Au nom de la Dre Faure et de l'Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité, ainsi qu'en mon nom, je veux dire que nous sommes très heureux d'être ici et que nous vous remercions beaucoup de nous donner l'occasion de discuter de ce très important projet de loi.
[Français]
Je m'appelle Georges L'Espérance. Je suis neurochirurgien et président de l'Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité.
Comme tout neurochirurgien, j'ai été amené au fil de ma carrière à traiter des gens victimes de tumeurs cérébrales, d'hémorragies cérébrales et de traumatismes cérébraux majeurs. Certains évoluent bien alors que d'autres vivent une longue détérioration qui peut s'échelonner sur plusieurs années. Tous ces êtres humains ont eu un nom et une vie.
Certains autres patients sont dans la fleur de l'âge, comme ma petite soeur cadette décédée il y a un an, à l'âge de 49 ans, d'un cancer de l'ovaire avec métastases cérébrales. Elle est décédée en soins palliatifs après une agonie indigne. C'est aussi le propre de plusieurs maladies neurologiques dégénératives telles que la sclérose latérale amyotrophique, la démence et d'autres maladies.
Je suis accompagné aujourd'hui de la docteure Nacia Faure, endocrinologue de formation, qui s'est consacrée avec compassion et dévouement aux soins palliatifs au cours des dernières années de sa carrière. Elle est parfaitement bien placée pour défendre le concept selon lequel l'aide médicale à mourir doit faire partie des soins palliatifs pour les quelques personnes qui le demandent.
Nous représentons avec fierté l'Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité fondée en 2007 par Mme Hélène Bolduc et qui milite depuis pour que chaque personne ait une fin de vie conforme aux valeurs de dignité et de liberté qui l'ont toujours animée. Nous n'abordons ici que les aspects purement médicaux et nous laissons à d'autres l'argumentaire juridique.
L'Association comprend que le projet de loi C-14 vise à modifier des articles spécifiques du Code criminel et n'est pas comme tel un projet de loi sur l'aide médicale à mourir. En ce sens, le projet de loi C-14 n'a pas à réitérer la protection de l'objection de conscience d'un médecin, infirmier clinicien ou pharmacien. Ces considérations essentielles sur un sujet aussi sensible doivent être intégrées dans les lois provinciales qui encadrent ou encadreront l'aide médicale à mourir.
L'objection de conscience est un concept bien reconnu, basé sur les convictions profondes d'un individu, mais pas d'une institution. À la suite du jugement unanime de la Cour suprême, deux aspects spécifiques du projet de loi C-14 doivent selon nous être bonifiés, soit la possibilité d'aide médicale à mourir pour les personnes avec pathologies chroniques débilitantes mais non terminales à court ou moyen terme et les dispositions sur les directives médicales anticipées.
Pour les personnes avec pathologies chroniques débilitantes mais non terminales à court ou moyen terme, les exemples les plus frappants et qui occupent l'esprit d'une majorité de citoyens concernent les patients avec pathologies neurodégénératives ou traumatiques. Lorsque les capacités cognitives sont préservées, elles permettent un consentement éclairé. Il en est de même des patients avec pathologies chroniques débilitantes, comme l'insuffisance respiratoire avancée, l'insuffisance cardiaque et ainsi de suite.
Aujourd'hui, il est admis que toute personne reconnue apte peut refuser tout examen et tout traitement même au risque de mettre sa vie en danger. De multiples décisions des cours suprêmes du Canada et des États-Unis ont toujours accordé à ces patients le droit de cesser tous les traitements même si la mort en est la conséquence inéluctable, immédiate ou à court terme.
Tout adulte atteint d'une maladie incurable ou affligé de souffrances insupportables devrait avoir la possibilité de recevoir de l'aide médicale à mourir au moment et de la manière qui lui paraissent opportuns au lieu de devoir s'infliger des souffrances inutiles pour se conformer aux critères d'une loi trop restrictive. On pense ici, bien sûr, à ces patients qui s'infligent un jeûne terminal qui peut durer plusieurs semaines.
Il serait très paradoxal qu'un tel droit de refus thérapeutique existe, avec son cortège de souffrances et d'agonies souvent interminables, mais pas celui du dernier geste compassionnel d'un soignant envers l'humain en face de lui. Les soins palliatifs, malgré leur grande utilité, n'ont pas réponse à tout.
Arrive un moment où la médecine est à bout de ressources et celui où le patient considérant que sa propre dignité est en cause ne veut plus vivre ce cauchemar quotidien dans lequel son corps est enfermé. Il est du devoir de la médecine de l'aider à assumer sa dignité si tel est son désir réfléchi et répété.
L'alternative pour ces patients — en dépit des meilleurs soins de confort — est de se donner la mort, ou de tenter de le faire, dans des conditions le plus souvent indignes. La décision de demander de l'aide médicale à mourir revient au premier intéressé, soit le malade lui-même.
Ce problème clinique bien réel doit être inclus dans le paragraphe 241.2(2) du projet de loi C-14, sous la forme de la recommandation numéro 2 du rapport du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir qui dit ceci:
Que l’aide médicale à mourir soit accessible aux personnes atteintes de maladies terminales et non terminales graves et irrémédiables leur causant des souffrances persistantes qui leur sont intolérables au regard de leur condition.
Comme d'autres l'ont souligné, les limites temporelles qu'impose le projet de loi C-14 ouvrent la porte à des contestations juridiques qui seront très pénibles pour les patients avec des pathologies chroniques et qui voudront faire valoir leurs droits en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés.
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Le second grand problème est celui des directives médicales anticipées.
L'Association appuie sans réserve l'esprit de la recommandation 7 du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir du Parlement canadien, à savoir de permettre la demande anticipée d'aide médicale à mourir dans le cas d'une personne qui a reçu un diagnostic de maladie neurodégénérative qui, éventuellement, engendrera une perte de capacité cognitive, et ce, afin qu'elle puisse bénéficier de cette possibilité au moment choisi par elle ou par un mandataire. L'alternative à la déchéance finale, courte ou longue et bien sûr inexorable, est la possibilité, et non l'obligation, de terminer sa vie en douceur, selon ses propres convictions et non pas celles d'autres personnes, quelles qu'elles soient.
L'Association demande donc d'inclure au paragraphe 241.2(1) la disposition suivante:
Que l'on autorise le recours aux demandes anticipées d'aide médicale à mourir après qu'une personne aura reçu un diagnostic de problème de santé grave ou irrémédiable qui lui fera vraisemblablement perdre ses capacités cognitives. On appliquera aux demandes anticipées les mêmes mesures de protection que pour les demandes d'aide médicale immédiate.
J'aimerais dire quelques mots sur les personnes présentement inaptes, sur les mineurs ainsi que sur la problématique de la santé mentale.
Dans l'état actuel des choses, l'Association est entièrement favorable au maintien de l'interdiction touchant les personnes inaptes qui n'auraient pas formulé leurs directives médicales anticipées ainsi que toutes les personnes nées avec un déficit cognitif ou qui ont perdu leurs capacités cognitives avant d'avoir pu exprimer leurs volontés de façon explicite et éclairée. Il ne doit y avoir pour la société aucune confusion possible entre l'aide médicale à mourir et l'eugénisme. Quant aux personnes mineures et aux patients souffrant de pathologies psychiatriques primaires, la réflexion doit se poursuivre et s'alimenter d'échanges avec des pays qui font face aux mêmes questionnements. Nous pourrons tous bénéficier d'une réflexion commune, menée et partagée par plusieurs pays.
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Enfin, je vous livre une dernière réflexion sur le suicide assisté.
L'Association se questionne sur une disposition du projet de loi , soit l'alinéa 241.1b), qui nous semble donner ouverture à une forme de suicide assisté. Nous soutenons qu'il doit être très clair que l'aide médicale à mourir est — et doit rester — dans le cadre strict d'un acte médical, et donc administrée par un médecin, une infirmière clinicienne ou un infirmier clinicien, selon les dispositions législatives de chaque province.
Il y a quatre raisons essentielles à cela.
Premièrement, c'est la science médicale contemporaine qui a fait en sorte que les personnes atteintes de maladies sérieuses et graves survivent de façon très satisfaisante pendant un certain temps. Il est de la responsabilité de la médecine d'aider les personnes jusqu'au bout et de respecter leur autonomie ainsi que leur dignité lorsqu'elles n'en peuvent plus, autant physiquement que psychologiquement.
Deuxièmement, la présence immédiate et compassionnelle d'un médecin ou d'un infirmier clinicien est nécessaire pour faire face à un éventuel problème lors de l'administration de l'aide médicale à mourir.
Troisièmement, il est essentiel de s'assurer d'un cadre très strict sur le plan déontologique, professionnel, moral et de responsabilité professionnelle.
Quatrièmement, il faut éviter toute confusion entre l'aide médicale à mourir et le suicide inopiné d'une personne, qui est toujours un drame indicible.
Nous comprenons l'objectif voulant qu'on ne criminalise pas une personne qui en aiderait une autre à recourir au suicide assisté, que ce soit en Suisse ou ailleurs. Cependant, la possibilité de l'aide médicale à mourir au Canada devrait éliminer cette alternative, et ce, en toute équité, nonobstant les capacités physiques, financières ou psychosociales de la personne qui fait face à cette déchéance.
Je vous remercie de votre écoute.
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Merci, et bonjour à tous.
Au nom des membres du conseil d'administration de l'Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux et de nos organisations partenaires des provinces et des territoires, j'aimerais remercier le Comité d'avoir choisi d'entendre le point de vue des travailleurs sociaux au sujet du projet de loi .
Notre organisme a été fondé en 1926. Il s'agit du porte-parole national de la profession. Notre mandat comporte deux volets: promouvoir la profession et faire avancer les questions de justice sociale au Canada.
Je vais aller droit au but et parler du projet de loi . Bien que les travailleurs sociaux n'administreront pas de substance causant la mort, logiquement, ils participeront aux consultations qui amèneront des gens à opter pour l'aide médicale à mourir. Les travailleurs sociaux peuvent également faire partie des fournisseurs de soins de santé auprès desquels un client pourrait exprimer des inquiétudes sur sa fin de vie, et qui pourraient être les premières personnes-ressources à cet égard.
En tant que membres essentiels d'équipes interdisciplinaires, et bien souvent, en tant qu'uniques professionnels de la santé ou de la santé mentale ou ressources d'aide disponibles dans certaines régions rurales, éloignées ou nordiques, les travailleurs sociaux doivent être en mesure de fournir des services de consultations thérapeutiques; d'aider les clients, leur famille, et même leurs réseaux; et d'orienter les gens vers des services sur le sujet de l'aide médicale à mourir. Il faut qu'ils soient en mesure de faire tout cela sans craindre des répercussions de nature criminelle.
Il est très important que les clients qui envisagent de recourir à l'aide médicale à mourir puissent faire part de leurs préoccupations au fournisseur de soins de leur choix. Il est également important que les fournisseurs de soins qui participent aux discussions sur la fin de vie, ou même aux consultations, puissent le faire sans craindre de commettre une infraction s'ils le font.
C'est pourquoi l'ACTS est préoccupée par le manque de précision au sujet de l'exemption pour les personnes qui aident un praticien et celles qui aident un patient en vertu de l'alinéa 241b) du Code criminel, précisément puisque cela pourrait s'appliquer à des travailleurs sociaux. De plus, le projet de loi est fortement axé sur le geste en tant que tel — le fait de fournir ou d'administrer une substance causant la mort dans le cadre de l'aide médicale à mourir — en mettant peu l'accent sur le processus préalable, le processus de consultation.
Nous demandons des précisions au sujet de l'alinéa 241a), c'est-à-dire qu'il faut savoir si les travailleurs sociaux qui participeront à la prestation des soins aux patients menant à la décision d'opter pour l'aide médicale à mourir pourraient être considérés comme des gens qui conseillent à une personne de se donner la mort ou qui l'encouragent à le faire. Bien entendu, nous voulons éviter cela.
Afin que le problème soit réglé, nous recommandons que le projet de loi soit amendé en y précisant le sens de « conseiller ». Les fournisseurs de services en santé mentale fournissent des services de consultations thérapeutiques et ont tout le temps des conversations thérapeutiques avec leurs clients. Dans ce contexte, « conseiller » n'a pas du tout le même sens que ce qu'indique l'alinéa 241a). Nous pensons que le problème pourrait être réglé facilement par le remplacement du mot « conseille » à l'alinéa 241a) par « persuade » et « encourage ». Le libellé se lirait donc comme suit: « persuade une personne à se donner la mort ou l'encourage à le faire ».
De plus, nous recommandons l'ajout d'un passage ou la modification du libellé afin que soit prévue une exemption pour les travailleurs sociaux qui discutent de l'aide médicale à mourir avec des clients, ce qui pourrait être défini par la prestation de services de consultations thérapeutiques; l'orientation vers des sources d'information; l'aide aux clients, à leur famille, et même à leur réseau élargi; et bien entendu, l'orientation des patients vers des services.
Cela ferait simplement en sorte qu'aucun travailleur social qui discute du sujet de l'aide médicale à mourir avec une personne ou un client, que ce soit avant ou après que la personne a pris sa décision, ne serait considéré comme un individu ayant commis une infraction en vertu des alinéas 241a) et b); et également qu'aucun travailleur social qui aide un praticien ou un patient en discutant avec la personne du sujet de l'aide médicale à mourir ne serait considéré comme un individu ayant commis une infraction.
J'espère avoir été assez brève.
Cela dit, je veux encore une fois vous remercier d'entendre le point de vue des travailleurs sociaux. Je serai ravie de répondre à toutes vos questions.
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Mesdames et messieurs, j'aimerais remercier le Comité de m'avoir invité. Je vais faire quelques observations, mais je parlerai ensuite du projet de loi.
En 2001, le Parlement néerlandais a adopté une loi qui ressemble en grande partie au projet de loi .
J'ai fait partie d'un comité d'examen sur l'euthanasie pendant 10 ans. C'est un comité qui détermine, après coup, si l'aide à la mort a été pratiquée conformément à la loi. Au cours de ces années, j'ai examiné 4 000 cas d'euthanasie.
Selon les conclusions d'une étude gouvernementale de 2012, qui se fonde sur des données recueillies dès 2010, la loi néerlandaise est solide. Jusqu'à ce jour, on cite cette étude pour confirmer la solidité de la loi.
Il est vrai que la loi néerlandaise sur l'euthanasie aide bon nombre de patients très malades. Elle fournit aux médecins la protection légale nécessaire et, ce faisant, assure la transparence.
Cependant, le contexte a changé depuis 2010. La semaine dernière, les comités d'examen sur l'euthanasie ont présenté leur rapport annuel, que je peux vous montrer. Il a été présenté il y a une semaine à peine. Il indique que le nombre de personnes qui ont recours à l'euthanasie a augmenté considérablement, c'est-à-dire que depuis 2010, le nombre de cas est passé de 3 000 à 5 500. Aujourd'hui, l'euthanasie est la cause de la mort de 1 patient sur 25, et nous avons constaté une hausse importante concernant les pathologies pour lesquelles des gens demandent l'euthanasie. Par exemple, le nombre de patients atteints de démence est passé de 25 à 110 en 5 ans. Le nombre de patients psychiatriques est passé de 2 à 56 l'an dernier. De même, auparavant, une poignée de gens atteints de maladies liées à l'âge avaient eu recours à l'euthanasie; on en est à 200 personnes. Contrairement à ce qu'on pourrait s'attendre, le taux de suicide a lui aussi augmenté de 36 % au cours de la même période.
Avant la fin de la semaine, une personne qui m'est très chère mourra par l'euthanasie. Il s'agit d'un homme dans la trentaine qui souffre des conséquences d'une opération pour changer de sexe, qu'il considère maintenant comme une erreur cruciale. Nous avons beaucoup communiqué ensemble, et je l'ai prié de ne pas prendre une autre décision irrévocable. Toutefois, la possibilité de recourir à l'euthanasie a fait en sorte qu'il ne veut pas envisager sérieusement une autre solution. Pour reprendre les termes qui figurent à l'alinéa 241.2(2)c) de votre projet de loi, il juge que ce traitement n'est plus acceptable.
Dans le Canada actuel, mon ami serait toujours en vie. Il n'avait pas besoin de pressions externes, car la solitude, le désespoir, le mépris de soi et le climat social, dans lequel l'euthanasie représente une solution à de graves souffrances, ont suffi. Je pense honnêtement que la loi a contribué à créer ce climat. C'est pourquoi je suis d'avis qu'il faudrait peut-être apporter des modifications au projet de loi . Je ne doute pas que les intentions médicales liées au projet de loi soient bonnes, nobles et importantes, mais je m'interroge sur l'efficacité de ce critère, qui figure dans le préambule: « solides ».
Aux Pays-Bas, nous utilisons exactement le même libellé concernant nos critères. Toutefois, 15 ans plus tard, je peux vous dire que même le plus solide des critères peut fondre. Une fois que de nouvelles catégories de patients commencent à explorer les limites de la loi, le critère relatif aux souffrances intolérables, par exemple, devient identique à ce que souhaite un patient. Après tout, si une personne insiste et demande l'euthanasie, qui sommes-nous pour remettre en question le caractère intolérable de ses souffrances? Ou, si une personne refuse les soins palliatifs, qui sommes-nous pour insister et lui dire qu'il y a des moyens d'apaiser ses souffrances de façon moins radicale?
L'évolution de la situation aux Pays-Bas est encore plus remarquable compte tenu de l'amélioration de la qualité des soins palliatifs depuis les années 1990, les années qui ont précédé l'adoption de la loi sur l'euthanasie.
Dans un article d'une revue de l'Association médicale royale des Pays-Bas, deux éthiciens et un médecin ont proposé 10 règles pour les patients qui veulent recourir à l'euthanasie; par exemple, soyez capables de bien vous exprimer, mais restez humbles; ne donnez pas à votre médecin l'impression que vous êtes déprimés; si vous aimez toujours vos passe-temps, ne le dites pas; et insistez sur l'importance de vos souffrances physiques.
Selon une enquête de l'Association médicale royale des Pays-Bas qui a été publiée l'an dernier, 70 % des médecins du pays se sont sentis obligés de pratiquer l'euthanasie, et 64 % sont d'avis que les pressions ont augmenté.
Mesdames et messieurs, la décision que vous prendrez bientôt est l'une de celles qui ont la plus grande portée parmi les décisions qu'un Parlement peut prendre. Le résultat aura une influence sur la façon dont les Canadiens mourront d'ici 30 ou 40 ans. Plus fondamentalement, il aura des répercussions sur la façon dont les gens définiront la souffrance et dont ils l'affronteront. Par conséquent, permettez-moi de faire trois observations.
Premièrement, le projet de loi soustrait l'euthanasie du Code criminel. Normalement, une personne a le droit de faire tout ce qui ne contrevient pas à la loi. Les médecins auront donc le droit de pratiquer l'euthanasie en respectant les conditions imposées. Ce droit de causer la mort fait partie des éléments particuliers du projet de loi. Tuer une personne signifie qu'on pose le geste intentionnel, direct et irréversible d'enlever la vie d'une personne. Même si la personne en fait la demande, une telle décision devrait toujours demeurer l'exception. Une société qui légalise l'euthanasie aura nécessairement un lien ambigu avec la détermination qu'elle a de prévenir le suicide. Je ne crois pas que l'exemption du Code criminel envoie le bon signal. Je proposerais le système néerlandais, dans le cadre duquel les médecins sont punissables — bien que ce soit exigeant — jusqu'à ce qu'ils démontrent qu'ils ont agi conformément aux exceptions décrites dans la loi, à cet égard.
Deuxièmement, compte tenu de la nature foncièrement problématique et éthique du geste de causer la mort d'une personne, je pense qu'il est souhaitable que le projet de loi contienne des mesures claires visant à protéger la liberté de conscience des professionnels de la santé.
Troisièmement, je ne suis probablement pas le seul à être déconcerté par le fait que l'exigence voulant qu'une mort naturelle doive être raisonnablement prévisible ne contient aucune précision. Après coup, je crois que la plus grande erreur qui a été commise aux Pays-Bas, c'est qu'on n'a pas inclus de disposition liée à l'espérance de vie. C'est ce qui a fait en sorte que — et j'ai fait une recherche là-dessus — le temps, en moyenne, entre l'euthanasie et la mort naturelle qui était prévue est passé de jours ou de semaines à des mois, et dans certains cas, des années ou même des décennies.
Bien entendu, toute période a un caractère aléatoire. Cependant, ne pas la préciser comporte de plus gros inconvénients encore, car on renonce au seul élément de la loi qui a un caractère objectif. Je vous recommande fortement, même en étant conscient [Note de la rédaction: inaudible] avantages, d'inclure une période claire et non négociable, comme trois ou six mois; et d'entreprendre des consultations, toujours, afin d'alléger la souffrance; et de veiller aux besoins des gens dont l'espérance de vie est plus longue. Si nous l'avions fait dans mon pays, nous n'assisterions pas aux dérapages que nous voyons maintenant.
Merci beaucoup.
En ce qui concerne la première question, non, il n'y a pas de problème au Québec avec...
[Français]
l'objection de conscience.
[Traduction]
C'est quelque chose de tout à fait naturel, et c'est parfait.
[Français]
Quelles que soient les raisons de l'objection de conscience, c'est parfaitement normal.
Au Québec, il y a une obligation, pour un médecin qui refuse de donner l'aide médicale à mourir, de référer son patient à l'administration d'un établissement afin que celle-ci trouve un médecin qui la donnera. C'est exactement le même problème qui existait il y a 40 ans au sujet de l'avortement. C'est exactement la même chose. C'est parfaitement normal.
Maintenant, je dirais qu'une institution n'a pas à avoir un problème de conscience ou une objection de conscience, surtout pas si cette institution est publique. Dans le cas d'une institution privée, par exemple un hôpital catholique, musulman, juif ou d'une autre religion — quelle qu'elle soit, cela n'a aucune importance —, si elle est purement privée, elle doit avoir le droit d'établir certaines règles. À notre avis toutefois, si elle reçoit des fonds publics, elle doit s'incliner devant le désir du patient.
Une institution a l'obligation de donner des soins à des personnes, et l'aide médicale à mourir est le dernier soin, le soin ultime et compassionnel. Si le médecin ne veut pas le donner, c'est parfait, mais il doit référer son patient à quelqu'un d'autre.
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Je parle essentiellement des deux sources de pression. Je crois que la société exerce une pression générale, car on voit l'euthanasie et la mort comme étant la meilleure solution aux souffrances aiguës. Je constate également, dans les nombreux dossiers que j'ai lus, qu'une pression est exercée sur les médecins par des patients qui disent avoir vu un documentaire à la télévision dans lequel on soutient que l'euthanasie est maintenant permise pour les patients comme eux, et qui poussent ensuite leur médecin à pratiquer la procédure. C'est une pression directe exercée par le patient.
Ensuite, il y a un deuxième type de pression, et c'est évidemment la pression exercée par les membres de la famille. Je comprends cela. Pour les membres de la famille, voir un proche souffrir peut être une expérience aussi traumatisante que les souffrances endurées par le patient. Par exemple, la clinique de soins de fin de vie établie aux Pays-Bas traite maintenant 450 cas d'euthanasie par année. Selon mes recherches, il est devenu évident que dans 60 % des cas, ce sont les membres de la famille qui ont amené le patient à la clinique pour qu'il reçoive de l'aide. Donc, oui, je pense qu'il y a beaucoup de pression.
Ensuite, il y a peut-être un troisième type de pression, et c'est la pression internalisée d'un patient. Dans le cadre de mes observations, un patient sur dix justifiait sa demande d'euthanasie en disant qu'il voulait éviter que les membres de sa famille soient témoins de ses souffrances. Ce qui se produit dans ces cas, c'est que les membres de la famille ne contredisent pas l'observation formulée par le patient. Ils affirment plutôt que c'est très charitable de sa part et qu'ils peuvent l'aider à obtenir l'euthanasie. Toutefois, je dirais que face à une telle justification, la réaction naturelle des membres de la famille serait de dire, par exemple, « Non, maman, s'il vous plaît ne demandez pas l'euthanasie. C'est trop pour nous. C'est votre vie, nous ferons ce qu'il faut. » Voyez-vous...?
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Reprenons. Je souhaite la bienvenue aux nouveaux témoins.
Nous vous sommes très reconnaissants de trouver le temps de venir témoigner.
Nous accueillons d'abord le directeur général de l'Association canadienne de protection médicale, le Dr Hartley Stern. Bien sûr, ce Montréalais a été le directeur général de l'Hôpital général juif. C'est un plaisir de vous accueillir.
Bienvenue aussi à la présidente du Groupe de travail sur la mort accélérée de la Société canadienne des médecins de soins palliatifs, la Dre Monica Branigan.
Enfin, nous accueillons deux témoins à titre personnel, qui comparaissent ensemble, Mme Juliet Guichon, professeure adjointe à l'école de médecine Cumming de l'Université de Calgary et le Dr Ian Mitchell, pédiatre et professeur à l'Université de Calgary, lui aussi.
Je vous suis vraiment reconnaissant de votre présence. Je vous ai expliqué le déroulement de nos séances. Vous disposez chacun de huit minutes, et nous commençons par le Dr Stern.
:
Bonjour à tous. Je suis le Dr Hartley Stern et je suis directeur général de l'Association canadienne de protection médicale.
Madame et messieurs les députés, je vous remercie de m'offrir l'occasion de participer à ce processus de consultation.
[Traduction]
En fournissant un avis médico-légal et en fondant ses efforts de sensibilisation sur les faits, l'Association canadienne de protection médicale se situe à l'intersection des systèmes canadiens de santé et de droit. Cela la place et la maintient en première ligne pour l'orientation des médecins à qui les patients, individuellement, font appel pour obtenir des conseils sur l'aide médicale à mourir.
C'est de ce point de vue que nous formulons des recommandations pour amender le projet de loi , afin de l'assortir de critères clairs d'admissibilité et de sauvegardes pour les patients tout en n'exposant pas les professionnels de la santé à des sanctions pénales pour leur participation de bonne foi à l'aide médicale à mourir.
L'Association appuie généralement le projet de loi . Vu la complexité de la question, nous croyons qu'il concilie assez bien l'accès et les sauvegardes et qu'il permet des adaptations et des changements graduels à mesure que, au Canada, nous continuerons de gagner de l'expérience dans l'aide médicale à mourir.
Comme je l'ai dit au comité parlementaire mixte, il importe beaucoup de se concentrer, au niveau des opérations, sur les questions d'admissibilité, les critères et les sauvegardes. Elles sont difficiles. Il est indispensable de modifier le Code criminel pour confirmer que la prestation de l'aide médicale à mourir n'enfreint pas l'interdiction générale du suicide assisté. C'est indispensable pour permettre aux médecins de nouer avec le patient le rapport de confiance et d'empathie tellement essentiel à la mise en oeuvre de cette politique.
Nous sommes heureux de constater que le préambule du projet de loi reconnaît la nécessité d'adopter une démarche cohérente, partout au Canada, face à l'aide médicale à mourir, tout en reconnaissant les compétences des provinces dans diverses questions connexes, notamment la prestation des services de santé, la réglementation des professionnels de la santé et le rôle des médecins légistes et des coronaires.
Croyant le projet de loi perfectible, nous proposons les recommandations suivantes pour en améliorer la clarté opérationnelle. Je m'en tiendrai à l'essentiel, mais je vous encourage à prendre connaissance de remarques plus importantes dans notre mémoire.
Sur la clarté, les critères d'admissibilité et la nécessité de sauvegardes, l'Association est heureuse de voir que le projet de loi a clarifié les exigences en matière d'âge et la question des demandes anticipées d'aide médicale à mourir. Nous croyons cependant qu'il devrait déclarer sans équivoque que le patient doit se trouver à la fin de sa vie pour être admissible à l'aide médicale à mourir. Il subsiste de l'incertitude sur la signification voulue de l'exigence selon laquelle
sa mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible compte tenu de l'ensemble de sa situation médicale, sans pour autant qu'un pronostic ait été établi quant à son espérance de vie.
Si le patient n'a pas besoin d'être arrivé à la fin de sa vie, le Comité devrait envisager de modifier l'alinéa pour dire que sa mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible, qu'elle soit imminente ou non. Inversement, s'il doit être arrivé à la fin de sa vie, la disposition devrait préciser que la mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible et qu'on s'attend à ce qu'elle devienne imminente. Les patients et leurs médecins doivent avoir une idée claire de leur admissibilité et à partir de quel moment.
En ce qui concerne la disposition exigeant le respect des lois, des règles et des normes provinciales, nous sommes d'accord: l'aide médicale à mourir doit y être conforme, comme il est envisagé dans le paragraphe 241.2(7). Mais nous croyons qu'il faut supprimer ce paragraphe du projet de loi , parce qu'il n'appartient pas à une loi pénale. Les professionnels de la santé doivent soigner les patients conformément aux normes professionnelles, sans égard à l'existence d'une telle disposition. Les fournisseurs négligents dans la prestation de leurs soins sont passibles de mesures réglementaires ou de poursuites au civil, mais ils ne devraient pas être exposés à des sanctions pénales pour avoir enfreint la norme de prestation de soins ou pour avoir omis de suivre une politique créée par l'organisme de réglementation.
De plus, les professionnels de la santé qui risquent de ne pas respecter la norme de soins ne peuvent pas invoquer les dispositions fondées sur la bonne foi du libellé actuel des projets de paragraphe 227(1) et 241(6). Il importe de ne pas rendre passibles de sanctions pénales ceux qui, dans une bonne intention, auraient enfreint la norme. Il le faut pour assurer l'accès des patients en encourageant la participation des praticiens à l'aide médicale à mourir.
En ce qui concerne la protection contre l'accusation d'avoir conseillé à quelqu'un de se donner la mort, nous croyons que le projet de loi devrait être amendé de manière à déclarer expressément qu'aucun praticien n'est coupable d'une infraction criminelle pour avoir conseillé le suicide conformément à l'alinéa 241(1)a) lorsque le praticien informe le patient sur l'aide médicale à mourir comme option médicale possible à envisager.
Il importe que les praticiens ne craignent pas de poursuites criminelles pour avoir mentionné à leurs patients l'aide médicale à mourir, lorsqu'elle est médicalement convenable. Sans une telle disposition, les professionnels de la santé risquent d'hésiter à même discuter de l'aide médicale à mourir avec leurs patients.
Le projet de loi accorde un certain degré de protection aux personnes de bonne foi, mais seulement contre des sanctions pénales. L'Association préconise d'élargir la protection accordée par le projet de paragraphe 241.(6) aux poursuites civiles et disciplinaires contre les praticiens agissant de bonne foi. La loi accorde une telle protection ailleurs.
En rassurant les praticiens de bonne foi qu'ils sont à l'abri des sanctions pénales, des responsabilités civiles et des sanctions réglementaires, on se dote d'une disposition importante qui aidera, encore une fois, à assurer l'accès des patients à l'aide médicale à mourir.
Certaines des sanctions prévues dans le projet de loi sont exagérées par rapport à la nature relativement mineure des infractions. La peine de cinq ans de prison pour ne pas avoir informé le pharmacien que la substance prescrite est destinée à l'aide médicale à mourir et celle de deux ans de prison pour ne pas s'être conformé à l'obligation de produire un rapport sont excessives et inutiles. Une peine maximale constituée d'une amende aurait un effet dissuasif suffisant dans ces circonstances.
Enfin, l'Association recommande de ne pas se contenter de la brève évocation de la liberté de conscience dans le préambule du projet de loi, vu l'importance, pour les praticiens, de respecter leurs convictions personnelles dans ce domaine. On pourrait envisager d'y inclure l'affirmation que rien, dans la loi, n'oblige les fournisseurs de soins à fournir une aide médicale à mourir.
Finalement, chers députés, il est indéniable que ce projet de loi présente une grande importance pour les Canadiens. Nous appuyons vos efforts pour traiter cette question sociale complexe d'une manière qui respecte l'importance des rapports entre le patient et les professionnels de la santé et la nécessité de protéger l'un et les autres en cours de route.
[Français]
Au nom de l'ACPM, je remercie le comité de m'avoir accordé la parole. Nous serons heureux de vous fournir tout autre renseignement ou donnée qui pourrait vous être nécessaire.
Merci beaucoup.
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Bonjour. Je suis Monica Branigan et je suis très honorée de représenter la Société canadienne des médecins de soins palliatifs. Nos 500 membres sont voués à l'amélioration de la qualité de vie des patients dont la maladie limite l'espérance de vie.
Nous voudrions vous offrir des recommandations très précises, dans l'esprit de la recherche d'une méthode toute canadienne de respect de la diversité des points de vue. Les trois amendements que nous préconisons découlent de notre intention de rendre le droit d'accès aux soins palliatifs aussi robuste que le droit d'accès à une mort accélérée. Il est illogique de consacrer dans la loi ces droits d'accélérer la mort sans, en même temps, accorder la même protection pour l'obtention de soins palliatifs.
Cela est important pour deux raisons. En notre qualité de Canadiens, nous prisons l'équité. L'immense majorité des Canadiens ne recourra pas à des services pour accélérer leur propre mort, mais ils peuvent profiter de soins palliatifs, tandis que peut-être 3 ou 4 % de leurs concitoyens pourront vouloir hâter leur mort. C'est aussi une question de libre arbitre. Peut-on décider effectivement d'accélérer sa propre mort s'il n'existe pas de solution viable de rechange?
Nous vous demandons d'examiner trois amendements. Tout d'abord, nous demandons de modifier le préambule général pour qu'il renferme le passage suivant: « Que le gouvernement du Canada s'est engagé à élaborer des mesures législatives et non législatives visant à soutenir l'amélioration d'une gamme complète d'options de soins de vie, notamment l'établissement d'un Secrétariat national des soins palliatifs... ».
Le secrétariat national serait chargé de mettre en oeuvre un plan stratégique national des soins palliatifs. Ce travail a déjà été fait pour certains groupes très respectés de personnes. Il nous permettrait de décider des normes canadiennes et des modalités de leur surveillance; de décider comment nous pourrions mieux sensibiliser tous les fournisseurs de soins à la discussion sur la mort, à la planification des soins anticipés, aux objectifs des soins et aux soins palliatifs. Il nous permettrait de réfléchir à des façons d'appuyer les familles et les fournisseurs de soins, par la protection de leur emploi, le soutien au revenu ou la sensibilisation et la façon de discuter de ces sujets avec les êtres chers. À l'échelle nationale, il nous permettrait d'entreprendre une discussion sur la façon de financer la collectivité, où les patients veulent mourir, plutôt que les établissements; enfin, il nous permettrait de commencer une campagne de sensibilisation du public sur les options de fin de vie et sur la façon de démythifier la mort et de mourir, parce que, en soi, cela réduira beaucoup de souffrances.
Notre deuxième proposition concerne les critères d'admissibilité, qui seraient inclus dans le projet d'article 241.2. Conformément aux critères énoncés dans le projet d'alinéa 241.2(1)d), selon lequel les patients auront fait « une demande d'aide médicale à mourir de manière volontaire, notamment sans pressions extérieures », nous demandons que vous envisagiez d'ajouter « ou à cause d'un manque d'accès aux services nécessaires pour régler la situation ayant motivé la demande, ce qui comprend, sans s'y limiter, les services de soins palliatifs ». En fait, nous demandons comment une décision sans solution de rechange peut-être volontaire. Il faut absolument s'en occuper. Nous ne voulons pas que quelqu'un choisisse cette solution faute de solution de rechange. Nous, Canadiens, nous ne le ferions pas.
Le dernier amendement que nous recommandons suivrait le même paragraphe, mais ajouterait un nouvel élément pour fournir des preuves documentaires prouvant le respect des critères d'admissibilité en faisant appel aux normes fédérales déjà établies. C'est seulement une façon d'enregistrer le fait que la cause ayant motivé la demande a été explorée, que les patients ont été informés de l'existence d'options et que ces options sont accessibles.
Cela vous donnera de vraiment bons renseignements sur les raisons pour lesquelles nous demandons ce service. Vous vous êtes engagés à un examen dans les cinq ans à venir. Cela influera aussi sur le genre de décisions qui seront prises et, faute de preuves vraiment solides, elles ne seraient qu'un choix entre des opinions.
Merci.
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Merci beaucoup pour l'invitation que vous nous avez lancée de parler d'un article du projet de loi . Nous sommes tous les deux de l'école médicale de l'Université de Calgary. Alors que j'ai été formée en droit, en quoi je possède un doctorat, et que je fais partie du Barreau de l'Ontario, mon collègue Ian Mitchell est, comme vous l'avez entendu, pédiatre spécialiste de pneumologie pédiatrique et d'éthique.
Le projet de paragraphe 241.31(3) concerne la prise de règlements sur la fourniture, la collecte, l'utilisation, la publication, la conservation et la cession de renseignements relatifs aux demandes d'aide médicale à mourir et à la prestation de cette aide en général. Nous proposons respectueusement deux recommandations concernant ce paragraphe, mais, avant, nous recommandons respectueusement que ce paragraphe du Code criminel repose sur les deux principes suivants: d'abord l'enregistrement exact de tous les décès survenant au Canada, puis la surveillance scrupuleuse de l'aide médicale à mourir.
La bonne application de ces principes favoriserait la protection, la prévention, la promotion de la santé, la planification de la santé et, dans de rares cas, les poursuites. Comme la déclaration et la surveillance des décès sont mal connues, nous avons pris la liberté de les décrire très rapidement.
Il y a d'abord la déclaration exacte des décès. Les statistiques de l'état civil n'ont d'utilité que si les rapports sont exacts. La déclaration exacte de la cause du décès est nécessaire dans le certificat de décès en common law au Canada et dans le bulletin de décès au Québec.
La déclaration de la cause de décès entraîne l'identification et la déclaration sincère de la cause et des circonstances de la mort. Ces deux expressions du métier sont mieux comprises par les spécialistes. Il n'est pas inhabituel pour les médecins sans formation médico-légale d'avoir de la difficulté à distinguer la cause et le mode de décès ou à nommer la cause immédiate, la cause antécédente et la cause initiale de décès. En conséquence, dans de nombreuses provinces, les certificats médicaux de décès, remplis à l'origine par des médecins, même en cas de mort naturelle, sont systématiquement revus et corrigés par des pathologistes médico-légaux, des médecins légistes ou des coroners qui ont une formation dans la sous-spécialité de la déclaration des causes précises de décès.
Des coroners exercent dans toutes les provinces et territoires, sauf quatre: l'Alberta, le Manitoba, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve-et-Labrador. Ces quatre provinces ont adopté le système de déclaration de décès par le médecin légiste. Pour nos besoins, cependant, les coroners et les médecins légistes s'acquittent des mêmes fonctions. Parfois, seuls ces experts sont autorisés à établir la cause et le mode de décès et à remplir le certificat médical de décès.
Par exemple, en Alberta, au Manitoba, dans l'Île-du-Prince-Édouard et en Nouvelle-Écosse, quand un décès survient moins de 10 jours après une chirurgie, seul le médecin légiste ou le coroner peut remplir le certificat médical de décès. Cette exigence assure la déclaration exacte du décès.
Le Dr Mitchell parlera de la surveillance scrupuleuse.
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Une surveillance scrupuleuse des décès signifie qu'il ne faut pas les accepter sans vérifier la cause et les circonstances du décès rapportées par certaines personnes. Une surveillance scrupuleuse implique une analyse spécialisée des données probantes et la tenue des enquêtes nécessaires pour répondre à cinq questions. Premièrement, qui est décédé? Deuxièmement, comment s'est produit le décès? Troisièmement, où s'est produit le décès? Quatrièmement, quand est-il survenu? Et enfin, par quels moyens s'est-il produit?
En raison de la valeur qu'on accorde à la vie humaine, chaque province et territoire exige que certains faits entourant le décès d'une personne soient communiqués aux coroners ou aux médecins légistes. Par exemple, en Alberta, les décès à déclaration obligatoire sont notamment ceux qui semblent inexplicables ou imprévisibles; qui sont le résultat d'actes de violence, d'un accident ou d'un suicide; ou dont les victimes étaient sous la garde de l'État, par exemple en prison ou dans un établissement de santé mentale ou de protection de l'enfance.
La déclaration obligatoire de certains décès assure que la personne la mieux qualifiée en la matière réponde aux importantes questions entourant le décès. Les coroners et les médecins légistes ont les compétences voulues pour déterminer la cause et les circonstances du décès avec précision, rapporter l'information avec exactitude et reconnaître lorsqu'une enquête supplémentaire est nécessaire. Mme Juliet Guichon et moi avons tous les deux travaillé avec les médecins légistes de l'Alberta ou les coroners de la Colombie-Britannique, et je peux témoigner personnellement du professionnalisme dont ils font preuve lors de la tenue de ces enquêtes.
Il est important de noter que les décès attribuables à l'injection ou à l'ingestion de doses létales de médicaments sont déjà des décès à déclaration obligatoire dans au moins neuf provinces et territoires du Canada. C'est donc dire que dans ces neuf provinces et territoires, il est déjà obligatoire de déclarer aux coroners et aux médecins légistes les actes d'aide médicale à mourir. Toutes les provinces et tous les territoires devraient exiger que les décès résultant de l'aide médicale à mourir soient déclarés aux coroners et aux médecins légistes, parce que la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Carter, a exigé une surveillance scrupuleuse de l'aide médicale à mourir.
Les décès qui sont le résultat de l'aide médicale à mourir devraient être déclarés seulement aux coroners et aux médecins légistes, qui seraient tenus de transférer les données agrégées au gouvernement fédéral, et ce, pour au moins trois raisons éthiques. Un tel système permettrait de restreindre la divulgation de renseignements de nature délicate; de fournir la vérité aux familles et aux proches, afin de contribuer à leur processus de deuil; et de veiller à la précision des statistiques de l'état civil des Canadiens. Sur le plan pratique, recourir uniquement aux bureaux des coroners et des médecins légistes pour déterminer la cause et les circonstances de ces décès et de consigner ces données revient à accepter le fait que les coroners et médecins légistes de neuf provinces et territoires sont déjà tenus d'assurer cette surveillance, et cela permettra d'éviter les problèmes liés à la fragmentation des responsabilités et à la multiplicité déroutante des mécanismes de surveillance. Aussi, en utilisant la structure de déclaration actuelle, on tire profit de l'expertise des coroners et des médecins légistes dans la détermination de la cause ou des circonstances des décès, et dans la déclaration des tendances qui présentent un certain intérêt ou qui suscitent des inquiétudes; on emploie les structures en place pour régir le travail et la responsabilité des coroners et des médecins légistes; et on réduit les dépenses publiques en évitant la création de nouveaux bureaux qui s'avéreraient probablement très coûteux.
Aucun argument de poids n'a été présenté en faveur des ordres professionnels de la santé, ni par les tribunaux ni par les groupes d'experts, pour justifier d'exclure les coroners et les médecins légistes du processus de déclaration des décès résultant de cette nouvelle forme de décès de cause non naturelle. Même si bien des choses semblent nouvelles en ce qui a trait à l'aide médicale à mourir, les décès de cause non naturelle ne le sont pas, pas plus que l'expertise de nos coroners et médecins légistes. Ils ont cette expérience unique qui leur permet de distinguer les diverses manières de mourir. Il serait malvenu de faire fi de l'histoire, surtout au Royaume-Uni, où un médecin a tué plus de 215 personnes. Il ne s'agit là que d'un exemple qui prouve qu'une surveillance scrupuleuse soit essentielle.
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Les déclarations précises et la surveillance scrupuleuse témoignent de la valeur que le Canada accorde à la vie humaine. Ces activités spécialisées font en sorte que les décès qui se produisent dans des circonstances incertaines, dangereuses et évitables font l'objet d'enquêtes. Ces enquêtes donnent lieu à des recommandations qui rendent service aux autres, et permettent de rassurer le public que les circonstances entourant ces décès ne seront pas oubliées, dissimulées ou ignorées.
Donc, nous vous soumettons respectueusement deux recommandations. Premièrement, nous recommandons que les ministres de la Santé et de la Justice invitent à une réunion les coroners en chef et les médecins légistes, ainsi que la section de médecine légale de l’Association canadienne des pathologistes, afin de convenir de la terminologie à adopter concernant la cause et les circonstances des décès dans le contexte de l'aide médicale à mourir. Deuxièmement, nous recommandons que votre comité exige, en vertu du paragraphe 241.31(3), que les décès résultant de l'aide médicale à mourir soient déclarés au gouvernement fédéral par les bureaux des coroners ou des médecins légistes provinciaux ou territoriaux seulement, sans exception.
Ces deux recommandations aideraient le gouvernement fédéral à veiller à ce que les actes d'aide médicale à mourir soient déclarés et surveillés avec rigueur. Elles contribueraient à la protection des patients, du grand public et des médecins, et à produire des données fiables qui permettraient de dégager des tendances dignes d'intérêt ou qui suscitent des inquiétudes.
En somme, nous vous demandons respectueusement d'établir un processus de déclaration et de surveillance de l'aide médicale à mourir qui soit exact et scrupuleux, et qui mise ainsi sur l'excellence.
Merci.
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Merci, monsieur le président. C'est en effet un honneur d'être ici.
Comme c'est la première fois que je participe à une séance à titre de remplaçant, je veux d'abord vous féliciter, vous, monsieur le président, et les membres du Comité. J'ai vu la liste de témoins et j'en déduis que vous aurez l'occasion d'entendre un large éventail de points de vue. Ce qui me préoccupe un peu avec le comité spécial, pour être bien honnête, c'est qu'il semble avoir omis bien des points de vue. J'ai hâte de suivre les délibérations de votre Comité.
Mes questions vont porter sur l'examen préalable. Monsieur Stern, j'ai bien aimé vos commentaires sur la nécessité de clarifier l'expression « raisonnablement prévisible ». Certains ont avancé que ce critère flexible donnait de la latitude aux médecins et que cela démontrait la confiance qu'on leur porte. Cependant, des médecins ont indiqué qu'ils aimeraient avoir un peu de certitude sur le plan juridique, de façon à bien comprendre ce que permet et ne permet pas la loi.
Je comprends votre argument, à savoir que les médecins qui n'ont pas pu satisfaire à la norme de diligence ne devraient pas être assujettis à des poursuites criminelles s'ils ont agi de bonne foi. Toutefois, je crois que les patients pourraient aussi craindre que des médecins qui n'ont pas suivi les règles ou respecté les critères, ou qui ont omis d'obtenir le consentement nécessaire, puissent se soustraire à des poursuites s'ils arrivent à prouver — du moins hors de tout doute raisonnable — qu'ils avaient de bonnes intentions. Nous devons trouver l'équilibre entre les inquiétudes à l'égard de la sécurité des patients et la protection des médecins contre des poursuites.
Est-ce que cela ne justifie pas la tenue d'un examen juridique préalable? Un tel examen pourrait protéger les patients en leur donnant la certitude qu'on a obtenu leur consentement, que les critères ont été respectés et qu'on assurera leur sécurité. Cela procurerait également aux médecins la certitude qu'ils ne seraient pas assujettis à des poursuites une fois l'examen juridique effectué, car il permettrait de déterminer hors de tout doute, selon l'avis d'experts en la matière, que les critères ont été respectés. Je suis curieux d'avoir vos commentaires à ce sujet.
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Merci. Je vais d'abord tenter de répondre à la question sur les décès raisonnablement prévisibles.
Au bout du compte, nous allons soutenir tout ce que nous dictera la loi. Je tiens à réitérer que nous voulons aider les médecins à avoir la certitude qu'ils ne s'exposeront pas à des poursuites s'ils agissent de bonne foi et qu'ils interprètent la loi correctement s'ils entreprennent un tel dialogue avec un patient et qu'ils acquiescent à sa demande. Cela signifie qu'ils ont obtenu le consentement du patient, qu'ils ont agi comme il se doit et qu'ils ont bien interprété la loi.
Nous pensons que la formulation actuelle n'est pas assez claire. Que vous décidiez, en tant que législateurs, d'élargir la portée et d'établir un délai plus long, ou de restreindre la portée et d'établir un délai plus court pour définir ce qui constitue un décès imminent, nous allons nous y plier.
Nous voulons seulement que ce soit formulé clairement, de façon à ce que lorsque les médecins vont nous appeler pour avoir des conseils sur les demandes d'aide médicale à mourir — et ils vont le faire —, nous allons pouvoir leur répondre selon notre interprétation de la loi et les conseiller en conséquence.
Plus la loi est floue, plus il est difficile pour nous de l'interpréter et de conseiller les médecins qui veulent agir en toute bonne foi, croyant qu'ils posent un geste médical approprié, mais qui ne veulent pas s'exposer à des poursuites.
Nous n'avons pas de parti pris par rapport à la direction que vous voulez donner à la loi. Nous voulons seulement que le tout soit clair.
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Docteur Stern, vous nous avez été d'un grand secours lors des délibérations du Sénat et de la Chambre, et vous nous avez été tout aussi utile aujourd'hui. Je prends votre témoignage très au sérieux étant donné que vous êtes aux premières lignes, comme vous le dites. Vous vous trouvez au croisement de la médecine et de la loi, et c'est votre équipe qui décide si un médecin sera protégé en cas de poursuites pour avoir tenté d'appliquer la loi de bonne foi.
Nous n'avons pas eu la chance de lire vos mémoires très soignés à l'avance. Je tiens à ce que nous leur rendions justice.
J'aimerais revenir sur une chose dont M. McKinnon et vous discutiez, à savoir que le projet de loi tente de clarifier les choses au moyen de l'expression « raisonnablement prévisible », un objectif qui ne semble toutefois pas avoir été atteint selon la plupart des témoins. Vous nous proposez deux suggestions, en fonction de l'orientation que nous souhaitons prendre, qui consistent à ajouter les mots « que celle-ci soit imminente ou non » ou autre chose.
Grâce aux témoignages et au résumé législatif, bon nombre d'entre nous ont eu vent des répercussions de l'arrêt Carter de la Cour suprême, selon laquelle l'aide ne devait délibérément pas être laissée aux personnes atteintes d'une maladie terminale ou limitée aux personnes en fin de vie. Les juges ont délibérément choisi les mots « atteints d’une maladie grave et irrémédiable ». Il n'était aucunement question d'un caractère terminal.
Certains sont d'avis que l'euphémisme employé en disant que la mort naturelle est devenue « raisonnablement prévisible » n'est pas conforme aux propos de la Cour suprême. Si c'est vrai, votre proposition d'ajouter les mots « que celle-ci soit imminente ou non » n'est pas acceptable. Avec le respect que je vous dois, je dirais que votre autre proposition visant à dire que « sa mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible et est imminente » est tout aussi vague.
Je ne sais pas trop à quoi m'en tenir à ce sujet. Entre autres, le témoin du Québec, M. Ménard, a dit hier que nous devrions abroger l'article, étant donné qu'il n'ajoute rien. Et nous avons appris aujourd'hui que la disposition n'est ni juridique ni médicale.
Je me demande pourquoi vous ne nous recommandez pas tout bonnement de retirer la phrase pour dissiper toute ambiguïté.