:
Les membres du Comité ici présents et les témoins sont prêts, donc nous commencerons dans 30 secondes.
[Français]
Je vous prie de prendre place.
[Traduction]
Bonjour à tous.
[Français]
Conformément à l'article 108(2) du Règlement, nous poursuivons nos travaux sur les accords de réparation, la doctrine Shawcross et les discussions entre le bureau du procureur général et des collègues du gouvernement.
[Traduction]
Au cours de la prochaine heure, nous recevrons deux témoins sur la doctrine Shawcross.
C'est avec plaisir que je souhaite la bienvenue à Mary Condon. Mme Condon est doyenne par intérim à la Osgoode Hall Law School. Je vous souhaite la bienvenue, madame Condon.
[Français]
Nous recevons aussi M. Maxime St-Hilaire, professeur agrégé à la Faculté de droit de l'Université de Sherbrooke.
Bienvenue, monsieur St-Hilaire.
[Traduction]
Chers collègues, pour récapituler un peu ce que j'ai mentionné à la réunion précédente, je m'en tiendrai rigoureusement aux allocations de temps, plus que d'ordinaire. Je demanderai donc à tous de laisser les témoins terminer de répondre aux questions, mais je demanderai aux témoins d'être brefs, pour que les membres du Comité puissent leur poser leurs questions pendant le temps imparti.
Je vous remercie tous deux d'être ici aujourd'hui.
[Français]
Nous allons commencer par Mme Condon.
:
Bonjour, mesdames et messieurs les membres du Comité. Je vous remercie de cette invitation à m'exprimer devant vous aujourd'hui, et je vous remercie de la souplesse dont vous faites preuve en me laissant comparaître à distance.
Je m'exprimerai aujourd'hui sur le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites et la doctrine Shawcross. Je mentionnerai pour commencer que j'ai eu la chance d'étudier ce sujet avec deux spécialistes canadiens de renom, les professeurs John Edwards et Philip Stenning. Je m'inspirerai de leurs travaux dans mes observations sur les principes juridiques qui s'appliquent, pendant mon exposé de 8 à 10 minutes.
À titre de professeure, j'estime important de commencer par rappeler quelques principes de base pour mettre la doctrine Shawcross en perspective.
Comme les membres du Comité le savent, la personne occupant le poste de procureur général a de multiples rôles à jouer. Elle doit conseiller le Parlement et le gouvernement en matière juridique, mais également exercer la prérogative d'intenter ou non des poursuites pour des infractions criminelles, et c'est ce pouvoir qui fera l'objet de notre attention aujourd'hui.
Il est établi par convention constitutionnelle que c'est le procureur général qui prend la décision indépendante de poursuivre ou non. Il doit pour cela d'abord déterminer deux choses, soit si la preuve est suffisante et si la poursuite est dans l'intérêt public. En raison de la nécessité de tenir compte de l'intérêt public, les observateurs diront souvent que les décisions d'un procureur général en matière de poursuites se trouvent au confluent du droit et de la politique.
Pour cette raison, de nombreux gouvernements décident de nommer un directeur des poursuites pénales pour protéger les décisions en matière de poursuites de toute perception selon laquelle le décideur prendrait avant tout ses décisions en fonction de considérations politiques. Si toutefois un DPP est nommé, comme c'est le cas au Canada, on s'attend tout autant à ce qu'il exerce ses pouvoirs en matière de poursuites dans l'intérêt du public.
Donc comment le procureur général ou le DPP sont-ils censés discerner ce qui est dans l'intérêt du public dans l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire? Comme Edwards l'expose dans son livre, la tâche du procureur général ou du DPP est complexe, puisqu'il doit tenir compte de plusieurs considérations divergentes, d'où la pertinence de la doctrine Shawcross.
Comme les membres du Comité le savent déjà, cette doctrine est une directive qui a d'abord été promulguée par Lord Shawcross, procureur général du Royaume-Uni dans les années 1950, et elle fait depuis autorité au Canada. Elle prescrit que le procureur général prenne connaissance de tous les faits pertinents et des considérations touchant la politique publique. Pour ce faire, il peut consulter ses collègues et dans certaines circonstances, comme Shawcross le soulignait, il serait même bête de sa part de ne pas le faire.
Je vais vous donner un exemple qui illustre bien la nécessité de consulter pour bien comprendre les enjeux, celui d'une affaire bien connue survenue au Royaume-Uni il y a une dizaine d'années, l'affaire BAE, soit British Aerospace. La question consistait alors à déterminer si les considérations de sécurité nationale justifiaient que le procureur général abandonne une poursuite. Comme il n'était pas jugé raisonnable de s'attendre à ce que le procureur général lui-même comprenne pleinement toutes les exigences liées à la sécurité nationale, il a été convenu qu'il demande un avis pour l'éclairer dans sa décision.
Le procureur général a alors consulté diverses sources, à l'intérieur comme à l'extérieur du Cabinet. Les documents officiels montrent qu'il y a eu de nombreuses rencontres sur la question. Bon nombre des collègues parlementaires du procureur général au Royaume-Uni, y compris le premier ministre de l'époque, étaient d'avis qu'il fallait abandonner la poursuite pour des raisons de sécurité nationale. Je souligne d'ailleurs au passage qu'ici, au Canada, la Loi sur le directeur des poursuites pénales dicte explicitement que le DPP peut retenir les services d'experts techniques pour leur demander un avis.
Cependant, il est clair, selon la doctrine Shawcross, que l'avis des collègues ne peut être sollicité que pour informer le procureur général de considérations particulières qui pourraient influencer sa décision et qu'il ne doit pas « consister à lui dire quelle décision prendre ». Le procureur général ne doit pas « subir les pressions » de ses collègues et plus particulièrement, il ne doit pas subir de pressions politiques partisanes.
Edwards, par exemple, indique dans son livre que le procureur général doit refuser d'écouter des arguments fondés sur « l'opportunisme politique », mais plutôt exercer son « esprit judiciaire » selon les circonstances. C'est nécessaire pour préserver l'intégrité de la fonction et l'intégrité de l'administration de la justice.
En même temps, d'autres chercheurs comme Stenning indiquent qu'outre le problème de l'avis partisan, il est plus difficile de faire la part des choses quand il y a diverses interprétations légitimes concurrentes de ce qui est dans l'intérêt public, de sorte que l'importance relative de chacune doit être soupesée. Encore une fois, je souligne que dans l'affaire BAE, des définitions de l'intérêt public allant au-delà de la sécurité nationale ont été citées, dont les intérêts commerciaux nationaux et le maintien de relations harmonieuses entre le Royaume-Uni et l'Arabie saoudite.
Bien que le procureur général ait indiqué dans l'affaire BAE n'avoir pas fondé sa décision sur ces facteurs, il n'en demeure pas moins que lorsqu'il y a plusieurs considérations légitimes relatives à l'intérêt public, c'est au procureur général qu'incombe la responsabilité ultime d'interpréter les avis que lui ont fourni ses collègues parlementaires et autres pour prendre une décision indépendante quant à la façon de les évaluer.
Comme je l'ai déjà dit, dans ce processus, les considérations d'intégrité de l'administration de la justice et de la primauté du droit sont constamment... [Difficultés techniques] Shawcross ne prévoit pas de solution particulière dans son énoncé de doctrine original pour parer aux conséquences... [Difficultés techniques] si les principes qu'il énumère ne sont pas respectés.
Il faut cependant faire une distinction fondamentale entre la responsabilité parlementaire et la responsabilité juridique.
Concernant la responsabilité parlementaire, comme le procureur général prend une décision indépendante, il peut en être tenu responsable devant le Parlement et devoir rendre compte des actes qu'il a posés ou non. La responsabilité parlementaire peut aussi exiger que le procureur général démissionne s'il perd la confiance du Cabinet.
Cela dit, concernant la responsabilité juridique à l'égard de la décision de poursuivre, s'il y a bel et bien poursuite, le tribunal tranchera, en définitive, sur le bien-fondé de la décision du procureur général de poursuivre, par la décision qu'il prendra de prononcer un acquittement ou une condamnation.
En revanche, s'il décide d'annuler une poursuite, comme il l'a fait dans l'affaire BAE, par exemple, la décision peut être soumise à une révision judiciaire, et dans ce cas, la Chambre des lords a conclu que la sécurité nationale justifiait la décision prise par le procureur général. Enfin, il y a également la doctrine de l'abus de procédure qui s'applique à la responsabilité juridique.
Pendant les quelques minutes qu'il me reste, j'aimerais vous parler des accords de réparation, comme le DPP peut décider de conclure un tel accord depuis l'entrée en vigueur de la loi modifiant le Code criminel à cet égard en septembre 2018.
Il faut reconnaître que les dispositions sur ce type d'accord prescrivent une longue liste de facteurs que le poursuivant doit prendre en compte pour déterminer s'il est dans l'intérêt public de conclure un accord de réparation et qui s'ajoute à toutes les autres conditions à respecter. Il y a aussi une liste de facteurs que le Bureau du procureur ne doit pas prendre en considération si l'infraction présumée contrevient à la Loi sur la corruption d'agents publics étrangers. Ces facteurs sont l'intérêt économique national, les effets possibles sur les relations avec un État autre que le Canada ou l'identité des organisations ou individus en cause. Il semble que ces facteurs aient été repris de la Convention de l'OCDE contre la corruption, qui a également été prise en compte dans la décision BAE, au Royaume-Uni, dont je viens de parler.
En terminant, le fait que les amendements apportés au Code criminel au sujet des accords de suspension des poursuites cernent un si grand nombre d'éléments appropriés et inappropriés relativement à l'intérêt public pourrait permettre au directeur des poursuites pénales ou au vérificateur général de mieux déterminer l'intérêt du public dans ce contexte, même si l'ordre de priorité des divers points à considérer devra encore être établi au cas par cas en fonction des faits.
Je vous remercie de votre attention. Je serai heureuse de répondre à vos questions.
:
Merci, monsieur le président.
Je m'efforcerai d'être bref. Aujourd'hui, je veux circonscrire mon propos et reprendre l'essentiel du billet que j'ai publié avec ma collègue Martine Valois, de l'Université de Montréal, sur le blogue Advocates for the rule of law. Je veux situer la théorie Shawcross et la convention constitutionnelle applicable ici dans une perspective un peu plus vaste, dans le cadre général applicable, mais aussi l'analyser à la lumière de ce que nous pouvons appeler les meilleures pratiques mondiales en matière d'indépendance du ministère public, c'est-à-dire du procureur général.
Je vais aller droit au but et soutenir tout de suite ma thèse; mes arguments suivront. Je pense que l'affaire qui nous occupe présentement nous donne l'occasion de nous pencher sur la qualité de la mise en œuvre de l'État de droit au Canada, et je crois qu'il est possible de faire mieux. Ma source principale quant aux meilleures pratiques mondiales dans ce domaine est le deuxième rapport sur l'indépendance judiciaire qu'a produit la Commission de Venise et qui portait plus spécialement sur l'indépendance du ministère public.
Précisons rapidement ce qu'est la Commission de Venise. Composée d'experts indépendants en droit constitutionnel, cette commission est un organe consultatif du Conseil de l'Europe qui est maintenant régi par un accord élargi. La Commission de Venise se compose de membres des 47 pays qui font partie du Conseil de l'Europe et de 14 autres pays qui n'en font pas partie, dont les États-Unis. Le Canada a depuis longtemps un statut d'observateur auprès de la Commission.
Les standards mondiaux dégagés par la Commission de Venise ne sont pas des règles de droit international, mais plutôt des avis d'experts sur les meilleures pratiques, lorsqu'il est possible de les indiquer.
La Commission s'est donc penchée spécialement sur la question de l'indépendance du ministère public. Elle fait remarquer d'entrée de jeu que cette institution de poursuivant indépendant est étrangère à la common law d'origine. C'est un mode institutionnel qui relève plutôt de la tradition continentale. Or, la Commission rappelle que la plupart des pays pratiquant la common law se sont rapprochés du modèle européen et ont créé des postes comme celui de directeur des poursuites pénales, par exemple. Il y a d'autres manières de se rapprocher des standards mondiaux, comme l'illustre la solution retenue par le Royaume-Uni selon laquelle le procureur général, accessoirement en tant que poursuivant, ne fait plus partie du Cabinet.
Quelles sont donc les meilleures pratiques en matière d'indépendance des poursuites publiques? La Commission reconnaît qu'il est normal que l'exécutif puisse prévoir des politiques pénales et avoir une certaine influence d'ordre général sur le poursuivant. Cependant, les standards mondiaux reconnus prévoient que l'exécutif ne devrait pas pouvoir donner d'instructions sur des affaires précises ni se substituer au poursuivant lorsque vient le moment de décider de poursuivre ou non. Ce sont là les meilleures pratiques.
Au Canada, sur le plan fédéral, la Loi sur le directeur des poursuites pénales de 2006 a créé un poste de directeur indépendant des poursuites pénales. Le paragraphe 10(1) et l'article 15 de la Loi permettent au procureur général de donner des instructions sur des affaires précises ou de se substituer au directeur des poursuites pénales après publication d'un avis dans la Gazette du Canada. Le problème vient du fait que le procureur général demeure membre de l'exécutif. Par conséquent, la Loi en vigueur à l'heure actuelle au Canada n'est pas conforme aux standards mondiaux, à mon avis.
Si, comme au Royaume-Uni, le procureur général ne faisait pas partie du Cabinet, on pourrait conserver le paragraphe 10(1) et l'article 15 de la Loi. Cependant, puisque le procureur général fait toujours partie de l'exécutif, à mon avis, c'est relativement clair que ce n'est pas conforme aux meilleures pratiques et qu'il y aurait moyen de faire mieux.
En effet, il y a la théorie Shawcross, qui remonte à 1951, à ma connaissance. Je ne suis pas un expert de cette doctrine comme l'est ma collègue. Toutefois, l'existence de cette convention constitutionnelle ne change rien au fait qu'on a créé un poste de directeur des poursuites pénales indépendant, tout en maintenant l'appartenance du procureur général au Cabinet, ainsi que des pouvoirs d'intervention directe, c'est-à-dire sur des affaires données, au-delà de la simple politique pénale.
Ensuite, j'aimerais rappeler que, même si ma collègue a parlé de principes juridiques en introduction, dans le cours de son exposé il est devenu clair, en effet, qu'on parle ici, au sujet de la théorie Shawcross, d'une convention constitutionnelle. Donc, ce n'est pas une norme juridique, mais une norme qui fait partie de notre constitution politique.
Malgré toute sa sagesse et sa finesse, la théorie Shawcross, en tant que convention constitutionnelle, est quand même d'une efficacité limitée, puisqu'il demeure assez difficile de savoir si, dans des cas donnés, elle a été appliquée ou non, notamment en raison du secret des délibérations de l'exécutif, qui est une conséquence logique de la solidarité ministérielle et de la solidarité du gouvernement qui reçoit sa confiance d'un bloc de la Chambre. C'est donc une théorie d'une efficacité limitée.
Par ailleurs, cette théorie a pris ancrage au Royaume-Uni alors qu'on n'avait pas de système de poursuivant indépendant comme nous avons essayé d'en créer un ici, au Canada, d'une manière perfectible. C'est aussi une théorie qui remonte à une époque où l'on n'avait pas décidé de s'arrimer un peu plus au modèle continental, en excluant de l'exécutif le procureur général en tant que poursuivant.
De manière générale, le Canada ne devrait pas se faire plus conservateur britannique que les Britanniques eux-mêmes. Il devrait être capable de voir comment, au Royaume-Uni, on s'est arrimé aux standards mondiaux empruntés à la tradition continentale. Ensuite, de manière pratique, deux solutions s'offrent: soit exclure le procureur général de l'exécutif et créer un poste distinct de ministre de la Justice, soit le laisser membre de l'exécutif, mais abroger le paragraphe 10(1) et l'article 15 de la Loi sur le directeur des poursuites pénales.
C'est tout ce que j'avais à dire.
Merci.
:
Merci, monsieur le président.
Merci à vous deux d'être parmi nous aujourd'hui.
[Traduction]
La semaine dernière, le Comité a entendu les témoignages du actuel, de la sous-procureure générale et du greffier du Conseil privé. Toutes ces personnes affirment que les discussions entre le premier ministre, le Cabinet du premier ministre et le procureur général et son bureau sont appropriées lorsqu'il s'agit de discussions sur des sujets tels les accords de réparation et particulièrement la question de SNC-Lavalin.
Le procureur général a affirmé que le procureur général « n'est pas non plus coupé de toute interaction. Il ne s'agit pas là d'une décision facile, quel que soit le procureur général, et la capacité du titulaire de ce poste d'obtenir les bonnes réponses au nom de tous les Canadiens n'est qu'améliorée grâce aux discussions et débats avec les autres membres du Cabinet... »
Le greffier du Conseil privé, qui est un fonctionnaire non partisan de la fonction publique du Canada depuis des décennies, a dit ceci: « Je peux vous dire avec beaucoup d'assurance que, à mon avis, ces discussions ont été tenues dans les limites de ce qui est légal et approprié. »
La sous-procureure générale, Mme Drouin, qui est aussi une fonctionnaire non partisane, a fourni un exemple du Royaume-Uni — le même exemple mentionné par Mme Condon. Il s'agit de l'affaire liée à British Aerospace. Madame Drouin, en faisant référence à cette affaire du Royaume-Uni, a dit ceci: « Durant l'enquête, un pays et aussi le premier ministre ont communiqué avec le directeur et lui ont dit que, si le procureur général continuait l'enquête et les poursuites, du sang pourrait couler dans la rue. Enfin, le directeur a décidé de mettre fin à l'enquête et de ne pas déposer d'accusations. » Elle a poursuivi en disant: « L'affaire a donné lieu à un contrôle judiciaire et s'est rendue jusqu'à la Chambre des lords, laquelle a dit que cette conversation très difficile ne contrevenait pas à la primauté du droit. Je crois que cela illustre vraiment le sérieux de la conversation. »
Mme Drouin faisait allusion à des considérations liées à la sécurité publique.
Ma question s'adresse aux deux témoins. Êtes-vous d'accord avec cette évaluation selon laquelle ces discussions difficiles entre la procureure générale, le premier ministre et les cabinets sur l'utilisation potentielle d'un accord de réparation, dans ce cas-ci, sont appropriées?
:
Merci, monsieur le président.
J'aimerais seulement aborder d'autres commentaires qui ont été formulés dans le cadre de cette affaire et obtenir votre avis. Je souligne que chaque cas doit manifestement être traité séparément et que ces décisions sont prises au cas par cas à l'aide de principes généraux. Toutefois, lorsqu'on lui a demandé son avis sur la question, l'ancien procureur général de la Colombie-Britannique, Brian Smith, qui travaille maintenant pour Gowlings, a dit ceci:
Je dirais qu'il est légitime que le premier ministre ait une discussion avec elle sur l'utilisation de cet article, et qu'il est parfaitement légitime que cette question fasse l'objet d'une discussion au Cabinet, et qu'elle en tiendrait compte au moment de décider d'utiliser ou non son pouvoir discrétionnaire [pour demander ou pour ordonner qu'on offre une mesure de redressement].
Ce qui est intéressant au sujet de cette citation, c'est que M. Smith a démissionné du poste de procureur général de la Colombie-Britannique en 1988, car il avait l'impression de faire l'objet de pressions inappropriées de la part du cabinet du premier ministre provincial au sujet de certaines affaires judiciaires. Il a démissionné de son poste en raison de pressions qu'il qualifiait d'inappropriées.
Un article du Lawyer's Daily mentionne le professeur de droit Andrew Flavelle Martin, de la University of British Columbia, et indique ceci:
M. Martin est d'avis qu'il serait approprié que la procureure générale consulte le Cabinet du premier ministre au sujet de mesures de redressement — « par exemple, si le Cabinet du premier ministre se disait très préoccupé au sujet des répercussions économiques et des pertes d'emplois potentielles et qu'il suggérait ensuite des mesures possibles. Cela ne serait pas un problème. Par contre, lui ordonner de faire quelque chose ou exercer des pressions pour qu'elle fasse quelque chose ou [lui dire], par exemple, de faire quelque chose faute de quoi elle sera renvoyée... cela serait inapproprié et extrêmement grave. »
Mark Freiman, de Toronto, est un ancien sous-procureur général de l'Ontario et ancien avocat en chef de l'enquête sur Air India. Un article publié dans le Lawyer's Daily indique ceci:
Toutefois, Freiman a souligné que la procureure générale a l'obligation de tenir compte de l'intérêt du public lorsqu'elle décide d'intenter un procès ou d'offrir des mesures correctives, et pour évaluer l'intérêt du public, il est nécessaire et approprié qu'elle mène des consultations et reçoive des conseils, y compris du gouvernement.
Encore une fois, ces personnes — qui possèdent toutes une expertise juridique — affirment publiquement que ces types de discussions sont appropriées, manifestement toutes au cas par cas, et que le caractère approprié dépendra des circonstances de chaque cas.
Êtes-vous d'accord avec la formulation de ces personnes dans leurs conclusions?
:
Merci, madame la doyenne.
Je suis désolée, mais je vais vous questionner aussi à ce sujet, en m'appuyant sur votre témoignage. J'apprécie vraiment ce que vous nous avez dit au début.
Ce n'est pas nécessairement hypothétique, mais je vais essayer de vous présenter les faits comme un processus. Peut-être pouvez-vous m'aider à comprendre, d'après ce que vous avez dit.
On a décidé d'entamer des poursuites. Les poursuites au criminel ont une date fixée pour une enquête préliminaire dans six semaines. Le procureur général a décidé qu'il n'interviendrait pas et l'a laissé savoir, mais la pression continue de s'exercer sur lui, pour qu'il change d'idée. J'en viens aux remèdes que vous avez évoqués et qui m'ont intéressée. Le procureur général continue de recevoir des présentations et vous avez dit que, dans notre régime parlementaire, soit il doit répondre au Parlement de la décision qu'il prendra — ce que j'accepte, en étant d'accord — mais, ensuite, vous avez conseillé la démission, si elle croyait ne pas bénéficier de la confiance du Cabinet.
Si personne ne lui a dit qu'elle n'avait pas la confiance du Cabinet, comment saurait-elle qu'elle doit démissionner, du fait des pressions exercées sur elle? Quand est-elle obligée, en sa qualité de procureure générale, de renoncer, vu que personne ne lui dit qu'elle est en danger, que son poste... qu'elle ne fait pas de l'excellent travail? Si elle bénéficie encore de la confiance du Cabinet, comment saurait-elle qu'elle doit démissionner?
:
Je vous remercie, monsieur le président.
Premièrement, j'ai été en mesure d'écouter les exposés des deux témoins précédents et d'entendre la plupart des questions. Je regrette de ne pas être là en personne aujourd'hui, mais j'ai à tout le moins été en mesure d'écouter. Bien entendu, ils ont passablement parlé de la primauté du droit et des principes juridiques qui s'appliquent dans les circonstances.
J'ai quelques points de vue différents que j'aimerais exprimer, et je serai ravie de répondre à vos questions à ce sujet.
En particulier, je pense que ce que nous évaluons comme étant rationnel ou non rationnel implique une compréhension beaucoup plus approfondie des faits. En droit, je crois que nous comprenons que la primauté du droit exige que tous les fonctionnaires, dans leurs actions, exercent un pouvoir légitime qui respecte la primauté du droit, les conventions et les principes constitutionnels et l'important rôle indépendant du procureur général.
J'ai un avis un peu différent au sujet de l'obligation du procureur général, lorsqu'il agit à titre de procureur général... qu'il devrait démissionner. On a passablement discuté de cela. J'ai pu écouter ce qui s'est dit, et je dois dire que mon point de vue est un peu différent des opinions des témoins précédents.
Je le répète, nous ne disposons pas de tous les faits, et les faits sont très importants. Il y a des nuances qui sont essentielles. Je crois qu'il pourrait y avoir une explication rationnelle au fait qu'un procureur général, qui agit à titre de procureur en chef et de premier conseiller juridique du Canada, ne démissionnerait pas lorsque son indépendance n'aurait pas été respectée. À mon avis, c'est parce que la Constitution, conformément à la primauté du droit au Canada, exige que le procureur ne démissionne pas, qu'il résiste aux pressions, et que, si des pressions sont exercées — et je sais que cela n'a pas été entièrement établi — qu'il défende fermement la primauté du droit.
Les procureurs sont très rarement congédiés pour avoir effectué leur travail. Cependant, si on prouve qu'un procureur général a défendu fermement la décision qu'il a prise en tant que procureur et procureur en chef du Canada, c'est-à-dire en tant que procureur général appelé à respecter ce principe très important et bien défini qu'est la primauté du droit, je crois qu'il serait très préoccupant qu'on le démette de ses fonctions.
Quant à la question de démissionner par rapport à celle de démettre de ses fonctions, il se pourrait très bien que nous soyons en présence d'une situation où une procureure a été démise de ses fonctions et non où une procureure générale devrait démissionner. En fait, les procureurs ne devraient pas démissionner. Les procureurs en chef, lorsqu'ils ont pris une décision, devraient la maintenir fermement, en conformité avec la primauté du droit.
Par ailleurs, je crois qu'il est important que ceux qui cherchent à influencer le procureur général lorsqu'il agit à titre de procureur général... et je suis d'accord avec le témoin précédent, qui a affirmé que la doctrine Shawcross est un piètre argument à faire valoir pour justifier qu'un fonctionnaire puisse tenter fortement de persuader un procureur général de changer d'avis. Je crois qu'il faut comprendre la doctrine Shawcross dans le contexte de la Constitution du Canada, des principes de la primauté du droit, qui ont été très clairement réaffirmés dans le renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, le renvoi relatif à la sécession et le renvoi du juge.
Je crois que lorsque le procureur général agit à titre de procureur, il devrait demeurer ferme. La personne qui invoque la doctrine Shawcross pour justifier qu'elle a le pouvoir légitime d'essayer de convaincre le procureur général de modifier sa décision utilise à mon avis un piètre argument. Il faut faire très attention si on invoque cet argument.
Tous les fonctionnaires, les membres de la branche exécutive et administrative du gouvernement, doivent toujours agir en ayant le pouvoir légitime de le faire. Ce pouvoir doit être clairement défini et évident. Je crois que s'il existe des ambiguïtés, elles seront toujours dissipées grâce à ces rôles indépendants et quasi judiciaires très importants, comme le rôle indépendant du procureur général du Canada.
Bien entendu, l'indépendance et le rôle du procureur général ne font pas toujours l'objet d'un examen minutieux, comme c'est le cas aujourd'hui. Dans le cadre de certaines poursuites, il est certain que le rôle du service des poursuites pénales et des procureurs du Canada a fait l'objet d'un examen minutieux, que ce soit en raison de questions liées aux droits garantis par la Charte, d'irrégularités et peut-être d'un délit de poursuite malveillante. Les tribunaux sont saisis de ces affaires de différentes façons, mais le pouvoir discrétionnaire de décider d'autoriser une poursuite ne fait vraiment pas l'objet d'un examen, à moins qu'il y ait, comme l'a dit, je pense, le regretté juge Marc Rosenberg, des irrégularités flagrantes. Je crois que certains de ces principes sont très bien établis.
Le rôle de procureur doit être un rôle indépendant. Nous l'avons établi et nous comprenons cela. Le procureur prend des décisions, y compris la décision d'autoriser une poursuite. Lorsque le processus commence, qu'il s'agisse d'une enquête préliminaire ou d'un procès, les choses peuvent changer. J'ai déjà été juge et j'ai présidé de nombreux procès, et il est arrivé souvent qu'on commence un procès, et, qu'à un moment donné, un avocat me dise « Votre Honneur, nous avons une proposition conjointe de résolution que nous aimerions vous soumettre. » Le procès était bien entamé, mais les choses ont changé.
Lors de poursuites, les choses changent effectivement, mais elles changent à la suite d'une décision prise selon des paramètres très bien définis. Elles peuvent changer en raison de la probabilité d'être déclaré coupable d'une infraction en particulier. Elles changent peut-être pour éviter à une victime de témoigner. Elles changent pour diverses raisons. Bien entendu, nous favorisons le règlement des affaires sans qu'il y ait à y avoir chaque fois un procès en bonne et due forme.
Lorsqu'un procureur décide de sonder, devant un tribunal, la preuve préparée par le gouvernement aux fins d'une poursuite, cette décision est très importante. Le pouvoir légitime d'intervenir relativement à cette décision est restreint. Si, dans le cas que vous examinez — et comme je l'ai dit, nous ne connaissons pas tous les faits — on découvre qu'il y a eu des interventions relativement à une telle décision, je pense que ce serait une situation très importante qui susciterait des préoccupations relativement au respect de la primauté du droit au Canada.
J'ai travaillé de près avec des procureurs et je comprends le fonctionnement du service des poursuites, alors je peux dire que les procureurs sont très bien formés. Ils rendent des comptes et exigent des comptes de la part des autres, et, s'il y a la moindre indication que des décisions s'écartent des paramètres légaux, ils sont en mesure d'établir des limites. Je ne suis pas certaine si dans ce cas-ci il n'était pas possible d'établir des limites, mais peut-être qu'il s'agit d'un cas où une procureure a été congédiée pour avoir établi une limite qui n'a pas été acceptée. Je n'en suis pas certaine. Je crois qu'il y a des doutes et des préoccupations à ce sujet.
Je dirais que s'il y a de l'ambiguïté quant aux règles qui s'appliquent, cette ambiguïté est liée au pouvoir légitime que des fonctionnaires ou d'autres membres de la branche exécutive du gouvernement font valoir pour justifier leurs actions. Je n'ai pas suivi cette affaire de très près, mais outre la doctrine Shawcross, qui à mon avis est une piètre justification, le pouvoir légitime ne justifie pas non plus très bien le fait d'intervenir auprès d'un procureur.
J'estime que les faits sont extrêmement importants. Il n'est pas inapproprié pour un fonctionnaire de faire savoir à un procureur qu'il est prêt à lui fournir davantage de renseignements s'il en a besoin. C'est tout à fait correct. Il s'agit-là d'une démarche passive et respectueuse, mais lorsqu'on intervient de façon très vigoureuse en insistant pour que le procureur change d'opinion, je crois qu'il s'agit-là d'un problème très sérieux de respect de la primauté du droit.
Divers facteurs sont en jeu, et certains ont été abordés par les témoins précédents, mais il est certain que nous devons comprendre très clairement comment les choses se sont déroulées. Je ne veux pas du tout laisser entendre qu'un procureur général est une personne fragile qui ne peut pas faire face à de la résistance. Il faut s'interroger à propos du caractère convenable des demandes qui peuvent être faites à un procureur général. Il faut se demander quel est l'objectif de ces demandes.
Si l'objectif est de persuader le procureur général à titre de procureur en chef de changer d'avis au sujet d'une poursuite, cela est très préoccupant en ce qui concerne la primauté du droit. Comment déterminer si c'est très préoccupant ou non? Eh bien, bien entendu, il faut entendre les personnes qui ont peut-être été impliquées. Peut-être que nous n'avons aucune raison d'être préoccupés en ce qui concerne la primauté du droit. J'espérerais que ce soit le cas. Cependant, lorsqu'on songe à toute la gamme des demandes qui peuvent être faites à un procureur général, je crois que certaines d'entre elles sont très préoccupantes, et certaines m'inquiètent terriblement.
Une des situations les plus troublantes serait celle où des fonctionnaires et des membres de la branche exécutive diraient au procureur général qu'ils n'aiment pas la décision qu'il a prise et qu'ils voudraient qu'il obtienne l'avis de quelqu'un d'autre. Ce serait très préoccupant. Je ne dis pas que c'est ce qui s'est passé dans ce cas-ci, mais c'est un exemple, à bien y réfléchir, d'une situation où on rejette en quelque sorte le rôle décisionnel du procureur général en tant que procureur en chef. Si on disait plutôt, comme je l'ai dit tout à l'heure, qu'on serait prêt à fournir des renseignements si nécessaire...
Entre les deux extrêmes, l'un étant qu'on insiste pour que le procureur général obtienne une opinion différente, car on n'approuve pas ou on ne respecte pas son point de vue — et je ne dis pas que c'est ce qui s'est produit dans ce cas-ci, mais si c'est le cas, c'est très sérieux — et l'autre étant qu'on est disposé à fournir des renseignements au besoin, il y a toute une gamme de demandes qui pourraient être faites, qui sont toutes étroitement liées à la primauté du droit et qui devraient être examinées attentivement au cas par cas.
Bien entendu, en ce qui concerne la primauté du droit...
:
Je vous remercie, monsieur le président.
Je remercie les membres du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de m'avoir invitée à comparaître aujourd'hui.
Je vais vous entretenir des accords de réparation et des accords de poursuite suspendue en tant qu'avocate de la défense qui a participé à la négociation de tels accords.
Comme vous le savez bien, le régime au Canada du côté criminel est récent, alors il n'y a pas beaucoup d'accords de poursuite suspendue, mais dans le contexte de la réglementation des valeurs mobilières et d'autres contextes où il y a des allégations graves d'actes répréhensibles de la part d'une société, les procureurs ont à leur disposition toute une panoplie d'outils pour traiter ces affaires d'actes répréhensibles.
L'un de ces outils est l'accord de poursuite suspendue. J'ai travaillé pendant de nombreuses années dans le cadre d'un certain nombre de contextes pour veiller à ce que cet outil soit mis à la disposition des procureurs. Dans certaines sphères, ce type d'accord a une connotation négative, car il est considéré comme un moyen pour les sociétés de ne pas assumer leur responsabilité, mais c'est une fausse interprétation de ce qu'est un accord de poursuite suspendue et de la situation unique d'une société qui fait face à des allégations d'actes répréhensibles, comme la corruption et des infractions aux lois sur les valeurs mobilières en matière de divulgation d'information.
La société qui est accusée d'une telle infraction ou qui fait l'objet d'une enquête à propos de telles allégations est dans une situation unique et différente de celle de personnes qui font l'objet des mêmes allégations d'actes répréhensibles.
L'accord de poursuite suspendue, dans sa nature, tient la société responsable de l'acte répréhensible. À mon humble avis, ce type d'accord répond à tous les objectifs à atteindre pour que le système de justice pénale soit robuste. Il procure, de façon plus importante, des avantages que ne permet pas d'obtenir le système binaire et rigide selon lequel on est déclaré coupable ou non coupable.
Un régime d'accord de poursuite suspendue doit être robuste, et à mon avis, le régime mis en place au Canada est un régime robuste. Il est très similaire à celui qui a été adopté au Royaume-Uni et il comporte des éléments améliorés qui le rendent différent du régime mis en place aux États-Unis.
Par exemple, les sociétés qui bénéficient d'un accord de poursuite suspendue vont admettre qu'elles ont mal agi et elles vont en assumer la responsabilité. Dans chaque accord de poursuite suspendue, il y a un énoncé des faits qui décrit la nature de l'acte répréhensible. Un accord de poursuite suspendue comporte des dispositions concernant la réparation, notamment des améliorations à apporter au régime interne de conformité et une sanction pécuniaire.
En ce qui concerne les objectifs du système de justice pénale, ce type d'accord répond à ces objectifs en ce qui a trait à la responsabilité. Ce type d'accord vise à ce que les torts soient réparés auprès du marché et des personnes touchées par l'acte répréhensible. Il vise également la dissuasion.
L'aspect le plus important d'un accord de poursuite suspendue est le règlement très rapide de l'affaire. Ce genre d'affaire et d'acte répréhensible sont complexes, alors, habituellement, il s'écoule plusieurs années avant qu'on indique au public quelles sont les attentes.
Un accord de poursuite suspendue est bénéfique pour l'ensemble du pays et les marchés parce qu'il nous permet de progresser. Il permet à un procureur d'énoncer plus rapidement que lors d'une poursuite normale les attentes concernant les pratiques exemplaires en matière de gestion des régimes internes de conformité.
Ce qui est également très important, c'est qu'un tel accord permet d'éviter des dommages collatéraux. Le comportement d'une société est attribuable à des personnes, et, si une société prend des mesures à l'égard de l'acte répréhensible allégué en améliorant son régime de conformité, en imposant des mesures disciplinaires aux personnes responsables de l'acte répréhensible ou en démettant de leurs fonctions des cadres supérieurs ou intermédiaires responsables de l'acte répréhensible et en améliorant son propre régime de conformité par l'entremise d'un accord de réparation, alors elle fait progresser, comme je l'ai dit plus tôt, l'amélioration des pratiques exemplaires en matière de gestion des sociétés et elle établit une norme que toutes les sociétés canadiennes auront à respecter.
Le régime binaire qui offre la possibilité entre une condamnation ou aucune condamnation a comme effets collatéraux que les intervenants aujourd'hui paient le prix d'une condamnation. Donc, dans certaines circonstances, il pourrait convenir d'explorer la possibilité d'un accord de suspension des poursuites pour éviter de tels dommages collatéraux. Les dommages collatéraux seront ressentis par tous les intervenants de l'entreprise. Les employés, les retraités, les partenaires d'affaires, les fournisseurs ou les partenaires en aval ou en amont de l'entreprise — tous vont en ressentir les effets, avec le tort que va causer à la réputation de l'entreprise et à ses activités une condamnation qui pourrait l'empêcher complètement de poursuivre ses activités.
Donc, dans certaines circonstances, une société risquerait vraiment de dépérir et de cesser d'exister, et ceux qui comptent sur la société pour profiter des retombées économiques en subiraient tous les dommages collatéraux. Dans de telles situations, le procureur peut, compte tenu de ce que les autres témoins ont dit — dans l'intérêt public — regarder ces facteurs au moment de déterminer que les circonstances justifieraient d'envisager autre chose que le régime qui impose un choix entre condamner ou ne pas condamner.
Il est important de savoir qu'un accord de suspension des poursuites n'est pas un accord de non-poursuite, autre outil offert au procureur d'autres territoires. Ce serait le cas d'une société qui n'est pas accusée et dont la conduite n'est pas tenue en compte. Ici, avec l'accord de suspension des poursuites, la société est accusée. Au moyen de l'accord de suspension des poursuites, l'État conclut un accord de réparation qui permet la suspension des poursuites contre la société, cette suspension étant conditionnelle. La société doit respecter toutes les modalités de l'accord de réparation qui, comme je l'ai indiqué précédemment, comprendrait certaines mesures que la société doit prendre concernant sa propre organisation interne et son régime interne de conformité: le paiement d'une sanction pécuniaire; souvent, l'imposition d'un surveillant, soit un tiers indépendant chargé d'examiner les mesures que la société prend; et souvent l'obligation de faire rapport à la cour ou au procureur des progrès réalisés concernant les modalités de l'accord de réparation.
Si l'accord de réparation est enfreint, la société fera alors l'objet de poursuites. Si la société respecte toutes les modalités de l'accord, les accusations sont rejetées.
Ainsi, l'objectif important du système de justice pénale — tenir les autres responsables des actes répréhensibles qu'ils ont commis — est atteint, et ce, de manière à éviter les résultats parfois très draconiens qui peuvent se produire quand une société fait face à une condamnation.
Quand le Canada envisageait la mise en oeuvre d'un tel régime, il a pu regarder du côté d'autres États qui avaient adopté des régimes de suspension des poursuites ou des régimes semblables, et il a décidé de le faire. Le Canada a maintenant, grâce au régime de suspension des poursuites, un outil efficace semblable à ceux de nombreux autres États étrangers, y compris le Royaume-Uni, les États-Unis, d'autres pays membres de l'Union européenne, et l'Australie, le dernier pays à avoir adopté un régime de suspension des poursuites.
Nous pouvons profiter de l'expérience des autres — les États-Unis ont un régime de suspension des poursuites depuis le début des années 1990, et il est donc le premier de la liste des pays à l'avoir fait. Le régime américain est différent du régime canadien. Ce que l'on constate, c'est que le régime est utilisé dans des circonstances limitées, et ce, dans les cas qu'on avait prévus. Certaines conditions doivent être respectées pour qu'on puisse juger qu'une société est admissible à un accord de suspension des poursuites. Par exemple, en 2018 seulement, il y a eu à l'échelle des États-Unis 24 accords de suspension des poursuites et accords de non-poursuite. Ce n'est pas un nombre renversant, étant donné le nombre d'enquêtes actives et le nombre de cas en instance.
Le Royaume-Uni a adopté un régime de suspension des poursuites en 2013, et il n'y a eu que quatre accords de suspension des poursuites. On ne sent pas tant la crainte entourant le recours à de tels accords quand on regarde les autres administrations.
Le régime canadien comporte deux très importants attributs qui font qu'il est robuste, notamment des conditions que le procureur doit respecter pour même envisager de négocier des accords de réparation. Fait intéressant et important, l'une de ces conditions est que le procureur général consente à l'accord de suspension des poursuites avant que les négociations commencent. Le procureur joue un rôle de surveillance, et les tribunaux assument aussi un autre rôle très important de surveillance. Enfin, et surtout, le régime garantit la transparence. Notre régime est plus dissuasif et nous déplaçons l'attention sur les bonnes pratiques des sociétés, car tous les accords de suspension des poursuites seront rendus publics, à moins que le tribunal ait de bonnes raisons d'en reporter la publication.
Je vais laisser la parole à mon collègue, M. Jull, qui va aussi vous parler des accords de suspension des poursuites.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité permanent, c'est pour moi un honneur d'être invité à venir vous parler d'accords de réparation.
Depuis 2014, je soutiens avec d'autres personnes que nous devons avoir des accords de suspension des poursuites, et j'ai été ravi de l'adoption de la loi en 2018. La loi énonce six raisons ou objectifs, et j'aimerais les parcourir.
Le premier objectif de ces accords est de dénoncer tout acte répréhensible. Le deuxième est de tenir les organisations responsables. Le troisième est de favoriser l'adoption d'une culture de conformité. Le quatrième — et c'est très important — est d'encourager la divulgation volontaire des actes répréhensibles. C'est le principe de la société qui sort de l'ombre et qui dit aux procureurs quelque chose que le gouvernement n'a pas encore découvert. Je vais revenir à cela si j'en ai le temps plus tard. Le cinquième objectif est de prévoir la réparation des torts causés aux victimes. Le sixième objectif est de réduire les conséquences négatives de l'acte répréhensible sur les employés, les clients, les retraités ou autres personnes qui ne se sont pas livrées à l'acte répréhensible.
J'aimerais consacrer un peu de temps au dernier objectif. Un critère semblable est utilisé dans la loi du Royaume-Uni. On y parle d'effets collatéraux sur les fonctionnaires et les actionnaires, comme Mme Berman l'a indiqué. Je crois que nous devrions en parler un petit peu pour comprendre cela. Les effets négatifs ou collatéraux sur les personnes qui ne sont coupables d'aucun acte répréhensible sont particulièrement graves si la société en question fait beaucoup de travail pour le gouvernement. C'est parce qu'au Canada, dans le régime actuel, une condamnation mène à la radiation pour une période de 10 ans, avec la possibilité d'une période réduite de 5 ans. Les effets collatéraux sur les employés, les retraités et les clients sont bien réels si la société ne peut pas répondre à des appels d'offres ou accomplir du travail pour le gouvernement pendant 10 ans.
Je ne veux pas le faire, mais je pourrais finir par vous donner une petite leçon sur la responsabilité criminelle des entreprises. Il faut vraiment que vous compreniez la responsabilité criminelle des entreprises telle qu'elle est énoncée dans le Code criminel à l'article 22.2 pour comprendre la dynamique d'une société par rapport aux particuliers.
Permettez-moi de vous donner un exemple. Il n'y a eu qu'une seule cause examinée en justice au Canada à cet égard. Il s'agit de l'affaire R c. Pétroles Global inc. Dans sa décision, le juge Tôth a dit:
Les procureurs n'auront plus besoin de prouver que la faute vient du conseil d'administration ou des plus hautes sphères d'une société: il peut même suffire de prouver la faute de cadres intermédiaires.
Cela signifie qu'il est possible que des cadres supérieurs ou même des cadres intermédiaires, dans le cadre de leurs attributions — et c'est un point très important —, puissent avoir commis une infraction, notamment sous la forme d'un pot-de-vin, alors que de très nombreux employés n'en avaient aucune idée. Les clients et les retraités ont un lien encore moins direct avec le cercle des personnes au courant du pot-de-vin. Je soutiens qu'il s'agit là des personnes qui sont visées par l'objectif d'atténuer les conséquences négatives de l'acte répréhensible pour les personnes qui n'étaient pas impliquées.
La réduction des conséquences négatives a des conséquences économiques. Il est donc important de se demander comment cet objectif est lié à l'interdiction de tenir compte de l'intérêt économique national. J'aimerais me pencher là-dessus. Voici ce que dit le paragraphe 715.32(3) du Code criminel:
Malgré l’alinéa (2)i), dans le cas où l’infraction imputée à l’organisation est une infraction visée aux articles 3 ou 4 de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers, le poursuivant ne doit pas prendre en compte les considérations d’intérêt économique national, les effets possibles sur les relations avec un État autre que le Canada ou l’identité des organisations ou individus en cause.
Cette disposition est très semblable à celle de la loi du Royaume-Uni et, comme on l'a mentionné précédemment, elle correspond au traité de l'OCDE.
Quand cette loi a été adoptée, j'en ai parlé dans mon texte. À ce moment-là, aucun des événements récents ne s'était encore produit. J'y suis revenu, et j'ai lu ce que j'avais écrit à ce moment-là. Je vais vous lire ce que j'ai écrit, puis vous faire un commentaire. Voici ce que j'ai dit à l'époque à propos de cette disposition:
Cette disposition est conçue pour éviter que des facteurs politiques ou économiques portent atteinte à l'administration de la justice. On pourrait s'attendre à ce que cette disposition empêche une organisation qui est une société canadienne bien connue de chercher à obtenir un traitement de faveur sous prétexte qu'une condamnation de la société aurait des incidences sur l'intérêt économique national. Cependant, la société peut soutenir qu'on devrait envisager de conclure avec elle un accord de réparation en vertu de l'objectif de l'alinéa f), c'est à dire pour réduire les conséquences négatives de l'acte répréhensible sur les personnes — employés, clients, retraités ou autres — qui ne s'y sont pas livrées, tout en tenant responsable celles qui s'y sont livrées.
Mesdames et messieurs, vous vous demandez peut-être en quoi il est logiquement possible d'envisager la réduction des conséquences économiques négatives pour les employés et les retraités, et les personnes qui n'ont pas commis d'actes répréhensibles, sans en même temps tenir compte des répercussions sur l'intérêt économique national. Cela semble paradoxal, n'est-ce pas?
Je vous dirais qu'il y a moyen de se sortir de ce paradoxe. Cela revient au principe de l'essence de la responsabilité criminelle des entreprises. Si vous êtes en présence d'un crime qui est commis par des cadres supérieurs ou même des cadres intermédiaires, mais qu'il y a tout un éventail de personnes qui n'avaient rien à voir avec cela, ces deux dispositions fonctionnent ensemble. Vous pouvez accorder la suspension des poursuites afin d'éviter aux personnes d'être touchées. En même temps, cela n'a absolument rien à voir avec des considérations d'ordre économique. Les dispositions sont conçues précisément pour protéger les personnes qui n'avaient rien à voir avec le pot-de-vin.
Prenons le scénario complètement opposé. Supposez que vous avez une société dans laquelle la plupart des employés sont corrompus. Supposez que vous avez une société qui ne peut vraiment pas dire que bien des gens sont innocents. Si cette société s'adresse au procureur et dit qu'il faut quand même un accord de suspension des poursuites, pas pour protéger des personnes innocentes, mais parce que c'est dans l'intérêt économique national et qu'il faut éviter la faillite de l'entreprise, c'est exagéré d'après moi, et il y a toutes sortes de permutations et de combinaisons possibles pour envisager la situation des retraités ou des clients en pareilles circonstances.
Comme d'autres témoins l'ont dit précédemment, chaque cas doit être évalué en fonction des faits qui s'appliquent. Il n'y a pas de réponse simple.
J'aimerais brièvement parler d'une chose dont Mme Berman a parlé. Elle a souligné plusieurs fois que la suspension des poursuites n'est pas ce que j'appellerais un laissez-passer, et je ne vais pas consacrer beaucoup de temps à cela, car elle l'a vraiment très bien expliqué. Je pense qu'il y a une chose que je voudrais dire, et c'est que quand nous parlons de tels exemples obscurs, il vous faut connaître la situation factuelle pour leur donner de la substance. Permettez-moi de vous donner un exemple récent.
En 2018, Panasonic a obtenu un accord de suspension des poursuites aux États-Unis. L'entreprise avait été accusée de verser des pots-de-vin afin d'obtenir que son système de divertissement soit installé, par l'intermédiaire d'une filiale, dans les avions de la compagnie Middle East Airline. Sur une période de temps donnée, elle a versé environ 7 millions de dollars et a fait passer ce montant pour des frais de consultation alors que ce n'en était pas. En plus de verser des pots-de-vin, elle falsifiait les livres et les registres.
La société a obtenu un accord de suspension des poursuites, mais concernant ce que Mme Berman disait, écoutez les sanctions qu'elle a reçues. La restitution des profits… elle avait fait un profit de 126 millions qu'elle a dû restituer. Elle a dû rembourser cette somme. En plus de cela, elle a dû payer une sanction de 135 millions de dollars, et ce montant tient compte d'une réduction de 20 % de la sanction. Enfin, on lui a affecté un surveillant pendant une période de deux ans. C'est un bon exemple du pouvoir de ces mesures.
Beaucoup de personnes ont parlé de surveillants. Je ne vais pas parler de cela étant donné que les gens l'ont déjà très bien fait. Je vais cependant réitérer un point, et c'est une chose dont les gens n'ont pas beaucoup parlé: parce que le système canadien exige l'approbation du tribunal, c'est un juge qui doit au bout du compte donner son approbation.
Ce que je dis est tout à fait hypothétique. Même si un procureur général subit des pressions et finit par soumettre à un tribunal l'option d'un accord de réparation, le juge a le droit de dire qu'il lui faut connaître tous les facteurs. Conformément à notre loi, le juge doit avoir la certitude qu'un tel accord est juste et approprié. Un juge pourrait dire que si vous ne pensez qu'aux intérêts économiques nationaux, il ne va pas approuver l'accord parce que c'est excessif. C'est une forme de vérification de nature judiciaire. Nous devons garder cela à l'esprit.
Je suis sur le point de manquer de temps, alors je vais probablement garder cela pour les questions. Si cela intéresse quelqu'un, je serais ravi de parler de l'ensemble du principe voulant qu'une entreprise sorte de l'ombre, et de la façon dont cela s'applique. Je pense que c'est important dans la portée des choses.
C'est complexe, et nous sommes des néophytes, en tant que Canadiens. Je pense que nous devrions envisager sérieusement d'adopter des lignes directrices. Ces dispositions législatives donnent au Cabinet le pouvoir d'adopter des lignes directrices pour la mise en œuvre d'un accord de réparation. Je pense que nous devrions créer un comité réunissant des personnes vraiment brillantes, dont certaines ont déjà comparu devant vous. Je ne dis pas que j'en serais une, mais réunissez des personnes vraiment brillantes pour que cela soit étudié et que des lignes directrices soient adoptées sous la forme de dispositions réglementaires qui aideraient le procureur général, le Cabinet et les partis à comprendre la différence entre certains des facteurs qui sont plutôt partisans et d'autres facteurs qui sont plutôt d'ordre juridique.
Merci.
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Eh bien, il y a des questions d'intégrité et d'éthique. On parle d'un éventail. En ce qui concerne le Code criminel — et je ne veux pas dire qu'il y a eu infraction criminelle —, le groupe de l'intégrité de la GRC devrait examiner le dossier en profondeur, et il se peut fort bien qu'il le fasse. Je crois que la GRC a indiqué qu'elle était au courant du dossier. Il y a des questions liées à des obligations positives.
Par exemple, si la procureure générale qui agit à titre de procureure en chef pour le Canada dans le cadre de ce rôle très important a été démise de ses fonctions parce qu'elle n'a pas pris une décision conforme à ce que souhaitait ses collègues, ou peu importe qui, et je ne dis pas que c'est le cas, mais si elle a été démise de ses fonctions, je ne crois pas qu'il lui incombe à elle de démissionner. D'une certaine façon, une personne rationnelle peut dire qu'on n'a pas à démissionner parce qu'on est procureur, mais si des éléments de preuve montrent qu'une procureure a été démise de ses fonctions et qu'on a tenté de l'influencer ou d'attirer son attention sur quelque chose sans avoir le pouvoir légitime de le faire, alors cela laisse supposer qu'il peut y avoir eu entrave à la justice, car l'entrave à la justice requiert un élément de peur ou de faveur.
Je pense que nous devons revenir à cet aspect clé, soit que lorsqu'une personne adresse des supplications au procureur général, est-ce que le message implicite c'est « vous perdrez votre emploi si vous ne m'écoutez pas »? Voilà pourquoi non seulement les questions de primauté du droit interviennent, mais cela pourrait être très sérieux. J'espère que ce n'est pas le cas, car cela mine la confiance de la population, mais parce que c'est très sérieux, nous devons examiner tous les aspects de l'intégrité, dont nos systèmes normatifs qui figurent dans le Code criminel et nos principes de la primauté du droit, que je vous remercie d'examiner aujourd'hui.
L'un des principes essentiels de la primauté du droit, c'est de dire que si l'on tente d'influencer une poursuite, on a intérêt à être en mesure de prouver qu'on a l'autorité légitime. Si, à cet égard, on ne se fonde que sur une convention politique de 1951 qui n'est même pas conforme à l'ordre constitutionnel au Canada, alors je pense que nous devrions examiner cela avec beaucoup d'attention.
Je suis d'accord également avec le député libéral de Beaches, M. Erskine-Smith, pour ce qui est de l'utilité d'un accord de réparation avec cette entreprise qu'est SNC-Lavalin. Il a dit ce qui suit:
Concernant la question de savoir si une intervention [du Cabinet du premier ministre] était peut-être, en fait, justifiée, ce qu'il faut véritablement se demander, c'est quelle est la nature de cette intervention. Essentiellement, a-t-on exercé des pressions indues, ce qui va à l'encontre de la convention constitutionnelle selon laquelle le procureur général est indépendant?
Cela me semble très similaire aux points que vous soulevez aujourd'hui.
Madame Berman, vous avez parlé des accords de suspension des poursuites. Je comprends que vous avez de l'expérience dans le domaine concernant les actes répréhensibles de la part de sociétés. À cet égard, et je veux savoir si vous êtes d'accord avec moi, l'histoire du Canada est plutôt limitée. En 2011, le Canada a été critiqué par l'OCDE pour le manque d'enquêteurs et les faibles sanctions imposées dans les rares cas de condamnation. L'an dernier, dans son rapport annuel intitulé Exporting Corruption, Transparency International a dit non seulement que le Canada se caractérisait par, et je cite, « une application de la loi limitée », mais que c'était l'un des quatre pays qui avaient, et je cite, « régressé » sur le plan de l'application de la Loi sur la corruption d'agents publics étrangers.
C'est plutôt sombre. Par conséquent, il est à espérer que nous continuons à intenter des poursuites. C'est peut-être ce qui a fait en sorte qu'une directrice des poursuites pénales indépendante n'a pas hésité et n'a pas décidé de conclure un accord de suspension des poursuites et que la procureure générale a décidé de maintenir la décision. Après, bien sûr, les témoignages sembleraient indiquer que d'autres ministres, représentants du Cabinet du premier ministre, etc., sont considérablement intervenus pour essayer de la faire changer d'avis.
Si vous le voulez, parlez-nous un peu, s'il vous plaît, de l'importance de poursuivre des gens au titre de la Loi sur la corruption d'agents publics étrangers, et du bilan du Canada à ce chapitre.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie tous les témoins de leur présence ici aujourd'hui. Chacun de vos témoignages a été très instructif.
J'ai une perspective différente de la vôtre. J'ai choisi une autre voie. Je n'ai pas fait d'études en droit, et j'ai abouti au Comité par d'autres moyens. En examinant ces questions d'un point de vue non juridique, il me semble que les accords de réparation soulèvent un enjeu qui vient chercher la sympathie de la population. Si vous me le permettez, monsieur Jull, j'aimerais revenir sur une chose que vous avez dite au sujet de l'objectif d'un accord de réparation. Cela atténue les répercussions qu'une condamnation au criminel d'une organisation pourrait avoir sur ses employés et ses actionnaires et d'autres tierces parties. Autrement dit, cela vise à éviter que des innocents fassent les frais des méfaits, des actes répréhensibles et des malversations d'un petit nombre d'individus.
Nous nous souvenons de la réaction des Canadiens à l'égard des retraités de Sears qui étaient relégués à la fin de la file pour toucher leurs pensions, et nous avons les préoccupations bien réelles des travailleurs de GM à Oshawa. Les travailleurs ne devraient pas avoir à faire les frais des décisions ou des activités illégales de quelques cadres d'entreprise ou même de cadres intermédiaires, pour reprendre votre expression.
Je tiendrais le même discours si c'était une société pétrolière, gazière ou minière ou une entreprise de construction de l'Ouest canadien dont les travailleurs se trouveraient en position vulnérable s'ils étaient dans la même situation que les travailleurs, les fournisseurs et les retraités de SNC-Lavalin. Il y a eu certains commentaires au sujet de cette partie de la loi. Lorsque le poursuivant examine la possibilité d'un accord de réparation — et vous y avez fait allusion, monsieur Jull —, la mesure législative prévoit que:
dans le cas où l’infraction imputée à l’organisation est une infraction visée aux articles 3 ou 4 de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers, le poursuivant ne doit pas prendre en compte les considérations d’intérêt économique national, les effets possibles sur les relations avec un État autre que le Canada ou l’identité des organisations ou individus en cause.
Les considérations d'intérêt économique national sont un élément important. Vous nous avez aussi souligné une autre partie de la loi où il est question de l'atténuation des conséquences sur les travailleurs. Toutefois, même l'expression « intérêt économique national » ne signifie pas qu'un procureur général ne peut pas considérer les répercussions sur des employés précis, par exemple, ou des retraités ou les milliers de personnes qui travaillent pour l'entreprise et qui n'ont rien fait de mal. Qui plus est, bien que la loi interdise de prendre en compte les considérations d'intérêt économique national, la loi indique expressément les facteurs que le poursuivant peut prendre en compte, ce qui inclut « tout autre facteur qu'il juge pertinent ».
Diriez-vous que cela laisse une grande marge de manoeuvre au poursuivant, qui pourrait être le procureur général, pour prendre en compte une vaste gamme de facteurs, y compris les répercussions sur l'économie locale de la non-conclusion d'un accord de réparation? Nous avons déjà établi que le procureur général peut avoir des discussions avec le premier ministre dans son bureau au sujet de ces considérations, et vous pouvez vous imaginer que ces discussions porteraient sur des sujets très variés. Devons-nous comprendre que l'interdiction touchant les considérations d'intérêt économique national ne signifie pas que le poursuivant ne peut prendre en compte l'intérêt économique?