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J'aimerais d'abord vous remercier de m'offrir l'occasion de prendre la parole devant le Comité sur une question très importante aujourd'hui. Je suis parfaitement bilingue, alors si vous avez des questions, vous pouvez les poser également en anglais, mais je présenterai mon exposé en français.
[Français]
Mesdames et messieurs les membres du Comité, je comparais aujourd'hui devant vous au nom de mon employeur, l'Ontario AIDS Network, ou OAN, et en tant que personne vivant avec le VIH. Je suis coordonnateur national de l'Institut de développement du leadership positif, ou IDLP, un programme de leadership destiné aux personnes séropositives et qui vise à augmenter leur autonomisation. Ce programme est présentement offert dans trois provinces canadiennes.
Depuis le tout début de l'épidémie de VIH/sida, les personnes vivant avec le VIH sont au front pour lutter contre cette épidémie. Je parle, par exemple, des principes de Denver et de la participation accrue des personnes vivant avec le VIH/sida, à savoir le principe GIPA.
Aujourd'hui, il est temps que les pouvoirs politiques cessent d'isoler et de condamner les personnes vivant avec le VIH, lesquelles appartiennent souvent à des groupes déjà marginalisés. Je ne suis ni un expert en droit ni un expert dans les nuances entre les compétences fédérales et provinciales. Toutefois, je peux dire que la loi actuelle sur la non-divulgation du statut sérologique est, comme vous le savez probablement, injuste et contre-productive pour ce qui est de faire du dépistage et de mettre fin à l'épidémie, comme il est décrit dans les objectifs de l'ONUSIDA 90-90-90 et de ceux qui vont au-delà de l'horizon établi.
Je vais maintenant parler de l'utilité de la directive fédérale.
L'OAN et moi-même reconnaissons que la directive fédérale de 2018 du procureur général à l'intention des procureurs fédéraux ainsi que le rapport de 2017 sont des pas dans la bonne direction, pour lesquels nous sommes reconnaissants. Néanmoins, cette directive n'est pas encore pleinement appliquée et n'est, en fait, qu'un premier pas.
Même si toutes les provinces adoptaient des directives identiques à la directive fédérale de 2018, nous estimons que le Code criminel devrait quand même être modifié, comme le demandaient M. Yasir Naqvi, le procureur général de l'Ontario, et M. Eric Hoskins, ministre de la Santé et des Soins de longue durée de l'Ontario, dans leur déclaration de décembre 2017:
Nous espérons qu'avec ce nouveau rapport, la ministre Mme Wilson-Raybould [maintenant aujourd'hui l'honorable David Lametti, ministre de la Justice et procureur général] prendra des mesures immédiates et envisagera des réformes du Code criminel, afin de s'aligner sur des nouvelles preuves scientifiques et de réduire la stigmatisation du VIH/sida au Canada.
Nous nous joignons à la Coalition canadienne pour réformer la criminalisation du VIH pour demander au gouvernement fédéral d'examiner une éventuelle réforme de la loi dans ce domaine. Étant donné que le droit pénal relève du gouvernement fédéral, nous croyons que ce dernier a le devoir de prendre davantage de mesures plutôt que de proposer simplement une directive qui ne s'applique actuellement que dans trois territoires, et nous croyons qu'il a la latitude pour ce faire.
Oui? Est-ce qu'il y a un problème?
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La situation actuelle dans laquelle, à ma connaissance, une seule province, l'Ontario, a adopté une partie de la directive fédérale portant notamment sur la déclaration de consensus I = I, est loin d'être optimale. Évidemment, l'OAN soutient ce que de nombreux partenaires soutiennent. Par exemple, ceux qui voyagent dans différentes parties du pays peuvent être soumis à différentes directives.
Si je comprends bien, selon le contexte actuel, une personne vivant avec le VIH qui utilise des préservatifs avec un partenaire qui recevrait un traitement préventif, soit la prophylaxie préexposition, pourrait néanmoins être poursuivie en raison du manque de cohérence entre les différentes directives. Il en est de même pour ce qui est du manque de clarté de la directive fédérale elle-même, qui n'exclut pas complètement la possibilité de poursuite dans un tel scénario.
M. Pierre Elliott Trudeau, en sa qualité de ministre de la Justice, déclarait en 1967 qu'il n'y avait pas de place pour l'État dans les chambres à coucher de la nation, et cette phrase est encore aujourd'hui valable en ce qui concerne la situation dont nous discutons présentement. Si la justice pénale doit avoir un mot à dire à ce sujet, cela devrait se limiter, il me semble, aux intentions malveillantes et aux cas de transmission effective du VIH. Elle ne devrait pas pénaliser la connaissance de son statut sérologique sous le prétexte d'une soi-disant fraude.
Concernant les meilleurs moyens, sur le plan pratique, de lutter contre le problème lié à la non-divulgation du statut sérologique, je tiens à rappeler qu'en 2006, dans la Déclaration politique sur le VIH et le sida, tous les États membres des Nations unies se sont engagés à promouvoir un environnement social et juridique propice à la divulgation sans risque et volontaire de son statut sérologique relativement au VIH. À ce jour, le Canada n'a pas encore donné suite à cet engagement. La loi en vigueur sur la criminalisation ne favorise pas l'émergence de modèles de personnes séropositives qui osent divulguer publiquement leur statut, et elle ne protège pas non plus la divulgation dans un contexte privé. La situation présente peut amener des gens à commencer leur relation amoureuse sur la base de la méfiance, ce qui est absurde en soi.
Maintenant que le traitement s'est considérablement amélioré, la stigmatisation et la criminalisation sont les sujets les plus importants, selon n'importe quel groupe de personnes vivant avec le VIH, ou PVVIH, dans n'importe quel contexte. La criminalisation, aujourd'hui, est une partie intégrante de la stigmatisation que nous vivons encore. L'OAN estime que le meilleur moyen de lutter contre le problème lié à la non-divulgation du statut sérologique est de passer par l'éducation, par la réduction de la stigmatisation et, évidemment, par l'accès aux traitements. Par exemple, par l'intermédiaire de l'IDLP et au moyen d'ateliers spécifiques, l'OAN aborde non seulement la question de la divulgation de son statut de personne vivant avec le VIH, mais forme aussi de futurs leaders qui donneront l'exemple et inspireront d'autres membres de la communauté.
L'OAN fait écho à la Déclaration de consensus communautaire et demande aux trois paliers de gouvernement de soutenir le développement des ressources et la formation pour lutter contre la désinformation, la peur et la stigmatisation liées au VIH. Une telle formation devrait être dispensée par des experts du VIH et étendue aux juges, à la police, au procureur de la Couronne et au personnel pénitencier du pays. S'il doit y avoir une meilleure coopération avec le système de justice pénale et les autorités de santé publique, cela doit passer par l'éducation et par la réduction de la stigmatisation.
Concernant le rôle du gouvernement fédéral, le fait d'améliorer la cohésion entre sa directive et celles des directives du ministère provincial, en fait les directives en matière de poursuites pénales, n’est qu'une partie de la solution. Nous voyons d'ailleurs actuellement la difficulté d'aligner les directives provinciales sur la directive fédérale. L'OAN renvoie à nouveau à la position de la Coalition canadienne pour réformer la criminalisation du VIH, selon laquelle il est essentiel que la demande de réforme du Code criminel soit assortie de directives judicieuses en matière de poursuites, y compris celles instruites par des procureurs généraux des provinces. Ces deux choses ne sont pas des étapes mutuellement exclusives; en fait, les deux sont nécessaires.
La volonté de mettre fin à une criminalisation excessive du VIH inclut donc la demande d'une réforme législative afin de garantir que la question de non-divulgation du statut sérologique soit retirée des dispositions sur les agressions sexuelles contenues dans la loi et appliquée uniquement à des cas de transmission réels et intentionnels.
Bien que les PVVIH, y compris moi-même, soyons reconnaissantes du fait qu'il y a enfin du progrès sur cette question vitale pour nous, nos pairs et nos communautés, nous exhortons les acteurs politiques à franchir une étape supplémentaire et de modifier le Code criminel, tout en s'appuyant sur les recommandations des experts, tels que ceux de la Coalition canadienne pour réformer la criminalisation du VIH, la CCRCV.
Ensemble, mettons fin à cette situation. Faisons en sorte que le poids injuste et inefficace de la discrimination sur les populations marginalisées soit levé. Travaillons efficacement ensemble pour mettre fin à cette épidémie.
Je vous remercie du temps que vous m'avez consacré.
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Merci, monsieur le président.
Bonjour. Je m'appelle Kyle Kirkup. Je suis professeur adjoint à la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa.
Au cours des 10 dernières années, j'ai publié une série d'articles évalués par un comité de lecture sur la réglementation en droit pénal des sexes et de la sexualité au Canada, y compris la criminalisation de la non-divulgation de la séropositivité. J'ai également rédigé des rapports d'experts sur les questions des droits fondamentaux des personnes LGBTQ pour le Bureau de l'enquêteur correctionnel, la Commission ontarienne des droits de la personne et l'Association des chefs de police de l'Ontario.
Ce matin, j'aimerais souligner le fait que le Canada est un des pays qui cible le plus les personnes vivant avec le VIH pour la non-divulgation. Notre approche actuelle sème beaucoup de confusion chez les gens vivant avec le VIH, qui ne savent pas à quel moment ils sont légalement tenus de divulguer leur séropositivité. On vise les communautés marginalisées, y compris les femmes. Cela renforce la stigmatisation des personnes vivant avec le VIH. Également, cela finit par miner la santé publique.
Bien sûr, la directive fédérale en matière de poursuites émise vers la fin de 2018 était un pas dans la bonne direction pour ce qui est de limiter les poursuites injustes.
Maintenant, le gouvernement fédéral devrait passer à la prochaine étape logique recommandée par une coalition d'organisations de la société civile partout au Canada. La non-divulgation de la séropositivité devrait être retirée du Code criminel sauf pour les cas les plus évidents où il y a eu une transmission intentionnelle et réelle du VIH.
J'aimerais commencer par décrire brièvement l'histoire de la non-divulgation de la séropositivité au Canada. À la suite de l'épidémie du VIH/sida, le Parlement aurait pu créer de nouvelles infractions au Code criminel pour la non-divulgation de la séropositivité ou la transmission du VIH. Il a choisi de ne pas le faire. Par conséquent, au début des années 1980, des juges ont intégré des cas de non-divulgation de la séropositivité à des infractions existantes du Code criminel, par exemple nuisance publique, administration d'une substance délétère, négligence criminelle causant des lésions corporelles, voies de fait graves, agression sexuelle grave et même, dans les cas extrêmes, meurtre.
Cette approche ponctuelle mal définie a laissé les gens vivant avec le VIH dans un état de confusion considérable relativement aux circonstances précises dans lesquelles ils étaient légalement tenus de divulguer leur séropositivité.
Après plus de 10 ans de confusion juridique, la Cour suprême a rendu sa décision dans l'arrêt Cuerrier en 1998. Dans cette affaire, la Cour a soutenu que les personnes atteintes du VIH avaient l'obligation juridique de divulguer leur séropositivité lorsqu'il y avait un prétendu « risque important de lésions corporelles graves ». À défaut de le faire, cela constituait une fraude au sens de l'alinéa 265(3)c) du Code, ce qui transformerait un rapport sexuel autrement consensuel en une agression sexuelle grave. Nous savons que l'agression sexuelle grave est une des infractions les plus graves du Code criminel. Elle est assortie d'une peine maximale d'emprisonnement à perpétuité ainsi que de la désignation obligatoire de délinquant sexuel.
Cependant, la confusion s'est poursuivie après la décision. Le risque de transmission du VIH est un concept notoirement difficile à appliquer; il faut demander quelles activités sexuelles ont été réalisées, si un condom a été utilisé, si la personne vivant avec le VIH avait une faible charge virale et si un des partenaires souffrait d'autres infections transmises sexuellement, et tenir compte d'une multitude d'autres facteurs.
Par conséquent, encore une fois, la Cour suprême a essayé de préciser cette norme juridique en 2012 dans l'arrêt Mabior en affirmant cette fois que les personnes vivant avec le VIH avaient l'obligation juridique de divulguer leur séropositivité lorsqu'il existait « une possibilité réaliste de transmission ». La Cour a ensuite expliqué que, du moins dans le contexte d'un rapport sexuel avec pénétration, si la personne accusée avait une faible charge virale et portait un condom, elle n'avait pas l'obligation juridique de divulguer sa séropositivité.
En raison de ce régime juridique, et après que les gens vivant avec le VIH ont défendu leurs droits pendant des années, nous avons constaté l'émergence de lignes directrices en matière de poursuites attendues depuis longtemps parce que cette norme juridique continuait d'être très difficile à appliquer concrètement. En 2016, l'ancienne ministre de la Justice et procureure générale, Jody Wilson-Raybould, a déclaré publiquement que la criminalisation de la non-divulgation de la séropositivité « stigmatise davantage les personnes vivant avec le VIH ».
Ensuite, deux ans plus tard, elle a présenté à la directrice des poursuites pénales une directive qui établit quatre principes directeurs conçus pour régir le processus décisionnel en matière de poursuites: premièrement, ne pas intenter de poursuite lorsque la personne vivant avec le VIH a conservé une charge virale supprimée; deuxièmement, ne pas intenter de poursuite lorsque la personne a utilisé des condoms ou qu'elle n'a eu que des rapports sexuels bucco-génitaux, sauf en présence d'autres facteurs de risque; troisièmement, intenter une poursuite au moyen d'infractions criminelles autres que sexuelles dans les cas où la conduite de la personne était moins répréhensible; et quatrièmement, déterminer si les autorités de santé publique avaient fourni des services à une personne accusée de ne pas avoir divulgué sa séropositivité lorsque vient le temps de déterminer s'il est dans l'intérêt public de porter des accusations criminelles.
Même si cette directive est un pas dans la bonne direction et qu'elle pourra guider des directives similaires élaborées par les procureurs généraux provinciaux partout au pays, il importe de souligner sa portée limitée. Elle ne s'applique qu'aux poursuites intentées au Yukon, dans les Territoires-du-Nord-Ouest et au Nunavut.
En dépit des efforts qu'on a déployés pour clarifier la loi et émettre des directives en matière de poursuites, les gens vivant avec le VIH continuent de subir d'importants préjudices découlant directement de la non-divulgation de la séropositivité. Même si ces préjudices sont nombreux, j'aimerais en souligner au moins quatre. Ils m'amènent à conclure que des modifications législatives sont nécessaires.
Premièrement, la confusion demeure quant aux circonstances dans lesquelles les personnes vivant avec le VIH sont tenues par la loi de divulguer leur séropositivité. En effet, l'état actuel de la non-divulgation de la séropositivité va à l'encontre d'un précepte fondamental du droit pénal que j'enseigne à mes étudiants de première année universitaire. Les personnes devraient être en mesure de savoir clairement quelles étapes elles doivent suivre afin d'éviter de contrevenir au Code criminel.
Deuxièmement, des données empiriques fiables donnent à penser que le fardeau de la criminalisation n'est pas réparti de manière égale entre les communautés. En particulier, les Noirs et les Autochtones sont ciblés de manière disproportionnée par des poursuites criminelles. À ce sujet, je demanderais au Comité d'examiner le rapport de 2017 du Réseau juridique canadien VIH/sida, intitulé « La criminalisation du VIH au Canada: tendances clés et particularités ». Ce rapport relève toutes les poursuites connues pour non-divulgation de la séropositivité, depuis le début des années 1980 jusqu'en 2016.
Troisièmement, les poursuites pour non-divulgation de la séropositivité renforcent la stigmatisation des personnes vivant avec le VIH. Par exemple, dans nombre de cas, ces poursuites font l'objet d'une intense couverture médiatique. En 2010, par exemple, le service de police d'Ottawa a publié un communiqué concernant un homme qui était déjà sous garde et a divulgué son nom, sa photographie et des détails sur son orientation sexuelle et son état de santé. La publication de ce communiqué a entraîné une série d'articles sensationnalistes dans des journaux comme l'Ottawa Sun, et cela a continué tout au long du procès. Ces articles sensationnalistes sont encore une autre conséquence collatérale de l'approche mal avisée relativement à la non-divulgation de la séropositivité au Canada.
Enfin, la criminalisation de la non-divulgation de la séropositivité risque de miner la santé publique. De façon concrète, les fournisseurs de soins de santé peuvent se retrouver dans la position peu enviable de devoir fournir des renseignements juridiques aux personnes vivant avec le VIH sur la façon d'éviter de violer le droit pénal. Ce n'est tout simplement pas le rôle qu'ils devraient jouer.
Au bout du compte, le Canada a la triste distinction d'être un des pays qui poursuit les gens vivant avec le VIH pour non-divulgation. Cette approche cause de véritables préjudices. Bien sûr, la directive fédérale en matière de poursuites émise vers la fin de 2018 était un pas dans la bonne direction, mais elle ne suffit pas.
Le gouvernement fédéral devrait maintenant entamer le processus de retrait de la non-divulgation de la séropositivité du Code criminel sauf pour les cas les plus évidents où il y a eu une transmission intentionnelle et réelle du VIH. Si le Parlement entreprend une réforme législative, il sera essentiel qu'il s'assure de consulter sérieusement des experts, particulièrement les personnes qui ont été ciblées par des poursuites injustes. Il est temps de délaisser une fois pour toutes l'approche mal avisée de la criminalisation de la non-divulgation de la séropositivité au Canada.
Merci.
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Merci à vous, monsieur le président, ainsi qu'aux membres du Comité de la justice.
Je suis actuellement étudiant au doctorat à l'Université Concordia. Plus tard cette année, je vais commencer un stage post-doctoral grâce à une bourse Banting du Conseil de recherche en sciences humaines au département de criminologie de l'Université d'Ottawa. Je suis également membre de la Coalition canadienne pour réformer la criminalisation du VIH.
Pour ma recherche au doctorat, j'ai été financé par les Instituts de recherche en santé du Canada et l'Université Concordia en vue d'examiner l'expérience vécue par les gens vivant avec le VIH partout au Canada qui ont été accusés et poursuivis au criminel ou menacés de l'être pour non-divulgation de séropositivité alléguée. À ma connaissance, il s'agit de la première étude de recherche qualitative au monde qui porte précisément sur la criminalisation du VIH du point de vue des gens qui l'ont vécu.
Aujourd'hui, je vais vous faire part des conclusions de mon étude. J'ai également fourni au greffier du Comité des déclarations sur les préjudices liés à la criminalisation qu'ont subis des personnes qui ont par la suite été incarcérées.
Au moyen d'entretiens directs avec des gens qui ont été accusés au criminel, je remets en question, dans le cadre de ma recherche, les interprétations dominantes des tribunaux et des médias selon lesquelles les personnes vivant avec le VIH sont des auteurs d'actes violents qui tentent de manière active de transmettre une infection à d'autres personnes. Ce qui est, sur le plan institutionnel, considéré comme une faute ne l'est pas de façon aussi évidente. En raison de la criminalisation, des situations complexes et nuancées — y compris le silence, la peur, la divulgation réelle ou, dans certains cas, l'incapacité des gens à faire face à leur propre séropositivité — sont classées de force par le système de justice pénale dans un rapport dichotomique supposant une victime et un auteur.
J'ai réalisé 28 entrevues avec 16 personnes de 5 provinces différentes. J'ai parlé à 5 femmes et 11 hommes. Une des femmes s'identifiait comme une transgenre. Il s'agissait d'un groupe diversifié de personnes qui ont vécu un large éventail d'expériences, de gens qui ont fait face à des accusations criminelles liées à la non-divulgation de la séropositivité. Nombre d'entre eux sont des personnes socialement marginalisées, notamment des Noirs et des Autochtones, des hommes gais, des personnes qui vivent dans la pauvreté et des femmes ayant des antécédents de prostitution. La personne la plus jeune que j'ai rencontrée en entrevue avait moins de 20 ans au moment des accusations portées contre elle et la plus âgée était dans la mi-cinquantaine.
Les entrevues comportaient des questions détaillées sur ce qu'ont vécu les personnes à partir du moment où elles ont pris connaissance des accusations criminelles portées contre elles jusqu'à, le cas échéant, leur arrestation, leur procès, le prononcé de leur peine, leur incarcération, leur mise en liberté et leur vie après avoir purgé leur peine. Au total, 3 de ces personnes ont été menacées d'accusations criminelles par la police, alors que 13 ont officiellement été accusées au criminel — toutes pour agression sexuelle grave. On a allégué qu'une transmission du VIH avait eu lieu dans seulement un cas.
Toutes les femmes avec qui je me suis entretenu ont affirmé avoir subi beaucoup de violence sexuelle commise par des hommes et parlé d'un contexte où la divulgation était très complexe en raison de leur manque de pouvoir dans les relations. Une femme à qui j'ai parlé a été accusée d'agression sexuelle grave parce qu'elle avait été victime d'un viol collectif et qu'elle n'avait pas divulgué sa séropositivité à ses violeurs. Une autre, qui a été menacée d'accusation criminelle, a été violée à la pointe d'un couteau, mais c'est elle qui a été menacée d'une accusation d'agression sexuelle grave. Ces deux femmes avaient des antécédents de prostitution, et les autorités n'ont pas tenu compte sérieusement des récits qu'elles ont donnés de leurs agressions sexuelles. Une des femmes m'a dit que, si elle était coupable de quelque chose, c'était d'avoir été violée.
L'accusation d'agression sexuelle grave a semé beaucoup de confusion pour les gens parce qu'ils savaient que les rapports sexuels qu'ils avaient eus étaient consensuels — sauf dans les deux cas que j'ai mentionnés. Une majorité des personnes de l'étude était préoccupée par le fait de transmettre le VIH à quelqu'un d'autre. Elles comprenaient qu'elles avaient agi d'une manière à protéger leurs partenaires d'une possible transmission, par exemple en prenant régulièrement leurs médicaments, ce qui les rendait non contagieuses, en utilisant des condoms ou en faisant les deux. Une femme avec qui je me suis entretenu a donné un préservatif à son partenaire avant les rapports sexuels, mais il ne l'a pas utilisé. Elle est maintenant une délinquante sexuelle enregistrée. Dans certains cas, les gens avaient divulgué leur séropositivité à leurs partenaires, mais ces derniers sont allés voir la police par la suite et ont menti en disant que la divulgation n'avait pas eu lieu.
Comme elles ont fait l'objet d'accusations criminelles habituellement réservées aux véritables agressions sexuelles non consensuelles les plus violentes, en plus d'être séropositives, les personnes à qui j'ai parlé ont connu des formes intensifiées de peine, de violence et de discrimination. Cela comprenait le refus de mise en liberté sous caution et, au bout du compte, de longues périodes de détention provisoire avant le procès ou l'abandon ou la suspension des accusations, des conditions extraordinaires de mise en liberté sous caution ou une mise en liberté sous condition qui comportait l'obligation de se présenter à la police 24 heures avant des rapports sexuels proposés à leur partenaire sexuel pour que celui-ci y consente devant la police. Les gens que j'ai rencontrés en entrevue et qui devaient respecter ces conditions imposées avaient une charge virale indétectable.
En outre, les personnes à qui j'ai parlé m'ont dit qu'il y avait une méconnaissance généralisée des données scientifiques actuelles sur le VIH de la part de la police, des avocats et des tribunaux. Cela plaçait les gens qui faisaient face à des accusations criminelles dans une position où ils devaient expliquer la charge virale et la transmission aux personnes chargées de les criminaliser à cet égard. Ils croyaient que les préjugés et l'ignorance de la police étaient causés par le contexte juridique de la criminalisation.
Au total, les 14 personnes accusées sauf 2 ont affirmé qu'il s'agissait de leur toute première accusation au criminel. Malgré cela, toutes sauf une se sont vu refuser une libération sous caution en raison de la gravité perçue de l'affaire et a été placée en détention provisoire ou assignée à résidence pendant de longues périodes.
En tout, sept personnes à qui j'ai parlé ont été poursuivies, dont cinq ont plaidé coupable. Voici les raisons pour lesquelles elles ont affirmé avoir choisi de plaider coupable: elles ont été forcées par leur avocat de plaider coupable malgré le fait qu'elles avaient une charge virale indétectable ou qu'elles avaient utilisé des condoms; elles craignaient de s'ennuyer de leur famille; ou elles avaient honte de l'accusation et de la révélation de leur séropositivité au public. La peine la plus longue purgée a été de près de 15 ans; la plus courte, environ 2 ans et demi.
Dès l'arrestation jusqu'au procès, et au cours de l'incarcération jusqu'à la mise en liberté, les gens avec qui je me suis entretenu ont décrit une série d'événements marqués par la stigmatisation liée au VIH, la panique, la discrimination et la peur. Ils ont décrit un éventail de formes de violence de la part d'employés gouvernementaux, c'est-à-dire les policiers et le personnel carcéral. Ces formes de violence comportaient le refus de l'accès à des médicaments ou à des soins de santé de la part d'employés correctionnels. Une personne m'a dit qu'elle est presque morte parce que les gardiens déchiraient continuellement devant elle sa demande urgente de rencontrer un médecin.
Les autres formes de violence comprenaient de longues périodes d'incarcération et d'isolement préventif ainsi que des violations de la vie privée où des agents correctionnels parlaient de leur séropositivité et de leurs accusations devant d'autres personnes, sachant que cela entraînerait ou pourrait entraîner de la violence physique.
En outre, il y a eu des agressions de la part de policiers et d'agents correctionnels accompagnées de commentaires stigmatisants et de comportements discriminatoires. Un homme m'a raconté ce qui suit:
Je me faisais battre par tous les détenus parce que leur agent correctionnel avait divulgué mon accusation aux personnes de ma rangée. Je me trouvais dans une rangée isolée réservée aux meurtriers violents et j'étais quand même victime de harcèlement. Vous savez, cette accusation de viol et cette séropositivité étaient pires qu'être un meurtrier à leurs yeux. Alors que j'étais nu, un agent m'a poussé et m'a maintenu au sol avec son pied sur ma poitrine en disant qu'il ne toucherait jamais à un homme atteint du sida.
Voici ce que m'a dit une autre femme autochtone: « Ils me méprisaient. Ils me touchaient seulement avec des gants et se lavaient les mains avec une énorme quantité d'alcool à friction par la suite. Ils s'adressaient à moi d'un ton condescendant comme si j'étais une non-personne, une personne atteinte du sida. »
Compte tenu de l'accusation d'agression sexuelle grave et de l'enregistrement comme délinquants sexuels qui en a découlé, les gens n'étaient pas en mesure de trouver un emploi dans les domaines où ils avaient acquis de l'expérience et de l'expertise. Lorsqu'ils postulaient pour un emploi, on le leur refusait. Nombre d'entre eux recevaient de l'aide sociale même s'ils voulaient travailler.
Ils se voyaient régulièrement refuser un logement. Une personne s'est fait dire: « Nous ne louons pas d'appartement à des violeurs. » Pourtant, la Couronne avait retiré les accusations portées contre elle, mais l'information sur son affaire était facilement accessible en ligne.
Tous les participants ont noté qu'ils n'avaient pas respecté ou ne respectaient pas les critères de divers tests psychologiques visant à déterminer quel type de délinquants sexuels ils étaient. Quelques-uns ont souligné que les tests eux-mêmes leur avaient causé des traumatismes psychologiques continus. Ces traumatismes sont attribuables au fait qu'on les avait forcés à regarder des vidéos de pornographie juvénile et d'agressions sexuelles violentes ainsi qu'à définir leurs désirs sexuels adultes normaux comme déviants et inappropriés seulement parce qu'ils étaient atteints du VIH.
L'accusation qui a été portée contre eux dans le passé a continué de nuire à leur vie quotidienne en menaçant leur sécurité économique. Une femme autochtone m'a dit ce qui suit: « Je n'ai pas le droit d'occuper un emploi à mon ancienne école. J'adorais travailler avec les enfants, mais l'école ne me le permet plus. » Voici ce qu'un homme m'a dit: « Lorsqu'on étiquette quelqu'un comme un délinquant sexuel, c'est pour la vie. Je dois garder cette étiquette pour le reste de mes jours. Je crois que c'est injuste. »
Toutes les personnes à qui j'ai parlé ont éprouvé beaucoup de difficultés sur le plan psychologique à s'adapter au fait qu'on les voyait comme des violeurs violents. À la suite de leur expérience découlant de la criminalisation, tous les participants ont essayé de se suicider ou ont vécu de longues périodes au cours desquelles ils ont eu des idées suicidaires. Aujourd'hui, une majorité des gens que j'ai rencontrés en entrevue vivent avec le syndrome de stress post-traumatique, ce qui entraîne beaucoup de répercussions sur leur vie quotidienne.
En parlant directement avec des gens criminalisés, j'ai constaté qu'il est évident que l'application du droit pénal, particulièrement les dispositions sur l'agression sexuelle, cause plus de préjudices et exacerbe souvent des situations qui sont déjà marquées par la stigmatisation, les traumatismes, la honte et la discrimination.
Merci.
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Merci aux membres du Comité.
J'aimerais prendre quelques instants pour remercier Alex de nous avoir fait connaître les histoires de ces personnes vivant avec le VIH, de nous avoir fait part de certaines recherches vraiment incroyables et révolutionnaires et, chose importante, d'avoir souligné aux membres du Comité la raison pour laquelle il s'agit d'une question qui préoccupe tant les personnes vivant avec le VIH et celles d'entre nous qui jouent un rôle dans la lutte contre le VIH au Canada.
Le préjudice qui découle du recours excessivement répandu au droit pénal au Canada est réel, il est profond et il nuit à la vie des gens de façon nettement disproportionnée par rapport aux risques de préjudice perçus dans diverses circonstances qui se retrouvent actuellement dans la portée du droit pénal.
Je travaille pour un organisme appelé le Réseau juridique canadien VIH/sida. Je suis avocat, et je suis au service de cet organisme depuis plus de 25 ans maintenant, et j'ai agi à titre d'avocat associé pour lui et d'autres organisations, en tant qu'intervenant dans un certain nombre d'affaires qui ont été évoquées devant la Cour suprême et plusieurs cours d'appel du pays.
Je vous ai distribué aujourd'hui un certain nombre de documents, dont certains ont déjà été mentionnés, sur lesquels j'aimerais attirer votre attention au cours de mon exposé.
Le premier est un document qui a déjà été mentionné par le professeur Kirkup, et il s'agit du document qui décrit les principales tendances clés et les particularités liées à la criminalisation du VIH depuis la fin des années 1980 jusqu'à la fin de 2016. Il analyse toutes les poursuites connues et constitue l'analyse la plus poussée et la plus complète des cas de criminalisation du VIH à ce jour au Canada.
Évidemment, puisqu'il ne va que jusqu'à la fin de 2016, il est à présent légèrement dépassé. Je tiens simplement à vous faire savoir que, d'après le suivi des cas depuis lors, nous pouvons dire que des poursuites ont été intentées contre environ 200 personnes à ce jour dans plus de 200 cas distincts. Pourtant, malgré les progrès de la science et notre compréhension de la transmission du VIH, nous continuons de voir des poursuites être intentées dans des cas où il n'y a tout simplement aucun fondement scientifique pour le faire.
Comme on l'a déjà mentionné, la criminalisation du VIH a également des répercussions disproportionnées sur un certain nombre de populations différentes. Parmi les hommes accusés, les hommes noirs sont représentés de façon disproportionnée. Parmi les femmes accusées, les femmes autochtones sont surreprésentées. Au cours des années qui ont suivi l'arrêt Mabior de la Cour suprême du Canada en 2012, le nombre d'hommes gais accusés a considérablement augmenté. Je pense qu'il convient également de noter que, dans la majorité des cas que nous avons documentés, il n'y a pas de transmission présumée du VIH.
Nous sommes face à un problème; les données le montrent. Les préjudices dont vous avez entendu parler également, causés par ce recours répandu et constant au droit pénal, vous en avez entendu parler dans les déclarations liminaires de Martin, de Kyle et d'Alex.
J'aimerais prendre quelques instants pour attirer votre attention sur un autre document que je vous ai remis, qui est un résumé de la loi concernant les registres de délinquants sexuels, parce que, étant donné que l'accusation à laquelle on a le plus souvent recours de nos jours pour intenter des poursuites fondées sur des allégations de non-divulgation du VIH est l'agression sexuelle grave, si un procès donne lieu à un plaidoyer de culpabilité ou une condamnation, la loi actuelle exige que cette personne soit inscrite comme délinquant sexuel, et il s'agit d'une présomption à vie, compte tenu de l'accusation. Cela prend au moins 20 ans avant que vous puissiez demander à être retiré du registre des délinquants sexuels, et vous avez entendu d'autres témoins vous parler des préjudices qui découlent du fait d'être inscrit comme délinquant sexuel.
N'oublions pas que nous parlons ici de circonstances dans lesquelles l'agression sexuelle décrite par la loi n'est pas ce que nous considérons normalement comme une agression sexuelle. Il ne s'agit pas de rapports sexuels forcés ou sous contrainte; il s'agit de rapports sexuels consensuels où il est allégué après coup que la non-divulgation de certains renseignements en fait une infraction en vertu de la loi, qui devrait être traitée en droit comme un viol perpétré avec violence. Il y a ici un décalage entre la réalité de la vie des gens et la façon dont nous négocions les relations sexuelles consensuelles et dont le droit pénal est appliqué. Les conséquences sont graves.
Vous avez également entendu parler — et je pense que d'autres témoins vous en parleront — non seulement des préjudices qui sont causés aux personnes, et ces préjudices ont été exposés de façon très éloquente, mais également des préjudices plus larges qui touchent l'intérêt public, y compris la santé publique.
Lorsque le seul fait que l'on découvre que vous êtes séropositif signifie que vous risquez d'être poursuivi et possiblement condamné et inscrit comme délinquant sexuel à vie pour avoir eu des rapports sexuels consensuels avec un partenaire, même dans l'état général du droit actuel, dans des circonstances où il n'y avait aucun risque de transmission, ou tout au plus un risque négligeable de transmission, cela constitue un réel obstacle au dépistage, et il existe certaines preuves pour étayer cette préoccupation.
Cela nuit également à la relation thérapeutique entre les fournisseurs de services et les personnes à la recherche de services de santé, car tout ce que vous dites à un travailleur de la santé, à un travailleur social ou à un autre travailleur de soutien peut être utilisé contre vous comme preuve dans une procédure pénale, et, en fait, ces renseignements ont été et sont régulièrement utilisés à cette fin. Ce faisant, nous mettons le système de santé et les services sociaux au service de la poursuite des personnes qui ont besoin de soutien, y compris, dans certains cas, en ce qui concerne la divulgation aux partenaires, les rapports sexuels sûrs et la prise d'autres mesures pour prévenir la transmission.
Ce n'est pas une bonne politique publique. Au bout du compte, je dirais que les préjudices de la criminalisation du VIH, en particulier la vaste portée de cette criminalisation qui existe actuellement dans le droit canadien, dépassent largement les avantages que l'on prétend en tirer. En fait, un consensus émerge, qui s'est forgé au fil des ans en réponse à l'application générale du droit pénal, selon lequel il y a effectivement un problème et un besoin de changement.
Nous avons été encouragés de constater que l'ancienne procureure générale du gouvernement fédéral avait reconnu, il y a quelques années, le problème de la criminalisation excessive du VIH ainsi que le fait que des mesures devaient être prises pour y remédier, afin de limiter la portée de la criminalisation. Le ministère de la Justice a ensuite mené une étude d'une durée de un an — que vous avez tous vus, évidemment —, qui a abouti à un certain nombre de conclusions assez solides qui témoignent également de la nécessité de limiter la criminalisation du VIH, parce que le droit canadien, tel qu'il a évolué, est trop large et trop sévère.
Le rapport du ministère de la Justice du Canada exprime une préoccupation particulière au sujet du recours aux dispositions en matière d'agression sexuelle comme moyen de traiter les cas de non-divulgation présumée du VIH. En fait, cette préoccupation est largement partagée.
J'aimerais attirer votre attention sur un troisième document, une déclaration de consensus communautaire qui a déjà été mentionnée par quelques témoins. Elle a été élaborée par la Coalition canadienne pour réformer la criminalisation du VIH. Vous verrez à la dernière page de cette déclaration de consensus que 174 organisations de partout au pays, tant dans le secteur du VIH que, notamment, de l'extérieur, ont appuyé les appels à l'action qui figurent dans cette déclaration de consensus communautaire. Vous remarquerez la diversité des organisations qui ont appuyé les appels à l'action, tant du point de vue de la répartition géographique que du nombre de secteurs différents qui sont représentés, du nombre de groupes d'intérêts différents qui y sont représentés, des organismes locaux de services liés au VIH aux centres de services juridiques, en passant par l'Association des femmes autochtones du Canada, les organisations LGBT, les organisations de femmes et bien d'autres. Il y a également un document d'accompagnement qui explique en détail comment cette déclaration de consensus communautaire a été préparée dans le cadre d'une vaste consultation nationale à l'échelle du pays.
Les organisations du domaine du VIH et les autres groupes communautaires ne sont pas les seuls à avoir exprimé des préoccupations au sujet de la vaste portée du droit pénal, les scientifiques aussi. J'aimerais attirer votre attention sur un quatrième document que je vous ai remis. Publié dans le Journal of International AIDS Society l'an dernier à l'occasion de la conférence internationale sur le sida, il s'agit d'une déclaration de consensus d'experts sur la science du VIH dans le contexte du droit pénal. Il passe en revue de façon détaillée les meilleures données scientifiques disponibles sur les risques de transmission dans diverses circonstances. Vous trouverez en première page le résumé des conclusions de ces scientifiques. Ce sont 20 éminents scientifiques de partout dans le monde. L'auteur principal est en fait le codécouvreur du virus de l'immunodéficience humaine. Le document a été approuvé par 70 autres scientifiques éminents partout dans le monde, ainsi que par la Société internationale sur le SIDA, l'International Association of Providers of AIDS Care et l'ONUSIDA — donc, les trois principales organisations scientifiques du monde consacrées au VIH.
Vous verrez que l'un des messages principaux qu'il formule, c'est que le système de justice pénale connaît ou comprend souvent mal les données scientifiques que nous avons sur le VIH et les risques associés aux diverses activités sexuelles dans le cadre de divers actes sexuels. Ce risque de transmission pour chaque acte est en fait vraiment beaucoup plus faible que la plupart des gens le croient. Je souligne ce point parce que nous devons nous rappeler que le droit pénal, tel qu'il est appliqué au Canada, fonctionne en se fondant sur le fait qu'un seul acte qui peut poser un risque statistiquement négligeable de transmission peut faire en sorte que vous soyez traités par la loi comme un violeur violent et soyez inscrit comme délinquant sexuel à vie, assorti de tous les préjudices qui en découlent et dont vous avez déjà entendu parler.
Les scientifiques eux-mêmes ont commencé à dénoncer et à dire: « Nous sommes préoccupés par la portée excessive du droit pénal. » Cette situation existe non seulement au Canada, mais également ailleurs. Je vous exhorte à tenir compte de ce que les scientifiques disent au sujet de la portée du droit pénal.
Des organisations de femmes se sont prononcées et partagent les préoccupations au sujet du recours abusif aux dispositions sur les agressions sexuelles, pour diverses raisons. Je crois que, en tant que comité, vous avez également reçu un exposé de position du FAEJ, le Fonds d'action et d'éducation juridique pour les femmes, qui exprime un certain nombre de préoccupations quant aux raisons pour lesquelles le recours aux dispositions en matière d'agression sexuelle est problématique.
Je signale que le Comité des Nations unies pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes a également recommandé expressément au Canada de limiter la portée du droit pénal aux cas de transmission réelle et intentionnelle du VIH, ce qui, je dois le souligner, est conforme aux recommandations de l'ONUSIDA et de la Commission mondiale sur le VIH et le droit.
Permettez-moi de terminer en soulignant que nous sommes reconnaissants d'avoir reçu la directive de l'ancienne procureure générale du Canada en décembre dernier. Comme d'autres l'ont fait remarquer, cette directive contribue effectivement à limiter, du moins dans les juridictions où elle s'applique, la portée du droit pénal. Il s'agit d'un important pas en avant.
Toutefois, comme on l'a également souligné et comme en témoigne la déclaration de consensus communautaire que je vous ai remise, ce n'est pas suffisant. Nous avons encore besoin d'une réforme du Code criminel qui exclurait l'application des dispositions en matière d'agression sexuelle — parce que ce n'est pas le bon outil pour faire le travail — et qui limiterait toute accusation criminelle possible aux cas de transmission réelle et intentionnelle.
Je vais m'arrêter là et je serai heureux de répondre à vos questions.
Je vous remercie.
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Oui. Je trouve que c'est une bonne question.
Permettez-moi d'attirer votre attention vers les indications qu'ONUSIDA, le programme commun des Nations unies sur le VIH/sida, a publiées en 2013 et qui énonçaient en détail les considérations éthiques, médicales et juridiques de l'utilisation du droit pénal. J'estime qu'il est utile d'y jeter un coup d'oeil lorsque l'on commence à parler des concepts de négligence ou d'insouciance puisqu'il s'agit de concepts très vagues. Les notions de négligence et d'insouciance donnent lieu à un vaste éventail d'interprétations quant à ce qui donne lieu à une culpabilité morale ou mentale, et il y a une interprétation plus précise. Peut-être vous demandez-vous ce qu'il en est de la conduite insouciante. Il faut alors engager la discussion pour savoir quand une conduite devient insouciante et quand elle l'est assez pour entraîner une responsabilité criminelle.
Vous constaterez, par exemple, si vous examinez les lignes directrices destinées aux procureurs dans d'autres administrations, au Royaume-Uni par exemple, qu'elles sont très détaillées; certaines de ces lignes directrices se reflètent dans les directives en matière de poursuites ici. Dans certaines circonstances, par exemple, nous ne devrions pas considérer une conduite comme étant insouciante. Par exemple, si quelqu'un n'a pas divulgué sa séropositivité à un partenaire sexuel, mais a utilisé un préservatif, est-ce une conduite insouciante? Je dirais que ce n'est pas le cas, compte tenu du fait que, comme les scientifiques l'ont fait remarquer, l'utilisation correcte d'un préservatif intact offre une efficacité de 100 % contre la transmission du VIH. Par conséquent, le fait de traiter cette personne de la même façon que l'on traiterait un violeur violent va, à mon sens, trop loin en matière de droit pénal.
Je pense qu'il y a une zone grise et que nous devons préciser quel comportement exactement... Comme vous l'avez entendu dans le témoignage de certains des témoins, les personnes atteintes du VIH vivent encore avec cette peur et cette incertitude relatives au moment où il est obligatoire de divulguer leur séropositivité. Lorsque les risques liés au fait de tomber du mauvais côté sont si grands, c'est-à-dire que vous devenez un délinquant sexuel à vie avec tout ce que cela implique, j'estime que nous devons clarifier la loi pour cette personne. Il s'agit d'un principe fondamental du droit pénal, comme M. Kirkup l'a mentionné.
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Merci beaucoup, monsieur le président, et je remercie les témoins d'être ici aujourd'hui. Merci également de modérer cette discussion.
J'aimerais commencer par dire que, 30 ans après que le Canada a perdu toute une génération d'homosexuels talentueux et que des familles ont perdu des êtres chers, nous sommes toujours aux prises avec le problème de la stigmatisation. Nous devons encore nous organiser en tant que communauté et venir comparaître devant le Parlement pour exiger que des mesures soient prises par un gouvernement qui tarde à agir.
J'aimerais remercier M. McClellan d'avoir transmis les témoignages de ceux qui sont véritablement touchés.
Je suis ravi que nous soyons ici, que la directive soit en place et que nous tenions ces séances, mais je suis triste que cela se produise à ce stade, au Parlement. Nous n'avons même pas commencé le processus pour déterminer la façon dont le droit pénal sera réformé; cela n'aura donc pas lieu avant les prochaines élections.
J'espère que l'un des résultats à l'issue de ces auditions sera que les membres du Parlement s'engagent à ce que cette question soit l'un des premiers points à l'ordre du jour de la prochaine législature.
J'ai suis récemment allé à Whitehorse pour rencontrer les représentants de Blood Ties, un organisme qui offre des services de première ligne pour les personnes vivant avec le VIH. Leur grande crainte tenait du fait que, même si la directive en matière de poursuites est en vigueur, il n'y a eu aucune sensibilisation à cet égard dans le Nord. Par conséquent, les personnes qui sont les plus susceptibles d'être touchées n'ont aucune connaissance du changement dans l'attitude des procureurs.
J'aimerais interroger M. McClelland à ce sujet, en ce qui concerne les personnes les plus susceptibles d'être touchées.
Savent-elles que nous avançons dans cette direction, ou est-ce encore la stigmatisation et la menace d'une poursuite qui règnent dans leur esprit?
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D'accord. Merci beaucoup.
Mesdames et messieurs, je vous remercie de l'occasion de témoigner devant vous aujourd'hui. La question de la criminalisation de la non-divulgation de la séropositivité est sérieuse, et je suis heureux que le Comité permanent de la justice et des droits de la personne l'étudie.
Comme vous le savez, le Canada se distingue malheureusement par le fait qu'il compte parmi les pays où la criminalisation de la non-divulgation du VIH est la plus marquée. Cela a entraîné un grand nombre de poursuites dans des affaires qui, à mes yeux, ne justifiaient pas la judiciarisation et l'application du droit pénal.
Il est important de noter qu'il est maintenant bien établi que la possibilité de transmission du VIH d'une personne séropositive ayant une charge virale indétectable en raison d'un traitement efficace est, selon les Centres for Disease Control des États-Unis, effectivement nulle. C'est-à-dire que « I égale I », soit que indétectable signifie intransmissible.
C'est pourquoi il est important de noter que la directive fédérale de décembre 2018 qui comprend des lignes directrices concernant les cas de non-divulgation de la séropositivité mentionne que le directeur n’intente pas de poursuite dans les cas de non-divulgation de la séropositivité « où la personne vivant avec le VIH a maintenu une charge virale supprimée […] parce qu’il n’existe aucune possibilité réaliste de transmission du VIH ».
Comme vous le savez, toutefois, la directive ne s'applique qu'aux procureurs de la Couronne des tribunaux fédéraux, et est limitée aux poursuites engagées dans les territoires. Il y a encore un grand nombre de régions au Canada où des poursuites peuvent être engagées, sans égard à cette directive fédérale.
Il y a aussi d'autres limites qui s'appliquent à la directive. Il est possible d'engager des poursuites même s'il n'y a eu aucune transmission du VIH, et l'accusation la plus importante d'agression sexuelle grave peut être portée dans ces cas; une déclaration de culpabilité pour cette infraction emporte une peine d'emprisonnement à vie et l'inscription obligatoire au registre des délinquants sexuels.
Je sais que nombre des témoins qui comparaissent devant ce comité aujourd'hui donneront plus de détails sur les autres problèmes associés à la criminalisation de la non-divulgation de la séropositivité au Canada, sans égard à la directive fédérale. Toutefois, aujourd'hui, je vais me concentrer sur les incidences relatives à la santé publique de l'application excessive du droit pénal dans ce contexte.
Récemment, j'ai eu le privilège de participer, à titre de président, à un groupe de travail national réuni par la Fondation canadienne de recherche sur le SIDA. Je crois que chacun d'entre vous a reçu une copie de notre rapport intitulé Éradiquer l'épidémie de VIH en cinq ans au Canada, diffusé au mois d'août l'an passé. Les auteurs du rapport forment un groupe diversifié qui comprend des médecins et des scientifiques, des dirigeants d'importantes organisations spécialisées en VIH et en santé publique et des personnes vivant avec le VIH de partout au pays. Le rapport a aussi la grande qualité de tenir sur seulement huit pages, donc je vous incite à le lire.
Dans le rapport, nous relevons qu'il y a environ 63 000 personnes au Canada vivant avec le VIH, mais que seulement 86 % d'entre elles ont reçu un diagnostic, ce qui signifie qu'il y a environ 9 000 personnes au Canada qui sont infectées par le VIH sans le savoir. Pour les personnes qui ont reçu un diagnostic de VIH, seulement 81 % d'entre elles suivent un traitement antirétroviral. Cela signifie qu'il y a 10 000 autres personnes au Canada qui ont reçu un diagnostic de VIH, mais qui ne suivent pas de traitement.
Comme il est souligné dans le rapport, nous savons que si nous élargissons les options de dépistage, y compris le dépistage au point d'intervention et les options d'autodépistage, cela peut augmenter de façon très importante le dépistage du VIH. Nous savons aussi que les personnes qui suivent un traitement antirétroviral efficace ne présentent pas de risque de transmettre sexuellement le VIH.
Si nous pouvons augmenter de façon importante les options de dépistage, et l'accès aux soins et le soutien lié aux traitements, nous pouvons atteindre une situation où les nouvelles infections deviendront rares et, de fait, éradiquer l'épidémie de VIH au Canada au cours des cinq prochaines années.
Voilà l'appel à l'action qui figure dans notre rapport. Nous y relevons aussi les nombreux obstacles qui existent toujours. Le dépistage au point d'intervention est grandement sous-utilisé au Canada, et les options d'autodépistage accessibles en pharmacie et semblables à un test de grossesse, qui sont maintenant facilement accessibles dans la plupart des pays du monde, ne sont toujours pas offertes au Canada. Tout cela doit changer.
Nous soulignons aussi que la stigmatisation associée au VIH a une incidence sur la volonté des gens à subir un test de dépistage et à chercher à obtenir un traitement et à le suivre. Cela a aussi une incidence sur leur conscience d'eux-mêmes, leur sentiment d'appartenance à la collectivité, leur accès aux services et leur capacité de recourir à du soutien social. La criminalisation injustifiée de la non-divulgation de la séropositivité contribue grandement à la stigmatisation continue associée au VIH. La criminalisation, bien souvent accompagnée par des reportages à sensation dans les médias qui mettent l'accent de façon disproportionnée sur les personnes racialisées, mine les efforts de prévention contre le VIH en dissuadant les personnes de subir un dépistage du VIH par crainte que cela puisse les mener à des poursuites criminelles.
La criminalisation mine la confiance à l'égard des approches volontaires de prévention et de dépistage du VIH . Cela fait en sorte que de fausses informations continuent de se répandre à propos de la nature du VIH et de ses modes de transmission. L'utilisation excessive du droit criminel nuit à la capacité des personnes vivant avec le VIH d'obtenir les soins qu'elles requièrent par crainte que leur état sérologique vis-à-vis du VIH et leurs échanges avec des professionnels des soins de la santé puissent être utilisés contre elles dans le cadre de poursuites criminelles.
La criminalisation injustifiée a des effets dévastateurs non seulement sur ceux qui sont accusés et reconnus coupables, comme vous l'avez entendu dire aujourd'hui, mais aussi sur la prévention du VIH de façon générale et les initiatives en matière de soins. On a récemment montré cet effet néfaste par une étude menée au Canada, dont les résultats ont été diffusés en 2018, qui visait les poursuites pour non-divulgation de la séropositivité et leur effet sur le dépistage du VIH et sa transmission entre les hommes ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes, les HSH. Dans le cadre de cette étude, on a interrogé 150 HSH séronégatifs, et les résultats ont montré que 7 % d'entre eux étaient moins ou beaucoup moins susceptibles de subir un dépistage du VIH en raison de préoccupations liées à de possibles poursuites. Les auteurs ont estimé que cette diminution de 7 % du dépistage entraînerait une augmentation de 18,5 % de la transmission du VIH dans la communauté, en grande partie parce que les HSH séropositifs n'ayant pas reçu de diagnostic n'ont pas accès à des soins et ne réduisent pas leur risque de transmettre le VIH en recevant un traitement antirétroviral efficace. En d'autres mots, l'étude a montré que les préoccupations liées à de possibles poursuites réduisent le nombre de personnes séropositives qui sont disposées à subir un test de dépistage et à recevoir les soins dont elles ont besoin pour supprimer la possibilité de transmission à une autre personne. Les préoccupations liées à de possibles poursuites dissuadent les gens de subir un dépistage et de suivre un traitement. Il a été montré que cela augmente le risque de transmission à d'autres personnes.
En résumé, nous n'arriverons pas à éradiquer l'épidémie de VIH en cinq ans au Canada si nous continuons d'ajouter à la stigmatisation et à la désinformation associées au VIH en raison de l'usage abusif et injustifié de mesures de justice pénale. Nous n'atteindrons pas cet objectif si la criminalisation excessive de la non-divulgation de la séropositivité continue de dissuader les gens de subir un dépistage et de suivre un traitement. Nous devons atteindre un bon équilibre, non seulement pour aider les personnes qui sont visées de façon inappropriée et injuste par la justice pénale au Canada, mais aussi pour progresser vers l'atteinte de notre objectif plus large de mettre fin à l'épidémie de VIH au Canada.
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Bonjour. Je vous remercie de m'avoir invitée à prendre la parole devant le Comité aujourd'hui.
Je m'appelle Kerry Porth et je suis chercheuse sur les politiques du travail du sexe à la Pivot Legal Society. Pivot est une organisation située dans le quartier est du centre-ville de Vancouver qui travaille auprès des communautés touchées par la pauvreté et l'exclusion sociale pour trouver des solutions aux questions complexes liées aux droits de la personne.
Notre travail se concentre sur plusieurs domaines, mais aujourd'hui je limiterai mes commentaires à mon domaine d'expertise, qui est le travail du sexe et la loi. Je suis ici pour apporter l'appui conditionnel de Pivot aux nouvelles lignes directrices de la procureure générale au chapitre des poursuites pour la non-divulgation de la séropositivité.
J'aimerais rappeler au Comité que le Canada détient le troisième plus grand nombre de poursuites pour non-divulgation alléguée de la séropositivité au monde. Ces poursuites visent un nombre disproportionné de personnes marginalisées par la pauvreté, la race, l'expression de genre et l'orientation sexuelle, des personnes comme nos clients qui travaillent dans l'industrie du sexe et qui continuent à travailler dans un environnement criminalisé.
Nous sommes ravis de constater que la procureure générale prend des mesures pour réduire le nombre de poursuites et pour permettre la prise en considération accrue des circonstances particulières. Cela dit, la directive ne va pas assez loin. Selon nous, la décriminalisation du travail du sexe est la seule manière de respecter pleinement les droits des travailleurs du sexe et de protéger leur santé et leur sécurité.
Nous craignons que même avec les nouvelles directives, les travailleurs du sexe puissent être injustement accusés pour des infractions liées au VIH qui sont, en réalité, liées à la stigmatisation et à la criminalisation du travail du sexe.
Nous savons que la criminalisation du travail du sexe, d'abord, expose les travailleurs à des risques plus élevés de transmission du VIH. Puis, elle rend les travailleurs vulnérables à l'exploitation et aux comportements à risque. Enfin, elle les empêche d'avoir accès à des soins de santé.
En ce qui concerne le premier point, cette criminalisation expose les travailleurs à des risques plus élevés de transmission du VIH. Au Canada, la prévalence du VIH chez les travailleurs du sexe est plus élevée parmi ceux qui vendent ou échangent des services sexuels dans la rue. Cela s'explique par des problèmes liés à la criminalisation, à la violence, à la stigmatisation et aux mauvaises conditions de travail qui les empêchent de prendre des mesures pour se prémunir contre le VIH, notamment l'utilisation correcte de préservatifs.
La plupart des travailleurs du sexe vivant avec le VIH ont contracté la maladie par l'utilisation de drogues injectables ou, plus souvent, par voie de relation sexuelle sans caractère commercial avec un partenaire intime.
En 2015, un examen approfondi de toutes les recherches sur le VIH et sur le travail du sexe réalisées au cours des six dernières années a révélé que les efforts en matière de prévention biomédicale et comportementale à eux seuls n'ont eu que de modestes répercussions sur la réduction des infections à VIH chez les travailleurs du sexe. L'examen a plutôt révélé que les facteurs structurels ont joué le rôle le plus important.
Les recherches ont constamment démontré que la criminalisation du travail du sexe et les interventions policières réduisent la capacité des travailleurs du sexe à correctement choisir leurs clients, à négocier l'usage du préservatif et à avoir accès à des services de santé sans être stigmatisés, y compris la prise en charge du VIH.
Toute affirmation selon laquelle les travailleurs du sexe ont été décriminalisés en vertu de la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d'exploitation, adoptée en décembre 2014, est tout à fait inexacte. Les personnes qui vendent ou qui échangent des services sexuels dans des conditions difficiles, comme celles qui travaillent dans les rues, sont tout autant limitées dans leur capacité à assurer leur propre sécurité sous le régime des nouvelles lois que lorsque les anciennes étaient en vigueur.
Par exemple, l'interdiction de communiquer avec les clients signifie que les travailleurs du sexe ont très peu de temps pour évaluer les risques que pose un client potentiel dans la rue, car le client craint d'être repéré par les forces de l'ordre. Les travailleurs qui sont dans de telles conditions ont peu de temps pour négocier les conditions de la transaction, y compris l'utilisation de préservatifs, et cela peut les rendre vulnérables au VIH.
Au Canada, les recherches ont montré que les lois qui ciblent les clients et les tierces parties — comme les gestionnaires, les agents de sécurité et les réceptionnistes — n'ont pas réduit les taux de violence contre les travailleurs du sexe et n'ont pas aidé les travailleurs à avoir un meilleur contrôle sur leur santé sexuelle, notamment en ce qui concerne la prévention du VIH.
Pour ce qui est du deuxième point, la criminalisation rend les travailleurs vulnérables à l'exploitation et aux comportements à risque. La directive criminalise encore l'activité sexuelle si un préservatif n'est pas utilisé. Cette exigence a des répercussions particulières sur les travailleurs du sexe marginalisés qui sont vulnérables aux pratiques abusives, comme dans le cas où un client refuse d'utiliser un préservatif.
Au Canada, la plupart des travailleurs du sexe adoptent des pratiques sexuelles à moindre risque à des taux beaucoup plus élevés que le grand public, et il ne devrait pas être nécessaire de le préciser, étant donné que leur travail exige d'avoir un corps sain. Toutefois, les travailleurs du sexe vivant avec le VIH, et qui vivent et travaillent dans des conditions difficiles, peuvent ne pas être au courant de leur charge virale actuelle, mais continuent à utiliser des préservatifs, dont l'efficacité absolue pour prévenir la transmission du VIH a été prouvée.
Il existe des cas, toutefois, où des clients exercent des pressions sur les travailleurs marginalisés, souvent par des incitatifs financiers importants, pour ne pas utiliser de préservatif, ou l'enlèvent au cours de la transaction, ou encore agressent sexuellement un travailleur du sexe sans porter de préservatif.
La criminalisation directe des tierces parties, comme les conducteurs, les gestionnaires et les agents de sécurité, a un effet négatif sur la santé et la sécurité des travailleurs du sexe. Les recherches ont bien prouvé, et cela a été confirmé par la Cour suprême du Canada, que les travailleurs du sexe jouissent d'une plus grande sécurité et ont de meilleurs résultats en matière de santé quand ils peuvent travailler ensemble à l'intérieur d'un endroit fixe. Les données probantes démontrent qu'un environnement de travail plus sûr et des logements supervisés permettant aux travailleurs du sexe de travailler ensemble facilitent l'accès aux soins de santé et réduisent les risques de contracter le VIH.
Ces options sont maintenant moins disponibles, étant donné que toute personne qui ne fait que sembler recevoir un avantage matériel du travail du sexe est présumée coupable. Cela a réduit le nombre de tierces parties de confiance. Par conséquent, des personnes moins réticentes à enfreindre la loi et plus susceptibles d'exploiter les travailleurs du sexe sont intervenues pour combler le vide. En d'autres termes, un cadre juridique qui considère toutes les tierces parties et tous les clients comme étant des personnes qui exploitent autrui et qui sont potentiellement violentes sans aucune preuve à l'appui crée un environnement où la violence et l'exploitation sont plus susceptibles de se produire.
Les pratiques abusives peuvent englober l'exigence que les travailleurs du sexe prennent des clients qui ne veulent pas utiliser de préservatifs. Les travailleurs du sexe migrants, en particulier, connaissent peu de gens et ne parlent pas bien la langue et risquent constamment d'être expulsés en raison des règlements en matière d'immigration qui leur interdisent de travailler dans l'industrie du sexe. Par conséquent, ils sont incapables de communiquer avec la police et craignent d'accéder aux soins de santé.
En ce qui concerne le troisième point, la criminalisation du travail du sexe empêche l'accès aux soins de santé. La directive affirme que les personnes ne seront pas poursuivies si elles ont une charge virale supprimée, mais les travailleurs du sexe sont dissuadés d'avoir accès aux soins de santé et, par conséquent, sont exposés à un plus grand risque de poursuites que les autres communautés.
Compte tenu des obstacles structurels à une prise en charge complète du VIH pour les travailleurs du sexe marginalisés, il est facile de prévoir des circonstances dans lesquelles ils ne sont pas conscients de leur charge virale actuelle, et nous sommes donc préoccupés par la façon dont les comportements « moins répréhensibles » seront évalués en vertu des nouvelles directives. La stigmatisation des travailleurs du sexe est profonde, et le rôle de vecteurs de maladies qui leur est attribué par les organismes de santé publique trouve à l'époque moderne ses racines dans la Loi sur les maladies contagieuses de 1860 en Angleterre.
Les travailleurs du sexe sont également perplexes au sujet de la criminalisation...
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Je veux tout d'abord remercier le président, le greffier et tous les membres du Comité d'avoir invité la Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida, ou COCQ-SIDA, à présenter ses observations sur la criminalisation de la non-divulgation de la séropositivité, notamment à la lumière de la directive récemment publiée par l'ancienne procureure générale du Canada.
Depuis qu'elle a reçu le mandat d'agir relativement à la criminalisation de l'exposition au VIH, la COCQ-SIDA s'est publiquement et constamment opposée au recours au droit criminel pour gérer l'épidémie de VIH et de sida, et ce, tant pour des raisons de santé publique que pour des raisons de respect des droits de la personne.
Membre de la Coalition canadienne pour réformer la criminalisation du VIH, la COCQ-SIDA souscrit en tous points à la Déclaration de consensus communautaire publiée en novembre 2017 et signée à ce jour par plus de 170 organisations.
La mise au point de directives destinées aux procureurs par le procureur général du Canada et ses homologues des provinces était justement l'une des demandes formulées dans cette Déclaration. La Coalition demande en outre que ces directives prennent en compte les connaissances scientifiques les plus à jour afin que cesse le recours injuste au droit criminel à l'encontre des personnes vivant avec le VIH.
La COCQ-SIDA s'est donc réjouie lorsque l'ancienne procureure générale du Canada a publié en décembre dernier une directive à l'intention des procureurs fédéraux. Cette directive reprend essentiellement les conclusions du rapport de Justice Canada de décembre 2017 intitulé « Réponse du système de justice pénale à la non-divulgation de la séropositivité ».
Dans ce rapport, il était notamment recommandé que le droit criminel ne s'applique ni aux personnes vivant avec le VIH, mais dont la charge virale est supprimée — c'est-à-dire inférieure à 200 copies du VIH par millilitre de sang —, ni aux personnes séropositives qui suivent un traitement, qui utilisent un condom ou qui ne se livrent qu'à des relations sexuelles orales, sauf en présence d'autres facteurs de risque. En effet, dans ces deux cas, il n'existe aucune possibilité réaliste de transmission du VIH.
La directive fédérale limite davantage le recours au droit criminel à l'encontre des personnes vivant avec le VIH que ne le fait la mesure adoptée en Ontario. En effet, cette province prévoit un moratoire sur les poursuites pour non-divulgation de la séropositivité dans le cas de personnes ayant maintenu une charge virale supprimée depuis six mois, et ce, sans égard à la nature de l'activité sexuelle, ni à l'utilisation ou non d'un condom, ni au fait qu'ils suivent ou non un traitement.
Je vais maintenant vous parler un peu de la situation au Québec. Bien que la COCQ-SIDA demande depuis près de 10 ans l'adoption d'une directive pour limiter le recours au droit criminel dans les cas de non-divulgation du statut sérologique, aucun document officiel n'a encore été adopté ou publié à cet effet.
Cela ne revient pas à dire que rien n'a été fait, cependant, puisque certaines mesures ont été mises en place au fil des ans pour tenter de limiter le recours au droit criminel dans les cas liés au VIH. Ainsi, un groupe de travail multisectoriel a été mis sur pied pour permettre à l'ensemble des acteurs concernés — ministères, milieux de la justice, de la santé et de la sécurité publique et intervenants communautaires — de tenir compte dans leurs activités des faits récents en matière de criminalisation, des conséquences néfastes du recours au droit criminel en santé publique et des connaissances scientifiques les plus à jour relativement au VIH.
Au Québec, le ministère de la Justice et le directeur des poursuites criminelles et pénales ont invoqué d'autres arguments pour étayer leur refus d'adopter une directive spécifique, se fondant notamment sur un nombre trop faible de cas signalés. Pourtant, nous avons recensé environ 13 poursuites pour non-divulgation de la séropositivité depuis les affaires Mabior et D.C. remontant à 2012. Cela dit, le Québec a quand même adopté certaines mesures pour tenter de limiter le recours au droit criminel, comme la nomination de procureurs désignés pour les cas liés au VIH.
Cependant, malgré nos demandes répétées, aucune directive claire à l'intention des procureurs ne semble pour l'instant être envisagée au Québec.
Or, sans directive publique claire, une personne n'a aucun moyen de savoir avec certitude si le droit criminel s'applique à son comportement ou non. Sans directive claire, il survient parfois des situations incongrues au sein même de l'appareil judiciaire provincial, lesquelles témoignent d'une confusion bien réelle et laissent planer un doute sur la pertinence des balises existantes. Je vais vous en donner un exemple.
Au cours des derniers mois, nous avons vu certaines poursuites être abandonnées, à la suite de la déclaration des médecins traitants qui venaient attester la charge virale de la personne accusée et confirmer l'absence de tout risque de transmission. Une directive claire aurait évité ces poursuites en amont et aurait donc évité bien des tracas aux personnes accusées. Nous nous sommes quand même réjouis de l'abandon de ces poursuites par la suite.
Or, dans une récente décision de la Cour d'appel du Québec rendue à la mi-mars, il est écrit que:
Comme le plaide l'intimée, la preuve de la charge virale de l'appelant n'a aucune pertinence à l'égard du chef d'agression sexuelle grave vu les faits en cause. Puisque aucun condom n'a été utilisé lors des relations sexuelles, le fait pour l'appelant d'avoir, au moment des événements reprochés, une charge virale faible ou indétectable n'aurait pas suffi à écarter la possibilité réaliste de transmission du VIH.
C'est donc difficile de croire que la désignation de procureurs pour traiter les cas liés au VIH assure, en l'absence d'une directive claire, l'application uniforme du droit dans la province si, d'un côté, on juge que la charge virale justifie l'abandon de poursuite, mais, de l'autre, on indique aux juges de la plus haute cour du Québec que la charge virale n'est pas pertinente dans l'appréciation d'une possibilité réaliste de transmission du VIH, juges qui retiennent cette idée dans leur jugement.
À l'heure actuelle, il est donc impossible pour une personne vivant avec le VIH au Québec de savoir si sa charge virale la met réellement à l'abri de poursuites, dans l'éventualité où elle ne divulgue pas son statut à un partenaire.
Ces questions se posent parce qu'en ce moment, au Canada, l'intrusion possible de l'État dans la chambre à coucher des personnes vivant avec le VIH et dans leurs pratiques sexuelles varie énormément selon l'endroit où ils et elles se trouvent.
Dans l'état actuel des choses, une personne pourrait se retrouver en prison pour ne pas avoir utilisé un condom à Longueuil, mais être à l'abri de poursuites pour le même acte si la relation sexuelle avait eu lieu à Whitehorse.
Ainsi, et au risque de galvauder un concept de droit administratif avec lequel je trouve intéressant de dresser des parallèles, il me semble que les personnes vivant avec le VIH devraient pouvoir nourrir certaines attentes raisonnables, pouvoir connaître le droit qui s'applique à leur situation et bénéficier, à cet égard, d'une certitude quant à la manière dont il sera appliqué.
Toutefois, le manque de cohésion à l'échelle canadienne sur la manière dont le critère de la possibilité réaliste de transmission établi par la Cour suprême doit être interprété crée, sans surprise, une certaine confusion au sein de la communauté. Rappelons que cette confusion se fait sur le dos de personnes souvent déjà marginalisées.
Passons aux prochaines étapes. Devant ce préoccupant manque d'uniformité au Canada, le travail du gouvernement fédéral n'est pas terminé. Il peut et doit agir. Un processus de réforme législative doit être enclenché afin de limiter le recours injuste au droit criminel contre les personnes vivant avec le VIH. Il s'agit d'ailleurs d'une seconde demande contenue dans la Déclaration de consensus communautaire de la Coalition canadienne pour réformer la criminalisation du VIH.
Le fait de demander une réforme du Code criminel a été une décision longuement réfléchie et nous sommes conscients des défis que cela pose, mais une telle mesure ferme et surtout durable est nécessaire.
La forme exacte que devrait prendre cette réforme reste à déterminer, mais certains aspects sont clairs et ont été mentionnés par d'autres témoins. D'une part, la réforme doit faire en sorte que la question de non-divulgation du VIH soit soustraite de l'application de la loi ayant trait aux agressions sexuelles et, d'autre part, on doit veiller à ce qu'elle ne soit appliquée qu'aux cas très exceptionnels de transmission intentionnelle du VIH et qu'elle soit évitée dans toute autre circonstance.
En conclusion, chers membres du Comité, la directive annoncée n'est que le premier pas dans un chantier beaucoup plus vaste qui doit mener à une réforme législative. La directive annoncée par le gouvernement fédéral va certes plus loin que certaines mesures prises dans les provinces, mais elle ne reste pour l'heure qu'une mesure de réduction des méfaits. Même dans l'optique où des directives seraient adoptées par toutes les provinces sur l'interprétation de ce que constitue une possibilité réaliste de transmission du VIH, seule une réforme législative permettra de faire en sorte que le droit criminel ne s'applique qu'aux cas de transmission intentionnelle du VIH.
Nous poursuivrons avec plaisir le travail sur la question avec vous et nos partenaires.
Je vous remercie.