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Essentiellement, la réponse, c'est non.
Vous avez tout à fait raison de dire que la définition d'« élément de preuve de routine » dans le projet de loi est potentiellement très générale, et tout cela est tout de même qualifié par l'utilisation du terme « de routine ». Comme mon collègue M. Taylor l'a souligné, il y a des facteurs établis dans le projet de loi dont le juge pourra tenir compte, et cela inclut une évaluation de la mesure dans laquelle l'élément de preuve est central pour la poursuite et, en fait, la défense.
Vous avez aussi raison, monsieur Fraser, lorsque vous dites que, souvent, des choses comme la chaîne de possession des éléments de preuve ou les observations de routine formulées par les agents de police sont admises. Cependant, la réalité, c'est que, très souvent, ces admissions arrivent très tardivement dans le processus. Souvent, le jour du procès, l'avocat de la défense me dira: « je vais admettre la chaîne de possession de la preuve ». Eh bien, c'est parfait, et je peux renvoyer trois agents de police chez eux, mais ils touchent déjà un double salaire en raison de leur comparution devant le tribunal.
On aurait ainsi accès à un mécanisme pour régler ces enjeux à une étape précédente.
Voici la réalité de la situation: il reviendra toujours au juge de décider s'il faut admettre une preuve par affidavit. Aucun avocat de la Couronne sain d'esprit ne tentera d'utiliser ces dispositions pour admettre des éléments de preuve qui, selon nous, seront un tant soit peu litigieux du point de vue de la défense. De plus, bien sûr, il faut informer la défense de notre intention de présenter de tels éléments de preuve. Si elle s'y oppose, elle devra me le dire.
Si, en fait, j'avise la défense et, elle décide de s'opposer — elle a un motif précis quelconque pour lequel elle veut que l'agent de police se présente au tribunal aux fins de contre-interrogatoire —, je ne vais pas m'y opposer. Je vais tout simplement retirer mon avis. Je crois que ce serait pas mal là la réaction de n'importe quel procureur de la Couronne, la seule exception étant si nous croyons que la défense s'oppose à l'admission de l'élément de preuve de mauvaise foi, tout simplement pour essayer de se jouer du système; alors on tentera peut-être de tuer immédiatement le stratagème dans l'oeuf en en parlant à un juge. Ce serait là une très rare exception.
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Je vais présenter ma déclaration en français, pour ceux qui devront peut-être utiliser un écouteur.
[Français]
Monsieur le président, messieurs les vice-présidents, chers membres du Comité, je m'appelle Paul-Matthieu Grondin et je suis bâtonnier du Québec.
Comme M. le président l'a dit, je suis accompagné de Me Pascal Lévesque, qui est président du Comité en droit criminel du Barreau du Québec, un comité consultatif, et de Me Nicolas Le Grand Alary, qui est avocat au Secrétariat de l'Ordre et affaires juridiques du Barreau du Québec.
Nous vous remercions de l'invitation.
C'est avec beaucoup d'intérêt que le Barreau du Québec témoigne devant vous aujourd'hui relativement au projet de loi .
En tant qu'ordre professionnel, le Barreau du Québec a pour mission la protection du public. Les modifications d'envergure, tant à la procédure criminelle qu'à l'administration de la justice criminelle au Canada, interpellent le Barreau dans l'exercice de cette mission.
Cela étant dit, nous vous remercions d'avoir convié le Barreau à partager avec vous sa position sur les sujets qui suivent.
Premièrement, le Barreau rappelle son opposition aux peines minimales d'emprisonnement, sauf pour les cas les plus graves, comme le meurtre. Les peines minimales enlèvent aux intervenants judiciaires de première ligne — par exemple le procureur de la poursuite, les avocats de la défense ou le juge de première instance — la flexibilité nécessaire pour bien appliquer le principe de proportionnalité des peines. Conséquemment, le Barreau aurait aimé voir des mesures concernant les peines minimales obligatoires d'emprisonnement dans ce projet de loi.
Le fait d'imposer des peines minimales permet peut-être, à court terme, d'assurer un certain sentiment de sécurité chez les citoyens, mais, à long terme, ces mesures sont contre-productives pour le système de justice. Les procureurs de la poursuite perdent une mesure incitative pour amener un accusé à plaider coupable lorsque les circonstances entourant la commission de l'infraction justifient une peine qui irait en deçà du minimum obligatoire. À l'inverse, lorsque la poursuite demande une peine dans un dossier pour lequel il serait justifié d'imposer légèrement plus que la peine minimale, les tribunaux ont tendance, dans ce cas, à s'y tenir.
Le projet de loi aurait été une bonne occasion d'abandonner ce type de peines, qui ne favorise pas une administration efficiente et flexible du système de justice pénale. Malheureusement, nous prenons acte du fait qu'il faudra attendre une prochaine fois.
Le Barreau du Québec croit qu'il est important que le gouvernement modifie le Code criminel afin de conférer au tribunal un pouvoir discrétionnaire résiduel qui lui permet de ne pas imposer une peine minimale obligatoire.
Nous notons d'ailleurs le dépôt de deux projets de loi visant à donner cette discrétion au tribunal: le projet de loi , et le projet de loi . Les mesures prévues dans ces projets de loi pourraient être reprises dans le projet de loi afin de régler la question des peines minimales obligatoires.
Les justiciables ont le droit à cette protection constitutionnelle. De plus, chaque accusé ou chaque partie n'aurait plus à supporter le lourd fardeau d'une contestation constitutionnelle jusqu'en Cour suprême.
Les peines minimales obligatoires peuvent s'avérer profondément injustes dans certains cas, car la seule peine envisageable est l'emprisonnement, alors que, parfois, d'autres solutions sont susceptibles de favoriser la réhabilitation et donc de réduire le risque de récidive. Il faut faire confiance aux juges pour appliquer la loi de manière juste et équitable, de sorte que les peines imposées soient proportionnelles à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant.
Quant à la suppression de l'enquête préliminaire, qui est notre deuxième sujet, le projet de loi propose de limiter la tenue d'une enquête préliminaire aux seuls cas des infractions passibles d'un emprisonnement à perpétuité. Il renforce également les pouvoirs du juge de paix afin de limiter l'enquête à des questions données et le nombre de témoins qui peuvent y être entendus.
Le Barreau du Québec s'oppose à cette modification. Certains affirment qu'en limitant le recours à l'enquête préliminaire, on pourra accélérer les procédures judiciaires et ainsi réduire les retards. Nous croyons que cette limitation de l'enquête préliminaire serait inefficace, voire contre-productive.
Il est important de savoir que, selon Statistique Canada, seulement 3 % des dossiers admissibles ont fait l'objet d'une enquête préliminaire et que, parmi les cas qui ont causé des retards au-delà des seuils établis par les arrêts Jordan et Cody, seulement 7 % comprenaient une enquête préliminaire. Aucune donnée probante, outre des événements anecdotiques, ne nous permet de conclure que les enquêtes préliminaires sont génératrices de retards indus dans le système judiciaire ni qu'il est nécessaire de modifier les règles actuelles.
Il est aussi important de mentionner que, dans certains dossiers, l'enquête préliminaire peut permettre de tester la solidité de la position des parties. Cela favorise le règlement des dossiers, ce qui évite un procès au fond et contribue à la réduction des retards. Par exemple, la preuve d'une infraction peut reposer sur une preuve testimoniale. L'enquête préliminaire peut être bénéfique tant à l'accusé qu'à la poursuite, car ils pourront évaluer la crédibilité de ces témoins, ce qui pourrait inciter une partie comme une autre à vouloir régler le dossier par le dépôt d'un plaidoyer de culpabilité ou par le retrait des accusations.
Nous sommes conscients que certains pourraient abuser de cette étape et ainsi allonger indûment les procédures. Le Barreau du Québec tient toutefois à souligner que les juges possèdent déjà de nombreux pouvoirs de gestion de l'instance et qu'ils ont été invités par la Cour suprême à les utiliser encore et encore. Ces pouvoirs doivent être utilisés afin de baliser la portée de l'enquête et de prévenir les abus. Autrement, nous risquons d'abandonner une étape de l'instance criminelle qui conserve sa pertinence dans la recherche d'une justice plus efficiente.
En outre, le Barreau du Québec propose une mesure additionnelle. En effet, c'est bien beau de mettre en évidence les problèmes, mais parfois il faut aussi parler des solutions. Cette mesure additionnelle consiste à ajouter au Code criminel la possibilité de remplacer, avec le consentement de l'accusé, la tenue d'une enquête préliminaire par des interrogatoires hors cour. Des projets pilotes en ce sens ont été mis en place dans plusieurs districts judiciaires au Québec et ont fait leurs preuves. Cela permet de ne pas avoir à faire face à la lourdeur de l'appareil judiciaire. La codification de ces pratiques permettra de les étendre partout au Canada et contribuera à la réduction des retards en matière criminelle ainsi qu'à l'efficacité du système judiciaire.
Je vais maintenant aborder la suppression des récusations péremptoires lors de la composition d'un jury.
Le projet de loi abolit la récusation péremptoire de jurés. Cette mesure semble s'inspirer d'un procès fortement médiatisé en Saskatchewan pour lequel le jury constitué ne reflétait pas la diversité de la communauté où était tenu le procès.
Le Barreau du Québec considère que la mesure proposée par le projet de loi rate sa cible. Bien entendu, nous trouvons déplorable la tactique de certains avocats — cela se produit parfois, en effet — consistant à utiliser les demandes péremptoires pour écarter systématiquement des candidats jurés pour un motif discriminatoire, notamment la race ou l'origine ethnique.
Nous considérons toutefois qu'abolir simplement les récusations péremptoires n'est pas la solution. Les récusations péremptoires ont toujours eu leur utilité pour l'ensemble des plaideurs rompus aux procès devant jury. Voici pourquoi. Les avocats perçoivent en effet dans l'apparence, dans les propos et dans le langage non verbal d'un candidat juré qu'il ou elle n'aura pas la capacité d'écoute objective suffisante pour entendre la preuve qu'ils comptent présenter et pour poser un jugement impartial quant à celle-ci. Elles permettent aussi de s'assurer que l'accusé accepte la légitimité du jury et, par extension, le verdict et la sentence qui seront prononcés. Il est également important de mentionner que les récusations péremptoires se font souvent en vertu d'un consentement entre les deux parties. Il est important de garder cela en tête.
Le Barreau du Québec est toutefois d'accord que la composition des jurés doit refléter la diversité de la société canadienne. Ainsi, nous proposons que le Code criminel soit modifié afin de prévoir que l'une ou l'autre des parties puisse demander au juge d'aiguiller la composition du jury lorsqu'une partie semble de mauvaise foi dans l'utilisation des demandes péremptoires ou lorsque le jury, pour des raisons autres, n'est pas représentatif de la communauté. Le juge, en tenant une audition à cet effet, pourrait nommer des jurés pour que certains soient issus de la diversité. Encore une fois, je considère important de mentionner que l'immense majorité des avocates et des avocats sont, bien sûr, de bonne foi lorsque des récusations péremptoires sont utilisées.
Je vais maintenant parler des conséquences des modifications sur la division d'appel de la Cour supérieure.
Le Barreau du Québec craint que le fait d'augmenter de manière importante le nombre d'infractions mixtes et de repousser à un an la période de prescription des infractions sommaires n'ait des répercussions potentielles sur la Cour supérieure, celle-ci agissant en appel dans ces dossiers.
Nous souhaitons donc nous assurer qu'il y aura plus de ressources pour les cours supérieures afin qu'elles puissent traiter cette hausse de volume des dossiers sans augmenter les retards, que l'on souhaite par ailleurs réduire. Je pense qu'il est important de préciser que nous sommes en général d'accord pour qu'il y ait davantage d'infractions mixtes. C'est une très bonne chose.
Quant au remplacement de certains termes dans les dispositions constitutives d'infractions, nous remarquons que, pour plusieurs infractions, l'adverbe « volontairement » ou l'expression « dans l'intention de » ont été remplacés par « sciemment ». Nous nous interrogeons sur la portée de ces modifications.
S'agit-il d'un simple exercice de sémantique, comme le laisserait entendre la décision dans R. c. Sault Ste. Marie, qui emploie comme des synonymes les termes « volontairement » et « sciemment »? S'agit-il plutôt d'une volonté de modifier ces infractions pour qu'elles passent d'infractions à intention spécifique à des infractions à intention générale?
Le changement des termes laisse croire qu'il existe une intention de modifier les critères applicables, puisque, comme l'affirme la Cour suprême, le législateur ne parle pas pour ne rien dire. Ainsi, ces modifications sont de nature à engendrer des difficultés quant à leur interprétation et à soulever des litiges.
Je vais maintenant aborder la proposition de permettre uniquement à des procureurs de déposer des accusations.
En complément de ce qui est prévu par le projet de loi, le Barreau du Québec propose que les accusations pour des infractions prévues au Code criminel puissent être déposées uniquement par des procureurs. Il arrive souvent que des accusations soient abandonnées faute de preuve ou en présence de faits disculpatoires portés à la connaissance des autorités. De plus, des accusations peuvent être portées malgré leur caractère technique ou peu important, ou malgré le fait qu'il ne soit pas opportun de le faire eu égard à la justice. Pour diminuer ce risque, la Colombie-Britannique, le Nouveau-Brunswick et le Québec ont fait le choix d'octroyer uniquement aux procureurs le pouvoir de porter des accusations.
Au Québec, cette mesure est d'autant plus efficace que les procureurs ont discrétion, lorsque les circonstances s'y prêtent, pour appliquer une solution autre que la judiciarisation, notamment le traitement non judiciaire du dossier ou un programme de mesures de rechange, lorsque la personne admet sa responsabilité.
Ainsi, la vérification préinculpatoire par les procureurs permet de réduire les retards en désengorgeant le système d'une partie des cas qui peuvent être traités autrement sans nuire à l'intérêt public ou qui n'auraient vraisemblablement pas tenu la route au procès. En effet, comme l'affirme la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Sciascia, cette pratique permet d'aider le système judiciaire particulièrement surchargé.
Avec l'accord des provinces et des territoires, puisqu'il s'agit d'administration de la justice, cette règle devrait être inscrite dans une loi pour uniformiser cette pratique partout au Canada. Au minimum, elle devrait favoriser le recours à ces vérifications préinculpatoires, comme le fait le paragraphe 23(1) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.
Voilà qui fait le tour des enjeux principaux que le Barreau du Québec voulait aborder avec vous, monsieur le président et membres du Comité, dans le cadre des consultations sur le projet de loi . Des explications plus détaillées sur les différents enjeux que nous venons de présenter se retrouvent dans le mémoire que nous vous avons soumis, lequel est également disponible sur le site Web du Barreau. Nous espérons que notre présentation va contribuer à votre réflexion.
Dans cette réflexion, nous avons relevé volontairement les parties du projet de loi que nous voudrions qu'on modifie. J'aimerais quand même préciser qu'il y a beaucoup de bonnes choses dans ce projet de loi. Cela dit, pour alimenter la réflexion et utiliser notre temps efficacement, nous avons concentré nos réflexions sur les endroits où nous croyons que des modifications devraient être apportées.
Nous pouvons maintenant répondre à vos questions.
Merci, monsieur le président.
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Bonjour. Merci beaucoup de nous permettre de témoigner au sein de ce groupe. Je m'appelle Paul Doroshenko. Je suis avocat de la défense en droit pénal, à Vancouver. Kyla Lee est ma collègue et probablement l'avocate en matière de conduite avec facultés affaiblies la plus occupée de la Colombie-Britannique, et elle dirige la Canadian Impaired Driving Lawyers Association.
Nous sommes bien placés pour parler de trois choses aujourd'hui, et nous voudrions présenter des données probantes à leur sujet. La première, c'est le changement lié au fardeau de la preuve relativement à la remise en liberté provisoire dans le cas des personnes qui sont accusées de voies de fait contre un membre de la famille. La deuxième, c'est la modification de la prescription pour déposer une accusation en ce qui a trait aux infractions sommaires, laquelle passera de six mois à un an. La troisième, qui — comme nous l'avons déjà entendu dire — est très litigieuse, c'est la question des agents de police qui fournissent des éléments de preuve au moyen d'affidavits. À nos yeux, cette disposition pose un problème important, car, si on l'examine, en ce qui nous concerne, il semble que les policiers peuvent essentiellement présenter l'ensemble de leurs moyens par affidavit.
Si vous jetez un coup d'œil à la disposition qui a déjà été mentionnée — les éléments de preuve de routine présentés par la police —, elle contient une définition de ce terme, laquelle est censée orienter les juges ainsi que, je suppose, les procureurs et les avocats de la défense en ce qui concerne ces demandes et la présentation des éléments de preuve au moyen d'affidavits. Si vous regardez la liste, de ce qui constitue des éléments de preuve de routine présentés par la police, qui y figure, il s'agit de l'ensemble d'une enquête policière: la collecte des éléments de preuve et les observations des agents de police. Ce sont des activités qui ont lieu dans le cadre de la plupart des enquêtes sur des infractions sommaires. Si on s'occupe, par exemple, d'une affaire de conduite avec facultés affaiblies, le fait pour un agent de police d'intercepter la personne et d'exiger un alcootest au moyen d'un ADA constitue un élément de preuve de routine présenté par la police. C'est aussi le cas lorsque la personne interceptée échoue à l'alcootest routier par analyse d'haleine au moyen d'un ADA, tout comme la formulation d'observations d'éléments de preuve concernant l'état d'une personne, comme si elle a la langue empâtée. Toutes ces situations sont des éléments de preuve de routine présentés par la police.
Je crains particulièrement que la présentation d'éléments de preuve de cette manière n'entraîne des poursuites injustifiées, plus particulièrement dans les cas où les accusés se représentent par eux-mêmes et ne connaissent pas toute la procédure consistant à présenter une demande aux tribunaux afin de s'opposer à celle de la Couronne qui souhaite se fonder sur des éléments de preuve présentés au moyen d'un affidavit. Du point de vue d'un avocat de la défense, évidemment, c'est quelque chose que nous allons contester, mais, depuis que j'ai lu l'article en question, je tente de me rappeler une seule affaire dans ma carrière — et elle s'étend sur 18 ou 19 années — dans laquelle un agent de police a témoigné lors d'un procès et où je n'avais aucune question à lui poser sur le fondement de son témoignage. J'essaie d'imaginer une affaire dans laquelle les éléments de preuve de routine seront présentés par la police dans des circonstances qui ne seront aucunement litigieuses ou sur lesquelles je ne fonderai pas, d'une manière ou d'une autre, les arguments que je voudrais utiliser pour la défense de mon client.
En réalité, le problème se résume — il s'agit de l'un des problèmes fondamentaux que pose l'article — au fait que nous devons présenter le plaidoyer de notre client au tribunal. Nous devons présenter notre version des événements aux témoins qui comparaissent devant le tribunal. Alors, si la Couronne arrive et procède ainsi, au moyen de cet affidavit seulement, comment pouvons-nous donner notre version des événements à la personne en question? Comment le juge peut-il faire une constatation des faits? Comment peut-il évaluer la crédibilité des éléments de preuve dans les situations où tout ce dont il disposera est un affidavit provenant d'un agent de police? Eh bien, il pourra procéder de deux façons différentes. En tant que juge, il pourra se contenter d'accepter tout ce que les agents de police ont mis dans l'affidavit, et je peux vous affirmer que je ne pense pas que cela va se produire. L'autre possibilité est qu'il dira tout simplement: « eh bien, d'accord, une autre personne affirme que quelque chose n'a pas eu lieu de cette manière ». L'agent de police ne s'est pas présenté pour témoigner. Il n'y a eu aucun contre-interrogatoire ni aucune vérification de ces éléments de preuve, alors, au bout du compte, il admettra seulement le témoignage qu'il aura entendu des personnes qui contredisent ce qu'aura présenté l'agent de police dans l'affidavit.
Ce sont des situations que nous avons déjà observées en Colombie-Britannique dans le cas du régime d'interdiction immédiate en bordure de la route, et c'est quelque chose dont Mme Lee s'occupe tout le temps.
Voulez-vous prendre la parole?
Je vous remercie de me donner l'occasion de témoigner devant Le Comité aujourd'hui. Il s'agit d'un projet de loi volumineux, c'est pourquoi, pour économiser du temps, je ne vais pas me présenter, ni présenter mon organisation.
Nous appuyons les objectifs du projet de loi et saluons le fait que le gouvernement a pris des mesures pour régler bon nombre de problèmes touchant le système de justice qui font qu'une réforme s'impose. Nous nous réjouissons en particulier de l'attention portée au nombre astronomique d'affaires relatives aux infractions contre l'administration de la justice portées devant nos tribunaux de juridiction criminelle; au système de cautionnement, fondé sur une trop grande prudence à l'égard des risques et qui entraîne la détention d'un trop grand nombre de personnes et trop de mises en liberté assorties de conditions trop restrictives; à la discrimination fondée sur la race touchant le système de jurés; et à la grande iniquité qu'entraîne l'imposition obligatoire d'une suramende compensatoire. Nous sommes d'avis qu'une réforme touchant, entre autres, un grand nombre de ces aspects s'impose depuis longtemps.
Aujourd'hui, mon exposé portera sur le cautionnement et les infractions contre l'administration de la justice, car je crois que ces points ne seront peut-être pas beaucoup abordés par d'autres témoins. Nous appuyons l'objectif de ces modifications, mais nous sommes d'avis qu'elles ne suffisent pas. Un grand nombre des modifications proposées codifient des lois en vigueur. Les avocats, les juges et les juges de paix doivent connaître ces lois. Il est utile d'inscrire des précisions dans un texte législatif, mais pour modifier de façon véritable notre système de cautionnement et son fonctionnement, nous croyons qu'il est nécessaire d'appliquer des réformes plus fondamentales. Je vais en présenter un certain nombre dans les propositions.
Toutefois, je souhaite d'abord souligner trois aspects touchés par ce projet de loi qui nous causent d'importantes préoccupations: le traitement réservé aux éléments de preuve présentés par la police, la nouvelle peine maximale proposée pour les infractions punissables par procédure sommaire et les limites quant au recours aux enquêtes préliminaires. Je serai brève, mais c'est avec plaisir que je répondrai à des questions sur ces sujets.
Premièrement, nous sommes d'avis que les articles 278 et 294, qui contiennent les dispositions relatives à l'admissibilité d'éléments de preuve présentés par la police, sont, pour le moins, superflus. Le Code criminel contient déjà des dispositions permettant de présenter des déclarations de fait devant les tribunaux. Ces articles sont, au pire, une grave atteinte à la présomption d'innocence et au droit à un procès équitable. Ils devraient être entièrement supprimés.
Deuxièmement, en ce qui concerne le fait de faire passer la peine maximale pour les infractions punissables par procédure sommaire de six mois à deux ans moins un jour, je ne crois pas que l'intention du législateur était d'augmenter la sévérité des peines imposables au titre du Code criminel. Nous sommes très préoccupés par le fait que ce serait là l'incidence collatérale de cette modification. Il y a des conséquences importantes dans le domaine de l'immigration du fait d'augmenter les peines maximales. En raison de la définition de « grande criminalité » énoncée dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, cette modification aurait pour effet d'accroître considérablement les risques juridiques pour les personnes trouvées coupables d'infractions punissables par procédure sommaire. Cela signifie aussi qu'un nouveau groupe de personnes pourraient être interdites de territoire aux États-Unis uniquement en raison de la peine maximale dont ils seraient passibles. Nous sommes d'avis qu'on ne devrait pas adopter ces modifications relatives aux peines sans apporter des modifications connexes du moins à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.
Pour terminer, nous avons examiné des rapports dont les conclusions favorisent la suppression des enquêtes préliminaires, et, selon nous, les avis divergent à ce sujet. Certains soutiennent que ce changement aura des incidences. Selon l'étude universitaire la plus récente, la suppression des enquêtes préliminaires n'aurait aucune incidence sur l'efficience du système de justice pénale. Nous avons entendu nos experts parmi les avocats de la défense et l'exposé présenté par la Criminal Lawyers Association. Nous sommes préoccupés par les incidences sur le nombre de condamnations injustifiées et d'échec de procès en raison de la suppression de cette étape du système judiciaire. Les enquêtes préliminaires se déroulent de façon différente d'une province à l'autre, donc les effets varieront en fonction du lieu de pratique. Nous ne croyons tout simplement pas que les preuves à l'appui des avantages apportés par cette modification l'emportent sur le risque touchant le processus judiciaire.
Cela dit, je vais utiliser le reste du temps qui m'est alloué pour aborder l'aspect du cautionnement et des infractions contre l'administration de la justice. Nous proposons huit amendements distincts — je vais passer brièvement sur certains d'entre eux — qui, selon nous, auront un effet plus global pour rétablir l'équité, le respect de la présomption d'innocence et l'imposition de cautionnements raisonnables au Canada.
Tout d'abord, nous recommandons avec insistance une plus grande harmonisation du texte contenu dans ce projet de loi. Les dispositions de la loi sont très claires quant aux formes restrictives de mise en liberté et aux conditions qui ne doivent être imposées que lorsque cela est nécessaire en raison de motifs de détention prévus dans la loi. Si nous examinons, par exemple, les dispositions relatives aux conditions pouvant être imposées par la police qui figurent dans le projet de loi C-75, on constate qu'un agent de la paix peut imposer des conditions « pour empêcher que l’infraction se poursuive ou se répète ou qu’une autre infraction soit commise ». Cela est beaucoup plus large que les motifs de détention prévus par la loi actuellement. J'ose espérer que ce n'était pas l'intention du gouvernement d'accroître le pouvoir des agents de la paix quant à l'imposition de conditions au moment de la mise en liberté d'un accusé. Il s'agit d'un pouvoir très important permettant d'imposer des conditions restrictives.
Il y a d'autres endroits dans ce projet de loi où il est mentionné que des conditions peuvent être imposées s'il est estimé qu'elles sont indiquées. Ce genre de formulation doit être harmonisée de façon systématique avec la jurisprudence relative à la Charte et les arrêts de la Cour suprême du Canada portant sur la légalité des conditions imposées en tenant compte du droit à un cautionnement raisonnable garanti par la Charte.
Nous sommes aussi d'avis qu'il est possible d'apporter des améliorations importantes en traitant la question de la procédure des audiences sur la libération sous caution. En Ontario, par exemple, c'est pratique courante de présumer qu'il est nécessaire d'exiger une caution, et, quand les avocats de la défense font des observations pour faire valoir une contestation dans le cadre d'une audience sur la libération sous caution, ils ressentent fréquemment le besoin de communiquer avec une caution possible avant de connaître la forme appropriée de mise en liberté, même si le fardeau appartient à la Couronne, parce que, si l'avocat de la défense ne communique pas avec une personne en mesure d'agir à titre de caution et qu'il est estimé qu'une caution est nécessaire, son client sera alors détenu.
Dans la décision Tunney, rendue en février, le tribunal a utilisé l'arrêt Antic de la Cour suprême du Canada et a affirmé qu'il est nécessaire de scinder la procédure relative à la libération sous caution dans nos tribunaux afin de maintenir le deuxième principe relatif à la caution. Cela signifie que, avant qu'il soit nécessaire pour la défense de faire appel à une caution, le tribunal doit décider de la forme de mise en liberté qui doit s'appliquer. Dans les situations où le fardeau lui appartient, la Couronne doit prouver qu'il n'est pas nécessaire à ses yeux d'exiger une caution pour la personne en cause, et ce n'est qu'après que le prévenu doit présenter, ou qu'on l'invite à présenter, des éléments de preuve relativement au type de cautionnement qui est approprié.
Il s'agit d'un important changement dans les tribunaux ontariens saisis de demandes de libération sous caution. Cette nouvelle pratique s'impose lentement à l'échelle de la province, mais le changement est toujours une chose difficile, en particulier dans le domaine des cautionnements. Le Comité a une occasion incroyable de renforcer cette pratique de façon importante et de véritablement changer les choses, en particulier en Ontario, en ce qui concerne les décisions en matière de cautionnement.
Troisièmement, je recommande vivement aux membres du Comité d'examiner les situations dans lesquelles des personnes seront possiblement maintenues en détention avant le procès pour une période plus longue que celle qu'elles auraient purgée si elles étaient déclarées coupables. Il n'est pas inhabituel qu'une personne maintenue en détention avant le procès doive faire un choix. Elle peut demeurer en détention et attendre son procès. Elle peut attendre l'audience dans les cas de contestation de la libération sous caution, ou elle peut plaider coupable et être mise en liberté plus rapidement. C'est une situation dans laquelle personne ne devrait se trouver. Notre processus qui précède le procès ne devrait pas être plus punitif que les peines pouvant être imposées. Actuellement, il n'y a aucune disposition dans le Code criminel relativement à cette situation. Selon Mme Marie-Eve Sylvestre, il faut ajouter une disposition qui prévoit que, si une personne était vraisemblablement condamnée à une certaine période d'emprisonnement, elle ne devrait pas subir une détention avant le procès plus longue que la période d'emprisonnement qui pourrait lui être imposée.
Nous proposons deux amendements au projet de loi — j'ai en main un mémoire que je distribuerai après mon témoignage — qui, à notre avis, permettraient véritablement de régler cette situation et d'accroître l'équité pour les personnes touchées.
Quatrièmement, il y a la question des motifs secondaires de mise en détention. Il s'agit des motifs de détention les plus fréquemment liés à la sécurité publique. Dans l'arrêt Morales, la Cour suprême a examiné le droit à la mise en liberté assortie d'un cautionnement raisonnable et a affirmé que les motifs secondaires de détention doivent être interprétés de façon restrictive pour assurer le respect des droits garantis par la Charte. Ce ne sont pas tous les risques pour la sécurité publique ni tous les risques qu'une personne commette une infraction criminelle qui justifient le maintien en détention ou l'imposition de conditions restrictives. Il doit exister un risque important que la personne commette une autre infraction et que ce geste ait une incidence sur la sécurité publique ou la sécurité d'une personne.
Toutefois, les motifs secondaires sont interprétés de façon assez large par les tribunaux saisis de demandes de mise en liberté sous caution; c'est pourquoi il est tentant — et je crois que nous pouvons le constater, de fait, dans le texte de ce projet de loi qui porte sur les conditions de mise en liberté imposées par un agent de la paix — d'affirmer que tout risque qu'une personne commette une autre infraction justifie une forme de mise en liberté restrictive ou l'imposition de conditions restrictives. Nous sommes d'avis qu'il est possible de modifier le libellé des dispositions du Code criminel pour mieux refléter la Charte ainsi que les arrêts de la Cour suprême à ce sujet, et nous avons des propositions à faire en ce sens.
Je vais terminer rapidement le reste de l'exposé. Nous sommes d'avis qu'il serait très utile d'élargir la portée de la révision de l'ordonnance relative à la mise en liberté sous caution. Actuellement, les possibilités sont plutôt restreintes pour que la défense puisse contester une décision relative à une mise en liberté sous caution. En ce qui concerne le renversement du fardeau de la preuve prévu dans le Code criminel, de nombreuses personnes ont recommandé d'abroger les dispositions relatives à ces renversements de fardeau de la preuve. On ne fait pas cela dans ce projet de loi. On ajoute plutôt un nouveau renversement du fardeau de la preuve qui, à nos yeux, pose grandement problème. Nous souhaiterions plutôt voir accroître la flexibilité en ce qui concerne l'endroit où un prévenu peut être renvoyé après la première audience. Cela donnerait plus de souplesse aux autorités provinciales au moment de traiter les cas des personnes de collectivités éloignées.
Nous souhaitons qu'une condamnation antérieure ne soit pas un facteur aggravant au moment d'examiner une demande de mise en liberté sous caution; il conviendrait donc de supprimer l'alinéa 515(3)b), dont le libellé mentionne spécifiquement que le fait qu'une personne a antérieurement été condamnée pour une infraction criminelle constitue l'un des deux facteurs qui doivent être pris en compte dans le cadre d'une demande de mise en liberté sous caution.
Je vais m'arrêter ici. Nous allons distribuer notre mémoire; je suis consciente que ces propositions étaient détaillées.
Je répondrai avec plaisir aux questions sur la procédure liée aux mesures de rechange relatives aux infractions contre l'administration de la justice, que je n'ai pas abordées, mais à l'égard de laquelle nous avons des préoccupations importantes.
Nous sommes très heureux d'avoir l'occasion de présenter au Comité permanent de la justice et des droits de la personne notre point de vue sur le projet de loi . Faute de temps, je ne vous parlerai pas en détail des Aboriginal Legal Services, mais je soulignerai que notre nom ojibway est Gaa kinagwii waabamaa debwewin, ce qui signifie « Tous ceux qui disent la vérité ».
Nous allons axer notre témoignage aujourd'hui sur quatre aspects du projet de loi qui nous semblent constituer clairement des avancées; sur deux dispositions qui sont, selon nous, des reculs importants; et sur une omission flagrante, qui représente une promesse brisée envers les peuples autochtones.
Commençons par les quatre dispositions du projet de loi que nous appuyons. Premièrement, nous appuyons totalement l'abolition de la récusation péremptoire dans les procès avec jury. Depuis plus de 10 ans, nous avons considérablement travaillé sur la question de la représentation autochtone dans les jurys, ou plus précisément de la sous-représentation. La négligence du gouvernement et le recours à la récusation péremptoire ont eu un effet corrosif sur les efforts destinés à encourager les Autochtones à se porter volontaires pour être jurés. Nous savons que le Comité entendra demain le témoignage du professeur Kent Roach à ce sujet; nous avons déjà lu ses mémoires, et souhaitons d'ores et déjà affirmer que nous appuyons de tout coeur ses positions.
Pour cette raison, nous ne nous étendrons pas davantage sur la récusation péremptoire et passerons au deuxième aspect pour lequel nous croyons que le projet de loi constitue un réel pas en avant, c'est-à-dire la véritable décriminalisation d'un grand nombre d'infractions contre l'administration de la justice. L'une après l'autre, les études montrent que les Autochtones sont largement surreprésentés parmi les personnes accusées d'infractions contre l'administration de la justice, pour lesquelles ils reçoivent souvent une peine d'emprisonnement.
Et, tout aussi souvent, ces condamnations elles-mêmes restreignent la mise en liberté sous caution en cas de nouvelle arrestation, et bien des personnes décideront de plaider coupables à des infractions qu'elles n'ont pas commises simplement pour éviter une détention avant procès. Vous en avez déjà entendu parler. Le problème sous-jacent, dans ce cas, est le recours excessif à d'inutiles conditions de mise en liberté sous caution par les juges et les juges de paix devant l'insistance, il faut le dire, des procureurs de la Couronne. Espérons que le recours à ces conditions diminuera quand il deviendra clair que leur non-respect ne mènera pas à de nouvelles déclarations de culpabilité ni à l'emprisonnement.
La question de la mise en liberté sous caution nous mène à la troisième modification que nous appuyons vivement, c'est-à-dire celle qui intègre les principes de l'arrêt Gladue à la mise en liberté sous caution. Même si les tribunaux de la plupart des régions du pays en sont arrivés eux-mêmes à cette conclusion, cette modification fera en sorte que la loi s'appliquera uniformément partout.
Enfin, il y a la suramende compensatoire. Il y a déjà longtemps qu'on aurait dû redonner aux juges le pouvoir discrétionnaire d'imposer ou non une suramende compensatoire. Il s'agit là d'un changement important et très nécessaire.
Je vais maintenant vous parler des deux dispositions qui, selon nous, devraient être réexaminées. La première est celle qui renverse le fardeau de la preuve lorsqu'une personne accusée d'une infraction liée à la violence familiale demande sa mise en liberté sous caution alors qu'elle a déjà été reconnue coupable du même genre d'infraction. Les Aboriginal Legal Services prennent la violence familiale très au sérieux et en connaissent trop bien les conséquences sur les femmes et les filles autochtones.
En même temps, nous savons aussi très bien que bon nombre de tentatives bien intentionnées visant à contenir le fléau de la violence familiale non seulement seront vaines, mais pourraient avoir des conséquences néfastes inattendues sur les personnes mêmes qu'elles sont censées aider. Dans ce contexte, nous voulons souligner le phénomène de la mise en accusation double, qui survient quand un homme accusé de voies de fait contre sa conjointe insiste pour dire que c'est elle « qui a commencé » et qui devrait être accusée. Cela a eu pour conséquence que de plus en plus de femmes se retrouvent empêtrées dans le système de justice pénale. La mise en accusation double a entre autres pour effet que des femmes se retrouvent accusées de voies de fait alors qu'elles n'auraient jamais dû l'être. Si ces dispositions sont adoptées, et que leurs conjoints les accusent encore de violence, elles pourraient se buter à l'inversion du fardeau de la preuve. Par conséquent, elles seront détenues et risquent de plaider coupables, ce qui perpétuera le cycle encore et encore.
Vous devez savoir que plus de 40 % des femmes actuellement détenues sont autochtones. Cette disposition du projet de loi ne fera qu'aggraver une situation déjà honteuse. Si une personne qui a déjà été accusée de violence familiale l'est de nouveau, et que l'on juge qu'elle présente un risque pour la sécurité publique, pour quelqu'un d'autre ou pour la collectivité en général, il convient de refuser la mise en liberté sous caution. Il n'est pas nécessaire de recourir à l'inversion du fardeau de la preuve, car cela ne permettra pas d'atteindre l'objectif visé et aura plutôt des conséquences tragiques pour beaucoup de femmes autochtones.
Nous sommes également préoccupés par l'augmentation du nombre d'« infractions » dites punissables par procédure très sommaire. Nous avons plus de 25 ans d'expérience de travail avec les Autochtones devant les tribunaux pénaux, et nous savons ce qui arrivera si la durée de la peine maximale est augmentée pour la plupart des infractions punissables par déclaration sommaire de culpabilité: les procureurs insisteront pour que ces peines supérieures soient imposées, et les juges les imposeront, parce que ce sera justifié par la volonté du Parlement.
C'est un exemple parfait de ce que les criminologues appellent un « élargissement du filet ». S'il est nécessaire d'avoir des « super infractions » de ce type pour les cas où des infractions punissables par voie sommaire deviendraient des accusations mixtes — et j'ai bien dit « si » —, alors peut-être que leur utilisation est justifiable. Présentement, cependant, la promesse d'augmenter le nombre d'infractions mixtes sert de cheval de Troie et vise à faire augmenter largement et de manière injustifiée la peine maximale imposée pour les infractions punissables par déclaration sommaire de culpabilité.
Pour terminer, permettez-moi de vous parler un peu de ce qui manque dans ce projet de loi. Comme il se veut exhaustif et qu'il touche déjà de nombreuses questions, petites et grandes, nous trouvons renversant qu'on évite d'y mentionner ce qui saute aux yeux, soit la prolifération des peines minimales obligatoires et les restrictions injustifiées à l'accès aux peines d'emprisonnement avec sursis. Il s'agit du plus grand changement apporté au système de justice pénale au Canada au XXIe siècle.
Le gouvernement actuel sait bien que les peines minimales obligatoires sont inefficaces. La elle-même en a parlé. Il y a presque un an exactement, le 29 septembre 2017, pour être précis, elle a déclaré ce qui suit à propos des peines minimales obligatoires:
Il ne fait absolument aucun doute que les peines minimales obligatoires ont un effet disproportionné sur les Autochtones, de même que sur les autres populations vulnérables. Les données sont claires. L'accroissement du recours aux peines minimales obligatoires depuis une dizaine d'années a contribué à la surreprésentation des Autochtones, des membres des communautés racialisés et des femmes dans notre système carcéral. Les juges sont bien outillés pour évaluer les contrevenants qui comparaissent devant eux et pour veiller à ce que la peine soit proportionnelle au crime.
L'un des objectifs de ce projet de loi est d'accroître l'efficacité et de désencombrer les tribunaux. Pourtant, il y a beaucoup, beaucoup de contestations fondées sur la Charte devant le tribunaux en ce moment, et beaucoup d'autres sont envisagées pour contester les peines minimales obligatoires. J'ai pris part à un certain nombre de ces contestations, et je peux vous dire qu'elles prennent beaucoup de temps aux tribunaux. Chaque jour où le gouvernement tarde à se pencher sur l'incidence des peines minimales obligatoires, des gens sont emprisonnés inutilement. Je dis bien: tous les jours.
Si vous vous demandez quelle est l'incidence des peines minimales obligatoires sur les Autochtones, vous n'avez qu'à regarder le nombre de contestations déposées par des contrevenants autochtones et à écouter les mots mêmes de la . Le gouvernement au pouvoir a promis de légiférer afin d'honorer toutes les recommandations de la Commission de vérité et de réconciliation qui relèvent de sa compétence. Le 32e appel à l'action se lit comme suit: « Nous demandons au gouvernement fédéral de modifier le Code criminel afin de permettre aux juges de première instance, avec motifs à l’appui, de déroger à l’imposition des peines minimales obligatoires de même qu’aux restrictions concernant le recours aux peines d’emprisonnement avec sursis. »
Mesdames et messieurs les membres du Comité, il est plus que temps de répondre à cet appel à l'action. Si le projet de loi n'est pas modifié pour rectifier le tir en ce qui concerne les peines minimales obligatoires et les restrictions au recours aux peines d'emprisonnement avec sursis, rien n'arrivera avant les prochaines élections, et si rien n'arrive avant les prochaines élections, il faudra encore attendre des années avant que quelque chose ne se passe.
Le gouvernement actuel ne croit pas à l'utilité des peines minimales obligatoires. Le gouvernement croit non seulement qu'elles sont inefficaces, mais qu'elles contribuent aux inégalités dans le système de justice, et il a parfaitement raison à ce sujet. Rien ne peut justifier d'attendre plus longtemps; il n'y a pas d'excuse. Nous savons ce qu'il faut faire et nous savons qu'il faut le faire maintenant.
Merci. Meegwetch
Comme on l'a déjà dit, je suis le président élu du Barreau de l'Ontario. Mme Clément est conseillère attitrée. Derrière moi se trouve John Callaghan, conseiller élu. Nous vous remercions de nous avoir invités à témoigner aujourd'hui.
Le Barreau de l'Ontario réglemente plus de 53 000 avocats ainsi que 8 500 parajuristes titulaires d'un permis. La loi nous oblige à protéger l'intérêt public, à promouvoir la cause de la justice, à assurer la primauté du droit et à faciliter l'accès à la justice. Nous sommes un organisme qui réglemente les services juridiques dans l'intérêt du public.
La portée du projet de loi est très large, c'est pourquoi nos commentaires sont axés sur les dispositions qui relèvent de notre compétence comme organisme juridique indépendant. Nous allons aborder également les importantes conséquences néfastes potentielles sur l'accès à la justice que nous jugeons importantes. Nous croyons qu'il s'agit de conséquences inattendues des dispositions proposées dans le projet de loi C-75 et qu'il serait possible de les corriger.
Comme vous le savez, en vertu du Code criminel, les agents réglementés peuvent comparaître pour des affaires d'infractions simples. C'est pourquoi les parajuristes, en Ontario, sont réglementés depuis une dizaine d'années. La Cour d'appel de l'Ontario a reconnu il y a de nombreuses années à quel point cela était important, et des mesures ont été prises en conséquence en 2007.
Les parajuristes, les étudiants en droit, les stagiaires en droit et les candidats à un permis d'exercice d'avocat sont des agents. Ils peuvent comparaître pour des questions de déclaration sommaire de culpabilité. Or, l'article 802.1 interdit à un agent réglementé de comparaître si la partie défenderesse est passible d'un emprisonnement de plus de six mois. La conséquence est ce que M. Rudin a décrit il y a un petit moment: les agents ne peuvent pas comparaître devant les tribunaux pour les infractions très sommaires parce que la nouvelle peine par défaut sera supérieure à six mois d'emprisonnement.
Comme vous le savez — et le groupe de témoins précédent vous en a parlé —, l'élimination des peines de six mois pour les infractions mineures et le fait d'imposer une peine maximale par défaut de deux ans moins un jour d'emprisonnement aura la conséquence inattendue — mais très importante — d'empêcher les étudiants en droit, les stagiaires en droit, les candidats à un permis d'exercice, les parajuristes et les agents des autres provinces de comparaître dans les affaires d'infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
En Ontario, les agents réglementés jouent un rôle important dans le système de justice pénale. Les parajuristes sont des professionnels du droit indépendant qui sont agréés et réglementés par le Barreau de l'Ontario. Ils fournissent un ensemble précis de services réglementés, par exemple lorsqu'ils comparaissent pour des infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Dans l'ensemble, en Ontario, les parajuristes fournissent la plus grande partie des services juridiques visant des affaires d'infractions criminelles ou quasi criminelles. Beaucoup d'entre eux affirment qu'une très grande part de leurs activités consiste à représenter des clients accusés d'infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
Les stagiaires et les étudiants en droit participent aux audiences devant les tribunaux. Les stagiaires en droit assistent fréquemment aux audiences des cours ou des tribunaux et prennent la parole à propos de questions administratives de routine, par exemple, les ajournements sans opposition, les motions de consentement, les notions non contestées et la fixation des dates. Les stagiaires tiennent également régulièrement ou fréquemment des audiences ou des procès autorisés. Leur participation aux affaires de déclaration de culpabilité par procédure sommaire fait partie de ces activités. Il est donc très important que ces services puissent continuer d'être offerts par ceux qui les offrent actuellement.
Nous sommes conscients que nous tous ici présents, le gouvernement y compris, avons un objectif commun, c'est-à-dire de faciliter l'accès à la justice, de réduire les retards judiciaires et de renforcer l'équité. Nous reconnaissons que le projet de loi comprend certaines dispositions élaborées dans ce but et à cet effet. Cependant, la disposition qui fera passer de six mois à deux ans moins un jour la durée des peines pour les infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire entraîne trois problèmes importants.
Mme Clément abordera les deux premiers.
:
Merci et bonsoir. Je vous suis très reconnaissant de m'avoir invité à témoigner devant vous ce soir.
[Français]
Je voudrais remercier les membres du Comité de cette invitation.
[Traduction]
Voici ce que j'ai à dire.
Si je suis ici ce soir, c'est surtout pour vous parler en particulier des conséquences des dispositions législatives concernant les maisons de débauche sur les personnes de la communauté LGBTQ au fil des années. Même si j'approuve la proposition d'abroger les dispositions sur les relations sexuelles anales du Code criminel, je tiens à préciser que ce n'était pas les seules dispositions qui ont été utilisées injustement contre les personnes LGBTQ de ma collectivité.
J'aimerais tout d'abord vous raconter les événements qui ont eu lieu la nuit du 5 février 1981. Cette nuit est restée gravée à tout jamais dans ma mémoire, malgré tous mes efforts pour l'oublier.
Cette nuit-là, j'étais dans un sauna de Bay Street. Pour ceux qui ne le savent pas, il s'agit d'un endroit fréquenté par les hommes cherchant à avoir des relations sexuelles consensuelles avec d'autres hommes. J'y avais déjà été plusieurs fois. J'avais 34 ans, j'étais sorti du placard et je voulais profiter de ma nouvelle liberté sexuelle dans un endroit que l'on disait sécuritaire. Malheureusement, ce qui s'est passé en réalité, cette nuit-là, c'est que j'ai fait connaissance pour la première fois avec l'État et avec la police qui avait pris l'initiative d'appliquer la loi archaïque sur les maisons de débauche, encore en vigueur sur papier et dans la loi, même aujourd'hui. J'espère vivement que ces dispositions seront abrogées dans le projet de loi C-75.
Cette nuit-là, la police nous a brutalement arrêtés et nous a traités de « sales pédés ». Nous avons été arrêtés parce que nous nous trouvions « dans une maison de débauche d'après la loi ». La police soupçonnait peut-être qu'il y avait eu échange d'argent contre des services sexuels, mais cela n'a jamais été prouvé devant les tribunaux. Tous les saunas de la ville ont été saccagés cette nuit-là, et en résultat, plusieurs ont fermé leurs portes définitivement ensuite.
L'automne dernier, lorsque le premier ministre a présenté ses excuses à la communauté LGBTQ, il a mentionné les descentes dans les bains publics et les dispositions sur les maisons de débauche en particulier. Malgré tout, ceux d'entre nous qui se sont fait arrêter à cause de ces dispositions sont restés ignorés dans le plus récent projet de loi, le projet de loi , le projet de loi sur la radiation. J'ai également témoigné devant les sénateurs, qui, avec le recul, m'ont paru réticents à l'idée de s'attaquer au problème. Peut-être — et nous pourrions en discuter — étaient-ils préoccupés par la possibilité que le projet de loi ne soit pas adopté avant que le Parlement n'ajourne pour l'été. Nous pensons — je pense — que nous avons raté l'occasion avec le projet de loi C-66 d'abroger les dispositions relatives aux maisons de débauche.
J'aimerais rappeler à tous ici présents que plus de 1 300 hommes ont été accusés de ce type d'infraction, entre 1968 et 2004, parce qu'ils se trouvaient dans un sauna. J'ai l'impression de parler en leur nom ici.
Nous avons été traînés devant les tribunaux et humiliés publiquement. J'ai dû comparaître à la barre, où j'ai admis que je me trouvais au sauna cette nuit-là. Oui, j'ai témoigné à la barre et j'ai dit la vérité. J'ai été l'un des quelque 36 hommes sur les 300 qui ont été arrêtés, qui ont été reconnus coupables et qui ont dû payer une amende. En ce qui me concerne, le montant n'était pas important par rapport à la honte que de nombreux autres hommes et moi-même ressentions lorsque nos noms étaient lus à haute voix en audience publique et rapportés dans les journaux de l'époque.
J'ai eu de la chance, car j'ai réussi à préserver mon estime personnelle. J'ai bénéficié de nombreux avantages: l'amour de ma famille et de mes partenaires et une bonne éducation. Malgré tout, je n'oublierai jamais ce qui s'est passé cette nuit-là. J'ai été arrêté et condamné injustement. Je n'avais commis aucun crime.
D'autres n'ont pas eu cette chance. Cette nuit-là, la vie de bien des gens a été gâchée par l'exposition devant le tribunal et dans la presse. À l'époque, les bains publics étaient souvent fréquentés par des hommes vivant dans des familles dont les membres n'avaient aucune idée de l'orientation sexuelle de leur conjoint, de leur père ou de leur frère, et bon nombre étaient issus de cultures au sein desquelles l'homosexualité était mal vue.
Ceux d'entre nous qui ont été arrêtés lors des descentes dans les bains publics dépendent maintenant de l'abrogation des dispositions sur les maisons de débauche. Encore aujourd'hui, je suis choqué de constater à quel point cette nuit-là a été traumatisante et stigmatisante, tout comme l'ont été les descentes dans les bains publics. Au moins deux hommes se sont suicidés. Je continue d'être l'une des rares personnes parmi celles, qui ont été arrêtées à être prête à parler publiquement des descentes dans les bains publics et de cette nuit-là.
Le pouvoir implacable de la stigmatisation continue de jeter une ombre sur de nombreuses vies. C'est pourquoi je suis ici aujourd'hui pour demander aux législateurs de veiller à ce que les gens comme moi, ceux qui ont des casiers judiciaires et qui ont été condamnés à tort pour avoir été trouvés dans une maison de débauche, soient traités sur un pied d'égalité dans le projet de loi. Nous sommes passés à côté dans le projet de loi , mais j'aimerais être traité de la même façon que toutes mes consoeurs et tous mes confrères LGBTQ, qui ont été chassés de la fonction publique ou exclus de l'armée pour cause d'indignité.
Comme je l'ai dit, notre capacité à demander la radiation de nos condamnations injustifiées et, dans certains cas, de nos casiers judiciaires dépend maintenant de l'abrogation des dispositions sur les maisons de débauche. Le projet de loi mentionnait clairement qu'une infraction devait d'abord être abolie avant que l'on puisse l'ajouter à la liste des infractions admissibles à la radiation; les dispositions doivent donc être abrogées.
J'ai été assez surpris de constater, à la suite d'une demande d'information présentée par le Service de police de Toronto en décembre 2017, qu'on pouvait encore trouver dans leurs archives un dossier de mon arrestation ainsi qu'un rapport supplémentaire. Je suppose que si c'est vrai pour moi, c'est vrai pour d'autres. Par conséquent, je suis en fait ici aujourd'hui en notre nom à tous pour m'assurer que nous sommes maintenant inclus dans le projet de loi . Les personnes qui ont été arrêtées à tort lors des descentes dans les bains publics ont, à mon avis, tout à fait le droit de demander elles aussi à être incluses dans le projet de loi qui offre la radiation à d'autres personnes et de se sentir visées par les excuses présentées par le gouvernement. Les dispositions sur les maisons de débauche étaient, entre autres, celles qui étaient utilisées « afin de victimiser systématiquement les personnes LGBTQ2S+ », pour citer correctement le député .
Le projet de loi vous donne l'occasion de corriger cette omission. Je crois que ce serait une grave erreur judiciaire de faire fi de cette occasion et de nous priver, nous tous, de notre droit à l'égalité devant la loi. Je pense qu'il est temps que les notions d'indécence du XIXe siècle deviennent chose du passé. Seuls les actes qui ne sont pas consensuels ou qui causent du tort à autrui devraient faire l'objet de poursuites en vertu de dispositions plus appropriées du Code criminel.
J'aimerais aussi dire que je suis solidaire avec les travailleurs du sexe parce que je suis bien placé pour comprendre les torts causés par les dispositions sur les maisons de débauche. Je me joins également à d'autres pour recommander que le projet de loi soit amendé afin que soient abrogées les dispositions qui ont été injustement utilisées contre nos communautés, y compris celles qui concernent l'obscénité, la représentation théâtrale immorale, l'exposition indécente et la nudité. Je sais que, la semaine prochaine, mes collègues aborderont plus en profondeur certaines de ces questions.
À mon avis, il est essentiel que nous tournions la page en ce qui concerne ces moments douloureux de notre histoire. Certains diront que les descentes sont le fruit des attitudes et des opinions, c'est-à-dire des préjugés et des craintes à l'égard des homosexuels et de l'homosexualité qui prévalaient dans la société à l'époque et qui persistent encore aujourd'hui. Les dispositions législatives ne modifient pas nécessairement les attitudes prédominantes, mais elles sont absolument nécessaires, selon moi, pour la protection des droits de la personne. Elles représentent une étape nécessaire dans la lutte continue pour promouvoir la tolérance et le respect des différences dans la société canadienne.
Pendant que vous vous occupez des retards dans le système judiciaire et que vous examinez la question de façon très générale dans ce projet de loi, j'espère que vous saisirez l'occasion de vous rappeler ceux d'entre nous qui ont été arrêtés en 1981 et au fil des ans, de 1964 jusqu'aux années 2000, et que vous ferez en sorte que, cette fois-ci, les dispositions sur les maisons de débauche soient abrogées dans le projet de loi .
Merci beaucoup.