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Merci beaucoup, monsieur le président. C'est un plaisir d'être de retour ici.
J'ai, en fait, une déclaration préliminaires très brève à faire aujourd'hui, mais j'apprécie de comparaître devant le comité pour discuter du projet de loi . Je suis heureux d'avoir avec moi Marie-France Kingsley, qui est la directrice des enquêtes au Bureau de l'enquêteur correctionnel.
Je serai bref, mais je soulèverai certaines questions et préoccupations que nous avons constatées au sujet de l'application, de la portée et de l'administration possible de ce projet de loi. J'aimerais tout d'abord commencer par exposer mes limites. Mon bureau n'a aucune expertise dans l'établissement de priorités des créanciers ou les mécanismes de recouvrement des créances. Je ne peux pas me prononcer sur les éléments du projet de loi qui portent sur les compétences, ni sur le caractère constitutionnel des mesures proposées ou sur la possibilité de contraindre des détenus à verser les paiements dans l'ordre prévu dans le projet de loi C-350.
Cependant, j'espère pouvoir vous aider en vous parlant des aspects pratiques, notamment la capacité des détenus sous responsabilité fédérale d’acquitter les dettes monétaires en souffrance, les ordonnances de dédommagement et les suramendes compensatoires, tout en respectant leurs obligations envers la société pendant qu’ils purgent une peine dans un établissement fédéral.
Comme vous le savez déjà, le projet de loi C-350 énonce les priorités visant le paiement de dettes dans les cas où des indemnités sont accordées au délinquant. Il existe des mécanismes permettant au Service correctionnel du Canada d’inscrire les dédommagements et amendes que les tribunaux ont imposés aux délinquants sous responsabilité fédérale, et des milliers d’inscriptions ont déjà été saisies aux dossiers. Cependant, les obligations imposées émanant de poursuites civiles, de créanciers ainsi que les paiements à verser au titre d’ordonnances alimentaires au profit d’un enfant ou d’un époux ne sont pas inscrits de façon régulière aux dossiers du SCC. Selon le projet de loi C-350, le Service correctionnel serait tenu de mettre en place un système de suivi visant l’administration des ordonnances alimentaires au profit d’un enfant ou d’un époux, ainsi que toute autre dette que doit verser le délinquant au titre d’un jugement rendu par un tribunal compétent.
Il n’est pas clair encore comment un tel registre serait créé ou combien il coûterait à mettre en place et à maintenir. Je me demande aussi si nous souhaitons vraiment qu’une institution correctionnelle fédérale prenne part à un régime de recouvrement de dettes, ou si nous nous attendons à ce qu’elle prenne ce rôle. Le SCC devrait-il avoir à vérifier l’état de dettes encourues au civil, d’obligations familiales, d’ordonnances judiciaires et de règlements en cour? Et si une erreur est commise, est-ce qu’un appel sera interjeté ou une dérogation sera accordée après la date d’expiration du mandat? Qui serait tenu responsable? Comment les créanciers s’inscriraient-ils? En cas de remboursement de dette, est-ce qu’il revient au SCC de décider quels créanciers doivent être remboursés en premier et dans quel ordre ils seront remboursés? Une chose est sûre, on peut s’attendre à ce que les coûts et la complexité liés à l’administration d’un registre de cette nature soient considérables.
Je suis conscient que ce projet de loi a été proposé en réaction à un certain nombre d’affaires hautement médiatisées. Je comprends aussi qu’il pourrait y avoir eu certains problèmes relativement au recouvrement des indemnités qu’une cour, un tribunal ou un organisme fédéral pourrait avoir accordées au délinquant sous responsabilité fédérale dans la foulée d’une poursuite. Cependant, selon mon expérience, la publicité que génèrent ces cas peut être intense, et elle attire souvent les créanciers potentiels. Comme nous le savons, ceux-ci sont habituellement très rapides pour intercepter les fonds avant qu’ils ne puissent être utilisés à d’autres fins.
Je ne suis pas certain que le fait de créer un registre complexe et possiblement très coûteux soit la meilleure façon de gérer les indemnités hautement médiatisées, et encore moins de respecter les ententes de dédommagement imposées par le tribunal comme les obligations alimentaires au profit d’un enfant ou d’un époux. De toute manière, la grande majorité des délinquants sous responsabilité fédérale n’ont que très peu d’argent et leur capacité d’en amasser pendant l’incarcération est limitée. Un régime élaboré de recouvrement ne permettra probablement pas de satisfaire les victimes puisque la plupart des dettes ne seront pas remboursées. Même les tribunaux tiennent compte de cette réalité lorsqu’ils imposent des amendes, des ordonnances de dédommagement ou des suramendes compensatoires. Voilà la triste réalité, mais c'est peut-être aussi l'occasion de formuler des suggestions en vue d'une réforme importante.
J’aimerais vous expliquer, à l’aide de quelques exemples, ce qu’il en est de la capacité des détenus de rembourser des dettes ou de respecter des obligations familiales continues pendant qu’ils purgent une peine dans un établissement fédéral.
Le salaire maximum qu’un détenu peut toucher pendant qu’il purge une peine dans un établissement fédéral et qu’il exerce un emploi rémunéré est de 6,90 $ par jour. Ce montant a été fixé en 1981 et n’a pas changé depuis, plus de 30 ans plus tard. Il n’a pas non plus été ajusté pour tenir compte du coût de la vie ou de l’inflation. Les détenus qui purgent une peine dans un établissement fédéral reçoivent des vêtements de l’établissement et des produits d’hygiène personnelle. Les détenus doivent payer de leur propre poche tout autre bien qu’ils souhaitent obtenir.
Les détenus peuvent acheter certains biens, qui figurent sur une liste; la marge bénéficiaire que fait l’établissement est de 10 p. 100 du prix de détail régulier. En 1981, les détenus pouvaient acheter un panier type d’articles vendus à la cantine pour 8,49 $. En 2005, le coût estimatif de ce même panier était de 61,59 $, ce qui représente une augmentation de 725 p. 100. Dans les trois dernières années, le fait que le Service correctionnel a cessé d’offrir certains services de santé non essentiels a forcé les détenus à acheter à la cantine des articles en vente libre qui leur étaient fournis avant, comme du Tylenol ou des shampoings médicamenteux. Par exemple, une bouteille de 100 ml de sirop Buckley’s contre la toux coûte 7,58 $ à la cantine, ce qui est plus que le salaire d’une journée.
D’autres déductions peuvent être retenues de la paie des détenus, notamment des amendes imposées par l’établissement, des déductions du fonds du Comité du bien-être des détenus, des activités sociales et les frais de logement et de repas. Les détenus les « mieux nantis », c’est-à-dire qu’ils sont rémunérés pour des heures supplémentaires, qu’ils reçoivent une prime de rendement ou des revenus supplémentaires, doivent parfois payer des frais de logement et de repas allant jusqu’à 5 $ par jour, ou 50 $ par période de rémunération de 14 jours.
De plus, tous les détenus doivent contribuer au fonds de bien-être. Cette contribution peut aller jusqu’à 6 $ par période de rémunération de 14 jours et elle sert à payer la télévision et le câble, et à couvrir toute une gamme de sorties de fonds du Comité du bien-être des détenus, comme les activités organisées ainsi que les dons de détenus à des oeuvres caritatives et les frais d’avocat en cas de recours de groupe.
Ce que je voulais rappeler aux membres du comité, c’est qu'en réalité, le crime ne paie pas. Ce sont rarement les riches qui se retrouvent en prison. La plupart des détenus n’ont pas d’économies et leur capacité de gains à l’intérieur d’un établissement fédéral est extrêmement limitée. Il ne semble donc pas très utile de réorienter des gains qui, dans le meilleur des cas, pourront au moins les aider au moment de leur remise en liberté. Il n’est pas rare que les délinquants venant tout juste d’être remis en liberté aient accumulé des dettes de l’ordre de milliers de dollars alors que leurs perspectives d’emploi sont très limitées.
L’enjeu sur lequel repose le projet de loi C-350 est important. Une partie du processus de réinsertion des délinquants devrait comprendre le remboursement de dettes, au mieux de leur capacité. Ce qui m’inquiète, c’est que la solution proposée pourrait être impossible à mettre en oeuvre et nuisible.
Je vous remercie encore une fois de m'avoir invité à vous rencontrer aujourd'hui. Je serai heureux de répondre à vos questions.
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Les difficultés dont je vous ai entendu parler concernaient surtout le SCC. Vous avez dit, je pense, que le projet de loi obligerait le SCC à établir un système de suivi pour administrer les dettes que doivent les délinquants. C'est votre principale objection?
En lisant le projet de loi, je vois qu'il précise qui sera payé en premier, en deuxième, en troisième et en quatrième lieu si le gouvernement fédéral accorde une indemnité à un délinquant, à un détenu. Une fois ces paiements faits, l'argent restant sera pour le délinquant.
Je comprends que le gouvernement du Canada, fait les paiements, mais vous dites qu'étant donné la façon dont le projet de loi est libellé, ce sera au SCC d'établir à qui, parmi cette liste, il faudra verser de l'argent avant d'en donner au délinquant. Vous y voyez donc un problème, car le SCC devra vérifier envers qui le délinquant a une dette, n'est-ce pas?
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Le SCC aura à inscrire les revenus et les dépenses ou les indemnités accordées et les dettes. Il faudra ensuite qu'il gère les paiements. Le projet de loi prévoit un ordre de priorité, mais je ne vois pas très bien, par exemple, ce qui arriverait si un détenu recevait une indemnité à règlement échelonné. Comme je l'ai dit, je ne vois pas très bien ce qui se passerait si, par la suite, il y avait un changement, un appel ou une dérogation.
On ne voit pas très bien non plus dans quelle mesure la responsabilité de s'assurer que les renseignements sont exacts et à jour, peut-être même après l'expiration du mandat, incomberait au SCC. Ce qui se passerait pendant la période où un détenu serait en liberté conditionnelle, travaillerait dans la collectivité et aurait une autre source de revenu n'est pas clair non plus.
D'autre part, nous ne savons pas exactement ce qui se passerait, ni comment les fonds seraient reçus et déboursés en cas de règlement hors cour ou de règlement résultant d'une négligence du SCC, par exemple, si le détenu présente une réclamation pour la destruction de biens personnels. Je ne sais pas vraiment si le rédacteur du projet de loi a même envisagé la chose.
Par exemple, si un détenu, qui est transféré d'un établissement à un autre, possède une radio valant 50 $ et que cette radio est cassée pendant le transfèrement, si le bris résulte clairement d'une négligence du SCC et que le détenu reçoit 50 $ ou une autre radio, il s'agit d'une indemnité monétaire versée par la Couronne. Comment cela se répercuterait-il sur les paiements? Ce sont des problèmes pratiques et quotidiens. Comme vous l'avez dit, ce n'est pas le principe du recouvrement des dettes qui est en cause; mais les difficultés pratiques sont, je pense, considérables.
Comme vous pouvez le comprendre, la situation aux États-Unis est très variable. Il y a plusieurs approches différentes. Parmi celles que nous connaissons, il y a, par exemple, les services de conseil en crédit offerts au détenu à son arrivée. Dans le cadre de la procédure d'accueil, on discute avec le détenu de ses dettes et de sa capacité de remboursement. Certains établissements aident même le détenu à négocier le remboursement de ses dettes reconnaissant que souvent, un fardeau financier peut constituer un énorme obstacle pour sa réinsertion.
D'autres programmes américains apportent une aide pour trouver un logement et surmonter des difficultés comme le paiement d'un dépôt de garantie du loyer mensuel et ce genre de choses. Des approches différentes ont été adoptées dans les divers États du pays.
La deuxième partie de votre question concernait vraiment, si j'ai bien compris, le processus que SCC mettrait en place pour…
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Je suppose que l'obligation du SCC découlerait de ce même article où il est dit « à la suite d'une action ou d'une poursuite en justice contre elle, ou contre un de ses mandataires ou employés », c'est-à-dire contre Sa Majesté, un de ses mandataires ou employés, ce qui comprend, je suppose, le SCC.
J'essaie de voir ici où cela confère au SCC la responsabilité d'administrer le programme ou les paiements, car le dernier paragraphe 78.1(4) porte que:
Le montant restant de l'indemnité visé au paragraphe (1) après soustraction des montants payés conformément aux paragraphes (1) à (3) est versé au délinquant.
J'en conclus qu'une indemnité, un règlement est versé au détenu. On détermine ensuite s'il doit de l'argent en vertu soit de l'alinéa 78.1(1)a), au titre d'une ordonnance alimentaire au profit d'un enfant ou d'un époux, soit deb) au titre d'une ordonnance de dédommagement, soit dec) au titre d'une suramende compensatoire, soit ded). S'il reste quoi que ce soit, le solde est versé au détenu.
J'ai du mal à voir où… Ce n'est pas le SCC qui établit le chèque. J'ai soulevé la question aux derniers témoins. Le SCC n'établirait pas le chèque. Je ne suis pas certain que le SCC toucherait cet argent. À mon avis, si le détenu obtient un règlement suite à une action ou une poursuite en justice, que ce soit public ou que le règlement ait lieu hors cour, c'est l'organisme qui conclut l'entente ou le règlement qui détiendrait ces fonds et qui aurait également l'obligation de se conformer aux alinéas 78.1(1)a), b), c) et d) et non pas le SCC.
Mon interprétation est peut-être un peu différente de la vôtre, mais je ne pense pas que l'argent irait d'abord au SCC qui le distribuerait ensuite en vertu des alinéas a), b), c) et d). Ai-je mal compris?
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Vous savez, je n'en suis pas certain.
Dans ce cas, c'est la Couronne qui établirait le chèque en faveur du délinquant. Ce dernier n'a pas accès à une banque comme vous et moi, ou même comme s'il était en libération conditionnelle. Un délinquant en détention n'est pas dans la même situation qu'un délinquant qui purge le même genre de peine pour un crime similaire, mais qui bénéficie d'une semi-liberté ou de la libération conditionnelle totale.
En tout cas, si le délinquant est en prison, la façon dont il peut avoir accès à son compte est très différente et le SCC exerce un contrôle. Si le SCC n'a pas un rôle administratif à jouer, on peut se demander qui s'en chargera. Le tribunal n'a pas accès au compte du délinquant. Bien entendu, le créancier non plus, car si un mécanisme lui permettait d'y avoir accès, il s'en serait déjà prévalu. Le chèque est déposé pour le compte du délinquant, mais sur le plan administratif, c'est le SCC qui gère le compte bancaire du délinquant.
Ce n'est pas comme pour vous ou moi à qui il suffit d'aller dans une banque ou à un guichet automatique.
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Comme pour un bon nombre de lois, cela dépend toujours des détails concernant la façon dont ce sera administré. N'étant pas une spécialiste du droit correctionnel comme M. Sapers ou d'autres, en examinant le projet de loi, je me suis demandé comment ces paiements seraient faits. Comment le Service correctionnel du Canada ferait les paiements? Comment saura-t-il à qui les faire, parce que le bénéficiaire d'une ordonnance de dédommagement a été victime d'un acte criminel? Il faudrait informer la victime qu'elle peut aviser le Service correctionnel du Canada qu'un montant d'argent lui est dû et le Service correctionnel du Canada devra trouver moyen de suivre ce paiement.
Je suis au courant du témoignage de M. Toller qui a déclaré, la semaine dernière, qu'il y a un système de gestion des délinquants qui remplit une fonction un peu similaire, mais il faudrait peut-être obtenir plus de précisions quant à la façon dont cela serait fait.
Pour ce qui est des suramendes compensatoires, elles sont dues à la province. La province aurait aussi un mécanisme, ou il faudrait que le Service correctionnel du Canada sache qu'une province n'a pas reçu la suramende compensatoire qui devait être payée et puisse lui verser ce montant ou l'indemnité que la Couronne verserait au délinquant.
Ce sont des petits détails, mais comme je l'ai dit, sans ces changements, le projet de loi devrait pouvoir être administré dans le sens que le parrain souhaitait.
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Très bien, dans ce cas, je vais vérifier ma source d'information.
Nous avons eu une grande discussion, lors de notre dernière séance, au sujet des droits civils des délinquants, car nous avions ici un avocat qui se spécialise dans ce genre de cas, ce qui nous ramène à la question de savoir comment remettre aux créanciers l'argent d'un règlement.
Lorsqu'un délinquant obtient un règlement, cet argent se retrouve-t-il alors dans son compte en banque personnel? Est-ce ainsi que le système fonctionne pour le moment: l'argent se retrouve dans le compte en banque personnel du délinquant plutôt que dans un compte, à son nom, dans l'établissement carcéral ou au Service correctionnel du Canada? Ou tous les biens du délinquant sont-ils placés sous la tutelle du Service correctionnel du Canada?
À partir de quel moment certains biens du délinquant se retrouvent-ils en dehors de la tutelle du Service correctionnel du Canada ou du gouvernement? Je ne suis pas avocat et c'est pourquoi je pose cette question que vous trouverez peut-être un peu simpliste.
Tous les biens du délinquant lui sont-ils enlevés et placés sous la tutelle du Service correctionnel du Canada?
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Le greffier me dit que la motion devient ensuite publique. C'est l'avis que je reçois du greffier et la motion est certainement publique maintenant.
Des voix: Oh, oh!
Le vice-président (M. Randall Garrison): Sur l'avis du greffier, cette demande a été communiquée au ministère de la Justice, qui a refusé de fournir des témoins supplémentaires en raison de la participation future possible du ministère dans un litige constitutionnel résultant du projet de loi.
Je n'ai pas l'intention d'ouvrir le débat à ce sujet, mais à titre d'explication — et aussi par courtoisie, je pense, pour nos témoins qui se sont peut-être sentis assaillis de questions — cette décision a été prise par des fonctionnaires autres que les témoins qui ont comparu.
Nous vous remercions d'avoir témoigné aujourd'hui. Si vous avez d'autres idées ou observations que vous aimeriez nous soumettre après votre départ, vous pouvez certainement nous les présenter par écrit.
[Français]
Madame Doré Lefebvre.