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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 072 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 25 octobre 2017

[Enregistrement électronique]

(1530)

[Traduction]

    Chers collègues et invités, nous allons commencer la réunion d'aujourd'hui.
    Je tiens à souhaiter la bienvenue aux témoins du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Nous reprenons notre étude du projet de loi C-51.
    Aujourd'hui, nous sommes heureux de souhaiter la bienvenue, à titre personnel, à Me Laurelly Dale, avocate à la Dale Law Firm. Bienvenue, maître Dale.
    Nous accueillons aussi Mme Carissima Mathen, vice-doyenne et professeure agrégée en droit dans la Section de common law de la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa. Bienvenue, madame Mathen.
    Nous accueillons de plus aujourd'hui Mme Elizabeth Sheehy, professeure, elle aussi, de la Section de common law de la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa. Bienvenue, madame Sheehy.
    Enfin, nous entendrons Hilla Kerner, membre du collectif, qui représente la Vancouver Rape Relief and Women's Shelter. Bienvenue, madame Kerner.
    Je crois savoir que Mme Kerner a demandé de passer en premier.
    Madame Kerner, la parole est à vous.
    Merci.
    J'espère que mon accent ne vous déroutera pas au début.
    Les femmes qui travaillent dans les centres d'aide aux victimes d'agression sexuelle n'ont pas eu besoin de la campagne « Moi aussi » pour savoir à quel point les femmes sont souvent victimes d'agression sexuelle et de viol. Dans notre monde, pour nous, être une fille ou une femme signifie que nous sommes susceptibles d'être agressées sexuellement. Si nous sommes pauvres ou autochtones, si nous sommes des femmes de couleur ou que nous avons des troubles cognitifs ou une déficience physique, nous sommes encore plus susceptibles d'être victimes d'agression sexuelle. Je dirais que c'est quasiment garanti.... et, oui, moi aussi, je l'ai été.
    Lorsque nous avons préparé notre mémoire, nous avons examiné les cas de près de 6 000 femmes victimes d'agression sexuelle ou de viol qui ont appelé dans notre centre d'aide aux victimes d'agression sexuelle au cours des cinq dernières années. Deux mille cinq cents femmes ont été violées par leur époux, petit ami ou amant, et 422 femmes l'ont été par un ancien partenaire après avoir mis fin à la relation. De plus, 234 femmes ont été agressées sexuellement, le plus souvent violées, par un superviseur ou un collègue de sexe masculin, et 1 100 femmes ont été agressées sexuellement par quelqu'un qu'elles connaissent superficiellement, souvent dans le cadre d'événements sociaux, comme une fête, par des amis mutuels ou par quelqu'un avec qui elles avaient un premier ou un deuxième rendez-vous. Trois cent trente femmes ont été violées par leur père lorsqu'elles étaient jeunes, et 471 autres femmes ont été agressées sexuellement ou violées par d'autres membres de leur famille ou des amis de la famille. En outre, 509 femmes ont été agressées par des hommes qu'elles ne connaissaient pas.
    Nous sommes reconnaissantes des efforts de la ministre de la Justice pour améliorer les dispositions sur les agressions sexuelles grâce aux modifications proposées dans le projet de loi C-51. Nous avons une objection, et c'est l'ajout du passage « il n'y a pas de consentement du plaignant dans les circonstances suivantes: il est inconscient ». Bien sûr, une femme inconsciente ne peut pas consentir, mais c'est quelque chose que prévoyait déjà la loi actuelle qui précise: « le consentement du plaignant ne se déduit pas [s']il est incapable de le former ».
    L'ajout peut être utilisé à mauvais escient par des avocats de la défense pour faire valoir que l'inconscience est le seuil de l'incapacité, et, comme, trop souvent, nous sommes témoins de cas où les juges ne connaissent pas les dispositions législatives sur les agressions sexuelles ni l'intention qui sous-tend ces lois et les arrêts de la Cour suprême précisant de quelle façon il faut appliquer la loi, il y a un grave danger que, dans de tels cas, les juges acceptent les arguments de la défense.
    Nous soutenons le passage proposé selon lequel aucun consentement n'est obtenu s'il n'y a « aucune preuve que l'accord volontaire du plaignant à l'activité a été manifesté de façon explicite par ses paroles ou son comportement ».
    Nous soutenons aussi l'expansion des dispositions sur la protection des victimes de viol par l'inclusion d'une communication à des fins d'ordre sexuel ou dont le contenu est de nature sexuelle. Nous soutenons le droit à une représentation juridique pour les victimes dans les procédures liées à la protection des victimes de viol.
    Pour ce qui est de la modification concernant les dossiers personnels de la victime, il s'est écoulé exactement 20 ans depuis l'adoption du projet de loi C-46 qui modifiait le Code criminel en y ajoutant des dispositions précises concernant la production et la communication des dossiers de l'accusé dans des procédures visant des agressions sexuelles.
    Nous sommes membres de l'Association canadienne des centres contre les agressions à caractère sexuel, l'ACCAS, depuis 1978. Au début, les membres de l'ACCAS avaient besoin de protéger des dossiers. Par conséquent, en 1981, ils ont adopté une résolution pour protéger la confidentialité des dossiers et de ce que les femmes leur avaient dit, peu importe ce que prévoyait la loi. Tenter d'obtenir les dossiers des femmes de centres d'aide aux victimes d'agression sexuelle est une tentative claire et évidente de miner la crédibilité d'une victime et constitue une violation de sa vie privée et de sa dignité. Il s'agit aussi d'une attaque directe sur les centres d'aide aux victimes d'agression sexuelle qui mine notre rôle de soutien aux différentes victimes, nos demandes que les hommes violents soient tenus responsables et notre combat général pour l'égalité et la liberté des femmes.
    Lorsque le projet de loi C-46 a été adopté, les féministes qui l'ont défendu l'ont décrit comme la meilleure solution, à défaut de celle qu'on demandait vraiment, soit de n'avoir à fournir aucun dossier en aucun temps. Les modifications actuellement proposées concernant les dossiers des femmes que possède l'accusé nous rapprochent de cette demande, et nous y sommes favorables.
    Malheureusement, de bonnes lois ne donneront rien si les juges ne les connaissent pas et, par conséquent, ne les appliquent pas. Nous sommes au courant de la récente tentative du Parlement pour régler ce problème et nous avons hâte de parler de ce dossier lorsque le projet de loi C-337 sera étudié devant le comité sénatorial pertinent.
(1535)
    L'ignorance des juges n'est qu'un des facteurs expliquant l'échec retentissant du système de justice pénale dans son ensemble de tenir les hommes responsables lorsqu'ils commettent des crimes violents contre des femmes. Des 6 000 cas que j'ai mentionnés tantôt, 1 800 ont été déclarés à la police, environ 30 ont mené à des accusations, et encore moins ont mené à des déclarations de culpabilité.
    Le sexisme courant et le dénigrement des femmes qui prévalent dans tous les aspects de nos vies privée et publique montrent aux hommes qu'ils peuvent nous voir et nous traiter comme des choses plutôt que comme des êtres humains à part entière. La pornographie est une promotion dévastatrice et efficace de la violence à caractère sexuel des hommes contre les femmes, et elle renforce ce genre de comportement. La prostitution est une promotion dévastatrice et efficace de la marchandisation sexuelle des femmes, les femmes étant utilisées comme une marchandise que les hommes peuvent acheter et vendre.
    Le problème, ce n'est pas vraiment que les hommes ne savent pas si une femme consent vraiment ou si elle veut vraiment avoir une relation sexuelle avec eux, le problème, c'est qu'ils s'en fichent. On leur permet de ne pas s'en soucier, parce qu'ils savent qu'ils peuvent violer des femmes en toute impunité.
    Nous utilisons souvent l'expression « culture du viol » pour parler de l'acceptation et de la promotion de la violence des hommes contre les femmes et de la collusion sous-jacente. Les hommes utilisent la culture du viol pour maintenir la structure du viol, une structure dans laquelle les hommes dominent et gardent les femmes dans une relation de soumission. L'accumulation et l'impact de tous les viols individuels commis par des hommes contre des femmes permettent de maintenir le pouvoir qu'ont tous les hommes sur toutes les femmes.
    Bien sûr, nous savons que ce ne sont pas tous les hommes. Nous savons que ce ne sont pas tous les hommes qui battent leur épouse, qui achètent des services sexuels, qui violent des femmes ou qui consomment de la pornographie, mais, de toute évidence, il y en a beaucoup. Nous le savons en raison de toutes les femmes qui appellent notre centre et d'autres centres d'aide aux victimes d'agression sexuelle et de toutes les femmes qui vivent dans notre maison de transition ou d'autres foyers. Et maintenant, quiconque porte attention à ce qui se passe le sait aussi, parce que, soudainement, toutes les femmes disent « moi aussi ».
    Nous croyons que les hommes peuvent changer, mais pas tant qu'ils ont la permission de violer notre intégrité physique et notre autonomie et qu'on les encourage à le faire. Il faut ébranler les piliers de la structure du viol et commencer par tenir responsables les hommes qui commettent des actes de violence contre les femmes. Jusqu'à présent, l'État canadien et son système de justice pénale ont failli à la tâche.
    La Charte canadienne des droits et libertés nous assure que: « la loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi ». Nous sommes maintenant en 2017, et les femmes n'y ont toujours pas droit, elles n'ont pas droit à la même protection et au même bénéfice de la loi.
    Merci.
    Todah rabah.
    Maître Dale, la parole est à vous.
    Merci, monsieur le président et merci aux membres du Comité. C'est un honneur et un privilège d'être ici.
    Je m'appelle Laurelly Dale. Je suis avocate de la défense pour la Dale Legal Firm. J'exerce le droit pénal depuis plus de 10 ans. Je travaille dans deux régions: le centre-ville de Toronto et le Nord-Ouest de l'Ontario; je couvre le grand district de Kenora. Je comparais aujourd'hui pour parler précisément de l'article 25 des modifications proposées dans le projet de loi C-51, et, plus précisément, les modifications visant à ajouter les nouveaux articles proposés 278.92, 278.93 et 278.94.
    J'ai écouté le témoignage de Breese Davies et de la Criminal Lawyers' Association. Je suis membre de cette association. Cependant, je comparais aujourd'hui à titre personnel. Je ne suis pas ici pour répéter les propos de la Criminal Lawyers' Association. Mme Davies a adopté la position selon laquelle les modifications sont trop générales et devraient être plus précises. Je peux dire pour ma part que je suis totalement opposée à la dernière version des modifications proposées.
    Nos lois sont très progressistes. Elles doivent être équitables et maintenir les principes de nos principales lois, notamment la Charte canadienne des droits et libertés. Elles ne doivent pas être réduites à des mots-clics dans les médias sociaux. Nous ne devons pas souscrire au mythe selon lequel tous les plaignants d'agression sexuelle sont des survivants de violence sexuelle et que, par conséquent, il faut toujours les croire sur parole.
    Les modifications dont je suis venue parler aujourd'hui ont aussi été appelées les modifications Ghomeshi. Elles violent l'article 7 et les alinéas 11b) et 11d) de la Charte, permettant, au bout du compte, la déclaration de culpabilité d'innocents. Ces violations se présentent de diverses façons. Aujourd'hui, je vais me concentrer sur les trois principales.
    Pour commencer, il y a les violations associées à l'article 7 et à l'alinéa 11d) qui s'attaquent à la présomption d'innocence des accusés et au droit à un procès équitable en déclarant de tels dossiers inadmissibles et en exigeant leur communication par la défense.
    La deuxième source importante de préoccupations sont les violations liées à l'article 7 puisque, pour la première fois, on interpellera les plaignants en tant que parties aux procédures criminelles contre les accusés. Un procès, c'est l'État contre l'accusé, pas l'État et le plaignant contre l'accusé. À cela s'ajoute la violation découlant du fait qu'on permet aux plaignants de participer à l'audience, ce qui supplante les raisons très valables pour exclure des témoins et qu'on leur permet de faire des déclarations.
    La dernière violation est liée aux retards possibles que tout cela causera, au bout du compte, ce qui va à l'encontre de la récente décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Jordan, maintenue dans l'arrêt Cody, puisqu'on rallonge d'au moins trois ou quatre jours l'audition préalable de l'accusé et qu'on y fait intervenir une tierce partie.
    Il revient à la Couronne de prouver les allégations associées aux infractions sexuelles. C'est la Couronne qui a l'obligation de prouver chaque élément de l'infraction. L'accusé n'a rien à faire. La Couronne tente de prouver ce qu'elle avance en présentant le témoignage du plaignant. Les cas d'agression sexuelle sont généralement fondés sur la crédibilité du plaignant puisqu'il n'y a pas d'autre preuve. Les éléments de preuve liés aux infractions présentés devant le tribunal par la Couronne sont fondés sur l'hypothèse de la véracité de ce que dit le plaignant. La défense a ensuite l'occasion de vérifier les éléments de preuve de la Couronne et de prouver que la partie plaignante n'est pas crédible.
    Cette vérification se fait grâce au contre-interrogatoire et elle doit toujours être pertinente. L'accusé peut alors choisir de témoigner ou de présenter d'autres éléments de preuve. La Couronne a ensuite la possibilité de mener des contre-interrogatoires elle aussi. Le juge des faits, qui tient compte de tous les éléments de preuve admissibles, rend la décision.
    La ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould affirme que les modifications augmenteront les protections dont bénéficient les victimes d'agression sexuelle et garantiront l'équité des procès. Je me demande de quelle façon on pourra le faire à la lumière de ces violations de la Charte. Devant un comité, la ministre de la Justice a dit la semaine dernière que les modifications n'allaient pas créer d'obligation de communication pour la défense. Je me demande de quelle façon cela est possible alors que c'est clairement la procédure établie dans l'article.
    La pertinence et l'importance des documents peuvent être évaluées au moment de leur présentation durant le contre-interrogatoire. Pour quelle raison l'accusé doit-il communiquer les éléments de preuve qu'il veut utiliser durant un contre-interrogatoire? Il ne faut pas affaiblir le critère du doute raisonnable dans ces cas. La présomption d'innocence est la pierre angulaire de notre système de justice pénale.
    Au titre de l'article 25, toute la correspondance qu'a en sa possession l'accusé est présumée inadmissible, sauf si l'accusé peut convaincre le juge qu'on devrait pouvoir la communiquer conformément à huit facteurs de fond. J'ai souligné que sept des huit facteurs ont pour objectif la protection du plaignant, et un seul mentionne le droit de l'accusé de présenter une défense pleine et entière. Je reconnais que ce n'est pas un point de vue populaire, mais c'en est un qu'il faut énoncer, soit que l'accusé est présumé innocent et qu'il faut protéger ses droits garantis par la Charte.
(1540)
    De plus, au moment d'interpréter cet article, il est important de souligner que les renseignements que possède la défense sont des communications produites par les plaignants eux-mêmes. Ce sont des renseignements que les plaignants ont choisi intentionnellement de ne pas fournir à la police et au procureur de la Couronne et qui sont pertinents à l'incident allégué.
    L'amendement Ghomeshi exige de la défense qu'elle fournisse ces renseignements au plaignant et à la Couronne avant le procès. Le fait d'avertir le plaignant d'avance que la défense peut faire ressortir sa malhonnêteté peut pousser ce dernier à fabriquer une réponse. Cette modification permet au plaignant de corriger ses erreurs aux dépens de l'équité du procès pour l'accusé.
    Dans Nyznik, une affaire récente de 2017, qui s'est soldée par l'acquittement de trois personnes accusées d'agression sexuelle, le juge Molloy de la Cour supérieure de justice de l'Ontario a déclaré ce qui suit au paragraphe 17:
Même si le slogan « Croyez la victime » est devenu populaire dernièrement, il n'a pas sa place dans un procès criminel. Aborder un procès avec l'hypothèse que le plaignant dit la vérité est l'équivalent d'imposer une présomption de culpabilité à la personne accusée d'agression sexuelle, exigeant ensuite d'elle qu'elle prouve son innocence.
    Le système actuel fonctionne. Dans la récente affaire de D.A.E. — qu'on trouve au cinquième onglet des documents que je vous ai fournis —, l'avocat de la défense a utilisé les documents en sa possession, et, à la lumière de l'ensemble de la preuve et vu que l'information avait été utilisée durant le contre-interrogatoire, le juge a tout de même déclaré l'accusé coupable.
    On trouve au cinquième onglet une récente décision de la Cour supérieure de justice de l'Ontario, dossier dans lequel il a été affirmé que les mythes au sujet des victimes et des délinquants sexuels n'ont pas leur place dans notre système de justice pénale. Au paragraphe 60, le juge a déclaré ce qui suit:
Je souscris à ce qu'a dit le juge de première instance, soit qu'il faut faire attention pour rejeter [...] les idées stéréotypées au sujet du comportement des femmes. Parallèlement, nous ne devons pas adopter [...] des hypothèses au sujet des hommes et de leur tendance à commettre des viols.
    La protestation populaire associée au cas Ghomeshi ne doit pas être utilisée pour miner la présomption d'innocence. Les procès dans les médias ne doivent pas enfreindre les droits des accusés.
    Comme prévu, je vais rapidement parler de la deuxième modification importante.
    Un procès criminel, par sa nature, est un procès entre l'État et une personne. Personne d'autre n'est partie à ces procédures, peu importe le cas. Le plaignant n'est pas partie aux procédures. Les conséquences d'une décision pénale ne s'appliquent pas à lui. Le fait de permettre à un plaignant de participer, contre l'accusé, à d'autres aspects du dossier, comme le travail de la Couronne ou les phases précédant l'instruction, est une pente glissante. Par conséquent, il y a un risque que des personnes innocentes soient déclarées coupables.
    De plus, il arrive souvent, au début d'un procès criminel, qu'un juge rende une ordonnance pour exclure des témoins, et ce, pour des raisons évidentes. C'est essentiel pour découvrir la vérité. Comme le juge Abbey l'a déclaré dans la décision Jenkins:
Le principe général et primordial sous-jacent à une ordonnance d'exclusion vise le maintien, dans la mesure du possible, dans le cadre de la recherche de la vérité, de la pureté de la preuve.
    Ici, c'est l'article 7 de la Charte qui est enfreint, puisque cette modification permet au plaignant de témoigner sachant d'avance quelle est la preuve, ce qui mine l'équité du procès auquel a droit l'accusé. Divers pans du contre-interrogatoire sont révélés, et la personne a l'occasion de corriger les problèmes liés à son témoignage.
    La dernière violation est liée au possible retard que cela créera inévitablement en raison de l'ajout de trois à cinq jours d'audience 60 jours avant le procès.
    Comme il est souligné à l'onglet 9, l'arrêt Jordan est la jurisprudence maintenue par la Cour suprême du Canada relativement aux retards qui sont présumés déraisonnables lorsqu'ils durent plus de 18 mois dans le cas des tribunaux provinciaux, ou 30 mois, dans le cas des tribunaux fédéraux. Les ressources fournies à l'accusé ne sont pas les mêmes que celles fournies au plaignant. On ne sait pas si, une fois ces modifications adoptées, d'autres ressources seront fournies, comme l'aide juridique, et si ces requêtes préalables au procès seront financées. Je me fais l'écho des commentaires de Breese Davies, qui se préoccupait du déséquilibre des ressources.
    Enfin, dans mes documents, j'ai inclus un certain nombre de documents liés aux conséquences d'une déclaration de culpabilité pour agression sexuelle qu'il faut garder à l'esprit lorsqu'on réfléchit à ces modifications et à de possibles condamnations injustifiées. Si les modifications sont acceptées, l'équilibre du procès sera totalement chamboulé. Il y aura des violations de la Charte, et, au bout du compte, des personnes innocentes seront déclarées coupables.
    Voilà qui termine ma déclaration. Merci.
(1545)
    Merci beaucoup.
    Madame Mathen.
    Merci.
    Au cours des derniers mois, il y a eu beaucoup de débats sur les lois canadiennes en matière d'agression sexuelle. Des événements dramatiques ont fait en sorte que des gens ont demandé à ce que la loi soit complètement revue. Même si tout cela est compréhensible, de telles demandes sont exagérées. En fait, le Canada compte l'un des cadres les plus progressistes en matière d'agression sexuelle dans le monde. Malgré tout, il y a certaines modifications qui permettraient d'accroître l'uniformité entre le Code criminel et la jurisprudence de la Cour suprême, de façon à mieux refléter l'intention du Parlement et à promouvoir les réactions optimales à la violence sexuelle.
    Le projet de loi C-51 contient un certain nombre de tels changements, que je suis heureuse de soutenir. Je vais me concentrer sur les changements proposés au droit applicable au consentement, à l'article 273, et aux utilisations non-admissibles des antécédents sexuels, à l'article 276. Ces changements sont contenus aux articles 19 et 20 et dans la première partie de l'article 21.
    L'article 19 précise les conditions — déjà énoncées à l'article 273.1 —, dans lesquelles aucun consentement à des contacts sexuels n'est légalement possible. Je suis d'accord avec la proposition d'inclure précisément l'inconscience et de décrire clairement que les autres formes d'incapacité qui s'en rapprochent peuvent nuire à la capacité légale d'une personne de consentir.
    Certains ont fait valoir que, à la lumière de la jurisprudence de la Cour suprême, ce changement est redondant. Je ne suis pas d'accord. Il est toujours approprié — en fait, c'est louable et même essentiel — pour le Parlement de confirmer les décisions en common law avec lesquelles il est d'accord. C'est tout particulièrement vrai dans le domaine du droit pénal. Une expression aussi claire de l'intention législative protège les principes importants contre des changements judiciaires subséquents. Je tiens à rappeler au Comité la décision importante d'un tribunal dans la décision Regina c. J.A. Dans cette affaire, le tribunal a rejeté l'idée qu'une personne puisse donner d'avance son consentement à une relation sexuelle inconsciente. Il s'agit d'une décision majoritaire à laquelle se sont opposés vigoureusement trois juges.
    Certains ont aussi fait valoir que cette modification pourrait pousser les juges de première instance à exiger l'inconscience complète avant d'appliquer la règle concernant le consentement. Dans la mesure où un tel risque existe — une proposition que je n'admets pas nécessairement —, je crois que le nouvel alinéa b) l'élimine.
    Permettez-moi maintenant de passer à l'article 20 et à la modification qu'il propose d'apporter à l'article 273.2. L'un des aspects les plus importants et distinctifs de la jurisprudence canadienne en matière d'agression sexuelle, c'est qu'on réduit la capacité de l'accusé d'utiliser la défense de croyance sincère, mais erronée, une défense qui a pour effet d'éliminer l'intention criminelle.
    Dans l'arrêt Regina c. Ewanchuk, une décision unanime, la Cour suprême a déclaré qu'un accusé ne peut pas s'appuyer sur des erreurs de droit au sujet du consentement pour faire valoir une croyance sincère, mais erronée. La Cour a donné un certain nombre d'exemples, comme la croyance que le consentement est démontré par un comportement passif ou ambigu.
    Selon moi, les limites liées à la définition du consentement établies à l'alinéa 273.3 sont considérées de façon appropriée comme des erreurs de droit. Par conséquent, je suis favorable à l'objectif de l'article 20, qui est de préciser que ces limites ne sont pas admissibles pour une défense de croyance sincère, mais erronée. Cependant, je suis préoccupée par le libellé actuel du sous-alinéa proposé 273.2 a)(iii), qui mentionne « soit de l’une des circonstances dans lesquelles il n’y a pas de consentement », qui pourrait créer de la confusion en ce qui a trait à la distinction entre les faits et le droit lorsqu'il est question de consentement.
    Si l'on présume que l'intention, ici, consiste à retirer à l'accusé la capacité de s'appuyer sur des erreurs de nature juridique plutôt que des erreurs factuelles, je recommanderais soit d'inclure dans cette nouvelle disposition une mention quelconque de l'expression « erreur de droit », soit de faire en sorte qu'il soit clair qu'il s'agit de circonstances où l'on juge que le consentement n'a pas été obtenu. Utiliser le mot « présumément » pourrait préciser que l'intention, ici, est d'empêcher l'accusé de s'appuyer sur une interprétation légalement non admissible du consentement. Il s'agirait aussi d'un message très fort du Parlement sur la nature des limites liées au consentement à l'article 273.1.
    Je suis aussi d'accord avec la proposition, au paragraphe 20(3), selon laquelle il faut s'assurer qu'une croyance sincère, mais erronée au consentement doit s'appuyer, d'une façon ou d'une autre, sur des éléments de preuve que le consentement a été communiqué. Cette modification est conforme au raisonnement de la Cour suprême dans l'arrêt R. c. Ewanchuk. De tels niveaux de preuve ne sont pas rares. Je crois qu'il est approprié de s'assurer que la défense est fondée sur des éléments de preuve qui sont liés d'une façon ou d'une autre à la façon dont le Parlement a défini le consentement aux fins des contacts sexuels.
    Enfin, permettez-moi de passer à la modification contenue à l'article 21 et qui concerne les antécédents sexuels, ce qu'on appelle communément la disposition de « protection des victimes de viol ».
(1550)
    Le traitement des antécédents sexuels des plaignants est un problème tenace auquel fait face le système de justice pénale. L'actuel article 276 du Code a fait partie d'une réforme juridique phare de 1992. Le paragraphe 276(1) prévoit que la preuve d'une activité sexuelle n'est pas admissible pour permettre de déduire, à la lumière d'un comportement sexuel antérieur, qu'un plaignant est plus susceptible d'avoir consenti à l'activité à l'origine de l'accusation ou qu'il est un témoin moins digne de foi. C'est ce qu'on appelle le double mythe de l'agression sexuelle. Il faut comprendre que l'utilisation de telles preuves à de telles fins est interdite.
    Au titre des paragraphes 276(1) et 276(3), un processus distinct s'applique lorsqu'on veut envisager l'admissibilité d'activités sexuelles antérieures pour soutenir différentes inférences. Malheureusement, la distinction entre le paragraphe 276(1) et le reste de l'article 276 est devenue floue. Certains juges ont appliqué le cadre décrit dans les paragraphes subséquents, les paragraphes 276(2) et 276(3), à des inférences qui sont clairement interdites par le paragraphe 276(1).
    Il n'y a aucune façon de s'y prendre pour appuyer l'admission de preuves visant à soutenir le double mythe. En précisant que les paragraphes 276(1) et 276(2) concernent des utilisations distinctes des éléments de preuve liés aux antécédents sexuels, le changement proposé règle ce problème. Cette modification est conforme au rejet précis, unanime et complet du double mythe dans la décision R. c. Seaboyer, confirmée plus tard dans la décision R. c. Darrach ainsi qu'à l'intention initiale qui animait le Parlement.
    Voilà qui conclut ma déclaration préliminaire.
(1555)
    Merci beaucoup.
    Madame Sheehy, la parole est à vous.
    Honorables membres du Comité, je témoigne au sujet du projet de loi à titre personnel et j'ai une expertise au chapitre du droit relatif aux agressions sexuelles. On m'a demandé tout juste ce matin de comparaître en tant que représentante du Centre d'aide aux victimes de viol d'Ottawa. Notre directrice générale n'a pas pu être ici. Elle se déplace un peu partout en Ontario pour travailler auprès de 11 services de police et essayer de les convaincre des avantages de ce qu'on appelle le modèle de Philadelphie en matière de services de police. Elle m'a demandé, en ma qualité de secrétaire du conseil, de parler au nom de l'organisation. Je suis professeure de droit et experte dans le domaine du droit relatif aux agressions sexuelles. J'ai plus de 30 ans d'expérience en enseignement, en recherche et en défense des droits des femmes victimes de violence sexuelle.
    Le Centre d'aide aux victimes de viol d'Ottawa est le troisième centre d'aide aux victimes de viol qui ait ouvert ses portes au Canada. Il a été créé en 1974. Depuis 43 ans, le personnel du centre fournit un soutien téléphonique en cas de crise, du counseling en personne et du counseling de groupe à des milliers de victimes chaque année. Dans le contexte actuel, le nombre de victimes augmente de façon exponentielle. Le Centre est une organisation féministe qui s'est battue inlassablement pour générer des changements juridiques et stratégiques aux échelons local, provincial et national afin de protéger le droit des femmes de déclarer les agressions sexuelles et de s'assurer que ces crimes contre les femmes fassent l'objet d'enquêtes, de poursuites et de jugements prononcés de façon professionnelle et compte tenu des droits à l'égalité des femmes.
    Le Centre d'aide aux victimes de viol d'Ottawa a remis en question les pratiques des services de police, qui considéraient comme non fondées les plaintes d'agression sexuelle des femmes, ainsi que les lacunes des services de police documentées depuis aussi loin que 1975. Actuellement, notre directrice générale, Sunny Marriner, est une chef de file au pays et elle défend avec succès le modèle de Philadelphie, un modèle qui exige l'examen, par des défenseurs indépendants de la lutte contre la violence faite aux femmes, des dossiers des services de police liés aux enquêtes d'agression sexuelle.
    En mon nom et au nom du Centre d'aide aux victimes de viol d'Ottawa, je tiens à dire que nous soutenons de façon générale le projet de loi. Nous voyons là un effort important du gouvernement pour remédier aux pratiques discriminatoires du système de justice pénale et inspirer aux femmes la confiance nécessaire pour déclarer la violence sexuelle dont elles sont victimes. Cette réforme est assez pressante, tandis que les femmes inondent les médias traditionnels et les médias sociaux avec leurs déclarations de victimisation, et ce, même si le taux de déclaration par les femmes a chuté, passant de un sur dix à un sur vingt au cours des dernières années. Par conséquent, il y a actuellement une crise en ce qui a trait à la crédibilité du système de justice pénale et son traitement des crimes axés sur la violence sexuelle.
    Je tiens à commencer par souligner que nous soutenons la disposition exigeant que tous les projets de loi incluent un énoncé concernant la Charte pour évaluer la conformité avec la Constitution du Canada. Nous espérons que cet examen de la conformité inclura une évaluation de l'incidence de chaque projet de loi sur les droits à l'équité des femmes garantis à l'article 15 et les droits des femmes à la sécurité de leur personne et à un procès équitable, qui sont prévus à l'article 7. Lorsqu'on évalue des lois pénales qui influeront sur les droits des accusés, la Charte exige que nous tenions aussi compte des intérêts analogues des plaignants garantis par la Charte.
    Selon nous, le projet de loi modernise le droit pénal à la lumière des réalités sociales actuelles en ce qui a trait au rôle que jouent les médias sociaux dans le cadre des activités sexuelles et relativement à la violence sexuelle perpétrée par des hommes contre les femmes. Par conséquent, nous soutenons la disposition qui caractérise les communications à des fins d'ordre sexuel ou dont le contenu est de nature sexuelle aux fins d'application des règles régissant la recevabilité des éléments de preuve sur les antécédents sexuels. De plus, cette disposition est conforme aux décisions de certains tribunaux qui, avant même l'adoption du projet de loi, ont interprété les messages texte de nature sexuelle comme étant une activité sexuelle aux fins de la disposition de protection des victimes de viol. Par conséquent, d'une certaine façon, il ne s'agit pas là d'un changement important du droit.
    Nous soutenons aussi les dispositions qui fournissent la qualité pour agir et l'accès à une représentation juridique aux plaignants visés par des demandes de communication de leurs activités sexuelles antérieures émanant de la défense en tant qu'éléments de preuve dans le cadre du procès. Cette disposition reflète les dispositions concernant les droits des plaignants d'avoir qualité pour agir et de pouvoir être représentés au moment de réagir aux demandes de la défense sur l'admission de leur dossier personnel. Précédemment, nous ne comprenions pas pourquoi les femmes avaient le droit de défendre leur vie privée et leurs dossiers personnels, ce qui n'était pas le cas lorsqu'il était question de leurs activités sexuelles personnelles.
    Selon nous, l'expansion du cadre des dossiers prévus dans le projet de loi pour inclure les dossiers personnels que possède l'accusé, même en l'absence de fins d'ordre sexuel ou de conduite de nature sexuelle est aussi une percée importante qui permet de protéger la vie privée des femmes. Même si nous reconnaissons que la disposition a une portée plus large, cela signifie qu'aucun avantage ne peut être tiré de l'interception extrajudiciaire de journaux intimes ou d'autres documents du genre. Il est vrai que la défense perdra un élément de surprise puisqu'elle devra faire approuver la recevabilité de tels documents, mais il faut aussi reconnaître que les plaignants eux-mêmes dans les procès pour agression sexuelle sont exposés à certaines formes de risque qu'il faut reconnaître et auquel il faut s'adapter.
(1600)
    Le projet de loi C-51 permet aussi de codifier certains aspects du droit liés aux agressions sexuelles qui ont déjà été établis par la Cour suprême du Canada lorsqu'elle interprète le régime législatif. Même si ces modifications sont, à proprement parler, inutiles, nous soutenons les modifications qui n'ajoutent pas de confusion dans le cadre législatif déjà très complexe concernant les agressions sexuelles.
    Par exemple, le Centre d'aide aux victimes de viol d'Ottawa soutient la disposition exigeant que soient soumis des éléments de preuve selon lesquels une plaignante a exprimé son accord volontaire à un contact sexuel pour qu'un accusé puisse utiliser la défense de croyance erronée au consentement, même s'il s'agit non pas d'un changement d'un point de vue législatif, mais d'un simple rappel de la façon dont la loi a été interprétée par la Cour suprême du Canada il y a près de 20 ans dans l'arrêt Ewanchuk.
    Cependant, nous sommes très préoccupés par le fait que la disposition visant à codifier la décision J.A. ne rate la cible. Elle crée une possible confusion et pourrait, par inadvertance, limiter les interprétations juridiques de la notion d'incapacité. Nous affirmons une telle chose parce que les notes d'introduction du projet de loi décrivent cette disposition comme une codification de la décision J.A. Cependant, bien avant la décision J.A., les tribunaux avaient tranché que les personnes inconscientes ne peuvent pas consentir — comment pourrait-il en être autrement? — et, en fait, la décision J.A. reflète un principe beaucoup plus important: qu'on ne peut pas consentir d'avance à une activité sexuelle durant laquelle on est inconscient.
    Ce serait merveilleux si le projet de loi codifiait vraiment la décision J.A. pour enchâsser le principe dans la loi, particulièrement parce que, comme Mme Mathen l'a souligné, il s'agissait d'une décision majoritaire, pas d'une décision unanime. Je crois que ce serait merveilleux si, en fait, cette loi codifiait la décision J.A., ce qu'elle ne fait pas actuellement.
    L'autre problème qui nous inquiète... il est vrai que le projet de loi n'exclut pas la possibilité que l'incapacité puisse inclure des états qui s'approchent, mais pas complètement, de l'inconscience. Je crois que le projet de loi devrait aller plus loin et le dire explicitement, ce qu'il ne fait pas dans sa forme actuelle. Il laisse tout simplement la porte ouverte à la possibilité qu'il pourrait y avoir d'autres façons pour une personne d'être incapable. En fait, selon nous, il faudrait aller plus loin et commencer à décrire les facteurs dont les juges devraient tenir compte lorsqu'ils tentent de déterminer l'incapacité en deçà de l'inconscience complète.
    Voilà qui termine ma déclaration. Merci.
    Je tiens à remercier tous les témoins de leur déclaration très convaincante. Vos témoignages étaient excellents.
    Nous allons maintenant commencer par M. Nicholson.
    Merci beaucoup de vos témoignages. D'un côté, ils étaient très utiles, mais, de l'autre, ils rappellent à quel point ces domaines peuvent être compliqués.
    Madame Kerner, merci beaucoup encore une fois de votre témoignage. L'une des choses que vous avez soulignées, c'est la codification des dispositions selon lesquelles l'activité sexuelle ne peut pas avoir lieu lorsque le plaignant est inconscient. Vous étiez préoccupée par ces dispositions, par le fait qu'elles pourraient être limitatives. Vous avez peut-être remarqué que Mme Mathen a souligné qu'il y a une deuxième partie dans cet article qui prévoit qu'un plaignant ne peut pas consentir à une activité pour quelque raison que ce soit à part celle mentionnée à l'alinéa précédent.
    Ne diriez-vous pas que, en fait, l'objectif ici n'est pas d'imposer des limites, mais de codifier les choses? À l'opposé, je crois qu'il est très clair dans l'alinéa suivant que, en fait, il n'y a là rien d'exclusif, qu'il y a d'autres façons par lesquelles le consentement peut être...
(1605)
    Je crois que c'est vrai, mais comme Liz Sheehy l'a dit au nom du Centre d'aide aux victimes de viol d'Ottawa, nous adoptons la même position que d'autres groupes de femmes. En général, le système actuel ne fonctionne pas dans les faits. Le jugement de la Cour d'appel de l'Alberta produit il y a quelques mois et exigeant un nouveau procès pour l'acquittement de Bradley Barton, qui, de son propre aveu, a tué Cindy Gladue, montre à quel point il y a beaucoup de stéréotypes, de mythes et d'ignorance, en fait, chez les juges lorsque vient le temps d'interpréter et de comprendre la loi relative aux agressions sexuelles.
    Tant que ce problème n'est pas réglé, tant que nous n'avons pas un système qui fonctionne bien et, bien sûr, qui assure à l'accusé un procès équitable — ce n'est dans l'intérêt de personne d'avoir des procès injustes, parce que nous voulons la démocratie, nous la voulons pour les femmes, et nous la voulons pour tout le monde —, je crois qu'il y a beaucoup de place à l'erreur dans la compréhension qu'ont les juges de la loi.
    Ne diriez-vous pas qu'il est d'autant plus justifié, dans ce cas-là, de codifier ces différentes dispositions plutôt que, comme vous le dites, de laisser les tribunaux les interpréter comme bon leur semble? En codifiant le tout, ici, nous donnons aux tribunaux des instructions directes ou des descriptions de ce qui est ou n'est pas légal.
    Liz Sheehy peut probablement répondre elle aussi à la question, mais je crois que ce n'est pas la bonne codification.
    Si le législateur veut fournir beaucoup d'exemples de ce que signifie l'incapacité, ce sera utile, mais il est dangereux de relever le seuil.
    D'après ce que j'en avais compris, le projet de loi codifiait le seuil, mais ce n'était pas... Madame Mathen, vous avez souligné — comme Mme Sheehy — qu'il y a des avantages à la codification des différentes décisions, plutôt que de tout simplement les laisser là sans rien faire, et, assurément, cela va aussi aider les avocats qui exercent dans le domaine. Ils n'auront pas à s'appuyer seulement sur leur interprétation des décisions de common law dans le domaine, puisque les principes seront enchâssés dans la loi.
    N'êtes-vous pas d'accord avec cette affirmation? L'idée, ce n'est pas seulement de codifier ce qui se fait déjà, mais on ajoute une certaine certitude, j'imagine, pour quiconque exerce le droit, lorsque les principes sont enchâssés dans la loi.
    C'est vrai. La codification ajoute de la certitude. Elle confirme les choses. Elle assure l'uniformité entre le Code criminel et la common law. J'aimerais cependant souligner, bien sûr, que les lois l'emportent sur les principes de common law, et si la common law peut être modifiée bien plus facilement, on accorde aux lois plus d'égards. Pour ces raisons, je crois qu'il est très important pour le législateur de décider, de temps en temps, quels sont les éléments de common law avec lesquels il est d'accord.
    On pourrait proposer l'argument inverse, mais, assurément, si le législateur est d'accord, je crois qu'il est tout à fait louable pour lui de s'assurer de refléter ces principes dans les lois.
    Madame Sheehy.
    Je suis d'accord avec l'idée de la codification, si elle est représentative de la décision. Voici ce que j'essaie de dire: on ne clarifie pas ici la confusion. Le fait de dire qu'il s'agit d'une codification de la décision J.A. ajoute de la confusion. Ce n'est pas le cas. Une codification de la décision J.A. mentionnerait le principe précis selon lequel on ne peut pas consentir d'avance à une activité sexuelle qui se produira lorsqu'on est inconscient.
    La deuxième chose que je veux souligner... oui, c'est vrai. La disposition, comme Mme Mathen l'a souligné, est ouverte, mais une interprétation de cette disposition pourrait être qu'elle renvoie à d'autres formes d'incapacités, comme un handicap, plutôt qu'à des états qui s'approchent de l'inconscience. Je crains qu'on indique d'une certaine façon aux juges que la clé, c'est l'inconscience, et qu'il peut y avoir d'autres formes de maladie mentale, par exemple, d'incapacité mentale, qui peuvent constituer ces autres formes d'incapacité.
    Avez-vous des commentaires à formuler à ce sujet, madame Dale, en ce qui a trait à la codification des différentes décisions judiciaires, ici, et si le projet de loi reflète ces décisions?
    Je n'ai rien à ajouter. Mes commentaires se limitent à l'article 25.
(1610)
    C'est très bien.
    Voilà qui termine mes commentaires, monsieur le président. Merci beaucoup.
    Merci beaucoup, monsieur Nicholson.
    Monsieur Fraser.
    Merci, monsieur le président.
    Merci beaucoup à vous tous de votre présence aujourd'hui et de vos exposés intéressants.
    Madame Mathen, vous avez abordé rapidement le sujet, et nous avons déjà parlé de la codification de la décision J.A. Pouvez-vous nous parler de la façon dont les dispositions dans le projet de loi aident à conclure que le consentement n'était pas donné dans les cas où la victime est proche de l'inconscience, par exemple? Pouvez-vous nous en parler rapidement?
    Assurément. Bien sûr, la loi actuelle a toujours dit que l'incapacité en tant que telle influe sur les capacités d'une personne à consentir en droit. L'expansion actuelle pourrait, en un sens, faire une distinction avec la mention précise d'inconscience, puis le plaignant est incapable de consentir pour une quelconque raison à part celle mentionnée, c'est-à-dire l'inconscience.
    C'est simplement une ligne directrice, je crois, à l'intention des juges et des juges de fait qu'un certain nombre d'états peuvent miner la capacité d'une personne de consentir. C'est vrai, il reste du travail à faire en ce qui a trait à la détermination du moment où quelqu'un devient en état d'ébriété, par exemple. Ce sont des questions très difficiles qui, dans une certaine mesure, seront limitées à des circonstances factuelles précises, mais, assurément, je crois qu'il est utile, au moins, de distinguer les diverses façons dont une personne pourrait être incapable de consentir.
    Merci.
    Lundi, deux ou trois témoins ont parlé de la croyance erronée au consentement et ont dit que les changements, ici, et la tentative de codifier la décision Ewanchuk allait au bout du compte éliminer toute défense de croyance erronée au consentement, tant en droit qu'en fait. D'après ce que j'ai compris, la codification de la décision Ewanchuk vise à refléter ce que prévoit le droit, c'est-à-dire qu'on ne peut pas avoir une croyance erronée au consentement au regard du droit, mais qu'une telle croyance erronée pourrait tout de même exister en fait.
    Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez: éliminerait-on effectivement toute défense fondée sur la croyance erronée au consentement?
    Je ne crois pas que ce serait le cas. Je ne crois pas que le simple fait d'enlever la capacité de faire valoir une erreur de fait quant à savoir si un consentement a été donné respecterait la Charte.
    Il convient de souligner que la croyance erronée au consentement est seulement prise en considération durant un procès criminel lorsque la Couronne a prouvé que, en fait, il n'y avait pas de consentement. C'est à ce moment-là que l'enjeu de l'erreur devient important. Par conséquent, c'est une question de fait, mais il est tout de même approprié pour le législateur de donner une certaine importance aux circonstances en vertu desquelles nous pouvons excuser quelqu'un qui a fait une erreur de fait.
    La Cour suprême a dit que les croyances au sujet du consentement ne peuvent pas être fondées sur des erreurs de droit. C'est quelque chose qui a été dit clairement dans la décision Ewanchuk. Mon argument, c'est que le législateur l'a aussi fait dans les limites prévues à l'article 273.1. C'est la raison pour laquelle, en ce qui a trait à ce point précis, je suis un peu préoccupée par le libellé actuel de l'article 20, le sous-alinéa 273.2a)(iii) proposé, qui, comme je l'ai souligné, fait en sorte qu'il semble être seulement question du contexte factuel. Je suggérerais d'utiliser certains mots pour indiquer que, ce à quoi on fait référence, ici, c'est la compréhension juridique du consentement.
    Merci beaucoup. Ce que vous dites est utile.
    Madame Dale, vous avez mentionné dans votre exposé, au sujet du nouveau processus d'audience pour les dossiers en possession de l'accusé, que cela pourrait exiger une audience de trois à cinq jours 60 jours avant le procès. Pour commencer, d'où tirez-vous ces chiffres, cette idée d'une audience de trois à cinq jours?
    Ensuite, l'avis de 60 jours, dans le projet de loi ne concerne-t-il pas la production de documents ou une demande pour que des documents soient produits, et pas la période d'avis de sept jours accordée que l'accusé aurait à respecter pour présenter en preuve des documents ou des dossiers en sa possession?
    Je vais répondre à la première partie de votre question. C'est une très bonne question. En ce qui a trait à l'estimation de la période de trois à cinq jours, bien sûr, c'est une simple estimation. Les procès pour agression sexuelle, au cas par cas, peuvent durer une demi-journée ou une journée, au plus, lorsqu'on parle de la durée du procès, et, par conséquent, il ne faudrait peut-être qu'une ou deux heures d'audience à cette fin. L'estimation des trois à cinq jours est une moyenne des affaires d'agression sexuelle.
    Si nous regardons le cas Ghomeshi, dans ce cas, il y avait plus de 5 000 messages, des courriels qui étaient utilisés par son avocat pour établir la collusion, miner la crédibilité et harmoniser certaines des défenses liées au consentement qui ont été utilisées dans ce cas. Pour 5 000 messages, il faudrait prévoir une audience beaucoup plus longue que les trois à cinq jours.
    De plus, j'ai tenu compte dans cette estimation du fait que, si le plaignant est maintenant ajouté en tant que partie aux procédures, et si on lui permet d'intervenir durant ces audiences, il faudra prévoir du temps supplémentaire pour lui et son avocat afin qu'il puisse intervenir durant l'audience aussi.
(1615)
    Le plaignant serait seulement ajouté afin de pouvoir intervenir durant l'audience. Vous ne laissez pas entendre qu'il serait là pour toutes les procédures.
    D'après ce que j'ai compris de la version préliminaire, le plaignant pourra participer à l'audience et intervenir.
    Exactement.
    Et qu'en est-il de la période d'avis de 60 jours? C'est pour la production, n'est-ce pas. On ne parle pas ici de l'avis de sept jours requis pour l'audience dont nous parlons. Est-ce ce que vous avez compris?
    D'après ce que j'ai compris, il faut prévoir 60 jours avant le procès. Cependant, c'est mon interprétation de la loi.
    Merci. Mon temps est probablement écoulé.
    Merci beaucoup, monsieur Fraser.
    Monsieur Angus.
    Merci, monsieur le président.
    Merci de nous avoir présenté cet excellent exposé.
    Je vais commencer par Mme Sheehy. Si nous parlons de codifier les principes liés au consentement afin que nous puissions préciser les règles dans ces cas très troublants qui se retrouvent devant les tribunaux, n'aurons-nous pas le même problème qu'avant, soit que les juges décident d'interpréter ce que signifie le consentement tout le temps?
    Actuellement, au Québec, il y a le cas d'un juge qui, relativement à l'agression sexuelle d'une adolescente dans un taxi, a laissé entendre qu'il y avait différents niveaux de consentement, que le fait qu'un homme ait pris une fille de 17 ans et ait commencé à l'embrasser sans son consentement est associé à un niveau de consentement inférieur que s'il avait posé d'autres actes physiques à son égard. Il s'agit tout de même d'actes de violence. De quelle façon pouvons-nous codifier tout ça si les juges continuent de faire fi des droits fondamentaux des victimes?
    Eh bien, le projet de loi ne prétend pas régir la formation des juges ni leur responsabilité. Bien sûr, je partage votre préoccupation quant au fait qu'il y a des problèmes persistants, car des juges échouent visiblement lorsqu'il est question des règles juridiques concernant le consentement et d'autres enjeux soulevés dans les procès pour agression sexuelle. J'imagine que je préfère tout de même plus de précisions et de codification dans les lois quand cela est possible.
    Pour ce qui est de la question des formes d'incapacité qui ne vont pas jusqu'à l'inconscience, je crois que ce serait très bien que, dans la loi, on précise certains critères liés à la capacité de consentir, et je tire certains de ces critères de la jurisprudence de la Cour suprême dans d'autres dossiers. La plaignante doit comprendre la nature sexuelle de l'acte et les risques connexes. La plaignante doit être capable de comprendre qu'elle peut choisir de refuser et elle doit être capable de communiquer volontairement son accord. Je crois qu'insérer ces genres de détails dans la loi serait vraiment utile pour les juges, parce que je crois que le droit relatif aux agressions sexuelles est déjà extrêmement complexe. Plus nous pouvons fournir de précisions et de directives aux juges, mieux on s'en portera.
    Je vous remercie de cette réponse.
    Je sais que nous n'avons pas une loi qui dit au juge comment se comporter, et c'est un aspect du travail où les juges doivent avoir une certaine marge d'interprétation ou certains droits. Cependant, il semble selon moi y avoir un problème sociétal plus global lié à la façon dont on compose avec les victimes d'agression sexuelle. C'est quelque chose qu'il faut régler en public, dans les médias. Je sais qu'on nous dit toujours que nous ne devrions pas tenter de juger les juges dans les médias, mais ce sont ces cas notoires qui attirent l'attention sur les problèmes fondamentaux.
    Vos suggestions sur la codification sont, selon moi, très utiles, parce que je suis préoccupé par le fait d'avoir seulement une disposition selon laquelle être inconscient signifie qu'on ne peut pas donner de consentement, particulièrement lorsqu'il est question de la drogue du viol et des situations où des jeunes peuvent être privés de capacités, mais pas complètement.
    Pas inconscients.
    Pas inconscients. Nous sommes vraiment au coeur de la question de la violence sexuelle, ici, mais il faut pouvoir commencer à préciser ce en quoi consiste le consentement. Est-ce que vous codifieriez ces suggestions dans le projet de loi?
(1620)
    Je le ferais. Je crois que c'est un très bon point de départ, soit de commencer à délimiter le terrain ou de donner au juge certaines directives selon lesquelles il n'est pas uniquement question d'inconscience, et que quelqu'un peut être en état d'incapacité même s'il ne respecte pas les trois critères de base. Ces critères ont déjà été établis dans une décision connexe de la Cour suprême. Je crois que ce sont des principes vraiment fondamentaux. Si une femme est incapable de vraiment parler, il peut y avoir des éléments de preuve qu'elle ne pouvait pas parler ou qu'elle ne comprenait pas ce qui se passait, alors on peut alors très bien voir qu'elle n'était pas capable de donner un consentement valide juridiquement.
    Ces trois lignes directrices ne sont pas précises. Je ne parle pas du besoin de définir la quantité de drogue qu'une personne doit avoir pris ou combien d'alcool elle doit avoir consommé. Je ne crois pas que nous pouvons vraiment faire une telle chose dans la loi, du moins, pas pour l'instant, mais je crois que nous pouvons établir un ensemble de principes directeurs qui sont des principes juridiques quant à la nature des conditions nécessaires avant qu'une personne ait la capacité légale de consentir.
    Madame Kerner, dans le cadre de votre travail, vous avez vraiment montré que les victimes d'agression sexuelle viennent de toutes les classes sociales et de toutes les races. Mais la question des femmes marginalisées, des femmes autochtones, des femmes pauvres, celles qui ont très peu de ressources pour faire respecter leurs droits, qui peuvent être dans une situation où elles s'adonnent à un comportement risqué ou qui n'ont aucun pouvoir... Au moment où elles disent « non », ça reste pour elles aussi « non », et, cependant, elles ont très peu de ressources pour qu'on prenne leur histoire au sérieux dans de nombreuses situations parce qu'elles sont considérées comme étant marginalisées en raison de leurs antécédents. De quelle façon pouvons-nous commencer à régler ce déséquilibre de pouvoir dont sont victimes les femmes marginalisées?
    J'ai quatre choses à dire. Premièrement, je crois qu'il doit y avoir des services de soutien, des maisons de transition indépendantes et des centres d'aide aux victimes d'agression sexuelle qui sont financés par l'État tout en étant gérés indépendamment par des femmes, de façon à ce que, dans chaque réserve et dans chaque milieu rural, les femmes puissent immédiatement se retrouver en sécurité, obtenir du soutien et faire défendre leurs droits.
    Par ailleurs, il faut assurer la transparence du système. Le fait que nous n'avons vu, dans les médias, que la pointe de l'iceberg en ce qui a trait aux jugements nous rappelle que nous ne savons pas vraiment ce qui se passe. Les jugements ne sont pas accessibles. Au niveau des tribunaux provinciaux, de façon générale, c'est très difficile d'avoir accès aux jugements. Nous voulons que tous les jugements de tous les niveaux du système judiciaire soient accessibles aux fins d'examen par le grand public.
    Il en va de même pour les décisions de la Couronne et les décisions de services de police. J'espère que le législateur produira des directives qui feront en sorte que tous les services de police, peu importe où ils se trouvent devront, de temps en temps, une fois par année, déclarer combien de plaintes d'agression sexuelle et de plaintes de violence à l'égard des femmes ils ont reçues, en précisant la durée des enquêtes et les résultats, dans chaque cas.
    C'est la même chose pour la Couronne. Combien de recommandations a-t-elle reçues? Combien d'accusations ont été abandonnées ou suspendues et combien se sont retrouvées devant les tribunaux?
    Une femme avec qui je travaille m'a donné la permission de parler de son cas. Elle a mon âge et, lorsqu'elle avait 11 ans, elle a été violée pendant quelques années par un cousin d'âge adulte. En 2007, elle est allée voir la police. Des accusations ont été portées seulement en 2011, après quatre ans. La phase précédant l'instruction a eu lieu en 2013. Le procès a commencé en 2015 et il n'est pas encore fini. Tantôt, l'avocate de la défense s'est dite opposée aux retards. Les retards, c'est tout ce que les victimes vivent. Ce sont les avocats de la défense, les grands responsables des retards. Non seulement il n'y a pas de justice pour les femmes, mais il n'y a pas de transparence dans tous les endroits où l'État les laisse tomber.
    Un excellent document a été écrit en 1993 par Lee Lakeman. Il s'intitulait 99 recommandations au gouvernement fédéral — Pour en finir avec la violence faite aux femmes. Le document a été adopté par des groupes de femmes d'un peu partout au pays. Je vous encourage — et je peux l'envoyer au président — de regarder les recommandations pouvant être appliquées immédiatement pour améliorer la situation.
    Merci.
    Je suis désolé, monsieur Angus, mais votre temps est écoulé.
    Je ne faisais que commencer.
    Vous en êtes à 7 minutes 32 secondes.
    Madame Khalid.
    Merci, monsieur le président.
    Merci aux témoins de leur témoignage très intéressant.
    Madame Kerner, vous avez parlé de quelqu'un qui a été victime d'agression sexuelle et de son expérience du système de justice et des retards. J'ai trouvé ce récit très intéressant et j'ai constaté qu'il allait à l'encontre de ce que Mme Dale a dit, elle qui représente l'autre extrémité du continuum, celui des accusés.
    J'aimerais que Mme Sheehy et Mme Mathen formulent aussi des commentaires, ici. Croyez-vous que le projet de loi C-51 créera d'autres retards au sein du système de justice en ce qui a trait aux audiences, au point où ce serait inconstitutionnel?
(1625)
    Je crois que tout dépendra du genre de ressources qu'on fournira au système de justice pénale. Il y a déjà une crise liée aux retards. Je crois qu'il ne fait aucun doute qu'une agression sexuelle n'est pas un crime comme les autres. Je cite l'ancienne juge L'Heureux-Dubé, qui a souvent répété ce qui suit dans le dossier Seaboyer: « l'agression sexuelle est différente d'un autre crime ».
    Je crois qu'il faut plus de ressources pour faire un bon travail dans le cadre des poursuites liées à des agressions sexuelles. Je crois que la réponse est tout à fait entre les mains du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux quant à savoir si ces dispositions entraîneront nécessairement plus de retards.
    À première vue, il se peut qu'il en ait, comme il se peut qu'il n'y en ait pas. Ce n'est pas une nécessité.
    Je crois qu'il faudra un peu plus de temps, mais pour ce qui est de savoir si cela entraînera plus de retards, tout dépendra des ressources dont seront assorties ces dispositions.
    Madame Mathen, vous voulez peut-être formuler des commentaires?
    Je crois que la question que le législateur doit se poser, ce n'est pas s'il y aura plus de retards, mais si c'est la bonne mesure à prendre pour promouvoir nos objectifs et améliorer la justice. Dans la mesure où plus de ressources seront requises, se sera à tous les intervenants du système de justice pénale de faire en sorte que cela se produise.
    Merci.
    Madame Kerner, au début de votre témoignage, vous avez mentionné que vous vous opposez à l'ajout de la disposition selon laquelle il n'y a « pas de consentement si la personne est inconsciente ». Vous avez indiqué que c'était parce que cette disposition pourrait être mal utilisée par la défense. Pouvez-vous, s'il vous plaît, nous en dire un peu plus à ce sujet?
    Premièrement, je tiens à vous féliciter, madame Khalid. Je sais que vous avez participé à la campagne « Moi aussi ». Je crois que c'est un message direct de solidarité aux femmes victimes d'agression sexuelle, alors je vous en suis reconnaissante.
    Je crois que mon amie Elizabeth Sheehy a expliqué longuement le problème de la codification... d'un seul élément extrême d'incapacité. J'ai reconnu plus tôt que la codification était une très bonne idée. Le fait d'enchâsser les jugements de la Cour suprême dans la lettre de la loi est une très bonne idée, mais, si nous voulons le faire, il faut le faire de façon uniforme et exhaustive.
    Merci.
    Madame Sheehy, je vais revenir à vous. Mme Dale a décrit les raisons pour lesquelles l'accusé se retrouverait dans une situation plus injuste si le projet de loi C-51 est adopté, et elle a parlé de la présomption d'innocence, de l'interpellation du plaignant dans l'audience et des motifs probatoires connexes et des retards dans le procès aussi. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet? Qu'en pensez-vous? Croyez-vous que ces préoccupations sont valides? Quel est l'autre côté de la médaille?
    Je sais qu'il y a un équilibre très délicat à trouver entre le sort de l'accusé et celui du plaignant, surtout lorsqu'il est question d'agression sexuelle. Comme vous l'avez dit, c'est un type de crime très différent. Les préoccupations de Mme Dale sont-elles valides? De plus, croyez-vous que le projet de loi C-51 tente d'uniformiser les règles du jeu pour les victimes d'agression sexuelle?
    Je suis bien sûr d'accord avec le fait que le projet de loi tente de rendre les règles du jeu plus équitables. Selon moi, on oublie souvent à quel point beaucoup de choses sont en jeu pour les plaignantes dans les procès pour viol. Lorsqu'un accusé est acquitté, la plaignante peut se faire traiter de menteuse en public, c'est quelque chose qui peut se dire au sein de sa famille, dans sa collectivité et à son travail. Elle s'expose aussi possiblement à d'autres risques, comme le dépôt d'accusations de méfait ou de parjure. Elle peut faire l'objet de procédures en diffamation, ce qui peut avoir un coût personnel et économique énorme. Je crois que nous oublions que ce ne sont pas des témoins ordinaires. Ce sont des témoins dont toute la vie est en jeu. Je ne crois pas qu'il soit injuste qu'un accusé soit privé de l'élément de surprise lorsque la femme aussi, dans ce même contexte, court un danger lié à sa vie privée et peut aussi être exposée aux répercussions subséquentes de telles procédures.
    Je n'ai pas d'autres questions.
    Merci beaucoup.
    Puisque nous devons aller voter aujourd'hui, je ne veux pas m'attarder trop longtemps avec le groupe de témoins actuel, parce qu'il y en a un autre après. Mesdames, je tiens à toutes vous remercier. Vos témoignages étaient intéressants. Vous avez vraiment aidé le Comité. Je tiens à remercier chacune d'entre vous.
    Pour celles d'entre vous qui avez fourni des mémoires étoffés, il faudra les traduire, mais ils seront ensuite distribués. Si nous avons d'autres questions, nous communiquerons avec vous par courriel pour vous poser ces questions. Encore merci.
    Je vais demander au prochain groupe de s'avancer. Nous allons suspendre brièvement la séance pendant le temps que le prochain groupe de témoins s'installe.
(1630)

(1635)
    Nous allons reprendre nos travaux.
    Il s'agit du deuxième groupe de témoins de la journée. Bienvenue au Comité permanent de la justice et des droits de la personne.
    Nous accueillons Mme Amanda Dale, directrice exécutive de la Barbra Schlifer Commemorative Clinic, et Mme Deepa Mattoo, directrice des Services juridiques qui, pour sa part, est à Toronto et se joint à nous par vidéoconférence. Bienvenue à vous deux.
    Nous accueillons aussi Jeremy Dias, directeur général du Centre canadien pour la diversité des genres et de la sexualité. Bienvenue, monsieur Dias.
    Enfin, nous accueillons, par vidéoconférence, Mme Lise Gotell, présidente, et Mme Karen Segal, avocate-conseil à l'interne, du Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes. Bienvenue, madame Gotell et madame Segal.
    Nous allons commencer par la Barbra Schlifer Commemorative Clinic, alors je cède la parole à Mme Dale et Mme Mattoo.
    Deepa et moi allons tous les deux formuler des commentaires, alors je vous demande d'être patients.
    Honorable président, mesdames et messieurs, nous sommes honorés de pouvoir vous parler aujourd'hui au sujet des dispositions législatives proposées concernant le droit relatif aux agressions sexuelles, et plus précisément l'article 10 et les articles 19 à 25 du projet de loi C-51.
    La déclaration de la clinique portera sur trois domaines généraux.
    Premièrement, nous allons parler du besoin de mettre en place une formation qui tient compte des traumatismes à l'intention de tous les intervenants du système de justice qui interagissent avec des plaignants victimes d'agression sexuelle.
    Deuxièmement, à la lumière de notre expérience liée à la prestation d'un tel programme en Ontario, nous recommandons de fournir aux plaignants dans des cas d'agression sexuelle une représentation juridique financée par le gouvernement. Cette mesure sera tout particulièrement importante dans le cas des nouvelles demandes d'antécédents sexuels qu'on envisage dans le projet de loi, mais aussi à partir du moment de la première divulgation de la preuve. Le financement fédéral d'un soutien communautaire non contraignable consenti par le gouvernement fédéral permettra de fournir un meilleur soutien aux programmes d'aide juridique provinciaux et aux centres communautaires.
    Enfin, la clinique affirme qu'il doit y avoir une certaine forme de responsabilisation concernant les nouveaux mécanismes proposés, une responsabilisation fondée sur l'expertise des défenseurs communautaires, qui travaillent auprès des femmes qui, nous l'espérons, accepteront de parler.
    En guise de brève mise en contexte sur la clinique, pour ceux d'entre vous qui ne le savent pas, la Barbra Schlifer Commemorative Clinic a été nommée en l'honneur d'une jeune avocate prometteuse qui a perdu la vie à la suite d'une agression sexuelle le soir même de son admission au barreau, en 1980. Il s'agit de la seule clinique du genre au Canada. Nous sommes une clinique indépendante des systèmes provinciaux d'aide juridique.
    Depuis 1985, la clinique a fourni des services de représentation juridique, de counseling émotionnel et d'interprétation linguistique à plus de 60 000 femmes qui ont été victimes de n'importe quelle forme de violence. Actuellement, nous aidons plus de 4 000 femmes par année, et nous travaillons dans plus de 200 langues. Nous fournissons une diversité de services de counseling novateurs et d'éducation juridique publique en plus de services de représentation juridique. Nous participons aussi aux réformes du droit.
    La clinique participe à des consultations générales avec tous les ordres de gouvernement dans le cadre d'initiatives stratégiques et législatives, et nous représentons publiquement les femmes qui interagissent avec le système juridique après avoir été agressées sexuellement. Nous participons aussi aux dossiers phares liés au droit relatif aux agressions sexuelles.
    De façon générale, nous sommes favorables aux modifications qu'on se propose d'apporter au droit relatif aux agressions sexuelles dans le projet de loi. Plus précisément, nous croyons que l'expansion des dispositions de protection des victimes de viol permet l'examen préalable par un juge des communications entre l'accusé et le plaignant, ce qui est conforme avec la fonction de recherche de la vérité des tribunaux. Cependant, même si ces changements permettront de préciser la loi, ils ne changeront pas l'attitude des intervenants du système de justice.
    Malheureusement, l'expérience de la clinique au cours des 30 dernières années nous apprend que les dispositions législatives proposées doivent bénéficier d'un soutien plus général dans le milieu pour que ces changements soient appliqués et qu'on change vraiment les choses dans la vie des femmes, de façon à ce que les personnes que nous aimerions convaincre de signaler aux forces de l'ordre ce qui leur est arrivé aient la confiance nécessaire pour le faire.
    Deepa.
(1640)
     Le premier point, comme Amanda l'a dit, a trait à des lois et des programmes d'éducation qui tiennent compte des traumatismes. Les personnes qui portent plainte pour agression sexuelle n'arrêtent pas de dire que, lorsqu'elles interagissent avec le système de justice, sont de nouveau traumatisées pendant le processus. Quand une victime s'adresse aux policiers, ils ne la prennent pas au sérieux, lui posent des questions pleines de sous-entendus ou lui disent carrément que c'est elle qui est à blâmer. Si l'affaire est portée devant un tribunal, elle n'a pas droit à son propre conseil. Elle doit répondre au contre-interrogatoire hostile de l'avocat de la défense et, dans certains horribles cas récents, elle est stéréotypée et incomprise par les juges.
    Notre clinique soutient que le projet de loi C-51 devrait prévoir des programmes d'éducation sur les traumatismes liés aux agressions sexuelles à tous les niveaux du système de justice, des programmes d'éducation qui enseigneraient aux intervenants du système de justice à reconnaître les répercussions de la violence et les symptômes des traumatismes, et à y être sensibles. Ils ont besoin de savoir cela pour comprendre comment se manifestent habituellement les réactions traumatiques et émotionnelles des victimes face à des gens en position de pouvoir, des figures d'autorité, ou d'autres personnes, et en outre, pour reconnaître leurs propres attentes relativement au comportement de leurs clients et aussi à aplanir les choses quand un client ne collabore pas avec le système comme ils le voudraient ou l'espéraient. C'est d'autant plus important que le droit canadien a déjà reconnu que cette éducation était essentielle pour les intervenants du système de justice.
    Le second point a trait à l'accès à un avocat et au financement et autres ressources qui sont nécessaires. Il convient de souligner que les agressions sexuelles sont toujours très largement sous-déclarées au Canada. L'Enquête sociale générale de 2004, qui portait sur la victimisation, a révélé que 8 % seulement des agressions sexuelles étaient signalées à la police. Certains des facteurs énumérés dans notre mémoire précédent contribuent bien sûr à cette situation.
    Une autre expérience que nous racontent les personnes portant plainte pour agression sexuelle a trait au fait que, une fois qu'elles ont décidé de signaler l'agression et qu'elles racontent leur histoire aux policiers, on les abandonne ensuite dans le dédale du système juridique. On ne leur donne pas régulièrement des nouvelles de leur dossier. On ne leur donne pas d'information sur leur dossier ou, si on leur en donne, on ne leur en donne pas assez. Elles n'ont pas vraiment beaucoup d'occasions de participer de façon significative à la procédure et, lorsqu'elles ont cette possibilité, on ne leur donne ni instructions, ni conseils.
    Notre clinique est d'avis que le gouvernement devrait fournir aux plaignants un service de représentation juridique qu'il financerait lui-même, pendant tout le processus judiciaire, non pas seulement, comme certains l'ont laissé entendre, uniquement lorsque la procédure concerne des victimes de viol. Notre clinique est le seul organisme communautaire à fournir des conseils juridiques indépendants aux victimes d'agression sexuelle. C'est un projet pilote du ministère du Procureur général de l'Ontario. Nous avons observé une augmentation de 40 % du coût global des mesures de soutien depuis le début de ce projet, l'an dernier. Jusqu'ici, au cours des 15 derniers mois, nous avons offert nos services à plus de 200 clients dans le cadre de ce projet, et nous ne l'avons fait qu'avec l'équivalent d'un seul poste à temps plein.
    Nous avons parlé au début des mécanismes de responsabilisation. Nous croyons que, s'il veut réaliser les promesses du projet de loi C-51, le gouvernement doit adopter certains règlements qui feront en sorte que les amendements porteront leur fruit comme prévu. Notre clinique recommande au gouvernement de lancer un processus de consultation des collectivités et de demander aux organismes de première ligne et aux victimes d'en contrôler le déroulement. La clinique suggère également de prendre pour exemple d'engagement de ce type le modèle utilisé par les services de police de Philadelphie. Il n'a été appliqué au départ que dans les services de police. Toutefois, étant donné qu'il y a bien d'autres acteurs que les représentants des systèmes de justice ou des services de police qui peuvent assurer la réussite de ce projet, s'ils y participent, nous croyons que sa portée devrait être bien plus large.
    En plus de proposer le financement durable des conseils, la clinique voudrait que l'on s'intéresse au programme dont Deepa a parlé, le programme des conseils juridiques indépendants pour victimes d'agression sexuelle, projet dont s'occupe actuellement notre clinique. Autre exemple, celui d'un travailleur de soutien pour les procédures devant un tribunal de la famille. Nous exécutons aussi ce programme avec l'aide du ministère du Procureur général de la province. En l'occurrence, l'aide est fournie par un conseil, qui n'est pas un avocat, chargé d'aider les femmes à s'y retrouver dans ce système.
    Nous avons accumulé de l'expérience, ces cinq dernières années, et constaté que les femmes, lorsqu'elles sont accompagnées au tribunal par des personnes qui défendent leurs droits devant le système de justice, comprennent mieux ce système, participent davantage au processus, prennent des décisions à ce chapitre, arrivent à établir des buts réalistes et, surtout, vivent une expérience du système de justice différente dans l'ensemble; cette différence est aussi perçue par les autres intervenants du milieu de la justice qui doivent composer avec l'expertise de personnes autres que des avocats participant aux procédures judiciaires.
(1645)
    En conclusion, nous tenons à dire que la clinique croit sincèrement que les experts de la collectivité qui travaillent avec des victimes d'agression sexuelle et les victimes elles-mêmes doivent être au coeur de tous les amendements proposés. Nous recommandons que des organismes de première ligne, par exemple la Clinique Barbra Schlifer et les victimes elles-mêmes aient accès à un mécanisme de rétroaction continue, non seulement officiel mais prévisible, pour contrôler la mise en oeuvre des changements proposés.
    Merci.
    Merci beaucoup de nous avoir permis de participer à votre débat. Je crois que nous pourrons répondre à vos questions dès que vous le voudrez.
    Merci beaucoup de votre témoignage.
    Nous passons maintenant à M. Dias.
    Monsieur Dias, vous avez la parole.
    J'aimerais pour commencer expliquer que, si j'utilise mon iPhone, c'est parce que nous sommes un organisme sans papier; je m'excuse si c'est nouveau pour vous.
    J'aimerais aussi souligner que nous nous trouvons sur le territoire non cédé des peuples algonquins.

[Français]

     Je suis parfaitement bilingue. Ce sera donc avec un grand plaisir que je répondrai aux questions en français, mais je ferai ma présentation uniquement en anglais.

[Traduction]

    Je travaille au Centre canadien de la diversité des genres et de la sexualité. Nous sommes l'organisme national d'éducation et de défense des droits de la collectivité LGBTQ. Nous organisons des ateliers dans toutes les régions du pays et nous présentons des exposés sur toutes les tribunes LGBTQ de l'ensemble des collectivités et pour l'ensemble de vos étudiants.
    Après mon témoignage, nous allons distribuer le « livre rose » aux autres membres du Comité. C'est dans ce livre que nous présentons notre critique des changements qui ont été apportés. Nous voulons tout simplement nous arrêter sur certains de ces changements à la lumière de l'article 10 et des articles 19 à 25, dont Mme Dale a parlé.
    Même si nous sommes généralement d'accord avec les changements proposés et enchantés de voir que l'on élargit les lois sur la protection des victimes de viol, nous savons que les prochains témoins vont mettre de l'avant certaines préoccupations, et je vais les laisser en parler. Mais j'aimerais me concentrer sur certains sujets dont je tiens à parler.
    Pour notre part, nous sommes très inquiets de voir qu'il n'y a aucune recherche sur la violence entre partenaires sexuels dans le contexte de la collectivité LGBTQ du Canada. C'est-à-dire que, même si nous sommes enchantés de voir tous les changements proposés, ces changements ne reflètent aucunement l'expérience des lesbiennes, des gais, des personnes bisexuelles, trans, allosexuelles et bispirituelles du Canada. Nous sommes enchantés, mais nous ne disposons pas vraiment d'un lieu d'information quelconque où l'on pourrait formuler des critiques sur ces changements, et c'est pourquoi nous voulons vraiment mettre certaines choses en relief.
    À cause de tout cela, nous avons eu de la difficulté à comprendre l'examen de ce texte de loi, étant donné que les expériences des lesbiennes, des gais et des personnes bisexuelles, trans, allosexuelles et bispirituelles sont des expériences uniques, totalement différentes les unes des autres. Nous savons, grâce à des données empiriques, que les taux de violence entre partenaires intimes, dans la collectivité LGBTQ, sont élevés, mais, si on y pense, ce n'est pas surprenant, en fait. Vos relations avec vos parents sont difficiles. Vos relations à l'école sont probablement elles aussi difficiles. Vous ne vous reconnaissez probablement pas dans la société conventionnelle, et votre colère et votre violence s'immiscent parfois dans vos relations.
    Nous avons participé à quelques débats publics avec des universitaires, surtout à l'Université Laurentienne, ici, à l'Université d'Ottawa et à quelques-uns à l'Université Ryerson; il s'agissait de débats parfois très intéressants dans le cadre desquels les personnes LGBTQ, en particulier des gais et des lesbiennes s'affichant comme tels, se disent très réticents à déclarer des cas de violence à la police étant donné qu'ils ont toujours entretenu des relations difficiles avec les policiers et les services de police. Le premier point d'accès, vers lequel on nous dirige le plus souvent, n'est pas nécessairement, à notre avis, le plus accessible des points d'accès.
    Ces difficultés constantes dans nos relations avec les services de police, observées partout au pays, sont encore plus profondes aujourd'hui puisque nous constatons une violence raciale et intersectionnelle plus grande, et que notre collectivité la comprend mieux, c'est-à-dire que nous, les personnes allosexuelles et transexuelles commençons enfin à parler de racisme. Vous ne le savez peut-être pas, mais la collectivité LGBTQ fait preuve d'un racisme incroyable, qu'elle manque de respect à l'égard des femmes et qu'elle est en outre cissexiste, mot moderne qui désigne le transphobe. Nous commençons à mieux comprendre la situation, et nous constatons que de nouveaux acteurs de la collectivité font état d'un nouveau genre de problème dans les relations avec les services de police et les services de justice pénale, ainsi qu'avec les organismes d'aide aux victimes de violence conjugale, dont nous n'étions même pas au courant. En tant qu'organisation, nous sommes ravis de voir que ce débat attire enfin l'attention, même s'il attire l'attention sur de grandes lacunes dans les services.
    Bien sûr, cela m'amène à mon second point, le fait qu'il n'existe aucun service d'aide aux victimes de violence conjugale dans la collectivité LGBTQ. Au Canada, à l'exclusion de notre propre programme de prévention de la violence conjugale, il n'existe rien. Si nous le savons, c'est que nous avons réuni tous les fournisseurs de services de la collectivité LGBTQ en juin pour leur demander ce qu'ils feraient si une victime de violence conjugale venait leur demander de l'aide, à eux, les directeurs, fournisseurs de services ou bénévoles. Dans bien des cas, ils ont répondu: « Je ne sais pas, je lui conseillerais peut-être de se rendre au poste de police ou je l'aiguillerais vers un refuge. » Mais nous leur avons demandé: « Est-ce que ces refuges accueillent les lesbiennes? Est-ce qu'ils accueillent les personnes trans? »
    Nous ne voulons pas dire par là que les refuges leur ferment leurs portes. En fait, puisque nous travaillons avec le réseau national des refuges, nous sommes heureux de pouvoir dire qu'ils deviennent plus progressistes et qu'ils sont tout à fait au courant de ces enjeux. Toutefois, aucun financement n'est consacré à la formation des intervenants de ces refuges, et aucune ressource, à ces nouveaux besoins de notre collectivité.
(1650)
    Cela m'amène à mon troisième point, le signalement. Comme je l'ai dit plus tôt, notre collectivité entretient de difficiles relations avec les fournisseurs de services du milieu de la justice, et en particulier avec les intervenants du premier point de contact important, c'est-à-dire les services de police. S'il n'existe nulle part de fournisseurs de services LGBTQ qui peuvent offrir des conseils et du soutien aux victimes de violence conjugale, comment peut-on s'attendre à ce que ces victimes soient encadrées ou soutenues lorsqu'elles se présentent à la police? Je le répète, il ne s'est fait que très peu de recherches sur le sujet, et nous n'avons que des données empiriques, mais nos partenaires de l'étranger nous disent que, dans bien des cas, les gens ne font pas de signalement. À cela il faut ajouter les problèmes que les victimes de violence conjugale vivent déjà, même s'ils ne signalent pas le crime: les problèmes d'ordre financier, émotionnel et ainsi de suite.
    En outre, quand une victime décide de signaler un crime — comme c'est finalement arrivé à Ottawa, en fait —, elle revient voir les fournisseurs de services, comme nous, et demande: « Dites donc, pouvez-vous m'aider pendant la procédure? Pouvez-vous m'accompagner au tribunal? Pouvez-vous m'attendre, au poste de police, pour que j'aie quelqu'un à qui parler après? » Nous avons cherché à gauche et à droite, à Ottawa, mais nous n'avons trouvé aucune ressource capable de faire cela. Notre centre lui-même, malgré nos bénévoles et notre personnel, qui sont toujours prêts à agir, a eu beaucoup de difficulté à offrir ces services de manière efficace et appropriée. Nous devons soit former les fournisseurs de services existants et les améliorer, soit créer de nouveaux fournisseurs de services qui sauront répondre à ces besoins.
    Ensuite, histoire de rendre les choses encore plus exaltantes, nous constatons que le système de justice nous considère comme de parfaits inconnus: nous parlons des policiers, des avocats de la Couronne, des juges. On a vu toutes sortes de comportements, allant du manque de respect à l'égard d'un plaignant que l'on ne désigne pas par son genre jusqu'à l'avocat de la Couronne affirmant qu'il ne veut pas porter une affaire devant les tribunaux parce qu'elle concernait deux hommes et qu'il préférait les laisser régler eux-mêmes leurs problèmes. Nous sommes vraiment troublés par ce type de commentaires, qu'on ne se cache même pas pour faire. On affiche ces commentaires dans des courriels, au vu et au su de tous. On les affiche sur des sites Web, vous devriez aller les lire. Ces commentaires nous préoccupent beaucoup.
    Je vous le dis franchement, j'aimerais bien me faire l'écho du commentaire de Mme Dale, sur le fait que nous avons besoin de plus de formation, mais c'est étrange, puisque j'ai comparu devant votre comité il y a deux ans et que nous avions discuté de la formation et du financement de la formation, et il ne s'est rien passé dans ce dossier depuis. La formation obligatoire pour l'ensemble du système de justice, non pas pour les seuls juges, est une formation d'une importance cruciale, et il existe une norme nationale.
    Vous vous dites que, en tant que gouvernement fédéral, vous ne pouvez pas vraiment imposer quoi que ce soit aux provinces et aux territoires, mais vous pouvez travailler en collaboration. Vous pouvez rassembler les gens et créer des partenariats nationaux, puisqu'il faut à un moment ou à un autre que quelqu'un prenne les choses en main. Nous ne pouvons pas le faire, nous n'avons pas assez d'argent pour cela.
    J'aimerais revenir sur une petite question qui nous intéresse, l'expérience vécue par les minorités sexuelles, les gais, les lesbiennes, les personnes bisexuelles, pansexuelles ou asexuelles, qui est très différente de celle vécue par les personnes trans. Nous constatons que, dans le cas des personnes gaies, lesbiennes ou bisexuelles, les services de police ne les prennent pas au sérieux et se disent que, étant donné qu'il s'agit de partenaires du même sexe, ils peuvent régler le problème entre eux.
    Mais quand il s'agit de victimes trans, les femmes trans disent qu'on les traite comme des hommes, et on leur demande à elles aussi de régler elles-mêmes leur problème, et les hommes trans sont souvent rabaissés ou incompris, dans ces relations.
    Le nouvel enjeu qui se présente, et je crois que vous êtes nombreux à en avoir déjà entendu parler, a trait à notre tout premier Canadien intersexué. Il y a neuf mois, comme vous êtes nombreux à le savoir, Mel Thompson s'est présenté au Centre canadien pour la diversité des genres et de la sexualité en tant que première personne ouvertement intersexuée au Canada. Traditionnellement, la plupart des Canadiens ont décidé dès l'âge de cinq ou six ans s'ils seront un garçon ou une fille et, dans le cas où ils étaient des individus intersexués à la naissance, ils vont quand même durant tout le reste de leur vie vivre en fonction du modèle binaire des genres. Mel Thompson est la première personne à avoir contourné cette règle, au Canada, et nous voyons aujourd'hui, en fait, de plus en plus de Canadiens prendre la parole et demander que les hôpitaux ne fassent plus d'intervention chirurgicale sur les nouveau-nés et qu'ils cessent ne donner aux jeunes enfants désignés individus intersexués à la naissance d'autres choix que de devenir un homme ou une femme, puisqu'il existe en fait un troisième choix, rester un individu intersexué et ne pas mutiler son corps. C'est ce qui devient la norme, dans toute l'Union européenne, grâce à la campagne Libres et égaux des NU et aussi grâce à l'alliance latino-américaine dirigée par le Chili. C'est déjà tout à fait normal ailleurs, et c'est encore relativement nouveau ici.
    Si vous voulez en apprendre plus, vous pourrez accéder en ligne, le 1er novembre, à notre trousse d'outils, où l'on a entre autres inclus les changements du Code criminel que nous demandons, dans ces dossiers. Vous recevrez de toute façon un courriel.
    À ce sujet, je suis vraiment emballé par ces changements. Nous sommes tout à fait en faveur de l'expansion de la disposition sur la protection des victimes de viol et, mis à part les exceptions dont nos collègues vont bientôt parler, nous sommes emballés, mais nous espérons que le Comité et ses membres ici présents penseront à la prévention. Ce dont nous avons vraiment besoin, c'est d'une stratégie nationale de lutte contre la violence entre partenaires intimes en ciblant en particulier les taux croissants de violence à l'égard des femmes et des personnes qui se présentent comme des femmes. Cette stratégie nationale doit être mise en oeuvre en partenariat par les organismes municipaux, provinciaux et territoriaux et la société civile; elle doit d'une part être axée sur la prévention, d'autre part, être éclairée par les victimes.
(1655)
    À parler franchement, tout cela revient à dire qu'il faut plus de financement, plus de financement pour la recherche, non pas seulement pour les organismes LGBTQ, mais pour nous tous. La plupart d'entre nous faisons de notre mieux, mais ce travail est très difficile. Nous aimerions que quelqu'un prenne ce dossier en main, nous ne voulons plus qu'on nous propose des solutions symboliques.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    C'est maintenant au tour du Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes. Qui veut prendre la parole?
    Je m'appelle Karen Segal, je suis avocate-conseil pour le Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes. Le Fonds d'action est un organisme de défense des droits à l'égalité qui s'efforce, depuis 1985, de faire avancer les droits importants des femmes en matière d'égalité. Nous nous occupons surtout de défense juridique et de poursuites. Nous avons notamment joué un rôle important dans des initiatives de réforme du droit s'appliquant aux agressions sexuelles et nous avons participé à presque tous les changements importants survenus dans ce domaine.
    De manière générale, le Fonds d'action est en faveur des changements proposés par le projet de loi C-51. Toutefois, nous nous préoccupons beaucoup des dispositions ajoutées en tant qu'alinéas 153.1(3)a.1) et 273.1(2)a.1). Je vais d'abord vous expliquer ce qui nous préoccupe, dans ces dispositions, après quoi je vais rapidement parler des changements que nous appuyons.
    Notre principale préoccupation, en ce qui a trait au projet de loi C-51, c'est que l'on propose la codification de l'inconscience comme limite absolue de l'incapacité d'une personne à consentir à des relations sexuelles. Cette disposition n'ajoute rien de neuf aux lois en matière d'agression sexuelle, lesquelles reconnaissent depuis longtemps qu'une femme inconsciente ne peut pas consentir à une relation sexuelle, et elle risque de permettre l'intégration aux lois d'une définition de l'incapacité associée à l'inconscience par opposition à la capacité d'une personne de fournir un consentement libre et éclairé.
    Comme je l'ai déjà dit, les tribunaux n'ont jamais eu de problèmes avec cette vieille règle selon laquelle une personne inconsciente ne peut pas donner son consentement, et nous n'avons jamais vu de tribunaux déclarer qu'une femme inconsciente avait été capable de donner son consentement. Le problème auquel se butent les tribunaux se pose lorsque le plaignant est conscient mais n'a pas la capacité de donner un consentement significatif parce que ses facultés sont gravement affaiblies par l'alcool ou la drogue.
    Les dispositions sur l'incapacité exigent qu'une femme soit en mesure de donner son consentement éclairé, et, selon la définition, qu'elle comprend la nature sexuelle de l'acte et qu'elle comprend qu'elle peut refuser d'y participer. Toutefois, en pratique, les tribunaux ont toujours eu beaucoup de difficulté à donner un sens à ce critère. Les juges ont pris l'habitude d'exiger des indices externes de l'inconscience ou du sommeil avant de conclure que le plaignant ne pouvait pas donner son consentement. Nous savons que certains juges se sont fondés sur la capacité du plaignant d'accomplir des tâches simples, par exemple se souvenir du mot de passe de son téléphone, et d'en faire une preuve de sa capacité à fournir un consentement éclairé à une relation sexuelle. Nous n'avons jamais vu un tribunal s'avancer à faire une analyse nuancée de la capacité d'un plaignant de fournir son consentement éclairé.
    Les tribunaux ont en outre tendance, puisqu'ils se concentrent sur le critère de l'inconscience, à confondre la capacité à consentir et le consentement proprement dit. Un exemple des plus flagrants est l'affaire R. v. Al-Rawi, qui se déroule en Nouvelle-Écosse, présentement en appel; l'accusé est un chauffeur de taxi qui avait été acquitté malgré le fait que la plaignante avait été retrouvée inconsciente sur le siège arrière du véhicule du chauffeur de taxi, dans un secteur isolé de la ville. La plaignante était partiellement dévêtue, et l'accusé était entre ses jambes, tenant entre ses mains les sous-vêtements trempés de la victime. Le juge a déterminé qu'il ne pouvait pas affirmer de façon irréfutable que la plaignante était inconsciente au moment où l'agression sexuelle avait commencé et que, en conséquence, il avait un doute raisonnable quant à sa capacité à consentir; il se demandait même si elle n'avait pas en fait consenti. Autrement dit, il se peut qu'elle ait été consciente; donc, elle aurait pu être capable; donc, elle aurait pu consentir. Le Fonds d'action est profondément préoccupé par cette tendance de la jurisprudence, qui refuse catégoriquement de protéger les femmes qui sont agressées sexuellement alors qu'elles sont conscientes, même si elles sont sous l'emprise de l'alcool ou de la drogue et incapables de donner leur consentement.
    À notre avis, si les tribunaux accordent autant d'importance à l'inconscience comme point limite à partir duquel une personne ne peut plus donner son consentement, cela entraîne une malheureuse distorsion de l'analyse puisqu'elle amène les juges à évaluer la conscience par rapport à l'inconscience plutôt que de chercher à savoir si la victime pouvait donner son consentement éclairé à des contacts sexuels, si elle l'a donné et si elle ne l'a pas retiré. Ce que nous craignons, c'est que le problème ne perdure en raison des changements proposés.
    Pour commencer, en ce qui a trait à la codification de l'inconscience, nous croyons que les avocats de la défense utiliseront cette disposition pour faire valoir que l'inconscience est désormais une norme légale et qu'à partir de là, une femme ne peut plus donner son consentement. Étant donné que la codification de l'inconscience n'ajoute rien de nouveau au droit, nous craignons que cette modification ne soit interprétée comme une clarification de l'incertitude présente dans les lois sur l'incapacité, que je viens de vous exposer. Nous nous attendons à tout le moins à ce que ces arguments soient présentés, ce qui veut dire que la Couronne devra encore une fois trancher la question de la capacité à consentir, au détriment des victimes dont la vie est affectée par ces arguments et ces procès.
(1700)
    Ensuite, même si l'inconscience n'était pas officiellement interprétée comme la limite juridique au regard de laquelle une personne devient incapable de consentir, nous craignons que cette disposition ne perpétue l'importance excessive qu'on accorde à la conscience comme critère de l'incapacité, plutôt que d'encourager les juges à s'engager dans une évaluation nuancée de la capacité par opposition à l'incapacité en se fondant sur les principes de la compréhension de la nature de l'acte, des risques associés à cet acte et du droit de refuser d'y participer.
    Nous reconnaissons que l'alinéa b), dans ces deux dispositions, laisse place à la possibilité que l'incapacité soit établie pour d'autres motifs que celui de l'inconscience, mais cela ne dissipe pas notre préoccupation. Les nouvelles dispositions vont quand même diriger l'attention des juges sur l'inconscience, du moins en tant que limite à partir de laquelle une personne n'est plus capable de donner son consentement, et elles n'aident d'aucune façon les juges ou les décideurs à évaluer l'incapacité, hors l'inconscience.
    Nous proposons que le législateur, plutôt que de codifier et peut-être même de restreindre la définition de l'incapacité à consentir, profite de l'occasion pour s'attaquer au problème qui existe déjà dans la jurisprudence et qu'il clarifie les circonstances dans lesquelles une personne est en mesure de donner son consentement. Nous suggérons de codifier une norme qui explique de façon claire qu'une personne ne peut pas donner son consentement si elle n'est pas capable de comprendre la nature sexuelle de l'acte et les risques associés à cet acte, capable de comprendre qu'elle peut choisir de refuser d'y participer et capable de communiquer son libre consentement à l'acte. Cette analyse en fera beaucoup plus pour protéger les femmes contre les agressions sexuelles qu'un amendement qui est axé sur l'inconscience en tant que critère juridique de l'incapacité.
    Cela dit, nous sommes en faveur de bien des changements qui sont proposés. Nous vous prions de consulter nos mémoires, qui fournissent davantage de détails et étoffent nos arguments sur ce point. Je souligne en particulier que nous sommes favorables à l'imposition d'une limite à la recevabilité des dossiers au sujet desquels la partie plaignante entretient une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée, peu importe qui a ces dossiers en sa possession. L'objectif des dispositions relatives à la communication de dossiers de tiers est de promouvoir l'égalité des femmes et leur droit à la protection des renseignements personnels dans le cadre d'un procès pour agression sexuelle et d'assurer une plus grande justice à la plaignante, ce qui par ricochet encourage le signalement des agressions sexuelles. À notre avis, ces objectifs devraient de toute urgence s'appliquer à tous les dossiers pour lesquels la partie plaignante entretient des attentes en matière de protection de la vie privée.
    Nous sommes également en faveur de la codification des dispositions qui, dirions-nous, existent déjà selon lesquelles les communications sexuelles fournissent des preuves des antécédents sexuels. La communication sexuelle est tout aussi vulnérable à une logique discriminatoire, aux mythes et aux stéréotypes que l'est le comportement sexuel. Prenons par exemple le cas d'une personne qui envoie un message texte à teneur sexuelle. Nous craignons que l'on se servira de cette information pour soutenir que la femme qui a envoyé le message est le genre de personne qui consentirait à avoir des relations sexuelles, et c'est exactement le genre de logique que visent à contrer les lois sur la protection des victimes de viol qui ont été créées. C'est pour cela que nous sommes en faveur de la décision du législateur de renforcer les dispositions sur la protection des victimes de viol et de protéger les femmes contre les mythes et les stéréotypes discriminatoires.
    Nous sommes également d'accord avec la disposition qui donne aux parties plaignantes le droit de participer aux audiences. Notre expérience des audiences sur la communication de dossiers de tiers nous permet de savoir que les parties plaignantes qui sont représentées par un avocat vivent une expérience qu'elles maîtrisent bien mieux, et il est beaucoup plus juste qu'une partie plaignante puisse être représentée. Nous sommes d'accord sur le fait que les parties plaignantes dont on s'apprête à dévoiler les antécédents sexuels devraient avoir droit à la même protection.
    En résumé, nous sommes de manière générale favorables aux changements. Nous vous encourageons à supprimer les dispositions qui font de l'inconscience une norme au regard de laquelle on peut dire qu'une personne n'est plus capable de donner son consentement et à clarifier de manière appropriée tout ce qui fait qu'une personne a la capacité de donner son consentement.
    Nous vous recommandons de prendre connaissance de nos mémoires si vous voulez une analyse plus détaillée de ces dispositions.
    Merci.
(1705)
    Merci beaucoup. Tous vos témoignages ont été utiles.
    Nous allons maintenant passer aux questions des membres du Comité.
    Nous commençons par M. Nicholson.
    Merci.
    Merci beaucoup de vos témoignages d'aujourd'hui.
    Madame Mattoo, vous avez dit croire que les conseils devraient être un élément important de l'aide qui devrait être fournie aux plaignants, aux personnes qui ont été victimisées. Seriez-vous d'accord pour dire que c'est là un pas dans la bonne direction, le fait qu'un conseil accompagne le plaignant pendant l'audience et qu'il devrait l'accompagner tout au long du processus? Est-ce bien ce que vous dites, dans le fond?
    Absolument. Dans le mémoire que notre clinique a présenté, nous disons que c'est un pas dans la bonne direction, mais qu'il reste un obstacle, puisqu'on dit que l'avocat ne sera disponible qu'à certaines étapes plutôt que durant tout le processus. Notre expérience, à titre de fournisseur de conseils juridiques indépendants pour les victimes d'agression sexuelle, nous montre qu'il est en fait vraiment important pour les survivantes et les victimes de pouvoir, lorsqu'elles se présentent obtenir ce type de conseil dès le départ et durant tout le processus.
    Merci beaucoup de votre réponse.
    Madame Dale, je suis certain que nos progrès vous intéressent. Je suis certain que vous êtes en faveur du projet de loi d'initiative parlementaire qui exigera une formation judiciaire...
    Oui, je suis en faveur.
    ... dans ce domaine. C'est un pas dans la bonne direction.
    À un moment donné, vous avez dit que votre organisation fournissait aux victimes les services de conseils qui n'étaient pas des avocats et les aidait à s'y retrouver dans le système. Serait-il mieux de leur fournir les services d'un avocat proprement dit? Ce que je veux dire, c'est que d'essayer de rester...
    Nous avons les deux.
    Vous avez les deux.
    Nous avons les deux.
    Je clarifie ce que je voulais dire: nos ressources sont toujours limitées. C'est l'argument qui est constamment soulevé contre la multiplication du nombre d'avocats dans le système. Nous sommes tout à fait en faveur de la présence d'avocats compétents qui jouent un rôle approprié dans le domaine du droit, mais dans les cas de violence sexuelle, les femmes ont besoin d'autres choses, des choses extérieures à la sphère de compétence d'un avocat. Les avocats ne sont pas toujours les personnes les mieux placées pour rattacher les femmes aux systèmes qui leur servent d'appui dans leur vie sociale. En Ontario, nous avons une combinaison.
    Vous savez peut-être que le système d'aide juridique de l'Ontario ne prévoit pas beaucoup de soutien en ce qui concerne le droit de la famille. Les femmes qui sont victimes de violence ont souvent plusieurs problèmes relevant du droit de la famille. Notre clinique, qui n'est pas financée par l'aide juridique, offre des services de représentation en droit de la famille.
    En outre, trois de nos employés sont chargés de faire évoluer ces femmes dans le système, de façon qu'elles le comprennent et y trouvent les soutiens sociaux dont elles ont besoin, par exemple en matière de logement, de soutien au revenu, de services de garde, de services d'aide à l'enfance, peu importe ce dont elles ont besoin dans ce contexte. En outre, ces travailleurs connaissent suffisamment bien le système du droit de la famille pour être en mesure de mobiliser tout le monde, de s'assurer que les avocats de service seront prêts et que les femmes pourront demander un certificat d'aide juridique si elles y ont droit.
    Nous croyons que cet attachement au système serait utile dans le cas des agressions sexuelles. Encore une fois, puisque nous parlons d'un scénario différent, dans lequel la victime n'a pas qualité pour agir, sans compter qu'elle n'a pas de conseiller juridique, nous voulons lui fournir des conseils juridiques indépendants, mais aussi un autre type de services de soutien spécialisés dans le domaine des tribunaux, qui ne sont pas des services aux victimes, puisque ces derniers ont un rôle limité et ne peuvent rien dire au sujet du déroulement de l'affaire, comme vous le savez probablement.
    Dans le but d'offrir aux femmes des soutiens appropriés et personnalisés, nous proposons un élément supplémentaire, au-delà du domaine strictement juridique.
    Merci beaucoup de ces éclaircissements.
    Mesdames et messieurs, nous avons beaucoup entendu parler de la codification des dispositions sur l'inconscience. Nous avons entendu des commentaires favorables et d'autres, défavorables.
    Madame Segal, j'aimerais vous poser une question, si ça ne vous dérange pas.
    Je n'ai pas pour tâche de défendre en particulier les lois du gouvernement.
    Des voix: Oh, oh!
    L'hon. Rob Nicholson: Non, c'est vrai. Je suis ici pour tenter d'analyser ce qu'il a et... Il a en effet établi l'exigence que le plaignant doit être inconscient, mais il y a aussi une autre disposition selon laquelle « il est incapable de le former pour tout autre motif que celui visé à l'alinéa (a.1) ».
    Ne trouvez-vous pas que cette disposition est utile parce qu'elle est plus étendue, et qu'elle ne se limite pas uniquement au cas des personnes inconscientes.
(1710)
    Je vais demander à Lise Gotell de répondre.
    D'accord.
    Nous reconnaissons en effet que cette disposition ouvre la porte à une analyse de l'incapacité plus nuancée que celle de l'inconscience. Toutefois, nous craignons que la codification de l'inconscience ne soutienne une tendance que nous observons dans la jurisprudence, selon laquelle on associe de plus en plus près l'inconscience au seuil de l'incapacité.
    C'est bon.
    Nous n'avons pas reçu copie de votre témoignage, mais, madame Segal, je crois que vous avez dit que, dans les documents que vous présentez au Comité, vous exposez quelques possibilités qui pourraient se retrouver dans un amendement ou un article en particulier. Est-ce exact?
    C'est exact. Les documents reflètent la teneur de la déclaration que j'ai faite ici aujourd'hui.
    Monsieur Dias, j'ai une question à vous poser.
    Vous n'avez pas parlé précisément de la loi. Puis-je supposer par là que vous êtes d'accord avec les commentaires exprimés par les autres témoins présents aujourd'hui en ce qui concerne le texte du projet de loi?
    Oui, absolument. Nous désirions tout simplement vous aviser du fait que, lorsque nous serons en mesure de faire davantage de recherches, nous demanderons que des changements soient apportés.
    Ensuite, bien sûr, nous voulions souligner que nous partageons l'opinion du Fonds d'action quant au fait que la disposition sur l'« inconscience » puisse constituer un obstacle et exiger quelques éclaircissements. Selon notre expérience touchant en particulier la communauté LGBTQ, les juges et les avocats de la Couronne estiment que ces failles simplifient un peu le processus, et nous sommes vraiment très déçus de constater que le témoignage de la victime n'est pas envisagé avec le poids qu'il faudrait.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Boissonnault.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Jeremy, merci beaucoup d'être venu. Nous apprécions beaucoup votre travail.
    Puisque vous venez de soulever ce point, j'aimerais souligner que les représentants canadiens de l'Association lesbienne et gay internationale et notre secrétariat LGBTQ2 ont travaillé de concert avec Morgan Holmes, l'une des plus grandes spécialistes du pays des questions de l'intersexualité. En tant que membres du gouvernement fédéral, nous cherchons une solution aux enjeux auxquels fait face la collectivité des personnes intersexuelles, et c'est pourquoi nous apprécions vraiment le fait que vous en ayez parlé ici aujourd'hui.
    Selon l'expertise des travailleurs de première ligne et les preuves empiriques que vous avez accumulées, pourriez-vous nous dire à quels problèmes se heurtent les partenaires intimes et à quel genre de violence ils doivent faire face; je parle des problèmes autres que les difficiles relations avec les policiers. Une fois que vous avez surmonté l'épreuve de la sortie du placard, que vous avez enfin trouvé quelqu'un et que vous réalisez que cette personne vous bat ou vous traite avec violence, n'est-il pas vrai que la honte reste profonde, que vous ne savez pas à qui vous adresser, même parmi vos amis, et encore moins à des professionnels?
    Oui. En fait, il y a deux volets à ma réponse.
    Premièrement, les personnes LGBTQ vivent des problèmes particuliers quand ils ont affaire à un partenaire violent, n'est-ce pas? Un partenaire violent pourrait vous menacer de vous faire sortir de force du placard. Il pourrait révéler à votre famille votre véritable identité, sans vous demander votre avis. Ou encore, dans le cas d'une personne trans qui profite des avantages sociaux de son partenaire ou de sa partenaire pour obtenir des soins ou des services de santé ou une hormonothérapie, la menace d'une coupure de ce soutien financier constitue une expérience très dégradante et propre aux personnes LGBTQ.
    Par ailleurs, nous avons remarqué que les personnes LGBTQ, surtout dans les régions rurales et éloignées — Grande Prairie, Lethbridge, Sault-Sainte-Marie, Sudbury —, hésitent à s'adresser au système de justice pénale parce qu'elles savent que la violence manifestée par leur partenaire dans le cadre de leur relation ne tient pas nécessairement au fait qu'il s'agirait d'une, ouvrez les guillemets, « mauvaise personne », fermez les guillemets, mais que cette violence est un héritage des traumatismes et des expériences passées que ce partenaire apporte dans la relation. Les gens essaient de trouver une solution extérieure à la justice pénale pour régler ces problèmes, mais ces solutions n'existent pas, bien sûr, au sein de la collectivité LGBTQ parce qu'il n'y a pas d'argent pour financer ce type de services. C'est l'un des problèmes.
    Dans le cadre d'une conférence que nous avons tenue à Sudbury, l'un des principaux conférenciers soulignait que, si nous mettions derrière les barreaux tous les partenaires qui avaient commis un crime lié à la violence conjugale, il ne resterait plus personne à fréquenter dans des villes comme Sudbury, Trois-Rivières ou Fredericton, étant donné que le nombre de personnes à fréquenter y est très réduit, n'est-ce pas? Statistique Canada révèle que nous formons de 3 à 4 % de la population. La plupart des ministères fédéraux reconnaissent que nous formons 13 ou 14 % de la population du pays, ce qui fait que nous constituons une collectivité minoritaire et que les défis auxquels nous sommes confrontés sont très spécifiques et uniques. C'est la réalité dont nous parlons, sur le terrain.
(1715)
    J'ai trois autres questions. Comment une formation supplémentaire pour les policiers, les avocats et les juges pourrait-elle aider dans le domaine de l'intersectionnalité, particulièrement en ce qui concerne les besoins des LGBTQ? Mis à part la vôtre, quelles organisations la fourniraient? De plus, de combien d'argent parlons-nous?
    Ce sont d'excellentes questions.
    Comment cela aiderait-il? Malheureusement, dans notre pays, vous pouvez passer de la maternelle au doctorat sans rien apprendre au sujet de la culture, des communautés ou de l'histoire LGBTQ ni même au sujet de l'inclusion et de la façon de créer des endroits empreints de respect. En toute franchise, cela permettra de rendre notre système de justice plus accessible aux 13 % de notre population qui sont radicalement mal servis dans cette cause, et nous conviendrions bien, selon des preuves anecdotiques, que de nombreuses personnes LGBTQ, au sein d'une relation ou entre elles, feront face à de la violence faite à un partenaire intime. Cela nous préoccupe grandement.
    Mis à part notre organisme, nous hébergeons le réseau national des fournisseurs de services LGBTQ, donc même si nous aimerions recevoir beaucoup d'argent, nous ne pourrions en réalité pas le conserver. Nous aimerions plutôt former les responsables de notre réseau de fournisseurs de services LGBTQ et l'ensemble des fournisseurs de services nationaux et améliorer les organismes existants, de sorte que des services soient fournis par des personnes queers et des transgenres. Un peu comme le présent gouvernement et le gouvernement précédent ont vraiment habilité les collectivités autochtones afin qu'elles puissent s'approprier leurs ressources et leurs services, nous souhaitons habiliter les organisations LGBTQ de partout au pays.
    Nous sommes fiers de dire que le réseau des fournisseurs de services LGBTQ qui est hébergé au Centre pour la diversité des genres et de la sexualité permet de couvrir entièrement l'ensemble de notre pays. Si seulement nous avions le financement nécessaire pour habiliter ces organismes... Nous ne parlons pas de beaucoup d'argent. Je crois fondamentalement qu'un petit investissement d'un million de dollars ou peut-être un peu plus permettrait d'embaucher dans ces organismes assez d'employés et de les former, et nous irions de l'avant pour vraiment renforcer la capacité de ces organismes. En tant qu'organisation, nous ne préconisons pas l'établissement de refuges LGBTQ dans chaque ville du pays pour les conjoints qui fuient la violence familiale. Nous voulons seulement avoir la capacité d'améliorer les fournisseurs de services existants afin de créer un bon premier point de contact, puis de former ces organismes de services qui travaillent déjà dans le domaine de la violence faite à un partenaire intime.
    Regardez ce que Mme Dale fait et ce que le FAEJ fait. Nous n'avons pas besoin de reproduire ce modèle. Nous devons seulement travailler avec ces services pour nous assurer que les personnes LGBTQ, les intersexués et les transgenres font partie intégrante de leur langage et du travail que nous faisons tous ensemble pour rendre le monde meilleur. À cette fin, nous devons les financer.
    Merci. Je suis d'accord avec vous pour dire que nous avons constaté cela partout au pays en ce qui concerne le sous-financement ou l'insuffisance du financement ou, dans de nombreux cas, l'absence de financement de la part du gouvernement fédéral pour des organisations importantes de la communauté LGBTQ2.
    J'aimerais poser une question aux représentantes du FAEJ, mais je tiens d'abord à vous poser une question en guise d'éclaircissement. J'ai écouté soigneusement votre témoignage. Ne serait-il pas plus exact d'affirmer que le racisme est présent dans la communauté LGBTQ, plutôt que de généraliser en disant que la communauté LGBTQ est raciste?
    C'est un point de vue très intéressant. Notre comité intersectionnel se dirait prudemment en désaccord et défendrait mon affirmation selon laquelle tout le monde a la capacité de manifester du racisme, de la discrimination et du sexisme.
    Lorsque nous examinons la campagne de la Journée internationale en rose que le premier ministre, l'actuel chef de l'opposition et Jagmeet Singh ont tous appuyée, et ce, de façon très passionnée, un des messages essentiels du Centre pour la diversité des genres et de la sexualité est celui de reconnaître que nous avons tous la capacité de blesser des gens, que nous avons tous été blessés et que nous avons tous vu des gens être blessés.
    Honnêtement, nous faisons tous face au défi entourant le racisme, le sexisme, l'homophobie et la transphobie chaque jour. La destination à atteindre n'est pas nécessairement de n'être ni homophobe ni raciste, mais il s'agit plutôt d'un effort permanent que nous devons tous consentir au quotidien pour rendre le monde meilleur.
    Merci.
    Monsieur le président, j'ai une question très rapide pour le FAEJ.
    Vous avez dépassé votre temps, malheureusement. Peut-être que M. Angus posera cette question.
    Monsieur Angus.
    Merci, monsieur le président.
    Madame Segal, je veux commencer en poursuivant cette conversation au sujet de la codification et du consentement, parce que je pense qu'il est vraiment essentiel que cela soit bien fait. Je me préoccupe de la façon dont nous commençons à encadrer cela et du fait de savoir s'il y a dans la loi une façon de le faire.
    Si nous parlons de la période d'inconscience, ou de l'incapacité, un certain nombre de questions entrent en jeu: le pouvoir et l'absence de pouvoir, le risque, l'incapacité et ce qui clarifie en réalité le consentement réel et clair, particulièrement pour une femme qui n'est pas en position de pouvoir ou de sécurité lorsque l'acte se produit. À votre avis, devons-nous insérer un libellé précis aux fins de la codification qui aiderait à tout le moins à réagir à certaines de ces questions?
(1720)
    Eh bien, il ne fait aucun doute que c'est une question très difficile. Nous ne disons pas que l'incapacité est quelque chose qui s'approche de l'inconscience. Dans les faits, l'incapacité peut être un état qui est éloigné de l'inconscience.
    Ce que nous laissons entendre, c'est que — nous n'avons pas de formulation juridique suggérée ni proposée ici — cet amendement supprime la disposition relative à l'inconscience et définit plutôt l'incapacité de la façon suivante. L'incapacité signifie qu'une personne est incapable de comprendre la nature sexuelle de l'acte et les risques connexes, incapable de se rendre compte qu'elle peut choisir de refuser de participer et incapable de communiquer son consentement volontaire. Il y a ces trois éléments.
    C'est un énorme problème. Nous présentons notre mémoire écrit détaillé, mais d'après les estimations, 50 000 agressions sexuelles se produisent chaque année dans des circonstances où les plaignants sont en état d'ébriété. C'est un problème très important.
    Je suis certainement d'accord avec vous.
    Madame Dale, mon épouse a travaillé auprès de victimes d'agression sexuelle dans les années 1980. Mon aînée travaille maintenant auprès d'elles. Lorsque j'entends mes filles parler, l'omniprésence de ce qu'elles appellent la culture du viol me laisse bouche bée. Elles disent que, à Ottawa, il y a des « bars de violeurs », et on dit aux jeunes femmes: « Ne va pas là: c'est un lieu de violeurs ». Je veux dire, je me suis beaucoup tenu avec une bande d'idiots durant ma jeunesse, mais je n'ai jamais entendu parler d'un bar de violeurs.
    Comment peut-on commencer à réagir à cela? Ce que mes filles me disent, c'est que lorsqu'une de leurs amies est victime d'agression — et ce sont de jeunes femmes ayant certains niveaux de pouvoir et d'études — leur incapacité de même porter plainte... parce que parfois, les gens qui commettent ces actes ont aussi du pouvoir. Comment pouvons-nous commencer à réagir à ces questions? L'incapacité devient un point d'intérêt central lorsque de jeunes femmes doivent apporter leurs propres boissons — et mettre un couvercle sur leur verre — à une fête. C'est un problème beaucoup plus omniprésent. Comment pouvons-nous commencer à faire face à cette crise?
    J'aime à penser que nous avons commencé à y faire face.
    Nous devons comprendre que, dans le contexte mondial, la violence contre les femmes et la violence sexuelle tout particulièrement ont été désignées par les NU comme une pandémie mondiale. Ces mots ne sont pas lancés à la légère. Du point de vue de la santé publique, le Canada s'est levé et a dit que la violence est un problème de santé publique. Si nous devions traiter cela comme une pandémie, nous investirions différemment dans cette question.
    Je ne veux pas que vous m'entendiez dire aujourd'hui que tout est une question d'argent, mais il est vrai que, sans un investissement social approprié, nous ne pouvons pas réaliser de grands progrès. Nous nous retrouvons donc avec un roulement de victimes, parce que nous les recyclons dans un environnement marqué par la récidive.
    Ce travail est ma carrière depuis plus de 30 ans. Je crois que nous en sommes à un moment où nous avons l'occasion de changer les choses. Je pense qu'il y a un soutien public suffisamment fort pour qu'on commence à comprendre cette question à un niveau plus profond. Nous n'avons plus les manchettes que nous avions il y a peut-être 15 ans, lorsque nous avions un cycle qui consistait à seulement condamner la victime. Nous allons un peu plus en profondeur maintenant. Je crois qu'il y a un soutien public pour la mise en oeuvre appropriée d'un bon programme qui exige que nous nous assoyions tous à une table d'experts et que nous façonnions en réalité quelques programmes d'éducation.
    Tout le monde parle de « prévention, pas seulement d'intervention », mais la prévention se fait chaque fois que nous intervenons. La façon dont nous intervenons, que l'expérience du système de justice soit positive ou non, est un message envoyé à tout le monde au sujet de la prévention, parce que chaque fois que quelqu'un s'en tire, chaque fois que nous avons un crime qui est traité d'une façon qui se rapproche de l'impunité dans un pays comme le Canada, c'est un message lancé à tous au sujet de la façon dont nous valorisons ces questions.
    Vous vous en approchez, mais vous devez faire plus.
(1725)
    Oui, j'en suis conscient. Le fait que nous ayons une discussion au sujet du consentement révèle que nous faisons avancer les choses.
    En ce qui concerne la pandémie et l'absence de ressources, j'aimerais passer à la question des collectivités autochtones, où il y a des taux de décès par suicide massifs. On dit toujours qu'il y a un lien entre la violence sexuelle et le suicide chez les jeunes...
    Tout à fait.
    ... particulièrement chez les jeunes filles. Nous avons eu une situation particulière où j'ai appelé les agents de police qui étaient sur le terrain et je leur ai demandé si c'était prédominant. Ils ont dit qu'ils n'avaient aucune ressource. Nous avons appelé le bureau de l'ombudsman en faveur des enfants et avons demandé aux responsables ce qu'ils savaient, et ceux-ci ont dit qu'ils n'avaient aucune ressource. Les travailleurs en santé mentale arrivent et repartent en avion. C'est la ligne de front de la violence sexuelle chez les Autochtones, puis ces enfants sont placés dans le système des familles d'accueil, et celui-ci est la porte d'entrée vers de la violence sexuelle contre les jeunes filles autochtones.
    Ma question — je sais que vous avez un domaine d'expertise —, c'est qui est là pour commencer à réagir aux questions de la violence sexuelle possible contre les enfants autochtones placés dans un système qui est censé les protéger, mais qui échoue à le faire? Parce que c'est le début de la vallée des larmes.
    Oui, je suis tout à fait d'accord, et j'ai fait dans le Grand Nord du travail pour établir un refuge au Nunavut. J'ai une certaine expérience directe avec les niveaux de violence et l'impossibilité, comme l'a dit mon collègue, d'incarcérer tout simplement tout le monde qui commet une infraction, parce que c'est si endémique que vous pourriez incarcérer littéralement toute la collectivité.
    Manifestement, les réponses doivent reposer davantage sur de vastes assises. Je dirais que votre expert sur place est l'AFAC. L'AFAC travaille bien auprès des organisations des femmes autochtones et du Nord, lesquelles ont toutes bien élaboré des plans concernant la façon d'endiguer le flot de la violence contre ces femmes.
    Le leadership au sein de la communauté des femmes autochtones est parmi les plus forts au pays. Ces femmes sont parmi les plus éloquentes pour ce qui est de la façon d'aborder ces questions, y compris les centres d'amitié autochtones, qui viennent tout juste de changer leur nom en anglais pour « indigenous friendship centres ». Vous avez un excellent leadership dans des endroits comme l'Ontario, qui s'attaque également aux questions de la violence fondée sur le sexe.
    Je commencerais assurément par l'AFAC. L'association a fait un travail incroyable à ce propos. Elle a lancé un appel au secours au sujet des femmes autochtones disparues et assassinées quand personne n'écoutait.
    Merci beaucoup.
    Madame Damoff.
    Merci, monsieur le président.
    Merci aux témoins de Condition féminine que j'ai vus. Nous avons étudié la violence commise contre les jeunes femmes et les filles ainsi que le projet de loi d'initiative parlementaire sur la formation judiciaire. Hélas, la majorité des témoignages que nous avons entendus aujourd'hui ne portaient pas sur le projet de loi C-51; ils portaient en réalité sur les mêmes questions que celles dont nous avons entendu parler.
    Une des difficultés, bien sûr, c'est que nous avons des tribunaux judiciaires aux échelons fédéral et provincial, et donc, d'où vient l'argent? Du gouvernement provincial ou plutôt du fédéral? J'entends ce que vous dites. Un des témoins les plus convaincants que nous avons eus représentait les procureurs de la Couronne. Il a dit que, lorsque des victimes de violence fondée sur le sexe viennent de l'avant, ils pensent que le procureur de la Couronne les représente, et non pas l'État, et ils ont donc l'impression d'avoir un représentant au tribunal; or, lorsqu'ils arrivent au tribunal, ils sont déçus de découvrir que ce n'est pas leur représentant.
    Lorsque vous parliez du besoin que quelqu'un soit avec eux, je suis tout à fait d'accord avec vous. Je ne pense pas que ce soit quelque chose qui est abordé dans le projet de loi, cependant.
    Pensez-vous que le droit à une représentation juridique durant la partie touchant les dispositions sur la protection des victimes de viol soit une bonne chose?
    Vous me regardez; voulez-vous que je réponde?
    J'aimerais en fait que vous répondiez tous.
    Je reconnais que cela ne va pas aussi loin que ce que nous aimerions tous, c'est-à-dire que quelqu'un accompagne les victimes à partir du moment d'aller à la police jusqu'au processus judiciaire entier. Lorsque je me suis penchée sur ce projet de loi, j'ai été ravie de constater que nous faisions au moins quelques pas en avant. Il y a eu quelques préoccupations concernant l'accès à la représentation. Le fait de rendre cela accessible ne veut pas dire que tout le monde sera en mesure d'y accéder.
    Peut-être que vous pourriez toutes trois commenter brièvement cette disposition. Est-ce une bonne chose? À votre avis, comment le gouvernement fédéral pourrait-il faire fi de ce qui s'y trouve, et pensez-vous que le fait même d'avoir cela va encourager plus de victimes à venir de l'avant?
(1730)
    Je pense que c'est assurément un pas dans la bonne direction et que c'est important d'avoir une représentation quand on s'attache aux dispositions sur la protection des victimes de viol. Nous avons vu comment les choses vont très mal lorsque celles-ci ne sont pas en place. Je pense que c'est absolument le bon pas à faire.
    Nous avons mentionné d'autres étapes, parce que nous aimerions encourager les programmes d'aide juridique des provinces. Le FAEJ peut probablement fournir des commentaires là-dessus, parce qu'il a été très actif par rapport à ces dispositions et au moment de faire pression sur les systèmes d'aide juridique des provinces afin qu'ils considèrent cela comme un lieu important de représentation.
    Je suis désolé, mais je dois vous interrompre, madame Dale.
    On entend la sonnerie. Puis-je demander le consentement unanime pour poursuivre jusqu'à ce que nous terminions cette période de questions?
    Des députés: D'accord.
    Le président: Merci à tous.
    Veuillez continuer.
    D'accord.
    Nous sommes allés plus loin parce que, dans le cadre de notre expérience en Ontario pour ce qui est de fournir des conseils juridiques indépendants, la province souhaitait au départ les fournir lorsqu'une date de procès a été fixée. Nous l'avons encouragée à les étayer, parce que les cas se déroulent mal dès le départ. Les femmes ne comprennent pas, comme vous l'avez fait remarquer, que l'État ne les représente pas. En même temps, elles ne comprennent pas les ramifications de leur conduite ni le fait qu'une partie de celle-ci pourrait être retenue contre elles, ni même que le fait de recueillir une trousse de prélèvement en cas de viol et de la soumettre les engage dans une voie à l'égard de laquelle elles ne se sont peut-être pas consciemment engagées.
    Avez-vous des suggestions de modifications à apporter au projet de loi?
    Non. Peut-être que ces modifications devraient se faire à l'étape de la mise en oeuvre.
    D'accord.
    Je suis ici pour vous encourager dans le cadre du projet de loi et vous dire de nous inviter à revenir pour que nous puissions contribuer à renforcer les façons dont vous pouvez favoriser les programmes provinciaux. Cela peut se faire au moyen de financement additionnel ou d'une contrepartie. J'aime toujours avoir une carotte, pour attirer les provinces dans cette voie, et un financement de contrepartie leur permet en réalité de demander du financement, ce qui leur procure un léger coup de pouce si cela fait partie d'un secteur de programme que vous avez déterminé.
    Je pense qu'il y a des façons assez créatives de travailler avec cet écart entre les gouvernements provinciaux et fédéral. C'est ce que j'aimerais que vous preniez en considération à mesure que vous allez de l'avant.
    C'est quelque chose que, à Condition féminine, nous avons aussi demandé dans notre rapport — que le gouvernement fédéral travaille avec les provinces.
    J'aimerais entendre mes collègues, parce que je suis sûre qu'elles ont réfléchi à la question, vu leur position.
    Je pense que c'est un problème réel. Il y a des recherches qui existent. Les plaignants ont eu qualité pour agir dans des audiences relatives à l'article 278 sur la communication de dossiers confidentiels. Cela existe depuis l'entrée en vigueur de la disposition en 1997. Le problème, c'est la mosaïque d'approches utilisées partout au pays quant à savoir si les plaignants ont ou non droit à une représentation juridique financée publiquement. Dans certaines provinces, la représentation juridique dans les audiences relatives à l'article 278 est fournie au moyen de l'aide juridique. Les procureurs de la Couronne prennent cela très au sérieux, parce qu'il s'agit de perquisitions et de saisies autorisées par l'État. C'est très important que les plaignants soient représentés.
    Nous aimerions que le gouvernement fédéral travaille en collaboration avec les provinces pour veiller à ce que les plaignants bénéficient d'une représentation juridique financée publiquement dans les audiences relatives à l'article 278 et dans les nouvelles dispositions sur l'admissibilité de la preuve sur les antécédents sexuels et la recevabilité des dossiers confidentiels se trouvant entre les mains de l'accusé. Il est vraiment essentiel que nous puissions assurer un financement public pour cette représentation juridique.
    Je vais me faire l'écho de quelque chose qu'Amanda disait, c'est-à-dire que, en plus de préoccupations au sujet de la fourniture aux plaignants des services d'un avocat financés publiquement, lorsqu'ils ont qualité pour agir, ceux-ci ont aussi besoin de conseils juridiques plus généraux même sur la question très simple de remplir un rapport de police et de connaître les étapes d'un procès. Je sais que le gouvernement fédéral exécute maintenant un certain nombre de projets pilotes en collaboration avec les provinces partout au pays dans le cadre desquels les plaignants reçoivent trois heures de représentation juridique indépendante. Nous devons élargir cela davantage. Cela pourrait exister dans l'ensemble du pays.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Dias, avez-vous quelque chose de bref à ajouter?
    J'aimerais seulement reprendre la recommandation de Mme Dale pour que les provinces et les territoires travaillent ensemble. La question a été présentée à nos conseils consultatifs des jeunes de partout au Canada. Ils sont emballés à l'idée d'avoir accès à un représentant lorsqu'ils se présentent devant les tribunaux si un malheur survient, mais le conseil des jeunes nous a en fait posé quelques questions. Pourquoi n'enseignons-nous pas aux jeunes dès le tout début quoi faire s'ils sont victimes d'un crime? Qu'arrive-t-il lorsqu'ils sont victimisés par un crime? De quelle manière le système de justice pénale fonctionne-t-il?
    Je pense que le ministère fédéral de la Justice doit travailler non seulement avec ses homologues des provinces, mais aussi avec d'autres ministères des provinces, y compris ceux de l'Éducation et de la Santé, pour dire écoutez, nous avons quelques carottes. Ajoutez-y vos propres carottes, mettez-les dans votre programme, et donnons aux étudiants les ressources et les outils nécessaires avant même qu'ils deviennent des victimes de crime.
    Ce type d'éducation proactive est vraiment essentiel. Je ne peux même pas vous dire combien de victimes de crime franchissent la porte de mon bureau. D'abord, elles ont été victimisées. Elles ne sont pas émotionnellement ni physiquement capables de traiter les renseignements que nous leur balançons. Nous offrons de la formation sur l'éducation des victimes dans nos diverses tribunes. Puisque 50 % des femmes feront l'objet de violence, sexuelle ou physique, avant 30 ans, et parce que ce chiffre est même supérieur dans les communautés LGBTQ, nous offrons de la formation pour les personnes LGBTQ qui assistent à nos tribunes de sorte qu'elles puissent comprendre à quoi ressemble le système de justice pénale, ce qui arrive à une victime d'un crime, comment documenter cette expérience de victimisation et comment savoir quoi divulguer et ne pas divulguer aux amis, à la famille ou à d'autres intervenants. Il s'agit de composer avec la confidentialité, parce que, bien sûr, votre corps et votre identité deviennent des éléments de preuve.
    Ce ne peut pas toujours être à la dernière minute. Nous devons être proactifs. Il serait génial d'imaginer que nous vivons dans un monde exempt de crime, mais je pense que le ministre fédéral de la Justice a l'occasion de faire preuve de leadership, puis, bien sûr, de travailler avec la société civile comme nous. Nous pouvons nous asseoir et rédiger une stratégie nationale, que nous n'avons pas encore, et la mettre en oeuvre.
    Merci de m'avoir accordé le mot de la fin.
(1735)
    Merci beaucoup.
    Je tiens à remercier le groupe de témoins de nous avoir aidés à aller de l'avant avec l'étude du projet de loi C-51. Je vous souhaite tous une excellente fin de journée.
    La séance est suspendue jusqu'après les votes, puis nous reprendrons avec notre troisième groupe.
(1735)

(1920)
    Je suis heureux de reprendre la séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne pour accueillir notre troisième groupe de témoins du jour qui examinera le projet de loi C-51.
    J'ai le plaisir d'accueillir Mme Janine Benedet, professeure de droit, et Mme Emma Cunliffe, professeure agrégée, de l'University of British Columbia.
    Bienvenue mesdames Benedet et Cunliffe. Je suis heureux que vous soyez toutes deux ici avec nous. Merci d'être venues de si loin.
    Nous allons commencer par Mme Benedet.
    Comme l'a mentionné le président, je suis professeure de droit à l'UBC. Mes recherches et mon enseignement portent principalement sur les réactions juridiques à la violence sexuelle commise contre les femmes, y compris les agressions sexuelles, le harcèlement sexuel, la prostitution et la pornographie.
    Je témoigne ici aujourd'hui pour appuyer de façon générale les dispositions du projet de loi C-51 concernant les amendements du Code criminel dans le domaine des agressions sexuelles tout en reconnaissant que les obstacles auxquels les femmes font face dans le domaine des agressions sexuelles sont beaucoup plus profonds et systémiques que ce sur quoi porte l'ensemble des amendements.
    Durant les dernières minutes qu'il me reste pour la déclaration liminaire, je vais m'intéresser tout particulièrement aux amendements proposés touchant la définition du consentement et sur la défense d'erreur sur le consentement, puis je vais conclure par quelques mots pour appuyer les modifications proposées de la définition d'activité sexuelle aux fins de l'article 276 du Code criminel.
    Je vais commencer par l'alinéa 273.1(2)a.1) proposé. Je tiens juste à souligner que cela fait 17 ans que nous devons renuméroter le Code criminel, et ces amendements me rappellent ce fait.
    C'est la modification proposée du Code criminel qui ajouterait un élément à la liste de facteurs où le consentement ne se déduit pas des cas où le plaignant est inconscient.
    C'est la modification proposée qui me préoccupe. Je la comprends comme une tentative de codifier l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire J.A. Je pense que c'est une décision importante et qu'on doit en tenir compte dans le Code criminel, mais je m'inquiète du fait que l'amendement proposé réduit cette décision au fait que vous puissiez ou non consentir à l'avance à une activité sexuelle lorsque vous êtes inconscient, terme qui, en soi, est peut-être contesté et pas entièrement établi quant à sa signification.
    Dans l'arrêt J.A, on va en réalité plus loin que cela. Ce que l'on dit, c'est que vous ne pouvez consentir à l'avance à une activité sexuelle qui a lieu lorsque vous êtes incapable de consentir, et c'est un terme plus vaste que la seule inconscience.
    Maintenant, je reconnais que vous pourriez dire que l'incapacité est toujours présente, mais je pense en fait qu'au lieu d'insérer l'alinéa 273.1(2)a.1) dans cette liste, il serait mieux de modifier simplement l'alinéa 273.1(2)b) pour dire que le consentement, au titre des articles 271, 272 et 273, ne se déduit pas des cas où le plaignant est incapable de le former au moment où l'activité sexuelle a lieu.
    Cela nous renvoie en vérité à l'essence de l'affaire J.A., c'est-à-dire qu'il ne peut y avoir consentement préalable à une activité sexuelle qui se produit lorsqu'une personne est incapable de consentir. Ce qui compte, c'est sa capacité au moment des contacts sexuels. Cela codifierait l'affaire J.A. et profiterait peut-être aussi à un large éventail de plaignants se disant victimes d'agression sexuelle par rapport à ce qui est envisagé par la modification existante.
    Plus particulièrement, en ce qui concerne les personnes atteintes de démence, nous avons vu un certain intérêt pour le concept des directives préalables par rapport à l'idée qu'il pourrait y avoir un consentement préalable par une personne à un stade précoce de la maladie d'Alzheimer pour qu'elle puisse continuer d'avoir des contacts sexuels avec un époux même lorsqu'elle ne le reconnaît plus. Ce n'est pas quelqu'un qui est conscient, mais c'est quelqu'un qui est très vulnérable et clairement incapable de consentir à une activité sexuelle.
    Cela profiterait aussi aux femmes ayant des déficiences intellectuelles de façon plus générale en facilitant le fait de penser à l'incapacité dans une situation. En ce moment, les juges sont très réticents à l'idée de statuer que des plaignants ayant des déficiences intellectuelles sont incapables de consentir, parce qu'ils estiment que cela les empêche d'avoir des activités sexuelles en tout temps. De nouveau, faire porter la demande relative à l'incapacité sur le moment où l'activité sexuelle a lieu profite non seulement à ces femmes qui sont inconscientes ou autrement incapables en raison de violence familiale ou de drogues et d'alcool, mais aussi à celles qui ont une déficience intellectuelle.
    Il me semble qu'il pourrait y avoir une façon meilleure, et plus claire, de tenir compte de cette décision très importante de la Cour suprême du Canada dans l'affaire J.A.
(1925)
    Le projet de loi propose également l'apport de certaines modifications à la définition de la croyance erronée au consentement et, plus particulièrement, clarifie le fait que l'accusé ne peut compter sur aucun des facteurs qui viendraient vicier le consentement pour fonder une croyance erronée. Il s'agit encore une fois de la codification de la jurisprudence, d'une précision utile qui établit clairement qu'il y a une distinction entre une erreur de droit, qui n'exonère pas — si vous croyez que le consentement est autre chose que ce qu'exige la loi, vous ne pouvez pas compter sur cette défense —, et une erreur de fait, qui est une notion beaucoup plus pointue qui exige une croyance honnête, dans les circonstances que vous connaissiez au moment des événements — cette erreur ne doit pas découler d'un comportement téméraire, d'un aveuglement volontaire ou d'une intoxication —, que la plaignante était consentante à condition, bien entendu, que vous ayez pris des mesures raisonnables pour vous assurer de son consentement.
    Cela dit, je pense qu'il vaut la peine de souligner que, dans le cadre des procès contemporains pour agression sexuelle, il est rare que l'on se rende même à cette défense. Nous sommes encore dans une situation où le Code criminel ne définit pas l'absence de consentement, et c'est en fait ce que la Couronne doit prouver. Dans la plupart des cas, la poursuite échoue, parce que la crédibilité des affirmations de la plaignante quant à son état d'esprit — qu'elle ne voulait pas être soumise à des contacts sexuels — est minée, le plus souvent par de longues listes d'occasions manquées ou de choses que la plaignante aurait dû faire et qu'elle n'a pas faites.
    Cette situation demeure un obstacle important pour les plaignantes en matière d'agression sexuelle, et elle n'est pas réglée par le projet de loi C-51. Cela signifie que nous nous rendons rarement jusqu'à la question de la croyance de l'accusé au consentement, mais je pense que, si nous nous rendons jusque-là, ces modifications seront certainement un ajout précieux au Code criminel.
    Le dernier élément que je veux mentionner concerne les modifications qui touchent la question des éléments de preuve concernant les antécédents sexuels. Plus particulièrement, je suis en faveur du fait d'élargir ou de préciser la définition du terme « activité sexuelle » afin qu'il englobe les communications, les photographies et d'autres types d'éléments de preuve qui pourraient ne pas être liés au contact sexuel physique entre la plaignante et l'accusé ou des tiers.
    C'est particulièrement important parce que la jurisprudence dans ce domaine est actuellement partagée: certains juges traitent de tels éléments de preuve comme étant visés à l'article 276, et d'autres pensent qu'ils échappent complètement à la portée de cet article et qu'ils sont donc tout simplement irrecevables. Il s'agirait d'un éclaircissement important et utile, tout comme la disposition suivante, c'est-à-dire que, si les éléments de preuve sont produits dans le but d'appuyer l'un des deux mythes, ils sont tout simplement irrecevables et nous n'avons pas à essayer de trouver un juste équilibre. Voilà les deux domaines dans lesquels je vois les tribunaux avoir de la difficulté à appliquer ces dispositions conformément à leur intention initiale, et les modifications restent des éclaircissements et des ajouts importants quant aux dispositions relatives aux antécédents sexuels dans ce domaine.
    Voilà ce que je voudrais porter à l'attention du Comité dès le départ. Je répondrai volontiers à vos questions.
(1930)
    Merci beaucoup.
    Madame Cunliffe, la parole est à vous.
     Merci de m'inviter à prendre la parole devant votre distingué comité aujourd'hui, et surtout d'être revenus à la fin d'une longue journée pour entendre notre témoignage.
    Si vous me le permettez, je commercerais par mettre ma déclaration en contexte en expliquant que ma recherche universitaire porte principalement sur le raisonnement factuel et sur les règles de preuve dans le cadre des procès criminels, alors je m'intéresse particulièrement au raisonnement factuel dans les cas d'agression sexuelle. Voilà pourquoi je vais me concentrer sur les dimensions procédurales des modifications proposées dans le projet de loi C-51, plus particulièrement des modifications qu'il propose d'apporter aux articles 276 et 278.
    Les trois caractéristiques particulières du projet de loi que je vais aborder sont les précisions en ce qui concerne l'activité sexuelle qu'a abordées Mme Benedet; la proposition de donner aux plaignantes en matière d'agression sexuelle la qualité pour agir à l'égard des demandes d'ordre procédural qui influent sur leurs droits garantis par la Charte, conformément à l'article 278; et l'imposition de mesures de protection procédurale avant qu'un accusé puisse présenter des dossiers à l'égard desquels le plaignant a un intérêt au chapitre de la protection de sa vie privée sous le régime de l'article 278.
    Pendant que je me préparais pour aujourd'hui, j'ai examiné le mémoire présenté par le Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes et celui qui a été soumis par l'Association des avocats criminalistes. J'appuie le mémoire rédigé par le FAEJ et les recommandations qui y sont formulées, y compris en ce qui a trait à la codification bien intentionnée, mais, comme l'a expliqué Mme Benedet, mal rédigée des principes concernant la capacité de consentir, l'intoxication et l'inconscience. Je souscris à l'opinion de Mme Benedet à cet égard. Je ne m'étendrai pas sur ces affaires pour l'instant, mais je serai heureuse de les aborder plus en détail durant la période de questions, si les honorables membres du Comité souhaitent que je le fasse.
    Je vais maintenant passer aux modifications qui sont liées aux éléments de preuve et à la procédure. Dans le but de clarifier l'objet et le fonctionnement probable de ces modifications, je voudrais commencer par vous présenter un bref aperçu des principes constitutionnels qui ont été établis par la Cour suprême du Canada en ce qui concerne les procès pour agression sexuelle.
    Le droit d'un accusé de présenter une défense pleine et entière est fondamental au constitutionnalisme canadien et à la primauté du droit. Comme tous les droits et libertés, ce droit a des limites, dont certaines sont inhérentes à la nature du processus des procès. Par exemple, l'avocat de la défense doit se fonder sur la bonne foi dans le cas des questions posées en contre-interrogatoire. D'autres limites découlent du lien entre le droit de présenter une défense pleine et entière et d'autres garanties constitutionnelles, comme le droit à l'égalité, à la vie privée, à la dignité et à la sécurité de la personne.
    Dans l'arrêt R. c. Mills rendu en 1999 par la Cour suprême, la juge en chef McLachlin et le juge Iacobucci ont soutenu au nom de la majorité qu'un consentement de qualité doit sous-tendre les circonstances factuelles dans lesquelles le droit à une défense pleine et entière et le droit à la vie privée entrent en jeu. Voici une citation directe du jugement: « le droit à une défense pleine et entière n’inclut pas le droit d’obtenir des renseignements qui ne feraient que fausser l’objectif de recherche de la vérité du processus judiciaire. »
    Dans ces motifs, la Cour a établi un lien explicite entre les droits conférés au plaignant par la Charte et la fonction de recherche de vérité qui est l'ultime but d'un procès criminel. Dans le même ordre d'idées, la Cour suprême a mis l'accent sur le fait qu'on ne devrait pas permettre qu'un procès pour agression sexuelle devienne un supplice pour le plaignant. Par exemple, dans R. c. Osolin, le juge Cory a soutenu au nom de la majorité des juges qu'un plaignant ne devrait pas être indûment tourmenté et mis au pilori au point de le transformer en victime d'un système judiciaire insensible.
    Par conséquent, le défi auquel font face le législateur et les tribunaux concerne la façon de respecter pleinement l'importance des droits de l'accusé et de ceux du plaignant dans un procès pour agression sexuelle. Le fait de fixer adéquatement la limite entre les deux ensembles de droits est une étape essentielle qui permettra de relever ce défi. Le mémoire préparé par l'Association des avocats criminalistes énonce que les plaignants en matière d'agression sexuelle devraient être protégés contre le manque de respect, le traitement inéquitable, les interrogatoires fondés sur des mythes et les ordonnances de communication mal fondées et intrusives. Je suis d'accord.
    Toutefois, l'Association des avocats criminalistes ne reconnaît pas le fait que les plaignants en matière d'agression sexuelle possèdent des droits constitutionnels sur lesquels la manière dont les procès pour agression sexuelle sont menés pourrait avoir une incidence. Elle ne tient également pas compte de la reconnaissance explicite par la Cour suprême du Canada du fait que ces droits contribuent à définir la bonne portée des droits d'un accusé dans le cadre d'un procès pour agression sexuelle, et vice versa.
    Les règles législatives actuelles, notamment l'article 276 concernant les éléments de preuve liés aux antécédents sexuels et l'article 278 concernant les dossiers de tiers, établissent un équilibre constitutionnel au moyen de trois principes qui ont été reconnus comme conformes à la Constitution par la Cour suprême du Canada.
    Le premier de ces principes, c'est que certaines formes de raisonnement, qu'on appelle souvent les deux mythes, ont été qualifiées par la Cour suprême de tout simplement irrecevables. Sous sa forme actuelle —  et il restera tel quel dans le projet de loi C-51 —, l'article 276.1 interdit absolument l'admission d'éléments de preuve liés aux antécédents sexuels pour appuyer ce genre de raisonnements.
(1935)
    Deuxièmement, tous les éléments de preuve sont soumis à une exigence fondamentale de pertinence. Ce principe se reflète dans la version actuelle de l'alinéa 276(2)b) et du paragraphe 278.3(3), deux dispositions qui resteront inchangées sous le régime du projet de loi C-51. J'appuie la recommandation du FAEJ selon laquelle on doit modifier le projet de loi C-51 de manière à y ajouter la définition judiciaire du terme « vraisemblablement pertinent » fournie par la Cour d'appel de l'Ontario dans Regina c. Batte. D'autres renseignements sur cette question sont présentés aux pages 12 et 13 du mémoire du FAEJ.
     Selon le troisième, l'accusé ne peut déposer de preuve que si le risque d'effet préjudiciable à la bonne administration de la justice de cette preuve ne l'emporte pas sensiblement sur sa valeur probante. Ce principe est établi, par exemple, dans l'alinéa 276(2)c) de l'actuel code. Même si la numérotation va changer légèrement en conséquence de l'adoption du projet de loi C-51, le principe restera le même. Un exercice de pondération semblable est requis en ce qui a trait à la divulgation de dossiers de tiers.
     Alors, tournons-nous vers le projet de loi C-51. La première des choses qu'il fera en ce qui a trait à cet équilibre entre les droits du plaignant et ceux de l'accusé, c'est préciser que la définition du terme « activité sexuelle » englobe les communications. Dans la situation où un accusé souhaite présenter des éléments de preuve sous forme de communications d'ordre sexuel faites par le plaignant, le juge de première instance tiendra compte des trois mêmes principes qui existent déjà et qui sont déjà constitutionnels. Les éléments de preuve sont-ils présentés uniquement dans le but de perpétuer des mythes et des stéréotypes interdits? Le cas échéant, ils sont irrecevables. Les éléments de preuve sont-ils pertinents par rapport aux questions importantes qu'il faut se poser pour déterminer si le plaignant a consenti subjectivement à l'activité sexuelle qui a eu lieu à ce moment-là et si l'accusé croyait que le plaignant était consentant? Les éléments de preuve ont-ils une valeur probante qui n'est pas surpassée sensiblement par le risque d'effet préjudiciable à la bonne administration de la justice?
     En se penchant sur ces questions, le juge tiendrait compte des droits conférés à l'accusé par la Charte et de ceux du plaignant, ainsi que de la mesure dans laquelle les éléments de preuve feraient avancer la fonction de recherche de vérité du procès et d'autres fins sociales importantes. Il vaut la peine de souligner qu'en 1992, quand l'article 276 a été rédigé, les médias sociaux étaient essentiellement inexistants. Les messages textes et les courriels, y compris les messages photo, qui sont largement utilisés aujourd'hui n'existaient essentiellement pas sous leur forme actuelle. L'adoption culturelle des technologies numériques aux fins des communications personnelles a ouvert de nouvelles portes à l'exploitation des mythes et des stéréotypes que les tribunaux et le législateur tentent vaillamment d'exclure du système judiciaire. La modification qu'on propose d'apporter à l'article 276 représente une réaction sensée et graduelle à ces changements sociaux et apporte une précision dans un ensemble de précédents contradictoires. Elle n'entraînera pas l'exclusion d'éléments de preuve précieux, mais elle garantira que les juges sont attentifs aux risques de raisonnement irrecevable.
    Je vais maintenant aborder brièvement les paragraphes 278.94(2) et (3) proposés, qui confèrent aux plaignants le droit d'être représentés par un avocat durant les audiences sur la recevabilité des éléments de preuve liés à leurs antécédents sexuels ou des dossiers connexes. Dans un article que j'ai publié en 2016 dans le Supreme Court Law Review, j'ai documenté certaines des difficultés que connaissent actuellement les plaignants qui souhaitent se prévaloir de leurs droits en vertu de la Charte sans qualité pour agir ni représentation juridique. Les droits conférés aux plaignants par la Charte sont déterminants pour ces audiences sur la recevabilité. En effet, c'est exactement la raison pour laquelle on tient des audiences. Le fait de donner aux plaignants la qualité pour agir et d'assurer un financement approprié afin de veiller à ce qu'ils soient représentés par un avocat constitue le moyen le plus efficace de s'assurer que les plaignants en matière d'agression sexuelle se voient accorder un avantage égal et la protection de la loi à cette étape importante du procès.
     Enfin, je voudrais aborder le fait qu'on élargit la définition des dossiers au titre de l'article 278 pour englober ceux qui sont en possession de l'accusé. Le document d'information du ministère de la Justice concernant le projet de loi C-51 énonce que le paragraphe 278.92(1) proposé s'appliquait aux — je cite — « dossiers personnels d’une ou d’un plaignant » qui sont en possession de l'accusé. Le libellé utilisé dans ce paragraphe proposé prévoit qu'un dossier comprend, de façon pertinente, « toute forme de document contenant des renseignements personnels pour lesquels il existe une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée ». L'Association des avocats criminalistes se dit préoccupée par la possibilité que l'obligation soit trop vaste et, à la page 4 de son mémoire, présente des exemples de situations où le libellé simple de la disposition semblerait s'appliquer à des dossiers qui ne font pas intervenir l'obligation de protéger la vie privée d'un plaignant.
(1940)
    D'après le document d'information du ministère de la Justice, je crois que l'intention est d'amorcer le processus prévu à l'article 278 lorsque l'accusé est en possession de dossiers à l'égard desquels le plaignant ou un témoin a un intérêt au chapitre de la protection de la vie privée, mais pas autrement. C'est pourquoi je recommanderais que votre distingué comité envisage l'amendement du paragraphe 278.92(1) proposé afin qu'il soit ainsi libellé: « un dossier à l'égard duquel un plaignant ou un témoin [...] qui est en possession de l'accusé [...] ne peut être admissible qu'en conformité avec le présent article », etc.
    Pour clarifier cette intention, le lien pertinent par rapport à l'amorce du processus est celui entre le dossier et les intérêts du plaignant au chapitre de la protection de la vie privée. Ce libellé dissiperait la préoccupation au sujet de la portée excessive qu'a soulevée l'Association des avocats criminalistes, tout en permettant d'atteindre le but qu'a établi le ministère de la Justice.
    Merci de votre attention.
    Merci beaucoup.
     Nous allons maintenant passer aux questions. Nous allons commencer par M. Cooper.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins.
    Madame Benedet, tout d'abord, je veux clarifier ce que vous proposez en ce qui a trait au paragraphe 153.1(3) proposé, au libellé qui parle d'un plaignant qui était inconscient. Proposiez-vous simplement de retirer ce passage?
    Je suggère que, si l'intention du législateur est de codifier l'arrêt Regina c. J.A. de la Cour suprême du Canada, il vaudrait mieux retirer la mention de l'inconscience et modifier l'actuel alinéa b) afin qu'il prévoie qu'aucun consentement n'est obtenu si le plaignant est incapable de consentir à l'activité au moment où a lieu l'acte sexuel. Cela englobe les situations où le plaignant est inconscient, mais aussi celles où on prétend que le consentement a été donné à l'avance et où le plaignant, sans être inconscient, est frappé d'une incapacité pour une autre raison, comme la consommation de drogue ou d'alcool ou un autre genre de handicap intellectuel progressif, qui font en sorte qu'il pourrait avoir consenti à un moment, mais ne plus consentir.
    Je pense que cela englobe le raisonnement établi dans Regina c. J.A., qui n'était pas limité à l'inconscience. Cet arrêt expose clairement que le moment pertinent pour l'évaluation de la présence ou de l'absence de consentement est celui où a lieu l'activité sexuelle. Si vous êtes incapable de consentir, ce qui inclut l'inconscience, mais le seuil est inférieur à cela, alors, il n'y a pas de consentement à l'activité sexuelle, et vous ne pouvez pas vous contenter de dire que le consentement avait été donné à un moment antérieur. On doit être en position de le retirer.
(1945)
    Si le libellé restait tel quel, seriez-vous préoccupée — comme, je le pense, d'autres témoins — par la possibilité que l'inconscience soit un seuil ou qu'un argument soit formulé à cet égard?
    C'est exact. Si vous regardez la jurisprudence, celle qui porte sur l'incapacité, actuellement, ce n'est pas un seuil très clair. C'est un critère difficile à respecter.
    Je pense que les tribunaux ont souvent du mal à déterminer s'il y a une distinction entre la capacité de dire « oui » et celle de savoir qu'on ne veut pas être touché. Je pense que la première exige un niveau de fonctionnement bien plus élevé. Nous avons déjà de la difficulté avec ces genres de décisions: des tribunaux qui appliquent une norme plus élevée pour les plaignants qui s'intoxiquent volontairement que pour ceux qui ont été intoxiqués involontairement.
    Je m'inquiète de la possibilité que l'insertion d'une disposition distincte portant sur l'inconscience — la common law a toujours prévu qu'une personne qui est inconsciente n'est pas capable de donner son consentement — trouble les eaux et rende l'application de ce qui restera — la disposition relative à l'incapacité — encore plus compliquée qu'elle ne l'est déjà. Je ne pense pas que le paragraphe proposé reflète avec l'exactitude la pleine étendue de l'arrêt J.A.
    Merci de cette précision.
     Il y a un autre aspect à l'égard duquel je souhaite obtenir des éclaircissements. Vous avez mentionné la défense de la croyance erronée. Hier, l'un de témoins — je crois que c'était Mme Lee — a laissé entendre, à la lumière du libellé actuel du projet de loi C-51, que cette défense serait effectivement éliminée en ce qui touche tant les faits que le droit. Je crois que le problème tient au sous-alinéa 273.2(3)a)(iii), « l’une des circonstances dans lesquelles il n’y a pas de consentement de la part du plaignant, notamment celles visées », etc.
    Souscrivez-vous à son analyse, selon laquelle, si ce libellé n'est pas modifié, on court le risque d'au moins causer beaucoup de confusion au sujet de la possibilité d'invoquer cette défense de la croyance erronée?
    Je dois dire que je n'ai pas cette préoccupation.
    Je pense que le nouveau sous-alinéa 273.2a)(iii) qui est proposé est simplement une codification du droit existant. La Cour suprême du Canada a déjà affirmé clairement que, si la croyance de l'accusé au consentement est fondée sur une erreur au sujet de la définition du terme « consentement »... Vous croyez qu'une femme dit parfois non, mais qu'en réalité, elle veut dire oui. Vous croyez que la passivité ou l'omission de résister équivaut au consentement. Tous ces exemples sont les genres de facteurs qui sont énoncés dans les paragraphes 265(3) ou 273.1(2).
    Le fait de croire que vous avez obtenu le consentement de la personne dans ces situations — si ce sont les circonstances que vous connaissez à ce moment-là — constitue une erreur de droit, pas une erreur de fait. Vous exploitez une définition inexacte du terme « consentement » au sens de la loi.
    La défense de l'erreur de fait — la Cour suprême du Canada l'a affirmé clairement — est conçue pour être une défense inhabituelle. L'expression qui a été employée par la Cour, c'est que les gens ne commettent souvent pas un viol « par accident » ou par inadvertance. Dans la plupart des circonstances, nous devrions être en mesure de faire une distinction entre une agression sexuelle et un rapport sexuel consensuel.
    C'est une défense pointue conçue pour s'appliquer uniquement dans les situations où il y a un doute raisonnable quant à la question de savoir si l'accusé croyait honnêtement que la plaignante avait donné son accord volontaire pour participer à l'activité sexuelle et qu'elle avait, par ses paroles ou sa conduite, manifesté un genre de « oui » volontaire afin de participer à l'activité sexuelle. Il s'agit d'une erreur de fait. Bien entendu, cette erreur de fait doit être accompagnée d'éléments de preuve selon lesquels l'accusé a pris des mesures raisonnables pour s'assurer de la présence de consentement.
    La portée de la défense demeure la même avec cette modification. Elle est telle qu'elle a toujours été. Il s'agit simplement d'une tentative de clarifier le fait qu'une erreur fondée sur une interprétation erronée du terme « consentement » au sens de la loi n'entraîne pas d'exonération. Je pense que c'est le droit existant; il ne se reflète tout simplement pas dans le code.
    Merci.
    Monsieur McKinnon.
    Merci, monsieur le président.
    Je voudrais poursuivre la discussion au sujet du consentement. Certains de nos témoins des groupes précédents ont indiqué qu'ils voudraient voir enchâssé dans la loi un libellé comme celui-ci: consentement désigne le fait que la personne est capable de comprendre la nature sexuelle de l'activité et le risque qui s'y rattache, capable de se rendre compte du choix qu'elle a de refuser et capable de communiquer son consentement. Appuieriez-vous cette suggestion?
(1950)
    Si je comprends bien la question, il s'agit en fait d'une définition plus complète de l'incapacité de consentir. C'est d'une définition de l'incapacité qu'il est question. Est-ce que je comprends bien?
    Selon mon interprétation du témoignage entendu plus tôt, on voulait voir ce libellé particulier enchâssé dans le code du point de vue de la signification du consentement.
    Exact.
    Appuieriez-vous cette définition?
    Je suppose que je considère qu'il s'agit d'une définition de l'incapacité. Nous avons actuellement une définition qui prévoit que le consentement est l'« accord volontaire du plaignant à l'activité sexuelle ». La question que le code laisse sans réponse, c'est dans quelles circonstances cet accord volontaire pourrait sembler être présent, mais ne pas l'être, en fait. Je ne devrais pas dire qu'il la laisse sans réponse. Certaines situations sont énoncées, par exemple, si l'accusé incite le plaignant à participer par abus de confiance.
    Je considérerais ces exemples comme des définitions de la signification de l'incapacité de consentir. En général, j'appuierais une plus grande réflexion concernant la question de savoir ce qui est vraiment l'incapacité. Une autre façon d'envisager la question consiste à dire qu'en réalité, ce que nous faisons, c'est donner une certaine substance à la notion de consentement involontaire, n'est-ce pas? Je suppose que je pourrais y réfléchir de cette façon également.
    Je suis maintenant intrigué par la notion de consentement involontaire. Peut-on consentir involontairement?
    Pendant très longtemps, la loi a considéré le consentement du point de vue de l'omission de résister, alors la soumission pouvait équivaloir à un consentement. Notre définition qui figure dans le Code criminel prévoit non seulement qu'il doit y avoir un consentement, que la plaignante doit vouloir dans son propre esprit que le contact sexuel ait lieu, mais aussi que tout accord qui est donné doit être volontaire. Par exemple, il y a eu des cas où cet accord avait été extorqué par la menace d'exposer des photographies de la personne nue à des membres de la famille et à des amis, et le tribunal a dit: « Eh bien, vous avez dit "oui" », mais ce n'était pas un « oui » volontaire; cet accord avait été extorqué au moyen d'un certain genre de pression.
    J'ai fait pas mal de travail avec ma collègue Isabel Grant sur les agressions sexuelles commises contre des personnes frappées d'un handicap intellectuel. Nous voyons des cas où il y a un genre d'obtempération conditionnée et où les plaignants disent « oui », montent dans la fourgonnette et retirent leur pantalon, mais n'ont pas la capacité de vraiment comprendre ce qu'on leur demande de faire. Souvent, ces cas sont traités selon la notion de l'incapacité de consentir, et nous n'avons pas de norme juridique très claire pour les situations où cette incapacité existe.
    Toute précision que nous pourrons donner sera avantageuse. Il n'est pas nécessaire que la liste soit exhaustive, mais nous devons véhiculer l'idée que le consentement doit être éclairé, qu'il faut avoir la capacité de comprendre qu'on peut refuser — parce que certaines personnes frappées d'un handicap intellectuel ne savent pas qu'elles peuvent refuser l'activité sexuelle — et qu'il doit s'agir de son accord réel. Ce sont tous des éléments qui figurent dans le libellé actuel du code, mais qui ne sont parfois pas pleinement appliqués dans les affaires que nous voyons.
    À ce que je crois comprendre, vous semblez me dire que ce genre de précision et ces types de critères sont déjà prévus, alors ils n'ont pas besoin d'être codifiés.
    Ce sont peut-être deux choses différentes. Ils sont déjà là, mais, malheureusement, les tribunaux ne les voient pas toujours.
    Imaginons que nous les codifions de manière à ce que le consentement exige que ces trois conditions soient remplies. Alors nous pourrions dire quelque chose comme: « Il demeure entendu que cette définition englobe, entre autres, l'état d'inconscience », et ainsi de suite. Une modification de ce genre serait-elle avantageuse? Une telle disposition causerait-elle plus de problèmes qu'autre chose? Est-ce un élément que le droit pourrait appuyer et avec lequel le système judiciaire pourrait composer?
    Je ne suis pas certaine qu'il s'agisse d'une disposition distincte et indépendante ou simplement de l'ajout d'autres situations dans la liste actuelle que nous voyons au paragraphe 273.1(2) concernant les cas où aucun consentement n'est obtenu. Vous pourriez faire cela en définissant simplement l'incapacité de façon un peu plus vaste et en incluant certains des autres facteurs dans la même liste. Oui, je pense que ce serait avantageux.
(1955)
    Je vais passer à autre chose.
    Une disposition prévoit que le plaignant a droit à un avocat dans le processus des audiences sur la recevabilité. On a laissé entendre qu'il s'agit d'une pente glissante, que nous ne le ferons pour aucun autre type de plaignant et que cette pratique pourrait devenir excessivement lourde pour le déroulement de la procédure, du point de vue de l'établissement du calendrier, puisque, maintenant, il faut y ajouter une partie supplémentaire, des avocats supplémentaires et des dépenses supplémentaires.
    Madame Cunliffe, pourriez-vous vous prononcer là-dessus?
    Deux ou trois choses doivent être dites. Tout d'abord, si nous devons donner des garanties constitutionnelles — ce que nous avons fait —, alors, nous devons également prévoir des moyens de les faire respecter. Le moyen le plus simple et le plus direct de le faire consiste à permettre aux plaignants de faire protéger leurs droits constitutionnels au moyen de la représentation par un avocat. L'idée de séparer une garantie constitutionnelle de la qualité pour agir afin de la faire appliquer m'inquiète de façon considérable, pour les motifs que j'ai formulés dans l'article général que j'ai mentionné.
    En ce qui concerne l'établissement du calendrier et la question de savoir si cette disposition rend les choses encore plus lourdes ou soulève des préoccupations au sujet, par exemple, du principe de Jordan, relativement au droit à un procès tenu dans une période équitable, il ne fait aucun doute que les principes de l'arrêt Jordan cause des difficultés aux tribunaux. Un certain nombre de choses peuvent être faites à cet égard pour ce qui est de fournir de meilleures ressources, de nommer plus de juges, de s'assurer que les avocats de la Couronne disposent de ressources adéquates et, à l'échelon provincial, de s'assurer que l'aide juridique est financée adéquatement. J'affirmerais que le fait de priver les plaignants de leurs droits prévus dans la Charte, notamment leur droit d'être représentés par un avocat, pour régler les problèmes liés à l'arrêt Jordan serait effectivement un correctif très médiocre.
    Puis-je poser une autre question rapide?
    Bien sûr, soyez très rapide.
    En ce qui concerne le fait de priver les plaignants de leurs droits prévus par la loi, ils ne subissent pas de procès dans ce cas, il est à espérer. Cela fait partie du but, qu'ils ne subissent pas de procès. C'est l'accusé, dont les droits prévus par la loi seraient mis en cause, selon moi, pas le plaignant.
    C'est là que la jurisprudence liée à la Charte est complexe relativement à d'autres secteurs du droit pénal. Vous avez tout à fait raison de dire que c'est l'accusé qui risque d'être privé de sa liberté à la suite du procès.
    Ce que les tribunaux ont répété dans bien des cas, c'est que le droit de l'accusé à une défense pleine et entière et les autres droits prévus dans la Charte, qui sont associés à sa position particulière de vulnérabilité, sont en partie définis et délimités par les droits conférés par la Charte au plaignant dans un procès pour agression sexuelle, plus particulièrement en raison des préoccupations qui sont soulevées quant à l'égalité, des mythes et des stéréotypes qui ont toujours été exploités et des préoccupations quant à la recherche de vérité dans un système dont l'évolution, au fil du temps, malheureusement, s'est caractérisée par la perpétuation de mythes et de stéréotypes. Il s'agit de la reconnaissance du fait que ces cas sont différents, ce qui est très clair et revient constamment dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada.
    Je pense qu'il est essentiel que l'on souligne que la Cour suprême du Canada s'est exprimée clairement à ce sujet et que l'on oblige effectivement le législateur et les tribunaux à rendre des comptes à cet égard. Oui, l'accusé a droit à un procès équitable, et ces droits doivent absolument être respectés. Toutefois, pour ce faire, il faut en partie réfléchir très attentivement aux droits conférés par la Charte aux plaignants et à la façon dont ces deux éléments peuvent être maximisés idéalement, ou, lorsqu'ils entrent en conflit, à la façon dont ce conflit peut être réglé de la meilleure manière possible, tout en tenant compte des autres objectifs sociaux, comme la recherche de vérité et la protection des intérêts publics au moyen de la poursuite des criminels.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Allez-y, monsieur Blaikie.
    Merci à vous deux d'être ici ce soir pour nous faire part de vos remarques.
     Un des aspects du projet de loi C-51 consiste à mettre en place une nouvelle procédure qui régit l'utilisation de dossiers d'instruction concernant le plaignant qui sont déjà entre les mains de la défense. Nous en avons déjà un peu parlé.
    Lundi, le Comité a entendu des représentants de la Criminal Lawyers' Association qui disaient qu'on devait préciser dans le projet de loi le type d'utilisation de dossiers qui déclencherait ce nouveau mécanisme. Madame Cunliffe, vous en parliez avant, alors je me demande si vous pouviez nous en dire un peu plus à ce sujet.
(2000)
    Merci de m'inviter à le faire.
    Je conviens avec la Criminal Lawyers' Association qu'il y a de la place pour une précision. Si nous retournons à l'affaire qui est à l'origine de cette modification, l'affaire Shearing, les faits étaient que le journal de la plaignante avait été volé par la personne accusée, et le tribunal a soutenu que les moyens avec lesquels la personne accusée avait pris possession du journal n'étaient pas pertinents à la recevabilité du journal au procès. Une disposition comme celle-ci s'applique dans un tel cas.
    Si nous pensons à la possibilité, comme elle existe dans la jurisprudence, qu'une personne accusée obtienne l'accès de façon inappropriée, par exemple, à des profils Facebook ou à des dossiers de courriels confidentiels, il importe, dans l'intérêt public, de s'assurer qu'il y a des garanties de procédure avant que ces types de documents puissent être produits devant un tribunal.
    La valeur de cette disposition, si elle cible seulement les dossiers pour lesquels la plaignante veut protéger sa vie privée, permet au juge d'instance d'utiliser le même processus décisionnel et les mêmes principes dont j'ai parlé. Alors l'information s'appuie-t-elle sur les mythes et les stéréotypes qu'elle perpétue? Est-elle pertinente à une question de fond en litige au cours du procès? La valeur probante l'emporterait-elle nettement sur l'effet préjudiciable de présenter cette information?
    Le problème que je vois et que, selon moi, le mémoire de la Criminal Lawyers' Association met en lumière, c'est que la façon dont on a rédigé les dispositions qui lient le souhait du plaignant de protéger sa vie privée et la question en litige n'est pas évidente à première vue. Je crois que c'est très clair dans l'intention, mais pas de prime abord.
    C'est la raison de ma recommandation. Le nouveau paragraphe 278.92(1) est ainsi libellé: « […] un dossier se rapportant à un plaignant ou à un témoin qui est en possession de l’accusé ou sous son contrôle et que ce dernier se dispose à présenter en preuve ne peut être admissible qu’en conformité avec le présent article ». Le problème se pose en raison de la portée de la formulation « se rapportant à ». Cette formulation aurait été plus claire, et on aurait mieux saisi l'intention ainsi: « Un dossier qu'un plaignant ou un témoin souhaite ne pas communiquer pour protéger sa vie privée et qui est en possession ou sous le contrôle de l'accusé ». Ce lien entre la protection de la vie privée du plaignant et la possession de l'accusé est beaucoup plus clair grâce à cette nouvelle formulation.
    Merci beaucoup de cette recommandation très précise.
     J'ai une question plus générale. Même si le projet de loi C-51 établirait un meilleur régime juridique sur le plan des questions d'agression sexuelle, je me demande quelles sont les inquiétudes concernant les femmes qui pourraient se prévaloir de ce régime juridique amélioré dans un contexte où il n'y a pas suffisamment d'aide juridique. Que croyez-vous que le gouvernement devrait faire afin de s'assurer de ne pas seulement améliorer la loi en vigueur pour ensuite se retrouver dans des situations où les femmes ne peuvent se prévaloir de ces lois?
    Je pourrais probablement dire deux ou trois choses à ce sujet. Vous avez tout à fait raison: un simple type de droit théorique à un avocat, s'il n'est pas financé, est illusoire pour la plupart des femmes.
    Je crois qu'il est également important de reconnaître que le niveau de plaintes documentées n'est pas réparti également dans la société. Même si vous examinez la fréquence des infractions sexuelles, les taux les plus élevés sont à coup sûr ceux qui concernent des adolescentes âgées de 13 à 15 ans. Il s'agit d'une statistique de Statistique Canada.
    Vous avez de jeunes victimes, souvent des jeunes femmes ou des filles, certainement, qui sont visées par des demandes de divulgation des dossiers, qui ont vécu une vie abondamment documentée, qui ont des dossiers de protection de l'enfance, des dossiers scolaires, des dossiers médicaux ou thérapeutiques et, éventuellement, des dossiers provenant d'un type de centre d'aide aux victimes d'agression sexuelle, etc. Les jeunes femmes n'ont pas participé à la création de nombre de ces dossiers et ne les ont même jamais vus, mais ils contiennent beaucoup de jugements sur elles. Il s'agit de jeunes femmes qui ont vécu toute leur vie en ligne et qui ont toutes sortes de matériel virtuel.
    Je crois qu'il est important de reconnaître que la situation n'est pas équitable pour tous. En ce qui concerne ce que nous pourrions faire d'autre, le financement de l'accès aux services d'un avocat, comme c'est proposé ici, est certainement très important.
    Je crois que, lorsqu'il s'agit des témoins les plus vulnérables dans les procès d'agression sexuelle, le Canada est loin derrière d'autres pays. J'ai été très heureuse d'accueillir une délégation de l'Écosse il y a deux ou trois ans qui est venue voir comment d'autres administrations abordaient les accommodements offerts aux témoins vulnérables qui doivent témoigner devant un tribunal et particulièrement au cours de procès pour agression sexuelle. Il est devenu très clair que nous avions beaucoup plus à apprendre de la délégation que l'inverse. Les rapports qu'elle a publiés proposent certainement des modifications importantes de la façon de recueillir le témoignage de témoins vulnérables.
    Je crois qu'on peut beaucoup apprendre sur ce qui se passe ailleurs, et que toutes ces choses ne nuisent pas au droit de chaque accusé à subir un procès équitable. On reconnaît seulement que, souvent, ce sont des femmes et des filles vulnérables qui se présentent devant les tribunaux dans ce type d'affaires.
(2005)
    Merci beaucoup.
    Monsieur Fraser.
    Merci, monsieur le président.
    Merci beaucoup à vous deux de vos excellents exposés et de vos très bonnes recommandations. Il est utile pour le Comité d'avoir des recommandations réelles et tangibles auxquelles réfléchir.
    Madame Benedet, vous avez parlé de codifier les décisions J.A. et Ewanchuk. Croyez-vous que le projet de loi actuel codifie correctement la décision Ewanchuk? Vous avez parlé de la croyance sincère mais erronée au consentement et du fait qu'il élimine ce moyen de défense en droit, mais pas en fait. Je comprends cela et reconnais qu'il s'agit d'un moyen de défense limité, mais croyez-vous qu'on a trouvé l'équilibre adéquat et qu'il codifie correctement en réalité la décision Ewanchuk?
    Pour ce qui est de la question de la croyance erronée au consentement, oui, je crois que les révisions proposées sont une codification tout à fait exacte et juste de ce que la Cour suprême du Canada a statué dans cette affaire.
    Ce qui manque, c'est que le tribunal dans l'affaire Ewanchuk a également défini les fins de l'actus reus, mais pas l'élément mental en question dans la croyance erronée au consentement, l'idée que le non-consentement signifie que la plaignante dans son esprit ne voulait pas que se produisent les attouchements sexuels. C'est ce que la Couronne doit prouver hors de tout doute raisonnable, et c'est là où la plupart des poursuites d'adultes pour agression sexuelle, en ce qui concerne les plaignants adultes, échouent en raison d'inquiétudes liées à la crédibilité du plaignant et à l'affirmation concernant son état d'esprit à ce moment-là.
    Je trouve intéressant que, même si le Code définit le consentement, il ne définit pas le non-consentement. Nous n'avons jamais codifié l'affirmation de la décision Ewanchuk selon laquelle le non-consentement, aux fins des articles 271, 272 et 273, signifie que la plaignante dans son esprit ne voulait pas que se produisent les attouchements sexuels. Cela fait partie de la jurisprudence; les juges appliquent cette norme. Certaines des questions concernent simplement la façon dont nous laissons les plaignantes être contre-interrogées sur la foi de ce que je crois être des mythes et des stéréotypes persistants de ce à quoi ressemble en réalité le non-consentement. Je viens juste de remarquer que cela ne figure pas en réalité dans le Code criminel. Il est intéressant de noter que c'est la seule partie de la décision Ewanchuk, celle qui est probablement appliquée le plus souvent, qui ne figure pas dans le Code criminel.
    Je vais toutefois poursuivre sur la croyance sincère mais erronée au consentement, seulement pour une minute, afin que nous puissions comprendre la façon dont elle fonctionnerait en pratique.
    Comme je la comprends, la Couronne devrait évidemment présenter ses éléments de preuve concernant l'absence de consentement. Cela fait partie de la preuve qu'elle devrait établir, et il reviendrait à la défense de présenter une preuve et d'utiliser la défense de croyance sincère mais erronée au consentement dans une circonstance de fait.
    Est-ce que cela fonctionnerait ainsi dans le cadre d'un procès? Pouvez-vous m'aider à comprendre exactement le type de preuve que la défense pourrait présenter pour invoquer cette circonstance de fait?
    Vous avez raison. Même si nous remettons en cause l'élément mental, nous le traitons comme un moyen de défense. La Couronne l'intégrerait dans ses arguments. La défense, afin de conserver ce moyen de défense pour le présenter au jury, devrait donner une apparence de vraisemblance au moyen de défense, ce qui signifie qu'elle devrait utiliser certains éléments de preuve consignés au dossier qui sont capables de soulever un doute raisonnable sur la croyance de l'accusé. Cet élément de preuve pourrait provenir des propres éléments de preuve de la Couronne si le témoignage du plaignant au cours du contre-interrogatoire montre un certain malentendu ou une possibilité de malentendu. Je suppose que cela suffirait simplement d'après les propres éléments de preuve de la Couronne; il n'est donc pas nécessaire que l'accusé témoigne pour invoquer un moyen de défense. Sur le plan pratique, comme question tactique, il arrive souvent que l'accusé témoigne et donne une version différente des événements.
    La raison pour laquelle ce moyen de défense est tellement rare, c'est que, en général, lorsque l'accusé témoigne, il fait part d'une version des événements qui est entièrement différente et suppose un consentement enthousiaste et volontaire. En règle générale, les tribunaux se disent que si la version de la plaignante est « je n'ai absolument pas consenti, c'était clair pour n'importe qui et on ne pouvait pas s'y méprendre » et que la version des événements de l'accusé est « sa participation était consentante et enthousiaste, et elle a inventé son histoire après le fait », il n'y a pas en réalité beaucoup de place pour une troisième version des événements, un certain juste milieu.
    Ce simple fait, peu importe ce que nous ajoutons au Code criminel, signifie qu'on ne devrait pas utiliser ce moyen de défense très souvent. Il devrait s'agir d'un ensemble de faits inhabituels dans lequel une certaine version du témoignage nous donnerait à penser que le plaignant ne voulait pas que se produisent les attouchements sexuels, mais où l'accusé croyait que le plaignant lui avait dit « oui ». C'est vrai, peu importe ces amendements ou toute autre chose.
    Le seuil n'est pas énorme à l'étape initiale. C'est le seuil de l'apparence de vraisemblance. Y a-t-il des éléments de preuve crédibles pouvant soulever un doute raisonnable? Bien sûr, il y a la question de la croyance de l'accusé dans les circonstances à ce moment-là. Croyait-il qu'il avait un « oui » en raison de mots ou de la conduite du plaignant, et y a-t-il des éléments de preuve selon lesquels l'accusé a pris des moyens raisonnables dans les circonstances pour s'assurer qu'il y avait consentement? C'est également une partie importante du moyen de défense qui est prévu par la loi depuis les réformes de 1992.
(2010)
    Merci. Je ne sais pas s'il me reste du temps.
    Vous avez le temps pour une autre question.
    J'aimerais revenir à la codification de la décision J.A. Je comprends ce que vous dites; selon vous, c'est insatisfaisant de dire seulement que le plaignant est inconscient, mais il y a également l'alinéa b), selon lequel le plaignant est incapable de consentir à l'activité pour toute autre raison. C'est en quelque sorte ajouter deux parties pour remplacer l'alinéa b) qui est déjà là. Ne croyez-vous pas que le fait d'ajouter les mots « pour toute autre raison » à la partie de l'alinéa b) atténuerait ce que vous dites, soit que cela comprendrait les personnes qui sont sur le point de perdre connaissance ou qui sont incapables de former un consentement pour d'autres raisons et qu'il n'y aurait pas de durée au consentement ni de limite au moment de remonter dans le temps? Cela réglerait en quelque sorte le problème. Soit vous êtes inconscient, soit vous êtes incapable de former un consentement pour toute autre raison.
    Ne croyez-vous pas que cela règle le problème?
    Je crois que c'est mieux que de seulement laisser l'incapacité de former un consentement dans le Code criminel parce que je crois que cela porte à confusion: « Attendez une minute, les alinéas a) et b) ne sont-ils pas redondants? »
    Je comprends que l'ajout des mots « pour toute autre raison que la perte de conscience » est une tentative de dire qu'il s'agit d'une catégorie élargie. Je me demande pourquoi nous séparons la perte de conscience comme s'il s'agissait d'une certaine norme qui mérite une mention particulière. Si l'idée est que nous voulons préciser quelque chose qui n'est pas clair dans la loi, et que le tribunal devait le faire dans la décision J.A. à un moment où l'alinéa b) était en vigueur — lequel parle de l'incapacité de former un consentement —, ce qui n'était pas clair dans la loi au moment où la décision J.A. a été rendue, ce n'était pas que la perte de conscience était une forme d'incapacité, c'était que le moment pertinent pour déterminer le consentement est l'instant où se déroule l'activité sexuelle, et vous ne pouvez pas le former d'avance. C'est ce qu'on ne retrouve pas dans ces amendements. À mon avis, ce serait un meilleur ajout parce qu'il aborderait en réalité la question juridique qui a été tranchée dans la décision J.A.
    D'accord, merci beaucoup.
    Merci beaucoup.
    Chers collègues, est-ce que quelqu'un d'autre a une petite question?
    Sinon, mesdames, je veux vous remercier beaucoup d'être venues témoigner devant nous. Vous nous avez offert un témoignage très clair et très convaincant, et celui-ci était très utile. Merci encore une fois de nous avoir transmis par écrit les amendements concrets que vous proposez.
    Je souhaite une excellente soirée à tous.
    La séance est levée.
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