:
Merci monsieur le président.
Je commencerai d'abord et ma collègue prendra la suite.
Je tiens tout d'abord à vous remercier, monsieur le président et membres du Comité de nous accorder cette importante occasion de nous exprimer au sujet du projet de loi , qui fait suite à la décision unanime de la Cour suprême du Canada dans la cause Carter c. Canada et qui établit un nouveau cadre fédéral pour l'aide médicale à mourir.
Comme vous l'avez dit, monsieur le président, l'aide médicale à mourir est une question complexe et profondément personnelle. Tous les pays qui l'ont autorisée ou qui en ont débattu ont soigneusement tenu compte de tous les intérêts en jeu. Au Canada, nous travaillons dans un cadre juridique et constitutionnel distinct, où les pouvoirs sont répartis entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux et qui comprend la Charte des droits et libertés, le tout servant à informer les choix du gouvernement que l'on retrouve dans ce projet de loi.
Le projet de loi viendrait établir les règles de droit pénal régissant l'aide médicale à mourir sur les plans de l'admissibilité, des garanties procédurales et du cadre nécessaire à un système de surveillance. Il reprendrait l'article 14 et l'alinéa 241b) du Code criminel, de sorte que le fait d'aider une personne à mourir ou de causer la mort d'une personne avec le consentement de celle-ci continuerait de constituer un acte criminel, sauf si l'une de ces deux actions se déroulait conformément aux dispositions régissant l'aide médicale à mourir énoncées dans le projet de loi.
Le projet de loi exempterait les médecins et les infirmiers praticiens de toute responsabilité criminelle s'ils fournissent une aide médicale à mourir à une personne admissible conformément aux garanties de procédure prévues dans la loi. Il exonérerait également d'autres personnes qui pourraient participer au processus, notamment les pharmaciens qui remplissent l'ordonnance.
Détail important, le projet de loi prévoit un examen parlementaire cinq ans après son entrée en vigueur. Le gouvernement est également résolu à continuer d'étudier les enjeux complexes de l'aide médicale à mourir dans le contexte des demandes préalables, des demandes faites par des mineurs matures et des cas où la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée, aucun de ces aspects n'ayant été examiné par la Cour dans l'affaire Carter.
Le gouvernement a choisi cette approche après avoir soigneusement examiné l'éventail complet des options possibles pour un régime d'aide médicale à mourir. Comme il est indiqué dans notre document d'information législatif, que j'ai déposé en deuxième lecture, on a analysé et comparé les régimes adoptés ailleurs, notamment au Québec, dans certains États américains, dans plusieurs pays européens et en Colombie.
Le gouvernement s'est également appuyé sur les consultations menées au pays, y compris les travaux du comité mixte spécial, le groupe d'experts externe, le groupe consultatif provincial-territorial d'experts et l'étude pluriannuelle du Québec dont la province s'est inspirée pour élaborer sa propre loi. Nous avons également consulté un large éventail de parties prenantes.
Fort de ces témoignages et de ces connaissances, qui vont même au-delà de la documentation très détaillée présentée devant la Cour suprême du Canada dans l'affaire Carter, le gouvernement a soigneusement abordé la question. Le projet de loi laisserait une plus grande flexibilité que les lois adoptées aux États-Unis, qui se limitent aux patients atteints d'une maladie en phase terminale. Mais il ne va pas aussi loin que certains régimes plus permissifs des pays européens. Comme la Cour l'a fait valoir dans l'arrêt Carter, « le législateur [...] est mieux placé que les tribunaux pour créer des régimes de réglementation complexes » — comme celui-ci.
Le projet de loi est juste et pratique et présente une approche équilibrée.
Pour ce qui est de l'admissibilité, je sais que l'exigence voulant que la mort naturelle de la personne soit « raisonnablement prévisible » a reçu une certaine attention, notamment en lien avec l'affaire Carter. J'aimerais parler de ces préoccupations.
Le projet de loi a été délibérément rédigé pour répondre à la situation étudiée dans l'affaire Carter, pour laquelle la Cour n'a entendu que les témoignages concernant des personnes à un stade avancé de maladies incurables, qui étaient en déclin physique et dont la mort naturelle approchait. La Cour a déclaré que l'interdiction complète de l'aide à mourir était une violation des droits garantis par la Charte, dans ces circonstances. Ainsi, les critères d'admissibilité énoncés dans le projet de loi sont conformes à l'arrêt Carter. Ils tiennent compte de la totalité de l'état de santé de la personne et non d'une liste de maladies approuvées.
En définissant le terme « problèmes de santé graves et irrémédiables », le projet de loi ferait en sorte que tous les adultes capables qui sont dans un état de déclin irréversible vers la mort puissent opter pour l'aide médicale à mourir afin de mourir en paix, qu'ils soient ou non atteints d'une maladie mortelle ou en phase terminale.
Une personne peut être à l'approche d'une mort naturelle pour des raisons médicales qui ne sont pas directement liées à une maladie grave et incurable, par exemple. De plus, l'admissibilité de la personne ne dépend pas du temps qu'il lui reste à vivre, que ce soit des semaines ou des mois, comme c'est le cas aux États-Unis. En définitive, la prévisibilité raisonnable de la mort est une décision médicale, et non juridique, une décision à prendre en tenant compte de l'état de santé global de la personne, du nombre et de la nature de ses maladies, de sa fragilité, de son âge, etc.
Le vice-président de l'Association médicale canadienne a confirmé que la prévisibilité raisonnable de la mort est une norme qui donne des indications suffisantes aux médecins et aux infirmiers praticiens en éliminant une grande part de la subjectivité laissée par le concept non défini de maladie grave donné par la Cour tout en permettant à ceux qui possèdent les connaissances médicales et l'expertise nécessaires de prendre des décisions en fonction de chaque cas.
Il existe d'autres raisons impérieuses pour vouloir exiger que la mort naturelle de la personne soit raisonnablement prévisible. Premièrement, c'est un moyen équitable de restreindre l'admissibilité sans mettre l'aide médicale à mourir à la portée de pratiquement tout le monde. Deuxièmement, il est nécessaire de restreindre ainsi l'admissibilité pour protéger les personnes vulnérables.
Les autres critères d'admissibilité qui ont été proposés et suggérés seraient arbitraires. Par exemple, il serait arbitraire de permettre aux gens souffrant de maladies dégénératives, mais non mortelles, d'avoir accès à l'aide médicale à mourir avant que leur mort soit devenue raisonnablement prévisible, tout en excluant les personnes uniquement atteintes d'une maladie mentale ou qui sont nées avec un handicap physique, ou encore celles qui souffrent physiquement ou psychologiquement pour toute autre raison. Ce ne sont pas des options viables, à notre avis, car elles établissent une discrimination dès le départ en fonction de l'état de santé, au lieu de permettre au médecin d'envisager la situation particulière de la personne.
D'autres ont proposé que le gouvernement accorde un accès élargi, en fonction de l'expérience subjective de la souffrance de chaque personne et du droit de choisir le moment où la vie cesse d'avoir un sens, sans paramètres objectifs liés à leur condition ni mesures de sauvegarde. Notre gouvernement croit fermement que l'aide médicale à mourir ne devrait pas être possible pour tous les types de souffrance. Si tel était le cas, le risque pour les personnes vulnérables augmenterait énormément et ce serait franchement inacceptable. Cette approche pourrait contribuer à la stigmatisation des personnes handicapées, elle pourrait saper les efforts de prévention du suicide et elle pourrait amener des personnes marginalisées ou solitaires à demander une aide médicale pour mettre prématurément fin à leur vie.
Comme la Cour l'a indiqué dans l'affaire Carter, au moment de formuler une loi, le Parlement doit comparer et peser les points de vue de ceux qui pourraient être à risque dans un régime permissif. Notre gouvernement respecte la Cour suprême du Canada et estime que pour légiférer dans ce domaine extrêmement complexe et personnel, nous devons veiller à protéger la dignité de ces vies canadiennes.
Voilà pourquoi les critères établis dans le projet de loi tiennent compte de l'ensemble des conditions médicales qui peuvent rendre la mort d'une personne raisonnablement prévisible. Ce faisant, la loi dit clairement quel est le but de l'aide médicale à mourir: donner aux adultes capables qui sont sur la voie de leur mort naturelle le choix d'une mort paisible. Elle donne également un maximum de flexibilité aux fournisseurs de soins de santé en matière d'évaluation médicale, tant en ce qui concerne les conditions qui ont mené une personne à être sur la voie de la mort que le temps pendant lequel elle peut demander l'aide médicale à mourir.
Je tiens à souligner l'importance d'adopter le texte de loi avant le 6 juin 2016, date où la déclaration d'invalidité de la Cour expirera. En l'absence d'une nouvelle loi, le 6 juin, les paramètres de l'arrêt Carter entreraient en vigueur.
Le champ d'application de la décision reste incertain à plusieurs égards et son application dans la pratique resterait donc floue. En admettant un instant que l'arrêt Carter fasse partie du libellé de l'article 14 et de l'article 241, et l'alinéa b) du Code criminel de sorte qu'à l'exception de l'aide médicale à mourir, ces lois pénales seraient en vigueur, il resterait encore suffisamment d'incertitude.
Premièrement, étant donné que le milieu médical ne s'entend pas sur une interprétation commune de ce qui constitue un état « grave et irrémédiable », un patient admissible à l'aide médicale à mourir en vertu du projet de loi aura de la difficulté à l'obtenir. En l'absence d'une loi claire, des médecins qui auraient été prêts à fournir ce service, pourraient refuser de le faire parce qu'ils ont des doutes concernant l'admissibilité.
Par ailleurs, si on néglige de définir les paramètres Carter dans la loi fédérale, on pourrait avoir une grande variation dans l'application de l'admissibilité, non seulement entre les provinces ou les régions, mais en leur sein. L'accès dans les régions éloignées et rurales en pâtirait, non seulement parce que les médecins peuvent être réticents à fournir une aide médicale à mourir dans un contexte juridique aussi incertain, mais également parce qu'en vertu de l'arrêt Carter, les infirmiers praticiens ne peuvent pas fournir ce service.
Deuxièmement, le processus actuel d'approbation provisoire de la Cour prendra fin le 6 juin. Par conséquent, sauf pour le Québec, il n'y aurait pas de cadre juridique contraignant pour régir l'aide médicale à mourir au Canada. Autrement dit, il n'y aurait pas de garanties obligatoires de procédure pour prévenir les abus et protéger les personnes vulnérables.
Les lignes directrices publiées par les organismes de réglementation médicaux ne sont ni contraignantes ni uniformes, ce qui aggrave le risque de disparités au Canada, ce qui pourrait à son tour créer des risques graves pour la sécurité publique. Par exemple, un patient pourrait demander et recevoir l'aide médicale à mourir en une seule et même journée. Sans passer par une liste exhaustive des risques, il va de soi qu'il serait irresponsable de laisser passer le 6 juin sans avoir adopté une loi fédérale.
Comme la Cour l'a précisé dans le paragraphe 117 de l'arrêt Carter, « un système de garanties soigneusement conçu et surveillé peut limiter les risques associés à l’aide médicale à mourir ». Or, le projet de loi établit un cadre responsable et équilibré qui limite ces risques et met en place ces mesures de sauvegarde.
Je me réjouis d'avoir l'occasion de discuter de ce projet de loi et de contribuer à votre étude. L'approche adoptée dans le projet de loi répond à l'arrêt Carter en demeurant sensible, il me semble, à tous les aspects dont la Cour a été saisie dans cette affaire et crée un cadre juridique responsable et équitable pour permettre l'aide médicale à mourir au Canada pour la première fois dans l'histoire de notre pays.
Maintenant, si vous le permettez, monsieur le président, je voudrais céder la parole à la ministre .
:
Merci, monsieur le président.
Je mentionne que je vais faire quelques commentaires en français aussi, pour ceux qui ont besoin des écouteurs.
[Traduction]
Monsieur le président, mesdames et messieurs, je vous remercie de cette occasion de témoigner cet après-midi. Je suis ravie de me retrouver ici avec ma collègue pour discuter de l'importante question de l'aide médicale à mourir.
Je pense qu'aucun d'entre nous ne saurait nier la nature monumentale de la mesure législative qui nous occupe. C'est dire la nature profonde et solennelle de notre responsabilité en tant que représentants du peuple du Canada à prendre des décisions judicieuses et je vous remercie de votre contribution au processus tout en me réjouissant à l'avance de vos commentaires et questions.
Les débats sur la fin de vie peuvent être incroyablement difficiles. Je peux l'affirmer de par mon expérience personnelle et je sais que vous avez tous vécu des expériences similaires et que vous avez vos propres histoires personnelles sur ces débats, qui demeurent pourtant essentiels et auxquels nous devons participer individuellement, en tant que députés et en tant que société.
Ce sont des débats difficiles également pour les fournisseurs de soins de santé car ils peuvent ne pas avoir eu une formation qui les a suffisamment préparés pour en discuter et encore moins pour apporter le soutien dont les patients ont besoin à la fin de la vie. Tout en nous efforçant de répondre aux besoins des Canadiens à la fin de leur vie, nous avons un système qui peut souvent empêcher les gens d'exercer leur autonomie personnelle.
[Français]
Nous voulons un système où le respect de l'autonomie individuelle forme la pierre angulaire de toutes les politiques. Nous voulons également un système où les droits des plus vulnérables sont respectés et protégés. Ce projet de loi est une pièce importante du casse-tête quand vient le temps de faire en sorte que les Canadiennes et les Canadiens aient non seulement accès à une bonne vie, mais aussi accès à une bonne mort.
[Traduction]
Il s'agit de permettre aux patients de prendre en charge leur propre devenir tout en veillant à ce que les Canadiens reçoivent des soins compassionnels lorsqu'ils arrivent à la fin de leur vie.
Comme vous le savez, nous avons écouté ce que les Canadiens et les intervenants avaient à dire avant de rédiger ce projet de loi. Nous l'avons examiné attentivement pour nous assurer qu'il soit conforme à la Charte. Nous avons soigneusement étudié l'arrêt Carter pour que des personnes dans la même situation puissent bénéficier de soins susceptibles de soulager leurs souffrances, y compris l'option de l'aide médicale à mourir.
Tout au long de ce débat et depuis l'introduction de ce projet de loi, nous avons entendu plusieurs parlementaires et de nombreux intervenants. Certains craignaient que la loi aille trop loin et nous reconnaissons que pour beaucoup, la nouvelle réalité de l'ère post Carter soit une inconnue qui va renforcer les inquiétudes sur notre façon de protéger les personnes les plus vulnérables.
[Français]
Nous voulons faire savoir à ces Canadiennes et Canadiens que nous comprenons leurs inquiétudes et que nous croyons que les mesures de sauvegarde établies dans le cadre de ce projet de loi feront en sorte que les droits des personnes les plus à risque seront protégés.
[Traduction]
Nous avons également entendu des personnes qui estiment que le projet de loi ne va pas assez loin et qui aimeraient voir l'admissibilité élargie pour certains aspects. Nous tenons à remercier également les Canadiens qui se sont exprimés au nom de ceux qui souffrent.
L'engagement du gouvernement était de répondre à l'arrêt Carter, ce qui exige de modifier le Code criminel pour protéger les professionnels de la santé qui aident les patients à prendre une décision. Mais nous voulons aussi prendre le temps d'examiner d'autres questions plus complexes qui nécessitent plus de temps et une étude plus approfondie.
[Français]
À titre d'exemple, le projet de loi établit à 18 ans l'âge minimum d'admissibilité, soit l'âge de la majorité dans la plupart des provinces et territoires. Cette approche nous paraît appropriée, compte tenu du caractère unique et irréversible d'une telle décision. Nous savons que la capacité à prendre des décisions relatives à la santé n'est pas strictement liée à l'âge et que, selon la province, le droit de refuser un traitement médical ou de consentir à celui-ci peut être obtenu dès l'âge de 14 ans, par exemple.
[Traduction]
Face à la divergence d'opinions sur cette question entre les Canadiens et les intervenants, comme vous le savez, le comité mixte spécial a demandé une étude plus approfondie et de vastes consultations sur la question des mineurs matures. Notre projet de loi en tient compte, ainsi que de la nécessité de faire preuve de prudence, mais nous reconnaissons les situations difficiles auxquelles les mineurs matures et leurs familles sont confrontés en fin de vie et nous nous engageons à prendre le temps nécessaire pour étudier cette question dans les mois à venir.
Nous avons connu des difficultés similaires en étudiant la question des directives préalables. La Cour suprême ne l'a pas traitée dans l'affaire Carter et les points de vue des Canadiens et des intervenants, comme vous le savez, sont divisés. Je comprends les Canadiens qui craignent qu'après avoir reçu un diagnostic de maladie comme la démence, ils pourraient connaître un déclin susceptible de compromettre leur dignité. C'est pourquoi certains ont demandé que des gens puissent présenter des demandes d'aide médicale à mourir bien avant de ne plus être capable d'exprimer ou de réaffirmer le désir d'accélérer leur mort.
J'ai récemment eu l'occasion de rencontrer un groupe appelé Dying With Dignity et de comprendre leur point de vue et la sensibilité avec laquelle ils ont présenté leur cas.
[Français]
Après 30 ans de pratique de la médecine, je suis bien au fait des inquiétudes des Canadiennes et Canadiens qui souffrent en fin de vie. Je comprends pourquoi certaines personnes pourraient considérer avoir recours à des demandes anticipées afin d'accéder à l'aide médicale à mourir. Toutefois, nous devons prendre en compte les questions complexes liées aux politiques et à la pratique médicale que soulèvent les demandes présentées à l'avance.
[Traduction]
Par leur nature même, les demandes préalables sont faites avant qu'elles ne soient nécessaires. Même si elles étaient mises à jour régulièrement, elles ne prendraient effet que si la personne perdait sa compétence ou ne pouvait plus communiquer. Cela veut dire que le consentement final, une exigence essentielle dans la plupart des régimes d'aide médicale à mourir dans le monde entier, ne pourrait être vérifié par un fournisseur de soins ni aucune autre personne.
[Français]
Les groupes d'intervenants en soins de santé ont souligné que les directives préalables concernant d'autres formes de traitement médical pouvaient être très difficiles à respecter et que les répercussions seraient plus considérables dans le cas de l'aide médicale à mourir.
[Traduction]
À l'approche du 6 juin, il nous reste peu de temps pour mieux comprendre comment les directives préalables fonctionneraient dans la pratique. Pour déterminer comment elles seraient appliquées, il faudrait tenir de vastes consultations auprès des Canadiens, des intervenants, des professionnels médicaux, des organismes de réglementation et des provinces et des territoires. Dans ces conditions, nous proposons d'étudier la question de façon plus approfondie.
Le projet de loi ne permet pas l'admissibilité uniquement sur la base d'une maladie mentale. On ne peut nier que la maladie mentale peut causer de grandes souffrances, mais des maladies telles que la dépression chronique, les troubles cognitifs et la schizophrénie soulèvent des préoccupations particulières concernant la prise de décision éclairée.
Ayant consulté de nombreux intervenants sur cette question, nous avons conclu que les nuances ne sont pas encore suffisamment bien comprises pour permettre l'adoption d'une loi sûre et appropriée.
À cette fin, le gouvernement s'engage à mandater une ou plusieurs études indépendantes sur les demandes de mineurs matures, les demandes préalables ou les demandes invoquant la maladie mentale comme seule pathologie sous-jacente.
Le projet de loi comprend également une clause qui oblige le Parlement à examiner la loi cinq ans après la sanction royale. Cela permettra un examen parlementaire des questions complexes tout en tenant compte de l'expérience des Canadiens dans l'application de l'aide médicale à mourir.
Enfin, on ne peut pas discuter de ce projet de loi sans réaffirmer l'importance d'améliorer l'accès à des soins palliatifs de haute qualité pour tous les Canadiens. Notre gouvernement est résolument engagé à investir dans ce domaine et je me réjouis de travailler avec les provinces et les territoires pour assurer un accès équitable à toutes les options pour les soins à la fin de la vie.
[Français]
En conclusion, nous croyons que ce projet de loi valorise l'autonomie individuelle des Canadiennes et Canadiens, conformément au jugement de la Cour suprême dans l'affaire Carter, tout en assurant la protection des Canadiennes et Canadiens vulnérables ainsi que les droits à la liberté de conscience des fournisseurs de soins de santé.
[Traduction]
Je tiens à remercier chacun d'entre vous et d'autres qui ont participé de manière attentive et respectueuse à cette question difficile. Je sais que ce comité va entendre divers points de vue et opinions dans les jours et semaines à venir.
Je vous remercie de votre considération et j'ai hâte d'entendre vos commentaires.
[Français]
Je serai heureuse de répondre à vos questions.
Bonsoir. Merci, honorables membres du Comité, de donner à la Société canadienne de psychologie la possibilité de vous parler ce soir de ce projet de loi .
La Société a deux sujets de préoccupation relativement à ce projet de loi.
Le premier concerne le rôle des prestataires de soins de santé dans les décisions à prendre en fin de vie. Le second concerne l'évaluation de la capacité d'une personne de donner son consentement pour mettre fin à ses jours, en particulier en cas de concomitance d'un trouble psychologique ou cognitif avec une affection physique grave et irrémédiable. Par conséquent, nous souhaitons soumettre à votre examen trois recommandations.
Le paragraphe 241(1) proposé dit que conseiller à une personne de se donner la mort et aider cette personne à se donner la mort est un acte criminel. Les paragraphes 241(2) et 241(3) proposés visent à exempter les praticiens des dispositions du paragraphe 241(1) s'ils fournissent une aide médicale à mourir ou s'ils aident un praticien à fournir une aide médicale à mourir.
La Société se préoccupe du fait que les exemptions prévues dans les projets de paragraphes 241(2) et 241(3) semblent s'appliquer lorsqu'il s'agit d'aider une personne, mais pas lorsqu'il s'agit de conseiller à une personne de se donner la mort. Alors que les paragraphes 241(2) et 241(3) proposés semblent exempter les praticiens qui participent à l'acte de la mort lui-même, les fournisseurs de soins de santé réglementés seront raisonnablement amenés à participer à la prise de décision avant qu'une personne ne mette à exécution sa décision de mettre fin à ses jours. Les psychologues font partie des prestataires de soins de santé susceptibles d'évaluer la capacité d'une personne de donner son consentement à l'aide médicale à mourir. Les psychologues font également partie des prestataires de soins auxquels des personnes souffrant d'une affection irrémédiable peuvent s'adresser pour parler de la fin de leur vie.
Il est important que des personnes qui envisagent de hâter leur mort puissent s'entretenir de leurs préoccupations avec un prestataire de soins de santé réglementé fiable, si tel est leur désir. Il est non moins important que le prestataire de soins de santé réglementé qui engage une discussion ou une consultation avec un patient sur la fin de vie soit également exempté des dispositions du paragraphe 241(1) proposé.
Notre première recommandation est d'ajouter une exemption stipulant qu'un praticien de la santé réglementé ne se rend pas coupable d'un acte criminel s'il évalue la capacité de la personne de donner son consentement à une décision de fin de vie et/ou donne des conseils relatifs à une telle décision à la demande d'une personne qui souffre d'une affection grave et irrémédiable, ou s'il aide un praticien de la santé à évaluer la capacité de la personne de donner son consentement à une décision de fin de vie et/ou à donner des conseils relatifs à une telle décision à la demande d'une personne qui souffre d'une affection grave et irrémédiable.
Nous souhaitons également souligner que le terme « counsel » en anglais, tel qu'il est utilisé dans l'alinéa 241(1)a) proposé a un double sens à la fois juridique et spécifique à la profession. On peut dire des fournisseurs de soins de santé mentale comme les psychologues qu'ils fournissent régulièrement des conseils à leurs patients. Dans ce cas, le terme « counsel » a un sens très différent de celui qui lui est donné à l'alinéa 241(1)a) proposé.
Notre seconde recommandation est que ce projet d'alinéa soit révisé de sorte que counsels soit remplacé par « persuades or encourages ». Il se lirait alors comme suit « persuades or encourages a person to die by suicide or abets a person in dying by suicide », qui donnerait en français « persuade ou encourage une personne à se donner la mort ».
Enfin, la Société est également préoccupée par le fait que le projet de loi ne dit mot sur les modalités d'évaluation de la capacité de donner le consentement. Bien que, dans bien des cas, il soit facile de vérifier que le consentement éclairé peut être donné et l'a effectivement été, dans d'autres cas, il peut ne pas en être ainsi. Par exemple, lorsqu'un patient souffre d'un trouble psychologique ou cognitif en même temps que d'une affection physique grave et irrémédiable. Cette concomitance d'un trouble cognitif ou psychologique et d'une affection physique est fréquente.
Dans sa soumission au groupe d'experts qui faisait rapport au groupe de travail parlementaire, la Société a souligné ce qui suit, je cite:
... I'expérience globale de la souffrance, y compris les souffrances dues aux symptômes physiques, est beaucoup plus envahissante chez les malades en phase terminale qui sont déprimés, que chez ceux qui ne sont pas déprimés... Aux Pays-Bas, Dees [et ses collaborateurs] ont signalé que seuls les patients dont le trouble physique présente une comorbidité psychiatrique ressentent continuellement des douleurs insupportables. Par conséquent, on peut s'attendre à ce que les patients déprimés en phase terminale fassent plus souvent des demandes d'aide médicale à mourir. Pour se préparer à cela, la législation doit tenir compte de certaines réalités cliniques... Un simple diagnostic de dépression ne signifie pas nécessairement que la personne est incapable de prendre des décisions essentielles par rapport à sa santé. Toutefois, la dépression grave, en particulier, peut entraîner des biais d'attitude négatifs qui faussent la prise de décision rationnelle concernant I'aide médicale à mourir...
L'évaluation de la capacité d'une personne de donner un consentement éclairé, en particulier lorsque cette personne souffre en même temps d'un trouble psychologique ou cognitif, doit être confiée aux prestataires de soins de santé réglementés pourvus de la formation et de l'expertise requises pour entreprendre ce genre d'évaluation complexe.
La Société estime que les psychologues, de même que les médecins spécialisés comme les psychiatres et les neurologues, possèdent la formation et l'expertise nécessaires.
Notre troisième et dernière recommandation est qu'il convient d'ajouter une nouvelle disposition à la section « Mesures de sauvegarde » en tant qu'alinéa 241.2(3)i) rédigée en ces termes:
s'assurer que lorsqu'une personne présente un trouble médical grave et irrémédiable associé à un trouble cognitif et/ou psychologique, la capacité de la personne à donner son consentement est évaluée par un fournisseur de soins de santé réglementé, dont le champ de pratique comprend I'évaluation des troubles cognitifs et/ou psychologiques.
Au nom de la Société canadienne de psychologie, je vous remercie pour vos importants travaux dans l'intérêt du public canadien. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions sur notre soumission.
Le Collège des médecins de famille du Canada est l'organe national responsable de l'élaboration des normes en matière de formation, certification et éducation permanente des médecins de famille. À ce titre, nous nous réjouissons de ce projet de loi qui vise à modifier le Code criminel et à apporter à d'autres lois les modifications qui en découlent.
Nous sommes heureux que ce projet de loi constitue un premier pas prudent. Nous pensons que la communauté médicale se voit offrir une opportunité raisonnable de se familiariser avec les nouvelles dispositions et de s'y adapter en conséquence. Il a été dit que l'aide médicale à mourir n'entrait pas, sauf de rares exceptions, dans la pratique des médecins en exercice au pays, mais qu'elle sera intégrée à notre régime de soins de santé à partir du mois de juin.
Étant donné que le médecin de famille est souvent le premier point de contact entre le public et notre système de soins de santé, les médecins sont souvent les premiers à constater l'impact que les décisions médicales susceptibles d'avoir une incidence juridique peuvent avoir sur les décisions relatives aux soins apportés aux patients. Il convient de préciser les critères d'admissibilité relatifs à l'accès à l'aide à mourir, en particulier pour ce qui est des exigences relatives aux patients admissibles dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible. Par exemple, un patient souffrant de sclérose multiple progressive peut répondre aux critères du patient souffrant d'une maladie incurable dans un état de souffrance et de déclin irréversible alors qu'il est difficile de déterminer avec précision le moment de la mort prévisible. Il convient de préciser davantage ce critère.
Des questions se posent également concernant l'interprétation de ce qui doit être considéré comme une souffrance physique ou psychologique intolérable. Dans notre pratique de médecin de famille, nous constatons tous les jours qu'il existe différents degrés de ce que l'on considère comme une souffrance ou une douleur intolérable. Le seuil de l'intolérable peut varier considérablement d'un patient à l'autre.
Les questions de santé complexes, comme celle de la mort et de l'avortement médicalement assistés, exigent un certain niveau de protection de la vie privée pas seulement pour le patient, mais également pour les professionnels de la santé qui assurent les prestations. Afin d'assurer le niveau de protection requis, les noms des personnes qui assurent les prestations ou les renseignements les concernant ne doivent pas être rendus publics ni communiqués aux médias. Les médecins et autres prestataires de soins, tels que les infirmières praticiennes, devraient se sentir en sécurité lorsqu'ils donnent des soins aux patients.
Lorsqu'il fournit une aide médicale à mourir à un patient avec lequel il a un rapport de longue date, un prestataire ne devrait pas se sentir sous pression et tenu de faire de même pour d'autres patients dans les mêmes circonstances ou dans d'autres. Chaque cas doit être considéré dans son contexte propre.
Le Collège des médecins de famille du Canada souhaiterait que les critères relatifs au consentement soient également précisés. Que se passe-t-il si un patient présente volontairement une demande d'aide médicale à mourir, et que pendant la période d'au moins 15 jours définie comme période d'attente, sa capacité mentale se détériore au point qu'il n'est plus en mesure de confirmer sa demande d'assistance? Il conviendrait de préciser les orientations à suivre sur la façon d'aider le patient sans se désintéresser de ses besoins.
Tant pour les médecins que pour les patients, il est crucial que le processus soit clair, de même que l'accès aux ressources, et que les critères relatifs à la fourniture d'une aide médicale à mourir soient bien compris. Il convient de fournir des garanties que l'objection de conscience du médecin sera dûment prise en considération tout en tenant compte à la fois des droits du fournisseur du service et de la nécessité de garantir que les patients ne seront pas livrés à eux-mêmes lorsqu'ils sont le plus vulnérables.
Indépendamment de la législation qui sera adoptée, les médecins doivent être conscients de la portée de leur responsabilité lorsqu'ils fournissent des soins à un patient. Le collège estime que le médecin de famille devrait, avant tout, veiller à préserver la qualité de ses rapports avec le patient et les proches du patient durant le dernier chapitre de son existence. Le médecin de famille reconnaît que ceux qui souffrent de maladies ou de handicaps graves et ceux qui sont mourants comptent parmi leurs patients les plus vulnérables, et se comporte en avocat de la santé de ses patients.
On accorde également une grande importance aux soins palliatifs. Le collège continuera de promouvoir des soins intensifs de haute qualité dans le cadre général des soins fournis en continu par les médecins de famille y compris ceux qui disposent de compétences spécialisées dans ce domaine. Nous pensons que le projet de loi pourrait être utilement complété par une stratégie nationale de soins palliatifs. Quoique le pourcentage des Canadiens susceptibles de demander une aide médicale à mourir soit faible, tout le monde au Canada est susceptible d'avoir un jour besoin de soins palliatifs. Quel que soit l'endroit où l'on vit au Canada, chacun devrait avoir accès à des soins palliatifs de haute qualité en fin de vie.
Les collègues qui m'ont aidée à préparer ce mémoire suggèrent que je vous fournisse maintenant un exemple tiré de la vie réelle.
On me demande souvent si l'un de mes patients m'a demandé une aide médicale à mourir. La réalité, c'est que personne jusqu'ici ne l'a fait. Je crois que cela tient en partie au fait qu'ils ne savaient pas que cela deviendrait une réalité.
La seule personne qui me l'a demandé, c'est ma propre mère, au mois de mai 2013. Elle était une « super senior », pour citer M. Housefather, car elle était déjà très âgée. Elle avait 94 ans, souffrait d'insuffisances à la fois artérielles et veineuses terribles dans ses jambes, d'ulcères et de douleurs terribles, que la morphine traitait en la transformant en zombie, et que rien d'autre ne pouvait soulager. Ma mère m'a demandé alors si elle pouvait obtenir une aide médicale à mourir et, à ce moment-là, elle aurait rempli les critères pour en bénéficier.
Nous nous projetons trois années en avant, et le diagnostic qu'elle a eu, l'artériographie, a eu l'effet d'une thérapie. Ces ulcères sont maintenant guéris, mais ses capacités cognitives ont décliné. Elle est plutôt diminuée. Elle est réellement une personne âgée fragile, et je ne suis pas sûre qu'aujourd'hui elle pourrait exprimer ce genre de désir, bien que l'on puisse dire qu'elle connaît un certain degré de souffrance existentielle.
Si on devait lui demander aujourd'hui, elle accepterait probablement que Mère Nature suive son cours. Je pense que, au fur et à mesure que nous avancerons dans l'examen de ce projet de loi, nous devrons accepter l'idée qu'il y a trois ans, nous aurions pu apporter une aide médicale à mourir sur la base des conditions dans laquelle se trouvait ma mère à ce moment-là et elle aurait pu mourir, même si l'on sait qu'elle est aujourd'hui en vie. Je pense que nous devons nous réconcilier avec cette idée. De la même façon, nous devons nous réconcilier avec l'idée que ma mère aujourd'hui âgée de 97 ans, étant une personne âgée fragile, est prête à attendre que Mère Nature suive son cours sans présenter nécessairement la même demande. Même si la qualité de sa vie, à certains égards, peut être considérée comme n'étant pas la meilleure, selon ses propres critères, elle est probablement acceptable. Il nous faut penser à toutes ces choses lorsque nous réfléchissons à ce projet de loi.
Nous serons heureux de continuer à vous faire part de nos avis et points de vue durant l'élaboration de ce projet de loi.
Merci beaucoup.
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Merci beaucoup, monsieur le président, et merci aussi au Comité de nous avoir invités à parler aujourd'hui.
D'abord, je voudrais souligner la tâche difficile que vous avez devant vous. Le texte de loi définitif doit trouver un équilibre entre les besoins des patients, le droit d'accès, et la nécessité de veiller à ce que les fournisseurs de soins de santé soient parfaitement formés pour offrir des soins de qualité, quel que soit le contexte.
Ceci est une question très complexe et émotionnelle pour beaucoup, et qui a dominé une grande partie des discussions au sein de la profession au cours de la dernière année. Très tôt dans nos discussions au sein de la profession, il est apparu que les pharmaciens avaient un rôle important à jouer en tant que dispensateurs de la dose létale de médicaments pour la mort assistée. Au cours de la dernière année, nous nous sommes efforcés avec nos membres de comprendre l'impact de la décision de la Cour et le point de vue des juges sur la question. Nous avons à cette fin mené une enquête approfondie auprès des pharmaciens et élaboré des principes directeurs, que nous avons publiés en février.
Les pharmaciens sont très conscients de leur rôle en tant que fournisseurs de soins de santé primaires. Ils sont régulièrement classés comme l'une des professions les plus fiables et ils sont souvent le premier point de contact dans notre système de soins de santé.
Nous entendons déjà des histoires de pharmaciens communautaires auxquels on pose des questions sur l'aide à mourir. La profession trouve très encourageant que le débat autour de la mort assistée ne se limite plus à ce qui était uniquement considéré comme la mort assistée par un médecin et s'étende à ce qu'on appelle aujourd'hui l'aide médicale à mourir. C'est reconnaître que, comme tout autre service ou procédure de soins de santé, l'aide à mourir implique une bien plus grande équipe de professionnels de la santé.
Cependant, nous devons aussi nous rendre compte que le projet de loi est seulement une composante de la réponse législative du Canada à la décision de la Cour suprême et que de nombreuses considérations pratiques importantes devront être prises en charge par les provinces et territoires. Le projet de loi devra donc être complété par des règlements et des directives de pratiques.
D'une manière générale, tel qu'il est rédigé maintenant, nous croyons que le projet de loi prend dûment en considération le rôle des pharmaciens et protège les pharmaciens qui choisissent de participer de toute responsabilité pénale qui pourrait résulter de la distribution d'une dose létale de médicaments.
Je voudrais faire quelques commentaires sur certaines des dispositions spécifiques du projet de loi.
Premièrement, il est important de noter qu'en vertu de l'article 241.1 proposé, l'aide médicale à mourir est permise dans deux cas: elle peut être administrée directement par un médecin ou une infirmière, ou être auto-administrée. Ceci a des implications importantes pour le rôle que les pharmaciens pourraient avoir à jouer. En particulier, dans le cas de l'auto-administration, le rôle des pharmaciens nous semble beaucoup plus important, du fait qu'ils peuvent avoir à distribuer les médicaments directement aux patients. Cela pourrait être la dernière interaction entre le patient et un professionnel des soins de santé avant la mort, nous sommes donc heureux de constater que le paragraphe 241(4) du projet de loi proposé exempte spécifiquement les pharmaciens de la responsabilité pénale s'ils dispensent une substance à une personne autre qu'un médecin ou une infirmière praticienne.
Nous sommes également très favorables au projet de paragraphe 241.2(8), qui exige que le médecin ou l'infirmière praticienne qui prescrit la substance informe le pharmacien que la substance est destinée à cette fin. C'est quelque chose que nous avions spécifiquement demandé, et nous sommes heureux de le voir figurer dans la législation.
En plus des dispositions spécifiques que nous avons mises en évidence, nous voulons également attirer votre attention sur deux éléments clés qui ne sont pas prévus dans la législation, mais que nous estimons tout aussi importants. Bien que nous ne proposions pas de modifications à la loi, nous espérons que le gouvernement fédéral travaillera avec ses homologues provinciaux et territoriaux, ainsi qu'avec les parties prenantes, pour répondre à ces questions dans les prochains mois.
Sur la question de la conscience, nous croyons fermement que les pharmaciens et les autres professionnels de la santé ne devraient pas être contraints de participer à la mort assistée si elle est contraire à leurs croyances personnelles. La loi ne précise pas si ou comment les professionnels de la santé peuvent refuser une demande. Cela laisse la protection du droit de conscience pour les professionnels de la santé, y compris les pharmaciens, aux provinces et aux organismes de réglementation professionnels. En outre, et afin de veiller à ce que la liberté de conscience soit respectée, les pharmaciens ne devraient pas être obligés de renvoyer le patient directement à un autre pharmacien qui répondra à la demande du patient. Ceci est une considération importante pour les pharmaciens qui considèrent cela comme moralement équivalent à aider personnellement un patient à mourir.
Pour fournir une protection égale du droit d'un pharmacien à l'objection de conscience et du droit d'accès d'un patient, l'APhC recommande la création d'un organe d'information indépendant autorisé à renvoyer le patient à un pharmacien participant, et nous exhortons le gouvernement fédéral à collaborer avec les provinces et les territoires à la création et à la mise en oeuvre d'un tel système.
La deuxième question, qui est particulièrement pertinente pour les pharmaciens dans leur pratique au jour le jour, est la question de l'accès aux médicaments.
Il n'existe pas de médicament servant spécifiquement à mettre fin à la vie de quelqu'un. C'est plutôt un cocktail de médicaments qui pourrait être administré par une tierce personne ou auto-administré. Différents médicaments peuvent être utilisés en fonction du mode d'administration.
L'un des graves sujets de préoccupation pour les pharmaciens, qui ne sont tous que trop familiers avec les questions de disponibilité des médicaments et d'accessibilité, est que les médicaments en question sont parfois difficiles à trouver au Canada. Il y a encore du travail à faire pour comprendre quels seraient les médicaments les plus efficaces pour l'aide à mourir. Les faits montrent que de fortes doses de barbituriques sont généralement efficaces et entraînent la mort lorsqu'ils sont auto-administrés tandis qu'une combinaison de barbituriques et d'un agent neuromusculaire bloquant est plus appropriée pour l'injection administrée par un médecin — ou une infirmière.
Pour vous donner un exemple, dans l'Oregon, le médicament servant pour l'aide à mourir est uniquement auto-administré et doit être choisi parmi deux barbituriques utilisés, dont ni l'un ni l'autre n'est actuellement disponible au Canada. Santé Canada, l'organisme de réglementation des médicaments, devra absolument veiller à ce que les médicaments recommandés, quels qu'ils soient, soient disponibles et accessibles aux patients et à leurs équipes de santé. Nous nous félicitons de l'occasion de travailler avec eux pour résoudre ce problème.
En conclusion, nous demandons instamment que ce projet de loi soit adopté rapidement afin d'assurer qu'il y ait un cadre en place au plus tard à la date limite du 6 juin, et de donner aux provinces et aux territoires la possibilité d'élaborer des directives et règlements appropriés en matière de pratique clinique. Au cours des prochains mois, nos associations provinciales de pharmaciens continueront de travailler avec leurs organismes de réglementation respectifs afin d'assurer la mise en place de lignes directrices appropriées en la matière.
Nous vous remercions encore une fois de nous avoir invités à comparaître et nous sommes impatients de répondre à vos questions.
Merci.
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Je remercie le Comité de nous recevoir.
Au départ, je vais dire que nous saluons l'initiative législative qui répond à la demande de la Cour suprême dans l'affaire Carter. De façon générale, nous disons que c'est positif. Par contre, je voudrais attirer l'attention des membres du Comité sur les réserves que nous avons au sujet du projet de loi. Je vais attirer votre attention sur quatre éléments, Me Ménard donnera plus de détails à ce sujet, puis nous répondrons à vos questions.
La première réserve que nous avons porte sur l'infraction qui consiste à conseiller à une personne de se donner la mort. On prend le soin d'exempter le fait d'aider quelqu'un à se donner la mort, mais on n'exempte pas le fait de donner un conseil à cet égard. Nous croyons que le projet de loi devrait préciser de manière explicite que le fait pour un médecin d'expliquer à un patient tous les soins qu'il a à sa disposition, y compris l'aide médicale à mourir, ne constitue pas une infraction. En somme, il doit y être précisé que le fait de conseiller à une personne de se donner la mort ne constitue pas une infraction pour un médecin. Une distinction claire devrait être établie à cet égard. Les médecins ou les praticiens dans le domaine de la santé devraient être exemptés de l'accusation d'avoir commis une infraction du fait d'avoir donné de l'information qui peut s'apparenter à un conseil.
Le deuxième élément est que, en vertu du projet de loi, la définition d'aide médicale à mourir inclut aussi le fait pour un médecin de prescrire ou de fournir une substance qui causera la mort d'une personne, alors que c'est cette personne qui doit s'administrer elle-même la substance qui causera sa mort. Nous avons une préoccupation à cet égard. On peut facilement imaginer la situation qui pourrait se produire si le professionnel de la santé n'est pas présent au moment où la personne s'administre la substance qui causera sa mort. Comment pouvons-nous savoir que cette personne est morte pour cette raison? De plus, il y a des problèmes sur les plans déontologique et législatif qui risquent de mettre les professionnels de la santé en situation de dilemme ou de conflit avec leurs propres normes et leur propre réglementation. Nous croyons que la loi devrait s'arrimer et prévoir ces situations. On ne peut simplement pas donner à quelqu'un quelque chose qui peut causer la mort sans qu'il y ait un suivi. Nous avons donc une préoccupation à cet égard.
Également, en regard du principe de l'arrêt Carter, la loi est, selon nous, un peu trop restrictive. Pour obtenir l'aide médicale à mourir, il doit être démontré que la situation médicale de la personne qui la demande est caractérisée par un déclin avancé et irréversible de ses capacités et que la mort naturelle de cette personne est devenue raisonnablement prévisible, compte tenu de l'ensemble de la situation médicale, sans pour autant qu'un pronostic ait été établi quant à son espérance de vie. Selon nous, ces critères ne se retrouvent pas dans l'arrêt Carter, et nous pensons que la loi doit partir des principes et des énoncés qui se trouvent dans l'arrêt Carter et encadrer cet exercice. Il y a un risque évident que la loi fasse l'objet de contestations. Me Ménard pourra d'ailleurs vous entretenir plus à fond de cette question.
Le dernier élément, que j'expliquerai rapidement, concerne les nouvelles exigences quant aux documents que les médecins devront remplir. Ils doivent remplir des formulaires. Bien que la loi prévoie que c'est de façon consciente qu'on ne respecterait pas les exigences contenues dans les formulaires, il est un peu excessif, selon nous, de criminaliser le fait de ne pas avoir rempli un formulaire de manière adéquate. La réglementation et les lois provinciales qui encadrent la pratique médicale devraient normalement suffire pour ce type d'informations.
Je vais maintenant céder la parole à Me Ménard.
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Mesdames et messieurs, membres du Comité, bonsoir.
Le Barreau du Québec est le premier intervenant qui provient d'une province où il existe une loi sur l'aide médicale à mourir. Celle-ci est en vigueur depuis le 10 décembre 2015. On signale déjà plusieurs dizaines de cas et on commence à vivre des difficultés d'application dans certaines situations. Pour enrichir votre débat, nous vous ferons part des difficultés qu'on a perçues ici et là, afin d'éviter que la loi fédérale ne soulève les mêmes difficultés. Elles ne sont pas majeures, mais il faut être conscient de ces choses.
Comme Me Battista l'a signalé, la première remarque concerne la question de l'aide au suicide. La loi québécoise n'encadre pas l'aide au suicide. N'oublions pas que la loi québécoise est très élaborée. Elle vise à englober l'ensemble des pratiques d'aide médicale à mourir qui sont de compétence provinciale. On a décidé de ne pas encadrer l'aide au suicide parce que c'était perçu, à l'époque, comme une facette de nature essentiellement criminelle, et la province n'avait pas compétence en la matière. La loi provinciale est une loi de soins et n'est pas une loi à caractère criminel. Par conséquent, l'aide au suicide n'a pas été encadrée. Par contre, on la rendra maintenant accessible par l'entremise de l'aide médicale à mourir.
Nous croyons qu'il est important de penser à des mesures d'encadrement que n'offre pas la loi du Québec ou toute autre loi provinciale. Comme Me Battista l'a souligné, une des difficultés provient du fait que le médecin n'a aucun contrôle sur ce qui arrive une fois qu'il a fourni le médicament au patient. Il n'est même pas en mesure de certifier que le patient est bel et bien décédé à cause du processus ni de déterminer quand cela s'est passé. Dans la mesure où la loi fédérale permet l'aide au suicide, nous pensons qu'il serait préférable que la loi prévoie davantage d'obligations, comme celle qu'auraient les gens qui assistent la personne de signaler immédiatement que celle-ci s'est administré la mort, que ce soit au médecin ou à une autorité publique, pour qu'on puisse contrôler la bonne administration de ce processus.
Comme Me Battista l'a souligné, il y a une difficulté relativement aux obligations déontologiques des médecins. On parle, par exemple, de l'obligation de suivre son patient et de ne pas l'abandonner. En effet, pour certains médecins, donner une pilule au patient et le laisser se l'administrer lui-même est vu comme une forme d'abandon. Il peut aussi être difficile pour un médecin de s'impliquer dans un tel processus.
Parlons de la compatibilité avec l'arrêt Carter. N'oublions pas que l'on va dorénavant mesurer la portée de la loi à l'aune de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, lequel est plus large que ce que le projet de loi propose. Si on adopte un critère plus restrictif que ce que permet maintenant l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, il est clair que cela ouvre la porte à des contestations judiciaires. Pour le Barreau du Québec, il n'est pas souhaitable que des gens qui pourraient avoir accès à l'aide médicale en vertu des critères de l'arrêt Carter ne l'aient plus à cause du projet de loi . On a vu, au Québec, ce qui arrive lorsqu'on a un critère un peu plus restrictif. Par exemple, des gens ont cessé de s'alimenter pour devenir admissibles en vertu de la loi. Ce genre de situation créée en raison d'un critère plus restrictif n'est pas souhaitable. C'est important et c'est pourquoi nous avons recommandé cela.
Par ailleurs, nous pensons que le critère de mort raisonnablement prévisible est trop flou, trop incertain. Pour le Barreau du Québec, il est important que les citoyens puissent compter sur une norme juridique la plus claire possible. Le fait que ce soit sujet à interprétation de façon aussi importante, à cause de la manière dont c'est formulé, risque de priver certains Canadiens du droit constitutionnel à l'aide à mourir. Si on veut qu'il y ait un tel critère, il est important de mieux le développer. Par contre, vu que ce critère n'existe pas dans l'arrêt Carter, nous pensons que le laisser dans le projet de loi ouvrira la porte à des débats judiciaires. C'est pourquoi nous recommandons purement et simplement d'enlever l'alinéa 241.2(2)d) proposé dans le projet de loi.
Parlons de quelques situations plus techniques en ce qui a trait aux mesures de sauvegarde, notamment la question des caractéristiques rattachées aux témoins. On impose des normes tellement strictes qu'il sera difficile, même pour la personne, de trouver un témoin pour signer. On élimine les membres de la famille et beaucoup de gens, aussi. Il ne faut pas oublier que le témoin n'atteste que la signature, rien de plus. De toute façon, le médecin va devoir vérifier que le patient a donné son consentement de façon libre. Je pense qu'on en impose beaucoup aux témoins. Ces critères seraient plus appropriés si on demandait de consentir à la place d'une autre personne. Dans le cas d'un simple témoin, nous pensons que ces mesures sont beaucoup trop rigides.
Passons à la question de la déclaration. Notre mémoire est conçu dans l'optique où il existe une loi provinciale très détaillée et où l'on ajoute une loi fédérale. Pour éviter la multiplication des formalités et des rapports, je pense qu'il serait important que la loi prévoie qu'il y ait une exemption lorsque le gouvernement du Canada est satisfait des mesures de déclaration qui existent dans une province, pour éviter que les médecins aient à faire plusieurs déclarations. La paperasse décourage aussi un certain nombre de médecins de faire ces choses.
Au Québec, le processus de rapport est déjà très élaboré. Pourquoi faudrait-il qu'un rapport supplémentaire soit présenté? Je crois que cela ne ferait qu'alourdir inutilement le processus. Par contre, rien n'empêcherait l'autorité fédérale de requérir de la province qu'elle fournisse des données recueillies par l'entremise de son propre mécanisme de surveillance. Dans le cas du Québec, la surveillance de l'aide médicale à mourir est exercée par la province. Nous avons une institution spécialement dévolue à cela, qui s'appelle la Commission sur les soins de fin de vie, en plus de la surveillance exercée par le Collège des médecins et de celle du Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens. Alors, de vouloir créer un nouveau palier de surveillance nous apparaît assez inutile. Il faut tenir compte de la possibilité d'imposer des mesures de contrôle moins lourdes dans les provinces où il y a déjà une loi à ce sujet.
Merci.
[Traduction]
Merci, monsieur le président, de m’accorder le privilège de m’adresser au Comité ce soir.
Je m’appelle Françoise Hébert. Je suis présidente de l’organisme End of Life Planning Canada. Avant de prendre ma retraite, il y a quatre ans, pour devenir bénévole à temps plein, j’étais directrice de l’Alzheimer Society of Toronto. Nous avons en fait aidé le personnel du chef Blair à s’y retrouver.
Mon collègue Nino Sekopet est psychothérapeute. Il s’occupe de nos services à la clientèle. Vous l’avez peut-être vu dans le dernier numéro de Maclean's, où on le présente comme le plus important conseiller du Canada en matière d’aide à mourir. Nino est la personne à consulter si on veut discuter, en toute sécurité et confidentiellement, de la façon de mourir dans la dignité. Il est assiégé par les médias en ce moment, c’est son 15 minutes de gloire.
End of Life Planning Canada regrette que le projet de loi impose certaines limites et conditions qui fermeront la porte à la possibilité de l’aide à mourir pour beaucoup de Canadiens qui par ailleurs pourraient remplir les critères énoncés dans la décision Carter.
Le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir a tout à fait raison, à notre avis, et nous espérons que vous serez d’accord pour dire qu’il faut faire preuve de courage et de bon sens quand on réglemente un enjeu relevant de la Charte des droits et libertés, même si cela suppose qu’on aille plus loin que d’autres pays dans la façon d’aborder la décision difficile et extrêmement personnelle de demander de l’aide pour mourir. Nous vous supplions, chacun de vous autour de cette table, comme les juges de la Cour suprême l’ont fait eux-mêmes, de vous imaginer dans un état de santé aussi grave qu’irrémédiable qui vous cause des souffrances intolérables. C’est à partir de là qu’il faut légiférer.
Je passe la parole pour quelques minutes à mon célèbre collègue Nino Sekopet.
Merci de m’avoir invité. Je m’appelle Nino Sekopet et je suis le psychothérapeute engagé par End of Life Planning Canada pour aider les gens qui cherchent un endroit sécuritaire pour parler de leur mort. Pendant quatre ans avant cela, j’ai joué le même rôle auprès de l’organisme Dying With Dignity Canada.
Je m’occupe de la question très complexe et profonde de la fin de vie. C’est pour moi un continuum qui, malheureusement, se divise en deux extrêmes à forte charge émotionnelle et très polarisés. Il y a d’un côté les gens qui appuient l’aide médicale à mourir et il y a ceux qui s’y opposent. Il y a aussi un vaste espace entre les deux pôles. Si on considère les choses du seul point de vue psychologique, je crois que, quand on se positionne sur l’un de ces pôles, individuellement ou collectivement, et qu’on déserte l’espace intermédiaire, on passe à côté de quelque chose de très important. On passe à côté de ce qui précisément charge ces pôles. On oublie l’impact que cela a sur la fin de vie. On oublie l’impact de la peur et de l’insécurité dont sont chargés ces deux pôles.
Je crois que, si nous abordons correctement la question de l’impact de la peur et de l’insécurité et si nous le faisons dans la mesure nécessaire, ces extrêmes polarisés perdront une partie de leur charge. Autrement dit, nous serons moins polarisés. Individuellement et collectivement, nous deviendrons plus sains et plus disposés à tenir compte de nos différences et à les accepter. Nous deviendrons plus inclusifs et non pas exclusifs. Nous deviendrons plus tolérants.
Ce que j’ai appris auprès des gens qui approchent le moment de leur mort est que la clarté est le meilleur moyen de contenir la peur et d’ouvrir un espace où ces patients puissent se sentir plus en sécurité. La clarté offre un espace psychologique où les gens peuvent se détendre librement, en sachant qu’ils sont en sécurité et qu’on les écoute. Cela s’applique à tous ceux qui sont en fin de vie. Cela s’applique également aux professionnels de la santé, aux patients et à leur famille.
D’après mon expérience, le critère de la prévisibilité raisonnable du décès naturel envisagé dans le projet de loi offre peu de sécurité et constitue un cadre de référence fragile. Parce qu’il est ouvert à interprétation, il suscite de la peur et de l’insécurité au lieu d’offrir un espace de sécurité. Si on supprime ce critère du projet de loi, on rétablira la clarté instaurée par la décision Carter de la Cour suprême. Tous ceux qui sont engagés sur le territoire de la fin de vie, patients et professionnels de la santé, en bénéficieront. Et, en fin de compte, c’est nous tous qui en bénéficierons, individuellement et collectivement.
Je vous invite à entrer dans le vaste espace intermédiaire et à contenir la peur de tous ceux qui sont engagés sur le territoire de la fin de vie en supprimant du projet de loi le critère de la prévisibilité raisonnable du décès naturel. Je vous invite à faire confiance à ceux qui subissent de terribles souffrances et à leur médecin, pour savoir quand leur temps est venu. Ce faisant, vous redonnerez une mesure de sécurité à ceux qui sont engagés sur ce territoire, quelle que soit la place qu’ils y occupent.
Je vous remercie.
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J’aimerais aborder maintenant le deuxième point de notre mémoire, à savoir les demandes anticipées d’aide médicale à mourir.
Le projet de loi ne tient pas compte de la recommandation numéro 7 du Comité mixte spécial, qui aurait autorisé les demandes anticipées lorsque la maladie diagnostiquée risque d’entraîner une perte de compétence, par exemple dans le cas de la maladie d’Alzheimer. Le gouvernement propose plutôt une étude distincte de la question des demandes anticipées, et il pourrait réexaminer la question dans cinq ans, lorsque le projet de loi fera l’objet d’une évaluation.
Voici notre point de vue.
Les maladies neurodégénératives comme l’Alzheimer sont des maladies terminales. Elles tuent les cellules vitales du cerveau, lentement et cruellement. La maladie peut durer 20 ans après le diagnostic. Dans les dernières étapes de ces maladies, le corps est vivant, mais le cerveau est abîmé de façon irréparable. Le patient est devenu une coquille vide, il vit dans un état avancé de déclin irréversible de ses capacités. C’est un état pitoyable.
L’idée de vivre dans un état de démence me fait très peur. J’aimerais mieux être morte que vivre les dernières étapes de la démence. Nous avons tous entendu quelqu’un dire « Tuez-moi » à l’idée d’être atteint de démence grave. Nous prévoyons la perte de qualité de leur vie à venir. Ils prévoient la qualité de leur vie à venir et ils nous supplient d’être autorisés à obtenir une aide médicale à mourir si, à ce stade, ils ont perdu l’aptitude à en faire la demande. Nous pensons qu’une demande anticipée valable comprenant une description précise et vérifiable par un tiers d’un état à venir si dénué de qualité que la vie elle-même serait intolérable pour le patient qui survivrait à son aptitude à demander l’aide médicale à mourir.
Certains diront que cela ne peut pas marcher parce que cette personne pourrait changer d’avis, mais nous estimons que, quand on perd l’aptitude à faire un choix éclairé concernant son propre corps, on perd également l’aptitude à changer d’avis, et la demande anticipée serait l’expression des dernières volontés de la personne en pleine possession de ses moyens cognitifs.
Si ma demande anticipée, dûment écrite et confirmée par témoin, décrit un état si dénué de qualité qu’il me serait intolérable et si ma description de cet état est suffisamment claire pour que mon représentant légal et deux professionnels de la santé indépendants puissent confirmer que la détérioration de mon état est telle que je l’ai décrite clairement dans ma demande, alors cette demande devrait remplir les critères juridiques permettant que je reçoive une aide médicale à mourir.
En gros, cela revient à ceci. Le projet de loi devrait énoncer des règles claires sur l’admissibilité à l’aide médicale à mourir, mais en tenant compte de l’autonomie du patient qui devrait pouvoir, après consultation de professionnels de la santé, décider quand la souffrance devient intolérable au point que la mort est préférable. Cela peut se faire en temps réel ou cela peut se faire de façon anticipée par le biais d’une demande claire et dûment vérifiée. Nous vous supplions de ne pas abandonner à leur sort pitoyable les Canadiens qui prendraient le temps de rédiger une demande anticipée d’aide médicale à mourir au cas où ils perdraient ultérieurement l’aptitude à faire une demande contemporaine de leur état.
Faites confiance aux gens qui vous ont élus pour les représenter et faites confiance à la profession médicale.
Merci.
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Merci beaucoup, monsieur le président et mesdames et messieurs du Comité. C’est un honneur d’être parmi vous aujourd’hui.
Je suis médecin de famille depuis 35 ans. Je pratique des accouchements. Je m’occupe aussi de patients en soins palliatifs. Et je m’occupe de personnes handicapées qui ne sont pas près de mourir. Je suis peut-être le seul autour de cette table à avoir effectué des évaluations d’aptitude, une centaine en fait, dont beaucoup étaient à la fois médicales et juridiques.
C’est avec un certain soulagement que j’ai constaté que le projet de loi en première lecture abordait la question de façon très prudente. Bien loin d’essayer de faire une percée ou d’être à l’avant-garde du monde entier par sa nature audacieuse, il traduit une perspective très responsable à l’égard de beaucoup des enjeux auxquels nous faisons face.
J’aimerais prendre une minute pour vous parler d’oncle Matt.
Oncle Matt était un vieil homme fort parti à la chasse dans le nord de la Colombie-Britannique. Il avait passé deux semaines dans la forêt, mais, à son retour, près de Chilliwack, il a commencé à ressentir une faiblesse dans un côté de son corps. C’était un infarctus. Il a finalement été transféré à l’hôpital Memorial de Surrey, et je l’ai rencontré 10 jours après le retrait du tube qui l’alimentait. Sa nièce m’a contacté parce qu’elle avait compris qu’il voulait mourir. Il pouvait dire « faim », « soif », et sa nièce avait demandé à la fille d’oncle Matt: « Pourquoi est-ce qu’on ne remet pas ce tube? Il veut vivre! » La réponse a été la suivante: « J’ai fait les comptes, et ce n’était pas un homme très bon. »
La nièce et un autre des neveux d’oncle Matt l’ont kidnappé et l’ont emmené à l’hôpital général de Vancouver. L’infirmière de l’hôpital, même s’il était capable de grogner « soif! », savait que les deux n’avaient pas de pouvoir de procuration et elle a renvoyé oncle Matt en ambulance au Memorial de Surrey. Il est mort.
Il est mort pendant une audience d’urgence que j’ai contribué à obtenir, au cours de laquelle le juge a effectivement ordonné qu’on remette le tube d’alimentation, qu’on réhydrate le patient et que son véritable désir soit pris en considération.
Bien sûr, je ne suis pas en train de dire que les gens qui se sont adressés à Nino ou à Françoise sont comme oncle Matt, parce que ces gens ont pris eux-mêmes la décision de rencontrer des représentants d’organisations vouées à la fin de vie. Je veux simplement dire que le système médical, dans son état actuel, était composé pour oncle Matt de médecins qui n’entendaient pas son désir de vivre et ne voyaient pas qu’il était délibérément déshydraté à mort — il faut savoir que sa fortune s’élevait à plusieurs millions de dollars en biens fonciers — et que la direction de l’hôpital s’inquiétait plus de ne pas s’exposer à des poursuites que de respecter le désir d’oncle Matt.
C’est ce qui me ramène à ce projet de loi qui, bien qu’on puisse le supposer, ne dit nulle part que les médecins doivent effectivement examiner le patient ni ne précise l’ampleur de cet examen pas plus que la mesure dans laquelle les médecins doivent prendre en considération les facteurs internes et externes qui rendent le patient vulnérable. Je vous renvoie à la norme sur la protection des personnes vulnérables, qui est publiée et qui prévoit quatre éléments principaux qui devraient faire partie de ce projet de loi.
Ce manque d’exigence concernant les deux professionnels de la santé, je parle des médecins et des infirmières, à s’engager profondément à l’égard du patient commence par l’acceptation d’une demande écrite, qui peut être rédigée devant deux témoins par quelqu’un qui représente le patient et prétend comprendre la nature de sa demande. Les professionnels de la santé ne sont pas tenus de tenir compte des motifs du représentant ni de les évaluer. Il suffit que le représentant du patient et deux témoins soient physiquement présents, mais un professionnel de la santé n’a pas besoin d’être là.
Les deux témoins ne sont pas tenus de comprendre la situation, en dehors du fait qu’une demande est signée et datée. Ils ne sont pas tenus de connaître l’aptitude décisionnelle du patient ou les motifs du représentant. Selon le projet de loi, n’importe qui peut chercher parmi un nombre indéfini de médecins les deux qui approuveront l’aide à mourir, quelle que soit la situation.
Les facteurs énumérés dans les mesures de sauvegarde, à l’article 241.2 du projet de loi, sont discutables à bien des égards. Je propose donc que la première des quatre modifications que je souhaiterais soit de prévoir un examen préalable par un tiers, comme un juge objectif indépendant, par exemple, ou une procédure quelconque d’examen des faits qui ont amené quelqu’un à proposer le suicide assisté ou l’euthanasie pour le patient.
Je peux vous dire que c’est une tâche extrêmement difficile, que j’ai assumée très souvent. Je pense que, si on s’attend à ce que deux professionnels de notre système médical puissent le faire, on s’expose à l’homicide délictuel. Je suis convaincu que, dans 20 ans, comme vous devez le comprendre, beaucoup de décès auront eu lieu sous les auspices du projet de loi . Je suis convaincu que vous voudrez pouvoir penser que, si des homicides délictuels découlent de ce projet de loi, vous aurez fait de votre mieux pour combler ses lacunes et ses insuffisances et protéger vraiment les personnes vulnérables. Dans l’état actuel des choses, la norme des deux professionnels de la santé chargés d’évaluer le consentement et l’aptitude au consentement est, selon moi, insuffisante, et je crois que je ne suis pas le seul à le penser.
Ma deuxième observation est qu’il semble que M. Rankin soit celui qui comprend le mieux le fait que beaucoup de temps peut s’écouler entre le moment où le médicament est prescrit et celui où il est administré au patient. Entre ces deux moments, il y a, hélas, place aux abus. En Oregon, une fois la dose remise au patient à la pharmacie, elle disparaît dans la nature et aucun compte n’en est rendu. Si le patient s’est débattu et que la dose lui a, en fait, été donnée par quelqu’un d’autre, personne ne le saura.
L’insistance de M. Rankin à ce sujet peut viser à ouvrir la voie au consentement anticipé, mais je crois qu’on peut déduire autre chose de ses fines observations, et cela concerne la formulation de l’alinéa 241.2(3)h), sous la rubrique des mesures de sauvegarde, qui prévoit que le médecin doit:
[…] immédiatement avant de fournir l’aide médicale à mourir, donner à la personne la possibilité de retirer sa demande […].
Je suis d’avis que la formulation devrait être « au moment de » fournir l’aide médicale à mourir. Par ailleurs, pourquoi la dose létale ne serait-elle pas remise par le pharmacien non pas au patient, mais au médecin, lequel pourrait s’assurer au moment de son utilisation que les éléments de consentement et l’aptitude au consentement sont bien présents? Cela répondrait aux préoccupations de M. Emberley, de l’association des pharmaciens, et à certaines de celles de Francine Lemire.
Comme nous l’avons entendu à quatre reprises, je crois, de la bouche de la ministre Wilson-Raybould rien dans cette loi ne contraint quiconque à participer à une procédure de suicide assisté ou d’euthanasie. Je crois qu’il est temps que ces mots apparaissent effectivement dans le projet de loi: « Rien dans cette loi ne contraint quiconque ». Cela pourrait être énoncé dans le préambule, ou dans une autre partie. Je crois que cela circonscrirait plus clairement l’aspect central de la protection des objecteurs de conscience et du jugement professionnel qui est si souhaitable.
Il y a une autre question, évidemment, et c’est celle de savoir si on peut effectivement apporter une simple modification de vocabulaire dans la partie du projet de loi relative à l’admissibilité. Cette modification répondrait dans une certaine mesure à trois des quatre enjeux dont j’ai parlé jusqu’ici. On pourrait en fait… pardon, c’est à l’article 227, qui serait ajouté au Code criminel et qui concerne les exemptions de poursuite au criminel pour les médecins et ceux qui apportent une aide médicale à mourir à des patients remplissant les critères d’admissibilité.
Le paragraphe 241(2) se lit comme suit:
Ne commet pas l’infraction […] le médecin ou l’infirmier praticien […]
On pourrait facilement dire « tout médecin ou infirmière praticienne dûment autorisés à cet égard ». Cela réglerait plusieurs problèmes en même temps. L’un est que, dans les critères d’admissibilité, on ne dit nulle part que le patient doit obtenir des services ou une offre de services de la part d’une équipe multidisciplinaire capable de tenir compte des facteurs donnant lieu à la demande d’aide médicale à mourir. Un médecin ou une infirmière dûment autorisés à cet égard pourraient être chargés de veiller à ce que ce soit fait.
J’estime qu’il vaut la peine d’approfondir cette question. J’ai souvent entendu dire qu’il est inconcevable de s’en remettre à deux médecins qui ne soient pas responsables de veiller à ce que d’autres solutions soient proposées, ce qui pourrait facilement faire partie des critères d’admissibilité.
Je serais heureux de répondre à vos questions.
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Merci, monsieur le président.
Merci aux témoins de s’être déplacés.
Je suis sûr que la plupart d’entre nous, dans cette salle, ont déjà dit adieu à un être cher ou à un ami. J’ai 66 ans et j’ai dit adieu à mes parents et à mes beaux-parents. Et que la mort les emporte quand ils sont encore jeunes, comme l’a été ma mère, brutalement dans son sommeil, à 47 ans, ou plus tard dans leur vie, comme ma belle-mère, c’est toujours douloureux.
Ma belle-mère était atteinte de démence, mais elle n’était pas pour autant dans un état de décrépitude. Au contraire, elle a vécu une vie merveilleuse, remplie d’amour. On l’aimait. Elle était digne. Elle était digne parce que nous lui accordions cette dignité. Son état n’a jamais été lamentable. J’ai entendu un témoin nous dire aujourd’hui que cet état pouvait être perçu par certains comme étant de la décrépitude et, au comité spécial, j’ai de nouveau entendu dire qu’il est insensé de laisser une personne comme elle finir ses jours en couches, immobilisée et en proie à la démence, tandis qu’il ne lui restait qu’une année à vivre. Pourtant, on l’aimait et elle nous manque.
Un jour, nous sommes allés lui faire nos adieux, puisque le médecin de famille nous avait informés qu’il ne lui restait que tout au plus cinq jours à vivre. On s’est demandé à quoi bon s’acharner à lui donner ses médicaments contre le glaucome, la démence et tout le reste. Toute la famille a décidé de cesser de lui donner ses médicaments et de la laisser partir. Après avoir passé trois jours avec elle en Californie, ma femme lui a fait ses adieux. C’était une expérience formidable. De retour chez nous, nous avons appelé la maison de repos: est-elle partie? Non. Le lendemain: est-elle partie? Non. Le troisième jour, on nous a fait savoir que quelqu’un nous demandait.
Elle était revenue à la vie. Nous avons passé ensemble une autre merveilleuse année. C’était une de nos meilleures années.
Je vous assure qu’on ne sait pas à quoi on a affaire en réalité. On ne sait jamais si quelqu’un est vraiment sur le point de partir. Notre père lui manquait et elle voulait aller le rejoindre. Elle aurait satisfait aux critères d’admissibilité. Pourtant, elle est revenue et nous avons ensuite passé une merveilleuse année ensemble.
Docteur Johnston, vous recommandez de préciser dans le préambule qu’aucune contrainte ne doit être exercée sur les médecins, mais les tribunaux n’accordent généralement pas aux préambules le même poids que le corps d’un texte de loi. Nous avons tous maintes fois entendu des témoins nous dire que l’enjeu primordial, en ce qui nous concerne, est la protection de la liberté de conscience des médecins, du personnel infirmier, des pharmaciens et d’autres fournisseurs de soins de santé. Nous n’avons pas le droit à l’erreur quand il est question des Canadiens les plus vulnérables et nous nous devons de protéger la liberté de conscience. C’est ce qu’a souligné la Cour suprême dans l’arrêt Carter.
En l’état, les dispositions du projet de loi restent muettes sur ce point. Les fonctionnaires et le ministère ont expliqué qu’il n’est nulle part écrit qu’on peut contraindre qui que ce soit à adhérer à la procédure. La question est plutôt passée sous silence. Serait-il utile d’édicter, dans le corps du projet de loi plutôt que dans le préambule, la criminalisation de toute forme de coercition, d’intimidation ou de contrainte exercée sur un médecin, un fournisseur de soins de santé, du personnel infirmier ou des pharmaciens, cela pour les obliger à les faire adhérer à ce que prévoit le projet de loi?
L’arrêt Carter dit qu’il est permis de se suicider, mais interdit d’aider quelqu’un à le faire, quoiqu’en présence de certaines conditions, il serait acceptable d’aider quelqu’un à se donner la mort. Nous passons d’un extrême à l’autre, au point où maintenant le comité spécial nous dit qu’il faut orienter les patients, mais les Canadiens disent qu’ils veulent avant tout une protection de leur liberté de conscience.
Ma question est la suivante: si le projet de loi était modifié pour criminaliser toute forme de coercition, d’intimidation ou de contrainte exercée sur un médecin, cela suffirait-il pour protéger la liberté de conscience?
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Je ne sais pas si l’arrêt Carter fait explicitement état de la notion de consentement concomitant, mais celui-ci doit être clair.
Si vous donnez des directives préalables claires et précises, qui envisagent un état de santé futur qui vous serait insupportable, c’est comme si votre option avait été exercée à l’avance. C’est de cela dont je parle.
En interdisant le consentement préalable, vous privez ceux qui seraient en train de souffrir atrocement, et cela en toute connaissance de cause en ce qui vous concerne, de l’option d’une aide médicale à mourir. Vous leur fermez complètement la porte. Je soutiens qu’il faut, au contraire, leur laisser cette option.
Les directives préalables, telles qu’elles sont actuellement réglementées dans les provinces et les territoires, sont quelque peu confuses. Elles présentent toutes des caractéristiques différentes, certaines étant juridiquement contraignantes et d’autres pas.
J’envisage un formulaire national assez limpide qui permettrait d’énoncer d’avance ce qui serait un état médical inacceptable pour le répondant. Tous les autres critères devront, par ailleurs, être respectés et la description de l’état qui leur serait insupportable devrait y figurer clairement. Cette directive préalable ne devrait pas être rendue caduque par la seule perte de capacité du répondant à formuler un consentement éclairé.
Je doute que beaucoup changeraient d’avis en s’imaginant en état végétatif, recroquevillés en position foetale, nourris à la cuillère, portant des couches et devant être lavés tous les jours. Pour certains, cette perte de qualité de vie serait insupportable. Je ne voudrais donc pas que la loi interdise ce recours.
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Il me semble que mes inquiétudes relatives aux directives préalables découlent, du moins en partie, de mon expérience en tant que médecin de famille.
Il m’a été donné de rencontrer, au cours de ma pratique, beaucoup de jeunes patients qui se sont fait faire des tatouages surprenants en des endroits tout aussi surprenants. Au moment où ils se sont fait tatouer, ils étaient capables, ont donné leur consentement et pensaient bien le vouloir. Je vois les directives préalables comme un type de tatouage qui vous poursuit toute votre vie, et c’est bien là le problème. Il est difficile de s’en débarrasser puisque, quand vous en arrivez finalement à la conclusion que vous voulez vous en départir, personne ne peut deviner vos intentions.
Ces sceaux de clodos, si vous voulez, sont tout comme les directives préalables. L’analogie est parlante: vous êtes dans un certain état d’esprit quand vous prenez votre décision, mais que se passe-t-il quand vous changez d’avis?
Ce n’est pas exagérer que de se référer à certains cas de cataplexie et de coma dont sont sorties plusieurs personnes qui ont raconté avoir non seulement tout entendu pendant leur épisode, mais aussi avoir eu pleine conscience de certains abus dont elles avaient été victimes.
Bien que ce soit une tâche difficile, je pense que nous devons cesser de projeter notre propre dégoût de l’incapacité sur les autres, aussi authentique et humain soit-il. Aucun être humain ne mérite, à quelque moment que ce soit de son existence, la qualification de coquille vide. Aucun être humain ne mérite, à quelque moment que ce soit de son existence, d’être l’objet du dégoût des autres du fait de la nature des soins qui doivent lui être prodigués.
Certaines personnes tout à fait bienveillantes, à l’instar de Françoise et de Nino, essayent de donner aux gens ce qu’ils réclament. Je souligne, à l’intention du Comité, qu’il serait sage d’éviter d’introduire dans la législation existante la notion de directives préalables.
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On peut en effet avoir toutes sortes de raisons, morales ou autres, de penser autrement, mais d'un point de vue purement juridique, le projet de loi tel qu'il est libellé crée une difficulté bien réelle. Je suis praticien et j'ai des clients, entre autres des groupes de personnes handicapées. Or certains nous ont demandé d'envisager ce scénario. Il est important, dans le cadre d'un projet de loi aussi fondamental, de générer une certaine sécurité juridique pour les citoyens. Il faut que les normes et les règles du jeu soient claires pour tout le monde.
Ce projet de loi propose une norme visant à permettre l'accès à l'aide médicale à mourir, mais le problème, je le dis avec le plus grand des respects, est que ce n'est pas la norme de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés telle que la Cour suprême l'a élaborée dans le contexte de la cause Carter. En adoptant une norme plus étroite, où il est question de fin de vie et de questions de ce genre, la difficulté vient du fait qu'on crée un vide. En effet, les personnes qui ne répondent pas aux conditions de fin de vie incluses dans le projet de loi , mais qui répondent à celles relatives aux maladies graves irrémédiables de l'arrêt dans la cause Carter, veulent revendiquer le droit d'accéder à l'aide médicale à mourir. Le vrai sens de ce que la Cour suprême a décidé visait ces personnes.
La Cour suprême n'a pas pris sa décision en fonction de critères de fin de vie. Elle ne s'est pas demandé si les personnes étaient vraiment en fin de vie. Ce n'est pas un critère que la Cour a retenu. Elle parle de gens qui souffrent de conditions graves et irrémédiables, dont certaines peuvent entraîner une fin de vie rapprochée. Lorsque la Cour a donné toute sa portée à l'article 7, elle l'a fait bien consciemment, je pense, de façon à viser un bassin plus large que celui visé par le projet de loi.
Le problème est qu'en établissant des limites comme on le fait ici, on risque de laisser de côté une partie des gens qui ont le droit constitutionnel d'accéder à l'aide médicale à mourir. Ce projet de loi va leur retirer ce droit ou obliger ceux qui veulent l'exercer à recommencer la même bataille devant les tribunaux afin que la Cour suprême comble de nouveau ce vide. Deux, trois ou quatre ans plus tard, la Chambre des communes, le Parlement, devra alors modifier sa loi encore une fois.
Le Barreau du Québec considère que ce n'est pas souhaitable, surtout dans le cas de personnes souffrant d'une maladie grave et irrémédiable qui auraient à se lancer de nouveau dans un débat judiciaire. Comme société, ce n'est pas ce qu'on doit viser.
On peut être d'accord ou ne pas l'être. La Cour suprême est peut-être allée trop loin, mais il s'agit de la Cour suprême et de la loi du pays. On ne peut pas faire abstraction de cela au nom d'autres principes.
Concernant le critère voulant que la mort soit raisonnablement prévisible, nous avons aussi au Québec une difficulté de ce genre. En effet, le critère voulant que la personne soit en fin de vie fait aussi l'objet de débats. Nous en sommes présentement à l'application, et cela soulève des difficultés. Comme le critère peut être parfois trop flou, la position peut varier d'un médecin à l'autre. Certains affirment que, pour être considéré en fin de vie, il faut être mourant, en phase terminale, alors que d'autres parlent de trois ou six mois. Il est clair que la mort relativement prévisible est un critère beaucoup trop flou. Pour les citoyens, il est important que les normes juridiques soient claires, applicables et faciles à comprendre pour tous.
Nous avons tenu un long débat, au Québec, pour déterminer s'il était souhaitable d'établir un délai, par exemple de six mois ou de trois mois. Le problème est que la science médicale est incapable de prédire s'il va s'agir, selon les personnes, de trois mois ou de six mois. Nous avons alors déterminé qu'il était préférable de laisser au médecin la possibilité d'exercer son jugement.
Le problème, cependant, est qu'en présence de critères flous, le droit du citoyen devient plus ou moins élastique, ce qui entraîne des difficultés. En tenant compte de ces dernières ainsi que de la portée de l'arrêt dans la cause Carter, nous avons recommandé que ce critère soit purement et simplement retiré de la loi.
Sur le fond, la loi québécoise est fondée sur deux prémisses.
J'énonce la première comme suit: franchir le seuil de la mort en toute sérénité, lâcher prise en toute quiétude sans avoir peur de souffrir, sans souffrir, n'est-ce pas ce que nous souhaitons tous? N'est-ce pas ce que l'on peut souhaiter de mieux à autrui?
L'autre prémisse est la suivante. On porte atteinte à la dignité de la personne quand on porte atteinte à son autodétermination; ce n'est pas une question de couche. L'autre principe est l'autodétermination. Le droit consacre ce principe de notre vivant, quand on est bien en forme. Or pourquoi retirerait-on ce principe de l'autodétermination dans un moment aussi intime que celui de notre propre mort? Ce n'est pas le voisin qui va mourir à ma place ou qui va vouloir mourir à ma place.
Ces deux principes ont mené à la loi québécoise qui s'intitule Loi concernant les soins de fin de vie. Elle ne couvrait pas le suicide assisté. Si j'insiste là-dessus cet après-midi, c'est qu'il y a un problème de confusion conceptuelle entre l'euthanasie et l'aide médicale à mourir en phase terminale de vie. Que ce soit six mois ou un an, il reste que le processus vers la mort est irréversible. On n'est plus dans le curatif, mais dans le droit de mourir et dans les soins palliatifs. La demande de mort émerge toujours en soins palliatifs, et rarement avant.
Maintenant, la cour nous demande d'encadrer le suicide assisté. Le critère dont il est question est celui de la mort naturelle. On parle souvent aujourd'hui de mort vraisemblablement prévisible, mais il y a une expression encore plus floue, à savoir la mort naturelle vraisemblablement prévisible. Or la mort en soins palliatifs est-elle naturelle? À ce que je sache, le patient en soins palliatifs meurt de ce qu'on lui administre pour endurer la douleur. Une dernière dose, même si elle n'est pas mortelle, finira par faire arrêter le coeur. Peut-on alors parler de mort naturelle?
Je pourrais en parler longtemps, mais je veux vous poser des questions.
La loi québécoise ne prévoit pas de délai; ici, on a parlé de 15 jours. Pour toutes ces raisons, j'ai l'impression d'être devant une loi québécoise mal écrite. Seriez-vous favorable à l'ajout d'une disposition d'équivalence, comme le proposait le professeur Hogg?
Si on adopte cette loi telle qu'elle est, elle va engendrer des situations particulières pour le Québec. Notamment, au Québec, il n'est pas question d'infirmiers praticiens ou d'autres professionnels de la santé. Seriez-vous d'accord pour qu'on ajoute une disposition d'équivalence dans la loi? Ainsi, si le ministre fédéral était convaincu qu'une province ou un territoire donné a mis en place les garanties nécessaires équivalant en substance aux garanties fédérales, la loi fédérale ne s'appliquerait pas. Ne serait-il pas plus prudent de faire cela?