SECU Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
Comité permanent de la sécurité publique et nationale
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le jeudi 3 mai 2012
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Bon après-midi à tous.
C'est la 37e séance du Comité permanent de la sécurité publique et nationale. Nous sommes le jeudi 3 mai 2012.
Nous poursuivrons aujourd'hui notre examen du projet de loi C-350, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (responsabilisation des délinquants).
À la fin de la réunion, nous prendrons le temps d'examiner certaines questions relatives aux travaux du comité.
Notre premier témoin aujourd'hui est M. Irvine Waller, président de l'Organisation internationale d'aide aux victimes. M. Waller est professeur de criminologie à l'Université d'Ottawa. Auteur de plusieurs ouvrages, son travail a été reconnu par de nombreux prix décernés par la National Organization for Victim Assistance et d'autres organismes. Il s'est fait le champion des droits des enfants victimes au Bureau international des droits des enfants, où il a parrainé en 2005 l'adoption des Lignes directrices des Nations Unies en matière de justice dans les affaires impliquant des victimes et témoins d'actes criminels.
Nous sommes heureux d'accueillir encore une fois M. Waller au comité. Nous avons en effet eu le plaisir de l'entendre et de nous entretenir avec lui dans le passé.
Bienvenue au comité. Nous avons hâte d'entendre votre exposé préliminaire.
Je vous remercie de cette présentation et de l'occasion que vous m'avez donnée de parler au comité des questions touchant les victimes d'actes criminels.
Je voudrais ajouter à votre présentation quelques petits détails qui vous permettront, je pense, de mieux comprendre ce que je vais dire.
Dans les années 1970, j'ai participé à une grande étude sur les besoins des victimes d'actes criminels et la façon d'y répondre. L'une des choses qui est clairement ressortie de cette étude, c'est que les victimes ont besoin d'être dédommagées. J'ai également fait partie du comité Hugessen dont les recommandations ont permis, en 1973, de nommer à la Commission nationale des libérations conditionnelles des représentants des victimes et des agents de police. Cette représentation existe encore aujourd'hui.
Le prix que vous avez mentionné m'a été décerné pour le rôle que j'ai joué pour persuader l'Assemblée générale des Nations Unies d'adopter des normes concernant les droits de l'homme des victimes d'actes criminels. Il est très important que le comité examine ces normes.
Je vais réaffirmer ce que vous a dit l'ombudsman fédérale des victimes d'actes criminels, mais je vais peut-être aller un peu au-delà en ajoutant que nous avons besoin de bien plus que les dispositions du projet de loi C-350 et bien plus que l'ombudsman fédérale a préconisé pour veiller à ce que le besoin de réparation des victimes soit satisfait au Canada par voie de dédommagement, à un niveau correspondant aux normes internationales.
Je voudrais vous faire part d'une observation générale: au Canada, la situation des victimes d'actes criminels est très sensiblement inférieure à celle de pays comparables, comme les États-Unis, la France ou l'Australie. Ce n'est pas simplement mon opinion. C'est aussi celle de plusieurs comités. Le comité de 1989 présidé par David Daubney avait formulé une série de recommandations relatives au dédommagement. Dans son rapport intitulé Les droits des victimes - Participer sans entraver publié en 1998-1999, le comité avait présenté plusieurs recommandations concernant les victimes, dont la plupart n'ont pas eu de suites ou n'ont été mises en œuvre que d'une manière très insatisfaisante.
Si vous examinez ce qui s'est passé en Ontario, seule province où nous avons sérieusement étudié la situation des victimes d'actes criminels, vous constaterez que l'ombudsman ontarien a produit un rapport disant que le système d'indemnisation de la province — pas le système de dédommagement — fait doublement injure aux victimes.
Réagissant à ce rapport, Roy McMurtry, juge en chef de l'Ontario qui est récemment parti à la retraite et que vous connaissez tous, a présenté lui-même un rapport avec des recommandations fondées sur les normes de 1985 des Nations Unies. Il a dit que la police devrait en faire davantage pour informer les victimes des programmes dont elles peuvent se prévaloir et a souligné l'importance d'avoir un défenseur au niveau provincial pour prendre des mesures concrètes.
Le cabinet du premier ministre est également intervenu dans ce dossier en parlant, dans le document qui a précédé le dépôt du projet de loi C-10, du préjudice causé aux victimes d'actes criminels et du fameux chiffre de 83 p. 100 de 100 milliards de dollars. Je préfère personnellement parler de 83 milliards de dollars. Ce chiffre vient en fait de Justice Canada. Je le crois raisonnable. Il s'agit en fait de la valeur du préjudice causé aux victimes adultes et ne s'applique pas aux victimes de moins de 15 ans. Ce chiffre de 83 milliards est très important dans le contexte de ce que j'ai à dire.
Le cabinet du premier ministre a également parlé de la proportion déplorable des victimes qui s'adressent à la police: 31 p. 100. Dans le cas de l'agression sexuelle, le pourcentage n'est que de 8 p. 100. Ce chiffre est de loin inférieur à celui de tous les pays comparables, comme les États-Unis et le Royaume-Uni. Je crois que nous devons nous demander très sérieusement pourquoi si peu de victimes s'adressent à la police au Canada. Nous avons des services de police très professionnels et des agents très bien rémunérés, mais le pourcentage est vraiment très bas.
Si nous examinons ces chiffres de près pour essayer de comprendre, nous constatons que les victimes d'infractions contre les biens se plaignent à la police parce qu'elles s'attendent à une forme ou une autre de réparation. Cela peut comprendre le dédommagement, mais aussi d'autres moyens tels que l'assurance.
Dans le cas des victimes de crimes de violence, nous constatons qu'elles veulent que le délinquant cesse. J'insiste sur ce mot. J'ai bien dit « cesse », et non « soit puni ». Très peu de victimes réclament de lourdes peines.
La situation est grave. J'espère que votre comité favorisera non seulement l'adoption de mesures telles que le projet de loi C-350, mais aussi des mesures garantissant qu'on accordera la plus grande attention aux besoins des victimes, aux pertes qu'elles subissent et aux moyens d'y remédier.
Je voudrais parler en troisième lieu des normes internationales. Depuis 1985, nous avons les normes des Nations Unies. Le Canada avait joué un rôle de premier plan dans leur adoption. Ces normes abordent essentiellement cinq questions, parmi lesquelles figure le dédommagement de la victime par le délinquant.
Dans votre présentation, monsieur, vous avez mentionné les lignes directrices les plus récentes, adoptées par le Conseil économique et social aux alentours de 2003. Ces lignes directrices parlent aussi de dédommagement.
Dans les deux cas, les documents eux-mêmes et les résolutions adoptées insistent beaucoup sur la prévention. Nous avons besoin, au Canada, de réduire le préjudice de 83 milliards de dollars causé aux victimes. La façon de le faire est d'investir dans des mesures bien connues et bien établies pour réduire les crimes de violence et les infractions contre les biens. On en trouve des exemples à Winnipeg, qui a réussi à réduire les vols de voitures de 87 p. 100 en trois ans, ainsi que dans la stratégie de l'Alberta qui, en combinant des mesures intelligentes de mise en vigueur, de traitement et de prévention, s'efforce de réduire le préjudice causé aux victimes depuis quatre ou cinq ans grâce à un plan, à une évaluation et à une action énergique.
Votre comité devrait également considérer d'autres normes internationales comme, bien sûr, celles de l'Europe occidentale. L'Union européenne a adopté une décision cadre en 2001 et envisage actuellement de publier une directive. Encore une fois, le dédommagement y est mentionné. En France, les victimes bénéficient de l'aide juridictionnelle dans les procédures judiciaires, et dans près de 50 p. 100 des cas, le délinquant verse un dédommagement à la victime, aucune autre mesure n’étant prise par ailleurs. Voilà un modèle que nous pourrions sûrement adopter. C'est le modèle qui a influencé la Cour pénale internationale, que le Canada a énergiquement appuyée et où les victimes sont représentées par des avocats de l'aide juridique.
Les États-Unis ont toute une série de mesures liées au dédommagement. En Californie, par exemple, les services correctionnels surveillent l'exécution des ordonnances de dédommagement, prélevant les paiements sur les petits montants que les détenus gagnent en prison ou sur les salaires qu'ils obtiennent s'ils occupent un emploi rémunéré dans le cadre de leur peine. D'autres États américains ont des systèmes semblables. C'est le cas de la Floride. Le Vermont, juste au sud de notre frontière, verse des indemnités pouvant atteindre 2 000 $, je crois, qu'il récupère ensuite du délinquant. On trouve donc un certain nombre d'options intéressantes aux États-Unis.
La mesure la plus importante est sans doute la loi intitulée Justice For All Act. Comme vous le savez peut-être, l'actuel vice-président des États-Unis a joué un rôle de premier plan dans l'adoption de trois importantes mesures législatives.
Le Victims of Crime Act de 1984 permet de verser près d'un milliard de dollars dans un fonds d'aide et d'indemnisation grâce au revenu tiré de la suramende compensatoire américaine, qui est de loin plus avancée que la nôtre car elle s'applique aussi bien aux sociétés qu'aux particuliers. Ainsi, Pfizer avait dû verser une amende de 1,3 milliard de dollars qui est allée dans ce fonds.
Le vice-président Biden a également appuyé le Violence Against Women Act, très importante loi qui porte tant sur les mesures à prendre en faveur des victimes que sur la prévention et l'évaluation.
Monsieur Waller, je vais vous interrompre un instant pour vous signaler que nous avons dépassé 10 minutes et que nous en sommes presque à 11 minutes. Pour combien de temps en avez-vous encore?
Deux minutes. Je m'excuse. Je n'ai peut-être pas la bonne heure.
Le Justice for All Act est la loi la plus récente. Elle porte sur le dédommagement, l'aide juridique et les conditions pour l'obtenir. À cela s'ajoute bien sûr une proposition annoncée la semaine dernière au sujet d'une modification de la Constitution des États-Unis prévoyant le dédommagement des victimes.
Je voudrais signaler, pour conclure, que j'ai récemment écrit un livre intitulé Rights for Victims of Crime: Rebalancing Justice. J'y explique d'une manière très précise comment assurer le dédommagement au Canada. Je suis également très fier d'un chapitre figurant dans un manuel de criminologie qui vient tout juste de paraître. Ce chapitre parle de la situation au Canada et met encore une fois en évidence les mesures de dédommagement qui peuvent être prises.
Je suis maintenant prêt à répondre aux questions.
Merci beaucoup, monsieur Waller.
Je vais maintenant donner la parole à la partie gouvernementale. Madame Hoeppner, vous avez sept minutes.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je voudrais également vous remercier, monsieur Waller, de votre présence au comité et du travail que vous faites en faveur des victimes.
Je peux dire très catégoriquement que, de ce côté-ci de la table — et probablement de l'autre côté aussi —, nous sommes préoccupés par la façon dont les victimes ont été négligées de bien des façons depuis des années dans certains régimes de justice pénale. Notre gouvernement conservateur s'efforce d'attirer de nouveau l'attention sur les victimes. Nous avons nommé une ombudsman des victimes d'actes criminels après avoir créé cette fonction. Nous avons pris un certain nombre d'autres initiatives. Nous sommes donc heureux d'entendre… Je suis sûre que vous avez beaucoup de suggestions à nous faire et beaucoup de choses à nous dire.
Je voudrais parler en particulier du projet de loi C-350. J'ai été heureuse d'entendre que vous l'appuyez. J'aimerais vous poser quelques questions sur vos recherches et le travail que vous faites en faveur des victimes.
Pouvez-vous nous expliquer ce que ressent une victime qui voit un délinquant recevoir de l'argent, surtout du gouvernement fédéral? C'est en fait l'objet du projet de loi. Si un délinquant reçoit des fonds du gouvernement fédéral sans être obligé de verser le dédommagement accordé par un juge, quelle impression cela laisse-t-il à la victime? Peut-on parler de revictimisation?
Pouvez-vous établir une distinction — s'il y en a — entre les victimes d'infractions contre les biens et les victimes de crimes violents?
Il est évident, je crois, que nous n'avons pas un système qui tienne compte d'une manière juste et équitable des besoins des victimes. Celles-ci sont surprises quand elles s'adressent aux tribunaux et constatent que les juges n'accordent pas toute l'attention voulue au dédommagement. Elles découvrent soudain que le délinquant incarcéré est remis en liberté sans tenir compte du dédommagement.
Vous connaissez probablement le triple meurtre commis dans un McDonald's en 1992. L'un des délinquants a fait un héritage et est actuellement multimillionnaire. Ainsi, trois personnes sont mortes et une personne est infirme, mais le système de libération conditionnelle n'a pas du tout tenu compte de la question de savoir si le délinquant a versé un dédommagement. Il s'agit bien sûr d'un cas extrême, mais il est quand même important parce qu'il a eu lieu au Canada et que ses effets continuent à se manifester.
Je pense que les victimes s'attendent à une certaine forme de justice de la part du système de justice pénale. Il y a des cas, comme en France et à la Cour pénale internationale, où les victimes ont qualité pour agir et peuvent parler de leur sécurité personnelle, de dédommagement et de justice et où des ordonnances de dédommagement sont plus souvent prises.
Si on revient à des cas comme celui d'Olson, on constate qu'à l'époque, on parlait des lois Son of Sam. Je ne sais pas si vous en connaissez l'historique. Une variante adoptée en 2001 par l'État de New York montre que ces lois sont devenues un modèle de ce qui s'est passé par la suite.
L'un des problèmes du projet de loi C-350, c'est qu'il a une portée très limitée. Nous devons vraiment établir un processus permettant aux victimes de poursuivre un délinquant en justice et d'obtenir une ordonnance plus ou moins exécutoire. La loi Son of Sam de l'État de New York constitue un moyen de le faire, mais il y en a d'autres.
Je vous remercie.
Mon temps de parole étant limité, je voudrais revenir au projet de loi C-350. Je comprends bien, comme vous l'avez dit, qu'il est possible d'en faire davantage, notamment en matière de dédommagement. Je suis heureuse d'entendre que vous appuyez l'esprit du projet de loi, même si ce n'est qu'un petit pas en avant indiquant aux victimes que le dédommagement qui leur a été accordé devrait leur revenir et que nous avons mis le processus en train.
L'autre aspect abordé très clairement dans le projet de loi concerne les montants dus aux enfants et aux conjoints des délinquants. Faites-vous quelque chose pour les familles des délinquants, puisqu'on considère que leurs membres sont également des victimes d'actes criminels?
Je peux parler des sujets dans lesquels je suis spécialisé, c'est-à-dire les besoins et les droits des victimes, la façon d'y répondre et les moyens de prévention. Comme je ne suis pas un spécialiste de ces questions, je préfère m'abstenir.
C'est très bien. D'après certains témoignages que nous avons entendus, les conjoints et les enfants sont également des victimes, mais je respecte votre point de vue.
Je vous remercie.
Vous avez également mentionné différents modèles. L'ombudsman a aussi cité d'autres pays qui ont pris différentes mesures en matière de dédommagement. Pouvez-vous m'expliquer — vous en avez parlé très brièvement — comment les États-Unis, par exemple, obligent les détenus à payer des frais et des indemnités? Le font-ils en application de mesures législatives? Surveillent-ils les sommes reçues par les détenus? Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet?
Les États-Unis ont toute une série d'administrations différentes. Il y a des mesures législatives fédérales et d'autres qui sont adoptés au niveau des États. Elles varient énormément d'un endroit à l'autre. En Californie, si une ordonnance de dédommagement est prise, le système correctionnel d'État, qui a deux niveaux, suit les paiements et prélève de l'argent sur le salaire ou le revenu des détenus.
Je crois que le Justice for All Act — il s'agit de la loi fédérale adoptée en 2004 — constitue un modèle qu'il est très important d'étudier parce qu'il prévoit une aide juridique aux victimes pour leur permettre d'engager des poursuites afin d'obtenir un dédommagement.
Je voudrais également attirer votre attention sur le National Crime Victims Center des États-Unis, qui a défini sept conditions préalables pour le paiement d'un dédommagement. L'ombudsman fédérale en a mentionné quelques-unes dans son témoignage. D'une façon générale, si on veut qu'un dédommagement soit versé, il faut commencer au commencement. Par exemple, lorsqu'une personne est accusée, il faudrait chercher à estimer ce qu'elle possède et veiller à ce que la victime soit au courant des possibilités de dédommagement. Cela signifie que la police doit l'en informer. Il faut inciter la victime à présenter une demande écrite disant qu'elle a perdu 500 $ ou 500 000 $, selon le cas. Nous devons en même temps nous assurer que les juges sont au courant. L'Oregon, par exemple, a fait casser une sentence — ce n'était pas une sentence de dédommagement — parce que le droit de la victime n'avait pas été respecté. L'affaire est allée jusqu'à la Cour suprême.
Nous devons donc veiller à ce que les juges se conforment à la lettre ou à l'esprit des dispositions du Code criminel. Nous devons modifier la Loi sur la libération conditionnelle, etc. Il faut agir dans tous les domaines et à tous les niveaux.
Merci beaucoup, monsieur le président.
C'est un grand plaisir pour nous d'accueillir M. Waller. Je lui disais justement que lorsque j'enseignais le droit pénal, je me servais souvent de ses recherches et je lui envoyais des étudiants de notre programme en stage.
Je suis vraiment très heureux de vous voir ici aujourd'hui.
Je voudrais poursuivre dans la même veine en parlant de dédommagement et de la distinction à faire entre dédommagement et indemnisation. C'est une question que j'ai posée à l'ombudsman des victimes d'actes criminels. Si on insiste sur l'indemnisation par le délinquant, je crains que les victimes ne soient pas toutes traitées également. Autrement dit, si le délinquant a des ressources et veut bien assumer sa responsabilité, la victime est susceptible de récupérer ses pertes. Toutefois, si le délinquant est sans ressources ou refuse d'assumer sa responsabilité, la victime n'obtiendra aucune indemnisation.
Que pensez-vous de ce dilemme?
Je crois que nous devons déterminer le dédommagement en fonction du préjudice causé, puis voir ce qui est réellement versé. En même temps, il ne faut pas perdre le sens des réalités. Ordinairement, un détenu n'a pas un revenu important et ne peut pas verser de grosses sommes. D'après la déclaration adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies, il s'agit en premier de déterminer le dédommagement qu'il est possible d'obtenir du délinquant. En cas de violence — qui s'étend non seulement à la violence physique, mais aussi aux graves traumatismes psychologiques —, on peut aussi envisager une indemnisation.
Je suis cependant réaliste: je ne crois pas qu'il soit possible de récupérer intégralement les 83 milliards de dollars de préjudices subis. Voilà pourquoi j'estime qu'il est tellement important pour nos législateurs fédéraux et provinciaux de commencer à investir sérieusement dans des mesures dont nous savons qu'elles réduiront cette violence. L'Alberta donne un bon exemple de ce que nous devons envisager d'un océan à l'autre et, jusqu'à un certain point, de ce que le gouvernement fédéral doit faire pour participer.
Il y a d'autres moyens d'obtenir une indemnisation. C'est ce qui s'est passé dans l'affaire Jones lorsque la Banque Royale a versé 17 millions de dollars. On peut donc envisager de poursuivre des tiers ou de leur demander de contribuer à l'indemnisation, mais cela ne se produira pas dans tous les cas. Pour revenir au triple meurtre du McDonald's, je ne pense pas qu'on puisse prouver qu'il y a eu négligence de la part de McDonald's. On ne peut pas toujours s'attendre à trouver une entreprise riche disposée à payer de tels montants.
Nous devons essayer de placer la situation dans un contexte plus large et nous efforcer de voir les choses du point de vue de la victime. Voilà ce qui est vraiment important. La justice pénale devrait répondre aux besoins des victimes d'une manière juste et équitable. Cela signifie qu'il faut amener les juges à prendre des ordonnances de dédommagement.
Notre comité a reçu toute une série de projets de loi abordant certains éléments de cette question. De ce côté-ci, nous allons demander que le comité consacre du temps à des questions plus générales, comme une étude plus approfondie des victimes. J'espère que nous obtiendrons l'accord de la partie gouvernementale. Je suis optimiste à cet égard, pourvu que nous puissions finir d'examiner toutes ces mesures législatives. Je comprends donc votre point de vue.
J'organise des semaines de défense des victimes des deux côtés de la frontière. J'ai été invité par le caucus bipartite du Congrès des États-Unis à prononcer un discours à son forum de politique publique. Au Canada, j'aimerais voir davantage de coopération au sujet des victimes de la part des autorités fédérales ou de n'importe quelles autorités gouvernementales. Je n'ai pas parlé de punition. Vous ne vous entendrez jamais sur les punitions à infliger, mais vous pourriez vous entendre sur la prévention, l'aide aux victimes et la défense de leurs droits. Je ne vois vraiment rien qui s'oppose à ce que tous les partis collaborent dans ces domaines.
Il est temps de faire des progrès à cet égard. Je crois qu'au Canada, un adulte sur quatre est victime d'une forme ou d'une autre de crime. Si vous examinez les statistiques du premier ministre, qui sont en fait des statistiques de police, vous noterez qu'il y a 400 000 victimes, ce qui ne tient pas compte de beaucoup de gens, surtout des femmes, qui sont victimes d'agressions graves. Si vous avez besoin de preuves, en voilà. Il est nécessaire de commencer à faire baisser ces chiffres. Oui, nous avons besoin de preuves pour agir et, dans la mesure où nos efforts n'aboutissent pas, nous devons veiller à établir des services et nous assurer que la police agit conformément aux normes internationales…
Comme je vais bientôt manquer de temps, j'aimerais poser une question rapide.
Le dernier budget fédéral prévoyait d'importantes compressions à Statistique Canada. Je me demande si vous vous inquiétez de la capacité de recueillir des statistiques sur les victimes d'actes criminels.
Nous devons concentrer la discussion sur le projet de loi, mais je vais permettre au témoin de répondre à cette question. Je vais suivre l'examen du budget pour déterminer si c'est assez ou non.
Allez-y, monsieur Waller.
Il est extrêmement difficile au Canada d'obtenir de bonnes statistiques sur le recours au dédommagement. Il est également difficile, mais non impossible, d'accéder à des statistiques sur les préjudices subis.
Le chiffre de 83 milliards de dollars vient à la fois de l'enquête sur les victimes d'actes criminels et de certaines estimations de coûts. Le Canada ne procède à des enquêtes sur les victimes qu'une fois tous les cinq ans. L'Alberta en fait régulièrement, mais ce n'est pas le cas à l'échelle nationale. Il y a aussi des enquêtes régulières dans d'autres pays, comme les États-Unis et la Grande-Bretagne.
Je ne saurai donc pas vous dire si c’est Statistique Canada qui doit produire les chiffres, mais nous avons sûrement besoin d'enquêtes. L'Association internationale des chefs de police a dit que le seul moyen de savoir si la police répond aux besoins des victimes est de réaliser des enquêtes. Si elle le dit, je pense que c'est une bonne raison de le faire.
Merci beaucoup, monsieur Garrison et monsieur Waller.
À vous, monsieur Leef. Vous avez sept minutes.
Je vous remercie.
Merci, monsieur Waller. C'est tout un dossier et un CV impressionnant que vous avez ici. Nous sommes heureux de pouvoir profiter de votre expérience au cours de notre étude de ce projet de loi.
Je ne sais pas combien d'autres questions nous pouvons encore poser. Nous avons interrogé un certain nombre d'autres témoins à ce sujet. Vous êtes d'avis, je crois, que même si cette modification de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition constitue un signal positif, nous devons envisager d'autres idées, d'autres solutions ou encore d'autres mesures législatives ou politiques pour atteindre le but poursuivi. Je vais vous poser quelques questions, par simple curiosité, pour orienter les discussions présentes et futures de notre comité.
Les préjudices de 83 milliards de dollars subis par les victimes d'actes criminels sont-ils mesurés en fonction de la victimisation directe ou bien tiennent-ils compte aussi des effets indirects? Je veux essayer de déterminer qui sont les ayants droits pour tenter de rester dans les limites du raisonnable sans tomber dans le ridicule. Comment pouvons-nous savoir si nous estimons adéquatement ce chiffre au Canada et si nous lui attribuons sa vraie valeur?
Je vais vous donner un exemple. Si quelqu'un s'introduit par effraction dans une pharmacie et en perturbe suffisamment le fonctionnement pour que les propriétaires soient obligés de la fermer, il crée un certain nombre de victimes qui ne peuvent plus accéder aux services alors qu'ils en ont peut-être désespérément besoin. On pourrait juger que ces gens font partie des victimes d'actes criminels, mais il n'est pas certain que le préjudice subi dans ce cas soit compté dans les 83 milliards.
J'aimerais donc vous demander si, à votre avis, il est raisonnable d'inclure dans le calcul un certain nombre de victimes indirectes. Le faisons-nous? Si oui, dans quelle mesure?
Les 83 milliards de dollars sont le résultat de travaux faits par Justice Canada. Le ministre Nicholson mentionne souvent ce chiffre. Je crois personnellement que c'est une bonne utilisation des données.
Sous certains aspects, ce chiffre a une valeur limitée. Il se fonde essentiellement sur des renseignements de base. Le premier, c'est ce que j'appelle l'enquête sur la victimisation. Il s'agit en réalité de l'Enquête sociale générale dans le cadre de laquelle on demande à un échantillon d'environ 25 000 adultes canadiens s'ils ont été victimes de huit ou neuf crimes particuliers. Ceux-ci comprennent les crimes violents courants et les principales infractions contre les biens, mais non la fraude, par exemple.
On multiplie ensuite les estimations tirées de l'enquête par le montant estimatif de ce qu'un tribunal civil accorde en moyenne à une victime. Cela ne comprend ni les entreprises ni les victimes secondaires dont vous avez parlé.
Je crois que c'est à la limite des perfectionnements méthodologiques actuels. Dans mon livre, je me suis servi de données américaines, qui sont un peu meilleures que les nôtres, mais les conclusions sont assez comparables. Mes données comprennent également la conduite avec facultés affaiblies, qui cause au Canada plus de décès que les homicides, sans compter les blessés.
Mais, voyez-vous, ce n'est qu'un chiffre approximatif. Si on commençait à inclure les victimes secondaires, il n'y a pas de doute qu'il augmenterait. Je ne m'opposerais d'ailleurs pas à ce qu'on le fasse.
J'estime qu'on devrait utiliser ce chiffre de 83 milliards de dollars parce qu'il est reconnu par le gouvernement fédéral actuel, ce qui est bon, à mon avis.
Je vous remercie.
Si mes questions vont au-delà de votre domaine de compétence, ce n'est pas vraiment très grave.
Nous n'avons pas suscité beaucoup de critiques à cause de l'orientation que nous avons prise dans ce cas particulier. On nous a cependant encouragés, d'une façon générale, à essayer d'en faire davantage. Mais, pour revenir à notre projet de loi, la seule critique que j'aie entendue est qu'en forçant — j'aurais préféré un autre mot — un détenu à payer un dédommagement, on l'empêche d'opter pour le moyen de réhabilitation de son choix et d'évoluer en fonction de cette expérience. J'ai ma propre opinion là-dessus: si, dans notre monde libre, un membre de la société est obligé de faire ce paiement indépendamment de son choix, nous devrions tous être traités également.
Toutefois, dans une optique stricte de réhabilitation et en fonction des études que vous avez réalisées, croyez-vous que cela soit sensé? Si nous obligeons un détenu à dédommager et à indemniser sa victime par suite d'une décision judiciaire, croyez-vous que cela puisse compromettre ses efforts de réhabilitation ou l'empêcher d'user de son libre arbitre au point de changer son comportement lors de sa mise en liberté?
Vous ne le savez peut-être pas, mais j'ai écrit un important ouvrage sur l'efficacité du système de libération conditionnelle. Le livre remonte déjà à un certain temps, mais les données qui y figurent sont utilisées sur le site Web du Service correctionnel du Canada. Pour ma part, je me suis bien sûr tenu au courant de l'évolution de la situation en ce qui concerne les mesures qui réduisent effectivement la récidive.
L'essentiel, pour moi, est de commencer par les besoins raisonnables des victimes. Je crois qu'il est sensé d'adopter l'approche des États-Unis et de l'Union européenne en affirmant que les victimes ont droit à un dédommagement et que nous devons faire de notre mieux pour l'obtenir du délinquant.
De plus, vous pourriez… Je ne crois pas que vos autres témoins aient mentionné les évaluations de la justice réparatrice. C'est une option qui pourrait sembler trop indulgente, mais de nombreux parents d'enfants assassinés du Canada croient que c'est la bonne manière d'affronter la situation.
À titre de chercheur, je considère les preuves. Oui, j'ai un intérêt particulier pour les victimes, mais les évaluations de la justice réparatrice montrent que, si elle est bien conçue, elle satisfait davantage les victimes, qui se sentent habilitées parce qu'elles peuvent recourir à différents moyens pour demander des choses: obtenir des renseignements, connaître la vérité et avoir une bonne idée de ce qui se passe vraiment. De plus, la justice réparatrice réduit la récidive.
Ce chiffre de 83 milliards de dollars représenterait donc le coût pour les victimes d'actes criminels?
Je vais peut-être essayer de vous donner quelques précisions. On détermine d'abord le nombre de victimes dans une année, puis on examine le préjudice qu'elles ont subi et la perte de qualité de vie tout le long de leur existence.
Toutefois, à moins de réduire les taux de criminalité — ce que nous ne faisons pas actuellement au Canada, malgré les statistiques de la police —, le préjudice se chiffre à quelque 83 milliards de dollars par an.
Oui. Si une personne est victime d'une agression sexuelle grave, ou d'un viol par contrainte comme disent les Américains, il y a une perte de qualité de vie. Il y a aussi de petits paiements à faire à l'infirmière qui constate l'agression sexuelle et peut-être au traumatologue qui donne des soins à court terme, mais la perte de qualité de vie s'étend sur une bien plus longue période.
Je comprends.
Est-ce que les enquêtes sur la victimisation servent à déterminer si ce chiffre est exact? Je suppose qu'elles permettent aussi de recenser les infractions et les crimes commis et de déterminer qui en est victime.
Dans des pays comme l'Angleterre, les États-Unis ou le Canada, il y a deux façons de mesurer la criminalité. La première consiste à réaliser une enquête: l'Enquête nationale sur les victimes d'actes criminels des États-Unis, l'Enquête britannique sur la criminalité en Angleterre et l'Enquête sociale générale au Canada. L'autre façon consiste à examiner les dossiers de la police. Il ne faut cependant pas perdre de vue qu'au Canada, nous avons un taux extrêmement bas de déclaration des crimes à la police, et que ce taux a baissé dans les 20 dernières années.
Le taux de déclaration se situe entre 40 et 45 p. 100 aux États-Unis et en Angleterre. Au Canada, nous en sommes à 31 p. 100. Pour mettre ce chiffre en perspective, je voudrais préciser qu'en Ontario, province qui n'offre que des services très limités aux victimes, le taux est de 30 p. 100 tandis qu'au Québec, qui est en général beaucoup plus avancé et qui accorde des paiements beaucoup plus élevés sous forme d'indemnités et dans le cadre d'autres programmes, le taux de déclaration est à 40 p. 100.
Les enquêtes sur la victimisation qui sont faites ont bien pour objet de déterminer le taux réel de victimisation par rapport à ce qui est déclaré, n'est-ce pas?
Vous semblez dire que le principal obstacle à l'amélioration de la situation réside dans le fait que nous ne disons pas aux juges d'ordonner un dédommagement dans tous les cas. Est-ce exact?
Je crois que c'est un peu plus compliqué. C'est ce que l'ombudsman fédérale vous a dit. Pour veiller à ce qu'un dédommagement soit ordonné, il faut s'assurer que la victime a clairement expliqué ce qu'elle veut, qu'elle a donné les justifications nécessaires et qu'elle a bien présenté sa demande. C'est ce qui se passe dans les États les plus avancés des États-Unis.
Au Canada, les juges ne sont pas tenus de prendre une ordonnance de dédommagement. Est-ce bien ce que vous dites?
Je ne me souviens pas des dispositions exactes du Code criminel et de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. L'ordonnance est-elle exigée? Il est facile pour les juges de ne pas la prendre.
Je n'ai pas en main le libellé exact, mais nous ne savons pas non plus s'il arrive souvent que ces ordonnances soient prises. Nous ne recueillons pas ce genre de statistiques.
C'est intéressant.
Si vous étiez en mesure de prendre deux décisions pour régler le problème de l'insuffisance du dédommagement — supposons par exemple que vous êtes nommé ministre de la Justice pendant une journée —, quelles mesures prendriez-vous pour remédier à la situation?
Je dirais qu'il faudrait modifier le Code criminel en prenant pour modèle la meilleure loi adoptée à cet égard aux États-Unis, qui est probablement le Justice for All Act.
En second lieu, il conviendrait de modifier la Loi sur la gendarmerie royale du Canada — puisque nous devons nous limiter au rôle fédéral — pour s'assurer que chaque victime qui déclare un crime à la GRC au Canada reçoive des renseignements de base conformes à la norme définie, non par moi, mais par l'Association internationale des chefs de police, dont la plupart des dirigeants des services de police du Canada sont membres.
J'ajouterais une troisième chose.
Je réunirais les provinces et leur dirais qu'il s'agit de domaines communs, que le gouvernement fédéral ferait sa part en modifiant le Code criminel, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et la Loi sur la GRC, mais qu'il est extrêmement important, pour assurer un dédommagement aux victimes, que les provinces commencent à faire les choses différemment. Elles pourraient notamment réunir les juridictions pénale et civile, comme elles l'ont fait il y a 10 ans pour les questions touchant les familles.
L'Enquête nationale sur les victimes d'actes criminels des États-Unis a commencé en 1972. Elle est donc faite depuis très longtemps. L'enquête britannique est annuelle depuis la fin des années 1980. La Grande-Bretagne publie simultanément les résultats de l'enquête et les données de la police. Cela évite beaucoup de confusion dans les médias. Nos médias ne font pas bien leur travail dans ce domaine.
Il nous reste encore une minute. C'est le tour du NPD.
Mais nous allons peut-être en rester là.
Je voudrais vous remercier, monsieur Waller, de votre présence au comité aujourd'hui. Comme je l'ai déjà dit, nous apprécions beaucoup les connaissances et l'expérience dont vous nous faites profiter. Nous avons écouté très attentivement votre témoignage et avons l'intention de donner suite à certaines de vos recommandations. J'ai pris note de quelques points à examiner, que notre recherchiste utilisera pour trouver de la documentation. Il y a par exemple le Justice for All Act des États-Unis et votre proposition de modifier la Loi sur la GRC pour renforcer les droits des victimes.
Nous sommes reconnaissants de votre travail. Vous voudrez peut-être profiter de l'occasion afin de faire un peu de publicité pour votre livre. Je ne sais pas s'il est disponible chez tous les bons libraires du Canada. Je sais que je ne l'ai pas vu à la pharmacie de ma petite ville, mais il y a peut-être moyen de le trouver.
Merci encore de votre témoignage.
Nous allons suspendre la séance pendant quelques instants pour nous préparer à recevoir le témoin suivant.
Dans le second groupe de témoins que nous recevons cet après-midi, nous entendrons — je l'espère — le témoignage de Stephen Fineberg, vice-président de l'Association canadienne du droit carcéral. M. Fineberg a été un peu retardé. Nous nous attendons à ce qu'il arrive bientôt.
Entre-temps, je donnerai quelques renseignements sur M. Fineberg. Il travaille pour l'Association canadienne du droit carcéral, organisation d'avocats qui défend les prisonniers et qui cherche à protéger et à promouvoir leurs droits constitutionnels, leurs intérêts et leurs privilèges.
En outre, nous accueillons encore une fois Mme Pate. Kim Pate est la directrice exécutive de la Société Elizabeth Fry du Canada. Elle a déjà comparu devant notre comité pour parler d'un certain nombre de questions concernant les prisonniers, les prisons, les droits des détenus et bien d'autres sujets.
Nous vous souhaitons la bienvenue une fois de plus. Si vous n'y voyez pas d'inconvénients, nous commencerons par votre témoignage en espérant que M. Fineberg arrivera ici après en avoir fini avec nos services de sécurité.
À vous, madame.
Merci beaucoup. Je vous remercie de nous avoir invités à comparaître.
Je crois que je n'ai pas à vous expliquer le rôle de notre organisation puisque nous avons déjà comparu devant le comité. Je dirais, pour la gouverne des nouveaux membres, que la Société Elizabeth Fry travaille en faveur de ceux qui sont marginalisés, victimisés, criminalisés et incarcérés, et en particulier en faveur des femmes et des filles qui se trouvent en prison.
Je voudrais profiter de l'occasion pour vous dire très rapidement que nous célébrons, la semaine prochaine, la Semaine nationale Elizabeth Fry, au cours de laquelle nous essayons d'attirer l'attention sur le nombre de femmes détenues. La semaine prend fin le jour de la Fête des mères afin de souligner le nombre des femmes qui sont en prison et les effets de l'incarcération non seulement sur elles, mais aussi sur leurs enfants. Comme beaucoup d'entre vous le savent, les enfants de 90 p. 100 des femmes emprisonnées finissent par être pris en charge par l'État, par rapport à 10 p. 100 seulement dans le cas des hommes. Par conséquent, les femmes connaissent une situation très différente qui nous impose d'affronter aussi le problème de la victimisation de leurs enfants.
Passons maintenant au projet de loi C-350.
Je voudrais commencer par dire qu'en principe, notre organisation appuie évidemment l'indemnisation, le dédommagement, la pension alimentaire pour enfants et toute mesure tendant à responsabiliser les gens et à les inciter à assumer leurs obligations financières.
Toutefois, en examinant le projet de loi C-350, je trouve difficile d'admettre qu'on impose à des gens qui ont peut-être été indemnisés à cause de leur propre victimisation d'utiliser l'indemnité reçue pour en aider d'autres.
Je sais que cette situation existe déjà. Par exemple, nous savons que la majorité des personnes qui reçoivent une indemnité des services correctionnels ou de l'État ne l'obtiennent que parce que les autorités ont reconnu qu'elles ont été victimisées, que leurs droits ont été violés et souvent qu'elles ont été maltraitées. Le fait de considérer que la somme reçue constitue un revenu plutôt qu'une indemnité et de traiter les personnes en cause comme si elles étaient autre chose que des victimes dans ce contexte, comme si elles continuaient à perpétrer une infraction ou méritaient d'être punies plus sévèrement qu'elles ne le sont déjà, est pour nous une source de préoccupation.
Nous savons, malgré les témoignages que j'ai pu examiner, que bien peu de détenus recourent à des avocats pour être indemnisés. Il n'y a pas d'aide juridique et bien rares sont ceux qui ont les moyens de payer un avocat pour se faire assister. Ordinairement, les personnes qui obtiennent une indemnisation sont celles qui ont été victimes de grossières violations de leurs droits et des droits que leur garantit la Charte. L'indemnité est d'habitude le résultat de la négociation d'un règlement parce que ces personnes sont rarement assistées par un avocat. Or, en cas de règlement, elles doivent signer un engagement de non-divulgation. Il serait difficile de passer outre à un tel engagement auprès des services correctionnels, qui seraient évidemment au courant puisqu'ils ont eux-mêmes imposé l'engagement…
J'ai lu avec intérêt le témoignage de M. Toller et de son collègue du ministère de la Justice. Ce serait en fait une violation de la vie privée d'un détenu d'exiger d'abord de lui un engagement de non-divulgation, puis de le violer en en informant d'autres ou en imposant…
Ce sont là des questions que le comité devrait examiner.
Je sais déjà, parce qu'il arrive que des femmes demandent… Vous savez, depuis 21 ans, je m'occupe des femmes, même si précédemment, j'avais travaillé avec des hommes et des jeunes… Dans ces 20 dernières années — il en était de même lorsque j'avais affaire à des hommes —, il arrivait souvent, lorsque ces engagements de non-divulgation étaient signés, que les intéressés demandent de l'aide pour placer leur argent ou en disposer autrement. On m'a parfois consultée à ce sujet. Le plus souvent, dans les cas que j'ai connus, les femmes utilisent le revenu ainsi obtenu pour aider leurs enfants, payer des séances de consultation ou encore suivre des cours pouvant contribuer à leur réhabilitation, parce que l'éducation n'est pas couverte. Au Canada, depuis 1992, les cours de ce genre ne sont pas financés au-delà de la 10e année, parfois de la 12e ou de l'équivalent du diplôme secondaire.
L'autre préoccupation que j'ai et que personne n'a abordée — je me trompe peut-être, mais si quelqu'un a des renseignements à ce sujet, je lui serais reconnaissante de m'en informer —, c'est que certains détenus qui avaient fréquenté les pensionnats indiens ont récemment reçu une indemnité par suite des excuses présentées par le gouvernement et du programme d'indemnisation mis sur pied à l'intention de ceux qui avaient subi des sévices physiques, psychologiques ou sexuels dans ces pensionnats.
Je sais que nous avons déjà soulevé cette question auprès de l'aide juridique. Dans certaines régions, l'aide juridique a essayé de forcer d'anciens élèves des pensionnats indiens qui avaient des demandes à présenter à cet égard à payer leurs propres frais juridiques. Il est clair que les indemnités versées aux anciens élèves ne sont pas destinées à cette fin.
Je répète que certaines personnes se sont servies des indemnités reçues pour aider leurs enfants et pour contribuer à leur propre réhabilitation en payant des séances de consultation afin d'affronter les traumatismes subis. Nous craignons que ces personnes ne soient privées de ces ressources pour financer d'autres que l'État veut aider.
Nous appuyons évidemment la mise en place de meilleurs services à l'intention des victimes. Nous ne voulons cependant pas que ces services soient ainsi financés par les victimes elles-mêmes. Je crois que c'est la position prise par presque tout le monde ici.
La question qui se pose est donc la suivante: à quel point cesse-on de reconnaître des personnes qui ont été indemnisées à titre de victimes et quelle étiquette va-t-on leur apposer parce qu'elles purgent une peine, salissant ainsi tous les autres aspects de leur vie? Cela nous inquiète.
Je suis prête à répondre à vos questions.
Merci, madame Pate.
Nous allons maintenant commencer le premier tour. Mme Hoeppner et M. Leef se partageront la première question.
Merci, monsieur le président.
Je vais prendre un moment pour poser quelques questions à Mme Pate, après quoi je céderais la parole à mon collègue.
Je voudrais d'abord vous dire que j'ai été heureuse de vous entendre dire, au début de votre exposé, que vous appuyez le projet de loi en principe, de même que le dédommagement.
Vous conviendrez, je suppose, qu'il est important pour tous les citoyens canadiens, qu'il s'agisse de délinquants ou non, de rembourser leurs dettes et d'acquitter les obligations monétaires qu'ils ont.
J'aimerais revenir un tout petit peu en arrière. Je crois effectivement qu'il est important de rembourser ses dettes, mais je ne dirai pas nécessairement que j'appuie le projet de loi en principe. J'appuie le principe ou la notion.
Je voudrais dire encore une fois que c'est un défi pour moi de voir un projet de loi qui reprend plus ou moins ce qui existe déjà dans d'autres lois afin d'établir un programme d'indemnisation ou de dédommagement. Nous appuyons évidemment le versement des pensions alimentaires pour enfants. À titre de mère seule, je ne peux pas faire autrement que d'appuyer le paiement de ces pensions.
Mais vous avez l'occasion… Votre ancien conjoint ou quiconque verse la pension alimentaire a l'obligation, à titre de non-délinquant, de vous la payer. D'après les témoignages que nous avons entendus, les délinquants, eux, n'ont pas l'obligation, même s'ils reçoivent de l'argent, de payer une pension alimentaire pour leur conjoint ou leurs enfants ou de verser un dédommagement.
La mise en vigueur de ces mécanismes relève du tribunal de la famille. Il n'y a pas de doute qu'en enregistrant cette dette, on peut en imposer le paiement.
Je vais alors vous poser une autre question rapide. Considérez-vous comme une mesure punitive le fait qu'on impose aux délinquants de remettre l'argent reçu du gouvernement fédéral, indépendamment du motif pour lequel ils le reçoivent? Vous avez dit qu'ils sont eux-mêmes victimes. Considérez-vous qu'on punit un délinquant en lui demandant de rembourser ses dettes ou de s'acquitter de ses obligations?
Ce sont deux questions distinctes. Tout d'abord, oui, je crois qu'il est important que les gens remboursent leurs dettes. Et non, je ne crois pas qu'il soit injuste de demander aux gens de rembourser leurs dettes.
Toutefois, s'ils ont reçu un paiement à titre de victimes, alors…
Ainsi, vous êtes d'avis qu'une personne n'a rien à payer à une autre qu'elle a victimisée sur le plan financier…
Je m'excuse de vous avoir interrompue.
Je soutiens qu'il y a des mécanismes permettant d'imposer le remboursement des dettes et des obligations et qu'il conviendrait d'y recourir plutôt que d'ouvrir l'accès à toutes les sources de revenu des détenus qui, de toute façon, ne sont pas à l'abri. Les services correctionnels y ont accès, comme M. Toller l'a dit. Ils peuvent voir les rentrées des détenus, comme ils le font à l'occasion et comme on le leur reproche parfois. Les services correctionnels ne devraient pas être autorisés à prendre ce qu'ils veulent dans les comptes des détenus pour toute fin qu'ils jugent utile.
Je ne crois pas que le projet de loi leur permette de le faire de cette façon, mais je vous remercie.
Je vais maintenant céder la parole à M. Leef.
Je vous remercie.
Nous allons maintenant revenir à M. Fineberg.
Monsieur, nous vous souhaitons la bienvenue. En votre absence, je vous ai déjà présenté en exposant en termes très élogieux tout ce que vous avez jamais fait. Il ne vous reste plus…
Oui, nous sommes d'accord à ce sujet.
Je vous invite maintenant à présenter votre exposé préliminaire, après quoi nous reviendrons à la partie gouvernementale, qui pourra prendre les quatre minutes et demie qui lui restent.
À vous, monsieur Fineberg.
L'Association canadienne du droit carcéral vous remercie de lui avoir donné l'occasion de comparaître pour présenter son point de vue sur ce projet de loi.
Nous sommes une association nationale regroupant des praticiens du droit carcéral de tous les coins du pays, dont l'objet est de défendre les droits des personnes incarcérées et de promouvoir la primauté du droit dans la population carcérale. Depuis la création de l'association en 1985, nous avons eu le privilège de comparaître devant votre comité et d'autres comités parlementaires pour parler de questions touchant l'environnement du droit carcéral.
Je dois mentionner que, même si nos membres sont des professionnels du droit, c'est à titre bénévole qu'ils agissent dans toutes les activités menées au nom de l'ACDC.
À l'égard du projet de loi C-350, notre organisation a des objections fondées sur les principes et le droit. Nous savons — et acceptons avec une certaine résignation — que le fait pour nos clients et les autres détenus d'être incarcérés dans un établissement fédéral leur impose de multiples restrictions et irritants, mais les sanctions inopinément proposées dans le projet de loi C-350 sont d'une nature sans lien avec le reste. Il est difficile d'imaginer qu'un juge, préoccupé d'une part par les faits et, de l'autre, par les principes applicables de détermination de la peine, puisse avoir anticipé — et encore moins voulu — l'imposition de règles spéciales visant la saisie de toute indemnité monétaire, surtout si le comportement criminel sanctionné n'a probablement rien à voir avec les problèmes civils auxquels cette mesure législative cherche à remédier.
Ne pensez surtout pas que nous nous opposons à l'exécution des ordonnances alimentaires rendues au profit de conjoints ou d'enfants, au versement d'un dédommagement ou au versement d'indemnités accordées par un tribunal civil. Ce que nous déplorons, c'est l'octroi à des créanciers d'un nouvel avantage législatif dont ils ne peuvent se prévaloir que si leur débiteur est détenu dans un établissement fédéral. S'il y a un motif sérieux d'imposer à des délinquants des paiements ordonnés par un tribunal, ce n'est pas parce qu'ils se sont rendus coupables d'un vol, d'une agression ou d'une infraction liée à la drogue; c'est pour exactement les mêmes bonnes raisons qui s'appliquent à tout citoyen visé par une ordonnance judiciaire. Les pressions législatives exercées sur des délinquants pour les inciter à se conformer à des ordonnances ne devraient être ni plus ni moins lourdes que pour les autres membres du public. Agir autrement reviendrait à s'engager dans la voie de la citoyenneté de seconde zone et des droits civils de second ordre.
Nous ne devons pas perdre de vue qu'il fut un temps où une condamnation entraînait la mort civile, c'est-à-dire l'extinction de tous les droits civils et de propriété. L'écart entre la situation du délinquant et celle du citoyen ordinaire n'aurait pas pu être plus complet, mais la société canadienne s'est progressivement écartée de cette notion désuète et contre-productive.
En 1906, les aspects les plus préjudiciables de la mort civile ont été éliminés au Québec grâce à l'action de législateurs comme vous. Dans le reste du Canada, les assemblées législatives avaient déjà pris des mesures 14 ans plus tôt. Toutefois, les tribunaux ont mis du temps à admettre que les délinquants avaient des droits que pouvaient violer des décisions injustes des autorités correctionnelles.
En 1979, la décision de la Cour suprême dans l'affaire Solosky c. la Reine a joué un rôle décisif, établissant clairement une nouvelle approche en vertu de laquelle « une personne emprisonnée conserve tous ses droits civils autres que ceux dont elle a été expressément ou implicitement privée par la loi ».
Aujourd'hui, ce concept est intégré dans le texte même de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, dont l'alinéa 4d), dans sa forme modifiée par le projet de loi C-10, est libellé comme suit:
d) le délinquant continue à jouir des droits reconnus à tout citoyen, sauf de ceux dont la suppression ou la restriction légitime est une conséquence nécessaire de la peine qui lui est infligée;
De toute évidence, ce concept ne saurait admettre un régime préjudiciable de saisie qui n'est justifié ni par les principes de détermination de la peine ni par les contraintes du milieu carcéral.
Si les règles proposées étaient adoptées, rétabliraient-elles le statut cruel et discrédité de la mort civile? Non, bien sûr, mais elles constitueraient un recul qui nous rapprocherait de ce statut. De plus, si elles permettaient de favoriser d'autres mesures qui rabaisseraient encore plus le statut civil des délinquants, elle pourrait amorcer une véritable tragédie sociétale.
Nous souhaitons en outre attirer l'attention du comité sur la possibilité qu'un tel traitement des délinquants sous responsabilité fédérale soit contraire à l'article 15 de la Charte, qui interdit les mesures discriminatoires fondées sur l'appartenance à un groupe défavorisé. Bien sûr, pour qu'une contestation en vertu de l'article 15 puisse réussir, les tribunaux devraient reconnaître les délinquants, ou du moins les délinquants sous responsabilité fédérale, comme groupe pouvant se prévaloir de cette disposition.
Nous admettons que cette position a été rejetée par la Cour fédérale d'appel dans l'affaire Sauvé et, ultérieurement, par quatre juges de la Cour suprême, mais nous tenons à vous rappeler que c'était dans une opinion minoritaire. Cette affaire remonte à 2002. Nous signalons que, dans la décision Sauvé, la majorité des juges s'est abstenue de se prononcer sur l'application de l'article 15 aux prisonniers, laissant la porte ouverte à une cour différente de se rallier à notre point de vue qui, nous le soutenons avec respect, prévaudra un jour.
Si la contestation du projet de loi C-350 pour des motifs d'égalité semble possible, mais difficile, il n'en est pas de même si on considère les articles 91 et 92 de la Constitution. Dans ce cas, nous croyons qu'il incombe aux défenseurs du projet de loi de prouver la constitutionnalité de cette invasion fédérale apparente des champs de compétence provinciaux. La question mérite d'être soigneusement examinée par des experts connaissant mieux que nous les questions soulevées par des conflits relevant des articles 91 et 92 et, plus particulièrement, des conflits entre le pouvoir législatif du Parlement à l'égard des prisons et les compétences des assemblées législatives provinciales en matière d'administration de la justice et de droits civils et de propriété.
Comme le projet de loi fait ouvertement double emploi avec, au moins, certaines activités provinciales, il serait sûrement prudent, avant de mettre en vigueur le projet de loi C-350, de consulter les procureurs généraux des provinces, qui comptent parmi les parties intéressées qui pourraient être amenées à contester la compétence fédérale devant les tribunaux.
Toutefois, nous pouvons affirmer, sans attendre l'opinion d'experts, que le projet de loi C-350 vise à établir des règles régissant des questions de compétence provinciale et risque de compromettre les programmes provinciaux qui contrôlent déjà l'exécution des ordonnances judiciaires touchant tous les biens. Ce nouveau régime spécialisé sèmerait la confusion parmi les créanciers, qui auraient à respecter deux ensembles de règles, et créerait deux catégories de créanciers en conférant un avantage indu à ceux qui ont la chance de compter parmi leurs débiteurs des délinquants sous responsabilité fédérale. On peut se demander si les nouvelles possibilités sélectives d'exécution pouvant être invoquées contre les délinquants sous responsabilité fédérale ne feront pas encore plus de tort en amenant certains créanciers à souhaiter que leurs débiteurs se voient infliger une peine de compétence fédérale.
Nous avons dit que nous ne nous opposons pas à des règles permettant aux créanciers d'exercer plus facilement leurs droits civils et de propriété. Nous supposons que l'auteur du projet de loi partage ce point de vue. Dans ce cas, pourquoi n'a-t-il pas cherché à venir en aide à tous les créanciers légitimes au lieu d'en favoriser une petite minorité? La réponse, bien sûr, c'est qu'il sait que cela va au-delà de la compétence des législateurs fédéraux. Il s'agit en effet de questions relevant de vos homologues provinciaux, car c'est ainsi que devraient être exécutés les jugements et les ordonnances judiciaires.
En même temps, nous nous demandons si quelqu'un a songé au fardeau financier que représente la mise en place d'un registre complet des indemnités, jugements et ordonnances touchant les délinquants ainsi que des indemnités fédérales de tous genres qui leur ont été accordées. L'intention de M. Lauzon est peut-être de confier cette tâche au Service correctionnel du Canada ou à un autre service de l'administration fédérale, quitte à découvrir plus tard combien coûteront la mise en place et la tenue à jour des registres nécessaires.
Non seulement le projet de loi C-350 empiète sur les efforts législatifs et administratifs des provinces, mais il compromet aussi les opérations du Service correctionnel du Canada. Ne perdons pas de vue que le projet de loi C-10 a récemment ajouté à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition l'article 15.1 qui charge les directeurs de pénitencier de veiller à l'élaboration d'un plan correctionnel pour tous les délinquants, afin de favoriser leur réhabilitation et, après leur mise en liberté, leur réinsertion sociale à titre de citoyens respectueux des lois. À cette fin, le plan correctionnel doit comprendre « les objectifs du délinquant en ce qui a trait à… (iii) l'exécution de ses obligations découlant d'ordonnances judiciaires, notamment à l'égard de la restitution aux victimes ou de leur dédommagement ou en matière d'aliments pour enfants ». Les progrès réalisés par les délinquants en vue d'atteindre leurs objectifs sont censés influer sur les décisions de transfert et de mise en liberté sous condition.
Le plan correctionnel constitue l'élément central du programme du Service correctionnel du Canada visant à amener la population carcérale à adopter des attitudes responsables qui, on l'espère, persisteront après la mise en liberté. Je suppose que la décision d'inclure des obligations judiciaires dans le plan n'a pas été prise sans réflexion. Le SCC ne souhaite pas satisfaire à des ordonnances judiciaires contre la volonté des délinquants. Cela serait préjudiciable si l'objectif est d'amener les délinquants à comprendre et à accepter le bien-fondé d'une attitude responsable envers les membres de leur famille et leurs créanciers. Le projet de loi C-350 ira à l'encontre du mandat que le Parlement vient de donner au SCC à cet égard en adoptant le projet de loi C-10.
Ce que nous avons dit jusqu'ici est lié à l'intention du projet de loi. Nos critiques se fondent sur l'hypothèse que ses dispositions, dans leur forme actuelle, permettront de mettre en place le système de recouvrement proposé. Mais le permettront-elles vraiment?
Nous notons que l'ensemble de l'article 78.1 envisagé dépend de la condition énoncée au paragraphe (3):
Lorsqu'elle fait les paiements en application du présent article, Sa Majesté n'a pas à tenir compte des jugements ou ordonnances dont elle n'a pas effectivement connaissance au moment du paiement.
En vertu de cette disposition, le régime de paiement ne s'applique que si les ordonnances et jugements envisagés sont dûment déposés ou enregistrés d'une manière qui permette d'informer officiellement Sa Majesté du droit du Canada de leur existence. Il pourrait difficilement en être autrement. Personne ne s'attendrait à ce que l'administrateur du Tribunal canadien des droits de la personne transmette un chèque à un inconnu qui prétend être un créancier, sur la foi d'une simple lettre accompagnée d'une copie d'une ordonnance judiciaire punitive dont l'authenticité n'est pas établie.
En gardant cette exigence à l'esprit, nous passons maintenant à l'alinéa a) proposé qui parle de montants que le délinquant doit verser au titre d'une ordonnance alimentaire au profit d'un enfant ou d'un époux. Nous estimons que cette disposition n'aura aucun effet. Le recouvrement en vertu d'une ordonnance de cette nature est déjà régi par des systèmes administratifs que des assemblées législatives provinciales ont établis dans leur champ de compétence. Dans chaque province et territoire, les ordonnances alimentaires doivent être déposées auprès d'un service officiel chargé de leur exécution. D'habitude, ces ordonnances comprennent une disposition imposant d'envoyer les pensions alimentaires non aux créanciers, mais au service d'exécution des ordonnances alimentaires.
À son tour, ce service doit — sans l'aide du projet de loi C-350 — transmettre l'ordonnance alimentaire à tous les organismes compétents, y compris les tribunaux fédéraux, ce qui permet de saisir non seulement le salaire, mais toute indemnité reçue de sources tant provinciales que fédérales. Les mesures prévues à l'alinéa a) sont déjà mises en œuvre dans le cadre d'une structure complète et bien définie également accessible à tous les créanciers et qui, nous vous le rappelons, est déjà financée. On voit donc que le régime proposé de recouvrement touchant les ordonnances alimentaires est parfaitement redondant, sinon pernicieux.
Pourriez-vous conclure? Je ne sais pas combien il vous en reste. En êtes-vous à votre dernière page?
Je vais résumer.
Pour les autres dispositions relatives au recouvrement, aux alinéas 78.1(1)b) et 78.1(1)c), la situation est moins claire parce que le procureur de la Couronne participe aux instances dans le cadre desquelles des ordonnances de dédommagement et de suramende compensatoire sont prises. Cela suffit-il pour considérer que Sa Majesté du droit du Canada a été officiellement informée et pour saisir les indemnités accordées? Pour nous, ce n'est pas clair du tout.
En ce qui concerne l'alinéa d) ayant trait aux jugements des tribunaux civils, il est encore moins évident qu'on puisse le faire. Ces ordonnances ne sont déposées auprès de personne, et aucun mécanisme n'est proposé…
J'ai l'impression qu'il est maintenant prêt. Nous irons jusqu'à 17 heures ou quelques minutes de plus, après quoi nous nous occuperons des travaux du comité.
Je reviens maintenant à M. Leef. Il vous reste à peu près quatre minutes et demie.
Merci, monsieur le président.
Au sujet des dispositions d'exécution des ordonnances alimentaires, nous avons appris que, pour qu'un régime de saisie puisse fonctionner, l'ordonnance doit être déposée au moment où l'intéressé reçoit un paiement. Bien sûr, c'est un vrai défi parce que si le paiement n'a pas été effectué le jour où l'ordonnance est présentée au tribunal, il n'y aurait pas d'argent pour payer la pension alimentaire. On a considéré que c'est un mécanisme différent pour régler ce problème car il est évident que les détenus ne sont pas payés toutes les deux semaines, comme la plupart des Canadiens.
J'ai trouvé intéressants vos commentaires concernant l'équité envers les autres Canadiens. C'est une observation raisonnable. Toutefois, si j'obtiens par exemple une indemnité pour un préjudice subi à titre de victime, parce que j'ai été lésé d'une façon ou d'une autre, et que l'indemnité obtenue à titre de victime constitue ma seule source de revenu, les lois canadiennes ne me protègent pas: la source de revenu dont je bénéficie comme victime n'est pas du tout à l'abri de mes créanciers. Ils peuvent y avoir accès de toute façon.
Par conséquent, ce que vous proposez donnerait aux détenus des droits supérieurs à ceux des Canadiens ordinaires en protégeant les indemnités qu'ils obtiendraient à titre de victimes.
Madame Pate, vous avez dit, je crois, que ce serait une grossière violation. Je suis d'accord avec vous. Je pense que votre observation à ce sujet est juste, de même que votre point de vue sur le moment où ces paiements se produisent. Toutefois, dans mon cas — ou dans le cas de n'importe quel autre citoyen canadien —, de telles indemnités ne sont pas protégées du simple fait que j'ai été victime d'un acte criminel. Si je dois de l'argent à l'Agence du revenu du Canada, elle saisira mon indemnité. Si je dois verser une pension alimentaire ou si j'ai une dette, l'indemnité sera également saisie. Elle ne sera ni traitée différemment ni protégée. Dans ces conditions, pourquoi devrions-nous assurer cette protection aux détenus? Comment pourrions-nous persuader les Canadiens ordinaires qu'il est équitable et raisonnable de le faire?
Je crois qu'il est important de préciser que nous n'assurons pas du tout cette protection aux prisonniers. En fait, s'ils ont des dettes, ils doivent les rembourser.
Ce que j'essayais de dire juste avant l'arrivée de M. Fineberg, c'est que nous n'avons pas besoin de ce projet de loi pour cela. Le projet de loi va d'ailleurs plus loin. À l'heure actuelle, nous avons déjà des mécanismes pour faire exécuter les ordonnances.
Pouvez-vous m'expliquer cela? D'après les témoignages que nous avons entendus, si un détenu qui a des dettes ou doit de l'argent reçoit une indemnité, il n'y a aucun moyen d'y accéder. L'indemnité va dans le compte d'épargne du SCC, qui ne peut pas prendre des mesures pour assurer le remboursement. En fait, le SCC ne peut rien faire de plus que d'encourager les détenus, dans le cadre d'un plan de gestion de cas, à se montrer responsables en payant ce qu'ils doivent. Toutefois, il n'existe aucun mécanisme contraignant.
Bien sûr. Si c'est ce que le SCC dit, je ne sais vraiment pas pourquoi il le fait parce que je suis sûre qu'il exécute les ordonnances judiciaires. Je sais qu'il y a des cas où il l'a fait.
Je ne suis pas sûre des raisons pour lesquelles on vous a dit cela. Si le SCC doit intervenir discrètement pour avoir accès à une suramende compensatoire ou pour mettre en œuvre un nouveau régime de paiement… C'est peut-être pour des cas de ce genre qu'il vous a dit ne pas être en mesure d'intervenir.
J'ai eu l'occasion de parcourir le compte rendu du témoignage d'hier de M. Toller. Je crois qu'il a essayé de faire la distinction entre la façon dont le Service correctionnel agit actuellement et la façon dont il agirait si le projet de loi C-350 était adopté. Il vous a dit qu'à l'heure actuelle, le Service correctionnel ne peut pas saisir de l'argent ou l'utiliser à d'autres fins. Il ne peut rien faire de l'argent. Il ne peut pas imposer le remboursement d'une dette civile du prisonnier, même s'il est au courant de cette dette.
Dans le cadre du plan correctionnel, le Service encourage le plus possible les détenus. Il les incite à assumer la responsabilité de leur comportement et de leurs dettes. Voilà ce que M. Toller essayait de dire. Il n'affirmait pas que l'argent ne pouvait pas être saisi. Il a simplement dit que le Service correctionnel n'a pas le pouvoir de saisir l'argent. Il n'a pas dit que le mécanisme civil d'exécution des ordonnances ne s'applique pas aux détenus sous responsabilité fédérale. En tout cas, c'est ce que j'ai compris en lisant son témoignage.
Je vous remercie tous deux de votre présence au comité.
Je vais partager mon temps de parole avec Mme Doré-Lefebvre.
J'aimerais juste poser à M. Fineberg une question rapide concernant particulièrement le projet de loi. Je crois qu'il se compose de deux parties. Y voyez-vous des points positifs quelconques? Croyez-vous qu'il soit possible de remédier aux problèmes juridiques qui s'y trouvent?
L'intention du projet de loi est certainement louable, mais je ne crois pas qu'il soit efficace ni qu'il puisse l'être. Je ne pense pas qu'il soit sensé d'essayer de le redresser de façon à pouvoir faire au niveau fédéral ce que les provinces font déjà et qu'elles pourraient peut-être faire mieux.
Si l'exécution d'ordonnances touchant des prisonniers qui ont reçu des indemnités pose des problèmes, il conviendrait peut-être d'encourager les gouvernements provinciaux à perfectionner leurs régimes, qui existent déjà, qui sont censés être complets et qui sont déjà financés.
Je ne vois vraiment pas l'utilité du projet de loi.
Je vais juste poser une autre petite question avant de céder la parole.
Si le projet de loi est adopté et mis en vigueur, comment un détenu ou un délinquant pourra-t-il le contester efficacement? Il lui faudrait d'importantes ressources juridiques pour pouvoir le faire.
C'est un problème. J'imagine qu'à un moment donné, quelqu'un disposera des ressources nécessaires pour le faire, soit de sa propre initiative soit avec l'assistance de l'aide juridique. Si l'argent de quelqu'un est saisi et que l'intéressé est persuadé que la saisie n'est pas fondée, il voudra sûrement s'adresser aux tribunaux. De plus, j'ai l'impression que les procureurs généraux des provinces pourraient s'en mêler, estimant qu'il y a empiètement sur un champ de compétence provincial.
Puisque nous parlons de la difficulté pour les prisonniers de s'adresser aux tribunaux, je voudrais mentionner que ces difficultés se manifestent aussi dans le cas des ordonnances alimentaires au profit du conjoint ou des enfants. En général, un détenu sous responsabilité fédérale ne peut pas trouver les ressources nécessaires pour s'opposer à une demande d'ordonnance, de sorte que des ordonnances alimentaires sont souvent prises sans intervention efficace de l'autre partie, et parfois même en son absence.
Dans certaines provinces, comme le Nouveau-Brunswick, les détenus qui veulent contester ce genre de choses n'ont pas accès à l'aide juridique. D'ordinaire, ils doivent se résigner et subir l'ordonnance sans intervenir.
[Français]
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie nos témoins d'être venus nous rencontrer au sujet du projet de loi C-350.
Mes questions vont plutôt s'adresser à Mme Pate puisque je trouve très important qu'on entende le point de vue relatif aux femmes délinquantes qui se retrouvent en prison.
À votre avis, l'objectif du projet de loi C-350 correspond-il à une situation fréquente chez les femmes?
[Traduction]
C'est peu probable. Quelques détenues reçoivent des paiements par suite du règlement concernant les pensionnats indiens, de sorte qu'il y aura sûrement des répercussions sur les femmes.
C'est déjà le cas pour une femme dont nous essayons de faire réviser la condamnation. Pour obtenir une révision, nous avons recouru à un avocat qui comptait agir dans le cadre de l'aide juridique. Toutefois, l'aide juridique refuse de s'occuper de l'affaire. Nous discutons donc de cette question en ce moment. C'est un cas où tout le monde convient, y compris le Service correctionnel, que cette femme n'aurait pas dû être condamnée. Il s'agissait d'un cas de suicide assisté — qui figure encore dans les dossiers du Service — pour lequel elle a été condamnée pour meurtre. Nous essayons d'obtenir une révision de cette condamnation. Pour le moment, elle ne peut pas accéder à l'aide juridique, à moins de puiser dans une somme placée en fiducie pour qu'elle puisse s'en servir à l'avenir si elle est libérée.
Je trouve effarant qu'après avoir subi pendant 10 ans de graves sévices sexuels et physiques dans les pensionnats indiens, il faille aller chercher cet argent pour essayer de la faire libérer, lui imposant, si nous réussissons, d'être complètement dénuée de ressources pour se réintégrer dans la société. Voilà la situation la plus courante.
L'inconvénient, par rapport à ce que vient de dire mon collègue, M. Fineberg, réside dans le nombre de femmes qui ne peuvent pas accéder à l'aide juridique pour des questions familiales lorsqu'elles essaient d'obtenir de l'aide sociale, ordinairement à leur sortie de prison. On leur demande de tenter d'abord d'obtenir une pension alimentaire pour elles-mêmes, pour leurs enfants ou pour les deux avant que leur demande d'aide sociale puisse être examinée. Voilà un autre domaine où cela pourrait aussi avoir des répercussions.
[Français]
[Traduction]
Je m'excuse de vous interrompre. Il n'y en a pas beaucoup qui obtiennent des indemnités des services correctionnels. Cela s'est produit après l'affaire de la prison des femmes et le décès d'Ashley Smith. Il y a eu des cas où des gens ont…
[Français]
En effet, le cas d'Ashley Smith est assez important.
Mardi dernier, Mme O'Sullivan, qui est l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels, nous a dit qu'il fallait garder un certain équilibre entre les victimes et, surtout, s'assurer que de la réhabilitation est offerte. Mme O'Sullivan a beaucoup insisté sur ce dernier point. C'était une discussion fort intéressante.
À cet égard, selon vous, le projet de loi est-il positif quant à la réhabilitation des femmes?
[Traduction]
Je n'ai pas l'impression qu'il contribuera nécessairement à leur réhabilitation. Comme je l'ai dit, si elles obtiennent une indemnité de l'État à cause de préjudices que leur ont fait subir les services correctionnels, elles s'en servent souvent pour obtenir une aide pour favoriser leur mise en liberté ou encore pour subvenir aux besoins de leurs enfants.
Je crois que cela est malheureusement attribuable au projet de loi. Comme d'autres l'ont dit, y compris M. Fineberg, il existe d'autres mécanismes. Voilà un autre cas où, comme nous l'avons vu pour d'autres mesures législatives récentes, le coût que les services correctionnels devront assumer pour mettre en œuvre le projet de loi — au lieu d'aider les provinces à consolider les mécanismes qui existent déjà — ne constituera pas une utilisation judicieuse des fonds publics.
Comme je l'ai dit au début, cela ne signifie nullement que nous n'appuyons pas le principe de l'indemnisation, du dédommagement et de l'aide aux victimes. Bien au contraire, nous sommes très en faveur de ce principe. Toutefois, je crois que la mise en œuvre de mesures législatives de ce genre et l'adoption de projets de loi qui ne sont pas vraiment utiles entraîneront d'énormes frais d'administration sans apporter de vrais avantages aux victimes.
[Français]
[Traduction]
Le projet de loi occasionnera sans nécessité des frictions entre les délinquants et les services correctionnels. Si les délinquants sont mécontents parce que de l'argent est saisi sans leur accord, on pourrait en charger le mécanisme provincial.
Il n'y a pas lieu de susciter d'autres frictions entre les délinquants et leurs agents de libération conditionnelle ainsi que le personnel correctionnel.
Merci, monsieur Fineberg.
Nous revenons maintenant à la partie gouvernementale avec M. Leef. J'aimerais cependant que M. Scarpaleggia ait la possibilité de poser une question. Je vous saurais donc gré de faire vite.
Je lui céderai un peu de temps.
Merci, monsieur le président.
Tout cela semble se réduire — je dois dire que j'ai trouvé vos observations intéressantes — à des frictions entre les détenus et les services correctionnels. Nous nous rendons compte qu'il y a un équilibre délicat à maintenir, mais je crois que ce qu'on fait à l'heure actuelle met trop de pouvoir entre les mains des détenus. N'oublions pas qu'ils ont une dette à payer à la société.
Vous avez dit quelque chose d'intéressant au sujet de l'encouragement des attitudes responsables par les services correctionnels. Je crois que l'un des moyens d'assurer de telles attitudes envers ces services est de veiller à ce qu'ils aient l'appui de la société canadienne, et notamment l'appui des victimes d'actes criminels. Lorsqu'on parle du coût de la mise en œuvre de ces mesures — nous avons entendu des témoignages concernant le préjudice de 83 milliards de dollars subi par les victimes, la mesure dans laquelle cela est remboursé et la responsabilité du remboursement —, je crois que les Canadiens ordinaires voudront de tout cœur que les auteurs des crimes soient responsables du remboursement de cette dette aussi bien monétaire que sociale.
En soutenant que la mise en place de mesures leur imposant de rembourser cette dette va susciter des frictions inutiles, vous voulez nous inciter à leur faire des concessions sans nécessité et à placer les victimes encore plus bas sur le mât du totem. On rehausse ainsi le statut criminel à un point que le Canadien moyen a du mal à comprendre.
Vous avez laissé entendre que les victimes ne constituent pas des créanciers méritants. Quand je vois 576 ordonnances de dédommagement, 1 136 amendes et 725 suramendes compensatoires sur les registres du Service correctionnel du Canada pour une seule année, je trouve ces nombres élevés en fonction tant des montants en cause que du nombre de victimes qui ne sont jamais indemnisées pour les actes criminels commis dans le pays.
Si vous voulez qu'on soit équitable envers les détenus, la première mesure à prendre est d'assurer l'équité pour les victimes pour qu'elles puissent prendre au sérieux notre système de justice pénale et notre système correctionnel. Si nous donnons l'impression de devoir quelque chose aux criminels qui ont des obligations et des dettes à acquitter, je ne crois pas que nous leur rendrons service parce que nous ne ferons que développer chez eux le sentiment effrayant qu'ils ont droit à tout. Cela ne leur assure nullement une plus grande protection dans le milieu carcéral. Je ne crois pas que cela leur permette d'avancer sur la voie de l'aide, de l'espoir et de la guérison en vue de leur réinsertion sociale et pour les amener à se sentir fiers de choses qu'ils ont faites. S'ils n'arrivent pas à développer le sens des responsabilités, nous ne leur aurons certainement pas rendu service. Si nous leur permettons d'échapper à leurs responsabilités, je ne suis pas du tout sûr que nous les aidons.
À mon avis, cela ne revient pas à les dépouiller à leur insu. Les indemnités qu'ils obtiennent ont sûrement pour objet de compenser un tort qui leur a été causé. Mais la dette qu'ils ont contractée a aussi été gagnée par la victime et donc être remboursée.
Bref, je ne sais pas vraiment comment concilier tout cela. Si j'examine le témoignage de M. Toller, je constate qu'il a dit très clairement qu'en grande majorité, ces dettes ne sont pas remboursées. Je ne sais pas quel fardeau le Service correctionnel du Canada aura à assumer parce que le projet de loi parle des indemnités accordées par les tribunaux. Pour moi, il est évident que ce n'est pas le Service correctionnel qui émet le chèque. C'est donc quelqu'un d'autre qui envoie un chèque aux détenus par suite d'une ordonnance prise par un juge. Celui-ci trouverait les créanciers enregistrés qu'il faut rembourser — pension alimentaire, ordonnance de dédommagement, suramende compensatoire ou montant accordé par un tribunal civil —, effectuerait les paiements nécessaires et laisserait le solde au détenu pour qu'il soit versé dans son compte d'épargne et transféré à son compte courant deux fois par an, comme le permet le Service correctionnel.
L'argent n'est donc pas prélevé à l'insu des détenus. Il est prélevé ouvertement par ordonnance judiciaire. Je crois que c'est la bonne façon de faire pour montrer que c'est très important. Si les détenus ont l'impression que cet argent leur appartient, qu'ils y ont droit et que personne ne peut y avoir accès, ils oublient qu'ils ont contracté une dette tout comme ils avaient gagné leur indemnité.
Ne croyez-vous pas qu'il est important de transmettre ce message pour que les détenus comprennent qu'ils ont contracté une dette et qu'ils doivent la rembourser?
Le principe que vous évoquez se rattache probablement le mieux aux ordonnances de dédommagement rendues par un tribunal pénal pour indemniser les victimes. Ce principe s'applique à une seule des quatre situations différentes envisagées dans le projet de loi. De plus, les objections pratiques demeurent parce qu'il n'est pas du tout certain que cela peut marcher.
À part cela, il y a quand même le problème du conflit de compétences avec les provinces. Si on écarte ce conflit et si on suppose que l'article 15 de la Charte ne sera pas invoqué, vous ne pourrez quand même faire valoir votre argument que dans le cas de l'alinéa 78.1d) du projet de loi.
Je voudrais aborder deux points. Si le paiement est dû parce qu'une personne a été victime d'une violation de ses droits par l'État, quel que soit le représentant de l'État qui en est responsable, vous pourriez envisager un mécanisme qui imposerait à l'État de verser une suramende. Je crois que c'est là que réside la préoccupation concernant la suramende compensatoire. Par conséquent, dans le cas d'une personne victimisée par l'État, il y aurait peut-être moyen d'imposer un suramende à l'agent responsable. C'est mon premier point.
Ensuite, vous avez parlé des mâts de totem en suggérant que la personne placée le plus bas sur le mât est la moins importante. En fait, c'est le contraire: la personne placée à la base est la plus importante.
Merci beaucoup pour cette précision.
Monsieur Scarpaleggia, j'ai pour vous une bonne et une mauvaise nouvelle.
La bonne nouvelle, c'est que nous parlerons aujourd'hui des travaux du comité et que vous aurez l'occasion de nous faire part de toutes vos idées concernant nos travaux futurs.
La mauvaise nouvelle, c'est qu'il ne reste plus assez de temps pour que vous puissiez poser une question à nos témoins.
Je voudrais vous remercier d'avoir comparu devant le comité aujourd'hui. Merci d'être venus et nous avoir donné votre avis sur le projet de loi. Si vous avez d'autres renseignements à nous transmettre pour mieux répondre à une question posée ou pour donner plus d'explications que vous n'avez pu le faire à cause des contraintes de temps, je vous prie de ne pas hésiter à les transmettre au comité. Nous veillerons à ce qu'ils soient distribués aux membres.
Merci encore.
Membres du comité, je vous demande de rester assis si possible. Vous pouvez saluer ou dire au revoir à ces gens très rapidement. Dans environ une minute et demie, nous allons reprendre la séance à huis clos pour discuter de nos travaux futurs.
[La séance se poursuit à huis clos.]
Explorateur de la publication
Explorateur de la publication