[Français]
Je suis heureux d'être ici aujourd'hui pour entretenir le Comité des tendances au sein du système de justice pénale.
Mon introduction portera sur le partenariat fédéral, provincial et territorial ainsi que sur les points de pression à l'intérieur du système de justice pénale.
Le système de justice pénale est un partenariat entre le gouvernement fédéral et les provinces et territoires à l'intérieur duquel chacun oeuvre dans des champs de compétence respectifs. Le gouvernement fédéral a la responsabilité de l'adoption des lois et règlements en matière criminelle et les provinces sont généralement responsables de l'administration de la justice, y compris des poursuites relatives à la plupart des infractions prévues au Code criminel.
[Traduction]
Le fédéralisme coopératif est un élément essentiel du système de justice pénale du Canada: aucun ordre de gouvernement ne peut remplir son mandat avec succès sans la collaboration de l’autre. Il incombe au gouvernement fédéral d’établir les lois et la procédure en matière pénale, tandis que les procureurs généraux provinciaux se chargent de l’administration de la justice. Soulignons que le procureur général fédéral agit également à titre de procureur général dans les territoires.
En outre, le gouvernement fédéral soutient les provinces et les territoires en absorbant une partie des coûts engagés pour la prestation des services d’aide juridique, d’assistance parajudiciaire aux Autochtones et aux victimes, et des services de police. Comme elles partagent diverses responsabilités, les autorités fédérales, provinciales et territoriales reconnaissent l’importance de la collaboration.
Pour surmonter certains défis communs à l'ensemble du système de justice pénale, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux gagneraient à travailler de concert afin d'améliorer l'efficience et l'efficacité avec lesquelles ces difficultés sont traitées. Soulignons entre autres les coûts du système de justice pénale, qui ne cessent de croître malgré la baisse constante du taux de criminalité.
La mise en liberté sous caution et la détention provisoire, les changements au sein de la population carcérale et la surreprésentation des populations vulnérables, notamment les Autochtones et les personnes souffrant de troubles de santé mentale ou de toxicomanie, sont d'autres questions d'intérêt commun.
Nous avons remis au Comité un document contenant de nombreuses données statistiques sur les tendances observées dans le système de justice pénale. Je vais m'attarder sur les principales tendances plutôt que de présenter le contenu de chaque page. Je vais peut-être sauter d'une question à une autre, sans suivre l'ordre dans lequel elles sont présentées dans le document.
Parlons tout d'abord des coûts croissants du système de justice pénale. En 2014, le taux de criminalité enregistré par la police était à son plus bas niveau depuis 1969. Depuis 2000, le taux de crimes avec violence a diminué de façon constante. Les taux de criminalité varient d'une région à l'autre et sont plus élevés dans le Nord, c'est-à-dire dans les Territoires et dans le Nord des provinces.
Les statistiques indiquent également qu'environ les deux tiers des incidents criminels ne sont pas signalés, à en juger par la disparité entre le nombre de crimes rapportés par la police et les résultats des enquêtes sur la victimisation. Malgré la diminution du taux de criminalité, les coûts liés au système de justice pénale ont augmenté au cours des 10 dernières années. Cette tendance touche tous les secteurs du système. Les coûts des services policiers montrent l'augmentation la plus marquée, soit 43 %, suivis des services correctionnels, 32 %, et du système judiciaire, 21 %.
Les coûts du système de justice pénale se sont accrus tant du côté fédéral que du côté provincial.
La criminalité entraîne des coûts élevés pour la société. Par exemple, l’incidence économique totale de la violence conjugale au Canada a été estimée à 7,4 milliards de dollars en 2009. Le coût total des crimes violents, c'est-à-dire voie de fait, agression sexuelle, vol qualifié, harcèlement criminel et homicide, a été estimé à 12,7 milliards de dollars.
Je veux faire quelques observations à propos de la mise en liberté sous caution et de la détention provisoire, une question que les provinces, les territoires et le gouvernement fédéral sont à étudier actuellement. Selon les Nations unies, un quart des personnes emprisonnées dans le monde n'ont pas reçu de peine ou sont en attente d'un procès. Durant la dernière décennie, plus de la moitié des détenus dans les établissements provinciaux et territoriaux au Canada étaient en détention provisoire. Ils ne purgeaient pas de peine et n'avaient pas subi de procès. Ils étaient en attente de procès. En 2013-2014, plus de 11 000 personnes étaient en détention provisoire.
Par ailleurs, il y a eu une augmentation du nombre de jours passés en détention provisoire dans certaines juridictions, notamment en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick et au Yukon. D'après de récentes statistiques, les délinquants autochtones sont surreprésentés parmi les détenus provisoires et cette disproportion s'amplifie. Bien que les Autochtones ne représentent que 4 % de la population canadienne, les délinquants autochtones représentent 24 % de la totalité des admissions en détention provisoire, comparativement à 19 % en 2005-2006. Bien entendu, ces statistiques varient d'une région à l'autre.
En ce qui concerne la mise en liberté sous caution, la situation n'est pas tout à fait claire. Il y a quelques années, une étude ontarienne a montré que le nombre de jours requis pour prendre une décision relativement à une mise en liberté sous caution est passé de quatre jours en 2001 à presque six jours en 2007. Le système enregistre des retards pour les affaires concernant certaines infractions en particulier. On s'attendrait à ce que la baisse du taux de criminalité et du nombre d'adultes accusés d'une infraction criminelle entraîne une diminution du temps de traitement des affaires. Or, le temps de traitement des causes entendues par les tribunaux provinciaux pour adultes est resté relativement stable au cours de la dernière décennie, mais s'est accru dans les cours supérieures.
Le délai de traitement varie selon l'infraction. Les causes pour des infractions contre la personne et les affaires de conduite avec facultés affaiblies prennent plus de temps à régler. Les causes prennent plus de temps à traiter au Québec qu'ailleurs au Canada. D'après une étude de Justice Canada sur les dossiers clos en 2008 par cinq tribunaux dans quatre juridictions différentes, le traitement des affaires avait duré plus de deux ans dans 5 % des cas.
L'étude a aussi montré que certains facteurs contribuaient au délai de traitement d'une affaire. Celles où la représentation juridique avait été intermittente ont pris le plus de temps à conclure, soit 298 jours, comparativement à 189 jours lorsque l'accusé n'avait pas été représenté par un avocat et à 160 jours lorsque l'accusé l'avait été. Voilà qui montre que les retards judiciaires sont moindres lorsqu'un avocat ou une aide juridique participe au dossier. Fait prévisible, le délai de traitement des affaires diminue lorsque l'accusé plaide coupable. Lorsqu'il y a déclaration de culpabilité, la durée médiane du dossier est de 58 jours, comparativement à 190 jours dans le cas contraire.
Par ailleurs, certains types d'infractions courantes absorbent une quantité considérable de ressources, notamment les infractions contre l’administration de la justice, comme une omission de comparaître ou le non-respect des conditions de probation, de même que la conduite avec facultés affaiblies et le vol, qui représentent plus de 40 % des causes devant les tribunaux. Le pourcentage des infractions contre l'administration de la justice parmi toutes les causes criminelles est passé de 21 % en 2006 à 26 % en 2013-2014.
Voici quelques statistiques relatives aux infractions contre l'administration de la justice. Comme je l'ai indiqué, la proportion de ces infractions ayant donné lieu à des accusations a augmenté de 4 % de 2006 à 2014. Comparativement à toutes les autres infractions, celles commises contre l'administration de la justice sont plus susceptibles de donner lieu à un plaidoyer ou à un verdict de culpabilité. D'après les plus récentes statistiques à cet égard, ces infractions entraînent une peine d'emprisonnement dans la moitié des cas, ce qui est plus élevé que dans les affaires d'infractions contre les biens et les crimes contre la personne.
En 2014, les Territoires du Nord-Ouest, le Yukon, la Saskatchewan et le Nunavut ont enregistré le taux le plus élevé d'infractions contre l'administration de la justice. C'est dans les systèmes de justice pénale de ces juridictions que les Autochtones sont surreprésentés de façon la plus marquée. Bien qu'aucune statistique nationale n'existe là-dessus, soulignons que des études ont conclu que le nombre d'infractions contre l'administration de la justice est disproportionné chez les Autochtones.
Pour expliquer ce que sont les infractions contre l'administration de la justice, je dirai qu'elles comprennent la violation d’une condition de mise en liberté sous caution et le manquement à une ordonnance de probation. Les conditions de mise en liberté sont parfois liées à l'infraction, mais il peut aussi s'agir tout simplement de bonne conduite, comme s'abstenir de boire, ne pas troubler l'ordre public ou respecter un couvre-feu. Il peut s'avérer criminel de violer une telle condition si celle-ci est imposée à une personne accusée d'une infraction criminelle, même s'il n'est pas contraire à la loi de boire de l'alcool ou de rentrer tard. Le manquement à une condition se voit élevé au rang d'infraction criminelle. Ainsi, il n'est pas rare qu'une personne obtienne un casier judiciaire, non pas pour avoir commis un crime, comme un vol, pour lequel elle comparaît une première fois devant la Cour, mais en raison de manquements à certaines conditions, comme respecter un couvre-feu ou s'abstenir de boire de l'alcool, et qu'elle accumule à son dossier une longue liste d'infractions criminelles.
Passons maintenant à la détermination des peines et aux services correctionnels, qui se trouvent à la fin du processus judiciaire.
Je vais mentionner certaines statistiques que nous n'avons pas incluses dans le document, par manque de temps. Nous n'avons reçu l'avis de comparution que vendredi et c'est pourquoi toutes les statistiques ne paraissent pas dans la présentation que vous avez entre les mains.
Comme je l'ai indiqué plus tôt, les provinces et les territoires ont vu diminuer le nombre moyen des délinquants incarcérés et en probation dans leur population carcérale. Dans les établissements provinciaux, plus de la moitié des détenus sont provisoires et ne purgent pas une peine de ressort provincial. Pour votre gouverne, je précise qu'une peine de ressort provincial dure moins de deux ans. Toute peine de plus de deux ans est purgée dans un pénitencier fédéral. La majorité des peines d'emprisonnement dans les provinces sont d'une durée inférieure à six mois et la durée médiane des probations est d'environ un an.
Pour ce qui est de la population carcérale fédérale, soulignons que le nombre moyen de délinquants purgeant une peine fédérale a augmenté de 14,6 % au cours des 10 dernières années, dont presque la moitié purgent une peine de plus de cinq ans.
Par ailleurs, la population des établissements carcéraux fédéraux est vieillissante : on y compte maintenant 23 % de détenus âgés de plus de 50 ans, comparativement à 19 % en 2010.
Par ailleurs, le nombre de femmes détenues dans les établissements fédéraux a augmenté à un rythme plus rapide que celui des hommes ces 10 dernières années. En effet, le nombre de femmes a augmenté de 39 %, celui des hommes, 12 %.
Je tiens à prendre un moment pour m'attarder sur les populations vulnérables, qui sont particulièrement touchées par le système de justice pénale. Comme je l'ai mentionné, les populations vulnérables y sont surreprésentées, en particulier les Autochtones et les personnes souffrant de troubles mentaux ou de toxicomanie.
Bien qu'ils ne représentent qu'une faible proportion des délinquants, les délinquants chroniques sont responsables d'une grande partie des infractions signalées.
Selon les données du dernier recensement, à peine plus de 4 % de la population canadienne est autochtone. Les Autochtones représentent pourtant de 20 % à 25 % des personnes à divers stades du processus de justice pénale. Ces taux varient, bien entendu, et les plus élevés sont observés dans l'Ouest canadien ainsi que dans le Nord, des régions qui comptent davantage d'habitants autochtones. Les taux de criminalité varient d'un endroit à l'autre au pays, mais ils sont beaucoup plus élevés dans les territoires, où la population autochtone est plus importante. Les Territoires du Nord-Ouest affichent le taux de criminalité le plus élevé.
Des statistiques récentes indiquent que les délinquants autochtones représentent 24 % de la totalité des admissions en détention provisoire, une augmentation par rapport à 19 % en 2005-2006. De plus, le quart des hommes adultes admis en établissement pour des peines de ressort provincial ou territorial sont autochtones, ce qui représente une augmentation par rapport à la dernière décennie. Selon les plus récentes statistiques, plus du tiers des femmes admises en détention pour des peines de ressort provincial et territorial sont autochtones.
Comme vous avez les statistiques devant vous, je me garderai d'en souligner d'autres.
Étant donné que, comparativement à la population non autochtone, la population autochtone est composée en grande partie de jeunes et que le crime est assurément une affaire de jeunes, on s'attend à ce que ces taux s'accroissent dans le futur.
Enfin, j'aimerais parler de la modernisation du système de justice pénale. Il ne fait aucun doute que la société a beaucoup évolué au cours des dernières décennies. Les enjeux d'aujourd'hui sont différents de ceux qu'ont dû affronter les générations précédentes. Le a demandé à notre ministre de procéder à une vaste revue des changements apportés à notre système de justice pénale et des réformes de la détermination des peines effectuées au cours des 10 dernières années, afin de moderniser le système et d'en améliorer l'efficience et l'efficacité. La a le mandat d'étudier le système judiciaire de près afin de déterminer précisément ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.
Pour moderniser le système actuel, il est important de comprendre que celui-ci semble toucher certaines populations plus que d'autres, tant du côté des délinquants que celui des victimes. Par ailleurs, bon nombre de délinquants, autochtones ou non, souffrent à divers degrés de troubles mentaux et de toxicomanie.
Qu'arriverait-il si la société traitait mieux les problèmes de santé mentale et de toxicomanie au début du processus, ce qui pourrait avoir des répercussions importantes sur les étapes subséquentes? Pour bien des gens, le système judiciaire est celui à qui on semble confier systématiquement tous les problèmes sociaux. La question est de savoir s'il est possible de modifier le système. Pourrait-il être mieux adapté aux besoins des délinquants et des victimes? Qu'adviendrait-il si les premiers contacts d'un délinquant avec le système judiciaire ne donnaient pas suite à une série d'incidents semblables? Que se passerait-il si le système judiciaire enclenchait plutôt un mécanisme visant à agir sur les facteurs à l'origine du comportement criminel?
Ce sont là d'après moi les questions fondamentales sur lesquelles le Parlement, les provinces et les territoires doivent se pencher.
Pour conclure, je dirai que le système de justice pénale incorpore de nombreux systèmes indépendants et de nombreux acteurs. N'oublions pas que les actions d'un ordre de gouvernement ou d'un joueur dans le système ont des répercussions sur les autres ordres de gouvernement et sur les autres joueurs.
[Français]
Il est important d'examiner le système de justice pénale sous cet angle lorsque nous réfléchissons à des moyens de faire en sorte que le système de justice soit efficace, équitable et efficient, et qu'il reflète les réalités modernes.
[Traduction]
En outre, le système de justice pénale, comme je l'ai dit, est souvent employé comme un intervenant par défaut qui doit fournir des solutions en aval aux problèmes de santé mentale. Il est possible d'en faire davantage pour régler ces problèmes sociaux. Nous collaborons avec les provinces afin d'explorer des moyens innovateurs pour composer avec les problèmes sociaux dans le système judiciaire.
Voilà un survol des tendances observées dans le système de justice pénale au Canada. Si les membres du Comité souhaitent obtenir plus de détails et de statistiques sur ces tendances, je les invite à communiquer avec le Centre canadien de la statistique juridique de Statistique Canada pour un exposé.
De plus, je signale que le rapport du ministère de la Sécurité publique intitulé Le système correctionnel et la mise en liberté sous condition est disponible en ligne. La dernière version date de 2014. Les statistiques de 2015 devraient être publiées sous peu.
Merci.
Je suis heureuse d'être ici aujourd'hui pour décrire la façon dont le ministère de la Justice aide la à examiner les projets de loi d'initiative ministérielle et la réglementation gouvernementale, comme le prévoit l'article 3 de la Déclaration canadienne des droits, l'article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice, et le paragraphe 3(2) de la Loi sur les textes réglementaires.
Ces dispositions d'examen, et le processus qui les entoure, jouent un rôle important dans la promotion de la primauté du droit. Premièrement, elles exigent que la ministre examine tous les projets de loi soumis ou présentés à la Chambre des communes par un ministre fédéral en vue de vérifier si l’une de leurs dispositions est incompatible avec les fins et les dispositions de la Déclaration canadienne des droits et de la Charte canadienne des droits et libertés.
[Français]
En ce qui concerne les projets de règlement, un devoir comparable est imposé au greffier du Conseil privé de la Reine pour le Canada, de concert avec le sous-ministre de la Justice.
Le processus d'examen des projets de loi et celui des projets de règlement du gouvernement ne sont pas tout à fait identiques, mais l'objet de l'examen est le même, soit de vérifier si l'une de leurs dispositions est incompatible avec les fins et les dispositions des droits garantis.
[Traduction]
Deuxièmement, lorsque la ministre de la Justice ou le sous-ministre de la Justice forme l’opinion décrite dans les dispositions d’examen, un compte rendu doit en être donné: s’agissant de la ministre, à la Chambre des communes après la première lecture; s’agissant du greffier du Conseil privé, après avoir consulté le sous-ministre, à l’autorité réglementaire.
Aux fins de la présentation d’aujourd’hui, je m’attarderai à l’examen des projets de loi d'initiative ministérielle plutôt qu'à celui de la réglementation. Comme vous le savez peut-être, depuis la promulgation de la Charte, aucune incohérence n'a été signalée en ce qui a trait aux projets de loi d'initiative ministérielle.
[Français]
De l'avis du ministère de la Justice, cela illustre le travail que nous faisons avec les ministères responsables pour garantir que les projets de loi sont compatibles avec les garanties constitutionnelles. Cela illustre aussi la recherche d'un équilibre prudent entre les rôles et les responsabilités du pouvoir exécutif, du pouvoir législatif et de la magistrature pour ce qui est de la protection de la Constitution et de la primauté du droit.
J'aimerais prendre un instant pour décrire plus en détail le travail du ministère.
[Traduction]
Les fonctionnaires du ministère de la Justice jouent un rôle important dans l'élaboration et la préparation des lois du gouvernement, un processus qui nécessite la contribution de nombreux intervenants.
Les avocats du ministère de la Justice offrent des avis juridiques aux responsables des politiques de l'ensemble du gouvernement sur la façon d'atteindre leurs objectifs tout en respectant la Constitution et toutes les autres lois pertinentes. La plupart du temps, on arrive à réduire ou à atténuer les risques juridiques désignés avant qu'ils ne parviennent au Parlement. Les avocats du ministère de la Justice participent habituellement à toutes les étapes du processus d'élaboration des politiques, de la conception initiale jusqu'à la rédaction législative, et donnent des conseils sur toutes les préoccupations juridiques pouvant être soulevées, y compris celles qui ont trait à la Charte.
Pour appuyer cette fonction importante, le ministère a créé, il y a longtemps, un centre d'expertise sur les droits de la personne. Les fonctionnaires de la section des droits de la personne, dont je suis responsable, veillent à ce que le gouvernement ait accès à l'avis juridique d'experts sur des questions complexes et émergentes en matière des droits de la personne, tant à l'échelle nationale qu'en ce qui a trait à nos obligations internationales en matière des droits de la personne.
La section vise également à assurer la cohérence et l'uniformité des avis juridiques sur la Charte des droits et la Déclaration canadienne des droits dans l'ensemble du gouvernement.
[Français]
Durant les premières étapes de l'élaboration des politiques, les fonctionnaires fédéraux travaillent en étroite collaboration avec les conseillers juridiques du ministère de la Justice pour régler les préoccupations relatives aux droits de la personne dans la Charte. Tout au long du processus, la politique peut être ajustée, au besoin, afin de réduire tout risque d'incompatibilité avec les droits garantis.
[Traduction]
Ces ajustements éclairent les recommandations faites au Cabinet et tiennent compte de tous les risques juridiques désignés, y compris les risques associés au respect des droits garantis par la Charte. Par exemple, lorsque les options d'un ministère parrain sont associées à des risques juridiques importants, les responsables des politiques et les avocats du ministère de la Justice font part de leurs préoccupations à la haute direction à des fins de discussion. La discussion porte notamment sur les risques qui peuvent obliger la ministre à signaler une incompatibilité.
Si les discussions n'entraînent aucun changement, la section des droits de la personne participera, avec d'autres conseillers juridiques du ministère de la Justice, à une séance d'information à l'intention des cadres supérieurs sur les avis juridiques fournis de manière à éclairer les discussions de la haute direction et du Cabinet. Enfin, au Cabinet, la ministre peut faire part de ses préoccupations juridiques et conseiller ses collègues quant à la constitutionnalité de la proposition. Une fois que le Cabinet a présenté son orientation politique, le processus de rédaction législative commence.
[Français]
Les conseillers juridiques des services législatifs sont des avocats spécialisés chargés de la rédaction législative. Il leur incombe aussi d'examiner la compatibilité des lois et des règlements avec les droits garantis. En s'acquittant de cette responsabilité, les conseillers législatifs travaillent en étroite collaboration avec d'autres avocats du gouvernement, dont les avocats de la section des droits de la personne. Une fois encore, ils chercheront à atténuer les risques liés à la Charte ou d'autres risques juridiques qui peuvent être relevés à l'étape de la rédaction.
[Traduction]
Le conseiller législatif en chef réalise l'examen final de tous les projets de loi du gouvernement pour veiller à ce qu'ils respectent les droits garantis, en consultation avec la section des droits de la personne au besoin. Comme vous pouvez le constater, avant qu'une mesure législative ne soit présentée au Parlement, elle fait l'objet d'un examen rigoureux de la part du ministère de la Justice.
J'aimerais maintenant parler de la portée de l'obligation de la ministre de la Justice, qui doit signaler au Parlement toutes les dispositions incompatibles avec la Charte ou la Déclaration canadienne des droits une fois la mesure proposée rédigée et prête à être présentée.
[Français]
La position du gouvernement sur la portée du devoir de la ministre a été décrite à maintes reprises au Parlement au fil des ans, y compris par plusieurs anciens ministres de la Justice. Elle a aussi récemment fait l'objet d'une contestation juridique déposée par un ancien conseiller juridique du ministère de la Justice, Edgar Schmidt. Comme vous le savez peut-être, nous attendons encore la décision de la Cour fédérale dans cette affaire.
[Traduction]
Si, à la fin de l'étape de la rédaction législative, la ministre de la Justice est d'avis qu'il y a une incompatibilité entre une disposition d'un projet de loi d'initiative ministérielle et un droit garanti, c'est à ce moment qu'elle doit signaler l'incohérence à la Chambre. En pratique, cela se fera après la première lecture. En langage simple, l'article 4.1 oblige la ministre à vérifier si les dispositions des projets de loi d'initiative ministérielle sont compatibles avec les droits du gouvernement. Étant donné cette responsabilité, la norme concernant le signalement doit refléter la formulation et l'intention de la disposition. Dans le cas des projets de loi d'initiative ministérielle, la ministre a l'obligation de vérifier la compatibilité et peut le faire selon l'avis juridique du ministère de la Justice et d'autres si elle le souhaite.
[Français]
Par conséquent, il revient en dernier lieu à la ministre de faire sa propre évaluation en s'appuyant sur les avis qu'elle reçoit et sur sa propre appréciation des questions juridiques en jeu.
[Traduction]
Comme vous le savez peut-être, la position de longue date du gouvernement est que l'obligation de faire rapport du ministre survient uniquement lorsqu'il n'y a aucun argument crédible pour appuyer la validité constitutionnelle de la mesure législative. Un argument crédible est un argument raisonnable, bona fide et susceptible d'être entendu et reçu par les tribunaux. Cette norme exige un degré important, mais non absolu, de certitude quant à l'incompatibilité et ne se fonde pas sur un pourcentage fixe.
Comme vous vous en doutez, ce type d'évaluation peut parfois s'avérer un exercice difficile. Il vise à appliquer la loi à un ensemble de faits à un moment précis. Cependant, les faits relatifs à l'incidence d'une loi peuvent changer au fil de l'évolution de la société, y compris les faits qui ont trait à l'objectif de la mesure, au lien rationnel entre la mesure et son objectif et à la proportionnalité entre la nature et la portée de la violation des droits et l'importance de l'objectif pour la société.
[Français]
La jurisprudence relative aux droits garantis évolue aussi sans cesse, parfois de façon très marquée et imprévisible. Nous avons eu de nombreux exemples au fil du temps, notamment, pour ne citer qu'un exemple avec lequel le Parlement se démène maintenant, les changements touchant ce qui semblait être reconnu en droit sous le régime de la Charte par rapport à l'aide médicale à mourir.
[Traduction]
Je veux profiter de l'occasion pour parler des principes généraux qui orientent l'approche du ministère en vue d'appuyer la ministre dans l'exercice de ses pouvoirs et fonctions. Selon notre système constitutionnel, toutes les composantes du gouvernement — le Parlement, le pouvoir exécutif et les tribunaux —sont responsables du respect des droits et libertés fondamentaux protégés.
Le système d'examen mis en place par le ministère pour appuyer le ministre et le sous-ministre vise à assurer le respect du rôle de chaque composante du gouvernement à cet égard. Les dispositions relatives à l'examen établissent la limite extérieure quant au moment où l'on doit informer le Parlement qu'un projet de loi, qui fera l'objet d'un débat, est de toute évidence incompatible avec un droit garanti. Toutefois, à l'intérieur de cette limite, on peut largement débattre de la compatibilité des mesures législatives avec les droits garantis et la Constitution, de façon plus générale.
La norme relative à l'argument crédible tient compte des multiples rôles du ministre au sein de la démocratie constitutionnelle du Canada. Elle tient compte du devoir de veiller au respect de la primauté du droit et de la Constitution tout en veillant à ce que le ministre qui exerce une obligation prévue par la loi n'empêche pas le débat législatif sur les politiques sauf dans les cas d'incompatibilité évidente avec la Charte.