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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 090 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 27 mars 2018

[Enregistrement électronique]

(1610)

[Traduction]

    Allez-y, monsieur Nicholson.
    Si vous me le permettez, monsieur le président, je ferai remarquer la lourde responsabilité et la grande difficulté que représente l’organisation des réunions, compte tenu de tous nos déplacements. J’ai eu le privilège de faire des dizaines de voyages, mais je dois dire que personne n’a mieux fait les choses que les gens qui travaillent avec nous.
    Chloé, Lyne, Julie et Emma, vous avez fait un travail remarquable. Je suis sûr d’exprimer l’avis de tous les membres du Comité quand je dis que nous apprécions hautement le merveilleux travail que vous avez fait pour nous. Merci beaucoup.
    Des députés: Bravo!
    Vous avez bien raison de penser que vous parlez en notre nom à tous.
    Nous faisons nôtres ces remarques sur l’admirable travail que vous avez fait. Merci beaucoup. Je vous prie de le dire à Emma, qui n’est pas ici aujourd’hui.
    Merci à tous d’être ici aujourd’hui. C’est avec plaisir que nous tenons cette réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne dans le cadre de notre étude sur la traite des personnes.
    Comme mon collègue Rob Nicholson vient de le dire, nous revenons d’une tournée pancanadienne. Nous avons ainsi pu entendre directement, à Halifax, à Montréal, à Toronto, à Edmonton et à Vancouver, des centaines de Canadiens préoccupés par cette question. Nous sommes très reconnaissants à tous d’avoir témoigné devant le Comité et d’avoir contribué à notre compréhension du problème.
    J’aimerais présenter les témoins d’aujourd’hui et leur souhaiter la bienvenue. De Victoria, en Colombie-Britannique, nous entendrons Cecilia Benoit, professeure et scientifique à l’Université de Victoria, ainsi que Mme Tara Leach, infirmière praticienne en soins de santé primaires. Témoigneront ensuite les représentants de la Coalition d'Ottawa pour mettre fin à la traite des personnes, Mme Sherry Lacey, chef du Comité jeunesse et travailleuse sociale en thérapie pour les jeunes et les familles, et Mme Jodi Mosley, chef du Comité de présentation communautaire.

[Français]

     Du service de police d'Ottawa, il nous fait grand plaisir d'accueillir M. Damien Laflamme, sergent à l'Unité de la traite de personnes, et Mme Karine Casagrande, analyste en criminalité de l'Unité de la lutte contre la traite des personnes.
    Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie beaucoup d'être ici.
    Ce que nous allons faire, c'est procéder dans l'ordre indiqué par la liste que j'ai ici.

[Traduction]

    Je m’en tiendrai à l’ordre indiqué dans la liste de témoins que je viens de lire. Je cède donc la parole d’abord à Mme Benoit.
    La parole est à vous pour huit minutes.
    Afin de ne rien oublier des points que je veux soulever, je ferai la lecture de mon exposé.
    Je crois comprendre que votre étude vise à faire la lumière sur la traite des personnes au Canada. Bien entendu, nous voulons tous nous assurer que les personnes vulnérables ne sont pas victimes d’abus ou d’exploitation, comportements criminels qui doivent être prévenus, décelés et réprimés.
    Malgré les affirmations sensationnelles, il y a de bonnes nouvelles, entre autres que la traite des personnes n’est pas répandue dans la prostitution des adultes au Canada. En fait, il semble que la plupart des adultes qui vendent des services sexuels dans notre pays sont libres de se déplacer pour travailler et ne sont pas contraints ou exploités par d’autres. Je tire cette conclusion des témoignages de plus de 1 200 personnes que mes collègues et moi avons interviewées dans le cadre de différentes études depuis une vingtaine d’années. Comme il n’existe pas d’échantillon aléatoire pour procéder à la sélection des participants, nous avons eu recours à diverses sources, y compris des sites Internet, des contacts communautaires et des réseaux des participants, pour nous renseigner sur les expériences d’un vaste groupe de personnes.
    Nous avons constaté que bon nombre des participants appartiennent à des groupes informels, où ils se lient d’amitié avec d’autres travailleurs, adoptent en commun des stratégies de sécurité, développent une clientèle régulière et établissent des liens avec des agences d’escorte et des salons de massage. Dans l’ensemble, nous avons constaté que ces réseaux améliorent la santé, la sécurité et le bien-être des personnes qui se livrent à la prostitution adulte. De plus, ces réseaux font que, si la traite des personnes se produit sur le terrain, nos participants en entendront probablement parler. Même si leur expérience négative avec la police et le système de justice constituent d’importants obstacles à la dénonciation, point sur lequel je reviendrai plus tard, nos participants ont été très francs dans leurs entrevues avec nous.
    Je voudrais aujourd’hui parler de quelques-uns de nos résultats de recherche. D’autres résultats sont publiés dans nos articles, révisés par des pairs. Je vais commencer en faisant un bref profil des participants d’une récente étude canadienne. En 2012-2013, nous avons interviewé 218 personnes dans 6 villes canadiennes. Les personnes interviewées étaient âgées d’au moins 19 ans, étaient légalement aptes à travailler au Canada et avaient vendu des services sexuels au moins 15 fois au cours des 12 mois précédents. Les participants étaient âgés de 19 à 61 ans, la plupart étant dans la trentaine. Leur revenu annuel médian était d’un peu moins de 40 000 $. Les trois quarts sont des femmes et 20 % des Autochtones. L’âge moyen auquel ils ont vendu pour la première fois un service sexuel était de 24 ans, mais avant l’âge de 18 ans dans 18 % des cas. Plus de la moitié travaillaient de façon indépendante, mais non sur la voie publique, 20 % travaillaient de façon indépendante sur la voie publique et 25 % disaient travailler principalement dans un milieu géré, comme un salon de massage ou une agence d’escorte.
    Parmi les participants à cette étude, 6 % avaient été exploités ou contraints de vendre des services sexuels à un moment de leur vie, mais personne n’a dit être, au moment de l’entrevue, contrôlé par ce qu’on appelle communément un proxénète. La grande majorité d’entre eux ont dit être motivés principalement par le besoin ou le désir de gagner de l’argent, ce qui est, en gros, la raison pour laquelle la plupart des Canadiens travaillent. De plus, 35 % d’entre eux travaillaient dans d’autres domaines tout en prostituant et 20 % étaient inscrits à un programme d’études.
    Comme je l’ai mentionné, nous voulions en savoir plus sur ce qu’ils pensaient du système de justice, et voici ce qu’ils nous ont dit. Les deux tiers, soit quatre fois plus que les autres Canadiens, ont dit avoir peu de confiance, voire aucune, dans la police. Cette méfiance a trois grandes causes. Leur première préoccupation était la discrimination. La moitié d’entre eux avaient constaté des préjugés dans le système de justice, causé par la stigmatisation à leur égard. Une participante a dit: « Ils manquent de respect. La police dit que si vous allez être payée pour des services sexuels, vous ne pouvez pas être violée. » Une autre a rapporté: « Un policier m’a dit que je n’étais qu’une pute autochtone. »
    Leur deuxième préoccupation était la crainte d’arrestation. Un participant a déclaré: « J’ai connu des travailleuses du sexe qui ont signalé un crime dont elles étaient victimes, mais, lorsque la police a appris qu’elles faisaient le trottoir, ce sont elles qui ont été arrêtées, plutôt que la personne qui avait commis un acte de violence contre elles. »
    Leur troisième préoccupation était le ciblage de leur milieu de travail. Les participants ont dit que les policiers ont rendu leur travail « de plus en plus difficile et de moins en moins sécuritaire en ciblant les agences d’escorte et d’autres lieux de travail sûrs, alors qu’ils devraient s’en prendre aux trafiquants ». Un participant s’est exprimé ainsi: « Nous savons qu’il y a de l’esclavage sexuel, mais la police ne fait rien d’autre que de perdre son temps à s’en prendre aux petits établissements ne posant pas problème. » Cette approche a miné la confiance de nos participants à l’endroit de la police, a accru leur méfiance quant à l’application de la loi et les décourage de chercher de l’aide quand d’autres personnes ou eux-mêmes sont en danger. Par contre, certains participants ont livré des témoignages positifs au sujet d’agents de police respectueux et judicieux dans l’application de la loi. Il importe également de signaler la variation, entre les villes où s’est déroulée l’étude, de la confiance à l’endroit de la police.
(1615)
    En terminant, j’aimerais vous transmettre les messages suivants. En tout premier lieu, une relation sexuelle consensuelle entre adultes en échange d’argent ne doit pas être assimilée à la traite des personnes. Il est crucial de ne pas les confondre afin d’être de pouvoir mieux s’attaquer aux cas réels de traite de personnes.
    Deuxièmement, les adultes qui vendent des services sexuels sont plus diversifiés qu’on ne le pense ordinairement, et leur accès aux services de santé et de sécurité devrait être non conditionnel et non discriminatoire.
    Troisièmement, la contrainte et l’exploitation dans la prostitution des adultes sont beaucoup moins fréquentes qu’on ne le prétend.
    Quatrièmement, la police doit améliorer ses relations avec les personnes qui vendent des services sexuels afin que celles-ci se sentent à l’aise de dénoncer des crimes, sans crainte d’être poursuivies ou mises sous surveillance.
    En dernier lieu, le fait de cibler les établissements sexuels commerciaux oblige les travailleurs à trouver d’autres clients, ce qui pourrait les rendre plus vulnérables et fait perdre à la police du temps et des ressources qui seraient mieux utilisés à repérer les trafiquants et leurs victimes.
    Je vous remercie de m’avoir donné cette occasion de présenter les résultats de nos recherches. J’attends vos questions avec impatience.
    Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant passer à Mme Leach.
    Je remercie le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de m’avoir invitée aujourd’hui. Je suis ravie de voir que le Comité est intéressé à entendre parler des recoupements entre les soins de santé et la traite des personnes.
    Je m’appelle Tara Leach et je suis infirmière praticienne en soins de santé primaires. Au cours des 20 dernières années, j’ai travaillé auprès de victimes de violence dans des établissements de soins primaires et d’urgence, tant en Ontario que dans plusieurs États du Nord des États-Unis. J’ai travaillé auprès de personnes de tous les âges dans des établissements qui se spécialisent dans les soins aux enfants, aux adolescents et aux adultes. Bien qu’ayant été en contact de patients victimes de la traite de personnes, je n’ai appris le terme qu’il y a environ sept ans, à la faveur d’un cours de sciences politiques de mon mari. À vrai dire, quoique professionnelle de la santé, on ne m’a jamais parlé de la traite des personnes, de ce qu’elle était, de la façon d’en identifier les victimes, d’intervenir ou de réagir utilement. En fait, si j’avais attendu d’apprendre quelque chose sur la traite des personnes de mon organisation professionnelle ou des établissements où j’ai travaillé, j’attendrais toujours.
    C’est dans cette optique que je vous signale ce que je considère comme une importante lacune dans les stratégies du Canada pour lutter contre la traite des personnes. Les études révèlent que le prestateur de soins de santé est l’un des rares professionnels susceptibles d’interagir avec des femmes et des enfants victimes de la traite pendant qu’ils en sont toujours victimes. Des études ont révélé qu’au moins 84 % des victimes de la traite ont vu un professionnel de la santé pendant leur période de victimisation. Il s’agit bien d’une occasion manquée d’intervention. Les prestateurs de soins de santé sont dans une position privilégiée pour identifier les victimes de la traite et leur apporter des soins physiques et psychologiques importants pendant et après leur victimisation.
    Les problèmes de soins de santé chez les victimes de la traite sont, pour l’essentiel, attribuables à plusieurs facteurs, notamment la privation de nourriture et de sommeil, le stress extrême, les risques associés aux déplacements, la violence physique et sexuelle et le travail dangereux. Comme la plupart des victimes n’ont pas accès aux soins de santé en temps opportun, leurs problèmes de santé sont ordinairement bien avancés lorsqu’elles rencontrent un clinicien. Ces femmes sont plus à risque de contracter de multiples infections transmises sexuellement et de montrer les séquelles de multiples avortements forcés et dangereux. Il y a souvent de la violence physique et de la torture, qui se soldent par des fractures osseuses, des contusions, des problèmes dentaires et des brûlures de cigarettes. D’après mon expérience, l’incidence de blessures par strangulation est élevée dans cette population.
    La violence psychologique se manifeste par des taux élevés de trouble de stress post-traumatique, de dépression, d’idées suicidaires, de toxicomanie et de symptômes somatiques. Si j’en juge par mon expérience de travail auprès des victimes de la traite, celles-ci sont moins stables, plus isolées, ont des niveaux de peur plus élevés, des traumatismes plus graves et des besoins en matière de santé plus grands que toutes les autres victimes d’actes criminels auprès desquelles j’ai travaillé. De fait, il y a même une étude qui prétend qu’une victime de la traite peut nécessiter autant de temps de la part du prestateur de soins que 20 victimes de violence familiale.
    De plus, nous savons désormais, grâce aux recherches, que le traumatisme a des effets sur toute la vie et qu’il peut être considéré comme une maladie chronique, une maladie qui coûtera cher à notre système si elle n’est pas bien gérée. À Ottawa, où je vis, je pense au nombre de prestateurs de soins de santé primaires dans les hôpitaux et les cliniques sans rendez-vous, endroits où l’on sait que les victimes de la traite des personnes bénéficient de soins. À votre avis, combien d’entre eux ont manifesté un intérêt personnel et continu pour cette question, comme je l’ai fait, afin de susciter un changement et une reconnaissance du problème dans notre système de soins de santé? Selon vous, combien d’entre eux comprennent la traite des personnes, savent la reconnaître et y réagir, et travaillent dans des milieux qui apportent quelque soutien aux soins aux victimes de la traite des personnes? Comme vous l’avez peut-être deviné, il n’y en a pas beaucoup.
(1620)
    Madame Leach, je m’excuse de vous interrompre. Puis-je vous demander de parler un peu moins vite, s’il vous plaît? Apparemment, les interprètes ont de la difficulté à vous suivre.
    Je suis désolée. Je parle vite en temps normal, et encore plus quand je suis nerveuse.
    Ne vous en faites pas. Je fais la même chose.
    Quand je regarde notre système de soins de santé surchargé, je comprends la concurrence des intérêts et des besoins. Je comprends que les patients que j’ai décrits vont à l’encontre de notre philosophie de financement « traitement, puis congé » de notre système de santé, que le « problème unique » sur lequel on peut se concentrer est le plus évident et celui que les prestateurs de soins de santé savent peut-être comment traiter.
    Les professionnels de la santé ne sont pas au courant de la traite des personnes, car il n’y a pas d’éducation obligatoire sur cette question. Il n’y a aucune exigence, quant à l’autorisation d’exercer, pour que cela soit appris dans le cadre du devoir professionnel de divulgation obligatoire. Dans les facultés de médecine ou les écoles de sciences infirmières, il n’y a pas d’éducation normalisée qui permette même de sensibiliser les gens aux indices permettant de reconnaître une victime éventuelle. Les prestateurs de soins de santé ne sont pas au courant et n’ont pas les outils, ni parfois même la permission, pour passer le temps nécessaire auprès des victimes en vue de répondre à leurs besoins.
    J’aimerais proposer que les prestateurs de soins de santé soient convoqués plus souvent lorsque des questions comme celle-ci sont discutées. Nous devons avoir l’occasion de discuter pourquoi notre système de santé actuel est, en fait, inaccessible aux victimes de la traite des personnes. Nous devons discuter de la stigmatisation et de la honte qui réduisent au silence les victimes et qui empêchent la divulgation, parce que notre système n’est pas bien informé des traumatismes et qu’il devrait l’être. Nous devons discuter du fait que les soins ne sont pas coordonnés et pas souvent adaptés aux besoins changeants et très dynamiques des victimes de la traite des personnes.
    Chez les patients, les expériences antérieures de stigmatisation, d’attitude tendancieuse et de traitement désobligeant par des prestateurs tendent à renforcer leur réticence à recourir aux soins de santé, en particulier chez les groupes de patients marginalisés. Même si les lois reconnaissent que les victimes de la traite des personnes sont des victimes d’actes criminels, la perception d’une certaine complicité de la part des survivants d’actes criminels persiste.
    Les recherches et la pratique montrent que les survivants de la traite des personnes sont victimes de stigmatisation, de discrimination, de marginalisation, de violence institutionnelle et manifestent de la méfiance à l’endroit des systèmes officiels, ce qui comprend les professionnels de la santé. Trop souvent, j’entends parler de patients, reconnus comme étant « dans le commerce du sexe », mais non comme victimes de la traite des personnes. Le changement de terminologie changera les sources d’aiguillage et l’état d’esprit dans les soins apportés aux personnes ayant vécu cette expérience.
    En raison des taux élevés d’abus et de violence, la traite des personnes est associée à des traumatismes importants. Il existe peu de recherches permettant d’élaborer un modèle efficace de prestation de soins de santé pour les survivants de la traite des personnes, mais certaines pratiques avérées efficaces dans d’autres groupes marginalisés constituent un début de feuille de route. Il en existe un exemple ici à Ottawa. Voice Found, organisme dirigé par des survivants, a ouvert la première clinique de soins de santé du Canada pour les victimes de la traite des personnes. Il se trouve que je suis la principale responsable de la prestation des soins de santé de cette clinique. La clinique HEALTH est un exemple de clinique de santé complète, bien au courant des traumatismes, axée sur les besoins des survivants et offrant des soins de santé primaires et préventifs à long terme ainsi que des services de gestion de cas aux survivants de la traite des personnes de 13 ans et plus.
    Les pratiques novatrices mises en oeuvre à notre clinique sont dérivées des principes des soins adaptés au traumatisme et de la littérature psychologique pour un modèle de traitement du traumatisme par phase. Une approche du traitement axée sur les traumatismes encourage la participation thérapeutique aux services de santé et favorise les tendances à recourir aux soins de santé. Même si des cliniques comme celle-ci peuvent fournir de riches données à votre comité, il faut que les difficultés de viabilité financière soient surmontées. Notre clinique ne dispose que d’un financement de trois ans, fourni par la province, et a la capacité d’être ouverte seulement deux jours par semaine, ce qui n’est déjà pas suffisant pour répondre à la demande.
    Au cours de votre collecte de renseignements, souvenez-vous de notre clinique ici à Ottawa et des professionnels de la santé comme moi. J’ai pris un intérêt personnel et j’ai continué d’investir mon temps personnel pour en apprendre davantage simplement parce que les besoins des patients me l’imposaient. Souvent, les gens se font champions d’une cause en raison d’une expérience personnelle. Ce n’est pas mon cas. J’ai plutôt été inspirée par la force des survivants et le constat de l’inaccessibilité des soins de santé parce qu’ils n’avaient pas la bonne carte ou la bonne attitude. Les prestateurs de soins de santé ne peuvent pas fermer les yeux sur le problème de la traite des personnes et notre gouvernement ne peut plus faire fi du fait que les soins de santé, souvent inaccessibles aux personnes qui en ont le plus besoin, ont un défi à relever.
    Le système des soins de santé est un partenaire à prendre en considération dans l’examen des stratégies et des moyens de lutter contre la traite des personnes. En règle générale, tout le monde fait l’expérience, à un moment donné, des soins de santé, et les efforts de prévention doivent être conçus pour répondre aux besoins des personnes.
    Je vous remercie de votre temps et de m’avoir offert cette occasion. Je serais heureuse de répondre à vos questions.
    Merci beaucoup.
    Je cède maintenant la parole à la Coalition d'Ottawa pour mettre fin à la traite des personnes.
     Je remercie le Comité permanent de me donner l’occasion de témoigner au nom de la Coalition d’Ottawa pour mettre fin à la traite des personnes.
    La Coalition est un réseau de bénévoles qui s’efforce de répondre aux besoins en services et en ressources des personnes touchées par toutes les formes de traite des personnes. À notre connaissance, nous sommes la seule organisation qui offre un programme de formation établi pour les fournisseurs de services afin qu’ils puissent repérer les victimes de la traite des personnes et savoir comment réagir correctement.
    Comme je l’ai dit, je m’appelle Sherry Lacey. Je dirige le comité jeunesse de la Coalition depuis environ trois ans. Je suis également travailleuse sociale auprès des jeunes et des familles, y compris des victimes de la traite des personnes, depuis une douzaine d'années.
    Je commencerai par déclarer que la traite des personnes est une forme d'esclavage moderne qui est bien vivante au Canada. Il s'agit d'exploiter des victimes à des fins lucratives en obtenant d'elles, par la tromperie, la coercition ou la force, des activités sexuelles, du travail ou des organes et tissus humains. C’est une violation flagrante des droits fondamentaux de la personne. Malheureusement, aucune personne, aucun groupe au Canada n’est à l’abri de ce fléau.
    Notre coalition se concentre sur la riposte. Il importe de reconnaître qu’une intervention adaptée et efficace est aussi extrêmement complexe et doit tenir compte de divers facteurs.
    Premièrement, avant qu’une victime ne s'extirpe pour de bon d'une situation de traite, elle y revient le plus souvent plusieurs fois. Pour qu’une réponse soit efficace, elle doit reposer sur la compréhension et la prise en considération des raisons sous-jacentes si on veut faire de la prévention.
     Deuxièmement, les besoins des victimes de la traite sont propres à l’expérience de chacune. Il n’y a pas deux situations ou un ensemble de besoins identiques. Pourquoi, demanderez-vous? Considérez ceci. Nous avons vu des victimes forcées d’avoir des enfants avec leurs trafiquants. Nous avons vu des jeunes qu'on est allé chercher dans les toilettes de leur école secondaire ou qu'on a enlevés pendant l’heure du déjeuner. Nous avons vu des victimes adultes qui sont incapables de donner leur consentement légal pour sortir d’une situation de traite parce que leur trafiquant les a forcées à devenir toxicomanes et à vivre dans une peur psychologique constante. Les besoins de ces victimes sont très différents. Une approche uniforme est donc vouée à l'échec.
    Les obstacles auxquels les victimes de la traite des personnes font face lorsqu’elles essaient d’avoir accès aux services et aux ressources de la Coalition nous donnent à penser que la réaction actuelle à la traite des personnes ne tient pas vraiment compte de ces facteurs. Voilà pourquoi je voudrais souligner la nécessité d’un plan d’action national renouvelé pour lutter contre la traite des personnes qui mobilise toutes les provinces, tous les territoires et toutes les collectivités autochtones. Ce plan devrait s’appuyer sur les points de vue des professionnels de première ligne qui travaillent directement avec les victimes, dans le cadre des codes de conduite établis. Ces travailleurs comprennent la vaste gamme des besoins uniques et les difficultés d’accès aux services et aux ressources.
     Deuxièmement, le plan devrait prévoir une collecte de données normalisée sur l'ensemble du contexte de la traite des personnes au Canada, données qui pourraient éclairer l’élaboration d’une intervention efficace.
    Troisièmement, il faut faire progresser les services consacrés à des facteurs liés à la traite des personnes, dont la toxicomanie et l’itinérance. Les besoins de groupes particuliers, comme les jeunes, les peuples autochtones, les membres de la communauté LGBTQ et les migrants doivent également être pris en compte.
    Enfin, toutes les formes de traite doivent être prises en considération dans le plan, y compris celle qui est pratiquée pour l’exploitation de la main-d’oeuvre et pour la collecte d’organes. Au Canada, la demande d’organes dépasse de loin l’offre. Des données anecdotiques suggèrent qu’une partie de la demande est satisfaite par les Canadiens qui achètent des organes sur le « marché rouge », où on sait que le prélèvement des organes se fait par la force, à l'insu des donneurs ou sans leur consentement. Il faut redoubler d’efforts pour mieux comprendre cette forme de traite des personnes.
    Je vais maintenant céder la parole à ma collègue, Jodi Mosley, pour qu’elle explique plus en détail les lacunes existantes.
(1625)
     Je m’appelle Jodi Mosley. Je dirige le comité de formation de la coalition, et ce, depuis plusieurs années. Je suis également codirectrice d’une agence de placement en famille d’accueil à Ottawa, agence qui se spécialise dans les jeunes à risque élevé de partout en Ontario. Et je suis cofondatrice de A New Day, qui est le tout premier programme de traitement en établissement à Ottawa pour les victimes de la traite des personnes dans la région de la capitale nationale. Je sais pertinemment que je travaille avec des victimes de la traite des personnes depuis au moins quatre ans, mais je dois dire que je travaille avec des jeunes à haut risque depuis probablement une trentaine d'années. Nous examinons aujourd'hui la question sous un angle différent.
    Comme je dirige le comité de formation, je voudrais commencer par dire un mot de la formation. Il est vrai que l’accent mis sur la traite des personnes a permis d’accroître la sensibilisation et de réaliser des progrès. Les policiers reçoivent maintenant une formation initiale sur la traite des personnes, et nous avons une équipe de lutte contre la traite des personnes, et des mesures sont prises pour former ceux qui travaillent dans le secteur de l’aviation. La Fédération d'étudiants en médecine du Canada, en collaboration avec des organisations comme la nôtre, s’efforce d’inclure la traite des personnes dans les programmes d’études en médecine. C’est une excellente nouvelle. Il nous reste pourtant encore un long chemin à parcourir.
    Nous avons toujours, dans les forces de l’ordre, des éléments qui ne peuvent faire de distinction entre les cas de traite de personnes et ceux de violence familiale. Nous avons des médecins et des enseignants qui ne savent pas comment déceler la traite des personnes, et des établissements universitaires et médicaux qui n’ont pas de protocoles pour intervenir adéquatement dans les cas de traite des personnes. Il y a à peine deux semaines, on nous a mis au courant d’un cas où un trafiquant affublé d'une tenue de médecin a eu accès à sa victime, qui avait été admise dans un hôpital local où des mesures de sécurité étaient censées être en place. Il est clair qu’il faut investir dans la mise en place de protocoles qui énoncent des plans d’action, étape par étape, assortis de dispositifs de sécurité intégrés, qui sont complétés par une formation continue.
    En s’appuyant sur les éléments nécessaires à une intervention efficace, que Sherry a énumérés et qui comprennent la formation, comme je viens de le dire, il faut également améliorer la façon dont le système de justice pénale s'occupe de la traite des personnes. Le cadre juridique actuel, qui exige des témoignages, ce qui victimise de nouveau les victimes, est inefficace et décourage les témoignages. Les trafiquants doivent être tenus responsables, les poursuites doivent constituer une menace réelle, les peines doivent être sévères, et les victimes doivent être aidées par les tribunaux de façon significative, avec des professionnels et des mentors, afin que leur expérience du système de justice pénale contribue — et j’insiste sur le mot « contribue » — à leur processus de guérison.
     Un autre élément clé d’une intervention efficace est une campagne d’information bien ciblée qui fournit de l’information sur la disponibilité des services directement auprès des victimes. Des travailleurs de première ligne doivent éclairer cette campagne si nous voulons qu'elle n'expose pas les victimes à des risques plus importants. Par exemple, les campagnes d’information qui diffusent un numéro de ligne directe dans tous les médias et sur des affiches publicitaires inciteront les trafiquants à vérifier si le téléphone de leurs victimes n'a pas enregistré ces numéros, ce qui pourrait compromettre davantage la sécurité des victimes.
    Enfin, je voudrais parler des établissements avec permis d'alcool. On sait qu'il est arrivé aussi que des entreprises en règle, comme des clubs de danseuses, des salons de massage, des spas et des hôtels, soient utilisées pour la traite de personnes. Nous savons également que de nouveaux clubs privés s’ouvrent, sans façade sur la rue ni même toujours un nom commercial bien en vue. Ils existent de façon clandestine, et si on a besoin de les connaître, il faut les chercher. Les descriptions explicites de leurs services sur le site Web montrent clairement que des services sexuels y sont vendus, mais ils ont réussi à obtenir des permis d’alcool et des guichets automatiques, ce qui renforce leur légitimité en tant qu’entreprise et cache des traces de transactions monétaires. Des preuves anecdotiques donnent à penser que les victimes de la traite de femmes sont amenées dans ces clubs par leurs trafiquants. On ne sait pas si les propriétaires ou les exploitants sont au courant. Par conséquent, il est important que le gouvernement examine les politiques réglementaires régissant l’établissement et l’exploitation de ces types d’entreprises, et renforce les mesures d’application de la loi.
    De plus, comme ces établissements sont liés, de façon disproportionnée à la traite des personnes, ils devraient être tenus d’afficher sur place des renseignements sur les services offerts aux victimes. Ces renseignements devraient être affichés dans des endroits bien visibles, comme les messages sur les sites de jeux de hasard au sujet des dépendances au jeu, les photos illustrant les conséquences du tabagisme sur les paquets de cigarettes, ainsi que les messages sur la santé et la sécurité et les services aux victimes dans les immeubles gouvernementaux.
    Permettez-moi de conclure en disant que, même s'il y a beaucoup de travail à faire pour avoir un impact significatif sur cette question, des consultations comme les vôtres nous permettent d’espérer y parvenir.
    Merci.
(1630)
     Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant passer au sergent Laflamme, du Service de police d’Ottawa.
     Bonjour. Je tiens à remercier les membres du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de m’avoir invité à comparaître aujourd’hui. C’est à la fois un plaisir et un honneur de pouvoir contribuer à votre étude sur la traite des personnes au Canada.
    Si vous rassemblez tout ce que vous savez au sujet d’une victime d’enlèvement, d’une victime de violence familiale, d’une victime de viol, d’un enfant victime de violence et d’une personne aux prises avec des dépendances, vous avez une idée de la réalité et de la mentalité de bon nombre des victimes de la traite des personnes que nous rencontrons. Il faut déployer davantage d'efforts pour comprendre ces personnes et les aider.
    Un mot, pour commencer, de la composition de notre équipe, à Ottawa, de notre mandat et de nos objectifs, ainsi que de notre approche de la collaboration avec les survivants de la traite des personnes. L'Unité de lutte contre la traite des personnes de la Police d’Ottawa a été créée officiellement le 23 janvier dernier, après un long projet pilote. Notre équipe de six personnes se compose de quatre enquêteurs, d’un analyste de la criminalité à temps plein et de moi-même, le sergent qui supervise les activités et les enquêtes de l’Unité.
    Au cours de la seule dernière année, nous avons constaté une augmentation de 21 % du nombre d’enquêtes qui ont abouti à des mises en accusation. Cela équivaut à environ 10 enquêtes supplémentaires par enquêteur sur l’année. Notre mandat est d'identifier les victimes et les survivants de la traite des personnes au moyen d’enquêtes proactives et réactives et d’appuyer les poursuites contre les trafiquants. Les principaux objectifs de notre unité sont de fournir de l’aide et des services de soutien à tous les survivants qui souhaitent quitter le commerce du sexe. Nous faisons des enquêtes et intentons des poursuites avec diligence contre tout trafiquant, une fois que les survivants sont prêts à se manifester, à faire des déclarations et à passer par le système judiciaire. Nous sensibilisons les partenaires et les intervenants à la traite des personnes. Nous traitons également chaque victime et survivant avec le plus grand respect et dans la plus grande dignité.
    Voici quelques-unes des réussites et des pratiques exemplaires dont je peux vous parler grâce à nos expériences à Ottawa. À l’Unité de la traite des personnes du Service de police d’Ottawa, nous visons à mener le plus grand nombre d’initiatives proactives possible. Nous participons à des initiatives nationales et provinciales, notamment l’initiative Northern Spotlight, dans le cadre de laquelle nous collaborons avec d’autres organismes pour repérer et trouver les victimes de la traite utilisées à des fins sexuelles.
    Lors d’événements sportifs très médiatisés, comme la Coupe Grey de 2017 et pendant la semaine qui a précédé, nous avons établi le contact avec 21 travailleuses du sexe. Je suis heureux de dire que notre unité, de concert avec le Service de police de Gatineau, a réussi à secourir deux travailleuses du sexe qui ont choisi de se prévaloir de nos services de soutien et de quitter leurs trafiquants. Même si, du point de vue de la police, aucune accusation n’a été portée, nous considérons certainement ces deux cas comme des réussites. Avec l’aide de notre communauté de soutien aux victimes et de leurs ressources, une des survivantes a été ramenée en toute sécurité à sa famille et à ses amis dans une autre province.
    Notre équipe a toujours donné la priorité à la victime, et nous cherchons toujours à tendre la main d'une façon tout à fait non menaçante. Nous disons clairement que nous sommes là pour aider les victimes plutôt que pour intenter des poursuites. Nous mettons les victimes en contact avec les ressources communautaires et nous offrons des plans de sécurité à celles qui ne sont pas encore prêtes à quitter le commerce du sexe.
    À l’Unité de lutte contre la traite des personnes du Service de police d’Ottawa, nous nous faisons un devoir de traiter chacun de façon égale, car nous n’avons qu’un aperçu de leur vie, de leurs histoires ou de leurs expériences. Pour reprendre les mots de Maya Angelou: « J’ai appris que les gens oublient ce qu'on leur dit, oublient ce qu'on fait, mais n'oublient jamais le bien qu'on leur fait. » Nous avons eu beaucoup de succès grâce à cette approche, et nous espérons qu’un plus grand nombre de services policiers réagissent de la même façon. Si tous les services de police adoptaient cette approche, il y aurait beaucoup plus de collaboration et on serait bien plus disposé à leur fournir de l’information sur les trafiquants. La confiance envers la police augmenterait de façon exponentielle. De plus, à l’avenir, nous souhaiterions faire appel à des travailleurs de proximité ayant une expérience vécue afin de mieux établir des liens et une empathie avec les survivants, ce qui accroîtrait la confiance en nous et à l'égard du processus de sortie du monde de la traite à des fins sexuelles.
    Pour ce qui est des défis qui demeurent, je dirais que l’éducation reste un domaine où il y a encore beaucoup à faire. Comme je l’ai dit, nous avons augmenté de façon exponentielle les efforts d’information et de sensibilisation à la traite des personnes: réunions, séances d’information, exposés présentés à des entités comme les établissements de formation des forces de l’ordre, les organismes communautaires, les services frontaliers et les associations hôtelières régionales.
(1635)
     Nous avons commencé à travailler avec les établissements d'études postsecondaires et nous voudrions étendre nos activités de sensibilisation aux plaques tournantes dans le secteur des transports, comme les aéroports et les gares des autobus et des trains. Cela a certainement entraîné une augmentation considérable des enquêtes et des suivis du côté de divers groupes communautaires, conseils scolaires et intervenants. Grâce à nos partenariats communautaires élargis, nous avons été en mesure d’identifier davantage de travailleuses du sexe, de maintenir les contacts avec les victimes et de les mettre en contact avec des services et de l’aide communautaires de longue durée.
    Malgré nos efforts de sensibilisation, nous avons remarqué qu’une meilleure compréhension des réalités et de la complexité de la situation des victimes serait bénéfique au niveau judiciaire. C'est une démarche importante que l'accompagnement des survivants dans le processus judiciaire jusqu'à la tenue du procès. Ils sont toujours victimisés de nouveau pendant les audiences préliminaires et le procès proprement dit. En déployant des efforts concertés pour réduire au minimum leur témoignage et en acceptant devant les tribunaux leurs déclarations audio et vidéo sous serment, nous ferions beaucoup plus pour instaurer et rétablir la confiance à l'égard du processus judiciaire pour tous les survivants dans l'ensemble du Canada.
    Il s'est avéré très difficile de poursuivre les trafiquants. Comme je l’ai dit, la plupart des survivants ont été manipulés et convaincus qu'il fallait se méfier de la police. Par la suite, le témoignage devant les tribunaux a constitué un obstacle majeur pour nos enquêteurs. La plupart du temps, les trafiquants ont réussi à influencer négativement les survivants et à les menacer avant leur témoignage devant les tribunaux. De nombreux survivants refusent de témoigner et reviennent sur leurs déclarations avant la tenue du procès, mettant en péril bon nombre d’enquêtes.
    Nous nous attendons à beaucoup de succès dans la foulée du projet de la Cour de justice de l’Ontario prévoyant la nomination de juges aux audiences de mise en liberté sous caution, particulièrement dans notre secteur de compétence. Cet effort concerté du ministère du Procureur général aidera à accroître les possibilités de détention des trafiquants avant procès.
    Nous savons que certains réclament, à la faveur des modifications du Code criminel, la suppression des enquêtes préliminaires. Cela réduirait certainement au minimum la victimisation des survivants avant le procès. Grâce au travail acharné de nos enquêteurs et de nos procureurs au cours des derniers mois, nous avons vu des condamnations très fructueuses pour des affaires de traite de personnes devant les tribunaux provinciaux. Ces types d’enquêtes sont reconnus pour leur complexité.
    Pour conclure, je voudrais dire quelques mots des besoins des victimes de la traite des personnes. Les efforts coordonnés de la police, des organismes de soutien communautaire et du système judiciaire continuent d’être à la source de nos réussites. En ce qui concerne les services offerts aux survivants, nous devrons continuer de renforcer nos partenariats avec les intervenants dans l’intérêt des survivants.
    Merci beaucoup d'avoir pris le temps de m'écouter. Je me ferai un plaisir de répondre aux questions que le Comité voudra bien me poser.
(1640)
    Merci beaucoup à tous les témoins.
    Nous allons maintenant passer aux questions, en commençant par M. Nicholson.
    Merci beaucoup.
    Je vous remercie tous de vos témoignages.
    Madame Leach, vous avez dit que vous vous efforcez d'apporter de l'aide depuis sept ans, que vous n’étiez pas du tout au courant de la plupart des aspects de la traite des personnes et que vous seriez peut-être encore au même point aujourd’hui si vous ne vous étiez pas engagée. L’une des choses que nous faisons ici, en menant cette étude et en parcourant le Canada, c’est de participer à un effort que nous commençons à percevoir au Canada pour sensibiliser la population à la traite des personnes.
    Vous avez dit, entre autres, que les soins de santé ne sont pas accessibles aux victimes. Comment cela se fait-il? Ne peuvent-elles pas aller à l’hôpital? Ne peuvent-elles pas consulter un médecin? Qu'est-ce qui les empêche?
    Je suppose que cela dépend de l'objectif. Oui, si je me fracturais un os, je pourrais évidemment aller me faire soigner à l'urgence. Dans ma situation, il est cependant peu probable que j'aille à mon rendez-vous de suivi ou que la cause profonde de mon problème soit décelée lors de ma visite médicale — voilà ce que je veux dire par inaccessible. Bien sûr, les gens peuvent se présenter à une clinique sans rendez-vous ou à l'urgence d'un hôpital pour y être traités, mais le personnel sera-t-il pour autant sensibilisé au trafic de personnes, à la cause profonde du problème que présente la personne, comprendra-t-il son comportement, lui demandera-t-il comment elle s'est fracturé un os au lieu de croire la version qu'elle a peut-être racontée. Voilà ce que je veux dire par cela.
    De plus, sans carte d'assurance-maladie, la personne ne peut pas se présenter à l'urgence ou dans une clinique sans rendez-vous. Si elle ne parle pas la langue, elle est généralement incapable de... Parfois, c'est le trafiquant lui-même qui lui sert d'interprète et la conduit à l'urgence. Quand je dis que les soins de santé sont inaccessibles, je veux parler de la véritable raison pour laquelle la cliente va consulter par rapport au problème qui semble évident.
    Il ne faut pas oublier le lien très étroit existant entre la toxicomanie et la santé mentale. Lorsqu'ils se présentent à l'urgence ou dans une clinique sans rendez-vous, les gens ne sont pas toujours à leur meilleur et sont parfois sommés de quitter les lieux. Leur comportement est jugé agressif et non défensif.
    D'accord.
    Madame Lacey, vous avez soulevé un nouvel aspect du problème, le trafic de personnes aux fins de collecte d'organes qui a lieu à l'extérieur du pays. Vous avez fait observer qu'il y a une pénurie d'organes pour secourir les Canadiens qui en ont besoin. À votre avis, serait-il utile que nous nous attaquions à ce problème? Si nous décriminalisons l'achat d'organes ou le paiement des personnes qui en fournissent... les mères porteuses et ce genre d'activités?
(1645)
    Je pense ce qu'il faut plutôt approfondir la recherche et obtenir plus de données à cet égard. Notre coalition ne fait que commencer à gratter la surface dans le cadre de notre propre recherche. Je pense qu'il serait inapproprié que je prenne position sur cette question pour le moment.
    Je crois cependant que les systèmes de soins de santé de notre pays sont trop fragmentés, dans la mesure où leur financement relève des provinces. Il serait bon d'observer et d'examiner en profondeur d'autres systèmes de santé en place ailleurs dans le monde.
    Très bien.
    Madame Mosley, vous avez dit qu'il faudrait consacrer plus d'efforts aux enquêtes ciblant des entreprises qui emploient des travailleuses du sexe. Nous entendons deux sons de cloche à ce sujet. D'une part, on nous dit que c'est un commerce légal et, tant que les droits et les libertés des travailleuses sont respectés, ils ne posent pas de problème. De l'autre, on nous dit que ces commerces ne sont que des façades pour les trafiquants de personnes.
    Lequel de ces deux arguments est vrai... est-ce un amalgame des deux?
    À mon avis, c'est un amalgame des deux. J'ai travaillé avec des filles qui disent que leur souteneur les dépose le matin à un endroit et quand elles en sortent à la fin de la journée, elles lui remettent leur argent. Quant aux clubs de danseuses nues, leur but est de vendre du sexe. Les clients viennent, achètent et paient. Autrement dit, quand une boîte annonce de « de nouvelles filles tous les jours », il ne faut pas penser que ces filles travaillent 40 heures par semaine et qu'elles font ça par choix. Elles font l'objet d'un trafic orchestré par diverses organisations. Une jeune fille m'a dit qu'elle avait eu le choix entre travailler comme danseuse ou comme escorte. Elle a choisi le travail d'escorte parce les clients appellent pour avoir ses services. Elle craignait que ses amis — vous savez, seulement les garçons — se présentent au club de danseuses nues et la voient en train de danser. C'est un travail plus public et elle ne voulait pas qu'ils l'apprennent.
    Nous savons donc qu'il y a une combinaison des deux activités, mais si les victimes en général, ou les victimes de trafic en particulier, ne sont pas au courant des services qui leur sont offerts, comment pouvons-nous légiférer? Dans chaque organisation que vous gérez ou pour laquelle vous travaillez, vous devez assurer la santé et la sécurité des employés. Il doit y avoir des affiches partout dénonçant la violence envers les femmes et la violence conjugale. Il est temps que nous légiférions dans ce sens et que nous trouvions le moyen de cibler chaque organisation. Si les filles travaillent dans un hôtel, un hôpital ou au gouvernement et qu'elles sont victimes de trafic le soir, elles auraient au moins cette information sous les yeux.
    Avant de manquer de temps, je veux vous remercier, sergent Laflamme, de nous avoir rappelé que ces victimes subissent toujours un deuxième traumatisme lors des audiences préliminaires. Certes, nous sommes déjà au courant du problème que posent les audiences préliminaires. Je suis certain que nous l'aborderons dans nos recommandations. Je vous remercie beaucoup.
    Monsieur le président, je vous remercie.
    Merci.
    La parole est maintenant à vous, monsieur Boissonnault.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie tous les témoins de nous avoir fait part de leur témoignage.
    J'ai une brève question pour vous, mesdames Lacy et Mosley. Partout au pays, nous avons entendu parler de deux solitudes — celle des victimes de trafic et celle des femmes et des hommes qui choisissent le commerce du sexe. Pour que nous ayons une idée de la situation, pouvez-vous nous dire, au meilleur de votre connaissance, quel pourcentage des travailleuses et de travailleurs du sexe à Ottawa font l'objet de trafic et quel pourcentage d'entre eux font ce travail de leur propre gré?
    J'ai appris que dans un club de danseuses nues, par exemple, 70 % des femmes qui y travaillent sont en fait des victimes de trafic.
    Quel pourcentage pour les hommes?
    Nous n'avons pas encore les statistiques. Les hommes ne se manifestent pas. Ce que nous comprenons, c'est que cette activité est plus clandestine pour les hommes. Les hommes ont plus de difficulté à l'avouer et ils en ont honte. C'est pourquoi nous n'avons pas ces statistiques pour le moment.
    C'est bien.
    Nous savons toutefois que 90 % des victimes de trafic sont des femmes.
    J'ai une question pour vous. La Coalition de lutte contre le trafic de personnes d'Edmonton a indiqué que parmi les personnes dont elle s'occupe, 55 % sont victimes de trafic aux fins d'exploitation sexuelle, 45 % de travail forcé et 10 % d'un mélange des deux. Quels sont les pourcentages ici à Ottawa à votre connaissance?
(1650)
    Je ne suis pas au courant.
    D'accord. Pas de problème.
    Je remercie les membres du groupe de travail pour leurs témoignages empreints d'émotion et de franchise. Je comprends que votre travail n'est pas facile. Je vous remercie de le faire.
    Quelles mesures prenez-vous, vous et vos collègues, à l'endroit des hôtels qui sont complices? Faites-vous des démarches auprès des chauffeurs de taxi ou d'Uber? Ou encore auprès des professionnels de la santé dont a parlé Mme Leach, afin de les sensibiliser aux personnes susceptibles de se présenter à leur cabinet?
    En ce qui concerne les hôpitaux, nous avons organisé plusieurs séances de sensibilisation et d'information au CHEO et à l'Hôpital Civic. Nous prévoyons en organiser d'autres.
    Vos questions comportent trois volets...
    Qu'en est-il des hôtels?
    Nous rencontrons un grand nombre d'associations hôtelières et nous organisons des séances d'information en collaboration avec elles. Nous avons lancé une initiative que nous essayons de codiriger ensemble. Nous prévoyons distribuer des dépliants ou des affiches dans les hôtels, avec leur consentement, que ce soit dans les chambres ou dans des aires publiques, pour dire que les hôtels...
    Nous soupçonnons certains hôtels d'avoir des employés complices. Je ne crois pas que les hôteliers eux-mêmes soient complices. Il est très difficile d'obtenir des renseignements, parce qu'en vertu de la loi sur l'accès à l'information, les hôteliers ne sont pas obligés de nous fournir de renseignements à cet égard.
    Le CANAFE vous fournit maintenant de l'information financière. On nous a conseillé d'envisager l'adoption d'une loi couvrant les téléphones des proxénètes et des trafiquants pour ne pas avoir à travailler pendant un an avant de réussir à obtenir des renseignements à partir de leurs téléphones. Ne pourrions-nous pas faire quelque chose de similaire pour obtenir des renseignements auprès des hôteliers? Je vous laisse réfléchir à cela.
    L'autre élément est le suivant. C'est notre chauffeur de taxi qui nous en a parlé à Edmonton. Nous avons engagé la conversation avec lui et il nous a dit qu'il pensait avoir déposé une femme victime de trafic à l'hôtel Travelodge South. Cette femme lui a dit qu'elle était de Vancouver. Elle avait un accent francophone. Elle s'adressait à lui en français. Elle lui a demandé de venir la chercher dans 48 heures parce qu'elle devait retourner à Vancouver. Le chauffeur nous a dit qu'il n'avait jamais pensé qu'il s'agissait de ça, mais il nous a suggéré de nous adresser à l'association du taxi et aux chauffeurs d'Uber. Il nous a demandé ce qui se passerait s'il appelait la police. Est-ce que la police arrêterait une femme qui fait ce travail de son propre gré? Je lui ai répondu qu'il incombait à chaque administration de prendre cette décision. Le problème, ce n'est pas de vendre des services sexuels, c'est d'en acheter. Le chauffeur a ensuite dit: « Si je pense qu'une personne est victime de trafic et que j'appelle les policiers, est-ce qu'ils pourraient aider cette femme ou cet homme? » Je lui ai répondu que oui, que c'est ce qu'on nous a dit.
    Il a dit que c'était très intéressant, parce qu'il ne voulait pas être un maillon de la chaîne qui livre des gens au réseau de trafic de personnes.
    Nous recevons fréquemment des signalements de citoyens qui souhaitent faire échec au crime et nous y donnons suite. Comme vous le savez, ces personnes agissent dans l'anonymat. Bien souvent, elles corroborent des renseignements ou des soupçons que nous avons déjà.
    Je sais que la ville de Houston a lancé une vaste initiative de sensibilisation auprès des chauffeurs de taxi et d'Uber. Des avis sont notamment affichés dans leurs véhicules. Nous espérons mettre en place un projet similaire. Je pense que si nous avions la possibilité de tenir des séances d'information avec ces groupes, s'ils acceptaient de nous fournir des renseignements confidentiels...
    Vous pourriez alors intervenir.
    ... nous pourrions intervenir. C'est vrai. Nous pourrions traiter ces renseignements comme provenant d'une source d'information ou de l'organisme Échec au crime.
    Vous avez dit avoir communiqué avec 21 travailleuses du sexe et que deux ont donné suite à votre offre de quitter cette activité. Dans quels termes ces deux femmes — car je suppose qu'il s'agit de femmes — vous ont-elles dit qu'elles souhaitaient renoncer à ce travail et à faire appel à un groupe de soutien local avec votre aide?
    Oui, c'était des femmes. Cette femme dont je vous ai parlé et qui vit maintenant à l'extérieur de la province, nous avions eu affaire à elle à trois occasions distinctes au cours de l'automne.
    C'était donc votre quatrième tentative.
    Nous l'avions approchée dans le cadre d'une initiative proactive. Nous lui avons offert certains services. Elle nous a alors dit qu'elle était indépendante, qu'elle voyageait à travers le pays, et que c'était sa façon de payer son voyage et ses visites touristiques.
    À la troisième tentative, elle a compris qu'elle avait affaire au même groupe de personnes, que notre but n'était pas de la punir ni de la critiquer, mais de lui offrir des services. Nous lui avons proposé des plans de sécurité, ce que nous faisons avec tous les travailleurs du sexe. À un moment donné, elle a fini par allumer et comprendre que nous étions là pour l'aider. Elle a décidé d'accepter notre offre et, en moins de 12 heures, nous avons réussi à lui obtenir un billet d'avion pour qu'elle retourne chez elle.
(1655)
    Merci.
    Monsieur Rankin.
    Il y a tellement d'informations incroyables à absorber en si peu de temps.
    J'aimerais commencer par vous, madame Benoit. Premièrement, je suis ravi que vous vous joigniez à nous à partir de Victoria. Je vous remercie pour l'énorme contribution que vous apportez depuis une vingtaine d'années par le biais de votre recherche.
    Vous avez dit que les deux tiers des travailleurs et travailleuses du sexe que vous avez interrogés faisaient peu ou pas confiance aux policiers et vous avez donné trois ou quatre raisons pour expliquer cela. Il est donc logique de se demander si les policiers doivent améliorer leurs méthodes de travail. Que leur recommandez-vous de faire pour améliorer leur capacité à reconnaître les victimes potentielles de trafic de personnes?
    Certaines suggestions ont déjà été faites, mais je pense, en particulier, que les policiers devraient établir de meilleures relations avec les organisations communautaires, y compris, bien entendu, avec celles qui sont représentées ici aujourd'hui, mais aussi avec des organismes qui représentent les travailleurs du sexe, car ceux-ci sont en contact avec un tas de gens qui cherchent à obtenir d'autres genres de services, par exemple des services de santé, des services alimentaires ou des produits sexuels sécuritaires. Ces groupes sont en contact avec des personnes exposées au trafic.
    À Victoria, où je travaille, le service de police a fait un travail fantastique pour encourager le signalement d'agressions sexuelles contre des travailleurs ou travailleuses du sexe au sein de la collectivité. À cette fin, il a collaboré étroitement avec différents services de santé, avec les services sociaux ainsi qu'avec l'organisation locale des travailleurs et travailleuses du sexe et il a envoyé des policiers auprès de ces organisations pour y recevoir une formation sur la façon de traiter ces personnes avec respect et sans préjugés et d'éviter les paroles stigmatisantes et aussi pour promouvoir le signalement de tout acte criminel, notamment les agressions sexuelles et, le cas échéant, le trafic de personnes.
    À certains endroits, il y a beaucoup de mesures que la police peut prendre. Ici à Ottawa, mais aussi à Victoria, la police semble avoir fait de grands progrès à cet égard.
    Vous avez débuté votre allocution en nous donnant un aperçu des données que vous avez réussi à colliger dans le cadre de votre recherche en sciences sociales. Diverses sources, notamment Statistique Canada et des organisations de première ligne comme les fournisseurs de services communautaires, nous ont parlé de leur difficulté à obtenir des statistiques fiables sur le trafic de personnes et les activités connexes. Est-ce pareil pour vous et, le cas échéant, avez-vous des recommandations à faire pour faciliter la collecte de données statistiques?
    Nous devons comprendre que le trafic de personnes est une activité très clandestine. Au Canada, l'industrie du sexe est très clandestine. Dès qu'une activité est sanctionnée en vertu du Code criminel, elle se pratique dans la clandestinité. Le trafic de personnes est peut-être encore plus caché et exercé dans l'ombre, et ce, non seulement au Canada, mais partout dans le monde.
    Nous pouvons compter sur des personnes qui viennent nous voir par l'entremise des services d'aide aux victimes, mais nous n'arrivons pas forcément jusqu'aux activités clandestines pratiquées par les trafiquants dans les collectivités. Je pense que nous devons recourir à une diversité de stratégies, notamment aux méthodes de recherche dans le domaine des sciences sociales, pour obtenir un échantillon diversifié de ressources au sein des collectivités où vous pensez pouvoir trouver des victimes. Ensuite, vous pourriez utiliser d'autres méthodes de recherche d'enquête.
    Madame Benoit, vous avez dit que votre recherche s'échelonne sur deux décennies. En 2013, la Cour suprême a rendu sa décision dans l'affaire Bedford et nous avons ensuite adopté le projet de loi C-36. Selon ce que vous avez constaté tout au long de votre carrière de chercheure, cette décision et le projet de loi ont-ils eu des répercussions sur le trafic de personnes au Canada?
    Il est encore trop tôt pour le dire parce que la loi est en vigueur seulement depuis 2014. J'ai réalisé des entrevues de suivi à Victoria en 2016 et 2017. Je crois comprendre, d'après les personnes que j'ai rencontrées là-bas, notamment des Autochtones, que ces mesures juridiques ne les ont pas aidées à se sentir plus en sécurité. Par exemple, elles doivent travailler dans la clandestinité encore plus qu'avant pour éviter que leurs clients soient découverts.
    Je ne sais pas si cela a eu un impact sur le trafic de personnes, parce que nous n'avons pas ces données en notre possession. Je pense qu'il est encore plus difficile qu'avant pour les personnes qui veulent légitimement s'engager dans le travail du sexe de le faire et je ne crois pas que ces mesures aient contribué à renforcer la confiance dans la police.
(1700)
    Merci.
    J'aimerais poser ma prochaine question à vous, madame Mosley. Bien sûr, vous avez fait remarquer qu'il était très difficile de convaincre les victimes de venir témoigner devant les tribunaux, mais d'autre part, il n'existe pas vraiment de solution de rechange. Vous avez entendu ce que le sergent Laflamme a dit au sujet de l'aide que le service de police essaie de fournir, mais au bout du compte, un crime aussi grave que le trafic de personnes nécessitera la conduite d'un contre-interrogatoire et de tout le processus de justice pénale. N'est-ce pas vrai? Le cas échéant, que pouvons-nous faire à cet égard?
     C'est très difficile. En raison du traumatisme et du « lien traumatique » qui se tisse entre les victimes, les auteurs du crime et les proxénètes, il y a cette peur de se montrer déloyal. C'est donc une réalité. En matière de traumatisme et d'incidence psychologique, comment pouvons-nous faire en sorte que les personnes fassent des progrès? Combien de temps durent les procès? Une personne peut avoir été accusée il y a six mois et être encore en attente de son procès. Pendant ce temps, les victimes tentent de traverser cette épreuve, de garder cela à l'esprit, tout en essayant de recouvrer la santé.
    Toutefois, s'occuper de santé mentale n'est pas chose facile, alors si nous n'avons pas les services requis pour eux... Certes, nous avons des services aux victimes; je crois que celles-ci ont droit à cinq séances de consultation par l'entremise des Services aux victimes d'Ottawa. C'est très peu...
    Il faut donc expédier les procès plus rapidement et peut-être éliminer les enquêtes préliminaires qui forcent à tout refaire. Un meilleur soutien aux victimes est également crucial. Il faut aussi s'assurer que lorsque celles-ci se présentent au procès, il n'y a pas de report causé par un facteur extérieur, ce qui les obligerait à revenir ultérieurement. Voilà quelques éléments d'ordre pratique. Il ne faut pas oublier que l'on peut utiliser la preuve du CANAFE pour certaines procédures, sans que le témoignage de la victime soit requis.
    Avez-vous d'autres suggestions pour améliorer la situation? Sergent Laflamme?
    Oui. À mon avis, l'arrêt Jordan a une incidence très positive sur la rapidité des procès. Je crois que nous adoptons d'excellentes mesures pour accélérer le processus. En raison de la nature des enquêtes que nous menons, bon nombre de nos victimes sont simplement de passage; il est très difficile de les faire revenir dans la juridiction pour un procès en particulier.
    C'est exact.
    On nous a dit que...
    Monsieur Rankin, ceci est votre dernière question.
    D'accord. Elle sera brève.
    Plusieurs personnes nous ont dit ceci: lorsqu'une personne ayant travaillé dans l'industrie du sexe tente de se réinsérer dans la société et d'obtenir un emploi, elle doit d'emblée faire face au fait qu'elle a une condamnation pour vol à l'étalage ou autre chose du genre à son dossier, parce que pendant qu'elle était privée de sa liberté, elle a volé quelque chose pour rester en vie. Vous nous avez dit ce que vous pensez des enquêtes préliminaires. Que pensez-vous de l'élimination des casiers judiciaires dans le cas des personnes victimes de la traite des personnes afin de les aider à réintégrer le marché du travail?
    C'est une question difficile.
    Je crois qu'il faut examiner la chose au cas par cas, en fonction des accusations et des condamnations antérieures que la personne peut avoir à son dossier. Je reconnais qu'il y a des cas où des victimes ont été arrêtées pour vol à l'étalage ou pour fraude en raison du type de travail qu'elles exerçaient. Les trafiquants les ont forcées à commettre ces actes.
    Ensuite, elles n'arrivent pas à décrocher un emploi.
    En effet. S'il y avait moyen de déterminer si ces accusations sont connexes à la traite des personnes, alors je crois que nous pourrions nous en occuper à ce moment-là.
(1705)
    Merci beaucoup.
    Monsieur McKinnon, vous avez la parole.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Merci à vous tous de votre présence.
    J'ai d'abord une question pour vous, madame Benoit. J'aimerais revenir sur ce que Murray a dit au sujet des données et je voudrais mieux comprendre votre témoignage. Vous avez dit, je crois, que la traite des personnes n'était pas répandue chez les adultes. Dans votre étude — qui remonte à 2014, je crois —, 6 % des répondants avaient indiqué avoir été victimes de la traite des personnes à un moment ou à un autre de leur vie.
    Votre témoignage faisait quelque peu figure d'exception en regard des témoignages que beaucoup de personnes ont livrés au Comité. Comment expliquez-vous cela? Est-ce que la cueillette des données peut poser problème, ou serait-ce plutôt que les autres informations que nous avons entendues seraient plus anecdotiques?
    D'ailleurs, vous avez mentionné que vous exigiez des gens participant à l'une de vos études qu'ils aient le droit de travailler légalement au Canada. En éliminant les gens qui ont été victimes de la traite des personnes sans toutefois avoir le droit de travailler au Canada, se pourrait-il que les résultats s'en soient trouvés faussés?
    Je vous saurais gré de bien vouloir répondre.
    Un instant, madame Benoit. Il semble que nous ayons perdu le son.
    Monsieur McKinnon, vous pourriez éventuellement poser votre deuxième question à une personne dans la salle pendant que nous essayons de régler le problème. Nous reviendrons ensuite à Mme Benoit.
    D'accord.
    Madame Leach, vous avez dit que les fournisseurs de soins de santé rencontraient 84 % des personnes victimes de la traite au moment où celles-ci se trouvent en captivité. Je me demande d'où vient cette statistique. Comment faites-vous pour savoir qu'une personne est tenue captive lorsqu'elle visite un établissement de soins de santé? Est-il possible pour les fournisseurs de soins de santé d'intervenir en pareil cas?
     Au sujet de la provenance de ces statistiques, je répondrai que j'ai le privilège d'appartenir à un groupe appelé HEAL, qui se trouve surtout aux États-Unis. C'est de là que proviennent ces données. Malheureusement, nous n'avons pas de données semblables au Canada. Il s'agit de recherches menées aux États-Unis auprès des survivantes et des survivants. Ces statistiques peuvent parfois varier. Quatre-vingt-quatre pour cent constituent certainement le taux le plus élevé. Le taux le plus faible que j'ai vu était de 24 %.
    Si cette information est pertinente, c'est que nous constatons que les personnes qui sont victimes de la traite, alors qu'elles sont tenues captives, viennent recevoir des soins de santé. Je tiens à dire devant le Comité que, en qualité de professionnels de la santé, nous n'avons pas forcément la formation nécessaire pour déceler les victimes et pour intervenir. Les fournisseurs de soins de santé voudraient souvent disposer de ce que l'on appelle un outil de dépistage valide; or, au Canada, nous n'en avons pas à l'heure actuelle. Les survivants disent souvent que, lorsqu'ils reçoivent des soins de santé, on ne les reconnaît pas tels qu'ils sont. Dans l'exemple que j'ai donné, par exemple, on verra qu'ils se plaignent d'un os cassé, mais on n'arrivera pas à saisir la raison profonde derrière leur visite à l'hôpital, la complexité de leur présence et le fait qu'ils sont victimes de traite.
    Par exemple, il n'y a pas de diagnostic ou de code CIM — Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes — pour la traite des personnes. Je ne dispose d'aucun moyen pour affirmer que telle ou telle personne est dans une situation de traite. Je dois donc attribuer un code correspondant à ce qui est visible: un mal de gorge, un os cassé, etc.
    Pour que les fournisseurs de soins de santé puissent intervenir, ils doivent disposer eux-mêmes des outils nécessaires. Il faut leur apprendre à poser des questions et à écouter leur instinct pour sonder la vie de la personne et apprendre si celle-ci conserve sa liberté en matière d'emploi, de finances, de vie, etc. — ce que nous appelons un dépistage des antécédents sociaux.
    Je crois que Mme Benoit est de retour en ligne.
    Oui.
(1710)
    Nous revenons à la première question de M. McKinnon. C'est à vous.
    Merci.
    Je tiens à rappeler que je ne suis pas une chercheuse spécialisée dans la question de la traite des personnes. J'étudie la structure de l'industrie du sexe au pays. Je m'intéresse à la santé et aux conditions de travail des personnes concernées. Je m'intéresse aussi au fait qu'elles puissent avoir accès à des services sans être jugées. J'ai utilisé diverses méthodes d'enquête pour tenter d'avoir accès à un large éventail de personnes qui travaillent dans l'industrie. Au cours de ces entrevues d'une heure et demie, il a été question de la traite des personnes. C'est un sujet qui revient lorsque je questionne les gens sur les événements survenus au début de leur existence et sur le parcours qui les a menés à vendre des services sexuels. C'est à ce moment-là que 6 % des répondants disent avoir été exploités tôt dans leur vie.
    Voilà qui diffère de certaines informations que vous entendez, informations qui proviennent des victimes de la traite des personnes au moment où elles ont accès à des services. C'est tout à fait différent. Lorsqu'une étude sur l'industrie du sexe tient seulement compte des personnes qui ont cherché à obtenir des services, il s'agit d'un échantillon beaucoup plus homogène que celui que nous avons obtenu dans nos recherches.
    De plus, dans notre étude, nous avons voulu nous en tenir aux personnes pouvant travailler légalement au Canada parce que nous nous intéressions aux répercussions des lois sur la prostitution chez les adultes du Code criminel sur la capacité des gens à travailler au pays et sur leurs expériences en matière de santé, de sécurité et de victimisation. Nous nous intéressions particulièrement à l'arrêt Bedford et aux conséquences que celui-ci pourrait avoir sur le Code criminel. C'est pourquoi nous avons fait ces choix, y compris la décision de nous en tenir aux personnes adultes.
     Merci.
    Monsieur McKinnon, il vous reste une minute.
    D'accord.
    Passons à la Coalition d'Ottawa pour mettre fin à la traite des personnes. Je crois que c'est vous, madame Lacey, qui avez dit que nous avions besoin d'un plan d'action national. Nous en avions un. Pensez-vous que nous devrions mettre en oeuvre ce plan-là? Des changements sont-ils requis et, si tel est le cas, quelles améliorations suggéreriez-vous?
    Nous devons absolument réexaminer le travail qui a été fait auparavant. Selon les renseignements qui ressortent de certaines de ces enquêtes et de ces discussions, je crois que le plan peut être évalué et comparé à des points de vue et à des renseignements plus récents de manière à y apporter des changements.
    À la coalition, la discussion porte notamment sur la nécessité d'un volet national qui intégrerait toutes les provinces, tous les territoires et toutes les collectivités, puisque c'est une réalité qui nous semble très répandue.
    Merci.
    À présent, les membres du Comité poseront des questions brèves. Je vous prie de répondre de manière concise. Il s'agit d'exprimer et les questions, et les réponses aussi brièvement que possible.
    Monsieur Cooper.
    Merci, monsieur le président.
    Merci aux témoins.
    J'aimerais revenir aux propos du sergent Laflamme et de Mme Mosley au sujet des audiences préliminaires.
    Vous avez recommandé de les éliminer afin d'éviter, autant que possible, que les victimes de la traite des personnes fassent l'objet d'une nouvelle victimisation. J'ai posé la même question à une procureure de la Couronne d'Edmonton qui a comparu devant le Comité la semaine dernière. Je lui ai demandé si, oui ou non, les enquêtes préliminaires devraient être éliminées. Cette procureure a remporté une victoire juridique dans une importante affaire de traite des personnes mettant en cause 71 travailleurs exploités, si je ne m'abuse. Elle m'a répondu que, selon elle, l'enquête préliminaire a été essentielle à la mise en procès de l'auteur du crime. Elle m'a dit que la difficulté tenait notamment au fait que les témoins disparaissaient. Si le procès s'était fait attendre, les témoins n'auraient pas été présents et, comme la preuve reposait sur leur témoignage, cela aurait réduit les chances d'une victoire juridique.
    Qu'en pensez-vous? Aussi, j'aimerais que le sergent Laflamme nous parle de son expérience lors des nombreux procès qui ont conduit à des condamnations à Ottawa.
    S'il s'agit de parler d'un procès dans une autre juridiction que je connais mal, je ne suis pas certain de pouvoir vous dire ce que je pense de cette audience préliminaire en particulier.
(1715)
    Je parle plutôt de la préoccupation sous-jacente. Si un procès devait se faire attendre, l'enquête préliminaire serait pour vous l'occasion d'obtenir plus rapidement des preuves de la part des témoins.
    Souvent, des victimes dont nous nous occupons finissent par témoigner lors d'une audience préliminaire. Elles sont alors contre-interrogées par des avocats de la défense. Elles sont traitées de telle manière qu'elles se sentent rabaissées au point où elles ne veulent plus revenir au procès. Nous sommes confrontés à cette situation assez régulièrement quand vient le temps d'aider les victimes et de les encourager à revenir au procès. Voilà ce qui arrive assez souvent dans notre juridiction.
    Je ne crois pas que nous ayons eu un procès de l'ampleur de celui dont vous parlez, mais nous devons régulièrement nous occuper des victimes qui décident de se rétracter ou qui estiment ne pas être traitées comme des égaux et des témoins crédibles. Par conséquent, elles ne veulent pas revenir.
    Madame Khalid.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie aussi les témoins pour leur présence et pour leurs témoignages.
    Lors de nos déplacements, des représentants de divers services de police et organismes d'application de la loi ont témoigné de leur expérience. Un témoin d'un service de police nous a parlé d'une opération dans laquelle les policiers ont publié une publicité offrant les services d'une personne mineure. Cette publicité a recueilli environ 700 visites. Pourtant, aucune des personnes ayant visité cette page n'a appelé le 911 pour signaler le fait qu'une personne mineure s'y trouvait. Nous avons également entendu beaucoup de témoignages au sujet de la violence contre les gens travaillant dans l'industrie, que ceux-ci soient là de leur plein gré ou non.
    Voici ma question, sergent Laflamme, pour l'essentiel: quel est le rôle des clients lorsqu'il s'agit d'offrir de la formation et de la sensibilisation et d'obtenir l'adhésion du public?
     Pourriez-vous reformuler votre question? Je ne suis pas certain de comprendre ce que vous entendez par le « rôle du client », ni ce que vous essayez de...
    Je parle de la personne qui paye pour un service sexuel. Quel est son rôle dans l'élimination de la traite des personnes? On nous a dit qu'il y avait un éventail de réalités. Il y a des personnes qui travaillent dans l'industrie par choix, des travailleuses du sexe, mais il y a aussi celles qui sont forcées de le faire. Le dénominateur commun, c'est la personne qui paye pour le service.
    En matière d'éducation des consommateurs de services sexuels, quel genre de formation ou de sensibilisation peut-on donner à ces personnes pour s'assurer qu'elles ne participent pas à des pratiques néfastes?
    Avant l'arrêt Bedford, nous opérions souvent des rafles policières contre la prostitution. En ce temps-là, nous arrêtions toutes les travailleuses du sexe, parce qu'elles étaient dans la rue pour offrir des services sexuels. Puis, nous renvoyions nos agents d'infiltration pour arrêter les clients. Ensuite, les clients étaient tenus d'assister à nos séances d'éducation — des séances de cinq heures, si je ne m'abuse. Il s'agit d'un programme de déjudiciarisation pour les personnes qui ne sont pas des récidivistes.
    En nous fondant sur l'exemple tiré d'un autre service de police que vous avez donné, nous avons l'intention de lancer des initiatives du genre. À ce moment-ci, nous nous concentrons sur la création de notre unité. Nous comptons nous lancer dans un projet assez semblable, mais nous éprouvons des difficultés avec les photos qui sont publiées. L'on doit obtenir le consentement de la personne pour publier sa photo. Un service de police ne peut simplement prélever une photo sur Internet sans le consentement de la personne.
     À ce moment-là, je crois que nous réussirons fort probablement à arrêter les clients. Les hommes arrêtés iront à « l'école des clients » — c'est ainsi que nous la nommons, faute d'un meilleur terme — afin de participer à un programme de déjudiciarisation en amont de l'inculpation. Nous donnons des conférences — il y en aura une demain soir. Une suite d'incidents nous ont forcés à créer cette école pour les clients. Je crois que c'est la première du genre depuis l'arrêt Bedford.
(1720)
    Dans quelle mesure collaborez-vous avec d'autres services de police, que ce soit dans la province ou dans l'ensemble du Canada?
    Nous travaillons en étroite collaboration avec le service de police de Gatineau. Comme je l'ai mentionné précédemment, ce service faisait partie de notre initiative en préparation de la Coupe Grey. Certaines tendances font en sorte que beaucoup de filles du Québec, provenant surtout de la région de Montréal, viennent travailler en Ontario parce que le rapport entre l'offre et la demande est différent. Elles peuvent demander plus d'argent pour leurs services en Ontario qu'au Québec.
    Nous avons un excellent partenariat avec le service de police de Gatineau. En ce moment même, nous sommes en train de discuter d'une initiative conjointe avec la PPO et la GRC, initiative qui devrait être lancée au cours des prochains mois. Comme l'initiative de la Coupe Grey a été une réussite, nous avons de bonnes raisons d'espérer que notre aide sera requise à Montréal à l'occasion du groupe de travail provincial sur les festivités de la Formule 1 en juin. Pas plus tard que la semaine dernière, j'ai eu des discussions avec le service de police de Montréal.
    Y a-t-il d'autres questions?
    Monsieur MacKenzie.
    Merci, monsieur le président.
    Merci aux témoins. Je pense que tout le monde ici vise le même objectif, soit aider les victimes de la traite de personnes. À cette fin, il est évident que nous devons tous notamment identifier les victimes et collaborer avec elles.
    D'après ce que je comprends, pour les travailleurs sociaux présents, des victimes vous sont signalées, d'une manière ou d'une autre; vous allez en quête de renseignements et les identifier vous-mêmes ou peu importe. Essentiellement, elles s'adressent à vous. Est-ce à peu près ainsi que les choses se passent? Je pense que fondamentalement, oui.
    Par ailleurs, les services de police tendent à aller sur place et à identifier...comme vous l'avez dit dans le cas de la Coupe Grey. Ils essaient de convaincre les personnes concernées de quoi que ce soit pour leur venir en aide.
    Ai-je raison de penser que nous pourrions tous en profiter s'il y avait plus de travailleurs sociaux dans la rue? Je connais le travail des policiers et je les soutiens à 1 000 %, mais toujours en bout de ligne le policier est parfois associé au méchant, comme l'a dit la professeure. Je me demande s'il en est ainsi en partie parce que nous avons besoin que plus de travailleurs sociaux ayant reçu la formation nécessaire arpentent les rues.
    Je m'adresse à n'importe qui.
    Pour le moment, nous nous employons à offrir de la formation. Partout, les gens reçoivent de la formation. La Coalition va dans les locaux de l'Opération rentrer à la maison et y a donné de la formation. Nous lançons une initiative pour les hôtels et je serai à l'Université Carleton le mois prochain concernant 211 exploitants.
    Le problème, c'est qu'il n'y a pas assez de programmes. Jusqu'à tout récemment, en fait il y a quelques semaines, nous devions envoyer les victimes de la traite de personnes de l'Ontario en Colombie-Britannique pour avoir droit à des programmes. En ce qui concerne les lits disponibles, il y a quelques programmes dont l'un à la Convenant House à Toronto. Grâce aux initiatives de financement, il y en a maintenant davantage, mais la lacune se situe définitivement au niveau des services.
    Donc oui, nous avons besoin de plus de travailleurs sociaux dans la rue et de plus de formation, mais nous avons aussi besoin de plus de services.
    D'accord.
    Je suis un peu biaisé, mais les policiers ont de tout temps négocié avec toutes ces personnes dans la rue, parfois avec une formation limitée, voire sans formation autre que celle acquise dans la rue.
    Monsieur Laflamme, je me demande si vous pouvez nous dire si vos intervenants ont reçu une formation en particulier. De plus, votre équipe est-elle composée d'hommes et de femmes?
    Nous avons quatre enquêteurs, deux femmes et deux hommes tous complètement bilingues. Nous siégeons à une foule de comités directeurs et de comités sur la traite de personnes et à beaucoup d'autres groupes sociaux et nous partageons bien des renseignements. Bien des personnes nous sont envoyées par les comités auxquels nous siégeons et par les appels téléphoniques que nous recevons. Nous donnons aussi des cours à divers niveaux aux services de police, qu’il s’agisse d’un cours d’agent d’intervention en cas d’agression sexuelle ou d’un cours initial comme un cours sur les techniques d’enquête générale. Nous enseignons également au Collège canadien de police, au Collège de police de l’Ontario et au Service de renseignements criminels de l’Ontario.
(1725)
    Très bien.
    Merci, monsieur le président et merci aux membres du Comité.
    J'ai une petite question, sergent Laflamme, si vous êtes d'accord.
    Dans nos déplacements dans le pays et pour revenir à la question de ma collègue, Mme Khalid, l'une des choses que j'ai entendues, c'est que les personnes qui achètent des services sexuels — je ne veux pas dire qu'il s'agit d'un sexe ou de l'autre parce que même si ce sont surtout des hommes qui sollicitent des femmes, ce pourrait être l'inverse — pourraient être les plus grands alliés pour identifier les victimes de la traite de personnes si l’achat de services sexuels n’était pas criminalisé et que les gens se sentaient libres de signaler ce qu’ils voyaient. De la même façon, les femmes impliquées dans le commerce du sexe nous ont dit qu'elles aussi pourraient être les plus grands alliés des services de police dans les villes où elles se sentent en confiance de les approcher et de signaler les femmes mineures et celles victimes de la traite de personnes.
    J'aimerais savoir si, à votre avis et à celui de Mme Benoit, cette approche est réalisable — soit collaborer avec les personnes impliquées dans ce commerce, qui sont consentantes et qui sont adultes pour aider à identifier les personnes en danger et celles victimes de la traite de personnes.
    Je peux vous donner un exemple. Nous avons travaillé avec quelqu’un qui voulait essentiellement garder l'anonymat, ce qui correspond exactement aux circonstances que vous avez décrites. À ce moment-là, cette personne était en amour avec la travailleuse du sexe et jalouse des autres clients. Nous avons mené une enquête assez exhaustive pour en arriver à cette conclusion. Cependant, à mon avis, si la prostitution était légalisée ou si elle était légitime, si vous voulez, je ne suis pas certain que des personnes viendraient nous en parler. Je pense que nous nous préoccupons de quiconque est, à notre avis et en fonction de certains indices, victime de la traite de personnes ou une fille mineure.
    Dans le cadre de nombreuses enquêtes, nous avons constaté que les clients savaient pertinemment qu'il s'agissait d'une mineure et que personne n'a été en mesure de communiquer avec nous ou de nous signaler le cas. C'est malheureusement la réalité avec laquelle nous devons composer. Je ne veux pas vous paraître très pessimiste, mais je suppose qu'il faudrait faire une étude plus approfondie pour confirmer ou corroborer la possibilité que cette information nous soit transmise.
    Merci beaucoup.
    Madame Benoit.
    Il y a eu des études sur les clients, certaines faites par mes propres collègues ici au Canada; il y a aussi eu une étude assez importante sur les clients, ou les personnes qui achètent des services sexuels, en Suède, une fois cette activité criminalisée. Dans les entrevues réalisées à cette fin, les personnes ont déclaré être moins enclines à fournir de l'information concernant une personne obligée de se prostituer ou détenue contre sa volonté pour des raisons manifestement légitimes; elles craignaient d'être arrêtées pour s'être procuré des services sexuels.
    Je pense que c'est la même chose au Canada pour les clients et pour les exploitants d'une agence d'escortes ou d'un salon de massage. Il est très difficile pour eux de dénoncer en ce moment en raison de notre loi.
    Même à l'heure actuelle, on pourrait établir des pratiques pour accorder une amnistie aux gens qui dénoncent une activité illégale ou une activité relative spécialement à la traite de personnes ou qui rapportent l'implication d'une mineure ou d'un mineur dans une relation sexuelle. Je pense que les clients et les autres tiers seraient beaucoup plus disposés à fournir de l'information si elles savaient que le système de justice ne les criminaliserait pas. Cette pratique s'appliquerait aussi aux travailleurs et travailleuses du sexe, bien entendu.
(1730)
    Merci.
    Comme il n’y a pas d’autres questions, je tiens à remercier les témoins d’être ici aujourd’hui.
    Merci, madame Benoit, de vous être déplacée de Victoria pour vous joindre à nous.
    Je vous souhaite une belle fin de journée.
    La séance est levée.
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