JUST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent de la justice et des droits de la personne
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 8 mars 2016
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Bonjour, mesdames et messieurs.
[Français]
Je vous souhaite la bienvenue à notre réunion.
[Traduction]
Je tiens à remercier nos témoins de Patrimoine canadien et de Justice d'être venus nous parler du Programme de contestation judiciaire. Je crois aujourd'hui qu'il n'y aura qu'un seul groupe, alors les représentants des deux ministères feront leur présentation ensemble avant que nous passions à quelques séries de questions.
Nous accueillons aujourd'hui, de Patrimoine canadien, Rachel Wernick, qui est sous-ministre adjointe, Politique stratégique, planification et des affaires ministérielles; Yvan Déry, qui est directeur principal, Politiques et recherche, Direction générale des langues officielles; et Lianne Venasse, qui est analyste principale des politiques et de la recherche.
Du ministère de la Justice, nous avons Michel Francoeur, qui est l'avocat général et le directeur de la Direction des langues officielles; et Erin Brady, qui est l'avocate générale de la section des droits de la personne.
Je vous sais gré d'avoir pris le temps de venir vous adresser au Comité. Je sais que les députés de tous les partis se réjouissent à la perspective de vous entendre. J'aimerais maintenant vous céder la parole pour que vous fassiez vos présentations.
Je vais vous donner un bref aperçu pour que vous ayez les renseignements de base. Et ensuite, bien sûr, nous serons disposés à répondre à vos questions.
[Français]
Je vais faire l'historique du Programme de contestation judiciaire.
Ce programme a été créé en 1978 pour financer des causes susceptibles de clarifier les droits linguistiques constitutionnels. Il a été élargi en 1982 pour inclure les droits linguistiques garantis par la Charte. En 1985, il a été élargi à nouveau pour couvrir les lois, les politiques et les pratiques fédérales fondées sur l'égalité des droits en vertu de la Charte. Il a été éliminé en 1992, puis rétabli en 1994 avec le même mandat, pour finalement être éliminé à nouveau en 2006.
[Traduction]
L'objectif du programme est d'en arriver à mieux comprendre, respecter et jouir des droits de la personne en clarifiant les droits et libertés constitutionnels suivants.
Il y a des droits relatifs aux langues officielles garantis par l'interprétation ou l'application de l'article 93 ou 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, ou garantis à l'article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba, aux articles 16 à 23 de la Loi constitutionnelle de 1982, ou des dispositions constitutionnelles parallèles, ou garantis par la clarification de l'aspect linguistique de la liberté d'expression à l'article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés lorsqu'il est invoqué dans une affaire relative à une communauté de langue officielle en situation minoritaire.
Pour ce qui concerne les droits à l'égalité, ce sont ceux qui sont garantis aux articles 15 et 28 de la Charte canadienne, y compris la clarification de l'article 2 ou 27 lorsqu'il est invoqué pour étayer des arguments fondés sur l'article 15.
Cela représente beaucoup d'articles différents, mais nous pourrons en discuter en détail plus tard si vous êtes intéressés à en parler davantage.
Le Programme de contestation judiciaire a été géré par un tiers, un organisme sans but lucratif appelé Programme de contestation judiciaire du Canada, dont le conseil d'administration compte 17 membres bénévoles provenant d'organismes de défense des droits à l'égalité et des droits linguistiques. Les décisions relatives au financement étaient rendues par un groupe de spécialistes des droits linguistiques et un groupe de spécialistes des droits à l'égalité. Chaque groupe était composé de personnes possédant de l'expérience et des connaissances de leurs questions respectives. Le Programme a financé trois secteurs: le travail relatif à ces causes, dont la préparation des causes, les litiges et les négociations; l'étude des incidences; ainsi que l’accès au programme et sa promotion. Les membres de groupes défavorisés ou de communautés linguistiques en situation minoritaire ou les organismes sans but lucratif les représentant étaient admissibles à du financement. Le budget annuel du programme était de 2,85 millions de dollars.
Voici quelques faits concernant le programme: entre 1994 et 2006, il a reçu, en moyenne, par année, 112 demandes relatives aux droits à l'égalité et 32 demandes relatives aux droits linguistiques. Le groupe relatif aux droits à l'égalité a approuvé 62,5 % d'entre elles, tandis que le groupe relatif aux droits linguistiques en a approuvé 75,7 %. Les demandes rejetées ne répondaient pas aux principaux critères d'admissibilité.
Pour ce qui concerne ces causes types, nous pouvons fournir des statistiques. Parmi les demandes présentées au titre des droits à l'égalité, 15,3 % se rapportaient aux Autochtones; 13,6 % se rapportaient à la couleur, la race, l'ethnicité ou la nationalité; 9,2 % se rapportaient aux handicaps; et 8,4 % se rapportaient à l'égalité hommes-femmes. Pour ce qui est des demandes présentées au titre du Programme des droits linguistiques, un pourcentage élevé se rapportait aux droits à l'éducation et à la langue officielle de son choix. Quant à la distribution, 53 % des demandes étaient présentées par des groupes tandis que 47 % l'étaient par des particuliers.
Je pense qu'il est juste de dire que les résultats des causes financées par l'intermédiaire du programme ont permis de mieux comprendre les droits des Canadiens prévus dans la Constitution et dans la Charte et éclairé les initiatives législatives et sociales du gouvernement. Au fil des ans, le Programme de contestation judiciaire a financé des causes relatives à des questions importantes comme l'âge, la race, l'incapacité, le statut familial, la pauvreté, la religion et l'orientation sexuelle.
Certaines des décisions rendues par la Cour suprême du Canada sur des causes qui ont reçu un financement du programme ont porté sur: l'accès des groupes défavorisés, y compris les Autochtones, les femmes, les personnes handicapées, à des avantages sociaux et économiques; l'accessibilité du transport en commun pour les personnes handicapées; le droit de vote des prisonniers; la prévention de l'expulsion des personnes qui risquent la torture; l'accès à l'éducation dans la langue officielle minoritaire; et le droit à l'obtention de services et de communications dans la langue officielle de son choix de la part de la GRC au Nouveau-Brunswick.
Au moment de l'élimination du programme, le gouvernement s'est engagé à honorer les causes en instance déjà approuvées jusqu'à l'étape finale de l'appel. Il reste toujours 28 causes relatives aux droits à l'égalité et aux droits linguistiques qui demeurent non réglées et, à l'heure actuelle, 1,4 million de dollars par année sont réaffectés à cette fin par Patrimoine canadien.
Après 2006, à l'issue d'une entente à l'amiable entre le gouvernement du Canada et la Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada, le Programme d'appui aux droits linguistiques a été mis sur pied en 2009. En gros, il couvre les mêmes droits linguistiques que le Programme de contestation judiciaire et finance des volets d'activités semblables. Il est administré par l'Université d'Ottawa, et c'est à un comité d'experts qu'il revient, encore une fois, de décider s'il y a lieu ou non d'accepter des causes types. Il reçoit 1,5 million de dollars annuellement, encore une fois provenant de fonds réaffectés par Patrimoine canadien — le budget du patrimoine — et l'accord de contribution actuel expire le 31 mars 2017.
Voilà. C'était simplement un aperçu de haut niveau du programme pour lancer la discussion.
Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
[Français]
Merci beaucoup de votre présentation. C'était très informatif.
Nous allons commencer la première période de questions avec le représentant du Parti conservateur, M. Nicholson.
[Traduction]
Je me souviens très clairement de la justification de ce programme. J'étais membre du Comité vers 1985 lorsque la Charte est entrée en vigueur, et nous avons dû examiner toutes les parties de la loi canadienne qui étaient entièrement ou partiellement décalées par rapport au libellé et aux exigences de la Charte.
Nombre des lois que nous avons étudiées n'avaient pas été modifiées depuis 1892, année où on a colligé le Code criminel. En fait, certaines des lois de 1892 dataient de 60 ou 70 ans auparavant, c'est-à-dire du début des années 1800. Il a été primordial de s'assurer que nous étions à jour.
La tâche de mettre à jour nos lois n'est pas revenue exclusivement au Comité ou au gouvernement. On a fait valoir qu'il fallait que la Cour et, en fait, le Programme de contestation judiciaire, soient saisis d'un certain nombre de ces lois et causes; cependant, après une vingtaine d'années à financer ces causes et ces contestations, on croyait que les lois du Canada étaient à jour. Ce n'est pas que certaines de ces questions n'existent plus — bien sûr qu'elles existent toujours et qu'elles continuent de nous préoccuper — mais nous avons un système judiciaire qui donne aux avocats la possibilité de contester toute loi ou tout règlement qu'ils jugent discriminatoire ou non inclusif, alors telle a été la décision rendue à l'époque.
Je suis sûr que vous faites le suivi de ces choses. Je suis certain que des contestations continuent d'être soulevées, peut-être moins que par le passé et, comme je dis, le nombre de lois fédérales inadmissibles ou non conformes doit avoir diminué depuis les années 1980.
Ne reste-t-il pas un assez bon nombre de contestations de différents règlements et lois au pays soulevées par des avocats qui représentent ces personnes? Je sais pertinemment que nombre de ces groupes sans but lucratif continuent de poursuivre le gouvernement canadien et d'utiliser leurs propres ressources et non celles des contribuables. Ai-je raison de le dire?
Je pense que la réponse comprend deux éléments, dont nous allons parler aujourd’hui.
Je vais laisser Yvan vous parler de la situation actuelle. Il vous dira comment ces dernières années, le Programme d’appui aux droits linguistiques permet toujours d’appuyer certaines causes. Nous aborderons ensuite brièvement les dossiers qui pourraient être encore d’actualité, du point de vue du ministère de la Justice.
Selon une évaluation indépendante du programme menée en 2003, celui-ci répond toujours à un besoin et a permis d’appuyer devant les tribunaux certaines causes importantes qui ont eu des conséquences directes sur…
L’autre élément est l’accès au système de justice. Le plus grand obstacle à surmonter à cet égard est sans conteste d’ordre financier. Il est avéré que pour avancer, certaines causes doivent faire l’objet d’un appui financier.
Je vais laisser Yvan vous dire quelques mots sur le Programme d’appui aux droits linguistiques.
Depuis l’abolition du Programme de contestation judiciaire en 2009 et la création, la même année, du Programme d’appui aux droits linguistiques, nous avons eu 125 demandes d’appui aux litiges, dont 85 ont été acceptées, ce qui prouve la nécessité du programme, du moins en ce qui concerne les droits linguistiques. L’évaluation que nous avons faite de ce programme en 2014 confirme essentiellement son utilité.
Les plaignants font face à de formidables défis. Les coûts des litiges ont explosé. Le genre d’appui que ces programmes peuvent offrir est bien plus que symbolique. Il permet de passer un certain seuil au-delà duquel on aura un dossier solide à présenter devant les tribunaux. Nous pensons toujours qu’un tel programme est nécessaire.
Au cours des 30 dernières années, la Cour suprême a généralement rendu chaque année une décision importante concernant les droits linguistiques. Parmi les affaires qui sont toujours devant les tribunaux aujourd’hui, il y a, par exemple, d’importants éléments encore à préciser concernant l'éducation, aux termes de l’article 23.
Je ne sais pas quelles sont les tendances au sujet des causes en matière d’égalité après l’abolition du Programme de contestation judiciaire. Les représentants du ministère de la Justice pourraient en parler.
Ce serait un sujet complètement différent. Je pense que le financement se poursuit jusqu’en 2017. Le programme que nous avons aujourd’hui se poursuit, mais il est distinct de l'ancien Programme de contestation judiciaire, dont il découle en quelque sorte.
Si vous avez des commentaires sur d’autres sujets, je serais heureux de les entendre.
Il y a encore devant les tribunaux des affaires liées aux droits et à l'égalité qui concernent le gouvernement fédéral, mais aussi, bien sûr, les gouvernements provinciaux et les administrations territoriales. Je dirais que depuis quelques années, la Cour suprême rend à peu près tous les deux ans un verdict important en la matière.
L'an dernier, une telle décision a encore été rendue dans un contexte autochtone. Il s'agit de l'arrêt Taypotat. Avant cela, une autre décision avait été rendue en 2013, concernant la répartition des biens matrimoniaux au Québec et l’appui à offrir aux conjoints de fait.
Certes, nous nous appuyons sur une jurisprudence qui a plus de 30 ans en matière d’égalité des droits, mais des poursuites sont toujours intentées contre tous les ordres de gouvernement. Et la Cour suprême continuera de peaufiner ses approches dans l’interprétation de ces droits.
Nous savons qu'il y aura d’autres motifs de contestation. Ici aussi, ce qui entre en jeu, c'est le principe fondamental que les tribunaux appliquent dans l’interprétation de la Constitution et qui s’applique certainement aux droits à l’égalité ainsi qu’aux droits linguistiques. L’idée est que la Constitution est un arbre vivant. Son interprétation est censée évoluer au fil du temps, pour être au diapason des conditions sociales et des réalités contemporaines. Cela vaut pour le concept des besoins qui changent au fil du temps.
Tout d’abord, merci pour votre exposé.
Je prends note du commentaire de M. Nicholson à propos du terrain qui est bien défriché. Toutefois, c’est un terrain encore très fertile. On peut bien exprimer des droits avec de belles paroles sur papier, mais il faut aussi les mettre à l’épreuve et les concrétiser. Pour les gens qui ont peu de moyens financiers, c’est évidemment toute une entreprise.
J’aimerais en particulier que le programme aille au-delà des droits linguistiques et des droits à l’égalité. Recommanderiez-vous que certains sujets soient couverts par le programme, de façon générale aux termes de la Charte ou d'articles particuliers de la Charte?
Nous dirigeons actuellement pour le compte de notre ministre et de la ministre de la Justice des travaux visant à moderniser le Programme de contestation judiciaire. Cet engagement figure dans nos lettres de mandat. Évidemment, nous amorçons le travail en lançant une assez vaste consultation auprès d’experts, d’organisations et de particuliers.
Dans le cadre de l’élaboration des options proposées pour moderniser le programme et dans le souci de nous adapter aux circonstances, nous allons examiner l’opportunité d’en élargir la portée. Les experts proposent souvent deux domaines à inclure. Premièrement, certaines des libertés fondamentales — liberté d’association, liberté de religion et expression religieuse, dont le contexte évolue — et leur application aux affaires provinciales et territoriales, où les principes s’appliquent dans le cas des droits linguistiques, mais pas dans celui des droits à l’égalité.
Je vous donne simplement les pistes que nous explorons. C’est vraiment important de souligner que nous sommes dans la phase d’élaboration, mais nous faisons un bon travail à cet égard. Nous examinons toutes les options, nous en testons la viabilité, nous vérifions la solidité des données dont nous disposons et nous procédons à des consultations. Les travaux sont donc déjà en cours.
Cela revient à ce que mentionnait M. Nicholson à propos de l’accumulation de la jurisprudence. Il a fait part, je crois, d’opinions semblables exprimées en 1992, quand le programme de contestation judiciaire a été annulé pour la première fois. Il affirmait essentiellement qu’il n’avait plus de raison d’être puisqu’il avait permis de dégager une jurisprudence solide par rapport à la Charte.
Auriez-vous des commentaires à faire sur la jurisprudence en matière de droits à l’égalité et de droits linguistiques qui s’est dégagée entre 1994, année où le programme a été rétabli, et 2006, année où il a été de nouveau annulé?
Si j’ai bien compris, votre question est semblable à celle que l’on a posée sur le nombre d’affaires présentées pendant l’existence du programme.
Les 85 affaires financées depuis 2009 ne portaient que sur les droits linguistiques.
Je pense que votre présentation fournit des données sur le nombre d’affaires financées dans le cadre du programme de contestation judiciaire depuis [note de la rédaction: inaudible].
Désolé de vous interrompre, madame Wernick, mais ce que M. Fraser voulait faire valoir, je pense, c’est qu’en 1994, on avait également prétendu que le programme n’était peut-être plus nécessaire étant donné que la jurisprudence était bien établie. Il demande donc combien d’affaires ont été financées entre 1994 et 2006, année de l’annulation du programme.
Cent douze demandes ont été financées pour les droits à l’égalité et 32, pour les droits linguistiques.
Pour ce qui est de comprendre les questions de compétence, on a dit que des affaires provinciales et locales pourraient être contestées au terme d’un programme élargi. Pouvez-vous expliquer pourquoi ces affaires n’auraient peut-être pas pu être traitées dans le cadre de l’ancien Programme de contestation judiciaire et de quelle façon un nouveau programme pourrait couvrir davantage d’éléments provinciaux et locaux?
Comme je l’ai dit, ce travail pourrait être évidemment envisagé et mené en collaboration avec nos collègues provinciaux et territoriaux. Je ne veux pas dire par là qu’une décision a été prise mais, si l’on s’en tient aux évaluations précédentes et à l’analyse qui en a été faite, nombre de ces causes types s’appliquent au niveau provincial.
On pense d’ailleurs qu’on pourrait élargir le programme afin qu’il englobe d’autres affaires, comme celles qui concernent les droits linguistiques, susceptibles de renforcer la Charte et les droits constitutionnels.
Merci, madame Wernick, ainsi que vos autres collègues du groupe, pour l’excellent exposé que vous avez fait. Je commencerai par une question précise et, s’il me reste du temps, j’aurais une ou deux questions d’ordre général.
Je veux parler du Programme des droits linguistiques. Mon collègue François Choquette a un projet de loi d’initiative parlementaire visant à ce que les juges de la Cour suprême du Canada soient fondamentalement bilingues, c’est-à-dire qu’ils n’aient pas besoin de traduction. Pour lui, c’est une question d’accès égal à la justice. Dans votre exposé, vous avez parlé d’une affaire dans laquelle on mettait au défi la GRC au Nouveau-Brunswick d’entendre les gens dans la langue officielle de leur choix. Dans ce contexte, je constate que Graham Fraser, notre commissaire aux langues officielles, a reproché au gouvernement de ne pas intervenir pour faire en sorte que les juges des cours supérieures du pays soient fondamentalement bilingues puisqu’il s’agit, je le répète, d’une question d’accès égal à la justice.
Si aucune loi n’est présentée pour régler le problème au Parlement ou dans les provinces concernées — je pense à l’affaire Caron en Alberta —, pourrait-on imaginer que le Programme de contestation judiciaire s’en saisisse?
Pour que la question puisse être abordée dans le cadre du Programme d’appui aux droits linguistiques ou du nouveau Programme de contestation judiciaire, il faudrait faire valoir que le bilinguisme des juges qui siègent à la Cour suprême équivaut au fait d’avoir accès à son juge préféré, aux termes des droits accordés par la Charte. Actuellement, la Cour suprême a l’obligation d’être bilingue en tant qu’institution. Aucune mention n’est faite de l’obligation des juges d’être bilingues. Une affaire pourrait être présentée devant les tribunaux et le groupe d’experts du Programme d’appui aux droits linguistiques aurait à décider de son bien-fondé. La cause est certes louable, mais est-elle fondée en droit? Michel Francoeur aurait probablement un avis à ce sujet. Si une affaire concerne un droit en vertu de la Charte ou un droit linguistique, elle peut être financée par le programme.
Je suis d’accord avec Yvan. Il n’y a en effet aucune disposition constitutionnelle exigeant que les juges de la Cour suprême du Canada soient bilingues. Or, c’est là le critère clé pour être financé par le Programme de contestation judiciaire et, depuis 2008, par le Programme d’appui aux droits linguistiques.
D’accord. Cela s’applique lorsqu’on s’adresse au groupe et cela faisait partie de mes questions d’ordre général. En un sens, on pourrait dire qu’il s’agit d’un parti pris institutionnel à partir duquel on peut, dans le cadre d’un programme, décider ou non de poursuivre un gouvernement. Dans l’exemple du gouvernement du Canada, vous dites que les services ne sont pas offerts en raison de motifs discriminatoires ou linguistiques.
En règle générale, êtes-vous convaincu de l’indépendance du groupe par rapport au processus décisionnel? Y a des mesures que l’on pourrait prendre pour que le groupe n’ait pas ce parti pris institutionnel?
Le programme a été manifestement conçu pour être dirigé par des tiers, avec un conseil et des membres indépendants, le tout chapeauté par un groupe d’experts chargés d’examiner les demandes. Tout a été conçu pour assurer l’indépendance et l’impartialité. En modernisant le programme, nous examinerons tous ces aspects, mais aucune des évaluations que nous avons faites ne faisait ressortir un problème d’impartialité.
C’est ce que je voulais savoir, si c’était là le critère d’évaluation et vous avez répondu à ma question. C’est très bien.
J’ai une autre question d’ordre général. Je ne sais pas si on peut y donner une réponse exacte, mais nous savons en principe à quel point les litiges sont coûteux, surtout lorsqu’ils vont jusqu’à la Cour suprême du Canada. Est-il préférable, à votre avis, et peut-être que votre évaluation vous a amené à une conclusion à ce sujet, est-il préférable, dis-je, de présenter un grand nombre de petites causes-types ou bien une cause gigantesque et très coûteuse? Comment trouvez-vous le juste équilibre en fonction du modeste budget annuel dont vous disposez?
Je ne pense pas que c’est à nous d’en décider, puisque le programme répond à la demande, c’est-à-dire aux demandes qui nous sont présentées. Mais je vais laisser Erin vous en parler.
D’après ce que je comprends — et mes collègues du Patrimoine canadien pourront en témoigner eux aussi — l’organisme fixe des plafonds de financement pour chaque étape par laquelle pourrait passer la cause, c’est-à-dire en première instance, en appel ou en cas d’intervention. Je pense qu’il y a aussi un montant global susceptible d’être attribué à une cause particulière.
Il me semble que c’est de cette façon que l’organisme a conçu lui-même le programme. Certaines des causes, je suppose, sont modestes et ne vont pas jusqu’à la Cour suprême; d’autres, qui sont renvoyés en appel à plusieurs niveaux, nécessitent probablement un financement plus conséquent.
Je ne crois pas me tromper en disant que les plafonds ont permis au programme d’optimiser son budget. On fait en sorte d’épargner de l’argent pour financer le plus grand nombre possible de causes.
Pour la préparation du dossier, le plafond était de 15 000 $; pour les recours devant les tribunaux, le plafond était de 60 000 $ en première instance et de 35 000 $ en appel. Ce sont là les plafonds.
Lorsque l’on a mis fin au programme en 2006, était-ce parce qu’on n’en voyait plus l’utilité ou parce qu’il avait rempli ses objectifs?
On a mis fin au programme dans le cadre du processus d’examen des dépenses. Dans ce genre d’examen, il y a toujours des compromis à faire et des décisions à prendre quant aux compressions à apporter.
La conséquence la plus grave a été évidemment que la Fédération des communautés francophones et acadienne a poursuivi le gouvernement au motif que l’annulation du programme ne respectait pas ses droits en matière de langues officielles. Il y a eu un règlement hors cour et on a mis sur pied le Programme d’appui aux droits linguistiques, qui est toujours en vigueur.
Cela a été la conséquence la plus directe. On ne peut pas savoir combien de causes n’ont pas été présentées parce que le programme n’existait plus, mais, essentiellement, les causes-types n’étaient plus financées.
Les causes-types n’étaient plus financées par le gouvernement, mais elles se sont poursuivies…
Désolé, je ne voulais pas vous interrompre.
Je suppose donc que des causes relevant des droits de la Charte n’ont pas été présentées, alors qu’elles auraient dû l’être.
En ce qui concerne les droits linguistiques, je souhaite simplement ajouter que pendant une certaine période le Programme de contestation judiciaire ne s'appliquait pas aux droits linguistiques. Cette période va de 2006, année de l'abolition du programme, à 2009, année où a été mis en oeuvre le nouveau programme pour la défense des droits linguistiques.
[Français]
c'était le Programme d'appui aux droits linguistiques.
[Traduction]
Ce programme entré en vigueur en 2009 se fondait sur les mêmes dispositions constitutionnelles concernant les droits linguistiques. Pendant trois ans, aucun nouveau cas lié à la protection des droits linguistiques n'a pu être financé. Toutefois, en 2009, avec l'arrivée du nouveau programme, de nouvelles demandes ont pu être présentées au titre de la protection de ces droits.
Pouvez-vous indiquer quel genre d'organisations ou de personnes ont eu recours au programme quand il était en vigueur?
Diverses organisations de défense des droits y ont eu recours. En fait, 290 groupes ont reçu du financement. Nous avons tenté de prendre en compte les plus grands utilisateurs. Ce sont le Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes, Egale Canada, le Bureau d'aide juridique afro-canadien, le Centre de recherche-action sur les relations raciales et le Conseil des Canadiens avec déficiences qui ont présenté le plus grand nombre de cas, environ 20 % du total, mais nombre d'autres groupes ont eu recours au programme.
Ma dernière question porte sur les contestations judiciaires. Y a-t-il aussi eu une importante couverture internationale concernant le respect du Canada à l'égard des droits internationaux de la personne dans le cadre du programme et des cas qui ont été présentés?
Je crois qu'il y a une façon de répondre à cette question. Je suis récemment allée à Genève pour témoigner devant le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies. Je signale que le Canada est notamment partie au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et que le Programme de contestation judiciaire lui a valu des éloges. Dans son plus récent rapport, le comité a réclamé le rétablissement de ce programme.
Ai-je répondu à votre question? J'imagine que le volet international correspond aux obligations découlant des traités internationaux auxquels le Canada est partie et ce programme pourrait être considéré comme un exemple de respect de ces obligations.
Dans les années 1980, l'affaire Ford sur la langue d'affichage a amené un comité des Nations unies à statuer que l'interdiction imposée par le Québec d'afficher en anglais contrevenait aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ne s'agit-il pas d'un cas qui a été financé et qui a eu des répercussions sur la scène internationale? Cette affaire a fait l'objet d'une décision de la part d'une instance internationale après que la disposition de dérogation eut été invoquée.
Vous avez raison. Au Canada, les dispositions de la Charte de la langue française concernant la langue d'affichage au Québec ont été portées devant les tribunaux et la Cour suprême du Canada les a invalidées, du moins celles qui interdisaient l'utilisation d'une autre langue que le français. À l'époque, le gouvernement Bourassa a décidé d'invoquer la disposition de dérogation pour permettre l'utilisation d'autres langues à l'intérieur des commerces à condition que la présence du français prédomine.
Conformément à ce projet de loi, l'affaire a été portée devant le Comité des droits de l'homme des Nations unies au titre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il importe de signaler ici que les conclusions du Comité des droits de l'homme ne sont pas exécutoires au Canada. Quoi qu'il en soit, le comité a conclu que l'interdiction d'utiliser d'autres langues que le français en vertu de la Charte de la langue française contrevenait à certaines dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Nous terminons maintenant la première série de questions pour entreprendre la deuxième.
Pour que tout le monde soit au courant de l'ordre que nous suivrons pour ce deuxième tour, je précise que nous commencerons par un libéral, suivi d'un conservateur, d'un libéral, d'un conservateur et enfin, d'un néo-démocrate.
Je ferai preuve d'autant de souplesse que possible si le représentant du NPD a besoin de plus de temps.
Monsieur Hussen, vous avez la parole.
Ma question porte sur les groupes sous-représentés parmi les utilisateurs du Programme de contestation judiciaire. Quels ont été les groupes les plus sous-représentés? Autrement dit, quels groupes ont le moins eu recours au programme?
Je réponds à votre question indirectement en vous fournissant l'information dont je dispose. Nous avons des données par catégorie et par nombre de cas.
Les affaires concernant la couleur, la race, l'ethnicité et la nationalité sont les plus nombreuses, soit 71. Elles sont suivies par les contestations liées à la discrimination fondée sur le sexe et l'égalité des genres, au nombre de 60; l'orientation sexuelle, 40; les droits linguistiques, 39 — la première catégorie pour les droits linguistiques porte la mention « divers » et la seconde « éducation » —; les Autochtones, 27; la pauvreté, 27; et les personnes handicapées, 20. Pour ce qui est du nombre de cas uniquement, ce sont les affaires concernant la discrimination fondée sur les handicaps qui ont fait l'objet de moins de demandes. Je précise qu'il ne s'agit pas d'un jugement sur l'incidence des cas ou sur leur portée. Il s'agit simplement d'un regroupement par catégories.
Ces renseignements vous sont-ils utiles?
Certainement.
Par ailleurs, pourquoi pensez-vous que certains groupes sont plus susceptibles de recourir au programme que d'autres? Est-ce parce qu'ils connaissent mieux le programme ou qu'il leur est plus facile de s'en prévaloir? D'après votre expérience, qu'est-ce qui explique que certains groupes sont plus enclins à faire une contestation judiciaire en vertu de la Charte?
Votre question est très pertinente.
Comme je l'ai mentionné plus tôt, des obstacles financiers de toutes sortes peuvent expliquer en partie le problème. Les ONG aident les particuliers à s'y retrouver dans le système, notamment en ce qui concerne le recours au programme. Autrement dit, lorsqu'une organisation peut aider, il est plus probable que les personnes lésées présentent une demande.
Je n'ai pas de données précises qui indiquent quels secteurs peuvent avoir été confrontés à des obstacles en particulier.
En dernier lieu, pourriez-vous en dire un peu plus sur les obstacles financiers? Il n'est pas nécessaire de donner des détails précis, mais j'apprécierais que vous élaboriez un peu plus sur les obstacles dont vous avez fait mention.
Ce sont généralement des questions d'ordre financier qui empêchent les gens de recourir au système judiciaire. Tout programme qui fournit de l'aide financière pour présenter une contestation judiciaire appuie des gens qui autrement n'auraient pas pu porter leur cause devant les tribunaux.
J'essaie de ne pas trop intervenir, mais j'aimerais comprendre. Je vais essayer de résumer les propos de M. Hussen un peu différemment.
Je crois que M. Hussen veut dire qu'il y a probablement plus de groupes que de particuliers qui ont eu recours au programme pour la protection de l'égalité des droits, quand il était en vigueur, et, aujourd'hui, au nouveau programme, davantage axé sur la protection des droits linguistiques, qui pourrait théoriquement s'inscrire dans le cadre d'un programme de contestation judiciaire plus vaste, parce que les groupes connaissent mieux les programmes qui sont offerts.
Si je ne m'abuse, M. Hussen essaie de savoir comment mieux faire connaître le Programme de contestation judiciaire, s'il était rétabli, pour que davantage de Canadiens y aient recours, notamment des particuliers et des groupes qui ne s'en sont pas très souvent prévalus faute d'information et de l'appui de spécialistes.
Voilà une excellente question qui nous amènera à nous pencher sur un autre aspect important lorsque nous examinerons diverses options et que nous élaborerons des politiques.
Je pense que c'est effectivement la raison d'être des activités de promotion et de sensibilisation. La promotion du programme lui-même a fait l'objet d'un financement réservé. De toute évidence, la promotion constitue souvent un défi pour le gouvernement. Si les gens ne connaissent pas l'existence d'un programme ou s'ils ne le comprennent pas, ils ne vont pas s'en prévaloir.
Les choses ont changé dans ce domaine aussi. C'est évident quand on jette un coup d'oeil aux anciens rapports ainsi qu'aux brochures et aux dépliants sur le programme. Dans le contexte actuel caractérisé par l'utilisation des médias sociaux et Internet, nous envisagerons différentes formules pour faire la promotion du programme et veiller à ce que davantage de Canadiens en connaissent l'existence, comprennent ce qu'il offre et comment s'en prévaloir. Nous devons certainement moderniser notre approche à cet égard.
En fait, les deux programmes ont fait l'objet d'activités de promotion précisant la nature de l'aide offerte aux groupes et aux particuliers désireux de faire respecter leurs droits. On faisait également la promotion des droits. Dans le cadre du nouveau programme, en l'occurrence le Programme d'appui aux droits linguistiques, on fait abondamment usage d'Internet. Je vous invite d'ailleurs à consulter le site Web. Vous y trouverez de courtes capsules où on explique aux gens quels sont leurs droits et quels recours s'offrent à eux en cas de besoin. Il y est également question des divers types de droits auxquels s'applique le programme.
Par surcroît, des forums et des colloques sont organisés partout au Canada. Ces événements s'adressent à un type plus précis d'intervenants. Les activités de promotion sont présentes. On fait de l'excellent travail pour faire connaître le nouveau programme, ce qui porte à croire qu'on fera encore mieux en ce qui concerne le prochain programme.
En 1985, quand l'article 15 de la Charte est entré en vigueur, le comité de la Chambre des communes chargé d'examiner l'incidence de ces nouvelles dispositions a noté que les contestations étaient essentiellement présentées par des particuliers contre des ministères ou des organismes gouvernementaux. Le comité a conclu que les particuliers qui souhaitaient faire une contestation fondée sur l'article 15 se butaient à certains obstacles.
Or, nous avons constaté que, depuis 1985, la plupart des contestations en vertu de l'article 15 ont été faites à l'initiative de groupes, non de particuliers. Vous pourriez peut-être confirmer que la vaste majorité des affaires qui ont bénéficié d'un financement dans le cadre du Programme de contestation judiciaire ont été présentées par des groupes et non par des particuliers.
Comme je l'ai indiqué dans mon exposé, les données dont nous disposons révèlent que, entre 1994 et 2006, environ 53 % des demandes ont été faites par des groupes et 47 % par des particuliers. Le rapport est donc assez équilibré.
Je me permets d'ajouter que ce sont souvent des groupes qui portent leur cause devant les tribunaux. Les groupes ont des ressources, ils ont un conseil d'administration et ils peuvent prendre des décisions mais, en définitive, la décision des tribunaux vise des particuliers.
Au chapitre des droits linguistiques, bon nombre de cas sont liés à l'éducation. Il arrive souvent que des associations de parents portent la cause d'un conseil scolaire devant les tribunaux, notamment pour que les enfants aient accès à une éducation de qualité égale. Les conseils scolaires ont entre autres le pouvoir de décider qui a le droit de fréquenter une école francophone.
Même si les causes sont défendues par des groupes, notamment des associations de parents, on constate que, en définitive, les décisions des tribunaux ont une incidence sur les particuliers, en l'occurrence les parents et les enfants. Il ressort que c'est souvent un groupe qui s'occupe de saisir les tribunaux d'une affaire, mais l'incidence de la décision va bien au-delà de ce groupe.
Encore une fois, il ressort que la majorité des cas sont présentés par des groupes, non par des particuliers. Si j'ai bien compris, en peu de temps — vous pouvez me corriger si je suis dans l'erreur —, le Programme de contestation judiciaire a commencé à financer des programmes d'action directe non seulement pour appuyer des groupes et des particuliers qui invoquaient l'article 15 mais aussi pour créer ou promouvoir des groupes destinés à présenter des contestations fondées sur cet article. Je pense qu'environ 15 % du budget alloué au Programme de contestation judiciaire a été consacré à cela dès 1989.
Pourriez-vous nous faire part de vos observations à ce sujet?
Premièrement, je reviens brièvement sur ce qui a été dit au sujet des activités de promotion et d'accès au programme, car je crois que c'est ce dont vous parlez. Un financement minime a été accordé à certaines organisations pour présenter des cas ou faire des études d'impact. Je pense que c'est de cela que vous avez fait mention.
Ce genre d'appui était prévu dans le programme. Je répète que l'objectif consistait essentiellement à améliorer la sensibilisation et l'accès au Programme de contestation judiciaire. Autrement dit, ces activités visaient à faire en sorte que les particuliers qui s'estimaient lésés d'une façon ou d'une autre puissent faire valoir leurs droits devant les tribunaux.
Madame Wernick, je crois que vous avez indiqué que le coût des procédures judiciaires constituait l'un des principaux obstacles pour porter une affaire devant les tribunaux. Cet obstacle ne se pose-t-il pas à tous les groupes? Pourquoi, par exemple, certains groupes qui défendent l'égalité des droits sont-ils particulièrement désavantagés à cet égard?
Je suis désolée, je ne comprends pas votre question. Les personnes qui estiment que leurs droits sont lésés se tournent parfois vers certaines organisations pour obtenir de l'aide. Par exemple, si je suis handicapée...
Je suis désolé de vous interrompre, madame Wernick. Je ne sais pas si c'est l'une des attributions du président, mais je tiens simplement à clarifier la question de M. Cooper. Il demande si lorsque le Programme de contestation judiciaire était en vigueur, certains groupes de défense des droits à l'égalité auraient pu bénéficier d'une aide financière de la part du gouvernement.
Certains groupes contestent des lois fédérales. Je crois que M. Cooper demande pourquoi certains groupes ont droit à un financement de la part du gouvernement alors que d'autres non.
Cela dépend si la contestation est fondée sur un élément de la Constitution ou sur un droit garanti en vertu de la Charte. Cela ne dépend pas du groupe en soi, mais plutôt de l'élément de droit invoqué. Les contestations judiciaires de certains groupes peuvent ne pas être fondées sur des droits constitutionnels ou garantis en vertu de la Charte. Cela répond-il à votre question?
Oui.
Vous avez mentionné divers groupes, notamment le Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes, Egale, le Conseil des Canadiens avec déficiences et un autre organisme si je ne m'abuse. Ce sont quatre groupes qui ont souvent reçu un appui financier dans le cadre du Programme de contestation judiciaire. Ces quatre groupes étaient-ils les principaux bénéficiaires du programme?
Comme je l'ai indiqué, nous avons examiné les données et nous savons qu'environ 290 groupes ont bénéficié d'un financement. Nous avons également été en mesure de trouver les groupes.... Les cinq groupes que j'ai mentionnés représentaient... Par exemple, le Conseil des Canadiens avec déficiences a présenté 20 cas sur 846, ce qui correspond à 2,4 %. Les demandes des groupes que j'ai nommés représentent 2, 3 ou 4 % des cas, sur un total de 846. Je voulais simplement mentionner quelques organisations. J'ai nommé celles qui sont peut-être plus connues, mais leurs demandes ne représentent ni la moitié, ni une grande proportion du total des cas présentés.
À mon humble avis, le Programme de contestation judiciaire était une excellente initiative qui a permis de faire avancer la défense des droits au Canada et dont se sont prévalus de nombreux groupes.
A-t-on discuté de la possibilité de permettre à une organisation de poursuivre ses activités ou d'empêcher un futur gouvernement de mettre fin à un financement? A-t-on parlé de la façon dont un programme pourrait être structuré pour que le financement soit maintenu, peut-être indépendamment du gouvernement?
En fait, la seule façon de garantir le financement serait de l'inscrire dans la Constitution. Autrement, même si le financement était prévu dans un projet de loi qui deviendrait une loi, le gouvernement de l'heure ou son successeur pourrait abroger la loi en question parce que le Parlement est souverain. La seule façon d'empêcher ou de compliquer l'abolition du programme serait de modifier la Constitution pour protéger le programme. Je signale toutefois que cela pourrait représenter une tâche énorme et passablement difficile. Il faudrait appliquer la formule de modification de la Constitution. La tâche serait ardue, qu'il s'agisse de protéger le programme en l'inscrivant dans la Constitution, ou de l'en supprimer au cas où il y serait prévu.
Il ne serait pas juste qu'il soit impossible ou plus difficile pour une organisation d'obtenir un financement plus stable dans l'avenir pour assurer son autonomie financière? Éventuellement, un futur gouvernement pourrait agir pour assurer l'autosuffisance de l'organisation.
Je pense qu'on a déjà envisagé dans le passé un modèle qui servirait de référence. Je pense que c'est une autre question dont il faudra discuter dans le cadre de la modernisation du programme. Il va sans dire qu'il s'agit d'un modèle différent.
Vous avez dit que les plus gros obstacles à l’accès au système judiciaire sont d'ordre financier. Lorsque nous avons reçu l'un des plus importants défenseurs du système, le juge en chef, il nous a affirmé que le système fonctionnait très bien pour les très riches et les très pauvres, mais moins bien pour ceux qui sont entre les deux. Le système ne s'est pas amélioré — notamment au civil —, alors il peut être beaucoup plus difficile qu'avant de faire avancer une requête.
En répondant à M. Rankin, vous avez mentionné les plafonds en matière de financement. Les niveaux de financement étaient-ils quand même suffisants pour faire avancer les dossiers ou est-ce que l'on s'attendait à ce que les avocats fassent beaucoup de travail gratuitement?
Nous en avons eu l'expérience avec le Programme d'appui aux droits linguistiques, qui a été créé après la suppression du Programme de contestation judiciaire, en 2006. Le plafond du Programme de contestation judiciaire pour une première comparution était de 60 000 $. Lorsque nous avons commencé le Programme d'appui aux droits linguistiques, le plafond a été fixé à 85 000 $. Au bout d'un an, un groupe d'experts a recommandé que ce montant soit haussé à 125 000 $ par cause. Le montant offert par cause pour la procédure a donc plus que doublé entre 2006 et 2010.
Le programme vient tout juste d'être examiné, et ce montant est encore considéré comme étant dans la fourchette inférieure de ce qu'une procédure coûte réellement. On dit que la procédure de l'affaire Caron a coûté entre 800 000 $ et 1 million de dollars, voire plus.
Tous ceux qu'on a interrogés dans le cadre de l'évaluation du programme ont dit que le montant de 125 000 $ n'était pas un montant symbolique. L'appui de ce programme donne de la crédibilité à une cause, puisque cela veut dire qu'il ne s'agit pas de n'importe qui, n'importe où, qui aurait décidé de recourir aux tribunaux pour poursuivre le gouvernement. Cela signifie plutôt que la procédure aura reçu l'approbation d'un groupe d'experts et de ténors dans ce domaine. Cet aspect joue aussi en faveur du requérant.
On sait que bon nombre d'avocats dans ce domaine font du travail gratuitement, et cela fait partie de l'équation.
Oui, les coûts des affaires judiciaires ont explosé au cours des dernières années. Je suis convaincu que mon collègue du ministère de la Justice pourrait nous en parler. Nous tentons de faire du rattrapage, mais l'objectif n'a jamais été de payer tout. Le plan consiste à fournir la première tranche de 100 000 $ aux fins de démarrage, et c'est ce qui explique pourquoi ce sont des groupes et non des particuliers qui soumettent ces dossiers. Si vous payez pour votre propre démarche, il vous faudra des assises solides pour tenir le coup à long terme.
J'ai quelques questions sur les modèles de financement utilisés par le Programme de contestation judiciaire. Selon quels critères décidez-vous d'approuver le financement de telle ou telle cause?
Dans le cas du Programme d'appui aux droits linguistiques, qui s'est inspiré de leur ancien programme, il faut qu'il soit question d'un droit constitutionnel mentionné dans l'accord de contribution que nous avons avec eux. Pour ce qui est de la langue, il s'agit de votre droit constitutionnel à l'éducation; le droit découlant de la prestation de services en français et en anglais par les institutions fédérales; et l'article 2 de la Charte, qui concerne la liberté d'expression, si l'affaire revêt une dimension linguistique. M. Housefather a parlé de l'affaire Ford, qui s'attaquait à la loi 101, au Québec. Une loi provinciale ne peut être contestée par le programme, mais étant donné que ces éléments de la loi 101 concernaient la liberté d'expression, dont le droit est garanti par la Charte, le programme a pu être mis à contribution.
La première vérification se fait en regard des droits de la Charte qui sont reconnus et pour lesquels le programme peut s'appliquer.
Dans le cas du Programme d'appui aux droits linguistiques, la deuxième vérification prend la forme d'un groupe d'experts qui décidera si la cause présentée est la meilleure à financer avec l'argent dont dispose le Programme. Étant donné le plafond de 125 000 $ par dossier et l'enveloppe d'environ 700 000 $ par année à consacrer aux procédures, on peut comprendre que des choix s'imposent. Le programme n'est pas là pour financer toutes les causes, mais bien les meilleures.
C'est essentiellement la même chose en ce qui concerne le droit à l'égalité. La cause devait avoir un lien avec les dispositions de la Charte constitutionnelle dont nous avons déjà parlé — lois, politiques ou pratiques fédérales — et satisfaire aux critères d'une cause type.
Je crois qu'il importe de préciser que la cause ne devait pas correspondre à des causes déjà financées ou tentées, ou dont un tribunal avait déjà été saisi. Nous avions certaines dispositions pour assurer que nous visions les bons secteurs et qu'il n'y avait pas de répétition ou de chevauchement.
Lorsque j'essaie de me représenter l'accès à la justice, je me dis que le programme pourrait être utile en ce sens — dans le cas des particuliers — et je vois quels aspects auraient besoin de financement. Les groupes ont quant à eux souvent accès à un financement substantiel.
Y a-t-il une condition financière que les groupes doivent satisfaire pour avoir du financement? Quels taux de partage des coûts exigez-vous? Y a-t-il des seuils à partir desquels vous financez tout? Donnez-moi des détails sur votre grille tarifaire.
De plus, y a-t-il des limites aux taux horaires des services juridiques, et quels sont ces taux? J'aimerais beaucoup que vous nous parliez du partage des coûts. Si un groupe est en mesure de payer pour une contestation, mais qu'il opte pour le programme du gouvernement pour la seule raison que ce programme existe, quels critères appliquez-vous pour décider si l'aide devrait être accordée ou non?
La réponse courte à votre question est que vous devez savoir que ce programme est administré par une tierce partie. C'était le cas avant et ce l'est toujours. Nous avons un accord de contribution qui est passablement détaillé, mais pas à ce point. Si le dossier est accepté, le programme accorde au requérant la limite dont nous avons parlé — 125 000 $ pour une cause visée par le Programme d'appui aux droits linguistiques — afin de lui permettre de payer ses frais juridiques. À ma connaissance, le programme n'a pas établi de seuils pour les taux horaires ou pour d'autres types d'activités. Toutes les causes que je connais qui se sont retrouvées en cour ont coûté beaucoup plus que ce qu'offrait le Programme.
Il y avait des taux maximums, mais comme le dit Yvan, la prestation se fait par une tierce partie. Le programme, son conseil de direction, ses membres indépendants ont fixé ces taux dans l'accord de contribution. Or, j'ai ici de l'information qui dit, par exemple, que le programme comporte des taux maximums pour les choses qui peuvent être remboursées au demandeur, c'est-à-dire les frais administratifs, les honoraires pour la recherche en droit et les consultations, la rédaction juridique et les photocopies. Les demandeurs ne pouvaient pas demander plus de 20 cents par page.
Aux fins de gestion, il y avait dans le cadre du programme des limites précises pour tous ces aspects.
Le temps de M. Falk est terminé. J'aimerais poser une question de suivi à ce sujet. Seriez-vous en mesure de fournir au Comité des copies des accords de contribution pour que nous puissions voir exactement ce qu'ils contiennent?
J'aimerais rester encore un peu sur l'affaire Caron et l'affaire de l'Alberta, car ce sont des exemples des enjeux de droits linguistiques dont j'ai déjà parlé.
D'après ce que je comprends, en novembre, la Cour suprême a statué que l'Alberta n'est pas tenue de légiférer dans les deux langues officielles, ce qui, selon le commissaire aux langues officielles, a eu une incidence sur les dispositions législatives relatives à l'administration de la justice, à la nomination des juges et à l'accès dans la langue de son choix dans une province comme l'Alberta.
Est-ce le genre de cause que le Programme de contestation judiciaire pourrait accepter? Est-ce le genre de cause qui pourrait recevoir une aide financière?
Cette cause a déjà été financée, et l'affaire a été réglée.
Pour que le programme s'y intéresse de nouveau, il faudrait trouver un nouvel angle à présenter aux tribunaux. Il faudrait établir que la cause concerne effectivement les droits constitutionnels qui n'ont pas été clarifiés. L'affaire Caron est un exemple très intéressant de clarification de droits constitutionnels. C'est un angle qui a déjà été appliqué.
Oui, mais pourrait-il l'être dans une autre province, par exemple? Est-ce que votre critère suggère qu'une cause qui n'aurait pas connu l'issue qu'on espérait dans une province pourrait être relancée dans une autre, comme en Colombie-Britannique, par exemple? Est-ce votre façon de procéder, ou si le précédent a un tel poids qu'il vous amène à conclure que le jeu n'en vaut pas la chandelle?
Je sais que Michel est impatient de répondre à cela.
En fait, l'affaire Caron s'appliquait à la Saskatchewan, à l'Alberta et aux Territoires du Nord-Ouest, ainsi qu'à certaines parties du Manitoba et même d'autres provinces qui, un jour, ont fait partie des Territoires du Nord-Ouest. La Colombie-Britannique n'en a jamais fait partie. Essentiellement, la décision a été rendue pour toutes ces terres qui appartenaient aux Territories du Nord-Ouest...
Mais, dans cet exemple, il n'y a pas de valeur de précédent pour la Colombie-Britannique.
D'accord, la cause a été jugée.
Je sais que chaque cause est unique. Je sais que les mesures législatives en causes sont uniques, mais pourriez-vous dire: « Un instant, il ne serait pas très judicieux de tenter la même chose dans une autre province. Nous allons miser sur un autre cheval. »
Je veux savoir comment vous priorisez les causes et comment vous prenez vos décisions.
Ce n'est pas nous qui priorisons les causes. Le choix se fait de manière indépendante par un groupe d'experts. Si vous le souhaitez, vous pouvez inviter la direction du Programme d'appui aux droits linguistiques pour qu'elle réponde à vos questions.
Bref, nous avons un groupe d'experts qui se prononce sur le mérite de la cause visée. Par exemple, dans le scénario théorique de la Colombie-Britannique, on examinera les documents que les requérants comptent utiliser pour étayer leur cause afin d'établir s'il y a une possibilité de gagner. On regardera aussi les autres causes présentées cette année-là et l'on choisira celles qui sont les plus intéressantes.
Parlez-nous un peu plus de la nature du groupe d'experts et de son processus décisionnel. Fait-il une recommandation au gouvernement quant à la façon de dépenser les fonds? Comment cela fonctionne-t-il au juste?
Dans le cas du Programme d'appui aux droits linguistiques — et le fonctionnement de ce programme diffère de celui du Programme de contestation judiciaire —, le groupe d'experts compte quatre avocats qui ont de l'expérience et des connaissances à l'égard des questions de droits linguistiques, un expert dans les modes alternatifs de résolution des conflits, qui, habituellement, a lui aussi des antécédents dans le domaine juridique, et quatre représentants des groupes minoritaires.
Comme vous le savez, le programme a été créé dans la foulée d'une entente hors cour avec la Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada, ce qui explique pourquoi son volet sur les droits pour les minorités de langue officielle est si important. Mais il couvre aussi toutes sortes de droits linguistiques.
D'une certaine façon, le groupe d'experts est autonome en ce qui concerne ses décisions au sujet des dossiers qu'il examine. Le personnel et les analystes du programme s'emparent d'un dossier et rédigent un précis. Puis, les experts se réunissent pour examiner le tout, ils jettent un coup d'oeil aux fonds disponibles et ils décident quelles causes ils appuient.
Le Programme d'appui aux droits linguistiques produit un rapport annuel où l'on décrit la plupart des causes qui ont été soutenues. Si un requérant décide qu'il ne veut pas que l'on sache qu'il reçoit l'aide du programme, il y a une clause de confidentialité. Si les requérants ne veulent pas que nous le sachions, nous ne saurons même pas quelles causes le programme appuie. D'une certaine façon, le requérant a droit d'être discret.
Le programme fonctionne en totale autonomie. Nous avons les rapports. Le gros des renseignements dont nous vous avons fait part a été tiré d'anciens rapports du Programme de contestation judiciaire ou de rapports obtenus du Programme d'appui aux droits linguistiques. Mais le programme est indépendant.
Merci beaucoup.
Nous venons de terminer la deuxième série de questions. Il n'y a pas vraiment de règles pour ce qui vient ensuite. Je demanderai donc à chaque groupe de me dire s'il a d'autres questions à poser ou s'il souhaite plutôt que l'on mette fin à la séance.
Est-ce que tout le monde a eu les réponses qu'il voulait ? Du côté des libéraux? Du côté du NPD?
Au point 2 de la page 6 de la présentation qui nous a été remise, on indique que la plupart des demandes rejetées ne répondaient pas aux exigences en matière d'admissibilité.
Je m'interroge sur le segment « la plupart des demandes rejetées ». Quelles sont celles qui répondent aux critères d'admissibilité, mais qui ont quand même été rejetées, et pourquoi le sont-elles?
Les critères d'admissibilité sont liés à la politique fédérale, au critère de la cause type, à l'exigence de ne pas répéter une ancienne... ce sont les principales raisons pour lesquelles on rejette des demandes de financement.
J'imagine qu'un très petit nombre de demandes ont été rejetées parce qu'elles étaient incomplètes ou qu'elles ne donnaient pas assez d'informations. Les demandeurs n'étaient pas admissibles.
Dans le cas du Programme d'appui aux droits linguistiques, la raison pour laquelle certaines demandes n'ont pas reçu de financement est que le groupe d'experts a choisi les meilleures causes qui lui avaient été soumises et que, par conséquent, certaines autres ont dû être laissées de côté faute d'argent.
Oui. Si le dossier est admissible et que la cause porte sur un droit couvert par le programme, on l'examine. Puis on choisit les meilleurs.
[Français]
J'aimerais remercier tous les témoins qui ont comparu devant nous aujourd'hui. Vous avez été de très bons témoins et j'apprécie énormément votre contribution au travaux du comité.
[Traduction]
Étant donné que nous évaluons le Programme de contestation judiciaire, je suis convaincu que nous allons revenir avec nos recommandations et, peut-être, de l'information sur l'admissibilité et le fonctionnement des contributions. Nous aimons l'attention que vous accordez à nos recommandations.
Je vous souhaite une très bonne journée. Merci beaucoup.
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