JUST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
Comité permanent de la justice et des droits de la personne
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le mercredi 22 novembre 2017
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Bonjour, mesdames et messieurs. Je suis ravi d'accueillir notre groupe de témoins à la première séance que nous consacrons à notre étude sur les procès par jury au Canada.
Je suis très heureux d'accueillir M. Sikand, qui est des nôtres aujourd'hui.
Bienvenue.
Je suis également très heureux d'accueillir M. Rankin, qui se joint à nous aujourd'hui, puisqu'il a joué un rôle très important. Il a présenté bon nombre d'entre nous à certains des jurés qui ont soulevé la question pour la première fois et qui ont parlé de la nécessité de mener cette étude. Tous les partis ont convenu qu'il était nécessaire de le faire. Évidemment, c'est une question très sérieuse. Des gens qui ont servi le public comme jurés estiment qu'ils n'ont pas reçu le soutien que le gouvernement aurait dû leur offrir par la suite. Nous sommes vraiment ravis de pouvoir en apprendre sur ce que vous avez vécu. Je sais que vos témoignages aideront le Comité dans ses délibérations.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à nos témoins, qui comparaissent à titre personnel. Nous accueillons M. Mark Farrant, M. Patrick Fleming, Mme Tina Daenzer et M. Scott Glew.
Bienvenue à tous.
Nous allons donc suivre l'ordre selon lequel les témoins sont assis. Nous entendrons tout d'abord M. Farrant.
La parole est à vous, monsieur Farrant.
Merci beaucoup.
Merci aux membres du Comité de m’avoir invité à prendre la parole aujourd’hui et d’avoir accepté à l’unanimité d’entreprendre une étude sur la santé mentale des jurés. Si je peux me permettre, je voudrais souligner également l'éloquence avec laquelle ils se sont exprimés et la sensibilité dont ils ont fait preuve durant les discussions, et les remercier d’avoir voté en ce sens, ce qui nous amène tous ici aujourd’hui.
Le devoir de juré figure parmi les plus importantes responsabilités civiques des citoyens canadiens. Il s’agit en fait de la dernière fonction obligatoire depuis que le service militaire a été aboli. Je ne crois pas me tromper en disant que les Canadiens sont tiraillés quant au devoir de juré. Bon nombre d’entre eux y voient un inconvénient, un fardeau ou un bouleversement au lieu de l’importante responsabilité dont il s’agit.
En janvier 2014, j’ai été sélectionné pour faire partie du jury dans un procès pour meurtre au premier degré à Toronto, en Ontario. Comme bien des Canadiens, je n’avais jamais eu affaire au système de justice criminelle ni même été dans une salle d’audience. J’ai assuré la fonction de président du jury et j’ai prononcé le verdict.
Le procès portait sur le meurtre brutal d’une jeune fille, Carina Petrache, commis par son petit ami avec qui elle avait une relation intermittente. Il l’a attaquée un matin dans leur logement dans une maison de chambres. Il lui a tranché la gorge d’une oreille à l’autre, puis l’a poignardée 25 fois. Carina a fini par être brûlée, car son assassin a essayé de mettre le feu au sous-sol pour essayer en vain de détruire l’édifice par les flammes. Ses tentatives de provoquer un incendie criminel ont échoué, et Carina, même blessée à mort, a réussi à s’échapper, puis est décédée en route vers l’hôpital.
L’accusé s’est infligé d’horribles blessures dans l’incendie: 90 % de son corps a été couvert de brûlures, et il est demeuré complètement défiguré et handicapé par amputation. Il a passé 12 mois dans un coma médical avant d’être accusé. Dans la salle d’audience, cette créature monstrueuse rappelait aux jurés la brutalité de l’attaque et les fixait du regard pendant des heures pour les intimider et les scandaliser.
La défense de non-responsabilité criminelle a compliqué le procès, qui a duré quatre mois. Pendant son témoignage qui a duré de nombreuses heures, le coroner a donné les détails de ce meurtre brutal. Il a montré entre autres des dizaines et des dizaines de photos de l’autopsie de la victime, décrit les blessures superficielles et graves et indiqué les lésions de défense aux pieds et aux mains de la victime, ce qui laissait entendre que l’agression avait été perpétrée avec une violence et un acharnement inouïs.
Dans l'enregistrement vidéo macabre de la police, on voit la scène de crime dans son ensemble: le logement au sous-sol incendié où l’agression a été commise, l’escalier endommagé par les flammes sur lequel se détachaient les traces de sang de la défunte et, pour finir, les éclaboussures de sang, les traces de mains et de pieds rouge vif et les flaques de sang d’un bout à l’autre du couloir et dans la salle de bain. Les pompiers et les premiers intervenants sur les lieux ont livré un témoignage poignant et troublant, en particulier le capitaine des pompiers. Cet homme aguerri s’est effondré à la barre des témoins et a déclaré qu’il s’agissait de l'expérience la plus effroyable de sa vie.
L’accusé a finalement été reconnu coupable de meurtre au deuxième degré. Il s’est pendu au Centre de détention de l’Ouest de la communauté urbaine de Toronto avant de connaître sa peine.
Au tribunal, j’ai pris connaissance des preuves, en silence, à titre de juré. C’est que les jurés assimilent les preuves et les faits, sans interagir. Nous n’avons pas le loisir de nous en détourner ou de lever la main en nous écriant « arrêtez, je n’en peux plus ».
Je me souviens d’une image brutale précise qui a été affichée à l’écran pendant 45 minutes durant les plaidoiries. Je me suis demandé en quoi c’était même nécessaire. L’image n’allait pas influencer ma décision de toute façon. À l’époque, j’ai compris que le stress, l’insomnie et l’anxiété venaient avec la fonction de juré et en étaient le prix à payer. Je me suis rappelé que cela faisait partie du travail.
En tant que jurés, nous vivons dans l’isolement extrême. Il est impossible de parler à quiconque du procès et à peine aux autres jurés. Je quittais le tribunal en transe, sans me rappeler comment je rentrais à la maison. Je fixais le vide durant les réunions au travail ou à la maison pendant que ma fille de trois ans essayait désespérément de jouer avec moi. Mon épouse alors enceinte, qui avait un mari si présent à sa première grossesse, s'est retrouvée avec un zombie émotionnel incapable de communiquer ou réticent à le faire.
En fait, je m’attendais à ce que ces émotions se calment lorsque je quitterais le tribunal le jour du verdict. Je m'attendais à me réhabituer à ma vie après un certain temps. Tout irait bien. Je croyais que nous aurions droit à une séance de bilan et de verbalisation avant d’être libérés, ainsi qu’à du counselling nous orientant vers des services, à des exercices mentaux ou à de simples discussions. Rien, nous n’avons rien eu.
Mes émotions ne se sont pas calmées, au contraire; elles n’ont fait que m'envahir de plus en plus. Après le procès, j’ai coupé les ponts avec ma famille et mes amis. Je communiquais tout au plus avec mes collègues et alors superficiellement. J'étais en état d'hypervigilance lorsqu'il s'agissait de mes enfants; je refusais de les laisser marcher seuls, même quelques pas devant moi. Je ne tolérais plus les foules ni les lieux publics. Mon alimentation avait changé aussi: je ne pouvais plus voir ni préparer de la viande crue sans avoir mal au coeur, et c'est encore le cas aujourd’hui.
Les images vues au procès me hantaient jour après jour, comme un incessant bombardement d'horreurs. La peinture à doigts rouge de ma fille me replongeait dans la scène du crime, et je restais cloué sur place, perdu dans un autre espace temps. Parfois, j'éclatais en sanglots sans raison. L'intimité avec mon épouse était impossible, car je dormais en bas comme une sorte de guetteur ou devant la porte de la chambre de mes enfants — si j'arrivais à dormir.
Tout commençait à devenir une menace et je me suis mis à apporter des couteaux « au cas où », comme je me le disais, lorsque j'amenais mes enfants jouer au parc. Un jour, ma fille m'a demandé pourquoi je mettais un couteau dans mon manteau. Ayant du mal à en comprendre moi-même la raison, je ne me voyais pas l'expliquer à ma fille de trois ans. Je savais que quelque chose allait vraiment mal chez moi.
Finalement, ma famille est intervenue en me disant que j'étais malade et que j'avais besoin d'aide. Je me suis d'abord tourné vers le palais de justice, croyant qu'on me dirigerait tout naturellement vers des conseillers et des services aux jurés. À mon étonnement, mes appels répétés sont restés sans réponse, mais j'ai fini par apprendre que je n'avais pas droit aux services du tribunal à moins d'une ordonnance d'un juge. C'était la politique de l'Ontario à ce moment-là. Je n'avais pas accès aux services aux victimes, car je n'étais évidemment pas une victime.
J'ai donc entamé une descente affolante dans le régime public de soins de santé, où j'étais responsable de trouver un médecin et de m'inscrire sur une liste d'attente pour des services psychiatriques — pratiquement un an d'attente.
Enfin, après presque six mois, j'ai trouvé un spécialiste en troubles de stress post-traumatique, ce qui était mon diagnostic, et je me suis mis à payer de ma poche une thérapie comportementale et cognitive avec un psychologue. Tout en étant reconnaissant d'avoir cette thérapie, je me suis dit que je n'aurais pas dû avoir à solliciter du counselling et que les jurés devraient recevoir de l'aide après avoir fait leur devoir dans un procès difficile au nom de la société et du pays. Les jurés ne devraient pas souffrir des conséquences de leur devoir civique.
J'étais motivé à agir. Après avoir longtemps milité avec détermination, j'ai obtenu du gouvernement de l'Ontario la mise sur pied d'un programme de soutien aux jurés, d'une assistance téléphonique gratuite et de huit séances de counselling.
J'ai écrit à tous les procureurs généraux du pays pour leur demander d'adopter un programme similaire ou de lever les obstacles aux programmes correspondants à ceux offerts en Ontario. La plupart du temps, je me suis buté à leur résistance ou à leur complète indifférence. Pourtant, un nombre incalculable de jurés m'ont dit avoir subi les mêmes épreuves et un manque cruel de soutien psychologique dans leur province respective. Certains d'entre eux ont souffert pendant de nombreuses années et demeurent affectés à ce jour.
Ma résolution est d'instaurer une norme nationale, ce qui explique notre présence ici aujourd'hui. Mesdames et messieurs les membres du Comité, je tiens à vous dire que le soutien fonctionne. C'est grâce à ce soutien que je suis ici aujourd'hui et que je vous parle. J'en suis la preuve vivante.
Les jurés représentent un pilier important du système de justice. Selon moi, les jurés et les premiers intervenants se trouvent chacun à un bout du système. Les jurés mettent un terme, durant le procès, à une affaire dont les premiers intervenants et les pompiers voient le début. Ils ont en main les mêmes preuves, sinon plus, et ils sont tous touchés par la même horreur et la même tragédie. Pourtant, un groupe reçoit du soutien et des services, mais pas l'autre.
J'espère que vous présenterez au gouvernement et à la ministre de la Justice une recommandation dans laquelle vous soulignerez le rôle indispensable des jurés dans notre système de justice et la nécessité de leur fournir le soutien dont ils ont besoin pour retourner à la vie quotidienne.
Merci.
Merci beaucoup.
Avant que les autres témoins prennent la parole, j'aimerais les remercier — et vous, Mark — de partager leur histoire personnelle avec nous, car je sais à quel point c'est difficile, mais je crois que c'est seulement par l'entremise de vos récits et du récit d'autres jurés que nous réussirons à bien comprendre le problème, ce qui nous permettra de formuler des solutions adéquates. Je vous remercie donc encore une fois.
Bonjour.
Je vous remercie de me donner l'occasion de vous parler aujourd'hui.
Je m'appelle Patrick Fleming, et il y a trois ans, j'ai fait partie d'un jury dans un procès pour meurtre au premier degré qui a pris le contrôle de ma vie pendant 10 mois, et plus encore. L'affaire, R. c. Pan, mettait en cause Jennifer Pan, une jeune femme de Markham, en Ontario, et quatre complices embauchés pour assassiner les parents de Jennifer dans leur résidence familiale. Chaque jour, je suis hanté par des souvenirs de ce crime, par exemple les photos très crues du coroner montrant des blessures par balle, la scène du crime ensanglantée et des témoignages à glacer le sang. Je me vois et je m'entends encore, dans mon rôle de président du jury, lire le verdict de culpabilité à tous les accusés. J'entends encore les hurlements des membres de la famille et des amis des accusés entassés dans la salle d'audience bondée pendant que je lis leurs verdicts. Lorsque mon devoir civique s'est terminé et que j'ai pu revenir à la maison pour rejoindre ma famille et reprendre ma vie « normale », je m'attendais à ressentir une vague de soulagement en m'avançant dans mon stationnement, mais il y avait quelque chose de différent. Je n'avais pas l'impression d'avoir atteint mon lieu de paix. Quelque chose n'allait pas.
Cette expérience m'a fait sentir très seul, et je me sentais isolé même lorsque j'étais entouré de mes proches. Je me suis éloigné de ma femme, de ma famille et de mes amis pendant et après le procès. J'étais incapable de trouver les mots pour exprimer ce que je traversais émotionnellement. J'ai éprouvé beaucoup de sentiments confus, de pensées et de visions horribles pendant et après ce procès. J'ai dû me préparer à retourner sur mon lieu de travail le jour suivant le procès, après une longue absence de 10 mois. Je savais que j'avais besoin d'aide, mais à l'époque, les tribunaux n'offraient aucune assistance, seulement des remerciements pour mon devoir civique et des salutations. J'avais pourtant désespérément besoin de parler à un professionnel, quelqu'un qui pourrait m'aider à apaiser mes pensées et mes émotions. Je ne soulignerai jamais assez à quel point je trouve important que tous les civils appelés à exercer les fonctions de juré reçoivent un soutien en santé mentale une fois le procès terminé.
Nous avons besoin d'aide pour reprendre notre vie « normale ». Nous sommes des civils qui n'ont pas choisi d'emprunter cette voie et qui n'ont pas été formés pour affronter ce type de situation. Être juré est une tâche monumentale qui a eu des répercussions profondes sur ma vie. Je crois fermement que le gouvernement fédéral a la responsabilité de fournir une aide professionnelle à tous les jurés, dans toutes les provinces. Je crois et soutiens toujours que chacun doit remplir son devoir de citoyen, mais je crois aussi que les jurés devraient avoir accès à des services de soutien en santé mentale sans avoir à les payer eux-mêmes, comme je l'ai fait, pour avoir accompli leur devoir pour leur pays.
Je connais personnellement quelqu'un qui a eu recours au programme de soutien pour les jurés de l'Ontario, et il est très reconnaissant que cette province soit dotée d'un tel programme. Ce programme a été une aide extraordinaire pour lui et sa famille, et il m'a demandé de remercier le gouvernement d'offrir l'aide et le soutien dont il a eu besoin.
J'ai également ajouté deux pages de listes de points qui résument certaines de mes expériences liées au stress engendré par les fonctions de juré. Je me suis senti isolé de ma famille et de mes amis. Je prenais mes distances, et je ne pouvais pas parler de ce que je traversais. Je me sentais extrêmement coupable de prendre une décision qui changerait à jamais la vie des défendeurs. Je me sentais coupable de ne pas être émotionnellement et physiquement présent pour ma famille. J'ai encore de la difficulté à gérer les sentiments de solitude que j'ai vécus pendant et après le procès. J'ai eu de la difficulté à réprimer mes émotions. Je ne pouvais pas ressentir d'empathie ou de sympathie envers les victimes, car je devais réfléchir de manière analytique et tenir compte uniquement des faits relatifs à l'affaire, et non des émotions. J'ai réussi à le faire, mais cela m'a forcé à gérer toutes mes émotions par moi-même.
Encore une fois, je tiens à remercier les membres du Comité de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui et je remercie également tous les députés qui soutiennent notre cause.
J'aimerais remercier les membres du Comité de me permettre de comparaître aujourd'hui.
Je suis immigrante de première génération et je suis extrêmement fière d'être citoyenne canadienne. Je profite des privilèges, des droits et des libertés qu'offre ce pays, mais ces droits s'accompagnent de responsabilités. L'une de ces responsabilités consiste à participer à l'exercice de la justice lorsqu'on est appelé à le faire. Notre droit à un procès devant jury dépend de la volonté de tous les citoyens de servir, mais cela ne devrait pas se faire aux dépens de la santé mentale des jurés.
En 1995, j'ai été la première jurée sélectionnée pour le procès de Paul Bernardo. Le juge Patrick LeSage m'a avertie que le procès serait difficile et que des éléments de preuve explicites seraient présentés. À ce moment-là, je ne pouvais pas comprendre à quel point ce serait éprouvant. Imaginez que vous deviez sans cesse regarder des jeunes filles se faire violer et torturer. Vous ne pouvez pas fermer les yeux et vous ne pouvez pas détourner la tête, car c'est votre devoir de regarder les preuves. Souvent, je retournais à la maison dans un brouillard, comme si j'étais sous l'influence de médicaments puissants. Je comptais sur mon mari pour prendre soin de nos enfants et s'occuper de la maison, car j'avais souvent de la difficulté à me concentrer sur des tâches après une journée au tribunal. Presque toutes nuits, les vidéos que j'avais visionnées rejouaient sans cesse dans ma tête. J'avais de la difficulté à dormir. Il m'a été impossible d'être intime avec mon mari pendant longtemps, même après la fin du procès. J'ai commencé à avoir peur de sortir le soir, et cela m'affecte encore aujourd'hui. Je ne fais aucunement confiance aux étrangers.
À un certain point pendant le procès, le juge LeSage a dû demander une pause en mon nom, car le stress intense que je ressentais me donnait des palpitations graves. Pourtant, j'étais l'une des jurés qui avaient le plus de chance. Le juge Patrick LeSage, pendant ses 29 années de carrière à la magistrature, a ordonné ou recommandé à seulement deux reprises un service de counselling pour les jurés, et le procès de Bernardo était l'un de ces cas. Le juge lui-même a demandé du counselling après le procès. Étant donné que j'avais reçu un diagnostic d'ESPT, le conseiller a déterminé que je pouvais avoir accès aux services aussi longtemps que j'en avais besoin. Même si le temps réussit à guérir bien des choses, l'accès au counselling m'a aidée à gérer mon traumatisme et mon anxiété et à reprendre le cours de ma vie.
À l'époque, je pensais qu'on fournissait automatiquement du counselling aux jurés lors de procès traumatisants. Je me suis rendu compte que ce n'était pas le cas lorsque j'ai commencé à lire au sujet de Mark Farrant et de sa mission pour veiller à ce que tous les jurés puissent recevoir du soutien après un procès. Si c'est notre devoir de citoyen de participer au système de jury, ce doit être le devoir des tribunaux et du gouvernement de veiller à ce que les personnes qui acceptent d'accomplir ce devoir n'en subissent pas les conséquences.
Je vous remercie de m'avoir accordé votre temps aujourd'hui. J'espère que les membres du Comité formuleront une solide recommandation au gouvernement et à la ministre de la Justice sur la nécessité d'adopter une norme nationale relative aux services de counselling et de soins en matière de santé mentale offerts aux jurés, et qu'ils recommanderont d'exiger que toutes les provinces adoptent cette norme.
Honorables membres du Comité, je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant vous aujourd'hui.
Je suis un homme de 47 ans et j'habite dans la région du Grand Toronto. J'ai servi de juré dans le procès pour le meurtre au deuxième degré d'un petit garçon de deux ans et demi. Le procès a duré environ six semaines et a requis l'isolement complet des membres du jury.
Excusez-moi.
L'affaire concernait la mort d'un petit garçon de deux ans et demi qui avait été confié aux soins du petit ami de sa mère. Selon le pathologiste, le petit garçon avait subi de graves blessures, dont des vertèbres fêlées, des os brisés et un traumatisme contondant à l'abdomen. Ces blessures ont été subies dans les semaines précédant le décès du petit garçon.
Je sais cela, car j'ai dû assister à un rapport d'autopsie détaillé qui montrait des images explicites de la scène du crime, et qui expliquait comment cela avait été déterminé par l'entremise du processus d'enquête, plus précisément le processus d'autopsie.
Le procès m'a personnellement touché, car à ce moment-là, j'avais moi-même un petit garçon de deux ans et demi à la maison. La pensée que quelqu'un pourrait faire une telle chose à un précieux enfant me perturbe manifestement toujours.
L'accusé a été déclaré coupable et encore aujourd'hui, j'entends les cris qui ont émergé dans la salle d'audience, et je vois le grand-père de la victime, en larmes, qui tend les bras par-dessus le banc en criant « merci, merci. » Les agents de sécurité de la salle d'audience nous ont rapidement fait sortir, nous les jurés, et nous ont éloignés de la salle d'audience pour nous faire sortir par le tunnel situé à l'arrière du tribunal. On tentait ainsi d'assurer notre sécurité, car un affrontement avait éclaté, devant le tribunal, entre les membres de la famille de l'individu déclaré coupable et ceux de la victime. J'ai appris cela en écoutant les nouvelles, lorsque je suis revenu à la maison.
Il a été difficile de retourner au travail. Mon employeur n'était pas très heureux de mon absence de six semaines, même si j'ai travaillé avant et après le procès, ainsi que pendant les fins de semaine, afin de me tenir à jour. C'était la période budgétaire et tout était à faire immédiatement. Selon la culture de cet employeur, les échéances et les engagements financiers avaient préséance sur tout autre travail à faire.
Mon premier jour de retour au travail s'est déroulé dans un brouillard. C'était très étrange, car la veille, j'étais isolé et tenu à l'écart de ma vie normale et de ma famille afin de décider le destin d'un individu et de tenter de rendre justice, mais le jour d'après, je me retrouvais en pleine réunion où l'on parlait d'un nouveau logiciel informatique que mon employeur installait dans les ordinateurs.
Quelques jours après le procès, je savais que j'avais besoin de l'aide d'un professionnel en santé mentale. J'ai demandé l'aide d'une conseillère du programme du PAE. Elle a été extraordinaire. J'ai eu de la chance que mon employeur offre un tel programme. Le suivi après le procès m'a éventuellement mené à quitter mon employeur. Le traitement que j'avais reçu — le manque de compréhension de mon supérieur, de mes pairs et de la haute direction — m'avait fait sentir que j'avais fait quelque chose de mal, comme si j'étais allé en vacances ou que je n'avais pas rempli les exigences liées à mon emploi.
J'ai été chanceux de pouvoir compter sur le soutien du programme du PAE et d'une conseillère extraordinaire. Avec le temps, je me suis rendu compte que je devais m'éloigner de mon employeur. Personnellement, le counselling m'a amené à suivre des chemins de vie que je n'aurais pas explorés autrement. J'ai vécu des changements positifs et j'ai pris conscience de mon propre comportement.
Encore aujourd'hui, je crains constamment que quelque chose arrive à mes enfants, car j'ai peur qu'une personne qu'ils connaissent les blesse comme la victime a été blessée. Je suis extrêmement vigilant et on m'accuse d'être surprotecteur, mais en sachant ce que je sais, je ne peux pas être trop prudent lorsqu'il s'agit des personnes qui s'occupent de mes enfants.
Je serais prêt à accomplir mon devoir civique à nouveau. Je crois que le système judiciaire du Canada est l'un des meilleurs au monde. J'ai été directement témoin des droits de l'accusé, car le juge a répété à d'innombrables reprises que l'accusé devait recevoir un procès juste et impartial.
Toutefois, même le meilleur système judiciaire du monde peut être amélioré. On pourrait fermer la boucle du système de procès par jury en offrant du soutien après le procès à tous les jurés qui en ont besoin. Il serait également très utile d'offrir une période prolongée après le procès pour normaliser le retour au travail. Il pourrait également être utile de créer une trousse d'éducation solide pour les employeurs et potentiellement pour les collègues des jurés. Il serait aussi utile de réserver, pour les jurés, des stationnements et des salles de pause loin des avocats, des familles et des participants au procès.
J'aimerais également insister sur l'importance d'offrir, à l'échelle nationale, un soutien normalisé après le procès pour les jurés, et vous encourager à fournir cette aide à ceux qui en ont besoin, à ceux qui représentent le fondement du système de jury. Cela les aiderait certainement à composer avec les résultats, les faits et les images qu'ils doivent analyser pour accomplir leur devoir civique.
Je vous remercie de votre temps.
Je suis honoré d'avoir participé à ce processus, et je m'excuse d'avoir été émotionnel.
Merci beaucoup.
Les émotions sont au coeur des considérations qui nous réunissent aujourd'hui. Il faut que nous puissions entendre directement le récit de vos expériences pour parvenir à les comprendre.
Nous passons maintenant aux questions des membres du Comité. Nous allons faire un tour complet, après quoi nous verrons s'il y a d'autres questions.
Nous commençons du côté des conservateurs.
Monsieur Nicholson.
Merci beaucoup.
Je suis membre du comité de la justice depuis deux ans et j'ai entretenu des liens étroits avec ce comité pendant une bonne vingtaine d'années au fil de ma carrière politique. Je peux vous dire que ces témoignages sont parmi les plus émouvants qu'il m'ait été donné d'entendre.
Je veux que vous sachiez que je crois fermement que vos témoignages et votre présence parmi nous aujourd'hui contribueront à faire changer les choses.
Monsieur Glew, vous avez indiqué que nous avons le meilleur système judiciaire au monde, mais qu'il y a tout de même des points à améliorer. C'est assurément le cas de cette lacune que vous venez de nous exposer à différents niveaux. Si je tenais tant à ce que nous procédions à cette étude, c'est parce que je sais que nous pouvons travailler dans le sens des efforts que vous avez déployés avec ceux qui vous ont aidé. Vous avez mis au jour une lacune qui est toujours passée inaperçue à ma connaissance. Votre expérience directe nous sera d'un secours inestimable.
Monsieur Farrant, vous avez dit avoir écrit au gouvernement ontarien qui a ensuite mis sur pied un programme de soutien. Vous avez ajouté avoir également écrit à d'autres procureurs généraux et gouvernements de notre pays. Certains vous ont répondu; d'autres pas.
Sans vouloir exercer quelque pression que ce soit sur vous, je crois qu'il serait intéressant que nous puissions prendre connaissance des réponses que vous avez reçues. Comme nous avons décidé de nous intéresser à ce dossier, nous voudrions bien savoir ce que les provinces et territoires ont pu vous répondre à ce sujet. À moins qu'ils ne vous aient pas répondu, ce qui témoigne bien des difficultés auxquelles nous nous heurtons. Qu'en pensez-vous?
Je me ferai un plaisir de vous transmettre des copies de ma correspondance avec tous ces procureurs généraux et ministères. Dans certains cas, on m'a dit n'avoir reçu aucune plainte de la part de jurés et en conclure que cela ne posait pas problème dans la province. Il y a pourtant des jurés de cette même province qui me disaient avoir participé à un procès horrible sans obtenir aucun soutien, et c'était il y a 10 ans.
D'autres provinces soutiennent qu'un tel programme serait coûteux et se demandent s'il est approprié d'en imposer le fardeau financier à leurs contribuables. Je leur réponds toujours alors qu'il ne faut pas tant s'inquiéter du coût du programme, mais plutôt de celui des vies que nous pourrions sauver en le mettant en place. Avant l'instauration du programme en Ontario, une jurée de London s'est suicidée après qu'un procès portant sur l'homicide d'un enfant ait avorté. Si un programme avait été accessible à l'époque, je crois bien que cette personne serait encore en vie aujourd'hui.
Lorsqu'un procureur général vous répondait en mentionnant les coûts éventuels, était-il question dans sa lettre des coûts que les jurés doivent eux-mêmes absorber?
Convenez-vous avec moi que l'absence d'une indemnisation suffisante témoigne en partie du peu d'intérêt que nous portons au sort des jurés? Ils doivent passer quelques semaines sans aucun revenu, puis reçoivent un message leur indiquant qu'ils toucheront 40 $ par jour.
Vous nous avez indiqué très clairement que vous l'avez fait parce que vous teniez à vous acquitter de votre devoir de citoyen. Croyez-vous vraiment que le gouvernement envoie le bon message aux gens en leur disant qu'ils peuvent se retrouver au tribunal pendant deux semaines et que leur employeur n'a pas à les rémunérer? On leur remet seulement par la suite 40 $ par jour.
En Ontario, l'employeur n'est pas obligé de rémunérer un juré qui s'absente du travail. Il doit toutefois lui garantir son poste à son retour. Cependant, des jurés nous ont indiqué — et j'en fais d'ailleurs partie — que l'employeur se sent souvent terriblement brimé et exerce énormément de pression pour que le juré continue de faire son travail en plus de s'acquitter de son devoir de citoyen.
C'est exactement ce qui m'est arrivé. Après une journée de témoignages horribles, je rentrais au bureau pour rencontrer mon équipe et travailler pendant six heures, et je reprenais cette routine le lendemain matin au tribunal. Même si mon employeur a fini par comprendre que je vivais une expérience particulièrement difficile, reste quand même qu'il tenait à ce que je m'acquitte bien du travail pour lequel il me rémunérait.
L'indemnité de service judiciaire ne couvre pas les coûts du transport et les autres frais qu'un juré doit engager au quotidien. Si vous devez voyager de Pickering jusqu'au palais de justice au centre-ville de Toronto et payer un stationnement, votre indemnité y passe au complet, et vous n'êtes même pas encore rendu au dîner.
Les critères d'indemnisation indiquent en outre clairement que rien n'est versé pour des services de garde d'enfants. Je suppose que cela devrait nous faire comprendre certaines choses. Si le temps le permet, j'aimerais bien que nos trois autres témoins puissent répondre à la question que j'ai posée à M. Farrant.
Comme on peut facilement le constater, les tribunaux ont beaucoup de difficulté à recruter des jurés. Non seulement ceux-ci doivent-ils renoncer à leur vie de tous les jours, mais ils ne sont indemnisés d'aucune manière. Ils le font simplement par devoir.
J'ai de très nombreux collègues de travail. Lorsque l'un d'entre eux reçoit une sommation, il se tourne toujours d'abord vers moi, en sachant très bien que j'ai déjà vécu une telle épreuve, pour savoir comment il peut y échapper. C'est toujours la première chose qui leur vient à l'esprit. Je leur demande alors pourquoi ils veulent se défiler. Malgré ce que j'ai vécu, je crois encore que c'est la bonne chose à faire. Je leur dis qu'il est important que tous les Canadiens le fassent quand ils sont convoqués. Je leur demande s'ils ne voudraient pas que leurs concitoyens acceptent de se pencher ainsi sur leur cas s'ils en venaient à avoir eux-mêmes des démêlés avec la justice. Ils me regardent alors comme si j'avais perdu la tête.
Vous riez, mais c'est vraiment la première chose qu'ils veulent savoir: Comment puis-je y échapper? C'est une attitude que nous pourrions très bien changer. Avec l'aide du gouvernement, nous pourrions même peut-être réformer tout le système des jurys. Nous pourrions notamment bonifier quelque peu l'indemnisation et veiller à ce que chaque juré sache bien qu'il a accès au soutien nécessaire. C'est une partie du problème. Les jurés s'inquiètent d'abord et avant tout de la situation financière de leur famille. Pourquoi ne pas leur faciliter quelque peu les choses à ce niveau en leur indiquant notamment qu'ils pourront obtenir de l'aide pour les services de garde d'enfants. Il faut les rémunérer un peu mieux. Pour les causes qui traînent en longueur, on pourrait prévoir une pause, une petite vacance en quelque sorte, à mi-chemin du procès. Il faut rendre les choses un peu plus faciles pour les simples citoyens qui apportent ainsi leur contribution. Nous aimons vraiment notre pays et — vous savez quoi — nous sommes là pour le soutenir. Il faudrait simplement que notre pays nous soutienne également. C'est tout ce que nous demandons.
Nous voulons vraiment que les choses changent et, avec tout le soutien que nous pouvons obtenir ici, peut-être que cela deviendra possible.
J'ajouterais seulement qu'il devrait y avoir un programme d'information pour que chacun puisse bien comprendre en quoi consiste le rôle d'un juré. Bien des gens n'ont aucune idée du déroulement du processus. Comme Patrick l'indiquait, lorsque vous vous rendez au tribunal et franchissez la première étape, vous ne savez pas du tout ce qui vous attend par la suite. Il n'y a pas de marche à suivre ou de document écrit qui vous indiquerait ce que vous allez faire ensuite, à qui vous allez parler, etc. J'ai également reçu la visite de voisins qui voulaient savoir comment échapper à cette tâche et comment se déroulait le processus. Je leur réponds toujours de ne pas s'en faire, que les choses se déroulent bien et que des gens sont là pour nous guider. Je leur dis également que, s'ils sont choisis, la société s'attend à ce qu'ils s'acquittent de leur devoir de citoyen.
Merci, monsieur le président.
Merci à vous tous d'avoir bien voulu partager vos expériences avec nous aujourd'hui.
Ce sont là des témoignages qui revêtent une grande importance et qui nous touchent beaucoup. Je doute toutefois que les mots suffisent pour nous faire bien comprendre ce que vous avez vécu. Je vous remercie pour les services rendus à notre société.
Des études révèlent que les jurés connaissent différents niveaux de stress aux diverses étapes d'un procès, par exemple au moment de la convocation, durant le procès lui-même, à plusieurs moments déterminants et après coup. Selon vous, y a-t-il une de ces étapes qui devrait retenir davantage notre attention?
Je pose la question à tous les témoins.
Il est bien évident que les gens doivent trouver un moyen de surmonter l'anxiété, le stress et les traumatismes qu'ils ressentent à la fin d'un procès. Les choses sont toutefois différentes pendant le procès lui-même alors que l'on vous a bien averti de ne pas en parler à qui que ce soit, même si vous rentrez à la maison tous les soirs. Vous ne pouvez rien raconter à votre conjoint; vous ne pouvez même pas décrire vos sentiments, car vous risqueriez ainsi de dévoiler certaines choses que vous n'êtes pas autorisé à divulguer. S'il pouvait être possible, d'une manière ou d'une autre, qu'un conseiller psychologique désigné par le tribunal... Il y a des journées qui sont particulièrement difficiles. Pour moi, ce sera peut-être le jour 10, alors que pour un autre juré ce sera le jour 5. Si les éléments de preuve révélés ce jour-là sont vraiment abominables, pourquoi ne pourrais-je pas, avant de rentrer chez moi, en parler à quelqu'un pour lui dire comment je me sens et lui demander ce que je dois faire pour ne pas ramener ces sentiments à la maison?
Le procès s'est terminé très abruptement dans mon cas. À peine avais-je terminé de lire notre verdict de culpabilité qui envoyait derrière les barreaux cinq individus pour une période de 25 ans, plus 25 années supplémentaires, que l'on me montrait la sortie et que je devais rentrer à la maison. Imaginez comment on peut se sentir.
Ce fut une fin de procès abrupte pour moi également. J'ai trouvé choquant que l'on ne prenne même pas la peine de faire un bilan avec nous. Il ne semble exister aucune procédure normalisée pour la libération des jurés. Les choses se sont déroulées de manière incroyablement brusque et opaque; c'est comme si on nous disait carrément de ramasser nos affaires et de quitter les lieux.
Notre procès s'est un peu distingué en ce sens que le juge est venu prendre une tasse de thé avec nous dans la salle des jurés, ce qui est très inhabituel. Même dans ce cas-là, on ne peut pas parler d'une libération en bonne et due forme. Il voulait seulement nous remercier d'avoir été là pendant ce procès qui avait traîné en longueur. Une simple poignée de mains, pour ainsi dire. Cela ne m'a pas aidé du tout. De nombreuses personnes nous ont dit qu'elles s'étaient senties abandonnées. Vous passez dans un état de mort vivant d'un vase clos à un autre. Vous vous sentez carrément perdu, car vous êtes soudainement de retour dans le monde réel après avoir vécu toutes ces émotions. Comme Tina le disait si bien tout à l'heure, c'est comme un écrasement d'avion. Vous avez vécu une expérience que vous ne pouvez pas expliquer à personne, mais vous avez tout de même l'impression de devoir le faire.
Si je vous comprends bien, il faudrait vraiment que du counselling soit accessible aux jurés sur demande tout au long du procès; qu'il y ait un suivi après le procès, une sorte de bilan pour évaluer la situation afin de déterminer si du counselling supplémentaire est requis; et bien sûr que des services de counselling soient offerts par la suite.
Est-ce un bon résumé des besoins à combler selon vous?
Selon moi, c'est certes le soutien à l'issue du procès qui est surtout nécessaire. Certains jurés ne ressentent que beaucoup plus tard l'intensité des émotions et le sentiment de crise. Pour moi, les choses n'ont fait que s'empirer avec le temps. Comme bien des gens, j'ai simplement décidé de me noyer dans le travail et les distractions en pensant que ces sentiments allaient s'estomper. Ce n'est malheureusement pas ce qui s'est produit. Je suis devenu pour moi-même le pire conseiller qui soit, et mon état s'est aggravé. Lorsque j'ai cherché un mécanisme de soutien, je n'ai malheureusement rien pu trouver.
Je me demande si la possibilité d'avoir quelqu'un à qui parler pourrait alléger la pression tout au long du procès et ainsi faciliter la transition de telle sorte que le stress soit peut-être moins grand à la fin du processus.
Croyez-vous que ce serait une bonne idée?
Je suis convaincue que oui, surtout dans mon cas particulier. Il y a des journées qui ont été pour moi extrêmement traumatisantes, surtout celles où l'on nous présentait des preuves vidéo que l'on nous repassait à répétition. Si j'avais eu la chance de pouvoir parler à quelqu'un à la fin de ces journées-là, peut-être que je me serais mieux sentie à l'issue du procès. Je ne peux rien affirmer avec certitude, mais j'ai simplement l'impression que les choses auraient pu mieux se dérouler pour moi par la suite.
Je pense qu'il serait formidable d'avoir accès à du soutien durant le procès. Tout au long du processus, nous devons composer avec les visées des procureurs. Ils veulent que nous connections avec la victime et s'emploient à décortiquer sa personnalité pour que nous comprenions qui elle était exactement. Nous voyons toutes ces vidéos qui nous la présentent dans sa vie de tous les jours. Et puis, vlan! On nous expose la preuve et tous les autres éléments à prendre en considération. Comme on vient de l'indiquer, c'est à la fin de ces difficiles journées qu'il serait certes utile d'avoir quelqu'un à qui parler pour verbaliser les choses et essayer de les digérer d'une certaine manière.
Je crois que le juge pourrait faire quelque chose à ce sujet, car il surveille de près le comportement des jurés. Je pense qu'il est capable de se rendre compte qu'il est peut-être préférable un certain jour d'abréger les audiences. Les avocats de la défense et de la poursuite nous présentent ces photos, ces vidéos et tous ces témoignages des plus choquants en sachant très bien que cela nous perturbe. Cela fait même partie parfois de leur stratégie.
Merci, monsieur le président.
Merci à tous les quatre d'avoir eu le courage de venir à Ottawa aujourd'hui pour nous raconter votre histoire. Comme l'indiquait M. Nicholson, nous sommes tous vraiment stupéfaits de ce que vous avez eu à vivre et à endurer du simple fait que vous avez voulu vous acquitter de votre devoir de citoyen.
Vous n'êtes pas des professionnels du système judiciaire. Comme n'importe quel autre juré au pays, vous êtes de simples Canadiens qui ont été sortis de leur vie ordinaire pour accomplir une tâche extraordinaire. Ce faisant, vous avez dû passer par toute la gamme des émotions. Je voulais d'abord reconnaître cet état de fait. J'espère vraiment que les témoignages que nous entendrons aujourd'hui comme dans la poursuite de notre étude nous permettront de formuler des recommandations très concrètes, car cela est vraiment nécessaire. Je tiens donc à vous remercier encore une fois.
Nos efforts visent donc effectivement à produire un rapport assorti de recommandations à l'intention de la ministre de la Justice. Nous sommes bel et bien conscients qu'en vertu de notre Constitution, l'administration de la justice relève de la compétence des provinces. Il faut toutefois noter également qu'en notre qualité de législateurs fédéraux, nous sommes chargés de rédiger les amendements au Code criminel, celui-là même où l'on retrouve l'article 627 qui permet aux juges d'offrir les aides nécessaires aux jurés ayant une déficience.
Nous sommes en outre responsables des pénitenciers fédéraux où aboutissent les délinquants qui reçoivent un verdict de culpabilité à l'issue de ces épouvantables procès. Nous venons aussi de terminer une étude visant à trouver des moyens pour le gouvernement fédéral d'imposer en quelque sorte une norme nationale en matière d'accès à la justice, notamment via l'aide juridique.
Vous avez tous indiqué qu'il était nécessaire d'adopter des normes nationales rigoureuses. Pour que nous puissions en arriver à des recommandations bien précises à ce sujet, je demanderais à chacun de vous de nous faire part de ses idées quant à la forme que ces normes pourraient prendre.
Je vous prie de débuter, monsieur Farrant.
J'ai entendu tous ces anciens jurés qui se plaignent du fait que leurs homologues de la province voisine ont eu accès à du soutien à l'issue du procès, alors qu'eux ont été laissés pour compte. Ces gens-là nous disent qu'ils ont vécu un procès pour triple meurtre, qu'ils ne peuvent plus quitter la maison ni regarder leur conjoint dans les yeux. Ils ne peuvent plus aller travailler et ne sont même plus capables de jouer avec leurs enfants. Ils sont tout simplement démolis.
J'ai entendu beaucoup trop d'histoires semblables. Je pense qu'il nous faudrait des normes nationales rigoureuses qui ne fixeraient pas de limite quant à la durée du counselling offert en indiquant plutôt que celle-ci sera déterminée de concert par le clinicien et son patient, le juré. Je souffre moi-même du syndrome de stress post-traumatique. C'est ma nouvelle réalité. Je ne me culpabilise plus à ce sujet, mais cela fait désormais partie de moi.
Il y a certaines choses que je faisais auparavant que je suis maintenant incapable de faire. Je ne peux plus sortir en public comme j'en avais l'habitude. Dans certains cas, le retour à la vie normale est impossible, mais le soutien nous permet de continuer à aller de l'avant.
Est-ce que le programme ontarien peut nous servir de base pour déterminer quoi offrir exactement? Est-ce que huit séances de counselling peuvent suffire? Pour ma part, ces huit séances m'ont à peine permis d'exprimer ce qui n'allait pas bien. Il en faudrait donc beaucoup plus pour commencer à développer les mécanismes d'adaptation nécessaires pour continuer à vivre. Pour moi, ces huit séances étaient loin d'être suffisantes.
Je rappelle qu'il nous incombe de mettre sur pied un programme qui permettra de répondre aux besoins de tous les Canadiens ayant été jurés, peu importe leur lieu de résidence au pays.
Je pense que nous devrions tous être égaux, peu importe la province ou le territoire où nous vivons. Nous, les jurés, offrons le même service, quelle que soit la province ou la région où nous vivons. Nous devrions tous avoir accès aux mêmes services de soutien en santé mentale, partout au Canada. Ce n'est pas tout le monde qui utilisera ces services, parce que chaque personne est différente. Certaines personnes auront besoin de huit semaines. Une ou deux personnes auront besoin de quatre semaines et d'autres n'en auront pas besoin du tout. Mais il nous faut une norme. Il faut établir des paramètres de départ. Nous pourrons ensuite en peaufiner les détails, mais pour l'instant, je crois qu'il faut surtout assurer l'égalité à l'échelle du pays, parce que nous faisons tous le même travail, où que nous vivions.
Je suis à peu près sûre que tout le personnel des tribunaux, tout comme les sténographes et les interprètes judiciaires ont accès à du counselling, parce qu'ils passent leurs journées entières au palais de justice. Peut-être que la personne même qui leur offre du soutien pourrait venir en aide aux jurés à la fin de la journée, s'ils en sentent le besoin.
Comme Patrick l'a dit, certaines personnes sortiront d'un procès en disant: « Tout va bien. Je me sens bien. » D'autres ne réussiront pas à survivre sans aide psychologique.
Je ne crois pas qu'il faille rendre ces services obligatoires, mais il faut au moins les offrir. À la fin d'un procès particulièrement éprouvant, on pourrait dire aux jurés qu'ils ont accès à ces services et qu'ils ne doivent pas hésiter à s'en prévaloir.
Certaines personnes, comme ces messieurs, avaient un emploi. Moi, je n'avais pas d'emploi. J'étais une mère au foyer. En tant que mère au foyer ou personne âgée, je n'ai pas accès aux avantages sociaux d'une entreprise, donc je dois payer de ma propre poche pour ces services si le système judiciaire ne me les offre pas. Comment font les gens? Est-ce qu'on se dit: « Je ne peux pas me permettre d'aller voir un psychologue qui me chargera 300 $ l'heure 20 fois. »
Nous faisons notre devoir de citoyen. En retour, je pense que le pays a le devoir de nous offrir ces services.
Je suis tout à fait d'accord avec ce que les autres témoins ont dit sur les écarts de qualité d'une province à l'autre. J'avais la chance d'avoir un emploi et donc les avantages sociaux et le PAE offerts par mon employeur, ce qui a extrêmement bien fonctionné pour moi. J'irais même jusqu'à dire qu'il serait sûrement pertinent de coordonner les avantages déjà offerts à ceux qui ont la chance d'y avoir accès avec ceux qui seraient prescrits par le projet de loi que vous proposerez ou qui figureront dans les recommandations que vous formulerez. Cela pourrait sûrement alléger un peu le fardeau financier.
C'est à peu près tout.
Merci.
Merci infiniment, monsieur le président. Je vous remercie tous d'être ici aujourd'hui et de nous raconter ainsi vos histoires. Vos témoignages sont très éloquents et je crois qu'ils touchent toutes les personnes présentes autour de la table.
Nous vous remercions sincèrement de tout ce que vous avez fait, non seulement à titre de jurés, mais également pour vous préparer à cette réunion. Je vous remercie de venir nous présenter vos propositions réfléchies pour l'amélioration des services offerts aux futurs jurés. Je pense que cela témoigne de votre attachement envers le pays, parce que non seulement vous vous êtes acquittés du devoir de juré, et vous l'avez pris au sérieux, mais vous avez également pris le temps de venir nous rencontrer. Je vous en remercie.
En Nouvelle-Écosse, d'où je viens, je sais qu'il arrive que des jurés ne se présentent pas. Les magistrats soulignent que c'est un aspect extrêmement important de notre système judiciaire. Les gouvernements doivent veiller à ce que les jurés aient accès à des mesures de soutien adéquates. Ils doivent au moins savoir, quand ils s'acquittent honorablement de leur devoir civique, qu'ils recevront tout le soutien voulu, que nous les appuierons.
J'espère que cette étude donnera lieu à des recommandations constructives, à la lumière de vos témoignages et de ceux des témoins qui suivront.
Monsieur Farrant, j'aimerais commencer par vous. Il a été mentionné il y a quelques instants que les jurés auront plus besoin de soutien dans certains procès que d'autres, particulièrement ceux sur des affaires horribles comme celle que vous avez décrite aujourd'hui.
Avez-vous des propositions à nous faire pour aider les tribunaux à déterminer quand c'est nécessaire? Serait-il bon, dans certains cas, qu'il y ait une vérification obligatoire avant que les jurés ne partent, un genre d'entretien d'après-procès, si l'on peut dire, pour que les jurés soient au courant de tous les services qui leur sont offerts, mais aussi qu'ils aient accès à des services qu'ils pourront utiliser ultérieurement s'ils ont des problèmes plus tard?
Je pense qu'il faut modifier et améliorer la procédure de libération des jurés. Je ne peux parler que de celle de l'Ontario, que j'ai connue moi-même. Il n'y en a pas, en fait. On prend une tasse de thé avec le juge, puis on quitte le palais de justice assez abruptement. Je n'en revenais pas qu'il n'y ait même pas de bilan officiel. Quand j'ai présenté le verdict au tribunal puis que je me suis préparé à sortir, je m'attendais à une procédure très structurée, judiciaire, officielle sur ce à quoi on s'attend des jurés: vous avez été juré, voici ce à quoi on s'attend de vous si les médias communiquent avec vous, si quelqu'un vous interroge sur l'affaire, etc. Il n'y a rien du tout.
Pour répondre à votre question sur l'idée d'un suivi ou d'un genre d'entretien d'après-procès avec chacun des jurés, je pense qu'il serait utile de leur donner accès à des services et de leur expliquer à quoi on s'attend d'eux après une certaine période de décompression. Je le répète, il faudrait vraiment un programme gratuit ou que les jurés puissent parler à quelqu'un au besoin pour alléger un peu leur fardeau.
Avant le procès, ce n'est pas possible. Je pense que c'est en partie ce qui explique pourquoi le système est ainsi fait. On ne veut pas influencer le juré en lui disant que des preuves graphiques seront présentées pendant le procès et que l'affaire étudiée sera extrêmement troublante, parce qu'on ne veut pas créer de préjudice en amenant des jurés à se forger une opinion ou à ressentir une réponse émotionnelle à l'égard de la preuve qu'ils vont voir. La preuve doit parler d'elle-même, et le procès doit suivre son cours en temps et lieu. C'est le fardeau du juré. Cela fait partie de la fonction. Je pense que cela ne changera pas, je m'attends à ce qu'on ne puisse pas y changer quoi que ce soit.
Je pense que c'est une bonne observation.
L'article 649 du Code criminel porte essentiellement sur la confidentialité des délibérations d'un jury et prescrit qu'on ne peut discuter des délibérations d'un jury avec personne. Que pensez-vous de la difficulté qui peut en découler pour un ancien juré qui souhaiterait en parler avec un professionnel de la santé mentale après coup? N'importe lequel d'entre vous peut me répondre.
C'est extrêmement difficile. Je n'en ai jamais parlé à personne et je n'en parlerai jamais. Le secret me suivra jusque dans la tombe. S'il était possible de parler des difficultés du procès avec une personne liée par le secret, si l'on peut dire, sans contrevenir aux dispositions du Code criminel sur les délibérations et tout et tout, ce serait terriblement bénéfique. Le stress et la maladie qui accablent certains jurés viennent... Imaginez participer à un procès de 18 mois à l'issue duquel il y a impasse, le jury n'arrive pas à rendre de verdict et le procès finit en queue de poisson. Les pleurs des familles des victimes dans la salle d'audience, la consternation, l'incroyable sentiment de culpabilité qu'on ressent... C'est pourtant parce que les faits n'étaient pas suffisants qu'il était impossible de rendre un verdict, ce n'est pas parce que les jurés n'en étaient pas capables. C'est parce qu'il n'y avait pas suffisamment de faits dans l'affaire pour conclure à un verdict. C'est le problème, mais il ne change rien au fait que le juré ressentira de la culpabilité et de la honte pendant le reste de sa vie. Là encore, les jurés ne peuvent pas en parler.
Y a-t-il d'autres témoins qui souhaitent dire quelque chose à ce sujet, que penseriez-vous de prévoir une exemption qui permettrait de discuter d'éléments des délibérations avec un professionnel de la santé mentale?
Je pense que ce serait une bonne idée. Je sais qu'il peut être difficile d'être enfermé avec 11 autres personnes qu'on n'aurait peut-être pas choisi de fréquenter sinon pour s'acquitter de son devoir civique. J'ai entendu dire que l'un des plus grands stress pour les jurés pourrait être de se retrouver ainsi séquestrés et de ne pas pouvoir en parler. Nous prenons ce travail, ce devoir civique très au sérieux, et nous n'en dirons rien. C'est peut-être nécessaire. Je n'en suis pas certain.
Je suis d'accord.
Lorsque le procès Bernardo s'est terminé, j'ai été séquestrée pendant une soirée seulement et m'on a essentiellement demandé: « Pourquoi vous a-t-il fallu tant de temps? » On ne peut pas répondre à cette question. On ne peut pas parler de ce que les autres personnes dans la pièce auraient voulu faire ou non. S'il y avait un psychologue désigné par le tribunal qui aurait déjà prêté serment de confidentialité, cela rendrait sûrement les choses plus faciles.
Comme Patrick l'a dit, à titre de juré, on a vu la preuve et on a décidé que la personne était coupable, mais on l'envoie tout de même dans un pénitencier fédéral pour le reste de sa vie. On ne devrait pas se sentir coupable, mais quelque part, profondément, on se sent quand même coupable. Cela pourrait aider beaucoup de pouvoir en parler.
Merci beaucoup.
Il y aura maintenant une période libre de questions, pendant laquelle les députés pourront simplement poser leurs questions.
Monsieur Liepert, vous poserez la première, après quoi nous donnerons la parole à M. Sikand, à M. MacGregor, puis à M. Fraser. Nous verrons ensuite où nous en sommes.
Monsieur Liepert.
Merci, monsieur le président.
Merci à tous d'être ici.
Je ne répéterai pas ce que tout le monde a dit, mais je suis absolument d'accord.
J'ajouterai que tout ce que vous recommandez aujourd'hui semble si évident que je ne peux pas croire que ces mesures n'aient pas été prises avant par les tribunaux. En politique, on se demande parfois comment un problème a pu perdurer si longtemps avant que quelqu'un ne fasse quelque chose. Je vous remercie de venir nous présenter ces recommandations.
Je pense que nous avons pas mal fait le tour de la question qui vous amène ici, mais j'aimerais bifurquer un peu pour vous parler d'un autre besoin possible.
Madame Daenzer, vous avez mentionné les greffiers et le personnel des tribunaux qui doivent subir cela tous les jours. Je connais quelqu'un qui était greffier du tribunal et qui a fini par quitter son emploi, pas pour les raisons que vous avez évoquées, mais parce qu'il était trop fâché de voir des gens s'en sortir alors qu'ils n'auraient pas dû s'en sortir, par exemple.
Pour un juré y a-t-il un sentiment de colère qui s'accumule? Il est humain de se fâcher quand on entend ou on voit certaines choses aux nouvelles. Cela m'arrive. Y a-t-il de la colère qui s'installe, quand on est juré, qu'on doit garder pour soi et ce, pendant le reste de sa vie? Est-ce que cela fait partie des réalités avec lesquelles vous devez composer?
Oh, c'est certain. Mme Homolka vit une très belle vie. C'est très difficile à avaler, et cela a beaucoup fâché tout le monde parce que bien sûr, elle faisait partie des témoins au procès. Donc oui, cette colère s'installe.
C'est très difficile à comprendre. Nous ne sommes pas avocats. Nous ne faisons pas partie du système judiciaire. Nous ne sommes que des citoyens ordinaires. Nous ne comprenons pas comment le système judiciaire fonctionne ni pourquoi elle a obtenu cette entente qui lui a permis d'être libérée en toute impunité au bout de 12 ans. Ce genre de chose crée beaucoup d'amertume chez les citoyens que nous sommes.
Ce serait peut-être bon qu'il y ait quelqu'un pour nous aider à digérer tout cela. Je peux absolument comprendre qu'il soit traumatisant pour un greffier de voir ce genre de chose arriver à répétition.
Cette colère peut peut-être se manifester à huis clos. Le code de conduite des jurés n'est pas toujours le meilleur, mais si cette colère n'est pas exprimée, elle passe inaperçue.
Je pense que c'est surtout frustrant pour les gens qui vivent un long procès complexe et brutal qui se heurte à l'impasse à la fin. C'est extrêmement difficile à accepter. J'ai parlé avec beaucoup de personnes qui l'ont vécu, et elles sont profondément meurtries, elles en ressortent différentes. Leurs interactions avec la société changent. Elles en viennent à se demander pourquoi elles se soucieraient des autres de toute façon. Elles perdent foi envers le gouvernement et l'appareil judiciaire. C'est parfaitement compréhensible, ce n'est pas de leur faute.
Personnellement, je ne ressens pas de colère. Je pense que je suis simplement plus sensible à ce qui se passe autour de moi dans certains contextes.
Je suis un grand costaud au coeur tendre, et c'est encore pire qu'avant. J'arrive à parler aux gens dans la vie de tous les jours, et ils ne sauront pas ce que je porte. Ils ne sauront pas tout ce que j'ai dans mon sac. Il faut composer avec cela, sortir jouer au hockey, par exemple, sans que personne ne le sache. C'est bon de ne pas nécessairement s'en occuper. D'une certaine façon, c'est de la fuite, mais d'une autre façon, je suis juste très conscient de ce qui peut arriver, particulièrement aux enfants, compte tenu de ce que j'ai vécu. Il est parfois difficile de porter tout cela tout le temps.
Merci, monsieur le président.
J'aimerais moi aussi commencer par vous remercier de votre sens du devoir et de votre foi envers le système civique. C'est très troublant d'entendre tout cela, donc je n'imagine même pas ce que ce doit être que de le vivre dans la salle d'audience.
Cela dit, je précise que si une de mes questions vous semble réductrice ou dévalorisante, ce n'est absolument pas l'intention. Je veux simplement recueillir le plus d'information possible.
Je commencerai par vous, monsieur Glew. Vous avez dit qu'on pourrait remettre un feuillet ou une trousse d'information aux candidats pendant le processus d'évaluation. Pouvez-vous nous parler un peu plus de ce que nous pourrions faire pour mieux cerner les personnes qui seraient les mieux placées pour servir de jurés en leur donnant une idée de ce qu'elles s'apprêtent à voir? Je pose cette question parce que vous dites que vous aviez vous-même un enfant de deux ans. Si cela avait été pris en compte, vous n'auriez peut-être pas été sélectionné comme juré à ce procès. Serait-il bénéfique de mettre en place un programme de compatibilité en amont?
Personnellement, je crois qu'il était finalement très bien que je sois choisi, parce que je pouvais très, très bien comprendre la situation. Quand je parlais de trousse d'information, je pensais davantage à de la documentation sur le rôle du juré, sur ce à quoi on s'attend d'un juré, sur ce à quoi on s'attend de son employeur, de ses collègues et tout et tout.
En cours de route, on nous a montré une vidéo un peu cucul sur les rôles et responsabilités d'un juré. C'était digne d'un clip des années 1970 adapté aux médias sociaux modernes. Il serait utile ne serait-ce que de mener une campagne d'éducation ou de publicité sur le devoir civique du juré.
Je suis content que vous mentionniez que vous pouviez bien comprendre la situation.
Mark, je pense que c'est vous qui avez dit que vous aviez besoin de sentir une réponse émotionnelle authentique pour pouvoir vous acquitter de ces fonctions, donc il ne serait pas nécessairement bénéfique d'exclure certaines personnes. Pouvez-vous réagir à ce que Scott vient de dire? Comment pourrions-nous améliorer le processus de sélection pour nous assurer que les jurés sont en mesure de s'acquitter de leurs fonctions, mais qu'ils ne sont pas exclus parce qu'ils sont sensibles à certaines questions. En même temps, comment pouvons-nous vraiment repérer les personnes susceptibles...? Comprenez-vous le sens de ma question?
Les jurés sont présélectionnés.
Je ne peux vous parler que du système de l'Ontario, mais le bassin de candidats potentiels parmi les citoyens reçoit un questionnaire à l'avance, que nous devons tous remplir et retourner. Il comprend une série de questions sur les raisons pour lesquelles on pourrait être exclu ou exempté du procès. L'une des justifications possibles est la maladie physique ou mentale. À toutes fins pratiques, je serais désormais exempté de toute fonction future de juré parce que je souffre du trouble de stress post-traumatique. Je ne dis pas que je voudrais m'exclure moi-même d'un jury, mais je devrais divulguer mon état.
Je suis d'avis que si l'on évaluait plus en profondeur les candidatures des jurés potentiels, on pourrait également rejeter des candidatures de personnes qui feraient de bons jurés. Je ne voudrais pas qu'il devienne trop difficile de tenir un procès juste parce qu'il y aurait trop d'obstacles limitant le potentiel de juré des citoyens.
Avant ce procès, et encore aujourd'hui, j'étais une personne assez en santé. On apporte en salle d'audience toute l'expérience collective des jurés dans leur vie personnelle. Je ne pensais pas que ce genre de procès me bouleverserait autant, mais c'est ainsi. Je n'aurais jamais cru avant de me retrouver dans la salle d'audience que j'en garderais des séquelles, mais c'est ce qui est arrivé.
Merci de cette réponse.
Vous avez indiqué qu'une image était restée affichée pendant 45 minutes et que, selon vous, ce n'était peut-être pas nécessaire pour comprendre entièrement ce qui s'était passé ou saisir une information quelconque. On la laissait simplement là.
Je me trouvais dans ce qui s'appelle une salle d'audience à la fine pointe de la technologie, où se trouvaient de grands écrans devant chaque juré. La salle était dotée de deux immenses écrans de télévision, l'un faisant face à l'assistance et l'autre, à la cour. Une grande partie des preuves présentées lors d'un procès apparaît sur l'écran devant les jurés.
C'est au cours du plaidoyer final de la Couronne qu'une image de l'autopsie a été sciemment affichée sur cet écran. Je me suis alors demandé si c'était nécessaire de la montrer à ce moment-là. Cette image n'allait pas subitement faire partie des facteurs sur lesquels j'appuierais ma décision à titre de citoyen. Elle ne modifierait en rien mon opinion. Ce n'est pas ce qui allait tout à coup me faire changer d'avis.
On ne pouvait en détourner les yeux. À aucun endroit de la salle on ne pouvait regarder pour au moins écouter le plaidoyer final. Tous les jurés gigotaient dans leur fauteuil, en proie au même sentiment de révulsion, et on pouvait sentir l'énergie émaner des gens autour de soi. À bien y réfléchir, c'était superflu; ce n'était qu'une sorte de spectacle.
Je suis désolé, mais nous devons passer à M. MacGregor. Vous avez dépassé vos six minutes.
Monsieur MacGregor.
Merci, monsieur le président.
Au cours des brèves 10 années au cours desquelles j'ai occupé le poste de député, j'ai eu l'occasion de rencontrer un grand nombre de premiers intervenants, ainsi que des hommes et des femmes membres de nos forces armées. Comme vous le savez, d'importants progrès ont été réalisés au cours des dernières décennies dans tous les rangs de premiers intervenants oeuvrant au sein de nos forces armées afin de reconnaître les troubles de stress post-traumatique, maintenant appelés blessures de stress opérationnel.
Quand je parle aux intervenants, qu'ils travaillent pour un service d'ambulance, d'incendie ou de police, ils admettent maintenant que la détection et le traitement précoces de ces troubles sont nécessaires pour prévenir la cascade de problèmes qui peut survenir ultérieurement. Il s'agit réellement d'un investissement dans les membres précieux de leur équipe, dans les valeureux employés qui possèdent un ensemble de compétences incroyable et qui risquent leur vie pour aider les citoyens canadiens ordinaires.
Avec cela à l'esprit, ils admettent que s'ils n'effectuent pas ces investissements avant tout à une étape précoce, les coûts ultérieurs peuvent être substantiels, qu'il s'agisse d'un mariage détruit ou de comportements inappropriés au travail. Soit dit en passant, c'est volontairement que les premiers intervenants font leur travail et entrent à leur service. À la lumière de ce fait et du rôle extrêmement important que les jurys et les jurés jouent, ne conviendriez-vous pas que l'État a une forte obligation de les soutenir en cas de besoin?
À ceux qui considèrent peut-être qu'il y a un coût à cela et qui rechignent, je demanderais s'ils ne conviennent pas avec moi qu'il s'agit vraiment d'un investissement effectué dans les jurés pour les services rendus, pour qu'une fois que ces derniers ont réintégré la société, les coûts ultérieurs, qu'ils prennent la forme d'une rupture ou de problèmes personnels... N'admettriez-vous pas que nous avons l'obligation d'aider les jurés, compte tenu des services qu'ils ont rendus?
Je voudrais entendre l'avis de chacun d'entre vous, car je suis convaincu que nous avons besoin du maximum de commentaires de votre part pour formuler nos recommandations. Dans notre société, vous avez ceci de particulier que vous avez vécu quelque chose que personne d'autre ici n'a vécu.
Je voudrais donc entendre ce que chacun d'entre vous a à dire à propos de l'obligation de l'État envers vous pour les services que vous avez rendus.
Je ne veux pas que ce qui m'est arrivé arrive à quelqu'un d'autre. J'ai accompli mon devoir de citoyen à titre de juré, sans toutefois recevoir de soutien adéquat après le procès pour me permettre de composer avec les images que j'avais vues et l'expérience que j'avais vécue et de reprendre le cours de ma vie avec un certain sens de normalité.
Je suis tombé dans un puits vertigineux, cherchant une forme de soutien après le procès. Pendant ce temps, je m'adressais à des psychologues, les interrogeant pour me faire répondre qu'ils n'étaient pas vraiment qualifiés pour m'aider. Je me tournais alors vers le prochain. J'avais une liste de psychologues que j'épluchais en me demandant pourquoi je faisais cela. Quelque chose n'allait pas. Une fois que j'eus commencé à comprendre, j'ai eu l'impression troublante que je n'étais pas seul dans mon cas. Le mal qui m'accablait touchait un grand nombre de gens, et ce, depuis bien trop longtemps.
Les gens aux prises avec des maladies mentales à long terme subissent effectivement des répercussions sociales. Je peux l'affirmer maintenant, ayant une maladie mentale. C'est un miracle que je ne me sois pas enfoncé plus profondément dans la sorte de tourbillon d'effets nocifs et de symptômes qui accompagne les troubles de stress post-traumatique. Les jurés sont retirés de leur vie quotidienne pour remplir un devoir civique. Ils n'ont pas demandé à le faire; on s'attend à ce qu'ils le fassent. Cela fait partie du prix à payer pour être citoyen de notre grand pays. On doit donc les aider parce qu'ils ont rendu ce service.
La détection précoce est cruciale, car une fois que nous avons accompli notre devoir civique, c'est nous qui devons payer le prix; qu'il s'agisse d'un mariage brisé ou d'une rupture, c'est à nous de tout assumer. Quand nous devons aller chercher de l'aide, c'est à nos frais. Les gouvernements fédéral et provinciaux en ont fini avec nous. Nous avons rempli notre devoir civique. Nous sommes sortis par la porte arrière, mais nous devons ensuite retourner à ce qui était une maison douce et paisible.
Je compare toujours le rôle de juré à une balance. Nous vivons tous notre vie en tentant d'assurer un certain équilibre entre nos vies personnelle et professionnelle. Nous pensons toujours qui si on équilibre ces deux pans de notre vie, nous menons une vie saine. Mais voilà que nous devons agir à titre de jurés, et cela vient chambouler cet équilibre. Or, nous ne savons pas comment retrouver notre équilibre. C'est à cet égard que le gouvernement doit nous aider afin de déceler les problèmes de manière précoce pour éviter les troubles, pas seulement pour nous, mais pour tous les jurés à venir.
Comme je l'ai souligné lors de mon témoignage, l'intimité entre moi et mon conjoint était au point mort. J'étais alors âgée de 35 ans et j'ai eu la chance immense de vivre avec un homme très patient qui m'a laissé tout le temps nécessaire. Mais sans counselling, nous n'aurions jamais repris le cours normal de notre vie. Notre vie familiale aurait été terminée. Il y a une limite à ce que les gens peuvent attendre.
Quand j'ai dû regarder ces filles se faire violer et torturer, je ne faisais pas qu'examiner des preuves; j'étais assise dans un box où j'avais l'impression de ne rien pouvoir faire pour les aider. J'ai trouvé cela insoutenable. Il m'a fallu beaucoup de temps pour m'en remettre, et les services de counselling m'ont considérablement aidée à rependre le cours de mon existence et de ma vie familiale. Je voudrais dire que cela fait aujourd'hui 36 ans que je suis mariée à mon conjoint et que je lui suis profondément reconnaissante d'avoir été à mes côtés et d'avoir fait preuve d'une telle patience.
Je ne suis pas spécial et je ne prétends pas l'être. Je viens d'une petite ville au milieu de nulle part. J'ai reçu du soutien par l'entremise de mon lieu de travail. Je me demande toutefois pourquoi Bobby en Alberta, en Saskatchewan, au Québec ou en Nouvelle-Écosse n'obtiendrait pas le soutien que j'ai eu la chance de recevoir ici, en Ontario.
Voilà ce que je chercherais à faire: assurer simplement l'égalité entre toutes les provinces. C'est ce que nous devrions faire.
Merci.
Merci, monsieur le président.
Je tiens vraiment à remercier les témoins d'aujourd'hui de leurs témoignages très convaincants.
J'ai une question à propos de la récusation péremptoire, laquelle permet aux avocats des deux parties de choisir les jurés qu'ils veulent. Je me demande s'ils tendent à choisir des jurés qui sont plus sensibles à l'enjeu du procès.
Par exemple, vous avez indiqué, monsieur Glew, que jour après jour, vous avez écouté des témoignages sur le meurtre d'un bambin de deux ans, alors que vous avez un enfant de cet âge. Je me demande ce que vous pensez de ces récusations péremptoires qui permettent aux avocats d'intervenir dans la composition du jury. Comment pouvons-nous corriger la situation, s'il est nécessaire de le faire?
Dans mon cas, il y a eu très peu d'interactions avec l'avocat de la défense ou celui de la poursuite lorsque j'étais là. Ils ont posé plusieurs questions pour savoir si j'étais sur les médias sociaux, si j'avais eu vent du procès et si je savais ce qu'il s'était passé. Ils ne m'ont pas interrogé sur mon passé, mon état matrimonial, le nombre d'enfants que j'avais ou quoi que ce soit de ce genre.
J'ignore s'ils tirent leurs renseignements du recensement ou d'autres sources. Je ne sais pas s'ils disposent de ces informations, si ces dernières sont disponibles, ou quel processus d'enquête ils doivent mener à ce sujet. Je sais qu'au départ, il y avait 375 personnes dans la salle et que nous avons tous reçu un petit billet. Les organisateurs ont fait tourner les balles et en ont tiré une. C'est moi qui ai remporté la loterie ce jour-là et qui a fait partie du jury. Ils m'ont posé trois questions, après quoi j'étais membre du jury.
Je pense que les procès font souvent l'objet d'un processus de sélection et de récusation péremptoire particulier. Dans le cadre de celui où j'ai été juré, le jury a été choisi en l'espace d'une semaine, voire de quelques jours. Le processus a été très rapide. Tout ce qu'on nous a demandé, c'est si nous avions des préjugés à l'égard de la maladie mentale et de la santé mentale, ce qui est ironique, puisque la défense s'appuyait sur la thèse de la non-responsabilité criminelle pour que l'accusé soit absout du crime.
Patrick peut probablement traiter longuement des récusations et des questions afférentes.
Je ne traiterai pas vraiment de la manière dont les jurés sont convoqués et choisis. Une étude doit être réalisée à ce sujet pour savoir si l'on utilise le recensement ou un autre moyen pour obtenir l'information. Je peux cependant dire que j'ai probablement vu 1 400 jurés potentiels être interrogés, et j'ai été choisi pour agir à titre de juré numéro trois.
Je vous le dis, je suis resté assis là et je dois avoir vu 1 200 personnes se lever et se faire poser trois questions. Dans le cadre du procès auquel j'ai participé, il y avait cinq accusés; le choix était donc plus difficile, mais les responsables savaient qui ils voulaient comme jurés. Ils ont une bonne idée des gens dont ils ont besoin et ils examinent les jurés potentiels. Il faut être quelqu'un de spécial pour satisfaire à leurs critères, et ils savent ce qu'ils cherchent. Après que 1 200, ou même 400 personnes eurent été interrogées, je pouvais dire qui se démarquerait, qui allait mentir et qui serait rejeté. Je pouvais presque dire qui allait être récusé. Ils savent ce qu'ils veulent et de qui ils ont besoin.
Il faut être spécial pour être juré, et ils savent qui ils veulent.
Je remercie tous les témoins de comparaître.
Je sais que c'est très difficile pour chacun d'entre vous. Vous avez tous parlé du fait que vous avez reçu du soutien.
Dans votre cas, madame Daenzer, le soutien a été offert à la demande de la cour et à ses frais.
Quant aux autres, vous avez dû vous débrouiller seuls.
De toute évidence, dans votre cas, monsieur Farrant, vous avez vécu avec le trouble de stress post-traumatique et votre vie a changé.
Il ne fait aucun doute que toutes vos vies ont changé, car les souvenirs et l'horreur de ce que vous avez enduré et vu au cours des procès sont à jamais gravés en vous.
Nous avons parlé du fait que l'Ontario offre jusqu'à huit séances de counselling, et je crois comprendre qu'au Manitoba, il y a un processus dans le cadre duquel les gens bénéficient d'une rencontre de débreffage.
Vous avez tous indiqué que vous aviez reçu de l'aide après le procès, mais j'aimerais que vous nous en disiez un peu plus sur la nature de cette aide. Je comprends que tout le monde a vécu une expérience différente; certains n'ont pas été affectés, alors que d'autres ont subi des répercussions substantielles. Je voudrais comprendre un peu mieux ce dont vous avez eu besoin après le procès pour retrouver une vie à peu près normale.
Dans mon cas, il y a eu essentiellement une intervention. Je savais que quelque chose n'allait pas chez moi. Je n'ignorais pas qu'il se passait quelque chose, mais j'espérais que le problème s'en irait de lui-même. Mais à mesure que mon état empirait, ma famille devenait de plus en plus inquiète, particulièrement ma conjointe et ma soeur. Il a fallu que quelqu'un me secoue et me dise qu'il fallait que je fasse quelque chose, que j'avais besoin d'aide et que quelque chose n'allait pas chez moi, mais que c'était correct. Je me suis alors essentiellement effondré et j'ai expliqué que je ne pouvais pas échapper aux images que je voyais. Elles étaient omniprésentes. Sur la rue, dans le métro, au cours de réunions, j'étais bombardé d'images que je ne pouvais sortir de ma tête. Je ne voyais plus mes amis et je n'avais plus d'activités sociales. La vie était devenue extrêmement compliquée.
Malheureusement pour moi, j'ai commencé par appeler au tribunal pour demander de l'aide; bien entendu, ces appels sont restés sans réponse, car à l'époque, le tribunal offrait des séances de counselling, mais à la demande d'un juge. J'ai dû téléphoner. On répète presque son histoire encore et encore, parce qu'il faut raconter son histoire à chaque professionnel de la santé. On passe 15 minutes au téléphone afin de tenter d'obtenir un service quelconque et d'expliquer sa situation, pour se voir répondre que la personne ne peut nous aider. J'ai fini par m'adresser à ma généraliste, qui a simplement levé les mains et dit qu'elle tenterait de me mettre en rapport avec ce qui s'appelait le Centre de toxicomanie et de santé mentale, mais que l'attente était d'environ d'un an.
J'ai alors reçu une liste de conseillers, que j'ai dû, une fois encore, interroger. Je les appelais et je leur expliquais ce que j'avais vécu. Je n'en revenais pas de devoir faire cela. Ici encore, le conseiller finissait par m'indiquer qu'il ne pouvait pas m'aider. Il me disait qu'il traitait les troubles de l'humeur, que j'en avais peut-être un, mais qu'il ne connaissait pas ce trouble-là et qu'il ne pouvait pas m'aider parce qu'il n'avait pas la formation nécessaire. Il me proposait ensuite le nom d'un autre conseiller, que j'appelais.
J'étais désemparé de devoir m'astreindre à de pareilles démarches.
Je suis normalement une personne qui peut en prendre. La première journée du procès, nous avons entendu un appel au 911 et les cris horrifiés de l'une des victimes en arrière-plan. Dès lors, j'étais ébranlé.
Lorsque le procès a pris fin 10 mois plus tard, l'énorme sentiment de culpabilité et la distance qui s'était créée entre ma famille et moi étaient tout simplement incroyables. Cette affaire m'a rendu très sensible. Auparavant, je me moquais de ma femme lorsqu'elle pleurait en regardant la télévision; je lui disais que c'était seulement de la télévision. C'est maintenant moi qui pleure. Ce procès m'a changé. Il m'a rendu très sensible. Pour ce qui est d'aller chercher de l'aide, je ne croyais pas en avoir besoin après la première journée ou la deuxième ou la troisième. Après 10 mois de procès, ma nouvelle carrière m'a détruit, et je savais que j'avais besoin d'aide.
J'ai été cherché de l'aide. Mon emploi me donnait seulement droit à un montant très limité. Pour préserver l'unité de ma famille et ma santé mentale, j'ai assumé moi-même les honoraires d'un professionnel pour m'aider, et ce n'est vraiment pas juste.
Comme je l'ai déjà mentionné, dans mon cas, des séances de consultation ont été ordonnées par le juge LeSage, qui a lui-même eu besoin de consulter après le procès, tout comme une grande partie du personnel du tribunal, y compris le journaliste qui prenait place dans la salle d'audience ainsi qu'à peu près tout le monde qui a participé au procès. Cela s'est passé il y a plus de 22 ans, et j'en ressens encore des effets résiduels. Si une grand-mère de 85 ans est debout sur l'accotement et me fait signe de m'arrêter pour l'aider, parce que son véhicule est en panne, je ne m'arrêterai pas. Je ne m'arrête pour personne. Je me méfie de la plupart des étrangers. Ma vie familiale a repris son cours normal, mais je me méfie énormément des gens dans la société.
Ma mère est décédée en 1999. Je brouillais vraiment du noir après cet événement et j'ai eu recours à des services de consultation pour les personnes en deuil en vue d'arriver à composer avec la mort d'un parent. À la fin du procès, je pouvais sentir que je commençais à ressentir ce même désespoir m'envahir. Je n'essaie pas de dire que les deux situations sont semblables, mais je pouvais sentir ce sentiment m'envahir. J'en étais suffisamment conscient, et les séances de consultation que j'avais suivies après le décès de ma mère m'ont permis d'apprendre des stratégies pour essayer de composer avec cette situation et de prendre conscience que je devais aller chercher de l'aide. Ma femme m'a évidemment aussi encouragé.
J'ai été extrêmement chanceux de trouver du premier coup une excellente professionnelle qui m'a écouté, qui s'est montrée compréhensive à mon égard, qui m'a appris d'autres stratégies d'adaptation et qui était tout simplement une personne incroyable. Je l'en remercie encore aujourd'hui chaque fois que j'ai l'occasion de lui parler.
Merci.
Scott, dans votre exposé, je crois vous avoir entendu recommander d'avoir, durant le procès, une salle de repos distincte ou un stationnement séparé. J'ai été surpris d'apprendre que les jurés n'avaient pas une salle de repos distincte. Je m'intéresse aux suggestions auxquelles nous pourrions donner suite en ce qui a trait à ce qui se passe en fait durant un procès. Je présume que le problème est que, si vous avez des interactions avec, par exemple, la famille de la victime ou même la famille de l'accusé ou d'autres personnes qui le soutiennent, cela pourrait rendre très difficile la suite du procès pour vous et vous nuire énormément dans votre travail. Pouvez-vous nous faire quelques suggestions à cet égard? Ensuite, si un autre témoin veut ajouter quelque chose, je suis tout ouïe.
Avec plaisir. Nous étions dans un palais de justice flambant neuf dans une municipalité. Il y avait beaucoup d'endroits où les jurés étaient isolés en gros du reste du public et des participants au procès. Le seul endroit où il y avait... Je ne qualifierais pas cela d'interaction, parce que tout le monde était très respectueux à cet égard. Cependant, lorsque certains se rendaient à l'extérieur pour fumer, il n'y avait aucun endroit séparé pour eux. Ils fumaient littéralement de l'autre côté de la cour ou ils essayaient de rester à une certaine distance. Personne n'écoutait les conversations; il n'y avait rien de tel. Nous n'en parlions pas, mais cette interaction me semblait un peu étrange. De plus, dans le stationnement, nous nous stationnions au même endroit que les avocats de la défense, les procureurs et les témoins. Tous ces gens devaient se rendre au palais de justice et ils n'avaient pas à payer pour leur stationnement. Ils se stationnaient donc tous au même endroit. Lors de la conception de ces endroits, nous pourrions nous pencher sur ces aspects. Étant donné que nous isolons déjà les jurés pour certaines choses, pourquoi ne pas tout simplement aller un peu plus loin?
Le stationnement était une chose, mais il y a aussi ce qui se passait lorsque nous quittions le palais de justice. Je crois que Patrick a mentionné qu'il prenait un chemin différent chaque soir pour retourner chez lui, parce qu'il se disait qu'une personne le suivait peut-être. Vous ne savez pas si un membre de la famille vous attend; vous ne savez pas si des journalistes font le pied de grue au coin de la rue, en particulier dans une petite municipalité. Les journalistes sont présents. Vous ne savez pas qui est qui. Bref, il serait tout simplement plus logique et plus facile pour les jurés d'avoir une telle séparation.
Mes commentaires ont-ils du bon sens?
Imaginez que vous êtes juré dans un procès criminel impliquant le crime organisé, de multiples défendeurs et plusieurs parties et gangs qui auraient participé à un acte d'une brutalité extrême. Vous vous rendez en voiture à un petit palais de justice. Vous stationnez votre voiture à côté de celles de témoins de ces organisations criminelles. Ces personnes sont stationnées à côté de vous. Elles sont assises là et elles vous regardent. Elles vous intimident, parce qu'elles savent que vous êtes un juré dans cette affaire. Elles vous regardent marcher jusqu'au palais de justice. Elles connaissent le numéro de votre plaque d'immatriculation et la marque de votre voiture. Vous êtes un juré, vous êtes assis dans votre véhicule et vous ne pouvez pas appeler quiconque au palais de justice pour lui dire que vous êtes dans votre véhicule, que vous êtes terrifié et que vous voulez entrer, parce que personne au palais de justice ne répond au téléphone. Il est 8 h 30; il n'y a personne au palais de justice. Vous restez assis dans votre véhicule et vous appelez sans cesse le palais de justice; vous êtes terrifié. Il y a des motards assis de chaque côté de votre véhicule. C'est ce qu'ont vécu des jurés dans différentes causes au pays. Les fonctionnaires de la cour se stationnent à l'étage inférieur dans un garage sécurisé et protégé par une barrière et un garde. Ces personnes doivent rester dans leur véhicule et attendre que la voie soit libre. Pouvez-vous vous imaginer attendre que la voie soit libre et ensuite entrer dans le palais de justice? Ensuite, des mois plus tard, voire des années, chaque fois que ces jurés voient une Harley-Davidson, ils se disent que cette personne est là pour s'en prendre à eux.
Nous devons veiller à la sécurité fondamentale de ces personnes dans de tels procès; c'est ahurissant que nous négligions cet aspect. Une chose aussi simple peut avoir des effets très dévastateurs pour certains.
Tina, vous avez mentionné qu'il y a seulement eu deux occasions où un juge a ordonné des services de consultation. Cela se veut une question complètement hypothétique. Si des services de consultation étaient plus facilement accessibles, croyez-vous que c'est quelque chose qui serait fait chaque fois ou qui serait fait beaucoup plus souvent? Qu'en pensez-vous?
Non. Je ne le crois pas. Ce ne sont pas tous les procès qui sont aussi traumatisants que ceux auxquels nous avons participé. La majorité des jurés qui participent à un procès pour vol ou autre chose n'ont pas besoin de services de consultation pour gérer leur état de stress post-traumatique après le procès.
Dans les causes traumatisantes où les gens doivent regarder des éléments de preuve très explicites, je crois que des services de consultation devraient obligatoirement être offerts.
Premièrement, merci beaucoup. Je peux dire que vos témoignages ont profondément réussi à toucher tous les gens ici présents et tous les Canadiens qui les ont écoutés. Je crois que nous avons tous essayé de nous mettre dans la peau d'un juré dans une affaire semblable, et ce n'est pas facile à faire. Nous avons entendu parler de la question de l'intimité; nous avons entendu que certains deviennent tout d'un coup surprotecteurs envers leurs enfants, parce que vous ne pouvez pas vous empêcher de voir ce jeune enfant de deux ans lorsque vous regardez votre enfant de deux ans; nous avons aussi entendu que certains passent tout leur temps au bureau, parce qu'ils ne sont tout simplement pas capables de composer avec ce qui se passe. À mon avis, vos témoignages nous ont tous vraiment aidés.
J'aimerais avoir des précisions sur ce que j'ai entendu. L'un d'entre vous pourrait me dire ce qu'il en est.
Je vous ai notamment entendu parler d'offrir à l'avance une formation sur les obligations d'un juré lorsque vous arrivez la première fois au palais de justice ou même dans la lettre que vous recevez pour vous aviser que vous êtes convoqué comme juré; avoir quelque chose de mieux qu'un film des années 1970.
Vous avez également mentionné que, durant le procès, nous devons mieux séparer les jurés, les victimes et leur famille des accusés et de leur famille.
De plus, dans certaines circonstances, des services de consultation doivent être offerts durant le procès, ou il faut au moins vous expliquer très clairement que de tels services vous seront offerts à la fin de votre journée ou par l'entremise d'une personne externe et nommée par la cour qui est au courant des problèmes, qui veille au respect de la confidentialité et qui ne cherche pas à influer sur les jurés.
Il faut ensuite nous assurer que les jurés comprennent les diverses tâches qu'ils doivent faire durant le procès. Cela signifie que j'arrive tout à fait à me mettre à votre place lorsque vous êtes un juré et qu'après avoir quitté le palais de justice vous retournez au bureau pour travailler six ou sept heures. C'est comme si vous participiez à des négociations toute la journée, mais vous retournez au travail et vous avez reçu 300 courriels durant la journée et vous devez tout de même vous en occuper aujourd'hui. Vous devez ensuite prendre soin de vos enfants, et vous n'avez jamais le temps de vous occuper de vos responsabilités à la maison. Nous avons entendu qu'il faut faire quelque chose en ce sens; nous pouvons obliger les employeurs à verser leur plein salaire aux jurés en plus de leur garantir leur emploi à la fin du procès. Si nous ne pouvons pas modifier les lois du travail, nous devons nous assurer que les jurés ont accès au salaire et au soutien que nous offrons, comme des garderies.
Cinquièmement, il est nécessaire de faire un véritable bilan à la fin du procès non seulement pour discuter avec les jurés de leur expérience et pour en tirer des leçons, mais aussi pour informer les jurés des services de consultation et des autres services auxquels ils auront accès après le procès.
Sixièmement, nous pouvons faire comme l'Ontario et offrir huit séances de consultation ou être encore plus généreux, mais chaque juré doit pouvoir avoir accès à un nombre précis de séances de consultation à la fin du procès.
Est-ce en gros ce que vous suggérez?
Je vous remercie et je vous suis reconnaissant de tous vos témoignages.
Je suis persuadé que tous les membres du Comité aimeraient venir vous rencontrer et discuter avec vous quelques minutes. Comme nous avons une brève séance à la fin de la réunion pour adopter notre budget, nous poursuivrons nos travaux à huis clos. Nous prendrons donc une pause de sept à huit minutes, puis nous reprendrons nos travaux.
Merci beaucoup à tous.
[La séance se poursuit à huis clos.]
Explorateur de la publication
Explorateur de la publication