceptibles d’être renversées en appel, ce qui fera économiser du temps et de l’argent à notre système judiciaire et soulagera les coûts totaux et la charge de travail imputables aux problèmes de santé mentale. Nombreux sont les députés qui n’ont pas la chance de voir leur projet de loi d’initiative parlementaire se rendre jusqu’à la Chambre, et a fortiori être étudié en comité. Je suis fier de ce projet de loi qui vous est soumis aujourd’hui, mais vous devez savoir que c’est le résultat de compromis. Un projet de loi d’initiative parlementaire est le moyen le plus direct par lequel un député peut directement modifier des choses au nom de ses électeurs, et ce texte est également un outil pour approfondir la discussion sur cette question.
J’aurais aimé que ce projet de loi ait une portée plus large, mais je crois que la solution équilibrée à laquelle je suis parvenu a donné un texte qui fera un bien tangible dans la vie des Canadiens, tout en recueillant un appui marqué sous le sceau du bon sens auprès de toutes les parties. De la même façon, je suis tout à fait prêt à collaborer avec le Comité pour l’étudier à nouveau et pour, éventuellement, renforcer ce projet de loi au moyen d’amendements. Je suis d’avis que, dans sa forme actuelle, ce texte peut servir de base à une discussion fructueuse.
En conclusion, j’aimerais rappeler aux membres de ce comité que la relation entre les soins en santé mentale et notre système de justice criminelle est complexe, dynamique et en évolution. Pour permettre à un juge de tirer parti de ces informations, il faut dans tous les cas lui fournir l’information pertinente. Pour régler cette situation complexe, il faudra plus qu’un simple projet de loi d’initiative parlementaire, et je ne prétends en aucune façon que le projet de loi C-375 réglera tout à lui seul.
Je vous remercie de m’avoir permis de vous présenter ce projet de loi. Je tiens également à remercier M. Glenn Bradbury dont l’apport a été très efficace pour amener ce texte à cette étape.
Monsieur le président, chers collègues, je suis maintenant prêt à répondre aux questions que vous pourriez avoir.
Merci beaucoup.
Je vous remercie, monsieur Jowhari, d’être venu nous présenter ce projet de loi. Merci également de nous avoir précisé que vous étiez prêts à étudier des amendements qui permettraient de renforcer ou de clarifier ce projet de loi. Nous y sommes sensibles.
Je suis ravi de constater, et nous vous en sommes tous reconnaissants, que vous vous êtes intéressés à la santé mentale dans son ensemble. Le chemin que nous avions à parcourir en la matière était long, même au sein de notre régime de justice pénale. Lorsque j’étais enfant, on me disait que la dernière chose que quelqu’un voudrait était de plaider coupable pour pour cause d’aliénation mentale parce que la conséquence en était que vous alliez être incarcéré pendant le reste de vos jours. On disait à l’époque que la décision relevait de la discrétion du lieutenant-gouverneur. Cela n’est plus vrai, mais nous avons quand même eu un long chemin à parcourir.
L’une des questions qui se posent à nous maintenant est que l’actuel ministre de la Justice a annoncé à plusieurs occasions vouloir accélérer le processus, faire avancer le système juridique pour éliminer les engorgements, afin que les retards n’entraînent pas l’abandon des poursuites.
Les rapports présentenciels sont utilisés très couramment dans notre système de justice pénale. Comme vous l’avez rappelé, certains de ces rapports contiennent des renseignements comme l’âge, les antécédents et le dossier judiciaire des personnes. D’après votre analyse, l’ajout de cette obligation de renseignements sur la santé mentale dans le rapport présentenciel aura-t-il pour effet de ralentir notre système juridique, qui n’a pas vraiment besoin qu’on lui donne un coup de frein.
Tout d’abord, il faut que vous sachiez que, dans la plupart des cas, le système judiciaire tient déjà compte de la santé mentale de la personne condamnée. Ce projet de loi ne fait donc que codifier une pratique déjà largement répandue.
En ce qui concerne la surcharge des tribunaux ou l’allongement de la durée des procès, ce sont des questions qui n’ont pas fait surface dans nos discussions ni dans notre étude. Encore une fois, ce texte ne fait que codifier une pratique déjà en vigueur pour en faire une norme.
Toutefois, ces renseignements ne figurent pas dans tous les rapports présentenciels. Ils ne comportent pas tous une analyse des problèmes de santé mentale. Cela ne se fait que sur demande ou lorsque le tribunal juge ce besoin évident. Avec votre projet de loi, ces renseignements devraient être inscrits dans tous les rapports présentenciels, et cela ferait sûrement grimper le nombre de…
Oui, on peut certainement prétendre que cela entraînerait une augmentation… mais ces informations figurent déjà dans la majorité des rapports présentenciels et la majorité des juges exige déjà ce type d’information, comme je vous l’ai déjà dit. Il s’agit, pour l’essentiel, de codifier une pratique déjà en vigueur.
Je crois que cela se traduirait par une augmentation de la charge de travail des professionnels en santé mentale, des spécialistes en la matière, des médecins et de tous les autres intervenants. Pensez-vous que les provinces sont prêtes à faire face à cette augmentation?
Ces professionnels doivent déjà, dans la plupart des cas, produire ces rapports. Lorsque nous avons étudié comment les choses se déroulent au sein des divers services correctionnels, nous avons appris que lorsqu’un besoin de services en santé mentale est détecté pendant l’incarcération, la province en est informée. Les provinces pourraient, éventuellement, analyser cette question. En réalité, c’est un problème de compétence. Avec ce projet de loi, nous tentons de nous assurer que deux choses se produisent: la première, comme je l’ai déjà dit, est que les renseignements sur la santé mentale de la personne qui va être condamnée figurent dans le rapport présentenciel et, la seconde, qu’on inscrive la personne aux programmes dont elle a besoin pour lui permettre de réintégrer avec succès la société et, bien sûr, que ces programmes soient disponibles.
Permettez-moi de formuler des hypothèses. La documentation qui nous a été remise énumère un certain nombre de types de troubles mentaux. On y fait état de l’agoraphobie, de l’anorexie, du trouble bipolaire, du jeu pathologique, du trouble panique, des phobies, du trouble de stress post-traumatique, de la toxicomanie et de l’alcoolisme, pour n’en nommer que quelques-uns.
Vous paraît-il possible que, peu importe ce qui se trouve dans le rapport, il puisse fort bien ne pas couvrir tous les aspects des maladies mentales, et cela pourrait sans aucun doute justifier d’interjeter appel. Si, par exemple, il y a bien un rapport présentenciel et qu’il ne fait pas état de certains aspects des maladies mentales, peut-être parce que les médecins et les autres professionnels n’ont pas détaillé toutes les possibilités, on peut fort bien imaginer que cela contribuerait à justifier un appel. C’est ainsi que la personne concernée pourrait avoir souffert d’autres maladies mentales qui n’auraient pas été prises en considération. L’indiquer deviendrait maintenant une obligation.
Oui. Le domaine de la santé mentale évolue sans cesse. Nous découvrons de nouvelles méthodes et de nouveaux outils pour y faire face, et également de nouvelles pathologies. C’est pourquoi la formulation du texte du projet de loi est inclusive pour permettre de tenir compte des nouvelles pathologies et également pour cerner de nouvelles approches.
Il se peut fort bien que, 10 ans auparavant, dans un cas donné, on se soit contenté de prescrire des médicaments. De nos jours, on fait peut-être maintenant faire appel à diverses approches cognitives et thérapeutiques en mesure d’aider à résoudre la situation.
Je vous répète donc que nous nous sommes efforcés de rédiger ce projet de loi en utilisant des formulations inclusives, afin de permettre de tenir compte de l’évolution des sciences de la santé mentale et des nouvelles façons de mettre en œuvre les services offerts.
Je tiens à vous remercier, monsieur Jowhari, d’avoir déposé cet important projet de loi et de comparaître devant notre comité afin de nous aider à comprendre un peu mieux ce dont il s’agit. Je sais que, par le passé, dans votre fonction de député, vous avez fait de l’excellent travail sur des questions de santé mentale, et je vous en félicite. Vous vous êtes attaqués à une question importante et je crois que toutes les personnes présentes constatent que vous avez fait là de l’excellent travail.
L’article 718 du Code criminel énonce les principes de détermination de la peine. Bien évidemment, il importe de dénoncer les infractions, ou de dissuader les autres personnes de commettre ces infractions. Cependant, l’alinéa d) de cet article rappelle que l’un des objectifs est de « favoriser la réinsertion sociale des délinquants » et de s’assurer qu’ils obtiennent l’aide dont ils ont besoin afin qu’il soit peu probable qu’il commet d’autres infractions, ce qui contribuera, à l’avenir, à la protection de la société.
Pensez-vous que votre projet de loi va contribuer à la réhabilitation des délinquants?
Je crois que ce projet de loi contribuera dans une large mesure à assurer l’accès à ces programmes. Je suis d’avis que la personne incarcérée pendant la durée de sa peine devrait avoir la possibilité de suivre ces programmes. L’objectif de ceux-ci est de prendre soin de la santé mentale de la personne et de la stabiliser.
Je crois qu’en procédant de cette façon nous pourrions nous assurer de réduire la fréquence des comportements inadaptés. Cela suppose qu’on réponde aux besoins de la personne, et que nous mettions à sa disposition un environnement lui permettant de réintégrer réellement la société, et de réduire ainsi les risques de récidive.
Très bien.
Je sais pour avoir pratiqué le droit en Nouvelle-Écosse que, dans les cas de troubles mentaux, on en faisait pratiquement toujours état dans le rapport présentenciel. Je dirais que, par de nombreux côtés, c’est en vérité la normalisation d’une bonne pratique pour s’assurer que le tribunal dispose d’une vision complète des conditions de vie du délinquant présent pour le prononcé de sa sentence.
Êtes-vous d’accord et pensez-vous qu’il est important de s’assurer que les agents de probation prennent effectivement compte de tout trouble mental affectant le délinquant afin de donner une vision complète de sa situation lors du prononcé de la sentence?
Je suis d’accord et je vous remercie de le formuler ainsi sur la foi de votre expérience.
Lorsque nous faisions notre étude, on nous a constamment dit que, dans la plupart des cas, les rapports présentenciels contenaient des renseignements sur l’état de santé mentale de la personne. Toutefois, ce qui n’était pas inscrit systématiquement dans ses rapports était les programmes nécessaires pour s’assurer que la personne bénéficie des traitements dont elle a besoin. Il n’y était pas non plus toujours indiqué à quel établissement cette personne devait être affectée pour pouvoir bénéficier de ces services. Lorsque nous avons visité certains des établissements pénitentiaires, nous avons constaté que pour assurer ces services, certains d’entre eux devaient faire appel à des psychiatres ou à des psychologues de l’extérieur alors que d’autres disposaient des ressources internes pour offrir ses services.
Si nous prenons un peu de recul, ce que nous faisons ici en réalité est de normaliser ou de codifier un processus qui existe déjà, dans la plupart des cas, tout en le modifiant et en le renforçant pour nous assurer que ces programmes et ces services seront aussi dispensés. L’objectif premier est ici d’aider les personnes à réintégrer efficacement la société.
En règle générale, l’accusé ou son avocat est favorable à la préparation d’un tel rapport, ou même la demande, afin de donner une vision complète des conditions de vie de l’accusé lors du prononcé de sa sentence. Ce n’est cependant pas toujours le cas et le tribunal peut exiger de lui-même la production d’un rapport présentenciel, ou le procureur de la Couronne peut le demander malgré les objections de la partie adverse.
Si, par exemple, un accusé ne voulait pas, pour quelque raison que ce soit, que le tribunal prenne connaissance de détails sur sa santé mentale, et que seul son consentement permette d’obtenir les détails en question, y aurait-il un problème de confidentialité lorsque le tribunal prend connaissance desdits renseignements? Si c’est le cas, y a-t-il une façon de remédier à ce problème?
Au mieux de ma connaissance et en me fiant aux recherches que j’ai faites, la personne qui va être condamnée n’est pas tenue de divulguer ces renseignements si elle ne souhaite pas que nous en prenions connaissance. Je dirais donc que l’agent de probation ou la personne qui prépare le rapport présentenciel devra alors faire de son mieux pour recueillir l’information et s’assurer que les programmes nécessaires sont mis à la disposition du délinquant.
Cela me paraît la chose prudente à faire par ce que si une personne cache un état grave ou ne se sent pas à l’aise pour en parler, lors de son incarcération, elle peut se trouver dans des situations où la santé mentale pose problème. Il faudra alors reprendre son dossier et en faire une analyse sérieuse.
Mais, bien évidemment, l’accusé ne serait pas tenu de consentir à ce que cette information soit fournie.
Je poursuis simplement dans les deux veines de questions. M. Nicholson s’est demandé si l’obligation de fournir ces informations, ou de les ajouter au rapport présentenciel, pourrait accroître la charge de travail, etc. Dans les études antérieures sur l’état de notre système de justice, je crois que nous avons tous pris conscience qu’il n’existe pas de solution simple pour corriger la situation. C’est un problème aux nombreuses facettes. Il nécessitera de nommer un plus grand nombre de juges et également de consacrer des ressources importantes au système judiciaire.
En vous préparant à présenter ce projet de loi, et je sais que vous y avez mis beaucoup d’énergie et que vous avez beaucoup consulté, avez-vous pris en compte que l’administration de la justice relève des gouvernements provinciaux? Avez-vous obtenu des réactions officielles de ces gouvernements sur les effets de votre texte sur la charge de travail de leurs administrations, etc.?
Est-ce que j’ai précisément demandé et obtenu des réactions des provinces? La réponse est non. Nous avons considéré que la détermination de la peine n’est qu’un élément de l’ensemble de la procédure judiciaire. Ensuite, nous avons examiné la situation de la personne évoluant dans ce système jusqu’au moment de sa réhabilitation et de sa réintégration dans la collectivité.
Nous pensons que si le fait de recueillir des renseignements additionnels et de consulter davantage alourdit le système, à long terme, cela permettra par contre de réduire le nombre de récidives, d’assurer une intégration plus efficace dans la collectivité et de réduire les possibilités d’appel.
Je crois que, dans l’ensemble, les coûts et les répercussions sur notre système seront faibles, même si nous devrons pour cela veiller à renforcer certains de ces éléments pour nous assurer que les coûts globaux, la durée totale et l’ensemble des retombées sont beaucoup plus…
Oui. Vous pourriez donc devoir encourir des coûts initiaux, mais si les autres employés du système judiciaire, comme les agents de probation, les shérifs et les agents correctionnels eux-mêmes, savent qu’une personne est victime d’un certain type de troubles, ils peuvent avoir recours à des soins personnalisés et, au bout du compte, le système…
Tout à fait. Si une personne a un problème de santé mentale, qu’elle souffre par exemple de dépression ou d’anxiété, et que les circonstances font par la suite qu’elle est placée en isolement cellulaire, les études ont montré que cela peut la conduire au suicide ou à avoir des conflits avec le personnel. En soi, cela entraînera des coûts additionnels et des pressions beaucoup plus fortes sur le système pour faire face à ce type de situation. Une fois encore, le fait de recourir à ces dispositions et de s’assurer que, pendant ce processus, les intervenants de tous les paliers connaissent la situation de la personne et savent quels sont les points à prendre en compte, permettra, à long terme et dans l’ensemble, non seulement d’économiser de l’argent, mais également d’améliorer la capacité de la personne à réintégrer la société.
Il faut garder à l’esprit que l’objectif global de tout ceci est de parvenir à un équilibre entre la peine à imposer à une personne qui a commis des actes répréhensibles, pour lesquelles elle doit être punie, et la mise à disposition pour cette personne d’un milieu qui lui permettra effectivement de réintégrer la collectivité, parce que nous ne voulons pas qu’elle récidive.
Oui. Je crois que nous oublions trop souvent qu’il s’agit d’un service correctionnel. Nous essayons de corriger le comportement des personnes parce qu’elles ne vont pas rester indéfiniment dans un établissement pénitentiaire et nous voulons nous assurer que, lors de leur libération, elles se réintégreront bien dans la société.
Lors de vos séances de travail avec les rédacteurs de ce texte, avez-vous discuté ou débattu de l’importance des termes « troubles mentaux » et « maladie mentale »? L’emploi de l’un ou de l’autre aura-t-il des répercussions juridiques lors de l’interprétation de cet alinéa?
Mettre en évidence les distinctions entre ces deux expressions est assez habile de votre part. Oui, nous avons hésité entre elles en voulant nous assurer d’utiliser la bonne terminologie. Dans mon discours, j’ai alterné volontairement entre « maladie mentale » et « problème de santé mentale ». Je suis convaincu que le Comité va vouloir en discuter et que vous allez entendre d’autres spécialistes à ce sujet. J’espère que vous recevrez aussi des témoins du ministère qui vous parleront de la terminologie qu’il convient d’utiliser.
Ce projet de loi ne cherche pas à jouer avec la terminologie. En fin de compte, je serais tout à fait satisfait que vous utilisiez « maladie mentale », « problème de santé mentale » ou encore « difficultés de santé mentale » pourvu que nous fournissions à la personne la possibilité de bénéficier réellement des programmes et des services dont elle a besoin pour l’aider à réintégrer la société et à se reprendre en main plus rapidement, tant que ces mesures d’adaptation seront disponibles. En vérité, c’est là l’objectif du projet de loi.
Merci, monsieur le président, et merci à vous, monsieur Jowhari pour votre projet de loi.
Je pense que je vais suivre la ligne de questions, parce que ce sont d'excellentes questions.
Je m'intéresse plus particulièrement aux difficultés qu'éprouveront les agents de probation pour déterminer si un problème de santé mentale ou des troubles mentaux existent, et comment l'établir. J'ignore si un accusé en particulier pourrait présenter des caractéristiques évidentes de troubles. Je pense que ma question vise à déterminer comment l'agent de probation saura s'il doit inclure ou non des renseignements sur les troubles mentaux et sur les programmes de thérapie.
C'est une question que nous avons aussi examinée de près. Comme je l'ai mentionné, il faut se rappeler que nos études et nos discussions ont montré que, dans la majorité des cas, soit l'accusé, le tribunal ou le juge demande l'inclusion dans le rapport présentenciel de renseignements sur la santé mentale ou les troubles mentaux de la personne.
Le but visé avec ce projet de loi n'est pas de déterminer ou de prévoir comment ou dans quelles circonstances l'agent de probation doit se procurer ces renseignements. Cela fait déjà partie de ses attributions et de son champ de compétence. Le projet de loi vise à faire en sorte de codifier une pratique qui existe déjà. Dans les cas où l'agent de probation pourrait avoir besoin de formation, ou envisager d'en obtenir, je suis persuadé que les provinces ou le système judiciaire se pencheront sur les moyens de répondre à ces besoins.
Comme vous l'avez mentionné, rien ne dit comment il se procurera ces renseignements, mais en exigeant leur production, je crois que l'on impose à l'agent de probation la responsabilité de les trouver.
De quels outils dispose l'agent de probation pour savoir quels pourraient être les problèmes? Si l'accusé n'est pas intéressé ou disposé à fournir librement ces renseignements, je ne vois pas comment l'agent de probation pourrait obtenir ces renseignements. Si l'agent de probation constate l'existence de problèmes, quelles mesures peut-il prendre pour obtenir les renseignements qu'il est maintenant tenu de fournir?
À mon avis, il faut d'abord déterminer l'existence d'un fondement juridique.
Je serais enclin à répéter que, dans le contexte actuel, les agents de probation déterminent déjà l'existence de ces problèmes et peuvent compter sur un processus pour repérer des personnes compétentes et leur demander des renseignements. Je ne pense pas que l'intention de ce projet de loi soit de déterminer avec précision à qui s'adresser ou quelle formation ou quels programmes il faut suivre pour être qualifié pour déterminer la santé mentale d'une personne.
La personne, dans le cadre du système global, pourrait être formée ou pourrait demander de l'assistance. Toutefois, c'est mon point de vue personnel.
Est-ce que le fait que des renseignements sur la santé mentale de l'accusé aient été absents du rapport présentenciel, mais que l'on se soit aperçu ultérieurement qu'ils auraient dû y être mentionnés, et que s'ils l'avaient été, la peine aurait pu être différente, est-ce que cette situation pourrait justifier une décision d'aller en appel?
J'insisterais sur le fait que l'on peut être légitimement autorisé à aller en appel si les troubles sont établis, et si la personne qui purge une peine souhaite revenir devant la cour et porter un jugement en appel. Pour ce qui est de l'incidence sur la peine, cet aspect ne s'inscrit pas dans la portée de ce projet de loi. Je pense que notre magistrature est parfaitement en mesure d'en tenir compte, et qu'elle serait en mesure de prendre cette décision.
J'aborde cette question du point de vue d'un profane. N'étant pas avocat, j'ignore comment tout cela fonctionne.
Très bien, nous sommes en bonne compagnie, alors.
Il me semble qu'en introduisant l'obligation d'inclure ces renseignements dans le rapport, on ouvre une toute nouvelle voie d'appel si le jugement est rendu à la lumière de ce qui se trouvait effectivement dans le rapport.
Sauf indication contraire, comme c'est indiqué dans le projet de loi, et comme je l'ai déjà mentionné, il n'est pas obligatoire pour l'accusé en attente de jugement de fournir volontairement ces renseignements. L'obligation de déterminer la présence de troubles mentaux ou de décrire la santé mentale de l'accusé revient à l'agent de probation qui prépare le rapport, afin que le juge puisse en tenir compte dans sa décision.
Effectivement, l'obligation de fournir ces renseignements revient à l'agent de probation, mais l'agent de probation ne dispose pas nécessairement des outils nécessaires pour les obtenir ou pour étudier le dossier afin de déterminer si les renseignements sont pertinents ou pas.
Je vais revenir au point que j'ai déjà mentionné. Nous avons étudié la question, et en sommes venus à la conclusion que bon nombre d'agents de probation et de juges posent déjà la question, donc il s'agit simplement de codifier ou de normaliser le processus.
Maintenant, nous allons passer à des questions plus courtes, donc à des réponses plus courtes, s'il vous plaît, et des questions plus courtes.
Monsieur Cooper.
Merci, monsieur Jowhari.
J'ai deux ou trois questions très courtes. Je vais toutes vous les poser, et vous pourrez répondre à toutes en même temps.
Premièrement, pour revenir à la question de M. MacGregor sur la formulation de « troubles mentaux » et de « maladie mentale », je ne suis pas sûr d'avoir bien compris, d'après votre réponse, les raisons pour lesquelles vous avez opté pour « troubles mentaux » plutôt que pour « maladie mentale ». Si vous pouviez me fournir plus de précisions, ce serait très apprécié.
Deuxièmement, est-ce pertinent dans tous les cas? Vous dites que les juges demandent un rapport présentenciel, et que ce rapport fait état de la santé mentale ou du bien-être mental de la personne qui est déclarée coupable, mais dans les cas où il n'existe aucune preuve de l'existence d'un problème de santé mentale, un juge userait probablement de son pouvoir discrétionnaire et n'exigerait pas que ces renseignements soient inclus. Je sais que votre parti parle souvent de la discrétion des juges de rendre une décision. Pourquoi dans ce cas précis voudrions-nous enlever ce pouvoir discrétionnaire aux juges?
Je vous remercie de votre question sur la maladie mentale et les troubles mentaux. Dans le cadre de discussions générales, tout le monde — les profanes et les personnes comme moi — utilisait le terme « maladie mentale ». Mais lorsqu'il s'agit de modifier un texte de loi, et plus particulièrement, le Code criminel et le système de justice criminelle, on nous a conseillé d'utiliser plutôt « troubles mentaux » parce que cette expression a une plus grande portée que « maladie mentale » et laisse une plus grande marge de manoeuvre dans l'hypothèse où l'on repérerait de nouveaux cas. Ces cas pourraient être englobés dans la terminologie des « troubles mentaux » qui ont un lien avec... Comme je l'ai mentionné, cette obligation intervient, « à moins d'indication contraire ». Si le juge décide que ce n'est pas pertinent, je dirais que l'agent de probation doit avoir étudié le dossier, et déterminé que les problèmes de santé mentale ou les troubles mentaux ne sont pas pertinents dans l'affaire et, pour cette raison, il n'est donc pas nécessaire de fournir des services à cet effet.
Toutefois, la majorité des indications qui ressortent des études qui ont été réalisées révèlent que bon nombre de personnes, et surtout les jeunes âgés de 18 à 24 ans dont les causes sont traitées par l'appareil judiciaire présentent effectivement des problèmes liés à la maladie mentale ou aux troubles mentaux.
Merci.
Monsieur Jowhari, j'ai un suivi à la question de M. Cooper. Auriez-vous des objections à ce que l'on ajoute dans le projet de loi un libellé qui dirait ce qui suit « les renseignements qui sont importants lors de la détermination de la peine », autrement dit que l'obligation n'entre en jeu que lorsque la santé mentale ou les troubles mentaux sont importants lors de la détermination de la peine?
Comme je l'ai déjà dit, je suis très ouvert aux suggestions ou à l'idée d'apporter des modifications susceptibles de clarifier ou de renforcer le projet de loi. Si le Comité est d'avis que l'inclusion de cette formulation renforcerait le projet de loi, permettrait de clarifier certaines des questions qui me sont posées ici, améliorerait l'efficacité de l'appareil judiciaire et faciliterait la réadaptation des délinquants, je suis tout à fait d'accord.
J'ai un autre suivi à l'autre question de M. Cooper. Pourriez-vous m'expliquer la différence entre troubles mentaux et problème de santé mentale? Est-ce que « problème de santé mentale » est plus général que « troubles mentaux », qui à son tour est plus général que « maladie mentale »?
Il faudrait tenir une discussion beaucoup plus poussée pour pouvoir répondre.
Selon moi, la maladie mentale correspond à une affection qui a été reconnue cliniquement, et que l'on s'efforce de traiter, comme l'anxiété ou la dépression. Quant aux « troubles mentaux », ils s'insèrent dans une catégorie plus large. Et peut-être que certains cas peuvent se transformer en maladie mentale.
J'ai oublié la deuxième partie de votre question?
Je vous demandais de nous expliquer la différence entre « problème de santé mentale », « troubles mentaux » et « maladie mentale. Quel terme a le sens le plus large, et quel terme a le sens le plus étroit?
Votre état de santé mentale pourrait être excellent, ou encore vous pourriez souffrir d'un problème de santé mentale aux premiers stades, ou aux derniers stades avant la maladie mentale. C'est un peu comme ça que je le comprends. C'est de cette manière que je voyais les choses.
Merci, monsieur le président.
Monsieur Jowhari, merci de votre présence. C'est un enjeu important que vous mettez de l'avant. Comme M. Fraser, j'ai passé un peu de temps dans les salles d'audience, et l'une des choses que les juges demandent presque toujours, pas toujours, mais presque toujours, c'est un rapport présentenciel.
Je suis curieux de vous entendre au sujet de cette étude que vous mentionnez fréquemment. Est-ce que vous êtes en mesure de produire une étude que nous pourrions étudier avec les membres du Comité?
Absolument. Nous allons transmettre cette étude au président et à la greffière pour que vous puissiez en prendre connaissance.
Je tiens seulement à ajouter une petite chose. Comme vous le savez, nous sommes à la recherche d'éléments subjectifs comme le caractère, le comportement, l'intention, et tous ces aspects dont il faut tenir compte. Nous avons fait en sorte que ces éléments soient pris en considération dans le rapport présentenciel. En ce qui me concerne, il n'y a aucune différence entre l'état de santé mentale d'une personne, et ses intentions, son comportement et son caractère qui pourraient aider le juge à rendre la bonne décision.
Y a-t-il d'autres questions? S'il n'y en a pas, j'aimerais en poser une à mon tour.
Je suis en train de regarder le projet de loi, et j'aimerais connaître votre avis sur certaines formulations. Vous avez mentionné qu'ils doivent fournir des renseignements sur les « programmes de soins de santé mentale » à la disposition du délinquant. Pourriez-vous m'expliquer ce que vous entendez par « programmes de soins de santé mentale », et pensiez-vous à des traitements en matière de santé mentale autres que ceux offerts par un programme de soins de santé mentale?
Encore une fois, lors de la discussion, nous avons hésité entre « traitement » et « programme », et finalement nous avons opté pour « programme ». Comme je l'ai déjà dit, ce projet de loi est le résultat d'une somme de compromis, d'échanges de vues et de consultations juridiques. Nous étions d'avis que « programme » englobait et élargissait réellement la portée des différents traitements susceptibles d'être offerts.
Un exemple de traitement pourrait être un médicament, ou l'obtention d'une prescription ou encore, la participation à une thérapie de groupe. C'est pourquoi nous avons décidé de remplacer « traitement » par « programme », parce que le terme a une portée plus large.
La santé mentale est une science encore en évolution, et les différents programmes sont eux aussi en évolution. C'est pourquoi nous sommes passés de « traitement » à « programme », pour faire en sorte d'avoir une portée beaucoup plus large.
J'aurais cru le contraire, c'est-à-dire que « programme » avait une portée plus restreinte que « traitement » qui peut englober bien des choses en dehors d'un programme établi. Cependant, je suppose que nous allons tous avoir l'occasion de reparler de la formulation si nous allons de l'avant avec le projet de loi.
Je ne vois pas d'autres questions, aussi nous allons passer au prochain témoin.
Monsieur Jowhari, merci beaucoup de vous être présenté, et merci encore d'avoir déposé cet important projet de loi pour nous rappeler l'importance des problèmes de santé mentale auxquels les Canadiens font face dans le système de justice pénale.
Le Comité s'ajourne brièvement pendant que nous établissons le contact avec le prochain témoin qui comparaît par vidéoconférence.
Nous reprenons nos travaux.
Nous accueillons l'Association canadienne pour la santé mentale représentée par Dr Patrick Smith, chef de la direction nationale, qui se joint à nous depuis Toronto.
Je vous souhaite la bienvenue, docteur Smith. Les membres du Comité sont présents, même si vous ne pouvez pas tous nous voir. Vous disposez de 10 minutes pour livrer votre déclaration, et ensuite, nous vous poserons des questions.
C'est parfait. Merci, monsieur le président.
Bonjour, mesdames et messieurs.
Je vous remercie de m'avoir invité aujourd'hui. Je m'appelle Patrick Smith. Je suis le chef de la direction nationale de l'Association canadienne pour la santé mentale ou ACSM. Le projet de loi C-375 est très important pour nous. J'aurais sans aucun doute été présent parmi vous aujourd'hui si nous n'étions pas le 26 avril 2018. En effet, nous célébrons aujourd'hui le centième anniversaire du jour où, en 1918, Dr Clarence Hincks s'est réuni avec d'autres éminents Canadiens à l'historique Château Laurier, à deux pas de chez vous, pour fonder ce qui est devenu l'Association canadienne pour la santé mentale. Aujourd'hui, nous sommes une organisation pancanadienne qui compte des sections dans toutes les provinces. Nous offrons des services à plus de 1,3 million de Canadiens dans plus de 330 collectivités du pays.
Nous célébrons cet important jalon aujourd'hui à Toronto avec des membres de la famille immédiate de Dr Hincks, et nous rendons hommage à sa vision et à son engagement envers deux objectifs très clairs: mettre fin à la stigmatisation et à la discrimination, et offrir des soins plus humains aux personnes atteintes de maladie mentale. À bien des égards, 100 ans plus tard, à la journée près, cette discussion entourant le projet de loi C-375 reprend les mêmes questions.
Aujourd'hui, j'aimerais insister sur quelques-uns des aspects de la maladie mentale, dont la toxicomanie, qui entrent en conflit avec notre système de justice pénale, ainsi que sur des points clés qui, à notre avis, contribuent à faire en sorte que les Canadiens aux prises avec des problèmes de santé mentale bénéficient d'un soutien dans leur traitement et leur rétablissement.
Plus précisément, je vais m'exprimer en faveur de l'adoption du projet de loi C-375, parce que nous savons qu'il comportera d'importants avantages pour les nombreux Canadiens qui sont marginalisés et qui vivent avec la maladie mentale et des problèmes liés à l'usage de substances. Nous sommes aussi convaincus que le projet de loi contribuera à alléger le fardeau imposé à notre système de justice pénale.
Nous voulons parler des lacunes actuelles... Comme bon nombre d'entre vous le savent, dans les années 1970, la désinstitutionnalisation des services de santé mentale a transféré la prestation des services de santé mentale des institutions psychiatriques aux collectivités plus locales, ce qui a entraîné la fermeture des hôpitaux psychiatriques un peu partout au Canada. À l'époque, on avait vanté cette transformation et on l'avait assimilée à une étape positive dans le respect des droits, de la dignité et de l'autodétermination des personnes atteintes de maladie mentale.
Cependant, la désinstitutionnalisation psychiatrique a été remplacée par une nouvelle forme d'institutionnalisation: le système carcéral canadien. Étant donné que les mesures de soutien en santé mentale à l'échelle communautaire sont souvent sous-financées et mal intégrées, bon nombre de personnes atteintes de maladie mentale et ayant besoin de traitement échappent au système de santé et atterrissent dans le système de justice pénale. Vous le savez maintenant, à la lumière des discussions tenues depuis quelques années, le Canada a investi un plus faible pourcentage de son budget total en santé dans les soins de santé mentale que tout autre pays du G7. Les soins de santé primaire de base en santé mentale dispensés par les conseillers en toxicomanie, les psychologues, les travailleurs sociaux et les spécialistes des programmes de soutien par les pairs constituent la pierre d'assise et le fondement de la réponse des autres pays du G7 aux besoins en matière de santé mentale de leurs populations. Ces soins ne sont pas couverts par le système de soins de santé universel du Canada. Des investissements réfléchis et ciblés dans des traitements efficaces et qui permettent de réaliser des économies ont été remplacés par le fardeau élevé que représentent les coûts de la maladie mentale non traitée qui se retrouve dans les prisons et les établissements de détention. Ces coûts non nécessaires sont absorbés par tous les Canadiens.
Le Bureau de l'enquêteur correctionnel estime qu'au moins une personne sur quatre admise dans les établissements correctionnels du gouvernement fédéral présente une maladie mentale, et que bon nombre d'entre elles affichent aussi un trouble concomitant lié à l'usage d'une substance. Ce chiffre est très disproportionné par rapport au nombre de personnes atteintes de maladie mentale dans la population en général.
Malgré le nombre élevé de personnes souffrant de maladie mentale dans les établissements correctionnels canadiens, les prisons du Canada ne sont pas dotées de l'effectif, des ressources et du financement suffisants pour offrir un soutien en santé mentale aux personnes incarcérées. De ce fait, les Canadiens atteints d'une maladie mentale qui se retrouvent dans les établissements correctionnels ne reçoivent pas le traitement dont ils auraient besoin pour faciliter leur rétablissement et leur réadaptation. En fait, pour beaucoup de détenus, l'absence de traitement peut entraîner des confrontations violentes avec les autres détenus et le personnel, de même que des frais additionnels et un accroissement du temps passé en isolement, ce qui généralement ne fait qu'exacerber les problèmes de santé mentale.
Une fois sortis de prison, les Canadiens atteints de maladie mentale sont plus susceptibles de connaître l'itinérance et éprouvent de la difficulté à se réinsérer dans la collectivité. Beaucoup sont dépourvus des services d'intégration nécessaires, et retombent dans le cycle du système de justice pénale, à grands frais. Ils font souvent face à la discrimination et à la stigmatisation à la suite de leur emprisonnement, et éprouvent de la difficulté à trouver un emploi significatif. C'est injuste, surtout parce que les personnes atteintes de maladie mentale qui font leur entrée dans le système de justice pénale sont beaucoup plus susceptibles d'avoir commis des infractions mineures que les délinquants qui n'ont pas de maladie mentale. En effet, la majorité des arrestations sont imputables à des délits mineurs, comme troubler la paix, méfait, vol mineur, et défaut de comparaître, qui sont susceptibles d'être directement ou indirectement liés à la maladie mentale ou à l'usage d'une substance.
À titre d'organisation communautaire riche d'un long passé de soutien des personnes atteintes de maladie mentale ou de toxicomanie à l'échelle locale, l'ACSM sait d'expérience que si on leur fournit les mesures de soutien nécessaires et les soins appropriés, les personnes peuvent changer considérablement le cours de leur existence, de celle de leur famille et même de leur collectivité.
Un système de soins de santé idéal — et je ne veux même pas parler d'un système idéal, mais seulement d'un système qui serait fondé sur des investissements judicieux dans les traitements qui donnent des résultats — pourrait vraiment sauver beaucoup de gens et permettre d'économiser beaucoup d'argent. Dans ce système, les personnes atteintes de maladie mentale auraient accès facilement et en temps opportun à des services communautaires intégrés et financés adéquatement qui comprendraient notamment le logement et les mesures de soutien à l'emploi, de l'aide individuelle et à la famille, en plus d'avoir accès à un éventail de professionnels, dont un médecin de famille.
Ce continuum de services permettrait aux personnes de recevoir de l'aide au sein de la collectivité et de se rétablir. Au Canada, il n'est pas nécessaire de faire un acte de foi à ce propos. Lorsqu'on est un pionnier, il faut souvent prendre des risques et attendre de voir si ça marche. Mais à cet égard, nous sommes loin d'être des pionniers, nous sommes plutôt des retardataires.
Nous pouvons tirer des leçons des autres pays du G7 qui se sont retrouvés dans notre situation, et qui ont consenti à faire des investissements judicieux dans les interventions de santé vis-à-vis de la maladie mentale, et qui ont, ce faisant, radicalement réduit les coûts élevés de la maladie mentale non traitée. Lorsque les services communautaires sont bien coordonnés, ils peuvent aussi avoir une incidence positive sur les personnes atteintes de maladie mentale qui sont aux prises avec la loi. Même si les travaux de recherche sur les programmes de déjudiciarisation et de soutien au cours du procès sont limités, il reste que ces mesures qui visent à déjudiciariser les personnes atteintes de maladie mentale, avant ou après la mise en accusation, ont montré qu'elles accroissaient l'accès aux services en santé mentale, amélioraient la santé mentale, et réduisaient l'hospitalisation et le récidivisme, ce qui, encore une fois, permet de réaliser des économies. Elles contribuent aussi à alléger la pression sur le système de justice pénale.
Soutenir les gens à l'échelle communautaire revient beaucoup moins cher que de les incarcérer. Au Canada, les frais d'incarcération annuels sont de plus de 100 000 $ par année pour un détenu, et de 180 000 $ pour une détenue. En revanche, les délinquants qui sont supervisés dans la collectivité reviennent beaucoup moins cher, soit à près d'un huitième de ces montants. Le financement qui devrait être consacré à l'incarcération de personnes atteintes de maladie mentale serait investi de façon plus proactive dans des traitements et dans l'intégration sociale.
Ce qui m'amène au projet de loi C-375. Il propose en effet de modifier le Code criminel de manière à introduire l'obligation de fournir des renseignements sur les problèmes de santé mentale et les troubles mentaux dans les rapports présentenciels. Le but du projet de loi, tel que je le comprends, est de rendre le système de justice plus sensible et plus réceptif aux personnes atteintes de problèmes de santé mentale, et de faire en sorte qu'elles reçoivent un traitement approprié et bénéficient des mesures dont elles ont besoin pendant leur période de réadaptation.
Même si certains tribunaux recueillent déjà des renseignements sur la santé mentale dans les rapports présentenciels, ce projet de loi créerait une norme nationale qui forcerait tous les tribunaux à tenir compte de la santé mentale dans la détermination de la peine. Il est important de ne pas compter sur le hasard du code postal pour savoir que vous résidez dans une province où l'on recueille et fournit les renseignements sur la santé mentale. C'est bon pour vous, mais qu'en est-il de ceux qui n'ont pas cette chance? Nous applaudissons vraiment ce projet de loi, d'autant plus qu'il établirait une norme nationale.
C'est important parce que les travaux de recherche menés par Sécurité publique Canada montrent que les rapports présentenciels font vraiment une différence dans la détermination de la peine. On a constaté en effet qu'ils accroissent les possibilités que les délinquants reçoivent une peine dans la collectivité, plutôt qu'une peine d'emprisonnement. Nous sommes convaincus qu'avec les mesures de soutien appropriées, les peines dans la collectivité favorisent davantage le rétablissement des personnes atteintes de maladie mentale.
En conclusion, nous croyons que le gouvernement du Canada doit continuer de faire preuve de leadership en s'attaquant aux problèmes que vivent actuellement les personnes atteintes de maladie mentale et de toxicomanie dans notre système de justice pénale. Nous appuyons vigoureusement les efforts du gouvernement visant à effectuer un examen en profondeur du système de justice pénale, ainsi que l'un de ses objectifs déclarés qui consiste à déterminer comment on pourrait améliorer les services pour les délinquants qui souffrent d'une maladie mentale.
Le projet de loi C-375présente une occasion importante d'atteindre cet objectif et de voir à ce que les personnes atteintes de maladie mentale et aux prises avec la toxicomanie soient traitées avec compassion et humanité. Il présente aussi une occasion de briser le cercle vicieux de l'institutionnalisation qui affecte injustement les personnes atteintes de maladie mentale et de toxicomanie.
Nous encourageons aussi le gouvernement à continuer d'effectuer des investissements judicieux dans les interventions précoces en matière de santé mentale, lesquelles contribuent non seulement à sauver des vies, mais aussi à réduire les coûts élevés de la maladie mentale non traitée dans nos collectivités. C'est pourquoi nous exhortons le gouvernement à appuyer le projet de loi C-375.
Je vous remercie encore une fois de m'avoir invité aujourd'hui. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Merci beaucoup, docteur Smith. Au nom de tous les membres du Comité et des trois partis, je tiens à vous souhaiter, ainsi qu'à l'Association canadienne pour la santé mentale, un très joyeux centenaire. Je suis sûr que vous avez des projets de célébration à Toronto aujourd'hui. Veuillez transmettre nos meilleurs voeux et nos félicitations pour ce très important jalon.
Nous allons maintenant passer à la période des questions. Monsieur Nicholson.
Merci beaucoup. Je vous transmets moi aussi toutes mes félicitations, docteur. [Note de la rédaction: difficultés techniques] L'Association canadienne pour la santé mentale mérite les remerciements de tous les Canadiens pour le travail que vous avez accompli.
Nous sommes en train d'étudier ce projet de loi d'initiative parlementaire, et nous devons nous assurer qu'il fonctionne à tous points de vue. Vous avez déclaré au début de vos observations, et vous êtes revenu sur ce point par la suite, que vous étiez convaincu que le projet de loi allégerait le fardeau pour le système de justice pénale.
Bien.
Merci, docteur. C'est important, dans le cadre de ces audiences.
Vous avez déclaré que vous étiez persuadé que ce serait un allègement du fardeau pour le système de justice pénale si nous adoptions ce projet de loi exigeant que des renseignements découlant d'une analyse de la santé mentale soient inclus dans tous les rapports présentenciels. Peut-être que cela allégera le fardeau à long terme pour ce qui est de s'occuper des personnes, mais il me semble que cela devrait accroître la somme de travail et les ressources nécessaires pour produire ces rapports. Même si cela peut constituer une augmentation louable de la charge de travail, il me semble que cela constituerait un fardeau additionnel pour le système de justice pénale de devoir déterminer ces renseignements pour chaque cause. Les motifs de le faire sont sans doute justifiés, mais vous semblez dire que dans l'ensemble, cela devrait réduire le fardeau. Je me demande si vous ne pourriez pas nous expliquer un peu plus votre pensée.
Oui. J’ai exercé, pendant une partie de ma carrière, la profession de psychologue médico-légal, et je sais que les agents de probation notamment, consacrent une bonne partie de leur temps à la rédaction de rapports présentenciels. Il s’agit essentiellement, en l’occurrence, de fixer un certain nombre de normes applicables à la préparation de ces rapports. Le fait d’avoir à y verser les renseignements en question n’exigera pas un grand surcroît d’effort. Il s’agit simplement de faire en sorte que chacun sache que ces éléments devront désormais figurer dans les rapports présentenciels. Il est d’ailleurs fréquent que l’agent de probation possède déjà les renseignements en question et il n’aurait alors qu’à les mettre dans le rapport.
Je ne pense pas que cela imposera un gros travail d’enquête supplémentaire. L’agent de probation est en effet souvent au courant des difficultés psychologiques éprouvées par son client. Si je comprends bien, ce projet de loi tend simplement à assurer que les renseignements en question figureront toujours dans le rapport.
Mais même à supposer que cela exige un léger effort supplémentaire, on a constaté dans les ressorts où de telles dispositions s’appliquent déjà, que cela se justifie pleinement au vu des résultats. Mieux vaut, en effet, prévenir que guérir, et cela est particulièrement vrai en l’occurrence, car je crois pouvoir dire que cela n’impose pas au rédacteur du rapport un gros surcroît de travail. Il s’agit essentiellement d’adopter, pour les rapports présentenciels, un autre mode de rédaction.
Bon, je comprends. Je vous remercie.
Mon collègue, M. Cooper, aurait, lui aussi, une question à vous poser à ce sujet.
Je vous remercie, monsieur le président. Je tiens également à remercier notre témoin.
Je voudrais d’abord vous demander si vous êtes d’accord que le domaine de la santé mentale est en pleine évolution. Nous apprenons, chaque jour, quelque chose de nouveau. Êtes-vous d’accord?
Vous êtes donc d’accord.
Êtes-vous également d’accord que la question de savoir ce qu’est un désordre mental, ou une maladie mentale, demeure dans une certaine mesure controversée? Êtes-vous d’accord en outre que l’accroissement de nos connaissances en ce domaine ne semble pas éviter les controverses?
Oui, tout à fait. C’est simplement que je vous entends avec un léger décalage. Bon, je vous entends.
Mais, vous estimez néanmoins qu’il serait très facile de modifier dans le sens voulu la rédaction des rapports présentenciels, alors que le projet de loi prévoit d’y ajouter des renseignements sur les « troubles mentaux » dont souffre le délinquant. Pourriez-vous nous expliquer comment cela serait facile à faire étant donné le manque d’unanimité dans un domaine en pleine évolution. Étant donné que l’agent de probation peut n’avoir que très peu de renseignements sur les antécédents de l’individu en cause, je ne vois pas comment il pourrait avoir la tâche facile. Je me demande même s’il sera possible de procéder ainsi.
D’après ce que j’ai pu constater au cours de ma vie professionnelle, il est probable qu’ils possèdent déjà les renseignements voulus. Je travaille dans ce domaine depuis un certain nombre d’années, et les divergences d’avis quant à ce qu’il convient d’appeler « maladie mentale » ou « troubles mentaux » se manifestent depuis 20 ou 30 ans déjà. Cela ne change rien à notre manière de travailler. Je crois pouvoir dire qu’il est fréquent que les agents de probation aient déjà ces renseignements en main. Il ne s’agit pas du tout de les transformer en diagnosticiens spécialistes des troubles mentaux. La nouvelle norme exigera simplement qu'ils consignent de tels renseignements en fonction de la connaissance qu'ils en ont. Je peux dire que, souvent, ces renseignements sont déjà à leur disposition. Vous n’avez qu’à voir ce qui se passe dans les divers ressorts. Je crois savoir, par exemple, qu’en Colombie-Britannique et en Nouvelle-Écosse, où cette pratique est plus généralisée, cela ne semble entraîner aucun surcroît de travail. C’est plutôt une question d’attitude et, dans la mesure où ils ont déjà en main les renseignements voulus, il leur suffira de les mettre dans le rapport. Je pense pouvoir dire en outre que selon 95 % des juges interrogés à ce sujet, de tels renseignements facilitent beaucoup la détermination de la peine.
Si nous avions, ici au Canada, un système de santé mentale plus performant, et que vous saviez qu’un individu n’allait pas recevoir, au sein du système pénal, les soins qu’exige son état de santé mental, vous seriez plus à l’aise si vous saviez que les personnes éprouvant des troubles mentaux ne seront pas remises, par mégarde, aux mains de la justice pénale. Mais comme c’est ce qui se passe actuellement, il importe de faire en sorte que les troubles mentaux soient décelés et évalués, car on risque, sans cela, d’engorger notre justice pénale.
Mais procéderons-nous ainsi dans tous les cas, même si rien ne semble indiquer que l’individu en cause souffre de troubles mentaux…?
Dans ce cas-là, la disposition en question ne s’appliquerait tout simplement pas. L’agent de probation n’aurait qu’à l’indiquer. Nous leur demandons simplement de…
Mais comment savoir, à moins de procéder à une évaluation de l’état de santé mental de l’individu en cause?
Il ne s’agit pas d’une pratique nouvelle, et je pense pouvoir dire que dans les ressorts où cela se fait déjà, on se base sur les éléments qui figurent au dossier. Les agents de probation sont déjà appelés à prendre de telles décisions dans le cadre de leur travail quotidien et ils font figurer dans les rapports présentenciels les renseignements qu’ils jugent pertinents. Il s’agira simplement d’indiquer ce que l’on sait de la santé mentale de l’individu, et si celui-ci n’éprouve aucun trouble mental, la nouvelle disposition n’aura pas lieu de s’appliquer. Cela n’est pas difficile.
Je vous remercie, docteur, du témoignage que vous nous livrez.
Je vais, dans mes questions, poursuivre sur la lancée de mon collègue, M. Cooper. Avant de faire état de troubles mentaux dans un rapport présentenciel, comment établir que le délinquant éprouve effectivement de tels troubles? Doit-on prévoir des contacts entre le médecin chargé du dossier médical du détenu et l’agent de probation? De tels contacts ont-ils déjà lieu? La communication de tels renseignements ne porterait-elle pas atteinte à l’intimité de l’intéressé, et n’y aurait-il pas violation du secret médical? Comment concilier ces considérations avec la rédaction d’un rapport présentenciel?
Si je comprends bien, à l’étape présentenciel, l’agent de probation n’a pas encore eu de contact avec un médecin de l’établissement correctionnel. Le rapport présentenciel ne comprend donc que les renseignements dont dispose déjà l’agent de probation, c’est-à-dire les renseignements provenant du diagnostic et des antécédents médicaux consignés lors d’un passage à l’hôpital, ou communiqués par le médecin de l’intéressé ou par les responsables d’un programme communautaire. Les renseignements se trouveraient donc déjà dans le dossier médical, et il s’agirait simplement de les communiquer au juge afin que la peine puisse être déterminée en connaissance de cause. Or, on ne peut pas décider en connaissance de cause, si on n’a pas les renseignements nécessaires.
Bon. Je voudrais maintenant élargir le débat. Nous avons, au sein du Comité, évoqué la question de l’accès à la justice. Nous sommes désormais conscients que nos pénitenciers et nos prisons accueillent un nombre disproportionné d’Autochtones. Quelle pourrait être l’incidence de ce projet de loi sur ces populations marginalisées? Cela va-t-il permettre d’améliorer leur sort, et si oui, comment?
Selon nous, cela devrait davantage profiter aux communautés marginalisées, car elles souffrent de manière disproportionnée des inégalités, tant sur le plan social que sur le plan sanitaire. En Colombie-Britannique, par exemple, les Autochtones ne comptent que pour 3,4 % de la population, mais pour 10 % des surdosages d’opioïdes. Si nous souhaitons normaliser la situation sur l’ensemble du territoire, il nous faut, je pense, inclure dans le dossier ces renseignements essentiels.
Une telle mesure revêt au Canada une importance particulière, car en raison de l’insuffisance des services de santé mentale, nos prisons et établissements pénitenciers accueillent probablement plus qu’ailleurs des personnes souffrant de troubles mentaux, ces personnes étant de façon disproportionnée issues de communautés marginalisées. Il faut comprendre que les désordres publics ou autres infractions que l’on peut reprocher à quelqu’un peuvent être dus à divers types de difficultés. Cela étant, les personnes appelées à prononcer une peine pourront opter pour des mesures qui sont à la fois plus efficaces, beaucoup moins coûteuses et beaucoup moins pesantes non seulement pour la justice pénale, mais pour l’ensemble de la population.
Bonjour, docteur. Je tiens à vous remercier d’avoir accepté notre invitation à comparaître devant le Comité.
Dans votre exposé, vous avez dit quelque chose que nous avons déjà entendu dire dans le cadre des témoignages et délibérations sur ce projet de loi. J’entends par cela que nos établissements correctionnels ne sont guère adaptés aux personnes souffrant de troubles mentaux.
M. Patrick Smith: C’est effectivement le cas.
M. Alistair MacGregor: Nous pouvons aussi, je pense, convenir qu’il est toujours bon que les juges aient en main un maximum de renseignements. Ce sont eux les plus au fait de l’infraction commise et des circonstances l’entourant. Il est donc tout à fait indiqué de remettre au juge un rapport sur l’état de santé mental du contrevenant.
Il y a, cependant, un point qui n’a pas été soulevé. Il peut, effectivement, être souhaitable de transmettre ces renseignements au juge dans le cadre d’un rapport présentenciel, mais selon vous, existe-t-il, au sein de la communauté, les ressources qui vont permettre au juge de se prononcer utilement au vu de ces renseignements? Ou est-ce que le juge n’a en fait pas d’autre solution que l’incarcération?
Vous avez raison de soulever la question et c’est justement à cela que nous voulons en venir lorsque nous rappelons que si d’autres pays consacrent à ce problème 13 ou 14 % de leur budget de santé, le Canada n’y a, par le passé, consacré qu’environ 7,2 %. Vous avez donc tout à fait raison de poser la question.
Mais, les juges ont tout de même une certaine latitude. Selon les données recueillies jusqu’ici sur les programmes de déjudiciarisation, tels que les tribunaux de la santé mentale ou les tribunaux de traitement de la toxicomanie, de telles mesures peuvent non seulement avoir une influence favorable sur les contrevenants, mais elles peuvent être, pour la population canadienne, une source non négligeable d’économies.
Je suis d’accord avec vous. Le gouvernement fédéral s’est engagé à débloquer, pour la santé mentale, cinq milliards de dollars sur 10 ans. Mais, même si une bonne partie de ces crédits est répartie au sein même de la communauté, nous aurons du mal à rattraper notre retard au plan des services de base. Bien que les juges puissent avoir du mal à trouver les services nécessaires, dans la plupart des cas, ce type de solution est néanmoins préférable à l’incarcération.
Effectuons le calcul, comme ils l’ont fait au Royaume-Uni. Les Britanniques se sont aperçus qu’il vaut mieux investir dans les services de santé mentale, et fermer certaines unités carcérales qui, faute d’une autre solution, servaient jusque-là à accueillir des personnes souffrant de troubles mentaux. Cela était à la fois extrêmement coûteux et peu efficace.
Vous avez peut-être évoqué la question dans certains de vos échanges, et je vous demande de me pardonner si je vous la pose à nouveau, mais à l’époque où il s’attachait à rédiger ce projet de loi, nous avons interrogé M. Jowhari au sujet du terme « troubles mentaux ».
Vous connaissez le texte de ce projet de loi. Il n’est pas long. Compte tenu des connaissances spécialisées que votre organisation possède en ce domaine, êtes-vous d’accord sur l’emploi de ce terme, ou devrait-on y réfléchir davantage lorsque nous nous pencherons sur d’éventuels amendements?
Oui, nous sommes entièrement d’accord. Dans notre domaine, il est en effet très fréquent que l’on discute de l’emploi de tel ou tel terme. Nous discutons de ce qu’il convient d’entendre par « troubles mentaux ». Or, ce terme provient d’une catégorie figurant dans le DSM, le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. C'est une catégorie clinique enseignée aux médecins. Elle comprend, par exemple, les troubles liés à l’usage d’une substance, ou les troubles dépressifs. Malgré tout, même au sein de mon organisation, l’Association canadienne pour la santé mentale, il y a des gens que le terme « troubles mentaux » hérisse.
Or, lorsqu’on parle de troubles mentaux, on se situe dans une optique purement scientifique et on se réfère à des catégories diagnostiques tirées du Manuel diagnostique et statistique. Cela dit, le débat, sur les maladies mentales, les problèmes de santé mentale et les troubles mentaux, se poursuit.
J’ai eu quelques échos de vos échanges avec M. Jowhari. Je dirais qu’il y a des gens qui sont susceptibles aux troubles mentaux et qui, bien qu’ils n’en aient jamais fait état, risquent plus que les autres de s’en trouver atteints. Et puis, il y a également des personnes qui éprouvent des difficultés légères ou modérées, qui ne répondent toutefois pas aux critères cliniques qui porteraient à conclure à la présence de troubles mentaux. Et puis, il y a aussi les personnes souffrant effectivement de troubles mentaux. Les maladies mentales et les troubles mentaux sont, au sens clinique [Note de la rédaction: difficultés techniques], mais ce n’est pas tout le monde qui éprouve de véritables troubles mentaux ou souffre d’une maladie mentale proprement dite.
Dans les milieux scientifiques, on ne fait pas de distinction entre « maladie mentale » et « troubles mentaux ». Certains préfèrent un de ces termes à l’autre, mais les spécialistes ne font pas de différence entre les deux.
Prenant la suite de ce que M. MacGregor disait tout à l’heure, je voudrais poser une ou deux questions d’ordre technique, afin de préciser les termes que nous devrions employer dans le texte du projet de loi. Vous avez peut-être entendu l’échange que j’ai eu avec M. Jowhari au sujet des programmes de santé mentale et des traitements disponibles. Selon lui, le mot « programme » est le terme plus large, alors que, selon moi, c’est l’expression « disponibilités de traitement » qui a un sens plus large.
Qu’en pensez-vous, docteur?
J’ai apprécié votre échange et je comprends fort bien votre préoccupation.
Nous nous livrons nous-mêmes à ce type de discussions. Dans le domaine de la santé mentale, le mot « traitement » s’entend généralement du nombre de lits disponibles, et en particulier de lits destinés au traitement de personnes souffrant de troubles liés à l’usage de certaines substances: « Suivre un traitement », c’était essentiellement suivre un programme thérapeutique de 28 jours. Or, on a tenté d’élargir le sens de ce terme.
Mais, pour élargir le sens de ce qu’on entend par cela, je ne pense pas qu’il convienne d’employer le mot « programme ». C’est ainsi qu’on parle plutôt d’un « éventail complet de services et d’aides ». C’est cela l’expression la plus large. Ces services et ces aides sont parfois assurés dans le cadre d’un programme, mais quand les gens songent à un traitement, ils songent parfois immédiatement aux soins aigus, et pensent tout de suite aux « lits ».
Or, selon moi, le projet de loi entend englober l’éventail complet des services et des aides qui correspondent, en matière de santé mentale, aux soins primaires. Cela peut aller de la visite chez un généraliste, un conseiller en toxicomanie ou une personne-ressource d’entraide, à des programmes plus structurés et des soins plus aigus. Je vous remercie.
Cette précision nous est très utile.
Ma seconde question concerne les propos que vous avez échangés avec M. MacGregor.
La formule qui figure actuellement dans le texte est « Les troubles mentaux dont souffre le délinquant ». Si j’adoptais plutôt la formule suivante « Tout aspect de l’état mental du délinquant susceptible d’être pris en compte aux fins de la détermination de la peine ».
Laquelle choisiriez-vous?
Je préfère la seconde.
Mais, au lieu de « état mental », nous dirions plutôt « état de santé mental », ou…
Le mot « trouble » est tellement chargé d’émotion que, bien que je l’aie toujours entendu employer dans les milieux médicaux, et que je sais qu’il est tiré du Manuel diagnostique [Note de la rédaction: difficultés techniques], il y a d’autres mots qui sont moins lourds de sens.
Je vous remercie. Voilà les quelques précisions techniques que je souhaitais obtenir.
Quelqu’un d’autre souhaite-t-il poser une question? Non.
Docteur, votre témoignage nous a été extrêmement utile. Nous vous en remercions infiniment.
Encore une fois, je souhaite à votre organisation un excellent 100e anniversaire.
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