Il s’agit de la 32e séance du Comité permanent de la sécurité publique et nationale. Nous sommes le mardi 27 mars 2012.
Le comité poursuit son examen du projet de loi , Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (plaignants quérulents).
Vers la fin de la séance, nous avons prévu environ 10 minutes pour nous pencher sur les travaux du comité. Nous le ferons à huis clos.
Durant la première heure et 40 minutes, nous sommes très heureux d’accueillir de nouveau M. Don Head, le commissaire du Service correctionnel du Canada. Nous entendrons également deux autres représentants du Service correctionnel Canada: Michael Côté, directeur général, Droits, recours et résolutions, et Shane Dalton, analyste par intérim, Recours pour les délinquants.
Je vous invite, monsieur le commissaire, à faire votre exposé et nous expliquer le point de vue du SCC au sujet du projet de loi . Ensuite, nous passerons aux questions des membres du comité.
Encore une fois, nous vous souhaitons la bienvenue et vous remercions de venir témoigner aussi souvent devant notre comité. C’est un plaisir de vous revoir.
:
Merci, monsieur le président. Étant donné la période de l’année, je me demandais si je ne devrais pas vous inclure comme personnes à charge dans ma déclaration de revenus. Je suis ici très souvent.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, bonjour. Je suis heureux de comparaître devant vous aujourd'hui pour parler du projet de loi , qui modifierait la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition de façon à ce que le SCC puisse désigner les délinquants qui pourraient être considérés comme des plaignants quérulents et gérer le cas de ces délinquants.
Je suis accompagné cet après-midi de M. Michael Côté, directeur général, Droits, recours et résolutions, et de M. Shane Dalton, analyste par intérim, Recours pour les délinquants.
J'aimerais commencer par vous décrire la procédure actuelle de règlement des plaintes et des griefs des délinquants et vous faire part de certains faits et chiffres. J'analyserai ensuite brièvement les répercussions qu'aurait l'adoption du projet de loi sur le SCC.
La procédure de règlement des plaintes et des griefs offre aux délinquants un recours lorsqu'ils sont insatisfaits d'une mesure ou d'une décision prises par un membre du personnel. La mise à la disposition des délinquants d'une procédure de règlement de plaintes et de griefs équitable, impartiale et rapide est prévue par la loi, et cette procédure offre également de nombreux avantages. Il encourage, entre autres, les délinquants à régler leurs problèmes de façon prosociale, contribue à leur autonomie et leur offre un autre moyen par lequel exprimer leurs préoccupations et obtenir la prise de mesures adéquates à l'égard de celles-ci. Il peut également être utilisé comme processus de suivi pour cerner les tendances liées à l'augmentation de la tension ou du mécontentement au sein de la population carcérale.
Il s'agit d'un processus qui comporte quatre paliers. Les délinquants doivent d'abord soumettre une plainte à un gestionnaire correctionnel ou à leur équipe de gestion de cas, lesquels chercheront à régler le problème au palier le plus bas possible. Lorsque c’est impossible, le délinquant peut présenter un grief au premier palier. Ce grief sera réglé par le directeur de l'établissement. Tout grief qui ne peut être réglé à l’échelon de l'établissement est renvoyé à l'administration régionale, où c'est le sous-commissaire régional qui a le pouvoir de décision. Enfin, si le grief ne peut être réglé à l'échelon régional, il est renvoyé à l'administration centrale, où une analyse et un examen approfondis du grief sont effectués au sein du Secteur des politiques et de la recherche et soumis à la sous-commissaire principale, à laquelle je délègue normalement mon pouvoir de décision.
Il est à noter que, si un délinquant n'est pas satisfait d'une décision peu importe le palier, il ou elle peut déposer un recours juridique, et ce, normalement devant la Cour fédérale.
Au cours du dernier exercice, le SCC a reçu 28 858 plaintes et griefs. Au cours du présent exercice, en date du 26 février 2012, nous en avons reçu environ 26 717. Pendant le dernier exercice, 25 détenus ont soumis plus de 100 griefs chacun. Voilà les auteurs de griefs frivoles ou vexatoires qui sont visés par le projet de loi. Parmi ces 25 délinquants, il y en a quelques-uns qui expriment des centaines de griefs par année, soit plus d’un par jour.
À titre d'explication, nous considérons qu'un grief frivole est une plainte sans fondement sérieux. Un grief vexatoire est un grief déposé pour faire du harcèlement, arriver aux propres fins du délinquant ou encore nuire au fonctionnement du système. Les deux types de griefs sont également dérangeants et font perdre des heures à mon personnel en analyse et en examen.
En ce qui concerne le coût du processus, plus de 3,8 millions de dollars ont été consacrés aux salaires des analystes de grief, ainsi qu'aux coûts d'exploitation au cours du dernier exercice. Ce chiffre s’élève à plus de 5 millions de dollars pour le présent exercice. L'augmentation de coûts est attribuable aux investissements importants du SCC dans la procédure de règlement des griefs des délinquants dans le but d'accroître l'efficacité potentielle du programme et de fournir des ressources adéquates et appropriées.
Plus précisément, le SCC a lancé récemment un projet pilote fondé sur une méthode substitutive de règlement des différends, projet qui s'assortit d'un financement d'environ un million de dollars. Une somme d’un million de dollars a également été prévue pour l'augmentation anticipée du nombre de griefs présentés par des délinquants et le règlement des griefs arriérés au deuxième et au troisième palier.
Si le projet de loi est adopté, nous croyons qu'il sera beaucoup plus facile pour le SCC de désigner les délinquants en question et de gérer leur cas. La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition serait modifiée de façon à nous permettre de mettre au point une politique précise prévoyant un processus nécessaire pour désigner « plaignant quérulent » tout délinquant. Cette politique interne préciserait les étapes nécessaires pour déterminer qu'un délinquant est un plaignant quérulent et le désigner comme tel, y compris ce qu'il faudra faire pour l'aviser de la décision.
Le personnel des établissements, des administrations régionales et de l'administration centrale disposera de plus de temps pour s'occuper des cas des délinquants qui ne font pas mauvais usage du système et fera en sorte que les griefs de haute priorité seront traités en temps opportun. Les mesures qui seront prises limiteront la capacité des plaignants quérulents de monopoliser la procédure de règlement des griefs et leurs tentatives d'utilisation de ce système très légitime à des fins illégitimes.
Comme le député qui parraine le projet de loi l'a fait remarquer, les modifications en question seront aussi, en fin de compte, bénéfiques pour les plaignants quérulents. L'acharnement à déposer des plaintes est contre-productif dans le cadre du processus correctionnel. Les délinquants concernés pourraient utiliser à meilleur escient leur temps en suivant leur plan correctionnel, ce qui leur permettrait de mieux se préparer à leur libération et rendrait les collectivités du Canada plus sûres.
Monsieur le président, comme je l'ai déjà dit, la procédure de règlement des plaintes et des griefs est un élément important du système correctionnel fédéral. Il s'agit d'un système de freins et de contrepoids qui garantit que le SCC s'acquitte de sa mission et de son mandat dans le respect des droits fondamentaux des délinquants. Nous devons prendre au sérieux toute allégation selon laquelle le SCC aurait manqué à ses obligations à cet égard. Malheureusement, la mauvaise utilisation du système par un petit groupe de délinquants fait en sorte que des ressources et du temps précieux ne vont pas au règlement des cas des délinquants qui utilisent de bonne foi le système.
Le projet de loi rend responsables les personnes qui, par leur comportement, perturbent l'application d'un mécanisme de recours qui fonctionne bien. Son adoption améliorerait l’utilisation du temps et des ressources. Cela constituerait également un renouvellement de l'engagement du SCC à offrir une procédure de règlement des plaintes et des griefs équitable, impartiale et rapide, comme la loi le prévoit.
Merci encore une fois de m'avoir invité à témoigner devant votre comité. Je serai heureux de répondre aux questions que vous aimeriez nous poser.
:
Certainement. J’en ai quelques exemples.
J’ai personnellement traité des plaintes et des griefs au cours de ma carrière. Je m’en suis occupé à titre de gestionnaire de première ligne dans un établissement, au deuxième palier à l’administration régionale et à l’administration centrale, lorsque j’occupais les fonctions de sous-commissaire principal. Voici des exemples de griefs frivoles.
Un détenu se plaint de ne pas avoir accès à un médecin en temps opportun. Nous analysons la situation et nous déterminons qu’il aurait été possible de faire les choses autrement. Nous lui donnons un rendez-vous pour voir le médecin lors de sa prochaine visite dans l’établissement. Bref, le problème est réglé.
Aux termes de la loi actuelle, même si des correctifs ont été apportés, ce délinquant peut tout de même présenter un grief pour se plaindre que le problème n’a pas été corrigé en temps opportun, selon nos dires. Il peut faire part de son grief aux autres paliers de la procédure de règlement des griefs. Ce type de grief ne sert strictement à rien, parce qu’il a été déterminé qu’une pénurie de personnel était la cause du problème et des mesures ont été prises. Cependant, le délinquant profite de la loi et de la politique pour continuer de faire valoir son point aux divers paliers de la procédure. Chaque palier doit y répondre.
Nous avons des statistiques pour tous les paliers, mais je vais vous donner un exemple du troisième palier, qui est le mien ou celui de mon délégué, à savoir le sous-commissaire principal.
Au troisième palier, 32 p. 100 des griefs sont soit maintenus, soit maintenus en partie. En fait, la plupart sont maintenus en partie. Ils le sont d'habitude parce que les délais aux paliers inférieurs n'ont pas été respectés et que le détenu en a fait un des objets de son grief. On finit donc par confirmer le fait que le plaignant a reçu une réponse tardive.
Toutefois, 55 p. 100 des cas qui se rendent au troisième palier sont rejetés, et quelque 20 p. 100 sont rejetés pour diverses raisons.
:
Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins et M. Head en particulier, qui a comparu devant nous à maintes reprises. Vos témoignages nous sont toujours très utiles.
Je pense que je vais tomber dans le même piège dont j’ai parlé au sujet du projet de loi, c’est-à-dire qu’il peut détourner notre attention du rôle important que peut jouer un système de plaintes dans un système carcéral bien géré. J’ai déjà dit à quel point il aide à mettre les problèmes en évidence dans les institutions. Il contribue à réduire la pression en offrant la possibilité de faire des griefs et permet de régler les problèmes. En nous concentrant sur ce petit groupe, nous tendons à oublier les avantages. Cela dit, je vais moi-même le faire.
Il y a quelque chose que j'ai trouvé intéressant. Vous avez dit avoir un profil au sujet des 25, je crois, et aussi des 136, j'imagine, qui sont les plus prolifiques. Avez-vous évalué les causes, et avez-vous trouvé des solutions ou des programmes pour les régler?
:
Nous avons examiné chacun des cas. Nous avons déterminé des facteurs, qui varient majoritairement en fonction de chaque individu. Je vais vous donner un exemple.
C'est un cas que nous avons eu il y a plusieurs années. Un individu qui purgeait une très longue peine avait participé à bon nombre de programmes, avait du temps, et a décidé de le passer à préparer deux ou trois griefs par jour. Nous n'avions pas beaucoup de programmes à lui offrir. Il nous a fallu trouver d'autres façons de l'occuper. Lorsque nous l'avons fait, il a trouvé des choses qu'il n'aimait pas sur la façon dont ces journées étaient remplies, et il a commencé à faire des plaintes et des griefs sur ces activités.
Nous savons que pour certaines personnes, inonder le système avec ce type de griefs est devenu leur raison d'être. Nous ne pouvons pas y faire grand-chose. Quelques-uns de ces individus étaient relativement actifs, instruits et ont fait un effort concerté pour inonder le système. Le projet de loi proposé, ou un projet de loi semblable, nous aidera à nous occuper de ces cas.
À mon avis, ce que vous avez dit tout à l'heure est tout à fait juste: la grande majorité des plaintes faites par des délinquants sont légitimes. La plupart sont traitées à l'étape de la plainte, soit en donnant plus de renseignements aux délinquants ou en corrigeant une situation, ou en trouvant la bonne voie pour régler le problème. Cela nous indique s'il y a des problèmes dans une institution. Toutefois, si nous passons notre temps à nous occuper de cette très petite partie des gens qui inondent le système en présentant un nombre important de griefs mal fondés et vexatoires, nous ne sommes pas en mesure de servir la grande majorité des délinquants qui ont peut-être des plaintes justifiées.
:
Je remercie beaucoup les trois témoins de leur présence.
En vous écoutant, je suis consternée, et je pense que c'est le cas pour bon nombre de Canadiens également, à tort ou à raison, car nous avons un processus par lequel les criminels condamnés peuvent perturber le système en se plaignant que leurs oeufs sont trop petits ou que leur crème glacée est trop froide, et le dossier peut se rendre jusqu'à vous, monsieur Head, et peut-être devant le tribunal.
Lorsque nous avons des gens au pays... Qu'il s'agisse des soins de santé, de l'éducation, de l'alimentation ou du logement, nous connaissons les problèmes auxquels les citoyens respectueux des lois font face. Et le fait de savoir que nous avons un système en place... Monsieur Head, vous êtes beaucoup plus patient que moi à cet égard, et c'est donc bien que vous fassiez ce travail.
Je me demande si vous pouvez me dire de quelle façon les agents de première ligne réagissent lorsqu'ils doivent s'occuper de ce type de... Et soyons clairs, nous ne parlons pas seulement d'une plainte vexatoire ici. Le projet de loi porte sur les individus qui font un nombre élevé de plaintes ou de griefs vexatoires. Pourriez-vous nous dire ce que pensent les agents de première ligne sur la possibilité qu'ont les détenus de le faire, ainsi que du projet de loi?
:
Merci. C'est vraiment une bonne question.
J'ai déjà dit maintes fois au comité à quel point je suis fier des membres de mon personnel, qui fait preuve de professionnalisme, jour après jour.
C'est difficile pour eux, qu'il s'agisse des agents correctionnels, des agents de libération conditionnelle, des agents d'exécution de programmes, des infirmières, et d'autres membres du personnel qui sont parfois la cible du nombre élevé de griefs vexatoires et mal fondés. La situation est très difficile, car pour la grande majorité des enquêtes concernant ces plaintes et ces griefs... Les employés font leur travail et le font bien, et ils continuent à faire preuve de professionnalisme. Toutefois, lorsque des individus continuent à présenter des griefs contre eux...
Compte tenu de l'expérience que vous avez acquise dans votre ancienne profession, vous pouvez vous imaginer ce que ce serait si deux ou trois citoyens présentaient constamment des griefs sur la façon dont vous avez interagi avec eux. À un moment donné, on se pose des questions. Est-ce que je fais du bon travail? Est-ce que c'est le travail que je veux faire? Est-ce le milieu dans lequel je veux travailler, un milieu où les gens peuvent s'en tirer en faisant ce type de plaintes? Et il n'y a vraiment aucun recours pour les plaintes mal fondées ou vexatoires.
:
Je vais utiliser un exemple d'un établissement à sécurité maximale. Un bon exemple, c'est lorsqu'un détenu écoute la radio et monte le son. Il le fait pour toutes sortes de raisons. Cette situation engendre des problèmes de sécurité. L'employé demande alors au délinquant de baisser le son. Il refuse. L'employé le lui ordonne. Il refuse, et il peut ensuite être accusé d'avoir refusé d'obéir à un ordre.
Le détenu peut ensuite présenter une plainte, un grief. Dans ce cas, le grief est normalement rejeté; on suppose que l'agent a interagi de façon appropriée avec le détenu. Toutefois, si cela ne plaît pas au détenu, il peut présenter un grief au deuxième palier et ensuite au troisième palier, et chaque fois, nous demandons à l'employé d'expliquer pourquoi il a fait le travail qu'il était censé faire.
Vous pouvez imaginer que si un délinquant attend que l'employé commence son quart de travail et qu'il surveille ses moindres gestes et présente une plainte, suivi d'un grief, c'est vraiment démoralisant pour l'employé — en sachant que l'agent est sur les lieux pour assurer la sécurité des détenus et de ses collègues et, au bout du compte, des Canadiens, le délinquant présente une plainte ou un grief sur toutes les mesures prises. Après un certain temps, cela devient démoralisant.
:
C'est une très bonne question.
Si le projet de loi n'était pas aussi normatif, il y aurait des façons de régler la question des plaintes frivoles et vexatoires, ce qui nous pose problème. À mon avis, l'intention générale du projet de loi est très bonne. Cependant, en raison de la façon dont il est rédigé, nous devons y réfléchir et instaurer des processus qui nous permettront de régler la question autrement.
Pour répondre à votre première question, les raisons pour lesquelles les détenus présentent ces plaintes reposent sur des problèmes fondamentaux qui, habituellement, n'ont rien à voir avec ce qu'ils écrivent, mais avec le fait qu'ils ne savent pas quoi faire de leur temps. C'est notre responsabilité. Nous devons les inciter à participer davantage aux programmes ou aux activités.
Mais dans le cadre du système actuel, je n'ai aucun outil pour m'aider à les persuader à choisir cette voie alors qu'ils peuvent se contenter de continuer à écrire à ce sujet. Ils peuvent ensuite déposer une plainte contre le personnel disant qu'on les harcèle pour qu'ils s'inscrivent à des programmes. Ensuite, je dois traiter la plainte, en fonction des trois paliers de la procédure de règlement des plaintes.
Une des choses que le projet de loi me permet de faire est de donner cette désignation à certains détenus, bien qu'ils doivent satisfaire au critère de persévérance et ne pas participer qu'une seule fois. Ensuite, nous pouvons nous occuper de ce qui doit être fait, c'est-à-dire de les amener à se concentrer sur les choses essentielles, de façon à ce qu'ils puissent être des citoyens respectueux des lois lorsqu'ils retourneront dans la collectivité.
Je remercie les témoins. C'est absolument fascinant. Je ne prétends pas être une spécialiste dans le domaine, et je suis ici en remplacement d'un de mes collègues, mais j'ai quelques questions qui me viennent à l'esprit.
J'ai pratiqué comme avocate dans le domaine du droit du travail, surtout en matière de conventions collectives et d'arbitrage de griefs. Le gros dilemme est toujours de savoir quel processus est le plus fonctionnel, le plus efficace et le plus juste pour les parties en cause. J'ai toujours été une tenante des processus les plus directs. Il y a les premier, deuxième, troisième et quatrième paliers: à un moment donné, on ne finit plus de ne plus en finir et on tourne souvent en rond, et ainsi de suite.
Je sais que mon collègue M. Chicoine a posé cette question, mais je ne suis pas convaincue que j'aie bien entendu votre réponse à ce sujet: ne serait-il pas mieux de diminuer le nombre de paliers pour être plus efficace? Dès lors, vous seriez moins embourbé dans toutes les plaintes que vous recevez.
:
... cela pourrait toujours se faire. Parce qu'à mon avis, il semble qu'il s'agit d'un processus assez lourd en ce moment, surtout quand on considère le genre de grief ou de plainte que vous recevez parfois. J'espère vraiment que vous n'aurez pas quatre paliers pour quelqu'un qui veut de la crème glacée. Il y aurait vraiment de quoi s'arracher les cheveux.
Cela dit, lorsqu'on lit la loi — ce qui est toujours intéressant — et qu'on regarde le paragraphe 91.1(2)
[Français]
proposé, on remarque qu'on y dit ceci:
Le commissaire peut désigner plaignant quérulent tout délinquant qui, à son avis, a présenté un nombre élevé de plaintes ou griefs vexatoires, mal fondés ou entachés de mauvaise foi.
D'abord, je suis portée à vous poser la question suivante: à votre avis — car vous qui êtes le commissaire —, comment allez-vous y prendre? Un nombre élevé de plaintes correspondrait à combien de plaintes? On mentionne les termes « vexatoires, mal fondés ou entachés de mauvaise foi ».
Or je reviens encore une fois à mon expérience d'avocate en droit du travail. Quand on se retrouvait, en matière d'évocation, à tenter de parler de concepts de comportements « vexatoires, mal fondés et entachés de mauvaise foi »... S'il y a quelque chose de difficile à prouver dans la vie, c'est bien la mauvaise foi vu qu'on présume toujours de la bonne foi des gens.
J'essaie de voir comment ce genre de nouveaux pouvoirs va pouvoir vous être utile et si vous n'allez pas être plutôt embourbé, en vertu de l'article 91.3 proposé, lorsque vous retrouverez aux prises avec des tonnes de demandes de contrôle judiciaire sur des décisions que vous allez prendre.
Est-on est en train de changer un système et de le rendre pire au moyen d'un autre système? C'est un peu ce qui me vient à l'esprit quand je lis ce type de texte de loi.
:
Ce sont de très bonnes questions. J'ai deux ou trois réponses.
Je vais d'abord m'occuper de vos dernières questions. Pour ce qui est d'alourdir le processus, étant donné qu'il s'agit d'une décision très importante que l'on prend par rapport à quelqu'un qui est sous la responsabilité de l'État, ce que je constate au sein de mon organisme — que cela relève de moi ou que je sois en mesure de la déléguer au sous-commissaire principal —, c'est qu'il s'agit du niveau adéquat pour ce genre de désignations.
Encore une fois, en fonction des chiffres actuels, je dirais qu'il y a entre 25 personnes et un peu plus de 100 personnes par année que l'on pourrait considérer comme répondant à ces critères, et je pense que cela justifie un examen aux échelons supérieurs de l'organisme, étant donné que ces gens sont sous la responsabilité de l'État.
Pour ce qui est de la capacité de faire la distinction, j'imagine qu'en fonction de votre expérience en droit du travail, vous serez en mesure de savoir si une partie fait preuve de mauvaise foi. Cela devient si évident. J'ai maintenant plus de 34 ans d'expérience dans le domaine des services correctionnel et beaucoup de cadres supérieurs comptent autant d'années aussi. C'est une des choses que l'on sait intuitivement. En fin de compte, nous devrons justifier nos décisions parce qu'elles pourraient faire l'objet d'une révision judiciaire. Sachant qu'ils pourraient faire l'objet d'une révision judiciaire, ces gens devront être bien documentés; nous avons beaucoup d'expérience dans ce domaine, c'est-à-dire par rapport aux concepts du devoir d'agir équitablement et de la primauté du droit. Donc, je suis certain que nous pourrons faire la distinction entre une plainte frivole et vexatoire et — à défaut d'un meilleur terme — un « bon » grief.
:
Merci, monsieur le président.
Examinons la mesure législative de nouveau. Cela s’inscrit en quelque sorte dans la même veine que les questions de Mme Young.
Au paragraphe 91.1(3) proposé, on lit: « Lorsqu’il envisage de désigner un délinquant plaignant quérulent, le commissaire », puis il y a deux ou trois paragraphes. Dans l’un d’entre eux, on lit : « donne au délinquant l’occasion d’apporter la preuve du contraire », et aussi de « suggérer un plan de rechange ou d’autres moyens de remédier à la situation ». Cela m’indique que si vous imposez cette désignation au délinquant, il faut au moins lui donner l’occasion de suggérer un plan de rechange ou d’autres moyens de remédier à la situation.
À votre avis, cela pourrait-il éliminer l’étape suivante qui consiste à devoir s’assurer qu’un plan est mis en oeuvre pour aider le délinquant, que l’on retrouve dans le paragraphe 91.1(6) proposé, dont vous avez parlé? Cela pourrait créer des conditions coûteuses ou une planification minutieuse afin de décider de la marche à suivre. Si on permet aux délinquants de proposer un plan de rechange, fort probablement avec l’aide d’un gestionnaire de cas ou d’un agent de première ligne, pensez-vous que c’est une possibilité, de sorte que vous n’auriez pas à invoquer ce paragraphe?
:
Je vous remercie de la question. C’est une de nos préoccupations. Cela se rapporte au commentaire que j’ai fait plus tôt.
Encore une fois, je trouve que l’intention du projet de loi est tout à fait juste; il nous sera très utile. La nature normative du libellé pourrait, à mon avis, nous poser problème. Quant à la formulation entourant la création d’un « plan », ce qui me préoccupe par rapport à cela, à l’avenir, qu’il s’agisse d’un plan distinct ou qu’il fasse partie d’un plan correctionnel, c’est que ce sera un de ces cas où si le délinquant a le droit à ce moment-là de demander un examen judiciaire sur la question de la désignation, nous savons que les tribunaux examineront la loi.
Ils vont prendre la loi au pied de la lettre. S’ils voient le mot « plan », ils vont en chercher un; donc, cela nous préoccupe parce qu’il s’agit en quelque sorte d’une étape procédurale que nous devrons mettre en place, alors que nous ne l’avons pas actuellement.
À ce stade-ci, nous n'avons pas suffisamment de données pour dire que cela aura des répercussions sur les griefs que nous jugeons non fondés et vexatoires. Nous pensons de toute façon que cela ne changera probablement rien, au moins pour le noyau central des 25 détenus qui font ces griefs. Pour les autres, cela permettra de prendre des décisions beaucoup plus rapidement et c'est là vraiment notre but.
Pour en revenir à l'une des questions précédentes, c'est comme tout, même pour le droit du travail. Toucher à un simple détail peut entraîner toute une série de problèmes. Nous préférons que tous les éléments s'assemblent. Ce que vous avez proposé, c'est-à-dire de réduire le nombre de paliers, ce pourrait être une solution, mais si vous faites cela sans tenir compte des trois ou quatre autres éléments, on pourrait finir par multiplier les processus, ce qui prendrait plus de temps, d'énergie et d'argent.
Nous cherchons une solution de continuité qui servirait tant pour ce que l'on appelle les griefs légitimes que pour ceux qui tombent dans la catégorie des griefs non fondés et vexatoires.
:
Merci de cet éclaircissement.
J'ai juste une brève question à poser, même si on l'a déjà peut-être traitée.
Je pense que vous comprenez tous l'esprit du projet de loi. La personne qui l'a rédigé est présente et le gouvernement a reconnu que les plaintes vexatoires présentent un problème dans le contexte correctionnel. Par ailleurs, on craint vraiment que le fait de désigner soudainement des gens comme auteurs de plaintes vexatoires leur impose d'autres contraintes.
Est-ce que vous craignez les conséquences de ce projet de loi? Pourrions-nous faire quelque chose pour l'améliorer?
D'après ce que je sais, le gouvernement a affirmé lors d'un débat qu'un amendement serait proposé qui vous autoriserait à déléguer quelqu'un d'autre. Cela ne signifiera certainement pas que plusieurs personnes puissent le faire, mais si l'amendement devait être adopté, on mandaterait peut-être une seule personne pour s'occuper de toutes les plaintes vexatoires. Est-ce en raison du délai, ou d'autre chose?
:
Si ce type d'amendement était proposé, ce serait essentiellement une mesure habilitante; j'aurais donc à décider en temps voulu de déléguer ou non ce pouvoir.
Cette mesure est de toute façon utile puisqu'elle nous permet en fait de bien penser à la situation et de déterminer le nombre de personnes concernées. Peut-être qu'au début, je ne déléguerais pas ce pouvoir et me chargerais moi-même du dossier. Mais avec le temps et après avoir accumulé des données sur la gestion de ces cas, je pourrais déléguer ce pouvoir à une personne dans chaque région; ce pourrait être un sous-commissaire régional, qui est au niveau de sous-ministre adjoint. Ce type d'amendement serait donc utile.
Je proposerais aussi au comité de prendre un peu de recul par rapport à la nature normative du projet de loi proposé. Je le répète, dans son esprit, le projet de loi va nous aider énormément, mais de par sa nature normative — qui se reflète dans le texte que nous avons en main aujourd'hui —, il va nous causer des problèmes administratifs.
Je pense que le comité a déjà envisagé certains concepts qui nous permettraient de maintenir l'esprit de la loi et de régler le grave problème que nous avons en atténuant son caractère normatif.
On pourrait aussi envisager des mesures qui seraient précisées dans un règlement plutôt que dans la loi, celle-ci conservant le principe essentiel qui nous permettrait de régler le problème.