C'est la 24e séance du Comité permanent de la sécurité publique et nationale en ce mardi 14 février 2012.
Bonne Saint-Valentin à tous.
Nous poursuivons aujourd'hui notre étude de l'utilisation de la surveillance électronique à la fois dans le contexte du système correctionnel et de la mise en liberté sous condition et dans le domaine de l'immigration en vue d'en déterminer l'efficacité, la rentabilité, la mise en oeuvre et l'état de préparation.
Le ministère de la Défense nationale témoignera au cours de notre première heure de séance. Comme vous pouvez le voir, nous recevons aujourd'hui M. Anthony Ashley, directeur général du Centre des sciences pour la sécurité, Recherche et développement pour la défense Canada. Nous recevons aussi M. Pierre Meunier, gestionnaire de portefeuille, Surveillance, renseignement, et interdiction, Centre des sciences pour la sécurité, Recherche et développement pour la défense Canada.
Bienvenue au comité.
Je crois que M. Ashley désire faire une déclaration préliminaire. Nous avons hâte de vous entendre, après quoi nous passerons aux questions.
Monsieur Ashley.
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Merci, mesdames et messieurs, membres du comité.
Comme vous le savez déjà, je m'appelle Anthony Ashley. Je suis le directeur général du Centre des sciences pour la sécurité de Recherche et développement pour la défense Canada depuis sa création en 2006. Comme vous le savez déjà, je suis accompagné de M. Pierre Meunier, gestionnaire de portefeuille pour la surveillance, le renseignement et l'interdiction, qui est l'un des portefeuilles que nous gérons par l'entremise du centre.
Cet après-midi, je voudrais vous offrir un bref aperçu de notre organisation, de nos activités, de notre collaboration avec Sécurité publique Canada ainsi que de l'expertise que nous pouvons offrir afin d'appuyer la recherche concernant un programme de surveillance électronique.
Le Centre des sciences pour la sécurité a été créé à la suite d'un protocole d'entente entre le ministère de la Défense nationale et Sécurité publique Canada. Il est géré par Recherche et développement pour la défense Canada ou RDDC. RDDC est un organisme de service spécial relevant du ministère de la Défense nationale dont la principale mission, dans ce contexte, est d'apporter un soutien scientifique et technologique au ministère et aux Forces canadiennes.
La mission du centre est d'extraire les besoins et les priorités des politiques et des communautés opérationnelles et d'assigner la tâche à la communauté de la science et de la technologie du gouvernement, de l'industrie et des établissements d'enseignement supérieur — de même qu'à nos partenaires internationaux, ajouterais-je — de trouver des solutions qui répondent à ces priorités. Nous sommes donc une sorte de lien entre les communautés de la politique opérationnelle et les véritables technologues et ingénieurs qui travaillent sur le terrain.
Le personnel du centre comprend des scientifiques et des ingénieurs qui possèdent une vaste expérience pertinente et une spécialisation dans des domaines comme la planification fondée sur les capacités, l'évaluation des risques, la recherche opérationnelle, la gestion des connaissances, la gestion de projet, le renforcement du milieu de la recherche et l'application de méthodes scientifiques. Nous pensons que nous sommes donc bien placés pour fournir des conseils judicieux à nos clients.
Au fil des années, le Centre des sciences pour la sécurité a bâti un réseau d'experts dont il peut se servir pour répondre aux besoins des communautés de la sécurité publique. Par conséquent, comme je l'ai mentionné, nous servons surtout de lien.
Grâce à des centaines de projets et d'activités, le centre et ses partenaires ont amélioré les capacités du Canada en assurant l'accès des intervenants, des planificateurs et des décideurs à des connaissances, des outils, des processus et des conseils de nature scientifique et technique dont ils ont besoin pour protéger les intérêts du Canada.
Jeudi dernier, vous avez entendu un témoignage qui mettait l'accent sur le besoin de preuves validées scientifiquement afin d'appuyer la prise de décisions concernant la surveillance électronique. Le Centre des sciences pour la sécurité pourrait fournir des conseils par rapport aux exigences techniques à développer afin de respecter les exigences opérationnelles déterminées par le Service correctionnel du Canada ou d'autres organisations. Je tiens à souligner la différence entre les exigences techniques et les exigences opérationnelles.
En ce qui a trait à la surveillance électronique, Recherche et développement pour la défense Canada compte des experts dans le domaine des systèmes de navigation qui comprennent d'une manière approfondie la technologie GPS, y compris les questions connexes comme le brouillage et les opérations dans des milieux difficiles. Nous pouvons également nous servir de notre spécialisation dans la gestion de données et la technologie d'affichage fondée sur le Système d'information géographique et de notre expertise au sein du ministère de la Défense nationale concernant la mise à l'essai de ces appareils.
Nous avons également accès à des experts dans des domaines variés dans d'autres ministères, dans l'industrie et dans des établissements d'études supérieures grâce à nos réseaux et à nos communautés de praticiens.
Pour conclure, le Centre des sciences pour la sécurité peut offrir ce type d'expertise technique pour appuyer Sécurité publique Canada et le Service correctionnel du Canada dans la prise de décisions concernant les exigences techniques et les facteurs techniques de rendement des appareils de surveillance électronique.
Voilà qui termine ma déclaration préliminaire.
Merci beaucoup.
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J'ai parlé un peu du Centre des sciences pour la sécurité et de notre rôle qui est d'établir les besoins de la communauté politique et opérationnelle et de nous tourner ensuite vers la communauté scientifique et technologique pour parler aux experts. Je donne peut-être l'impression d'être un spécialiste du GPS… Je suis ingénieur électricien, mais pas vraiment un spécialiste du GPS.
Nous avons toutefois, dans notre laboratoire de Shirley's Bay, un groupe de scientifiques et d'ingénieurs qui travaillent dans le cadre d'un programme que nous appelons le groupe de guerre de navigation. C'est un programme mis au point pour soutenir les Forces canadiennes et leur utilisation des technologies de navigation. Les membres de cette équipe sont des experts de renommée mondiale. Ils ont rédigé des normes pour les groupes d'experts de l'OTAN; ils s'occupent des problèmes de navigation complexes. Ils s'intéressent beaucoup à la navigation dans les canyons urbains, car de nombreuses activités des Forces canadiennes exigent l'envoi de soldats dans des zones confinées, de plus en plus dans des villes plutôt qu'en rase campagne.
Nous avons accès à des scientifiques et des ingénieurs de calibre mondial qui comprennent ces questions dans tous les détails, beaucoup plus que ce que je saurais expliquer.
La base technologique voulue existe. Nous devons simplement trouver un moyen, comme je l'ai dit, de traduire les exigences opérationnelles en exigences techniques et d'aller ensuite demander à ces experts leur avis quant à ce que ces diverses technologies sont capables de faire.
En ce qui concerne la biométrie, nous avons au ministère un programme de biométrie pour soutenir les Forces canadiennes. Je ne peux pas vraiment en parler en détail. Pierre a travaillé sur la question de biométrie avec la communauté de la sécurité publique.
Peut-être pourriez-vous dire quelques mots à ce sujet, Pierre.
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Merci beaucoup, je suis heureuse d’être à nouveau invitée à m'exprimer devant le comité.
Comme vous le savez, la Société John Howard du Canada est une organisation caritative communautaire qui cherche à apporter des réponses efficaces, justes et humaines aux causes et aux conséquences du crime. La société fête son 50e anniversaire cette année.
Nous avons plus de 60 bureaux de première à l'échelle du pays, beaucoup d’entre eux ont des programmes et des services qui visent à la réintégration, en toute sécurité, des délinquants au sein de nos collectivités. Ils font aussi de la prévention. Notre travail préserve les collectivités en luttant contre l'insécurité.
La Société John Howard se félicite que le comité étudie la question de la surveillance électronique dans le système pénitentiaire. Ce concept date des années 1960. De nombreux tests ont été réalisés pour développer et utiliser ce type de dispositif. Nous sommes heureux d’avoir l’occasion de vérifier l’efficacité réelle de ces initiatives.
La surveillance électronique est souvent utilisée pour réduire la population carcérale. Des mesures urgentes s'imposent à ce titre au Canada. Bien que les taux de criminalité soient à la baisse depuis au moins une décennie, la surpopulation carcérale pose problème dans de nombreux territoires et provinces, et cela va probablement empirer avec l’augmentation du nombre de détentions préventives attendue à la suite de l’entrée en vigueur du .
Notre thèse est qu’il existe des moyens plus efficaces, plus justes et plus humains de réduire la population carcérale que la surveillance électronique, et que ce système pose de nombreux problèmes.
Je ne vais pas entrer dans les détails car je sais que mon collègue John en parlera plus précisément. J’évoquerai simplement le risque de surveillance à outrance par la surveillance électronique: on se retrouve à surveiller des gens qui devraient normalement réintégrer la collectivité sans aucune surveillance; ce n'est alors même pas une solution de rechange à la détention provisoire.
Ces dispositifs coûtent cher et ne poussent pas forcement à un comportement sociable. Au mieux le dispositif vous dira où se trouve la personne, pas ce qu’elle fait. Ils sont parfois réservés aux détenus et aux délinquants les plus aisés. Une des conditions peut être d'avoir accès à une ligne terrestre ou à un téléphone, donc si vous n’êtes pas dans un lieu de résidence équipé, vous n’êtes pas éligible pour ce type de surveillance.
Il n’est pas certain que ces dispositifs réduisent la récidive; les études sont peu concluantes quant à savoir si la surveillance électronique atteint ses objectifs correctionnels. De plus elle pourrait être amenée à remplacer des programmes qui obtiennent un meilleur taux de réussite en utilisant des méthodes plus humaines. Beaucoup de délinquants ont besoin non seulement d’être surveillés mais aussi d’être aidés, d’avoir des rapports humains si l’on veut qu’ils surmontent leurs difficultés et réintègrent correctement leurs collectivités.
En conclusion, la surpopulation carcérale dans certains établissements canadiens de détention préventive et de renvoi est supérieure à ce que la Cour Suprême des États-Unis considère comme une violation de ses protections constitutionnelles contre les peines cruelles et inusitées. Ces protections sont semblables à celles de la Charte canadienne. Il faut absolument trouver des moyens pour réduire les effectifs en détention préventive. Cela vaut peut-être le coup de tester certains types de surveillance électronique lors d’études pilotes pour évaluer leurs effets sur la baisse des populations carcérales et remédier aux défauts constatés.
Néanmoins, la Société John Howard du Canada estime qu’il existe des solutions plus efficaces, plus justes, moins coûteuses et plus humaines que la surveillance électronique pour réduire la population carcérale. Nous serions heureux de travailler à la mise en œuvre de solutions immédiates à la crise de surpopulation carcérale, notamment avec les parlementaires.
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Merci de me donner l’occasion de m’exprimer devant vous.
Mon expérience est, je crois, un peu différente, et ainsi j’espère que cela ne vous dérange pas que nous soyons ici tous les deux. Je voudrais puiser dans l’expérience de la John Howard Society of Manitoba qui gère deux programmes de surveillance de délinquants et ex-délinquants dans la collectivité.
J’ai lu le procès-verbal de votre dernière réunion ainsi que certains rapports et je vois que vous avez reçu beaucoup d’informations sur l’efficacité ou la non-efficacité de la surveillance électronique. Je voudrais aussi aborder les avantages de la surveillance humaine et dire pour quelles raisons je ne voudrais pas la voir remplacée uniquement par un dispositif radio ou GPS.
Il y a trois détails qui me préoccupent au sujet de la surveillance électronique. Le premier est qu’utilisée seule, la surveillance électronique ne réduit pas la récidive, elle n’empêche pas non plus quelqu’un de commettre un crime. Cela est démontré par les résultats d’un projet pilote entrepris en 2008 au Manitoba, centré sur des jeunes considérés comme des voleurs de voitures à risque élevé. Après examen, il apparaît que pour six jeunes qui ont terminé leur période de surveillance sans encombre, sept autres ont enlevé l’appareil, un autre a essayé de l’enlever, mais sans y parvenir et le dernier a volé une voiture tout en portant l’appareil. J’ai envoyé une copie des documents avec ma déclaration au greffier pour que vous puissiez les lire en détail. Cet exemple montre que la surveillance électronique utilisée seule n’empêche pas les jeunes de commettre des infractions ni même de voler à nouveau des voitures.
Deuxièmement, la surveillance électronique coûte très cher. J’ai connaissance d’un projet pilote en Ontario, lancé en 2008. Il a coûté plus de 850 000 $ pour surveiller seulement 46 personnes en liberté conditionnelle. Ils étaient tous volontaires, ce qui suggère qu’ils ne risquaient pas tellement de récidiver, sinon ils n’auraient probablement pas été volontaires pour porter l’appareil. Un seul agent de libération conditionnelle aurait pu surveiller le même nombre de personnes pour un coût 10 fois moindre.
Quand on évalue la surveillance électronique, on ne devrait pas la comparer avec l’incarcération, mais plutôt avec les autres formes de surveillance au sein de la collectivité.
Je vais entrer dans le vif du sujet abordé par les deux participants qui se sont exprimés le 9. Selon eux la surveillance électronique utilisée seule ne serait pas valable; elle devrait être combinée avec d’autres types de programmes et d’interventions. Ma propre expérience à la John Howard Society of Manitoba m’incite à aller plus loin: les interventions peuvent réussir sans aucune surveillance électronique.
La John Howard Society du Manitoba gère deux programmes qui équipent et surveillent des clients. Le premier est un programme de peines servies dans la collectivité plutôt qu'en prison, qui a fait l’objet d’une évaluation plutôt positive de la part d’un de vos participants, James Bonta; il s'agit du programme de réadaptation fonctionnelle. Les clients de ce programme ont tous plaidé coupables et encourent une peine de prison. Le risque de récidive peut être faible, moyen ou élevé. Il peut s’agir de délinquants primaires ou de personnes ayant un casier bien rempli, mais dans tous les cas, les clients sont prêts à assumer la responsabilité de leurs actes et veulent réparer en partie le mal qu’ils ont fait. Le client travaille avec un membre de notre équipe pour préparer un plan d’imposition de la peine et si ce plan est approuvé par le tribunal, le client se conforme au plan tout en vivant dans la collectivité sous notre surveillance.
Notre bureau surveille ces individus. Pendant les trois premiers mois au moins, ils viennent une fois par semaine pour un entretien avec notre personnel. On passe des appels téléphoniques, on contrôle les heures de rentrée, on vérifie l’emploi et si le client ne se plie pas au plan, on est parfois obligé de l’en exclure.
Cependant, nous avons un taux de réussite de 90 p. 100, le taux de récidive sur trois ans est assez bon pour ce programme: seulement 22 p. 100. C’est moitié moins que pour les gens qui purgent des peines d’incarcération pour des crimes similaires. Il y a donc un taux de récidive très faible — ce qui est une grande réussite — sans surveillance électronique.
Deuxièmement, nous venons de lancer un programme de surveillance et d’aide pour les personnes en liberté sous caution. Il n’a pas encore été évalué, je n’ai donc pas le même type de statistiques sur la récidive, mais ce programme est destiné à des clients ayant un risque moyen ou élevé, qui n’obtiendraient normalement pas la liberté sous caution. Ce programme est financé par Justice Manitoba. Notre défi pour en bénéficier, c'est que nous devons d’abord parvenir à libérer des gens qui ne devaient pas sortir.
Par ailleurs nous avons un plan qui évalue les facteurs de risques des individus. Si la liberté sous caution est accordée, les individus sont soumis à notre surveillance et à notre attention. Ils peuvent vivre dans une résidence au sein de notre immeuble. Nous les surveillons et nous les aidons. Nous contrôlons les heures de rentrée et l’emploi. Notre premier client a terminé le programme commencé en novembre avec succès. Il n’a pas récidivé et il s’est présenté à la date prévue pour l’audience, selon ses obligations.
Nous n’utilisons pas la moindre surveillance électronique pour ces programmes. Je suggérerais que la force de ce programme tient en partie au contact qui s’établit entre notre équipe et le client. Nous construisons une certaine relation de confiance qui passe par des choses aussi simples qu’un coup de téléphone chaque soir pour vérifier les heures de rentrée et pour s’assurer que la personne se trouve bien là où elle est censée être. Puisque nous n’utilisons que des lignes terrestres traditionnelles, on peut être sûr que la personne se trouve à l’autre bout du fil et donc vérifier sa localisation. Nous pouvons aussi lui rendre visite et voir comment ça se passe. Si quelqu’un a un problème — de dépendance par exemple — nous pouvons nous en occuper immédiatement.
Je voudrais juste suggérer que beaucoup de ces applications de surveillance électronique pourraient être remplacées par une surveillance humaine plus efficace et moins chère. Si l’on s’aperçoit que la surveillance électronique n’est pas vraiment efficace sans l’apport de la surveillance humaine alors peut-être pourriez-vous au moins envisager de combiner les deux. Ne serait-il pas plus efficace d’allouer davantage de ressources aux programmes de surveillance dans lesquels l’individu libéré est surveillé et aidé par une personne formée?
Pour conclure, je voulais citer ces deux programmes et souligner que nous travaillons avec des délinquants présentant un risque moyen ou élevé. Avec le programme déjà évalué, nous obtenons un très bon taux de récidive. C’est à cela que je voulais aboutir avec cette présentation. L’idée que je voulais défendre devant vous cet après-midi est que la solution de rechange n’est peut-être pas la surveillance électronique, mais plutôt un autre type de surveillance aussi efficace, voire plus efficace, et moins coûteuse.
Malheureusement, je ne parle pas très bien le français. Je vais donc m'exprimer en anglais.
[Traduction]
La surveillance électronique doit fonctionner, car j’ai été repéré à 11 heures, vendredi soir, alors que je ne faisais que passer à Ottawa, et on m’a demandé si je pouvais me présenter devant ce comité. Je me représente moi-même. J’espère que mes amis en Caroline du Nord, où je vis la plupart du temps, sauront exactement où je me trouve. Laissez-moi vous dire que je ne veux pas aller en prison en Caroline du Nord, si j’enfreins je ne sais quelle condition qui m'est imposée.
J’aimerais aborder plusieurs sujets. J’essaierai d’être aussi concis que possible dans les 10 minutes que l’on m’accorde. J’ai fourni les grandes lignes aux traducteurs car certains commentaires sont assez techniques. Je suppose qu’ils seront traduits, comme l’a mentionné le greffier, pour que vous puissiez les parcourir plus tard.
Tout d’abord, je suis chercheur. J’ai commencé à travailler dans les services correctionnels en 1961 et j’ai passé l’essentiel de ma vie au Canada. Je suis citoyen canadien et j’ai beaucoup travaillé aux États-Unis et dans d’autres pays. Une partie de mon travail consiste à évaluer l’efficacité de divers types de programmes. Lorsque l’on compare des groupes similaires de détenus, certains en probation normale et d’autres sous surveillance électronique, les résultats indiquent que le taux de récidive est légèrement supérieur, 1 à 2 p. 100, pour les détenus sous surveillance électronique. Ceci n’est pas une valeur aberrante. Le résultat est standard pour tout type de sanction — camps de type militaire, dépistage des drogues, incarcération choc, entrée et sortie de prison rapides, incarcération longue ou courte —, tout indique qu’il n’y a pas d’effet sur la récidive. Au fur et à mesure des années, la taille de l’échantillon provenant de nos études a atteint les 500 000.
Deuxièmement, je vais vous donner beaucoup d’informations prises du point de vue des États-Unis et qui pourraient en partie être généralisées à mon pays d’origine, le Canada. La surveillance électronique est réservée aux délinquants à faible risque. Globalement, les gens qui sont dans le secteur de la probation, avec lesquels je travaille aux États-Unis, estiment qu’elle coûte entre trois et cinq fois plus cher. De plus, lorsque des délinquants à faible risque sont révoqués à cause d’une infraction en droit strict — infractions souvent insignifiantes, comme le fait de ne pas se trouver là où était censé être, ou autre —, ils retournent en prison. Ces délinquants à faible risque révoqués pour une infraction en droit strict, loin de constituer un délit sérieux ou même un délit mineur, retournent donc en prison, ce qui augmente d’autant le coût.
Troisièmement, la surveillance électronique risque d’être l’école du crime, car presque tous les délinquants sous surveillance électronique sont à faible risque. Ils sont renvoyés en prison. Qui se trouve en prison? Essentiellement des délinquants graves, à risque élevé. Nous avons des données, générées au Canada montrant que la fréquentation des délinquants graves, à risque élevé, entraîne une hausse de la récidive. Par exemple, si je continue à vivre à une vingtaine de milles de la frontière avec la Caroline du Sud et si je continue à rendre visite à mes amis là-bas, je crains de devenir un membre du Tea Party d’ici un an ou deux. On verra, mais c’est comme cela que ça marche.
La surveillance électronique n’est pas infaillible. Il y a des fausses alertes, des zones non couvertes, et il y a des falsifications. Ce problème a été évoqué lors de la présentation précédente. Je vais vous donner quelques anecdotes pour vous montrer comment ça se passe. Voici un cas récent dont j’ai eu connaissance en discutant avec des collègues du sud des États-Unis. Le bracelet d’un détenu émettait des signaux troublants. La police et les agents de probation ont été alertés. Ils ont traversé la ville — ce qui au passage n’est pas gratuit — toutes sirènes hurlantes. Le détenu était dans la piscine et trempait son bracelet de cheville dans l’eau. Cela a déclenché toutes sortes d’alarmes et provoqué une crise. Voilà ce que ça provoque. Ce n’est pas si fréquent mais même si ce type de panne ne se produit que 10 ou 15 p. 100 du temps, cela coûte cher à tout le monde.
La surveillance électronique ne vous dit pas qui se trouve ou ne se trouve pas auprès du détenu, ni ce qu’ils font. Il est très important de l’admettre. Vous êtes peut-être à un endroit ou vous n’êtes pas censé vous trouver, mais vous êtes peut-être en compagnie d’individus sociables en train de faire des tas de choses qui n’ont rien à voir avec un comportement criminel. Voici certaines des choses subtiles dont nous avons fait l’expérience avec la surveillance électronique. Celle-ci produit d’énormes quantités d’information.
J'imagine que certains de vos whips seraient intéressés par la surveillance électronique afin de savoir exactement où vous vous trouvez. Vous pourrez leur dire que ces dispositifs produiront un volume important d'information. Ils leur permettraient de savoir dans quel magasin vous êtes allés, si vous avez pris un sens interdit sur la rue Bank et combien de fois vous vous êtes présentés à la régie des alcools. Qui sait? Peut-être même aurez-vous parlé à un député de l'opposition?
Ce système génère une quantité impressionnante d'information ce qui alourdit la charge de travail des agents de probation.
Les systèmes de surveillance électronique à des heures fixes donnent lieu à des infractions de négligence volontaire. Dans certains États américains et même chez nous, dans certaines provinces, on a mis en place une surveillance électronique de 9 heures à 17 heures. Imaginez, qu'il arrive quelque chose à 17 h 6 ou même à 3 heures du matin, dans ce cas, ça déclenche une crise que vous devez gérer. Certains États ou provinces qui avaient instauré un protocole de surveillance électronique entre 9 heures et 17 heures ont dû passer à une surveillance de 24 heures sur 24 heures, sept jours sur sept. Si vous voulez exercer une surveillance de 24 heures sur 24 heures, mais que vous craignez de faire des erreurs lorsque ces programmes sont mis en place, vous devrez envisager des augmentations considérables de coût de personnel.
C'est une nuance subtile, mais importante d'après moi, à laquelle personne n'apporte de réponse. Si vous mettez en place une surveillance électronique dans un service de probation, vous allez voir une transformation de l'état d'esprit et du comportement professionnel des agents de probation. Quel est l'objectif premier? Surveiller les individus pour s'assurer qu'ils ne commettent pas d'écart de conduite. Cela implique que les agents de probation, qui connaissent leur métier, auront tendance à se concentrer sur les infractions en droit strict et à s'assurer que les différentes conditions sont respectées.
De plus, on fini par apprendre aux employés à couvrir leurs arrières. Ceci mène à davantage d'infractions techniques. Lors d’une étude que nous avons menée au New Jersey il y a plusieurs années, nous avons découvert que les agents de probation très stricts, qui réprimandent les gens qu'ils surveillent, enregistrent des taux d'infractions d'ordre technique et des taux de récidive de 20 à 30 p. 100 supérieurs à ceux des délinquants surveillés par des agents utilisant une méthode plus équilibrée. Donc c'est quelque chose d'important.
On pourrait aussi envisager la surveillance électronique pour les délinquants à haut risque. Je l'ai déjà recommandé, car il me semble que si vous libérez quelqu'un au sein de la collectivité pour qu'il y soit traité, mais que c'est un criminel dangereux et qu'il y a un risque important qu'il commette à nouveau un crime, la surveillance électronique peut être une bonne idée. Cela vaut le coup d'essayer, nous n'avons pas d'études à ce sujet.
Mais c'est là que le bât blesse. Car si vous prenez ce genre d'initiative politique, vous vous exposez fortement, car une seule infraction commise par un délinquant à haut risque qui est sous surveillance électronique pourrait faire capoter tout le système.
Je rentre tout juste de Nouvelle-Zélande où nous avons étudié la question des politiques correctionnelles et il y a eu cas de ce genre là-bas. Ce n'était pas particulièrement un cas de surveillance électronique, mais un délinquant à risque élevé en liberté au sein de la collectivité avait commis une bévue de talle qui avait quasiment mené à la disparition du service de probation dans ce pays.
Donc si vous voulez employer cette procédure de surveillance électronique de risque élevé au sein de la collectivité, il va vous falloir un soutien politique énorme.
Aux États-Unis, l'ICE — intéressant acronyme anglais pour Immigration and Customs Enforcement — s'assure que les immigrants contrevenant à la loi, les auteurs de crimes violents et ceux qui tentent à répétition de pénétrer dans le pays sont immédiatement envoyés en prison. En effet, le Bureau of Prisons examine de nombreux cas d'immigration à l'heure actuelle.
Il semble que, dans le contexte américain, ce soit les familles ou les individus à faible risque qui sont munis de systèmes de surveillance électronique.
Enfin, un dernier point qui porte à controverse. C'est un argument avancé par les Américains. Certains criminologues aux États-Unis pensent que les politiques de surveillance électronique et une certaine façon plus orwellienne de traiter les individus, font moins pour la protection du public que des intérêts économiques. C'est un point de vue général qui porte à controverse.
Aux États-Unis, de nombreuses prisons ont été construites dans les régions rurales afin de donner un coup de fouet à l'économie. Les services correctionnels sont de plus en plus privatisés, surtout aux États-Unis. Maintenant que la Cour suprême a décrété que les sociétés peuvent être considérées comme des personnes morales, les entreprises font des dons énormes aux partis politiques intéressés afin de soutenir leurs intérêts commerciaux. C'est un pion intéressant qui s'intègre à ce jeu d'échecs et c'est une situation très américaine, mais qui pourrait se retrouver autre part.
Merci.
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Merci, monsieur le président, et merci à tous les témoins pour votre présence et pour vos remarques à propos de ce sujet important.
Vous êtes tous préoccupés par la surveillance électronique. Je vais peut-être donner l'impression que je suis en faveur de la surveillance électronique, mais je n'ai pas encore pris ma décision. Simplement, dans l'intérêt du débat, je vais me faire l'avocat du diable pour certaines de vos remarques.
Je commencerai par votre dernière remarque monsieur Gendreau, concernant les intérêts économiques. Je ne vois pas pourquoi on utiliserait ces méthodes, si ce n’est pour faire des économies.
Vous avez tous parlé du coût de ce système. J'ai pris des notes; vous dites que cela coûte trois à cinq fois plus cher.
Madame Latimer, vous avez dit que ce serait plus cher et, monsieur Hutton, vous avez dit qu'il coûtait 800 000 $ pour surveiller 46 délinquants. Mais plus cher que quoi? Je suppose que vous voulez dire que c'est plus cher que la surveillance dans la collectivité sans dispositif électronique et non pas que c'est plus cher que l'incarcération, dans des établissements de sécurité moyenne au Canada, qui coûtent près de 100 000 $. Pour ce qui est des établissements de haute sécurité c'est bien plus que cela.
Commencez dans l'ordre que vous voulez.
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J'ai examiné ce que le témoin britannique a dit. Il a dit que la surveillance électronique n'a donné de résultats que dans le cas de jeunes délinquants à haut risque. Ce n'est là qu'une application sur six ou sept possibles. Il est peut-être important de savoir que quelqu'un, quelque part, maîtrise ces types d'applications.
Personnellement, j'accorde ma faveur à ce genre d'interventions et à la mobilisation des ressources nécessaires pour cela. Je crois comprendre de ce que vous dites que les individus présentant le moins de danger sont ceux qu'on libère dans la collectivité. Je crains, pour ma part, qu'on ait tendance à ne plus imposer de peines à purger au sein de la collectivité, peines pourtant efficaces, puisque c'est dans la collectivité qu'on trouve les appuis nécessaires.
Par exemple, certains de nos clients du programme de libération sous caution sont des multirécidivistes. Ils font régulièrement des séjours derrière les barreaux, mais pas forcément pour meurtre ou pour vol de banque. C'est pour des agressions, des vols simples ou des vols qualifiés. Quoi qu'il en soit, ils entrent et sortent tellement souvent qu'il leur est impossible de bénéficier des programmes de soutien des toxicomanes. Ils n'ont pas accès aux programmes de rattrapage scolaire ou de préparation à l'emploi dont ils peuvent avoir besoin parce qu'ils ne passent pas assez de temps au sein de la collectivité où ces programmes sont offerts.
Dans le cas du programme de libération sous caution dont j'ai parlé, nous essayons de permettre aux délinquants qui sont aux prises avec ces problèmes de retourner dans la collectivité pour qu'ils y bénéficient d'une aide efficace.
Pour ce qui est des programmes, si vous envisagez de relâcher quelqu'un dans la collectivité, en libération complète ou provisoire, vous ne devez pas vous contenter de connaître ses allées et venues. Vous devez cerner les problèmes qu'il pose et, si vous poulez garantir la sécurité publique, vous devez placer la personne au sein de la collectivité où elle bénéficiera de la plus vaste gamme possible de services de soutien. C'est dans ces conditions que les délinquants pourront changer durablement, dans une certaine mesure.
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Merci, monsieur le président. Je voudrais aborder à un autre type de situation.
Monsieur Hutton, vous avez brièvement évoqué les cas de libération sous caution.
Il y a, dans ma circonscription d’Etobicoke—Lakeshore, le Centre de détention de Mimico. Comme vous le savez peut-être, on a entrepris la construction d’un nouveau pénitencier, beaucoup plus grand, pour remplacer la prison de Don.
La majeure partie des individus détenus dans ce centre y séjournent entre quinze jours et un mois, en attendant la tenue de l’audience de libération sous caution. J’aimerais savoir si le recours à la surveillance électronique pourrait constituer une aide.
Nous souhaitons surtout éviter la détention. Dans les cas où l’on attend la décision de savoir si la libération sous caution sera accordée ou non, est-ce que le recours à la surveillance électronique pourrait donner au juge la marge discrétionnaire de laisser une personne en liberté à condition qu’elle soit soumise à la surveillance électronique?
Vous avez dit que le choix entre la surveillance électronique et la surveillance humaine influe directement sur le coût. Cependant, les personnes qui passent en audience de libération sous caution sont simplement mises en accusation, elles ne font l’objet d’aucune condamnation. Or, il n’existe pas de régime de surveillance humaine, si bien qu’on ne peut pas prendre ce genre de solution en considération.
Pensez-vous que la surveillance électronique puisse être utile dans les cas de libération sous caution?
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La population carcérale du Manitoba est composée à près de 70 p. 100 d’Autochtones. En d’autres termes, notre clientèle est composée d’environ 70 p. 100 d’Autochtones, alors que ces derniers ne représentent que 15 p. 100 de la population totale. Vous voyez donc qu’il y a problème.
Je dois dire que j’ai été très fortement surpris lorsque M. Trottier a déclaré que le délai, pour les audiences de libération sous caution, était de quinze jours à un mois. À Winnipeg, c’est plutôt un an. Les délais de renvoi sont interminables. Il est probable que le régime dont je vous parle ne serait pas d’une grande utilité à Toronto, parce que les problèmes qui se posent là-bas sont différents. Dans le centre de détention préventive de Winnipeg — où vous trouvez principalement des Autochtones, de même que dans les autres centres — les gens doivent attendre leur procès derrière les barreaux pendant un an, avec une chance sur deux de ne même pas être condamnés en fin de compte. Donc, on peut vraiment dire qu’il y a problème.
S’agissant de votre question, je la trouve un peu générique. Je dirais que les membres des premières nations ont des difficultés spécifiques pour ce qui est d’obtenir une libération sous caution — des difficultés liées notamment aux critères de résidence et aux cautions —; et je crois que ces difficultés tendent à augmenter encore le nombre des Autochtones en situation de renvoi.
Je ne sais pas ce qu’il en est de la surveillance électronique. Je ne peux pas vous dire si on pourrait l’utiliser avec efficacité pour la population ayant fait l’objet d’un renvoi en détention. Il est probable que ceux qui ne présentent pas un risque de fuite obtiendront la libération sous caution. En général, ceux à qui on la refuse sont des récidivistes avec un passé assez chargé, et le fait de savoir où ils se trouvent ne change pas grand-chose. S’agissant des personnes qu’on laisse en liberté — qu’il s’agisse d’une libération conditionnelle ou d’une libération temporaire accordée par le système provincial — une fois de plus, je crois que, pour réintégrer cette catégorie d’anciens contrevenants, il va falloir prévoir un soutien humain et une interaction personnelle assortis d’un certain nombre d’initiatives, notamment auprès des clients autochtones. Ce sont eux qui ont davantage besoin d’aide en matière de réhabilitation.
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Je vous remercie infiniment.
Il est intéressant de remarquer que dans un premier temps, un professeur de Glasgow, que nous avions consulté par voie de téléconférence, a déclaré que certains systèmes étaient moins efficaces que d’autres, mais qu’il recommandait chaudement le modèle suédois. Nous n’avons pas fait de comparaison entre le système suédois et les autres. Je sais que certains d’entre nous, au sein de ce comité, souhaitent que nous approfondissions l’étude du modèle suédois — avec, peut-être, l’idée d’un voyage sur place, même si je crois la chose peu probable compte tenu des restrictions actuellement en vigueur sur la Colline.
Je tiens à vous remercier d’avoir comparu devant nous et de nous avoir fait profiter de votre vision et de vos connaissances spécialisées sur le sujet. Je remercie M. Gendreau, qui a œuvré avec des institutions américaines qui utilisent davantage ce genre de système.
J’exprime aussi ma reconnaissance à la Société John Howard pour le travail accompli; nous apprécions votre savoir-faire en matière de programmes et initiatives, et vos efforts de réhabilitation des délinquants.
Merci d’avoir été des nôtres.
Je vois qu’il est 17 h 30. Le moment est venu de lever la séance. Je vous souhaite une bonne soirée.