:
Merci beaucoup de l'invitation et de l'occasion de vous rencontrer.
On a assisté à une prolifération des propos haineux, de la propagande, du radicalisme et des obscénités en ligne. En 2016, Cision a documenté une augmentation de 600 % du nombre de propos haineux dans les messages sur les médias sociaux, entre novembre 2015 et novembre 2016. En 2019, Léger Marketing a indiqué que 60 % des Canadiens déclarent avoir vu des discours haineux sur les médias sociaux.
Ces statistiques ne sont une surprise pour personne. Quand le gouvernement fédéral a abrogé, en 2013, l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, nous avons perdu la capacité de nous protéger contre ces discours. Durant les six dernières années, les citoyens canadiens ont eu peu de moyens de se protéger contre les discours haineux et la discrimination en ligne.
Le problème fondamental, c'est que les dispositions du Code criminel sont souvent inefficaces; les poursuites sont rares; la preuve de l'intention de promouvoir la haine contre un groupe au-delà du doute raisonnable est presque impossible à établir. L'affaire Crown c. Ahenakew de 2008 de la Cour provinciale de la Saskatchewan le démontre clairement.
Dans l'arrêt Saskatchewan Human Rights Commission c. Whatcott, dans une décision unanime, la Cour suprême du Canada a affirmé qu'un moyen efficace pour contrer les discours haineux se trouve non pas dans le Code criminel, mais dans un processus civil par l'intermédiaire des commissions des droits de la personne. Selon la Commission, les dispositions du Code criminel sur la propagande haineuse ne réglementent pas les formes les plus extrêmes de discours haineux, d'incitation au génocide ou d'incitation à perturber l'ordre public. La Cour suprême a défini précisément et étroitement les discours haineux pour faire en sorte que la législation sur les droits de la personne ne vienne pas violer de manière déraisonnable la liberté d'expression. C'est la contribution la plus importante apportée par la Commission des droits de la personne de la Saskatchewan à la jurisprudence canadienne. J'avance l'idée que cette affaire fournit un plan directeur pour les travaux du Comité.
Le juge Rothstein a présenté les points saillants suivants au tribunal.
Le tribunal a décrit, au paragraphe 44, neuf indices de la haine qui sont clairs, concis et sans ambiguïté. L'argument de la liberté d'expression n'est pas un bouclier que l'on peut utiliser pour se protéger contre les discours haineux. Les tribunaux ont constamment recouru à la définition de discours haineux proposée dans l'arrêt Taylor de la Cour suprême du Canada, en 1990. Cette analyse exclut les expressions odieuses, offensantes ou très blessantes.
Un discours qui débat de la valeur de la réduction des droits de certains citoyens canadiens qui sont vulnérables n'est pas une interdiction. La définition limite l'expression qui expose les membres à la haine. Les idées ne sont pas la cible; c'est plutôt le mode d'expression de l'idée qui l'est.
Ironiquement, les discours haineux se tiennent dans des débats publics et peuvent être très restrictifs et exclusifs. Dans notre démocratie, les débats légitimes qui sont exprimés de manière civilisée encouragent l'échange de points de vue contradictoires. Les discours haineux sont contraires à cet objectif. Ils mettent fin au dialogue en rendant difficile, voire impossible pour les membres d'un groupe vulnérable de répondre, ce qui étouffe le discours. Les discours haineux qui mettent fin aux débats publics ne sauraient esquiver l'interdiction au motif qu'ils encouragent le débat.
Les mesures préventives dans la législation sur les droits de la personne se centrent de manière raisonnable sur les effets plutôt que sur l'intention du semeur de haine. Le fléau de la propagande haineuse est incontestable. L'expression de la haine cause des préjudices réels à des personnes réelles. Les discours haineux rabaissent, dénigrent et déshumanisent les citoyens qu'ils ciblent. Dans les discours haineux, on dit aux personnes qu'elles ont droit à moins que d'autres Canadiens en raison des caractéristiques qui leur sont propres.
Avec l'avènement des communications électroniques instantanées sans entrave, la possibilité de diffusion est pratiquement illimitée et largement non maîtrisée. Une vision réaliste de la société moderne doit orienter la liberté d'expression, le discours et les limites connexes.
Le jugement Whatcott a été rendu en février 2013. Plus tard durant cette même année, l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne a été officiellement abrogé. L'abrogation se fondait sur l'argument selon lequel il entravait indûment la liberté d'expression. Les opposants à l'article n'ont fourni que des exemples anecdotiques pour justifier leur position. Il n'y a aucune preuve empirique selon laquelle la législation sur les droits de la personne entrave indûment les discours légitimes. Contrairement aux arguments des défenseurs de la liberté d'expression, le Canada n'a pas de tradition démocratique de liberté d'expression débridée. La liberté d'expression au Canada a toujours été la liberté régie par les limites reconnues dans la loi.
Le principe de la liberté d'expression trouve son origine dans les principes de common law qui figurent dans la Loi constitutionnelle de 1867. La liberté d'expression a été expressément déclarée dans la Déclaration canadienne des droits de 1960. Le droit à la liberté d'expression d'un citoyen canadien n'était pas protégé expressément par la Constitution jusqu'à l'adoption de la Charte en 1982.
Malgré la protection conférée par la Charte à la liberté d'expression, de nombreuses limites à la liberté d'expression sont justifiables dans une société libre et démocratique. Des limites raisonnables à l'expression nous protègent contre des préjudices plus grands qui découlent d'une liberté de parole sans entraves.
Parmi certaines de ces limites, on compte la diffamation, le libelle, la calomnie, le parjure, la pornographie infantile, l'ordonnance de non-publication imposée par la cour, les limites relativement à la publicité sur le tabac, l'alcool et les produits pharmaceutiques, le délit d'initié, la fraude dans le secteur des affaires, le droit d'auteur, les marques de commerce et les discours haineux. Il existe littéralement des centaines de limites justifiées sur le plan juridique à la liberté d'expression au Canada.
Toutefois, restons-en aux discours haineux. Voici les recommandations de la Commission des droits de la personne de la Saskatchewan à l'intention du Comité:
Premièrement, la Commission des droits de la personne de la Saskatchewan soutient la remise en vigueur des interdictions dans la Loi canadienne sur les droits de la personne contre l'expression haineuse ainsi que l'inclusion et la réinclusion des télécommunications et d'Internet dans la loi.
La disposition pourrait être plus efficace si la Commission canadienne des droits de la personne était autorisée à déposer une plainte de sa propre initiative au nom d'un groupe visé, comme un type de recours collectif. La Commission des droits de la personne de la Saskatchewan a cette capacité. Les produits d'une plainte jugée fondée pourraient être versés à une organisation communautaire qui soutient le groupe ciblé ou lutte contre les discours haineux.
Nous devons adopter une législation utile qui permet aux commissions des droits de la personne de faire efficacement leur travail et de tenir responsables de leurs gestes ceux qui propagent la haine en ligne.
Deuxièmement, on doit créer une législation qui tient les sociétés financièrement responsables de l'hébergement, de la propagation ou de la création de contenu qui fomente la haine en ligne. L'Allemagne a adopté la « loi sur Facebook » selon laquelle les réseaux sociaux comptant plus de deux millions d'abonnés doivent retirer le contenu haineux dans les 24 heures de sa publication, au risque de s'exposer autrement à des sanctions financières très lourdes.
Au Royaume-Uni, le « Livre blanc sur les méfaits en ligne » a proposé l'établissement d'un organisme de réglementation indépendant qui rédigerait un code de pratique pour les réseaux sociaux et les sociétés Internet et serait en mesure d'imposer des sanctions aux entreprises qui n'appliquent pas ces règles. Au Canada, nous devons emboîter le pas.
Récemment, des géants de la haute technologie comme Microsoft, Twitter, Facebook et Google se sont réunis pour condamner la haine en ligne et ont accepté un plan en neuf points sur la façon de contrer la haine. C'est une très bonne chose. Cependant, nous ne pouvons pas compter sur des entités commerciales pour déterminer le type de comportement et de contenu qui sont acceptables. Cela représenterait une abdication fondamentale de la responsabilité législative du Parlement. Plutôt, nous devons concevoir un plan « fait au Canada pour le Canada », créé par les gouvernements au terme de consultations approfondies des intervenants de l'industrie, qui énonce publiquement les règles, surveille la conformité des plateformes et prévoit des sanctions, au besoin.
Troisièmement, il faut donner aux organismes canadiens les moyens et le mandat de surveiller la haine en ligne, l'extrémisme et les influences radicalisées, ainsi que d'enquêter sur ceux-ci. À une époque où la haine et la désinformation se propagent comme des feux de forêt en ligne, la collecte de données et de renseignements est primordiale. C'est pourquoi une partie du plan « fait au Canada pour le Canada » devrait comprendre un partenariat entre les agences de sécurité fédérales, les entreprises de médias sociaux et les fournisseurs Internet. Nous sommes arrivés à un moment de notre histoire où les mots et les lieux communs bien intentionnés ne suffisent plus.
La révolution numérique, qui a transformé la société pour le meilleur et pour le pire, a commencé à perturber notre démocratie. Des particuliers et des groupes, étrangers et nationaux, utilisent la désinformation, la haine et le recrutement extrémiste en ligne pour éroder les discours démocratiques et semer la discorde entre les citoyens canadiens.
Nous ne pouvons pas permettre que cela arrive. Nous devons agir. Nos dirigeants doivent détenir le pouvoir et le courage moral pour faire ce qui est juste. Ils doivent choisir l'unité plutôt que la division, la compréhension plutôt que l'ignorance, et le respect plutôt que la haine. Ils doivent prendre des décisions pour le bien commun, qui respectent la règle de droit et reflètent la Charte, ainsi que les décisions difficiles qui protègent ce que cela veut dire d'être un citoyen canadien.
Cela commence par l'adoption d'une législation utile qui permettra aux gouvernements, aux commissions des droits de la personne, à l'industrie, aux organismes de réglementation et au public de lutter efficacement contre la désinformation et la haine en ligne. C'est le début, mais ce n'est pas la fin.
Quatrièmement, nous devons aussi investir dans l'éducation, pour que les jeunes de demain cessent...
Mes commentaires seront présentés dans les deux langues officielles.
Merci d'avoir invité la Commission canadienne des droits de la personne à participer à cette discussion aujourd'hui sur la haine en ligne. Je suis accompagnée de ma collègue Monette Maillet, directrice générale et avocate générale principale.
La prolifération de la haine en ligne est un danger clair et présent. Au cours des dernières années, il est devenu douloureusement clair que le fait de laisser la haine en ligne s'envenimer peut entraîner des conséquences horribles. Par conséquent, nous sommes encouragés par le fait que le Comité de la justice tienne cette étude importante. Nous sommes ravis de voir que vous entendez plusieurs témoins qui représentent les personnes et les collectivités les plus souvent ciblées par la haine.
Les discours haineux, et particulièrement la haine en ligne, sont une question de sécurité publique urgente et une question fondamentale des droits de la personne. Les propos haineux violent les droits et les libertés de la personne les plus fondamentaux; le droit à l'égalité et le droit de vivre une vie exempte de discrimination.
Je vais axer mes commentaires sur trois points principaux. Premièrement, la haine en ligne cause des préjudices. Deuxièmement, la loi présente une lacune pour ce qui est de protéger les gens contre la haine en ligne. Troisièmement, il est nécessaire d'adopter une stratégie globale.
[Français]
Internet a donné à chacun le pouvoir d'avoir sa tribune et d'être un diffuseur. Plus que jamais, les gens peuvent influencer les autres et se faire entendre. À bien des égards, il s'agit d'un progrès formidable. Internet a toutefois permis d'amplifier et de propager les discours haineux.
Trop souvent, les personnes sont victimes de haine en ligne en raison de leur race, de leur religion, de leur genre, de leur orientation sexuelle ou de leur origine. Il a été démontré que la haine en ligne peut causer de la peur et de graves conséquences psychologiques. Elle réduit au silence et encourage les conflits, la division et les tensions sociales. Dans sa pire forme, la haine en ligne mène à la violence et, trop souvent, beaucoup trop souvent, à des situations tragiques.
Si l'on accepte que les Canadiens ciblés par la haine en ligne doivent vivre leur vie dans un climat toxique, nous les abandonnons tout simplement. Le Canada, en vertu de ses obligations nationales et internationales, a la responsabilité de promouvoir l'égalité et de protéger ses citoyens contre la discrimination.
[Traduction]
Cela m'amène à mon deuxième point. Il y a dans la loi une lacune lorsqu'il s'agit de protéger les gens contre la haine en ligne. L'article 13 maintenant abrogé de la Loi canadienne sur les droits de la personne a donné a la Commission un point de vue éclairé sur la prise en considération de la haine en ligne au Canada.
Comme bon nombre d'entre vous le savent, l'article 13 a originalement été intégré à la Loi canadienne sur les droits de la personne, la LCDP, afin de prévenir les préjudices découlant de messages haineux interdits, puisque l'antisémitisme était communiqué par téléphone dans les années 1970. À la suite des attaques du 11 septembre, on a élargi l'article 13 afin d'inclure des messages communiqués sur Internet. Pendant de nombreuses années, il a été efficace pour fermer un certain nombre de sites Web néonazis extrêmes. Toutefois, cette approche ne permet pas de réagir à l'évolution rapide de la technologie d'aujourd'hui. Comme vous le savez, l'article 13 était considéré comme une bonne disposition sur le plan constitutionnel.
De plus, la Cour suprême du Canada a confirmé que certaines limites de la liberté d'expression sont justifiables dans une société libre et démocratique. Nous avons souligné que des témoins précédents ont parlé de la nécessité d'une définition de la « haine ». À cette fin, nous encourageons le Comité à examiner les définitions présentées par la Cour suprême du Canada, ainsi que les caractéristiques de la haine définies par le Tribunal canadien des droits de la personne.
Dans la discussion sur la liberté d'expression et les discours haineux, nous ne devons pas oublier le droit fondamental à l'égalité et le droit d'être libre de toute discrimination. Il n'y a pas de hiérarchie des droits, et les droits se font parfois concurrence. La Commission estime qu'il doit y avoir un juste milieu. Cela va nécessiter la participation et la responsabilisation importantes de toutes les parties concernées.
Ce que nous pouvons dire avec certitude, c'est que l'on doit faire quelque chose rapidement pour réagir à la prolifération de la haine en ligne. Elle menace la sécurité publique, viole les droits de la personne et mine la démocratie. Comme d'autres témoins l'ont dit, la lutte contre la violence en ligne va nécessiter l'adoption d'une approche proactive qui suppose le suivi, l'intervention et la prévention.
Cela m'amène à mon troisième point. Une stratégie complète est nécessaire. Il faudra un effort concerté et coordonné à long terme qui est proactif, à volets multiples et à multiples facettes. Il faudra une réflexion innovatrice, une expertise technique, des ressources appropriées ainsi que des activités de coordination et de coopération.
La stratégie rassemblera tous les ordres de gouvernement, les fournisseurs de télécommunications et les fournisseurs Internet, les plateformes de médias sociaux, la société civile, les universitaires et, fait encore plus important, les victimes de la haine.
Ces efforts doivent être dirigés par le gouvernement. Il a le devoir de respecter ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne, et cela comprend la protection des citoyens contre les discours haineux.
[Français]
En conclusion, la Commission canadienne des droits de la personne est déterminée à lutter contre la haine et à participer à une solution coordonnée et plus large.
En réponse aux témoignages entendus par ce comité, la Commission estime qu'une simple modification de la Loi canadienne sur les droits de la personne visant des dispositions semblables à l'ancien article 13 serait insuffisante. En cette ère moderne, ce seul changement à la Loi ne permettrait pas d'offrir l'étendue ni le niveau de protection ou de recours nécessaires pour éviter le harcèlement haineux en ligne ou pour faire diminuer efficacement la propagande haineuse.
Si le Comité ou le gouvernement entreprend l'examen de modifications possibles à la Loi canadienne sur les droits de la personne ou à d'autres lois en vue de répondre plus largement aux questions de propagande haineuse, la Commission sera heureuse d'y contribuer par son expertise.
Dans les prochains jours, la Commission présentera un certain nombre de documents, y compris un rapport sommaire d'un événement récent organisé conjointement pour discuter de la haine en ligne.
Je vous remercie. C'est avec plaisir que ma collègue Monette Maillet et moi répondrons à vos questions.
:
Je vous remercie de m'avoir invitée à prendre la parole devant le Comité aujourd'hui. J'aimerais parler des activités que mène le ministère dans la lutte contre le racisme et la discrimination religieuse.
[Français]
Il est évident que le racisme et la discrimination persistent au Canada. Les régler fait partie de la responsabilité qu'a le gouvernement fédéral de soutenir une société qui valorise tous ses membres et les traite avec dignité et respect.
[Traduction]
La politique canadienne sur le multiculturalisme est l'un des moyens d'y parvenir. Elle a été conçue pour créer un climat dans lequel le patrimoine multiculturel de chacun d'entre nous est valorisé et pour bâtir une société où chacun peut participer à la vie économique, sociale, culturelle et politique du Canada.
[Français]
Le Programme du multiculturalisme travaille à l'atteinte de ces objectifs en concentrant ses efforts sur l'édification d'une société intégrée et cohésive sur le plan social, en améliorant la capacité des institutions fédérales à répondre aux besoins d'une population diversifiée, et en participant à des discussions nationales et internationales sur le multiculturalisme, l'inclusion et la diversité.
[Traduction]
Le Programme sur le multiculturalisme entreprend quatre principales activités. La première, ce sont les subventions et les contributions dans le cadre du programme de soutien aux communautés, au multiculturalisme et à la lutte contre le racisme. La deuxième est la sensibilisation du public et la promotion par l'entremise d'événements publics et d'initiatives de sensibilisation clés comme le Mois du patrimoine asiatique et le Mois de l'histoire des Noirs. La troisième est l'appui aux institutions fédérales et publiques pour les aider à respecter leurs obligations en vertu de la Loi sur le multiculturalisme. La quatrième est l'engagement international, accompli en soutenant l'adhésion du Canada à l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste et en veillant à ce que le Canada respecte ses obligations en tant que signataire de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
Dans le budget de 2018, un nouveau financement de 23 millions de dollars sur deux ans a été accordé au programme: 21 millions de dollars en appui aux événements et aux projets qui ciblent le racisme et la discrimination, en accordant une attention particulière aux peuples autochtones et aux femmes et filles racialisées; et 2 millions de dollars en appui aux consultations pancanadiennes sur une nouvelle approche nationale de lutte contre le racisme et la discrimination.
[Français]
Le budget de 2018 allouait également 9 millions de dollars sur trois ans au ministère du Patrimoine canadien et 10 millions de dollars sur cinq ans à l'Agence de la santé publique du Canada afin d'aider les Canadiens de race noire à relever les défis auxquels ils font face.
[Traduction]
En 2018, le premier ministre a demandé au ministre du Patrimoine canadien et du Multiculturalisme d'élaborer une nouvelle approche fédérale de lutte contre le racisme et la discrimination. À l'appui de ce mandat, nous avons tenu des séances de consultation d'octobre 2018 à mars 2019, afin de recueillir les commentaires des Canadiens, y compris des experts et des dirigeants communautaires et confessionnels, et de ceux qui ont été victimes de racisme et de discrimination.
[Français]
Au total, 22 séances en personne ont eu lieu, auxquelles ont participé plus de 600 personnes provenant de quelque 443 organismes, et plus de 1 000 présentations en ligne ont été reçues.
[Traduction]
Un montant supplémentaire de 45 millions de dollars sur trois ans a été proposé dans le budget de 2019 pour le Programme du multiculturalisme afin d'élaborer et de mettre en œuvre une stratégie fédérale de lutte contre le racisme. Selon l'annonce du budget, la stratégie consiste à trouver des moyens de contrer le racisme sous ses diverses formes, en mettant l'accent sur les projets communautaires. L'annonce soulignait le secrétariat de lutte contre le racisme qui s'emploierait, à l'échelon pangouvernemental, à cerner des occasions, à coordonner des activités et à collaborer avec les diverses collectivités du Canada.
[Français]
On retrouve en ligne un langage de plus en plus intolérant et raciste — le discours haineux. Il ne prolifère pas uniquement dans les conversations privées et sur les plateformes des médias sociaux comme Facebook ou Instagram. Il est aussi de plus en plus présent sur les sites plus publics comme YouTube, dans les sections réservées aux commentaires, dans les forums Web et sur les blogues.
[Traduction]
Les participants aux séances de consultation nous ont souligné que la haine en ligne est l'un des facteurs sous-jacents, qui contribue au racisme ou qui sème le racisme. Ce phénomène très grave se présente sous diverses formes, et a une incidence importante sur les jeunes. Les participants nous ont dit que les médias sociaux jouent un rôle important, tant dans la propagation de la haine que dans la lutte contre celle-ci.
[Français]
Le ministère du Patrimoine canadien joue un rôle essentiel dans la vie culturelle, civique et économique de tous les Canadiens. Nous continuerons d'utiliser les leviers à notre disposition pour lutter contre la haine en ligne, en collaboration avec nos partenaires fédéraux et les communautés.
[Traduction]
Merci.
Bonjour, monsieur le président, membres du Comité, mesdames et messieurs.
Je vous remercie de m'avoir invitée à vous parler.
Je suis la surintendante Kim Taplin et, comme vous le savez, je suis responsable des Services nationaux de police autochtones et de prévention du crime.
La GRC prend très au sérieux les crimes et les incidents haineux et elle s'est engagée à continuer de fournir des services axés sur la sécurité de nos collectivités.
Les activités en ligne des Canadiens ne cessent de s'accroître. Certains utilisent de multiples appareils de communication ainsi qu'une panoplie d'outils, comme la messagerie instantanée et diverses applications de médias sociaux, qui offrent d'énormes avantages pour la société canadienne, mais présentent aussi des occasions fortuites de répandre la haine.
Un crime haineux, qu'il soit perpétré en ligne ou non, constitue une infraction criminelle motivée par la haine, le parti pris ou le préjugé du contrevenant envers un groupe ou un individu en raison de la couleur, de la race, de la religion, de l'origine nationale ou ethnique, de l'âge, du sexe, de l'orientation sexuelle, de l'identité ou de l'expression de genre, ou de la déficience mentale ou physique. Par exemple, on compte les attaques physiques contre une personne en raison de sa défense ou de son orientation sexuelle, ou le vandalisme motivé par la haine, comme un graffiti sur un établissement religieux.
Un incident haineux ou dénotant des préjugés contre un groupe identifiable peut être motivé par les mêmes facteurs qu'un crime haineux, mais n'atteint pas le seuil de l'infraction criminelle. Parmi ces incidents, on compte notamment les injures ou les insultes racistes.
S'ils ne sont pas abordés, les crimes et les incidents haineux peuvent être un signe avant-coureur et même un catalyseur d'une violence plus grave dans les collectivités, comme vous l'avez entendu aujourd'hui. Ils ont également des répercussions négatives sur le bien-être et la sécurité de la collectivité.
La GRC travaille de façon proactive avec les collectivités pour cerner, classer par ordre de priorité et résoudre les problèmes. Cette approche de collaboration repose sur la philosophie selon laquelle la prévention est au cœur de la responsabilité des services de police, où les décisions sont fondées sur des données probantes et les interventions doivent être dirigées par la collectivité, appuyées par la police, durables et souples.
La GRC compte plusieurs comités consultatifs par l'entremise desquels les intérêts des collectivités trouvent un écho dans son travail, comme le Comité consultatif du commissaire sur les minorités visibles, le CCCMV, le Comité consultatif national du commissaire sur les Autochtones, le CCNCA; et le Comité consultatif national sur la jeunesse, le CCNJ. La GRC participe également à des comités externes comme la Table ronde transculturelle sur la sécurité de Sécurité publique Canada et la Stratégie nationale de lutte contre le racisme, dirigée par le ministère du Patrimoine canadien.
Statistique Canada estime que deux victimes de crimes haineux sur trois ne signalent pas le crime à la police. À ce titre, la GRC s'efforce d'accroître le nombre de dénonciations en renforçant la confiance des membres de la collectivité. La GRC s'est également dotée d'une politique opérationnelle nationale pour aider les enquêteurs à faire la lumière sur les crimes haineux et elle est déterminée à surveiller les menaces à la sécurité publique. Cela comprend la collecte de renseignements et l'évaluation continue, en collaboration avec des partenaires d'application de la loi, afin de déterminer la gravité de la menace posée par un acteur ou un groupe particulier.
Pour enquêter adéquatement sur les cas de haine en ligne, les organismes d'application de la loi doivent être en mesure de travailler aussi efficacement dans le monde numérique que dans le monde physique. Les progrès technologiques rapides continuent de contribuer à la complexité des enquêtes policières, y compris la haine en ligne.
Il est important de noter que les enquêtes sur les crimes haineux relèvent du mandat de la police locale compétente. De plus, la GRC a jugé qu'il était prioritaire de recruter des candidats qualifiés provenant d'un large éventail de milieux afin de mieux refléter la diversité de la population canadienne. La GRC veille également à ce que toutes les politiques, les pratiques et les normes d'emploi soient pleinement inclusives et offrent à tous les Canadiens des chances égales et équitables, tout en respectant les politiques et les lois relatives à l'équité en matière d'emploi.
Pour soutenir notre effort collectif de lutte contre les crimes et les incidents haineux, j'encourage toutes les collectivités à se renseigner sur la haine et à la dénoncer, à mieux connaître la situation entourant cet enjeu dans leur collectivité, à adopter des mesures d'urgence, à être vigilantes et à contribuer à la résilience communautaire. La GRC contribue à ces efforts dans de nombreuses collectivités partout au Canada et continuera de tendre la main avec professionnalisme et compassion afin d'accroître la confiance des collectivités qu'elle dessert.
Je répondrai avec plaisir à vos questions.
Je vous remercie.
:
Tout d'abord, nous devons présumer que le matériel sera clairement haineux, extrême et qu'il cause des préjudices. Une fois que nous détenons cet ensemble de faits, comment nous en occupons-nous?
Nous sommes d'avis qu'il nous faut une approche à volets multiples et qu'une disposition dans la Loi canadienne sur les droits de la personne ne saurait suffire en soi. Clairement, les organismes, les organismes de réglementation, les services de police, les plateformes de médias sociaux, les fournisseurs de services Internet et ainsi de suite ont tous un rôle à jouer.
La question, c'est devenez-vous réactifs, c'est-à-dire allez-vous déposer une plainte ou porter une accusation après la survenue d'un incident? L'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne a été très efficace pour fermer des sites Web. On pourrait apporter quelques amendements au chapitre de la compétence, peut-être fournir à la Commission un moyen d'aborder les choses plus rapidement, mais le problème avec un système fondé sur les plaintes, c'est qu'il faut du temps.
Si nous limitons la liberté d'expression, nous devons nous assurer que c'est fait de façon très étroite. La question devient alors celle de savoir ce qui se passe avec les médias sociaux. Vous pouvez fermer des sites Web et imposer des amendes à des fournisseurs de services Internet, mais si nous devions ouvrir la Loi canadienne sur les droits de la personne aux plaintes qui reposent sur Twitter, YouTube et Facebook, je ne peux pas imaginer que nous aurions les ressources nécessaires pour faire du travail de plus. C'est quelque chose dont le Comité devrait tenir compte.
Cependant, pour ce qui est d'un modèle de conformité proactif en fonction duquel vous avez des normes, je suis sûre que le Comité a entendu parler d'exemples en Europe où ça s'est produit, où on les tient responsables. Les fournisseurs de services Internet, Facebook, YouTube et Twitter sont tenus responsables de laisser la haine proliférer en ligne, causer potentiellement des préjudices et déboucher sur de la violence.
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Merci, monsieur le président, et merci au Comité de m'avoir invitée à comparaître devant vous aujourd'hui.
Il est franchement troublant que nous vivions dans un monde où la haine en ligne est en hausse, où ce que Whitney Phillips a désigné comme « l'oxygène de l'amplification » a élevé le point de vue extrémiste et où, dans plusieurs cas, les discours haineux en ligne ont directement débouché sur la violence hors ligne; pour cette raison, je suis très favorable à l'étude attentive du Comité sur la façon dont le Canada peut réagir à ces faits nouveaux troublants.
J'ai personnellement examiné les approches européenne et nord-américaine à l'égard des discours haineux, de l'extrémisme et de la désinformation. Aujourd'hui, je vais brièvement décrire certaines des autres approches adoptées par les démocraties, dont je parle plus en détail dans le mémoire que j'ai présenté, et ensuite, la façon dont l'exemple allemand en particulier soulève quelques questions concernant le réexamen de la restauration de l'article 13. Enfin, je vais discuter de certaines mesures qui pourraient être prises pour réagir à une catégorie élargie de discours haineux, c'est-à-dire une catégorie non juridique, mais je vais essayer d'aborder certaines des questions élargies qui ont été soulevées.
Pour commencer, la triste réalité, c'est que les discours haineux ne sont pas un problème qui peut être réglé. Ce sera une menace continue et permanente qui va évoluer. Malgré tout, les degrés des discours haineux peuvent fluctuer. Cela dépend de l'architecture des écosystèmes en ligne et du type de discours dont on fait la promotion, ainsi que des facteurs politiques, économiques et culturels élargis. Ceux-ci peuvent faciliter davantage de discours haineux et de crimes haineux, mais aussi faire le contraire.
Tout d'abord, c'est un problème international, comme je l'ai mentionné. Les démocraties du monde entier essaient de trouver des moyens de composer avec ce problème. Permettez-moi de nommer quelques exemples que nous pourrons aborder dans des questions.
D'abord, le Royaume-Uni a proposé une approche pour réglementer un cadre du « devoir de diligence » qui oblige les entreprises de médias sociaux à concevoir un modèle qui prévient les préjudices en ligne. La France a proposé une réglementation qui rendrait obligatoire la transparence et la « responsabilisation par définition » des entreprises de médias sociaux. Enfin, l'Allemagne a adopté une approche juridique, créant une loi qui oblige les entreprises de médias sociaux comptant plus de 2 millions d'abonnés uniques en Allemagne à examiner et à appliquer 22 textes de loi sur le discours qui existent déjà en Allemagne.
Il y a une panoplie de choses, depuis l'aspect juridique jusqu'à la réglementation conjointe en passant par l'autoréglementation et les codes de conduite.
Dans ce qui concerne la discussion d'aujourd'hui, la loi allemande Netzwerkdurchsetzungsgesetz, ou NTZDG, est particulièrement instructive. Adoptée en 2017 et en vigueur depuis 2018, c'est techniquement un mot allemand complexe qui se traduit littéralement par « loi sur l'application des réseaux », et elle n'introduit donc pas de nouveaux textes de loi sur le discours. Plutôt, elle oblige les entreprises de médias sociaux à appliquer des lois qui existent déjà et à répondre aux plaintes qui sont déposées dans les 24 heures, sinon elles s'exposent à des amendes de 50 millions d'euros par message.
J'aimerais maintenant parler de certaines considérations que cela a soulevées. D'abord, il s'agissait non pas d'introduire une nouvelle loi, mais d'appliquer une loi existante. Dans le cas allemand, ça a été un problème majeur d'amener Facebook et compagnie à se conformer. Ensuite, cela soulève des questions sur la façon dont nous amenons les entreprises de médias sociaux à se conformer à la loi existante et à l'appliquer, en plus de la question de la portée. Pour vous donner une idée, YouTube et Twitter, dans une période de six mois, recevaient plus de 200 000 plaintes; il y a donc une question de la portée de l'applicabilité et des arriérés possibles. Il s'agit aussi de savoir si les règles pourraient être appliquées à l'échelle nationale ou mondiale. Nous avons vu que ce qui relève principalement de cette loi tient en fait aux conditions de service mondiales d'une entreprise.
De plus, cette loi ne porte que sur des éléments de contenu, et non pas sur d'autres moyens par lesquels la haine peut être propagée ou financée en ligne grâce à des écosystèmes. Je vais donner un exemple canadien.
Tout récemment, un membre de l'extrême-droite canadienne a utilisé la plateforme GoFundMe pour ramasser de l'argent en vue d'un appel contre une poursuite en diffamation qu'il avait perdue pour avoir diffamé un Canadien musulman. La juge Jane Ferguson de la Cour suprême de l'Ontario a qualifié les paroles de l'homme d'extrême-droite comme « la pire forme de discours haineux », mais ce n'est qu'après avoir reçu les plaintes d'un journaliste et de membres du public que la plateforme GoFundMe a retiré la demande de fonds de cet homme, même s'il avait violé ses conditions de service. Voilà qui illustre seulement comment cette situation est plus large que les éléments de contenu proprement dits.
Enfin, j'aimerais parler de la manière dont nous pouvons tenir compte d'une catégorie élargie de discours haineux, c'est-à-dire la catégorie non juridique de discours, mais de discours qui peuvent miner les discours démocratiques libres, complets et justes en ligne. J'ai rédigé un rapport avec Chris Tenove et Fenwick McKelvey, deux collègues universitaires, sur la façon dont nous pouvons réagir à ce problème des discours haineux sans enfreindre notre droit démocratique à la liberté d'expression. Je vais vous donner trois suggestions.
Premièrement, nous avons proposé la création d'un conseil des médias sociaux. Cela obligera la tenue de réunions régulières entre des entreprises de médias sociaux et la société civile, particulièrement les groupes marginalisés qui sont touchés de façon disproportionnée par la haine et les discours haineux en ligne. Ce conseil des médias sociaux pourrait être créé explicitement par l'intermédiaire du cadre des droits de la personne. L'idée est appuyée notamment par le Rapporteur spécial de l'ONU sur la liberté d'opinion et d'expression. En établissant un lien avec les droits internationaux de la personne, on fait aussi en sorte que le Canada ne fournisse pas par inadvertance des justifications pour que des régimes libéraux censurent les discours de façons qui pourraient bafouer les droits fondamentaux de la personne ailleurs dans le monde.
Deuxièmement, nous devrions fermement examiner les types de transparence que nous pourrions rendre obligatoires pour les entreprises de médias sociaux et les entreprises en ligne. Nous ignorons énormément de choses quant au fonctionnement des algorithmes et au fait de savoir s'ils font la promotion de préjugés de diverses façons. Nous devrions envisager, dans la même veine que les évaluations d'impact des algorithmes, d'imposer la tenue de vérifications et la transparence des entreprises afin que l'on puisse comprendre si leurs algorithmes facilitent eux-mêmes la discrimination ou font la promotion de discours haineux.
Troisièmement, nous devons nous rappeler que la société civile est une partie importante de la question. Ce n'est pas quelque chose que seuls les gouvernements et les plateformes doivent régler. La société civile a un rôle crucial à jouer. Nous voyons souvent des plateformes ne retirer certains types de contenu qu'après leur signalement et leur mention par des organisations de la société civile ou des journalistes. Nous devons soutenir ces organisations de la société civile et ces journalistes qui font ce travail et soutiennent ceux qui sont profondément touchés par la haine et les discours haineux.
Enfin, nous devons aussi soutenir les recherches qui se penchent sur l'aspect positif de tout cela; en d'autres termes, comment encourageons-nous une participation plus constructive en ligne?
Comme l'illustre mon bref témoignage, beaucoup de choses doivent être faites de tous les côtés.
Merci de m'avoir invitée à prendre part à la conversation.
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Tout d'abord, je tiens à vous remercier de m'avoir invité à m'adresser au Comité aujourd'hui. Je suis désolé de ne pas pouvoir être là en personne, mais je le suis virtuellement, en ma qualité de directeur de l'Institute of Islamic Studies, à l'Université de Toronto, où je suis aussi professeur de droit et d'histoire.
À l'institut, je supervise un projet de recherche collaboratif que nous appelons l'étude de l'Islam et des musulmans au Canada, ou SIMiC en bref. Le SIMiC est un projet collaboratif regroupant six universités canadiennes et six organisations partenaires communautaires. Il mélange la recherche et la responsabilité publique à l'égard du recalibrage de la conversation sur l'Islam et les musulmans aujourd'hui.
Inutile de vous dire que l'existence de l'islamophobie dans notre pays est bien réelle et est fort préoccupante. M'inspirant du travail du SIMiC, je peux recenser trois éléments particuliers dont vous pourriez vouloir tenir compte dans le cadre d'une approche pangouvernementale, particulièrement puisqu'ils concernent la communauté musulmane du Canada comme cible de la haine en ligne.
Le premier a trait à une architecture de données fiables qui fournit des données désagrégées sur les collectivités le plus ciblées. Une caractéristique essentielle du SIMiC est de cerner les lacunes dans l'architecture de données canadiennes pour tracer la démographie des communautés musulmanes du Canada. Formé d'une équipe de chercheurs universitaires, d'organismes d'établissement et d'organisations communautaires, le groupe sur les mégadonnées de l'institut souhaite déterminer quels types de mesures pourraient être mises en place pour que l'on puisse acquérir une meilleure compréhension de qui sont les communautés musulmanes du Canada ainsi que de leurs valeurs, de leurs espoirs et de leurs aspirations au Canada, pour elles-mêmes et leur famille.
Cet été, un de nos chercheurs universitaires étudiera la mesure dans laquelle les ensembles de données existants partout au pays, y compris les ensembles de données bruts des centres de données de recherche de Statistique Canada, peuvent nous renseigner au sujet des musulmans canadiens pour ce qui est du sexe, de l'ethnie ou de la race, du niveau d'instruction, du statut d'emploi, des niveaux de revenu et ainsi de suite. Nous prévoyons lancer le rapport en septembre 2019, et je le communiquerai au Comité s'il le souhaite.
Une préoccupation clé concerne le fait que Statistique Canada pose des questions au sujet de l'identité religieuse seulement aux 10 ans plutôt qu'aux cinq ans. Cette approche est fondamentalement contre-productive, étant donné l'état actuel de la haine en ligne qui cible bien souvent des groupes en fonction de leur identité religieuse. Si nous voulons lutter contre la haine qui cible les gens en raison de leur religion — et soyons clairs: c'est exactement ce qui se passe par rapport aux Canadiens musulmans — nous ne pouvons pas continuer d'utiliser une architecture de données dépassée qui nous aveugle par rapport au terrain dans lequel nous devons maintenant faire notre travail.
Le groupe sur les mégadonnées de SIMiC existe en partie pour illustrer exactement pourquoi il nous faut réfléchir de nouveau aux politiques liées à l'architecture des données à l'échelle nationale, en commençant par la question identitaire religieuse dans le recensement quinquennal de Statistique Canada.
Ma deuxième suggestion de recherche pour vous est issue de notre travail sur des programmes mondiaux de lutte contre le terrorisme. L'institut fait partie d'un consortium d'universités réparties dans le monde qui étudient la mesure dans laquelle les programmes des gouvernements pour lutter contre l'extrémisme violent ont un effet disproportionné sur certaines collectivités et, ce faisant, ne tiennent pas compte d'autres collectivités qui doivent faire partie de toute enquête.
Même si nous en sommes aux premières étapes du travail, notre recherche a mis en lumière un problème flagrant au Canada qui pourrait s'inscrire dans la sphère de compétence du Comité. En 1989, le Canada a été un membre fondateur du Groupe d'action financière, ou GAFI, qui était chargé à l'époque de lutter contre le blanchiment de capitaux dans le cadre de notre guerre contre la drogue.
Après le 11 septembre, le GAFI a publié un nouvel ensemble de recommandations spéciales pour faire le suivi du financement du terrorisme et lutter contre celui-ci. Les lignes directrices du GAFI recommandent que chaque État partie adopte ce qu'il appelle un modèle d'évaluation fondé sur les risques, afin de classer par ordre de priorité ses cibles et d'affecter ses ressources limitées.
En 2015, Finances Canada a publié une autoévaluation du GAFI, dans laquelle le ministère a décrit l'approche fondée sur les risques du Canada relativement au financement du terrorisme. Il a défini 10 groupes qui présentaient la plus grande menace de financement du terrorisme au Canada, dont huit sont des groupes désignés comme musulmans; un est tamoul, et l'autre est sikh. Autrement dit, en ce qui concerne le gouvernement du Canada, l'intégralité du risque lié au financement du terrorisme vient des groupes racialisés, et 80 % sont associés à des groupes désignés comme musulmans. Nulle part dans le document de 2015 il n'est fait mention de groupes suprémacistes blancs, de groupes extrémistes blancs et ainsi de suite, malgré le fait que de tels groupes ne soient pas moins enclins à la violence, comme nous l'avons malheureusement vu.
Qu'est-ce que tout cela a à voir avec la haine en ligne? Même si vous entendrez sans aucun doute de nombreux arguments au sujet de la liberté d'expression dans votre tentative de réglementer la haine en ligne, vous avez déjà en place un mécanisme pour faire le suivi du financement d'une telle haine, c'est-à-dire la recommandation spéciale no 8 du GAFI, selon laquelle les organismes de bienfaisance et d'autres organismes à but non lucratif sont vulnérables au financement du terrorisme.
Le but de ma suggestion, c'est qu'on s'en prenne à ces organisations philanthropiques qui financent la cacophonie de la haine. Les États-Unis ont déjà une longueur d'avance à cet égard. Des groupes de réflexion et des sociologues ont publié des rapports qui définissent les principales sources de financement de la haine.
Même si tout cas donné de haine en ligne est relativement peu cher, je propose que vous revoyiez l'approche fondée sur les risques du Canada pour utiliser les régimes existants de surveillance financière afin d'interrompre le financement dans l'ensemble.
Ma troisième et dernière suggestion ne concerne pas tant la lutte contre la haine en ligne que la promotion des possibilités de nouvelles que l'on peut présenter pour rehausser le patrimoine culturel du Canada et corriger les lacunes à cet égard. En plus de notre groupe sur les mégadonnées, un deuxième groupe travaille à créer un centre d'archives qui documente l'histoire des musulmans au Canada. Celui-ci sera créé grâce à la collaboration de chercheurs de l'université, d'organisations communautaires et de personnes qui détiennent des dossiers racontant cette histoire.
Notre analyse de l'environnement des grandes institutions d'archives du Canada fait ressortir une représentation faible, voire nulle, des diverses communautés, en particulier des minorités racialisées et des musulmans, qui forment le tissu de notre mosaïque nationale. Tandis que d'autres administrations, comme le Royaume-Uni et les États-Unis, ont une culture grandissante de projets d'archivage communautaires, ce phénomène n'est, pour l'essentiel, pas appuyé par le gouvernement du Canada.
Nous commençons à voir un certain mouvement à cet égard pour ce qui est des collectivités autochtones du Canada, notamment grâce au travail de la Commission de vérité et réconciliation et à de nouveaux régimes de financement affectés à la préservation du savoir autochtone. Ce projet d'archivage que nous créons est un projet conjoint dans le cadre duquel l'Université de Toronto servira de partenaire institutionnel central. Nous détenons la technologie de numérisation nécessaire pour créer des archives numériques à accès ouvert. La bibliothèque Robarts détient une installation de stockage pour toutes les copies analogiques que nous obtenons. La bibliothèque de livres rares Thomas Fisher fournira à de futurs chercheurs un lieu pour accéder à ces copies papier.
D'ici la fin de l'été, l'institut va lancer publiquement sa politique d'acquisition en consultation avec nos partenaires communautaires. De plus, des collègues ont exprimé un intérêt pour associer leurs travaux de cours aux archives: les étudiants peuvent nous aider à retrouver des dossiers tout en obtenant les crédits pour le cours. De telles archives renforcent non seulement l'éducation et la communauté, mais en plus, elles créent des occasions pour les gens de raconter de nouvelles histoires à leur sujet et au sujet de leur collectivité, de façon rigoureuse en contexte universitaire, et au moyen d'une description volumineuse. En bref, nos archives non seulement promettent davantage de discours, mais elles en fourniront de meilleurs.
Bien que nous disposions de l'infrastructure et des frais généraux nécessaires pour concrétiser le projet, notre plus grand défi et le défi de tels projets d'archivage consiste à trouver des sources de financement pour appuyer des processus d'examen archivistique supposant du capital humain. Le ministère du Patrimoine canadien offre certainement certains fonds pour de tels projets, mais les enveloppes sont limitées. Son mandat ne se limite pas étroitement aux groupes ciblés par la haine. De plus, bon nombre de ses subventions disqualifient expressément les projets affiliés aux universités comme le nôtre, malgré le fait que, grâce à leur infrastructure, les universités sont bien placées pour réaliser de tels projets.
D'après notre expérience, le Conseil de recherches en sciences humaines ne finance pas ces types de projet, notamment parce qu'ils ne s'inscrivent pas dans les points de vue prédominants de ce qui représente une recherche officielle.
Bien que nous demeurions engagés à l'égard de ce projet, notre analyse de l'environnement donne à penser que l'appui à des projets d'archivage numérique en participation avec des communautés ciblées peut faire contrepoids à la haine en ligne dont nous voyons la prolifération. Par conséquent, le Comité pourrait recommander que l'on relance la création d'archives numériques participatives, en mettant l'accent particulier sur ces groupes minoritaires sujets à la haine en ligne.
Merci beaucoup. J'ai bien hâte de répondre à vos questions.
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Merci beaucoup de m'avoir invitée à prendre la parole aujourd'hui.
Je m'appelle Naseem Mithoowani. Je suis une avocate qui exerce à Toronto, en Ontario.
Comme certains d'entre vous le savent peut-être, je suis également l'une des personnes qui ont déposé des plaintes contre le magazine Maclean's en 2008 pour violation des droits de la personne à la suite de la publication d'un article de fond intitulé « The future belongs to Islam », rédigé par Mark Steyn. À ce moment-là, Maclean's était notre seul magazine d'actualités national à une époque où les médias sociaux n'avaient pas encore pris leur envol. L'article a donc attiré beaucoup d'attention.
On y décrivait les musulmans comme étant engagés dans un complot infâme en vue de prendre le contrôle de la démocratie occidentale telle que nous la connaissons. On insinuait que tous les musulmans étaient coupables d'être impliqués directement dans la violence ou de soutenir en silence l'objectif visé. Les musulmans vivant en Occident ont été diabolisés: on disait qu'ils « avaient envie du djihad » et se reproduisaient comme des « moustiques » dans le seul but de supplanter les populations occidentales, là où ils vivaient, mais avec qui ils ne partageaient aucune allégeance. Les musulmans ont été décrits comme étant fondamentalement violents et fourbes.
La communauté musulmane a ressenti au plus profond d'elle-même le préjudice causé par ces mots. C'était un appel à l'action afin que l'Occident se réveille face à la menace des musulmans vivant parmi sa population. Il s'agissait essentiellement de demander aux Canadiens de considérer leurs voisins musulmans avec suspicion.
Nous avons également trouvé dans Maclean's 21 articles publiés au cours des deux dernières années qui reprenaient les mêmes thèmes anti-musulmans et désignaient les musulmans comme des « baiseurs de moutons », des « menaces à la sécurité mondiale », des « barbares » et comme étant enclins à la frénésie. Dans un article mémorable, on a même insinué que la comédie sur le réseau CBC, Little Mosque on the Prairie, faisait partie d'un complot visant à détourner l'attention du public de la menace à la sécurité que les musulmans font peser sur lui afin de faire leur promotion et les présenter comme des membres aimables et amicaux de la collectivité.
Nous n'avons trouvé aucun article contredisant ces propos ni aucune analyse critique en réponse.
Nous avons sollicité une rencontre avec Maclean's afin de proposer aux responsables d'envisager de publier un article destiné à contrer ces allégations formulées dans l'article de M. Steyn. Nous avons pensé que des discours plus nombreux et de meilleure qualité constituaient une victoire pour toutes les parties concernées. Ce n'est que lorsque Maclean's nous a complètement exclus que nous avons déposé des plaintes relatives aux droits de la personne. Ce fait même, indépendamment du résultat, était perçu comme une preuve d'abus justifiant l'abrogation de l'article 13 par le gouvernement conservateur de l'époque.
Avec le recul, je pense que très peu de gens croient aujourd'hui que nous n'avions aucune raison de nous inquiéter du contenu de la publication en question.
Ceux qui colportent la rhétorique d'une prise de contrôle par les musulmans ne s'inquiètent pas du fait que cette information est dénuée de vérité. La suspicion et la peur des musulmans sont des éléments populaires. L'idée que les musulmans tentent activement de renverser la démocratie occidentale est un avertissement qu'entend la population, avec parfois des conséquences horribles. En fait, nous savons maintenant que les allégations au sujet du déclin démographique occidental et du taux de natalité prétendument astronomique des musulmans sont un élément incontournable du mouvement nationaliste blanc moderne, qui évoque généralement une invasion, un remplacement culturel ou un génocide de la race blanche.
En effet, peu après le rejet de nos plaintes, l'article même que nous avons qualifié de haineux a été expressément cité dans le manifeste d'un suprémaciste blanc, qui a ensuite tué 77 personnes en Norvège, en 2011. Il a justifié ses actes et ses violences en tant que forme de résistance contre l'inévitable prise de contrôle par les musulmans contre laquelle Steyn et d'autres mettaient la population en garde.
Cette idée d'une prise de contrôle de l'Occident par les musulmans a également joué un rôle important dans les motivations du meurtre de musulmans au Québec et en Nouvelle-Zélande.
En particulier après l'attaque meurtrière en Nouvelle-Zélande, même ceux qui étaient tout à fait en faveur de l'abrogation de l'article 13 à la suite de nos plaintes ont marqué une pause afin de réexaminer la question. Monsieur Richard Moon, par exemple, était un chef de file dans la demande d'abrogation de l'article 13. Le gouvernement lui avait demandé de rédiger un rapport sur l'article 13 dans lequel il recommandait l'abrogation.
Depuis, il a eu l'occasion de revenir sur les plaintes contre Maclean's dans un blogue très récent. M. Moon y reconnaît expressément que le tollé suscité par nos plaintes était injustifié. Il déclare que, à la lumière de la montée de la violence à l'endroit des musulmans, il n'est pas étonnant que le discours de Steyn ait été cité par ceux qui souhaitent s'en prendre aux musulmans.
La vérité donc au sujet des plaintes contre Maclean's et de la controverse qui les entoure, c'est que la communauté musulmane a tenté d'utiliser l'article 13 pour dénoncer, il y a 12 ans, la même propagande haineuse d'une théorie du complot de masse de la part des musulmans qui, comme nous pouvons le voir, influence les tueries aujourd'hui. La malheureuse leçon que je tire de mon expérience de l'affaire Maclean's, c'est que, en tant que société, nous n'avons pas été en mesure de dépasser la rhétorique à ce moment-là et de dénoncer ce qu'elle représente vraiment.
L'article 13 ne limite pas indûment la liberté d'expression. Il crée un outil de reconnaissance et de traitement du discours dont les préjudices dépassent de loin les avantages potentiels. Cela correspond à nos valeurs sociétales. Au Canada, contrairement à d'autres pays, nous ne reconnaissons tout simplement pas un droit illimité à la liberté d'expression. Nous reconnaissons plutôt que des restrictions légitimes peuvent être imposées à tous les droits et toutes les libertés, y compris la liberté d'expression dans une société libre et démocratique. La propagande haineuse est un préjudice auquel il faut faire face, car elle met un terme au dialogue en rendant difficile ou impossible la réaction des membres des groupes vulnérables, étouffant ainsi le discours.
Depuis l'abrogation de l'article 13, les collectivités prêtent le flanc à l'attaque. Par conséquent, ma première recommandation au Comité est donc que l'article 13 soit rétabli.
Cependant, mon expérience de la plainte contre Maclean's me laisse croire que l'article 13 seul est insuffisant. L'article 13 exige que les personnes assument la lourde tâche consistant à déposer les plaintes et à en assurer le suivi. Outre les ressources financières et le temps qu'il faut pour le faire, les auteurs des plaintes sont vulnérables au ciblage personnalisé. Lorsque nous avons déposé nos plaintes, par exemple, en tant qu'étudiants en droit qui commençaient leur carrière, on nous qualifiait de « djadistes juridiques », de « terroristes », de « marionnettes » et on nous a accusés d'utiliser les outils de la démocratie occidentale pour la démanteler.
Au lieu de percevoir le portrait de Steyn, selon lequel les musulmans en Occident tiennent à renverser la démocratie, comme le dangereux trope qu'il est, nos actions et nos plaintes en tant que musulmans ont été considérées sous cet angle. Nous avons été accusés d'utiliser des outils démocratiques, y compris l'article 13, pour saper les valeurs occidentales.
Il est dans l'intérêt de tous de confronter le discours haineux. Ce fardeau ne devrait pas peser sur les épaules de quelques-uns. Il s'aligne sur un meilleur système démocratique en veillant à inclure toutes les voix. Nous ne pouvons pas nous permettre de refiler intégralement à des groupes vulnérables le fardeau financier et émotionnel de la lutte contre la haine.
Ma deuxième recommandation est donc que le Comité envisage la création d'un organisme qui pourrait recevoir les plaintes et en assurer le suivi. Je tiens à préciser qu'un tel organisme ne devrait pas empêcher les personnes et les collectivités d'assumer personnellement la prise en charge des plaintes lorsqu'elles le souhaitent; il devrait plutôt être considéré comme une voie complémentaire et de rechange.
Je souhaite conclure mes remarques en soulignant que le rétablissement de l'article 13 est un premier pas essentiel vers la lutte contre la haine en ligne, mais qu'il est insuffisant en soi. Nous avons besoin de davantage d'outils et de partenariats entre toutes les industries, les collectivités et les acteurs de la société civile afin de traiter efficacement le problème. La technologie et la portée d'Internet font du Canada un endroit très différent par rapport à celui qui existait lorsque nous avons déposé des plaintes contre le magazine Maclean's, en 2008. Par conséquent, nous avons besoin de solutions créatives, qui devraient inclure, sans toutefois s'y limiter, le rétablissement de l'article 13.
Je vous remercie de votre attention et je suis impatiente de répondre à vos questions lors de notre prochain segment.
Merci.
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Monsieur le président, je pense que nous essayons de définir un problème très important et d'y trouver des solutions. Je pense qu'il est beaucoup plus important d'aller au cœur du témoignage de fond de la personne plutôt que de tenter d'établir si un témoin en particulier, dans ce contexte ou un autre, partage les opinions d'une autre personne avec laquelle elle a assisté ou non à une manifestation. Restons-en là.
Je tiens à vous remercier tous les trois d'être ici.
Je tiens à souhaiter la bienvenue en particulier à M. Emon, qui est également un électeur et un membre de la faculté de droit de mon alma mater. Je tiens à prendre fait et cause pour vous et à vous soutenir pour le travail important que vous avez accompli dans la lutte contre l'islamophobie, une question urgente, non seulement depuis deux ans au Parlement, mais depuis environ deux décennies maintenant, à la suite des événements du 11 septembre.
Passons au fond de la question, l'article 13. Nous avons beaucoup entendu parler de l'article 13. Il me reste peu de temps, probablement cinq minutes et 20 secondes environ.
L'article 13 ne contient pas pour l'instant de définition de la haine. À l'heure actuelle, il ne contient pas de seuil. Il comporte également un paragraphe (3), qui exempte le fournisseur de services ou le réseau de télécommunication de toute responsabilité pour violation des droits de la personne.
Avez-vous des commentaires sur ces trois dispositions? Y a-t-il lieu d'établir un seuil relatif à ce qui constitue une campagne organisée? Faut-il inclure une définition de la haine? Une responsabilité quelconque, pour reprendre le langage des droits de la personne, devrait-elle être attribuée au fournisseur d'accès Internet, au fournisseur de télécommunications ou à l'entreprise de média social en tant que tel?
La question s'adresse à vous trois.
Madame Mithoowani, s'il vous plaît.
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Oui. Je formulerai très rapidement quatre observations.
Premièrement, au sujet de la responsabilité, la question consiste à savoir ce que l'AEUMC, l'Accord États-Unis-Mexique-Canada, autorisera. On peut s'interroger sur la pertinence d'inscrire l'article 230 de la CDA, la Communications Decency Act, dans l'AEUMC, ce qui pourrait rendre difficile la tâche du Canada en matière de responsabilité. Cet aspect reste encore à déterminer, mais je tiens à le dire.
Deuxièmement, nous avons affaire à un type d'Internet différent, public et privé. En ce qui concerne les groupes privés, par exemple, nous devrions dire: réfléchissez au message qui est transmis à des milliers de personnes. C'est pourquoi je pense que c'est très compliqué de penser à un seuil.
Troisièmement, le seuil est compliqué parce que, au sein d'Internet, comme le diront des personnes de Facebook et d'autres entreprises de médias sociaux, il faut mettre en parallèle le volume et l'intensité. Si vous rejoignez 20 personnes, mais que ces 20 personnes vont faire quelque chose, faut-il évaluer cela par rapport au fait de rejoindre 100 000 personnes qui ne font rien vraiment avec ce contenu? C'est une question très complexe qui, à mon avis, doit être laissée à la jurisprudence.
Quatrièmement, pour réaffirmer ce que j'ai dit dans mon témoignage, seul un très petit nombre de discours haineux seront traités par les voies juridiques. Il existe également des catégories plus larges de discours préjudiciable. C'est pourquoi j'ai fait des suggestions qui n'étaient pas forcément de nature juridique; il s'agit plutôt d'approches pangouvernementales pour tenter de traiter certaines de ces questions.
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Permettez-moi de revenir en arrière et de réfléchir à une approche pangouvernementale. D'ailleurs, je soutiens bon nombre des commentaires déjà formulés par Mme Mithoowani relativement à l'article 13.
Je veux préciser mon commentaire sur le Groupe d'action financière faisant implicitement le lien entre la haine en ligne et la promotion du terrorisme. Même si certains jugeront que c'est un peu tiré par les cheveux, je veux adopter un point de vue critique lié à la race dans le cadre de cette analyse. Jusqu'à présent, dans la mesure où nous avons parlé de haine en ligne, nous avons surtout parlé des suprémacistes blancs et des extrémistes blancs qui font la promotion de la haine contre des minorités, qu'elles soient raciales ou religieuses.
En adoptant un point de vue lié à la race dans le cadre d'une telle analyse, nous devons nous demander si, oui ou non, nous pouvons aussi commencer à voir ces fomentateurs de haine en ligne comme des promoteurs du terrorisme. C'est la raison pour laquelle j'ai mentionné les recommandations spéciales du Groupe d'action financière. Le GAFI possède une catégorie spéciale appelée « entreprises et professions non financières désignées » dans laquelle on ne fait absolument pas référence aux organisations des médias sociaux. Je suggérerais tout simplement qu'on se penche là-dessus.
En ce qui a trait au fait de se concentrer sur les grilles de la société civile, dans le cadre de mes travaux auprès d'un certain nombre de groupes musulmans de la société civile, je n'ai pas constaté d'augmentation du nombre d'attaques. Nous avons plutôt une meilleure compréhension de la façon dont ces attaques sont comprises et ressenties dans un tel contexte, dans un contexte très important et enrichi.
Une des limites de la loi, c'est qu'elle a tendance à niveler nos expériences. Un des aspects du défi ici — et un des aspects de ce qu'on essaie de créer à l'institut pour combattre l'islamophobie —, c'est de décrire de façon étoffée la signification de ces attaques, la façon dont elles sont comprises et dont elles reflètent la haine.
Je ne crois pas qu'il y ait d'augmentation en ce qui concerne les groupes de la société civile au sein de ces communautés. Selon moi, on se retrouve devant un cadre racialisé particulier qui donne son sens à ces attaques fondées sur la haine et qui, par conséquent, nous permet de leur appliquer un cadre juridique, quel qu'il soit.
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Merci à vous tous de votre présence aujourd'hui et du travail que vous faites pour réduire et combattre, dans vos rôles respectifs, les discours haineux. Je vous remercie très sincèrement, parce que sans un genre de cadre fédéral pancanadien général... Le travail que vous faites est très important, parce que vous nous informez, mais vous aidez aussi les Canadiens à comprendre de quelle façon lutter contre tout cela et de quelle façon cerner ces choses en plus de les aider à connaître les possibilités offertes par la loi.
Nous avons vraiment beaucoup de difficulté au sein du Comité, parce que c'est un sujet incroyablement large, et il y a énormément de composantes importantes. Il est difficile de savoir où commencer et de quelle façon amorcer les travaux qui s'imposent.
Je vous remercie, madame Tworek, de certains des exemples que vous nous avez fournis relativement à l'Allemagne, parce que l'autre aspect de tout cela, ce sont les géants des médias sociaux. Nous avons accueilli des représentants de Facebook. Nous voulions que Mark Zuckerberg vienne, cette semaine, et nous n'avons même pas réussi à le faire comparaître devant un comité parlementaire. Par conséquent, de quelle façon peut-on mobiliser ces géants des médias sociaux qui ne considèrent pas appartenir à un seul pays? Ce sont des entités mondiales. Ces entreprises ont la taille de pays. C'est très difficile de parler d'une quelconque forme de réglementation lorsque, franchement, ils sont réticents ne serait-ce qu'à venir témoigner.
J'aimerais vous poser des questions sur la façon dont, selon vous, les géants des médias sociaux, comme Facebook, pourraient améliorer la façon dont ils composent avec le discours haineux sur leurs plateformes, vu la quantité de situations que vous avez mentionnées. J'aimerais que vous nous en parliez. Puis, j'aimerais demander à nos deux autres témoins de quelle façon ils encadrent ou soutiennent la conversation dans leur communauté en matière de divulgation? De quelle façon permettez-vous une certaine transparence à cet égard?
Je vais commencer par Mme Tworek.
En fait, j'ai témoigné devant le Grand Comité international et j'ai assisté à ces audiences, alors je suis vraiment au fait de tout cela. Un des morceaux du casse-tête, c'est la coordination internationale, et, à cet égard, le Canada joue un rôle clé en tant que coprésident. Le comité en question a fait du très bon travail pour réunir des députés de 14 pays différents — qui représentent plus de 400 millions de personnes — et, malgré tout, Mark Zuckerberg et Sheryl Sandberg n'ont pas comparu.
Permettez-moi de dire quatre choses rapidement. Premièrement, dans le cas de l'Allemagne, c'est la menace d'amendes salées qui a vraiment poussé les entreprises et les médias sociaux à se présenter et à commencer à appliquer la loi allemande. Précédemment, ces entreprises disaient qu'elles ne pouvaient pas se conformer, mais lorsqu'il a été question d'amendes salées, soudainement, elles étaient en mesure de le faire.
Deuxièmement, pour gérer le grand nombre de situations, il devra tout simplement y avoir plus de modérateurs de contenu. Même si certaines choses sont découvertes par l'intelligence artificielle, la réalité, c'est que ce doit être fait en grande partie par des humains. Soit dit en passant, vu les conditions de travail assez affreuses imposées à certains de ces travailleurs, ce dont le Canada devrait se préoccuper du point de vue des droits de la personne, c'est du travail vraiment difficile d'un point de vue psychologique. Et, à cet égard, des journalistes et d'autres intervenants ont fourni des données probantes selon lesquelles le travail est très difficile et le niveau de TSPT constaté parmi les modérateurs de contenu est élevé. Il va sans dire que les entreprises devront consacrer beaucoup plus d'argent à ce travail.
Troisièmement, il faut savoir où les modérateurs de contenu responsables du Canada sont situés. Nous n'avons même pas accès à ce genre de renseignements de base. J'imagine qu'aucun d'eux ne travaille au Canada. Ils n'ont aucune connaissance contextuelle du Canada, par exemple, des mots utilisés pour dénigrer les Autochtones ou d'autres groupes marginalisés dans le contexte canadien. C'est une autre chose assez simple relativement à laquelle nous pourrions demander des précisions. Nous pouvons essayer de fournir plus de renseignements contextuels.
Quatrièmement, il y a la question de la transparence et le fait de déterminer ce que nous devons savoir en tant que Canadiens, et si cela fait l'objet d'une vérification. Selon moi, il y a aussi des questions vraiment de base sur le nombre de cas de discours haineux qui se produisent au Canada et qu'on voit dans les rapports de transparence ou dans l'information fournie par les entreprises et médias sociaux. La composante de la loi allemande que tout le monde — y compris l'article 19 et d'autres organisations sur la liberté d'expression — louange, c'est le rapport de transparence exigé par la NetzDG. Tous les intervenants sont d'accord, peu importe leur allégeance politique. Je crois que c'est assurément une leçon que peut tirer le Canada, et je peux vous fournir des suggestions très précises sur ce qu'on pourrait chercher à obtenir grâce à ces rapports de transparence. Ce serait beaucoup plus significatif que ce qu'on retrouve dans les rapports prévus par la NetzDG ou dans les grands rapports mondiaux publiés par ces entreprises.
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Oui, s'il vous plaît. J'ai deux ou trois remarques à formuler au sujet de l'article 13 et sur le besoin de combattre. Nous avons constaté en mettant sur pied notre projet d'archives que, à l'échelle nationale canadienne, il y a très peu d'endroits où l'on peut se faire une bonne idée de la situation des musulmans au Canada.
Permettez-moi de vous donner un exemple. Bibliothèque et Archives Canada mise sur quelque chose qu'elle appelle sa petite archive visant à documenter l'expérience canadienne. C'est un processus de documentation très vague et abstrait qui a tendance à édulcorer les particularités de toute communauté. Cependant, récemment, j'ai consulté BAC en ligne et j'ai choisi la catégorie de recherche par sujet. Lorsqu'on procède de cette façon, il n'y a pas de catégorie pour les religions. Il y a un onglet ethnoculturel qui nous amène vers une page où il y a beaucoup de groupes ethniques blancs et certains groupes ethniques asiatiques. Les seuls groupes religieux accessibles sont les juifs et les mennonites. Cette fonction de recherche n'offre pas de catégorie musulmane. Une personne peut, bien sûr, utiliser des mots de recherche clés pour trouver n'importe quoi, y compris des choses au sujet de l'islam et des musulmans, mais le site Web de BAC ne documente pas de façon délibérée et proactive le fait musulman au Canada de façon à attirer un plus grand public.
Ce n'est pas seulement une affaire fédérale. À l'échelon provincial, la collection des histoires orales de la Société d'histoire multiculturelle de l'Ontario est aussi principalement organisée par groupes ethniques, même si elle cerne deux groupes religieux, les juifs et les mennonites. Si, par exemple, une personne veut voir des photos de musulmans dans la collection de la Société, il doit inscrire une expression bizarre comme « canadien islamique » ou formuler sa recherche d'une façon qui montre bien l'ignorance fondamentale qu'on a de l'islam et de ses fidèles, qu'on appelle des musulmans.
J'ai l'impression qu'il y a, dans notre société, une méconnaissance fondamentale des religions ou, en tout cas, une ignorance au sujet de certains groupes religieux. Par conséquent, caractériser quelque chose comme un discours haineux contre un groupe exige dans un premier temps de comprendre le groupe comme lui se voit, mais nous n'avons même pas une architecture de données permettant de le faire.