JUST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent de la justice et des droits de la personne
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 11 avril 2019
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Bonjour à vous tous. Je vous souhaite la bienvenue au Comité permanent de la justice et des droits de la personne, qui entame son étude sur la haine en ligne.
Il s'agit d'un dossier fort important. Le Comité tenait à se pencher sur ce sujet, vu le nombre croissant de crimes haineux rapportés au Canada et de groupes qui se sentent vulnérables, sans compter la présence croissante de contenu haineux sur Internet.
[Français]
Je sais que plusieurs groupes nous ont demandé d'étudier cette question, partout au Canada. Aujourd'hui, nous en accueillons trois, et un quatrième se joindra peut-être à nous plus tard.
[Traduction]
Aujourd'hui, nous accueillons les représentants du Centre consultatif des relations juives et israéliennes, M. Shimon Koffler Fogel, président-directeur général, et M. Richard Marceau, vice-président des relations externes et avocat-conseil. Bienvenue, Messieurs.
Nous accueillons aussi M. Ryan Weston, animateur en chef et témoin public pour la justice sociale et écologique de l'Église anglicane du Canada. Bienvenue.
Le rabbin Idan Scher du Canadian Rabbinic Caucus est également parmi nous. Bienvenue.
Nous attendons aussi l'imam Farhan Iqbal, d'Ahmadiyya Muslim Jama'at. S'il arrive, il témoignera après les autres membres du panel.
Nous commencerons avec le Centre consultatif des relations juives et israéliennes. Monsieur Fogel, vous avez la parole.
Je vous remercie, monsieur le président, ainsi que les membres du Comité, de nous avoir invité à participer à cette importante conversation.
Je me réjouis de présenter des observations au nom du Centre consultatif des relations juives et israéliennes, le CIJA, qui défend les intérêts des Fédérations juives du Canada, lesquelles représentent plus de 150 000 Canadiens juifs d'un océan à l'autre.
Le CIJA trouve le lancement de cette étude importante encourageant. Depuis la terrible fusillade dans la synagogue Tree of Life, à Pittsburgh, en octobre dernier — le geste de violence antisémite le plus meurtrier de l'histoire de l'Amérique du Nord —, le CIJA a rallié des milliers de Canadiens pour qu'ils envoient des courriels au ministre de la Justice réclamant une stratégie nationale pour lutter contre le contenu haineux en ligne; l'étude d'aujourd'hui est un point de départ.
Nous avons agi avec l'appui d'une coalition de partenaires variés, notamment des organisations musulmanes, chrétiennes, sikhes et LGBTQ+. Par ailleurs, les représentants de différents groupes — ukrainiens, arméniens, roms, rwandais et yézidis — avec lesquels nous avons travaillé pour souligner le mois de la sensibilisation au génocide ont uni leur voix pour réclamer une stratégie nationale de lutte contre le contenu haineux en ligne, car ils savent que les génocides commencent par des mots.
De plus en plus, les organisations terroristes et les groupes haineux utilisent les plateformes en ligne pour répandre leurs idées malsaines, recruter des partisans et inciter à la violence. Ce problème s'étend à tout le spectre idéologique. Par exemple, les Canadiens qui ont rejoint le Groupe État islamique se sont souvent d'abord radicalisés en visionnant beaucoup de contenu jihadiste en ligne.
Dans le cas des deux actes de terrorisme commis récemment par des suprémacistes blancs, le massacre des juifs de Pittsburgh et des musulmans de Christchurch, les tireurs ont abondamment utilisé les médias sociaux pour promouvoir leur odieuse idéologie. Le tireur de Pittsburgh aurait affiché plus de 700 messages antisémites en ligne au cours des neuf mois précédents son attaque, et la décision du tireur de Christchurch de diffuser en direct son horrible crime était manifestement une tentative visant à provoquer d'autres atrocités du même genre.
Nous n'avons pas les moyens de faire preuve de complaisance, vu le lien entre le contenu haineux en ligne et la violence dans le monde réel. J'espère que cette étude se terminera par une demande unanime au gouvernement du Canada d'établir une stratégie globale de lutte contre le contenu haineux en ligne et qu'elle proposera les grandes lignes de cette stratégie.
Aujourd'hui, je mentionne quatre points qui, selon nous, doivent absolument figurer dans cette stratégie, soit: définir en quoi consiste un contenu haineux en ligne; en faire le suivi; prévenir celui-ci et intervenir pour en empêcher la diffusion.
Premièrement, une stratégie nationale devrait clairement définir en quoi consiste un contenu haineux en ligne au lieu de présumer que les plateformes en ligne ont la capacité de le faire par elles-mêmes. Il ne s'agit pas de cibler le contenu insensible, inapproprié ou même choquant, car le contre-discours est souvent le meilleur remède à ce genre de contenu. L'objectif explicite devrait être de contrer ceux qui glorifient la violence et qui démonisent délibérément et souvent systématiquement des communautés entières. La liberté d'expression est une valeur démocratique fondamentale, mais les autorités doivent agir dans des circonstances exceptionnelles pour protéger les Canadiens de ceux qui cherchent volontairement à propager une propagande haineuse et à radicaliser des personnes vulnérables.
Le modèle suivi par la communauté internationale pour en venir à une définition de l'antisémitisme est important. La définition pratique de l'antisémitisme de l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste, qui est la définition la plus largement reconnue de la haine contre les Juifs sur la planète, devrait être incluse dans la stratégie visant à endiguer le contenu haineux en ligne. C'est un outil pratique que les fournisseurs de médias sociaux peuvent utiliser afin d'appliquer des politiques d'utilisation interdisant le contenu haineux et que les autorités canadiennes peuvent utiliser pour faire respecter des dispositions légales pertinentes.
Deuxièmement, une stratégie nationale doit être en mesure de faire le suivi et de signaler le contenu haineux en ligne par l'entremise de partenariats stratégiques entre le gouvernement du Canada et les entreprises spécialisées dans la technologie. Il y a des modèles auquel il serait bon de s'intéresser pendant l'élaboration d'une approche canadienne, comme celui de l'initiative « Tech Against Terrorism », un programme de l'ONU qui invite les entreprises en ligne à veiller à ce que des extrémistes ne se servent pas de leur plateforme.
Troisièmement, une stratégie nationale doit avoir un volet prévention. Dans le monde d'aujourd'hui, la confiance envers les médias traditionnels et les institutions s'effrite tandis que la manipulation et la désinformation en ligne s'accentuent. Une campagne pour améliorer la littératie et la pensée critique des internautes en proposant des ressources aux parents et aux éducateurs aiderait à atténuer ces tendances.
Quatrièmement, une stratégie nationale doit prévoir une approche solide et coordonnée pour intervenir et empêcher la diffusion. Il y a un débat quant à savoir s'il vaut mieux privilégier une réglementation gouvernementale ou une autoréglementation de la part de l'industrie. Le Canada peut tirer parti de l'expérience d'autres démocraties, surtout en Europe, qui sont plus avancées dans l'élaboration de réponses stratégiques au contenu haineux en ligne.
Il serait utile d'examiner leurs bons et moins bons coups pendant l'élaboration d'une approche canadienne. Les solutions, qu'elles passent par la réglementation, les lois ou l'industrie, découleront de discussions inclusives et ouvertes avec des gouvernements, des fournisseurs de services, des consommateurs et des groupes comme le CIJA, qui représente des segments de la société fréquemment ciblés.
Le Comité discutera sûrement de l'ancien article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le CIJA soutient depuis longtemps que le retrait de cette disposition laisse un vide juridique, et il l'avait d'ailleurs mentionné il y a plusieurs années pendant le débat sur l'abrogation de l'article 13. Il y a de multiples façons légitimes de remédier à ce problème.
L'une d'elles est d'offrir une formation plus poussée à la police et aux procureurs de la Couronne pour que ceux-ci utilisent plus régulièrement les dispositions du Code criminel sur le discours haineux. Trois condamnations récentes en Ontario — une pour encouragement au génocide et deux autres pour fomentation volontaire de la haine — montrent que ces articles du Code criminel demeurent des moyens efficaces de protéger les Canadiens. De même, l'article 320.1 du Code criminel, qui permet aux tribunaux de saisir des données informatiques s'il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles constituent de la propagande haineuse, est un outil pratique qui devrait être utilisé plus souvent.
On pourrait aussi rédiger une nouvelle disposition dans la Loi canadienne sur les droits de la personne sur le contenu haineux en ligne. Il faudrait dans ce cas s'attaquer aux lacunes évidentes de l'article 13, qui est un outil efficace, mais inadéquat. Comme l'indique l'honorable Irwin Cotler dans ses recommandations, le rétablissement de l'article 13 exigerait des dispositions pour protéger la liberté d'expression légitime et éviter un usage vexatoire de cet article.
Je sais qu'il y a des opinions bien arrêtées de part et d'autre de la Chambre au sujet de l'article 13. Il ne faut pas en faire une question de partisanerie. Si l'on trouvait un juste équilibre, il serait possible de parvenir à un consensus raisonnable. J'insiste sur la nécessité d'un consensus, car le recours à des mesures légales pour contrer le contenu haineux en ligne ne sera véritablement efficace que si ces outils jouissent d'une grande légitimité auprès des Canadiens. Toute nouvelle disposition, y compris un nouvel article 13, si elle est mal utilisée, mal perçue ou mal conçue, risque de miner l'objectif principal, soit protéger les Canadiens et empêcher la propagande haineuse de gagner des adeptes ou des sympathisants.
La polarisation présente dans la politique américaine ou européenne n'est pas aussi forte au Canada, mais notre pays n'est pas pour autant à l'abri de celle-ci ou de la croissance de l'antisémitisme et d'autres formes de discours haineux dans la société en général. L'histoire a montré à maintes reprises qu'en période de bouleversements politiques et de désaffection populaire à l'égard des institutions publiques, les Juifs et d'autres minorités ont une épée de Damoclès suspendue au-dessus de leur tête.
Avec les avancées technologiques, ces processus évoluent maintenant à un rythme alarmant et ils ont une portée mondiale. Les tactiques des terroristes et des groupes haineux ont évolué et les politiques publiques doivent le faire également. Même s'il est impossible d'éliminer entièrement la menace de violence motivée par la haine, une stratégie nationale solide pour lutter contre le contenu haineux en ligne aurait un impact significatif.
Monsieur le président, je vous remercie, ainsi que les membres du Comité, du temps que vous m'avez accordé et je serai heureux de répondre à toutes vos questions pendant la ronde de questions.
Je vous remercie, monsieur le président, ainsi que les membres du Comité de m'avoir invité à venir vous parler des préoccupations de l'Église anglicane du Canada au sujet de la prolifération du contenu haineux en ligne et des conséquences bien réelles de cette haine sur des communautés d'ici et d'ailleurs dans le monde. Nous sommes honorés de joindre notre voix à celles d'un grand nombre d'organisations très variées pour demander des mesures plus vigoureuses dans ce dossier au Canada.
Notre tradition religieuse nous enseigne que chaque personne porte en elle une dignité inhérente et nous invite à nous soucier tout particulièrement de ceux qui sont le plus susceptibles de subir des préjudices ou des attaques. De plus, en tant que chrétiens, notre confession a historiquement bénéficié d'une position privilégiée au pays. Nous savons donc qu'il nous incombe de nous porter à la défense des autres. Si nous voulons prendre ces engagements au sérieux, nous devons faire entendre notre voix pour nous opposer à toutes les formes de haine.
Comme vous le savez fort bien, il y a eu, au cours des dernières années, une prolifération de contenu haineux radical en ligne dans des forums qui incitent à la violence et déshumanisent les personnes qui sont la cible de ce contenu. Les récentes attaques au Canada et à l'étranger, qui ont été très médiatisées, ont bien montré que ces sentiments ne se manifestent pas seulement en ligne, mais qu'ils ont aussi des conséquences tragiques dans le monde réel, et qu'il faut leur accorder une attention soutenue et immédiate.
Nous nous joignons à d'autres témoins ici aujourd'hui pour demander au gouvernement du Canada d'élaborer une stratégie nationale de lutte contre le contenu haineux en ligne. Le gouvernement a la capacité d'imposer des règles raisonnables aux entreprises spécialisées dans les médias sociaux, aux fournisseurs d'Internet et à d'autres acteurs pertinents du secteur privé pour contrôler la prolifération des discours haineux et violents en ligne. Le gouvernement doit aussi élaborer une stratégie pour que les lois existantes sur l'incitation publique à la haine soient appliquées plus efficacement, tout en accordant une attention particulière à la façon dont ces comportements s'expriment en ligne afin que ces activités ne se déroulent pas en toute impunité.
Pour être efficace, une stratégie nationale devra fonctionner en partenariat avec d'autres intervenants, sans perdre de vue que la responsabilité de lutter contre le contenu haineux en ligne et dans le monde réel n'est pas exclusive au gouvernement. Les sociétés, y compris celles spécialisées dans les médias sociaux, doivent moderniser leurs conditions d'utilisation et leurs activités de surveillance et de signalement afin de mieux contrôler la propagation de contenu haineux sur leurs réseaux et bannir les usagers et les commentaires haineux.
Les membres des groupes confessionnels et des organismes de la société civile doivent aussi s'engager à lutter contre la haine dans les collectivités où ils oeuvrent, à faire entendre leur voix et à user de leur influence pour dénoncer les manifestations de celle-ci chaque fois qu'ils en sont témoins. Il est essentiel que les groupes confessionnels et les coalitions interconfessionnelles luttent activement contre cette situation puisque les groupes ciblés par des paroles et des gestes haineux le sont souvent au nom de la religion.
Nous nous engageons à poursuivre notre travail avec des partenaires interconfessionnels et oecuméniques pour lutter contre ces comportements au sein de nos groupes. Nous puisons de la force dans le leadership de nombreux groupes confessionnels que nous voyons lutter activement contre la haine et l'oppression depuis de nombreuses années. Certains d'entre eux sont d'ailleurs ici aujourd'hui.
Il ne faut pas non plus oublier que la haine qui se manifeste en ligne n'est jamais complètement détachée de la haine dans le monde réel: une haine qui est attisée par des réseaux de sympathisants ou qui est dirigée contre des personnes et des communautés qui vivent dans notre pays. Même si le contenu haineux en ligne entraîne de nouvelles difficultés, vu la facilité d'accès à des points de vue extrémistes, ces comportements tirent leurs origines d'arguments ou de mythes anciens, qui ont longuement influencé le Canada et d'autres pays dans le monde. Nous devons nous opposer à ces comportements chaque fois que l'occasion se présente.
Une stratégie nationale de lutte contre le contenu haineux en ligne doit aussi outiller les familles, les dirigeants communautaires et les particuliers pour leur permettre de s'élever contre les manifestations de haine, d'extrémisme et de violence partout où elles apparaissent. L'éducation et la sensibilisation doivent être des éléments clés de toute stratégie visant à lutter contre ce problème en donnant aux gens les moyens dont ils ont besoin pour démanteler ces idéologies.
Ce matin, j'ai parlé de contenu haineux en ligne en termes assez généraux, mais il faut dire que certains groupes sont la cible de l'expression de ces sentiments et qu'une stratégie nationale de lutte contre ce contenu ne sera efficace qu'à condition de tenir compte des réalités et des répercussions des différentes formes de haine. Il faut assurément une stratégie globale pour accomplir ce travail, mais il faut aussi mettre au point des stratégies intégrées pour combattre et réfuter les mythes qui sous-tendent le racisme envers les Autochtones et les Noirs, l'antisémitisme, la misogynie, l'islamophobie, l'homophobie, la transphobie, la xénophobie ainsi que l'hostilité envers les immigrants, l'intolérance religieuse et d'autres formes de haine qui ont des impacts particuliers sur la sécurité de groupes reconnaissables au Canada.
L'Église anglicane du Canada accorde une attention croissante à l'importance que peut avoir une présence en ligne comme moyen de communication et d'éducation positif. Par conséquent, appuyer l'élaboration et la mise en place d'une stratégie nationale de lutte contre le contenu en ligne s'inscrit naturellement dans notre démarche.
Nous savons que nous avons la capacité de rejoindre des milliers de Canadiens grâce à notre présence en ligne ainsi que par l'entremise de nos services et de nos programmes à l'échelle du pays. Nous sommes déterminés à continuer de promouvoir une vision du pays et du monde qui est véritablement accueillante et respectueuse de chacun en offrant des espaces chaleureux et sécuritaires pour tous les Canadiens et en dénonçant directement les manifestations de haine.
Si nous n'adoptons pas une action concertée au pays pour lutter contre toutes les formes de haine — en ligne ou en personne — nous verrons d'autres actes de violence médiatisés inciter des gens à reproduire ces gestes. Nous devons tous collaborer pour offrir une alternative positive et empreinte de sollicitude à cette haine, une alternative qui affirme la dignité inhérente de chaque personne au Canada et ailleurs dans le monde.
Une telle alternative requiert, de la part du gouvernement, une orientation claire et stratégique, qui appuie les efforts de tous les intervenants visant à dénoncer ces comportements. Nous sommes prêts à collaborer avec nos prières, nos chaires et notre présence en ligne, car ce n'est qu'en travaillant ensemble que nous pouvons affronter ce grave problème et rendre le monde un peu plus sécuritaire pour un grand nombre de gens.
Merci.
Merci de me recevoir ici aujourd'hui. Je représente le Canadian Rabbinic Caucus, un groupe d'environ 200 rabbins venant de partout au pays et appartenant à différentes dénominations juives.
Le 27 octobre 2018, 11 personnes juives ont été assassinées dans la synagogue Tree of Life, à Pittsburgh, en Pennsylvanie. Le meurtrier avait promu très activement l'antisémitisme sur les médias sociaux. On a rapporté qu'il avait publié plus de 700 messages antisémites au cours des neuf mois avant l'attaque. Deux heures avant l'attentat, le meurtrier avait laissé présager de son geste dans un dernier message en ligne troublant.
Le vendredi 15 mars dernier, un terroriste nationaliste blanc a assassiné 50 musulmans dans deux mosquées de Christchurch, en Nouvelle-Zélande. Comme une téléréalité dans un monde dystopique, ces meurtres ont été diffusés par certaines des plus grandes sociétés spécialisées en technologie de l'Amérique. YouTube, Facebook, Reddit et Twitter ont tous joué un rôle dans la publicisation de la violence, et par le fait même, dans celle de l'idéologie haineuse derrière celle-ci.
Le meurtrier a également publié un manifeste de 74 pages dénonçant les musulmans et les immigrants, qui a été largement relayé en ligne. Il a laissé une piste dans les médias sociaux, sur Twitter et Facebook, qui ressemble à des notes de bas de page de son manifeste. Deux jours avant la fusillade, il a publié environ 60 fois les mêmes liens sur différentes plateformes, dont près de la moitié était des vidéos YouTube encore accessibles de nombreuses heures après la fusillade.
Comme le montrent ces attaques horribles, la haine peut être meurtrière, et le contenu haineux en ligne peut être l'indice d'une violence généralisée. Internet est sans contredit le nouvel espace où l'incitation à la haine prend des allures inquiétantes dans le monde réel.
En 2017, le Congrès juif mondial, qui représente les communautés juives de 100 pays, a publié un rapport indiquant que 382 000 publications antisémites avaient été téléchargées sur les médias sociaux en 2016. Autrement dit, il y a une publication antisémite toutes les 83 secondes.
Même s'il y a peu d'information sur le contenu haineux en ligne au Canada, d'après Cision Canada, un fournisseur de services et de logiciels de relations publiques basé à Toronto, entre 2015 et 2016, la publication de discours haineux ou intolérants dans les médias sociaux par des Canadiens a augmenté de 600 %. L'architecte de l'étude explique qu'une partie des discours haineux ou intolérants a été générée par des robots, comme le montre l'analyse de la vitesse à laquelle se font les publications sur une courte période. Toutefois, les chercheurs ont remarqué que les utilisateurs humains reproduisaient le langage des robots. Le résultat était par conséquent tout aussi dévastateur.
Les chiffres sont stupéfiants.
Le gouvernement canadien s'enorgueillit à juste titre d'être un précurseur, tant sur le plan des idées et que des gestes, dans la défense des droits, de la sécurité et de la qualité de vie des gens à l'intérieur comme à l'extérieur de ses frontières. Nous nous en sommes personnellement rendu compte. Les organismes d'application de la loi canadiens ont été exceptionnellement prompts à accorder du soutien à nos institutions, surtout après l'attaque à Pittsburgh.
Cependant, le temps est venu pour les décideurs fédéraux de prévenir de pareilles atrocités en lançant une stratégie nationale de lutte contre le contenu haineux en ligne. La croissance explosive des communications numériques a coïncidé avec une perte d'intérêt grandissante pour les institutions et les médias traditionnels. Les extrémistes en ont profité pour s'en prendre à des personnes mécontentes et vulnérables en utilisant les outils numériques et la culture de collaboration en ligne qui façonnent largement le monde d'aujourd'hui.
Il n'est, évidemment, pas possible d'éliminer entièrement la menace de la violence motivée par la haine, mais une stratégie nationale claire de lutte contre le contenu haineux en ligne peut contribuer de façon significative à protéger les Canadiens. Le Centre consultatif des relations juives et israéliennes a élaboré une recommandation stratégique en quatre points pour lutter contre le contenu haineux en ligne.
Le premier point vise à définir en quoi consiste le contenu haineux. Ce point fort important prévoit que le gouvernement canadien définira ce qui constitue un contenu haineux. La première chose à faire serait d'adopter la définition de l'antisémitisme de l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste. Cette définition est un outil pratique qui devrait être utilisé par les autorités canadiennes pour appliquer la loi et par les fournisseurs de médias sociaux pour mettre en oeuvre des politiques contre le contenu haineux.
La recommandation du Centre consultatif des relations juives et israéliennes prévoit aussi de faire le suivi du contenu haineux, de prévenir celui-ci et d'intervenir pour en empêcher la diffusion.
En ce qui concerne le dernier point, qui est d'intervenir pour empêcher la diffusion de contenu haineux, je tiens à indiquer très clairement que nous ne cherchons pas à contrôler les discours de mauvais goût. La liberté d'expression est une valeur canadienne fondamentale. Ce sont la glorification de la violence et la propagande systématique à l'encontre des Juifs et des autres communautés qui nous préoccupent.
Nous croyons possible de parvenir à un juste équilibre entre la protection de la liberté d'expression et la lutte contre le contenu haineux en ligne qui démonise des communautés entières et qui mène à la violence et au meurtre.
Il s'agit évidemment d'un problème complexe, mais nous demandons au gouvernement du Canada de prendre les devants pour chercher à comprendre ce phénomène et créer des outils pour lutter contre celui-ci. Nous demandons au gouvernement du Canada de lancer une stratégie nationale pour lutter contre le contenu haineux en ligne, en travaillant en partenariat avec les plateformes de médias sociaux et les fournisseurs de services Internet, ainsi qu'avec d'autres partenaires indiqués. Il s'agit d'un point crucial pour apporter des améliorations dont nous avons bien besoin.
Merci.
Je vous remercie beaucoup, monsieur le rabbin.
Nous passons maintenant à l'imam Farhan Iqbal d'Ahmadiyya Muslim Jama'at.
Imam Iqbal, vous avez la parole.
Merci de m'avoir invité.
As-salaam alaikum.
Que la paix et la bénédiction de Dieu soient sur vous tous.
J'aimerais d'abord saluer le comité de la justice et des droits de la personne au nom d'Ahmadiyya Muslim Jama'at. En tant qu'imam représentant Ahmadiyya Muslim Jama'at Canada, j'aimerais vous remercier de tout coeur de nous donner l'occasion de présenter nos idées sur ce sujet important et pertinent.
Nul doute qu'au cours de la dernière décennie, le nombre de crimes haineux dans notre société a augmenté de façon exponentielle. Les statistiques sur le terrorisme, la violence des gangs et la violence commise au moyen d'une arme à feu nous montrent que la tendance générale est à la hausse, ce qui est inquiétant. En outre, même si on l'oublie parfois, l'arrivée d'Internet et des médias sociaux a mené à une brusque augmentation des discours haineux, mais aussi de la violence en ligne.
Voyons d'abord ce qui constitue réellement un discours haineux, comme d'autres l'ont dit précédemment. Où se situe la frontière entre la liberté d'expression et le discours haineux? Le discours haineux fait référence aux discours ou aux écrits injurieux ou menaçants qui expriment des préjugés à l'encontre d'un groupe particulier.
Pour bien montrer la gravité de la situation, les discours haineux ont augmenté de 600 % au Canada, selon un article publié dans Maclean's. Au nombre des mots surveillés pour démontrer cette augmentation, on trouve les mots-clics #banmuslims et #whitepower. Nous sommes tous conscients de la montée de l'islamophobie qui a tout récemment frappé au Canada, à Québec, et qui a mené à l'attaque contre une mosquée de cette ville. Il y a d'abord eu une vague d'incendies criminels et de vandalisme contre des mosquées partout au Canada, puis il y a eu cette attaque. Pas plus tard que la semaine dernière, à Londres, au Royaume-Uni, un extrémiste de la droite, Steven Bishop, a plaidé coupable pour avoir comploté de faire exploser une bombe dans la mosquée Baitul Futuh, l'une des plus grandes mosquées de la Grande-Bretagne à relever d'Ahmadiyya Muslim Jama'at.
Les musulmans ahmadis croient que la liberté d'expression est une liberté sacrée dans la mesure où elle est une force positive et permet une circulation indispensable des idées. Il ne faut pas laisser les idéologies et les discours haineux conçus pour faire du mal et causer de la souffrance prétendre être une forme de liberté d'expression.
Nous sommes tous conscients que le discours haineux représente une menace imminente et bien réelle. Comment résoudre ce problème? Est-il possible de le faire avec un plan de 30, 60 ou 90 jours? Probablement pas, car l'objectif n'est pas de faire courber la tête, mais de faire changer d'idée.
Pour lutter contre l'augmentation du nombre de crimes haineux commis en ligne ou en personne, il faut respecter nos différences et rester fidèle à la notion d'acceptation. L'ignorance engendre la défiance, la peur et la colère. La familiarité est source de compréhension, de compassion et d'amour. Quand des gens se rassemblent et découvrent combien ils ont de points en commun, ils se mettent à ressentir de la sympathie, de la compassion et de l'amour et à faire preuve de compréhension. Voilà comment lutter contre la haine. Nous devons ouvrir nos portes et nos coeurs. Nous devons interagir les uns avec les autres en affichant un amour inconditionnel. Nous devons reconnaître nos droits mutuels.
Pour réellement combattre les crimes haineux, il faut accepter que le problème ne se règle pas du jour au lendemain. Ce sera plutôt une lutte quotidienne qui façonnera nos façons de voir et d'interagir les uns avec les autres. Ce n'est qu'après avoir commencé à réellement mettre en application la devise: « l'amour pour tous, la haine pour personne » qu'il deviendra possible d'endiguer l'augmentation du nombre de crimes haineux.
Nous sommes plus forts ensemble que seuls. L'amour est plus fort que la peur. La peur exige que nous nous percevions comme étant séparés de l'autre. En nous rassemblant, nous créons un rapprochement qui accroît notre capacité à faire triompher l'amour et qui nous permet de vivre en paix et en harmonie.
Merci.
Merci beaucoup, monsieur l'imam.
Je remercie tous les membres du groupe de témoins de leurs très importants témoignages.
Nous passons aux questions. Nous débuterons avec M. Cooper.
Merci, monsieur le président.
Je remercie également les témoins.
Je suis tout à fait d'accord pour dire qu'il s'agit d'une étude importante et que tous les Canadiens ont lieu d'être très préoccupés par la prolifération inquiétante de la haine ces dernières années au Canada, touchant des collectivités partout au pays, notamment Québec, où une mosquée a été la cible d'une effroyable attaque. À huit heures de route d'ici, à Pittsburgh, il y a également eu l'attaque contre la synagogue Tree of Life, que je connais bien, car elle se trouve à quelques rues de chez mon frère.
Il est important qu'on s'attaque à ce problème, mais ce faisant, il faut également tenir compte — comme tous les membres du comité l'ont déjà fait remarquer, si je ne me trompe pas — des libertés fondamentales, dont la liberté d'expression, et trouver une façon d'arriver à un équilibre.
Je vais commencer par M. Fogel. Vous avez parlé de l'article 13, qui, sauf votre respect, laissait beaucoup à désirer, à mon avis. Vous affirmez que l'abrogation de cet article de la Loi canadienne sur les droits de la personne, que beaucoup considèrent boiteux, a créé un vide juridique.
Je cherche simplement à comprendre pourquoi vous trouvez qu'il y a un vide juridique compte tenu des articles 318 et 319 du Code criminel, ou encore de l'article 320.1, que vous avez vous-même cité. Peut-être pourriez-vous nous décrire en plus grand détail ce que vous recommanderiez pour combler ce que vous décrivez comme un vide.
En ce qui nous concerne, nous n'avions pas d'opinion quant à savoir si, à l'époque où on en débattait, l'article 13 avait été modifié en réponse à certaines de ses faiblesses inhérentes, ou encore si d'autres dispositions du Code criminel étaient en mesure de combler le vide que créerait l'élimination de l'article 13. Essentiellement, cela revient au problème dont vous avez parlé et que tous les membres du comité devraient connaître. Nous devons composer avec deux impératifs opposés. D'une part, il y a le désir de veiller à ce qu'on puisse avoir la liberté d'exprimer ses pensées et idées sans entrave et sans crainte de persécution ou de poursuites, même lorsque ces idées sont répugnantes. De l'autre, contrairement à nos cousins américains, nous reconnaissons une limite à la liberté d'expression. Dès qu'elle compromet la sécurité, la sûreté et le bien-être d'autrui, on considère qu'elle va trop loin.
Le problème, c'est que l'article 13 était une arme à double tranchant. Il servait de défense aux personnes ayant véritablement de mauvaises intentions et il n'offrait aucune protection aux cibles de la haine toxique ou virulente. Nous aurions espéré que tous les ordres de gouvernement — car c'est un enjeu qui intéresse autant les gouvernements fédéral et provinciaux que les municipalités — aient la volonté politique de faire preuve d'initiative pour combler le vide créé par l'élimination de l'article 13. D'ailleurs, je pense que Richard avait écrit aux procureurs généraux de toutes les administrations du pays pour leur demander d'adopter une approche plus ferme en matière de crimes motivés par la haine, réels ou potentiels, de manière à compenser la perte de l'article 13. Bien franchement, ce n'est pas ce qui s'est passé. Il y a eu un peu de mouvement, mais pas assez. Si nous devions revenir au modèle de l'article 13, il faudrait aussi s'assurer d'adopter des dispositions sur la preuve, notamment à l'égard de la nécessité de veiller à écarter les poursuites stratégiques contre la mobilisation publique, ou autres poursuites-bâillon. Ainsi, nous protégerions la capacité des particuliers et des groupes à exprimer des idées qui ne suscitent pas nécessairement toujours une réaction positive.
Je pense qu'il y a toutes sortes d'éléments d'information utiles dans les témoignages de divers intervenants dont les membres du comité pourraient s'inspirer pour trouver une solution. Cela dit, à mesure qu'ils avancent dans le dossier, il ne fait aucun doute que les différents ordres de gouvernement doivent se prévaloir des outils nécessaires pour pouvoir faire la distinction entre le droit d'être protégé contre la haine et la liberté d'expression.
Je sais que je m'éloigne un peu de votre question, mais il convient de signaler les exhortations croissantes des fournisseurs de médias sociaux eux-mêmes, les plateformes dont tout le monde parle sans cesse et qui ont elles aussi de la difficulté à savoir où sont les limites, dans quelles circonstances elles devraient intervenir et comment répondre à certains des propos qui apparaissent en ligne. Je pense qu'on aimerait que le gouvernement fasse preuve de leadership et qu'il établisse une marche à suivre qui permettrait à ces compagnies de savoir quelles dispositions prendre, que ce soit sur le plan des ressources humaines ou des algorithmes... Les chiffres dépassent l'entendement. J'ai personnellement passé en revue des centaines de millions de messages sur Facebook. Il n'est pas évident d'entièrement saisir l'ampleur de la tâche compte tenu du volume d'information à traiter et des éventuelles interventions à faire.
À propos de lignes directrices claires de la part du gouvernement, je reviendrais à la question de la définition de l'antisémitisme selon l'AIMH. L'avantage qu'une telle définition peut représenter pour le gouvernement est qu'elle est claire. Vous pouvez ensuite vous en inspirer lorsque vous mettez au point les algorithmes qui détermineront, entre autres, quels mots-clés recherchés méritent un examen plus approfondi.
Si nous pouvions en faire de même avec les différentes communautés — LGBTQ, musulmane, baha'ie, et autre —, je pense que cela contribuerait grandement à distinguer le droit d'être protégé contre la haine de la liberté d'expression, dont tous les membres du Comité se soucient certainement, et avec raison.
Merci beaucoup.
Je vais commencer la minuterie, car il y a clairement d'ardents défenseurs autour de la table aujourd'hui.
Premièrement, bienvenue à tous. Merci d'être venu. As-salaam alaikum. Shalom. C'est vraiment très, très important.
C'est un enjeu que je prends au sérieux, que les Canadiens prennent au sérieux et que les électeurs de la circonscription de Parkdale—High Park prennent très au sérieux. Je sais que tout le monde ici présent est animé des meilleures intentions.
Les manifestations de haine n'arrêtent pas; je suis heureux que vous en ayez décrit les grandes lignes. Quelle que soit la forme qu'elles prennent — antisémitisme, islamophobie, homophobie, transphobie, haine envers les Autochtones ou les Noirs, mouvement incel —, elles soulèvent d'importantes préoccupations au Canada. Nous avons vu les attentats à Québec, à Pittsburgh et en Nouvelle-Zélande.
La Loi canadienne sur les droits de la personne contenait jadis un instrument: l'article 13. J'aimerais revenir sur la question mais je vous demanderais quand même de rester bref, monsieur Fogel. La disposition portait sur la discrimination fondée sur une distinction illicite ciblant un groupe identifiable et véhiculée par des services de télécommunication. On y précisait qu'Internet était visé. La disposition a été abrogée par le précédent gouvernement en 2012 ou en 2013.
À l'époque, elle avait déjà fait l'objet de contestations. Dès 2006, d'anciennes versions des groupes aujourd'hui représentés, dont B'nai Brith, le Congrès juif canadien et les Amis du Centre Simon Wiesenthal, s'étaient portées à sa défense. Dans l'arrêt Whatcott, la Cour suprême du Canada a fait valoir les arguments mêmes qui ont été discutés pour justifier sa décision de confirmer une disposition très semblable.
Je m'adresse au CIJA maintenant. J'aimerais savoir si vous êtes d'avis que la disposition était invalide, et dans le cas contraire, j'aimerais savoir quelles mesures s'imposent, selon vous, pour la renforcer.
Veuillez excuser mes longues réponses; personne ne me laisse parler à la maison.
Le fait est que l'article 13 était d'une importance capitale. Il offrait les protections dont vous venez de parler, et je pense qu'il ne fait aucun doute que les Canadiens et les groupes au sein du Canada en ont besoin.
Curieusement, le problème a commencé lorsque certains groupes et particuliers aux motivations parfois douteuses ont décidé d'invoquer l'article 13 pour faire opposition aux parties soulevant des craintes légitimes en matière de liberté d'expression dans certains domaines. Ces actions ont eu un effet carrément paralysant, minant la capacité des Canadiens à critiquer des questions d'intérêt public sans crainte d'être traduits en justice et obligés à rendre des comptes, tout ça parce que d'autres prétendaient avoir été la cible de gestes haineux à cause des opinions exprimées.
C'était la grande faiblesse de l'article 13. Il existait toutes sortes de solutions. Vous les avez devant vous. Clairement, vous avez fait vos recherches et j'inviterais les membres du Comité à envisager les options qui s'offrent à eux, parce qu'il faut soit rétablir la disposition selon un meilleur libellé... La formule d'Irwin Cotler, que je ne vais pas décrire ici puisque certains d'entre vous la connaissez et vous pouvez facilement la retrouver, était probablement la version la plus intéressante de l'article 13. Autrement, il faut donner l'instruction aux organisations d'application de la loi, aux responsables des poursuites et aux procureurs généraux de se mettre à appliquer beaucoup plus vigoureusement les dispositions du Code criminel.
Je vais devoir vous arrêter là. Il y a deux autres questions que j'aimerais aborder.
Nous avons un peu parlé des compagnies de médias sociaux; j'aimerais adresser la question au Canadian Rabbinic Caucus.
Certains pays du monde ont adopté un règlement bien plus strict à l'égard des médias sociaux. Je pense notamment à l'Allemagne à cause de l'antisémitisme et du nazisme dans son passé. Ses règlements ont obligé Facebook à consacrer d'importantes ressources humaines au problème.
Qu'est-ce que des pays comme l'Allemagne ont à nous apprendre?
Je reviendrais sur les recommandations stratégiques en quatre temps du Centre consultatif des relations juives et israéliennes. Ils ont passablement étudié le cas de l'Allemagne ainsi que certains des projets auxquels l'ONU a participé. Si je ne m'abuse, M. Fogel en a parlé.
Je pense que nous avons beaucoup à apprendre. Certains pays européens ont sans aucun doute de l'avance sur le Canada dans le domaine, et il existe des moyens de développer une approche propre au Canada ou bien qui reflète les réalités canadiennes qui s'inspire néanmoins des leçons qu'on a apprises à l'étranger ainsi qu'à l'ONU.
La dernière question que j'aimerais soulever est en quelque sorte un thème récurrent, dont certains ont parlé et que beaucoup d'entre vous avez décerné, dans les propos de M. Fogel, soit la prévention, voire l'intervention.
Il y a un élément de suprématie blanche dans beaucoup des choses que nous voyons dans le monde. Certaines personnes au Canada, comme nous l'avons vu il y a à peine une semaine, remettent encore en question la présence de mouvements de suprématie blanche dans notre pays.
J'aimerais savoir si les témoins ici réunis pensent que la suprématie blanche existe au Canada. Dans l'affirmative, pensent-ils que les législateurs élus du pays ont la responsabilité de la dénoncer?
Peut-être que l'Ahmadiyya Muslim Jama'at voudrait répondre à la question. Non?
N'importe qui peut répondre.
Je doute m'attirer des problèmes en le disant, mais je pense que oui, effectivement, la suprématie blanche existe au Canada. Je pense qu'il est important de nommer le mouvement, d'en reconnaître l'existence et de le contester.
Étant donné qu'ils sont la voix de ceux qu'ils représentent, je pense que nos élus ont la responsabilité de dénoncer la chose. J'estime que le gouvernement a certainement un rôle à jouer dans les efforts visant à contester cette idéologie, notamment en proposant une autre façon de penser qui encourage d'autres aspirations et le développement d'idéologies autres que celles de la suprématie blanche.
Merci à tous d'être ici avec nous aujourd'hui et merci de vos présentations.
En ce qui concerne cette menace, je pense que Facebook a tenté cette semaine de trouver une solution pour certains des groupes au Canada qui partagent cette information en ligne. L'entreprise a banni des individus et des groupes de sa plateforme, ce qui est une excellente décision a mon avis. Malheureusement, cela n'a pas été fait pour tous les médias sociaux. Je pense qu'il n'y a que Facebook et Instagram qui ont pris cette mesure.
Pour en revenir à ce qu'a dit M. Fogel plus tôt, les profondeurs d'Internet, même à l'intérieur d'une seule plateforme... Il y a de nombreuses couches et les géants des médias sociaux essaient de gérer tout cela eux-mêmes. Il y a vraiment lieu de se demander comment ils peuvent y arriver seuls sans intervention du gouvernement, sans que le gouvernement du Canada joue un rôle et établisse des règles de base à savoir ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas, des règles de base pour les plateformes dans notre propre pays.
Vous avez tous parlé des fusillades de Pittsburg et de Christchurch, de même que de l'abondante quantité de contenu islamophobe et antisémite publié par ces deux individus. Je pense que les Canadiens se demandent comment il se fait que tout ce contenu puisse être publié. Pourquoi n'y a-t-il personne qui mette un terme à ce genre de comportement? Faut-il blâmer les médias sociaux? Faut-il blâmer les politiques? Ils se demandent aussi comment ces gens peuvent partager toute cette information sans que personne ne dise quoi que ce soit.
Je pense que M. Fogel s'est exprimé clairement à ce sujet, mais j'aimerais poser la question aux autres témoins: croyez-vous que les plateformes en ligne devraient pouvoir établir leurs propres politiques en matière de haine en ligne ou croyez-vous que le Canada devrait également établir des règles de base?
Je pense que les entreprises de médias sociaux devraient établir leurs propres règles, mais, également, que le gouvernement devrait adopter des mesures législatives qui établissent des exigences de base dans ce domaine pour ne pas se fier uniquement à la bonne volonté de ces entreprises, mais refléter plutôt l'engagement du pays au chapitre de la gestion des communications et des télécommunications en particulier. Je pense qu'il doit y avoir des actions des deux côtés.
Je suis d'accord. Quand on regarde ce que ces entreprises ont fait jusqu'ici dans ce domaine, ce n'est pas très prometteur. On ne peut pas dire qu'elles ont affiché de bons résultats et qu'elles sont efficaces.
CBC, je pense, a présenté un documentaire sur ce que font ces entreprises en ce qui concerne les vidéos provocatrices ou violentes et les autres choses du genre. On s'éloigne un peu du sujet, mais c'est une affaire de rentabilité. Ce sont des entreprises. Ce genre de vidéos leur apporte plus de visiteurs, d'utilisateurs et d'intérêt. Elles ont donc tendance à ne pas supprimer toutes les vidéos controversées qui circulent, toutes les vidéos violentes qui circulent. Elles en gardent certaines pour conserver leur auditoire.
On peut se demander jusqu'à quel point on peut compter sur ces entreprises pour établir les bonnes règles. Je pense que le gouvernement devrait jouer un rôle lui aussi.
Les grandes plateformes de médias sociaux semblent avoir des conditions d'utilisation. Elles ont des règlements et des exigences, mais, de toute évidence, elles n'arrivent pas à gérer la situation en ce qui concerne la haine en ligne. Par conséquent, et comme l'ont dit tous les témoins, je pense que le gouvernement doit prendre les commandes dans ce domaine. Il travaillerait bien entendu en partenariat avec les plateformes de médias sociaux, les fournisseurs de services Internet et les autres intervenants pertinents, mais je pense vraiment que le gouvernement doit diriger cette démarche pour en arriver à une situation où on peut surveiller la haine en ligne et lutter contre celle-ci.
Si je peux me permettre, Mme Ramsey, j'ajouterais qu'en septembre 2018, un rapport sur la haine en ligne a été remis au premier ministre de la France. On doit y présenter un projet de loi dans les semaines qui viennent.
J'ai pris connaissance de ce rapport et, à mon avis, certains de ses éléments sont intéressants et vraiment très simples et utiles. On y recommandait, entre autres choses, d'installer sur ces plateformes un logo universel sur lequel on peut cliquer quand on voit des propos haineux. Cette mesure aiderait les fournisseurs Internet. On suggérait en outre d'imposer un délai aux entreprises pour supprimer ces propos, une autre solution intéressante. Une autre des mesures proposées qui devrait être envisagée est un processus de plainte en ligne qui éviterait à la personne de devoir communiquer avec la police, d'avoir à se rendre au poste de police pour faire une plainte. Ce sont là des possibilités qui devraient, à mon avis, être étudiées dans le cadre d'une éventuelle politique nationale. Ce sont des solutions simples et qui pourraient être utiles selon moi.
Il y a deux choses auxquelles il faut penser à propos des plateformes des médias sociaux. En demandant à ces entreprises de s'autoréglementer et, en réalité, de censurer une partie de leur contenu, on leur demande de prendre des mesures qui sont contraires à leur modèle d'affaires, qui est axé sur l'expansion et non l'inverse. Je pense qu'il ne faut pas l'oublier.
Au cours des derniers 12 à 18 mois, j'ai remarqué un profond changement, une évolution de la façon de penser de ces entreprises. Je pense qu'elles ont peur. Elles n'ont pas saisi toute l'ampleur qu'elles prenaient, à quel point leurs plateformes étaient des outils puissants. À mon avis, elles ne pensent pas pouvoir y arriver seules.
J'ai l'impression, d'après certains témoignages qu'elles ont faits devant divers gouvernements du monde, ici, en Amérique du Nord du moins, qu'elles espèrent un soutien et un leadership de la part du gouvernement. Je pense qu'elles en ont besoin pour se protéger et pour avoir une décision objective d'un tiers, si on veut, pour orienter la mise en place du genre d'infrastructure...
L'autre jour, j'écoutais une entrevue avec un employé de haut niveau de Facebook, qui parlait de passer de 10 000 à 30 000 le nombre de personnes chargées d'examiner l'information publiée en ligne. On parle d'une seule entreprise. C'est incroyable. Je pense qu'elles ont bel et bien besoin du soutien du gouvernement et qu'elles n'y voient pas un empiètement, mais bien une intervention utile.
Merci aux témoins de leur présence aujourd'hui et de leurs témoignages très judicieux.
L'an dernier, je me suis rendue dans une mosquée avec une autre députée. Nous portions un foulard et ma collègue a refusé qu'on nous prenne en photo ensemble. Ce n'est qu'une supposition, mais j'ai pensé qu'elle craignait un déchaînement sur Internet, que les gens y aillent de commentaires et de suppositions sur ce qu'elle pouvait bien faire dans une mosquée, par exemple, avec une personne comme moi.
Quel rôle les personnalités publiques comme moi et d'autres députés et vous pouvons-nous jouer dans la lutte contre toute cette haine en ligne? Oui, nous pouvons envisager des politiques et des lois efficaces, mais, comme l'a dit M. Iqbal, il s'agit surtout d'amener les gens à voir les choses autrement. En tant que modèles ou dirigeants communautaires, que pouvons-nous faire? J'aimerais également en savoir un peu plus sur ce que vous faites pour lutter de façon préventive contre la haine en ligne.
Pourriez-vous répondre l'un après l'autre, en commençant par M. Fogel?
Il doit y avoir un dialogue public. On a toujours tendance à penser à ce qu'on appelle les « leaders d'opinion » quand il s'agit d'établir les paramètres et l'orientation du dialogue. Je pense franchement que les parlementaires et les titulaires de charge publique sont particulièrement bien placés pour délimiter le cadre de référence du dialogue.
Comme je l'ai mentionné un peu plus tôt, cela ne peut fonctionner qu'avec l'adhésion générale des Canadiens. À certains égards, c'est un sujet qui fait très peur. Il nous rappelle à quel point « ils » peuvent s'immiscer dans la vie des gens, qu'il s'agisse des fournisseurs Internet, du gouvernement, et ainsi de suite, puisqu'on parle en réalité d'examiner minutieusement ce que les gens publient sur Internet, de poser un jugement et de décider de la mesure à prendre. C'est quelque chose qui peut déranger. Pour que les gens acceptent, à mon avis, le milieu politique doit diffuser une série de messages qui, sans être nécessairement identiques, sont cohérents à propos de cette nécessité et du fait que ce serait une bonne chose pour les Canadiens d'envisager une réglementation, un régime ou un protocole pour régir le processus.
De notre côté, comme l'a indiqué Ryan, nous avons l'obligation de diffuser ce message sur le terrain au niveau local depuis notre chaire, dans nos centres communautaires et dans nos écoles.
Si on laisse de côté les politiques à adopter pendant un moment pour parler de nos rôles, je dirais que nous luttons activement contre la haine dans nos synagogues. Nous sensibilisons les gens à l'importance de ces questions. Pour vous donner un exemple, notre synagogue sert souvent de lieu pour réunir des gens différents et en apprendre davantage sur les différents Canadiens et la diversité des habitants de notre communauté. Ce genre de message est très important et très percutant pour changer le ton des discussions sur cette question.
Je pense que le modèle que nous employons avec nos assemblées pourrait être très efficace s'il était utilisé par les parlementaires et les leaders politiques, comme dans l'exemple de la mosquée que vous nous avez donné. Il faut faire preuve de leadership et le faire dans les différentes communautés, montrer clairement que c'est important pour le gouvernement du Canada.
La réponse simple est que j’aurais aimé que cette personne partage cette photo. Je crois qu’une partie importante du travail des personnalités publiques est de mettre ces relations en évidence, de les renforcer et de normaliser ce qui pourrait être étranger aux gens concernés.
La semaine dernière, justement, je parlais à l’un de nos évêques et il m’a dit qu’il avait appris à connaître le rabbin et l’imam local à force de participer à des vigiles avec eux. Après un certain temps, ils ont compris que le seul moyen d’éliminer le besoin de tenir d’autres vigiles était d’entretenir des relations dans lesquelles ils n’étaient pas étrangers l’un à l’autre et où cette perspective ne les intimidait pas. Signaler sa présence à certains endroits peut être un moyen efficace de faire cela, tout comme l’est la création d’occasions qui permettent aux gens de nouer des relations entre eux. Les personnalités publiques peuvent peut-être faire office de point de rencontre. Plutôt que de contraindre les gens à se placer dans une situation qui les met mal à l’aise, il faut leur permettre d’être en territoire neutre. Il faut apprendre à se connaître les uns les autres afin de ne plus considérer autrui comme « autre », mais comme une personne en chair et en os avec laquelle on peut compatir.
Je suis du même avis que M. Weston. On doit accroître le dialogue interreligieux. Je crois que les gens comme vous peuvent certainement jouer un rôle pour ce qui est de favoriser les liens et le dialogue entre les religions.
À Toronto, j’ai été membre pendant quelques années du Toronto Area Interfaith Council. Notre relation avec la ville nous a permis d’accueillir le Parlement mondial des religions à Toronto. À la suite du malheureux attentat à la camionnette qui s’est produit dans cette ville, c’est le Toronto Area Interfaith Council qui a regroupé tous ces gens dans le square pour tenir la veille qui a eu lieu.
Les vigiles ont aussi été mentionnées. Celles-ci ne peuvent obtenir les résultats escomptés que si elles rassemblent différentes communautés. Les gens comme vous peuvent aider à favoriser ces genres de relations. Vous avez tant de liens avec la communauté et avec différents groupes confessionnels. Si vous les aidez à se réunir, je crois que cela peut avoir une incidence positive.
Je remercie les témoins. Vous avez été extraordinaires et nous avez beaucoup renseignés. J’aurais aimé que nous ayons plus de temps, mais nous devons aussi rencontrer un autre groupe de témoins.
Je suspends brièvement la séance le temps de changer de groupe de témoins. Je demanderais au prochain groupe de témoins de s’avancer. Merci à tous de votre aide.
Nous allons maintenant entendre notre deuxième groupe de témoins sur la haine en ligne. Nous sommes ravis d’accueillir M. Alex Neve, secrétaire général d’Amnistie internationale Canada. Rebienvenue.
Nous accueillons aussi, par vidéoconférence, de Toronto, M. Shahen Mirakian, président du Comité national arménien du Canada. Bienvenue, monsieur Mirakian.
Se joint également à nous M. André Schutten, conseiller juridique et directeur du droit et des politiques de l’Association for Reformed Political Action Canada. Bienvenue.
Enfin, nous accueillons M. Geoffrey Cameron, directeur du Bureau des affaires publiques de la Communauté bahá'íe du Canada. Je vous souhaite la bienvenue.
Normalement, nous essayons de commencer par les témoins qui se joignent à nous par vidéoconférence, au cas où l’on perdrait la connexion plus tard. Nous commencerons donc par M. Mirakian.
Monsieur Mirakian, la parole est à vous.
Je remercie le président et les membres du comité d’avoir invité le Comité national arménien du Canada à témoigner aujourd’hui. Je m’appelle Shahen Mirakian, et je suis président du Conseil national arménien du Canada. Je m’excuse de ne pas pouvoir me joindre à vous en personne.
En tant que représentants d’une communauté victime du génocide, expression ultime de la violence inspirée par la haine, nous connaissons mieux que quiconque les conséquences de la promotion de la haine. De la même manière, en tant que communauté qui a systématiquement défendu des positions opposées au statu quo, nous sommes des défenseurs acharnés de la liberté d’expression. À nos yeux, ces deux positions ne sont nullement contradictoires. La propagande haineuse porte atteinte à la liberté d’expression du groupe identifiable ciblé en le délégitimisant ou en le diffamant, empêchant ainsi ses membres d’être entendus ou de participer à la société civile de façon significative.
La longue tradition du Canada en matière de protection de la liberté de parole et d’expression et de criminalisation des incitations délibérées à la haine ou de l’encouragement au génocide a fait de lui un puissant exemple à suivre pour la communauté internationale. Aujourd’hui, le Canada doit appliquer les leçons qu’il a apprises au cours de ses 50 dernières années de lutte contre la haine et les appliquer au monde virtuel en élaborant une stratégie nationale de lutte contre la haine en ligne.
Comme vous le savez, le 24 avril 2015, la Chambre des communes a adopté la motion M-587, qui demandait au gouvernement de reconnaître le mois d’avril comme étant celui de la commémoration, de la condamnation et de la prévention du génocide. Le Comité national arménien du Canada a travaillé avec plusieurs autres organismes non gouvernementaux, notamment le Centre consultatif des relations juives et israéliennes, le Congrès des Ukrainiens canadiens et l’association Humura, pour veiller à ce que le gouvernement reconnaisse chaque année le mois d’avril comme le Mois de la commémoration, de la condamnation et de la prévention du génocide.
Cette année, toutefois, la simple reconnaissance ne suffira pas. Au cours de la dernière année, le Conseil national arménien du Canada a travaillé de concert avec une vaste coalition d’organisme de défense des droits de la personne pour demander que des mesures concrètes soient également prises. Un élément important de cet effort a été d’exhorter le gouvernement à lutter contre la haine en ligne. En décembre 2018, le Conseil national arménien du Canada s’est joint à 17 autres organismes, dont plusieurs parmi ceux qui témoignent aussi aujourd’hui, pour demander au ministre de la Justice de faire en sorte qu’une stratégie nationale de lutte contre la haine en ligne soit lancée.
Cette année, à l’occasion du Mois de la commémoration, de la condamnation et de la prévention du génocide, nous faisons front commun avec une vaste coalition de communautés ayant vécu l’horreur du génocide et invitons tous les Canadiens à joindre leur voix à la nôtre pour demander au gouvernement du Canada d’adopter des solutions politiques au problème de la haine en ligne. Nous encourageons tous les Canadiens à se rendre sur le site itstartswithwords.ca afin d’en apprendre davantage sur ce qui peut être fait pour lutter contre la haine en ligne et les autres mesures que le Canada pourrait prendre afin de contribuer à la prévention de génocides futurs et à la reconnaissance de ceux ayant eu lieu.
Nous tenons également aujourd’hui à déclarer publiquement notre fort appui des quatre recommandations en matière de politiques formulées par le Centre consultatif des relations juives et israéliennes en novembre 2018 comme principaux volets d’une stratégie nationale globale de lutte contre la haine en ligne, soit: la définition de la haine, le suivi des comportements haineux, la prévention de la haine et l’intervention pour y mettre fin. De plus, nous convenons du besoin de recourir davantage aux outils existants pour contrer la haine en ligne et d’aussi envisager la mise en oeuvre de nouveaux outils pour aider les autorités à contrer celle-ci.
Nous souhaitons particulièrement souligner le besoin pour les organismes d’application de la loi de traiter les attaques en ligne et les piratages de sites web motivés par la haine de façon prioritaire. Depuis 2008, trois cyberattaques différentes ont ciblé des sites web d’organismes communautaires arméniens. Des sites web de journaux, d’églises et d’organismes communautaires arméno-canadiens se sont vus remplacés par de la propagande anti-arménienne et notamment par des dénégations du génocide arménien. Bien que nous rendions ces incidents publics et les signalions aux forces de l’ordre, aucune mesure active n’est à notre connaissance prise pour identifier les responsables et les traduire en justice. Même si un grand nombre d’attaques en ligne ne se transformeront jamais en violence réelle, il est fort possible que les gens derrière celles-ci soient liés à des groupes prônant ou commettant des actes de violence réels. Faire de l’identification des auteurs d’attaques en ligne motivées par la haine une priorité permettrait aux organismes d’application de la loi d’obtenir des renseignements sur des groupes potentiellement violents et de prévenir des agressions physiques motivées par la haine.
De plus, nous croyons également que les enquêtes périodiques du Centre canadien de la statistique juridique devraient spécifiquement s’intéresser au cybervandalisme motivé par la haine et non se limiter aux victimes de messages haineux en ligne. Le cybervandalisme motivé par la haine est un crime au même titre que le vandalisme physique motivé par la haine, et des ressources policières égales devraient y être affectées. Le Canada doit travailler avec la communauté internationale pour traduire les auteurs de ces crimes en justice, qu’ils se trouvent physiquement au Canada ou non.
À cet égard, la ratification du Protocole additionnel à la Convention sur la cybercriminalité par le Canada en 2005 a constitué une étape importante, particulièrement pour ce qui est de la criminalisation d’actes racistes ou xénophobes, mais nous devons mettre en oeuvre des outils à l’échelle nationale pour permettre l’extradition de suspects et collaborer avec nos partenaires internationaux.
Enfin, les organismes d’application de la loi doivent fournir aux communautés les outils nécessaires pour qu’elles puissent signaler adéquatement ces crimes et être tenues au courant de l’évolution de l’enquête. À l’heure actuelle, nous ne savons pas avec certitude à qui signaler ces crimes ni comment savoir s’ils font l’objet d’une enquête active.
Les torts causés par le cybervandalisme motivé par la haine peuvent dans certains cas être aussi dommageables que le vandalisme physique motivé par la haine pour les communautés. L’étude que le comité entreprend aujourd’hui et qu’il continuera de mener au cours des prochains jours constitue un premier pas essentiel dans la lutte contre la haine en ligne.
Nous remercions le comité d’avoir trouvé le temps de nous accueillir en ce Mois de la commémoration, de la condamnation et de la prévention du génocide pour attirer l’attention sur cet enjeu, et le remercions aussi de contribuer à la prévention de nouveaux génocides. Nous espérons que l’étude mènera à une stratégie nationale efficace pour faire face au problème pressant qu’est la promotion de la haine en ligne.
Je vous remercie.
Merci beaucoup, monsieur le président. Si vous me le permettez, je tiens d’abord à faire deux très brèves déclarations préliminaires.
Tout d’abord, je tiens à souligner que nous sommes aujourd’hui réunis sur un territoire algonquin qui n’a jamais été cédé. Compte tenu du degré de haine en ligne dont sont notamment victimes les Autochtones du Canada, je crois qu’il est très important de le reconnaître d’entrée de jeu.
Aussi, je ne peux m’empêcher de remarquer, en ce qui concerne la répartition hommes-femmes, que les témoins du groupe précédent et ceux du groupe actuel, moi y compris, sont tous des hommes, et seuls deux membres du comité ici aujourd’hui sont des femmes. Comme je le soulignerai dans mon exposé, l’aspect sexiste très virulent de la haine en ligne est quelque chose qui préoccupe particulièrement Amnistie internationale. Je m’attends à ce que le comité cherche à l’avenir des occasions de s’assurer que les personnes visées par cet aspect soient très fortement représentées dans son étude, et présume qu’il le fera.
Je n’empiète pas sur votre temps de parole, mais je dois souligner que le comité n’a pas invité d’individus particuliers; il a invité des organisations. Dans le cadre de ce groupe de témoins ci et du précédent, les organisations que nous avons sollicitées ont choisi d’envoyer des hommes plutôt que des femmes pour les représenter. Ce n’est pas le comité qui leur a demandé d’envoyer des personnes d’un sexe ou d’un autre...
Monsieur le président, je ne faisais pas de reproches au comité. Ce n'était qu'une observation.
Évidemment, la question étudiée par le comité nous permet de braquer les projecteurs sur deux droits de la personne ayant une importance cruciale. Le premier est le droit de ne subir aucune discrimination, et surtout pas la plus odieuse, qui est engendrée par la haine et qui se traduit par des agressions et de la violence pouvant aller, à beaucoup trop d'endroits dans le monde, jusqu'au stade extrême des atrocités de masse comme les crimes contre l'humanité et le génocide. La commémoration importante des horreurs du génocide rwandais, il y a moins d'une semaine, nous rappelle durement cette réalité. J'ai en outre à l'esprit le rappel également important qu'a été ma visite récente au Bangladesh, dans les camps où se trouvent les réfugiés rohingyas, qui ont dû fuir à cause de la haine. Le cyberespace, qui continue de se transformer et de grossir pratiquement tous les jours, est devenu sans aucun doute un lieu de propagation inquiétante des réalités que sont la discrimination et la haine.
Le second droit est la liberté d'expression, dont on dit souvent qu'elle est l'âme du système des droits de la personne. Elle permet d'avoir des opinions et des idées, de les façonner, de les communiquer, de dialoguer avec les autres et de prendre part aux débats publics. La liberté d'expression est essentielle pour de nombreuses raisons, notamment parce que c'est grâce à elle que l'on peut révéler et combattre l'injustice et que notre vision de la société, de la démocratie et de l'environnement peut évoluer de manière à créer un monde meilleur. Le cyberespace est sans doute également un lieu très important et en plein essor pour offrir de nouvelles possibilités de libre expression.
Chaque jour, les enquêteurs, les organisateurs, les défenseurs et les millions de militants et de sympathisants d'Amnistie internationale dans le monde s'emploient à faire respecter ces deux droits de la personne essentiels, qui sont bien entendu inscrits dans de nombreux traités. En droit international, l'interdiction de la discrimination est tellement fondamentale qu'elle ne peut être levée pour aucune raison.
La liberté d'expression est un droit qui, par définition, est limité. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques précise que l'exercice de ce droit comporte des « obligations et des responsabilités particulières » et peut donc être soumis à certaines restrictions, mais uniquement celles qui sont prévues par la loi et qui sont nécessaires au respect des droits des autres. Le mot clé est « nécessaire ».
Je suis d'avis que ce principe et la question des restrictions auxquelles la liberté d'expression est soumise sont au coeur de votre travail. N'oublions pas le mot « nécessaire », car s'il y a une leçon à retenir lorsqu'on oeuvre pour la protection des droits de la personne, c'est bien qu'en restreignant ou en limitant les droits d'une manière ou d'une autre, on s'engage sur une pente savonneuse. Les gouvernements ont facilement le réflexe de limiter les droits. La nécessité est un critère essentiel.
La discrimination issue de la haine ou alimentée par la haine connaît une hausse partout. Elle est souvent facilitée par les canaux de communication nouveaux et accessibles qu'offre le cyberespace. Du moins, ces canaux la font ressortir davantage. La haine misogyne ou raciste est devenue un phénomène dévastateur dans presque tous les médias sociaux. Amnistie internationale a particulièrement mis en évidence cette réalité sur Twitter, dans le cadre de son vaste projet de recherche intitulé Toxic Twitter, qui a révélé, au cours des deux dernières années, la grande quantité d'agressions verbales subies par les femmes dans leurs communications sur Internet. Le degré de violence croît exponentiellement lorsqu'il s'agit femmes de couleur, de femmes de la communauté LGBTI, de femmes autochtones ou de femmes appartenant à d'autres communautés marginalisées. Comme beaucoup d'organisations autochtones, de groupes confessionnels, de militants antiracistes, d'organismes de défense des droits de la personne et d'autres intervenants, nous avons souligné à maintes reprises les nombreuses manifestations de haine et de racisme typiques du suprémacisme blanc qui empoisonnent le monde numérique. Ces comportements ne se limitent pas à l'emploi d'un langage choquant ou offensant pour exprimer un point de vue, mais vont jusqu'à des discussions en ligne chargées de haine qui servent de toile de fond aux menaces contre des partisans des revendications territoriales autochtones ainsi qu'à des actes horribles de violence de masse et des tueries comme celles de Christchurch, de Pittsburgh, de Sainte-Foy, au Québec, et de la rue Yonge, à Toronto.
Permettez-moi de terminer avec six observations ou recommandations très rapides qui, espérons-le, sauront vous inspirer dans la suite de votre travail. Premièrement, il est louable et important que l'incitation à la haine constitue un crime selon le Code criminel du Canada, et un nombre croissant de groupes identifiables sont victimes de ce crime. Toutefois, dans l'optique de la défense des droits de la personne, cela ne signifie aucunement que l'on doive considérer comme pleinement achevé le travail de protection contre la haine au Canada. Le droit pénal constitue rarement, sinon jamais, une solution complète aux problèmes de défense des droits de la personne.
Deuxièmement, vu la hausse rapide des manifestations de haine en ligne et leurs conséquences de plus en plus dévastatrices, les gouvernements n'ont pas le choix d'envisager des mesures additionnelles, notamment le recours à d'autres outils pour enquêter, appliquer la loi et imposer des sanctions.
Troisièmement, comme nous en convenons tous, la haine est manifestement un problème lié aux droits de la personne qui conduit souvent aux formes les plus violentes de discrimination. Dans notre pays, les commissions des droits de la personne ont comme fonction principale de lutter contre la discrimination. Il serait donc normal de songer à leur confier un rôle pour intervenir contre ce problème sérieux.
Quatrièmement, si l'on confiait aux commissions des droits de la personne, y compris la Commission canadienne des droits de la personne, le mandat de combattre la haine en ligne, il faudrait que cela repose sur l'importance vitale de pouvoir vivre à l'abri de toute discrimination et de pouvoir s'exprimer librement ainsi que sur l'élaboration de lignes directrices et de critères clairs qui découleraient des normes internationales sur les droits de la personne et qui aideraient les enquêteurs et les arbitres à cerner et à façonner l'interaction et la relation entre ces droits.
Cinquièmement, compte tenu de l'opposition entre ces droits, de la complexité juridique de la recherche du juste équilibre ainsi que de l'évolution rapide de la nature et de la portée des plateformes concernées, on ne devrait confier un tel mandat aux commissions des droits de la personne qu'à condition de s'engager très sérieusement à leur fournir des ressources adéquates pour la formation, le développement de l'expertise, la recherche ainsi que la sensibilisation et l'éducation du public qui seraient nécessaires.
Enfin, les changements qui seraient apportés au rôle de la Commission canadienne de la personne ou au rôle d'autres organismes de défense des droits de la personne devraient absolument faire partie d'une approche plus globale consistant à lutter contre le problème croissant de la haine en ligne et à répondre au besoin d'élaborer un plan d'action national comme il n'y en a toujours pas au Canada, contre la violence faite aux femmes, y compris dans le cadre de l'élaboration en cours de la stratégie nationale contre le racisme et des mesures de lutte contre l'islamophobie, l'antisémitisme et les autres formes d'intolérance religieuse.
Merci, monsieur le président.
Les membres du comité étudient la question de la haine en ligne et les mesures que le gouvernement fédéral pourrait prendre pour la restreindre.
Avant de chercher une solution au problème, nous devons nous demander d'où il vient et qui est le mieux placé pour le résoudre. On pourrait dire que les recoins sombres du web sont une fenêtre sur les recoins sombres du coeur humain. La cupidité, la luxure, l'anarchie, la convoitise et le mensonge contaminent Internet comme nos coeurs.
Dans L'Archipel du Goulag, Alexandre Soljenitsyne écrit ceci:
[...] la ligne de partage entre le bien et le mal ne sépare ni les États ni les classes ni les partis, mais [elle] traverse le coeur de chaque homme et de toute l'humanité [...] Dans le meilleur des coeurs [subsiste] un coin d'où le mal n'a pas été déraciné.
Dès lors, j'ai compris la vérité de toutes les religions du monde: elles luttent contre le mal en l'homme (en chaque homme). Il est impossible de chasser tout à fait le mal hors du monde, mais en chaque homme on peut le réduire.
Charles Colson, le fondateur de l'association Prison Fellowship International, développe cette idée dans son livre intitulé Justice That Restores. Il écrit qu'il n'y a pas de tâche plus urgente que celle de rétablir la cohésion sociale et de réintégrer la recherche de la vertu dans la vie commune des gens parce que, si la vertu n'est pas présente en chacun, il n'est pas possible de créer une culture de la vertu et que, sans culture de la vertu, on n'arrivera jamais à engager assez de policiers pour maintenir l'ordre.
Alors qu'il s'adressait à un public canadien, Michael Novak lui a fait remarquer, d'un ton incisif, que si le pays était animé par une culture de la vertu, il serait peuplé de 37 millions de policiers, mais que si nous nous moquons de la vertu, nous n'arriverons jamais à engager assez de policiers.
Qui est le mieux placé pour trouver des solutions au problème de la haine en ligne? Les membres du comité n'en sont peut-être pas conscients, mais ils ont fait un grand pas dans la bonne direction lorsqu'ils ont amendé le projet de loi C-51, il y a un peu plus d'un an, afin de conserver la disposition de protection des lieux de culte que renferme l'article 176 du Code criminel.
Non seulement vous avez ainsi manifesté à raison votre volonté de protéger les citoyens vulnérables qui prient et pratiquent leur culte dans une mosquée, une synagogue, un temple ou une église, mais vous avez maintenu la disposition protégeant les institutions capables d'inculquer la vertu aux personnes, de manière à ce que la société soit vertueuse. Si nous voulons une société vertueuse, nous devons protéger les églises, les mosquées et les synagogues pour qu'elles puissent continuer de prêcher la paix, que d'autres appelleront shalom ou salam. C'est là que commence le travail contre la haine en ligne. Il est absolument nécessaire que le comité le comprenne, de même que tout le Parlement. N'affaiblissons pas les lieux de culte. Protégeons-les, et nous pourrons en attendre de bonnes choses.
Néanmoins, je ne suis pas en train de dire que l'État n'a aucun rôle à jouer dans la lutte contre la violence et les massacres insensés qui se produisent lorsqu'on sème la haine, comme nous avons pu le voir en Nouvelle-Zélande et à Pittsburgh. D'ailleurs, un passage du livre des Psaumes parle du rôle de l'État. Le psaume 72 dit ceci à propos du roi:
Car il délivrera le pauvre qui crie, et le malheureux qui n’a point d’aide. Il aura pitié du misérable et de l’indigent, et il sauvera la vie des pauvres; il les affranchira de l’oppression et de la violence, et leur sang aura du prix à ses yeux.
Ce psaume souligne le rôle confié par Dieu à l'État, qui doit protéger le misérable et l'indigent, c'est-à-dire le citoyen vulnérable, contre les effusions de sang et la violence.
Dans son Épître aux Romains, l'apôtre Paul s'inspire de ce commandement et écrit ceci:
[...] le prince est le serviteur de Dieu pour ton bien; mais si tu fais le mal, crains; parce qu’il ne porte point vainement l’épée, car il est le serviteur de Dieu, ordonné pour faire justice en punissant celui qui fait le mal.
Ce passage de la bible veut nettement dire que, dans le cas de la haine en ligne, le gouvernement a un rôle à jouer. Il doit rapidement appliquer la loi pour punir quiconque cherche à commettre de la violence contre une autre personne ou un groupe de personnes. Lorsque le fiel de la haine en ligne devient une incitation à la violence ou des menaces de violence, ce qui est un crime défini à l'article 264.1 du Code criminel, sur l'acte de proférer des menaces, à l'article 318, sur l'encouragement au génocide, ainsi qu'à l'article 319, sur l'incitation publique à la haine, la police doit rapidement enquêter, arrêter l'individu et porter des accusations contre lui pour qu'il soit traduit devant la justice.
Permettez-moi de vous soumettre une réflexion au sujet de l'encouragement au génocide et de l'incitation publique à la haine, où la police ne peut pas agir sans le consentement du procureur général, ce qui est inhabituel. Peut-être qu'en supprimant les deux paragraphes qui exigent ce consentement, la police pourrait serait davantage en mesure d'intervenir rapidement et de prévenir les crimes violents.
Cependant, ARPA Canada souhaite avertir le comité qu'elle s'inquiète beaucoup des excès de zèle lorsqu'on tente de régler le problème de la haine en ligne. Nous avons cosigné une lettre demandant au comité de la justice d'étudier ce problème parce que nous croyions de bonne foi qu'il nous serait possible de soulever nos objections légitimes concernant les mesures qui iraient trop loin.
Nous sommes très préoccupés par toute tentative visant à rétablir la disposition sur les discours haineux dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cette disposition s'est révélée inefficace et on en a souvent abusé. Elle muselle la liberté d'expression et est appliquée de façon manifestement injuste. Permettez-moi de vous donner un exemple de ce que certains ont décrit comme une situation de deux poids, deux mesures politiquement correct.
En 2003, dans l'affaire Quintin Johnson c. Music World Ltd., une plainte avait été portée contre une maison de disques au sujet d'une chanson intitulée Kill the Christian. Le plaignant a lu devant le tribunal les paroles de cette chanson qui parle des chrétiens. En voici une partie:
Nous vous haïssons
Vos paroles ne sont que tromperies
Vous voir mourir me remplirait de joie
Par votre faute, bientôt ce sera
...Satan veut votre perte
Tuez les chrétiens, tuez les chrétiens
Tuez les chrétiens, tuez les chrétiens
...La fin des prédictions
Tuez les chrétiens
Tuez-les tous!
Le tribunal a conclu que même si le contenu et le ton de la chanson semblent discriminatoires à première vue, « le groupe ciblé est très peu vulnérable », et qu'il n'y avait aucune infraction liée au discours haineux. Pourtant, trois ans plus tard, dans l'affaire Lund c. Boissoin, la Commission a conclu qu'une lettre publiée dans un quotidien grand public de Red Deer, en Alberta, et contenant des propos désobligeants au sujet de l'homosexualité constituait un discours haineux et a ordonné à l'auteur de la lettre de cesser toute publication dans les journaux, par courriel, à la radio, en public — y compris dans des sermons — ou sur Internet. Dans ces deux affaires, la présidente du tribunal était Lori Andreachuk.
À mon avis, les discussions de politique publique nécessitent un maximum de liberté d'expression. La liberté d'expression devrait faire en sorte que tous les citoyens se sentent libres de parler du mieux qu'ils peuvent de tous les enjeux de politique publique. Nous pouvons et devons préserver cette liberté. En consacrant certaines de ses ressources à la codification des discours haineux, le gouvernement détournera l'attention des véritables discours haineux qui mènent à la violence. C'est une distraction qui ne fera pas grand-chose pour atténuer le genre de violence qui a eu lieu à Pittsburgh ou en Nouvelle-Zélande.
Je terminerai en présentant mes recommandations.
Premièrement, il faut prendre au sérieux la protection d'autres institutions de la société, dont les institutions religieuses, qui peuvent inculquer la vertu à nos concitoyens.
Deuxièmement, l'État doit punir rapidement ces crimes. Voici ce qu'indique le livre de l'Ecclésiaste, chapitre 8, verset 11: « Car parce qu'une sentence n'est pas immédiatement prononcée contre les méchants, les fils des hommes commettent le crime sans aucune crainte. » Le Comité devrait envisager de supprimer le consentement du procureur général pour entamer des poursuites contre quiconque préconise ou fomente le génocide et l'incitation du public à la haine aux termes des paragraphes 318(3) et 319(6) du Code criminel.
Enfin, nous demandons de ne pas envisager d'inclure des mesures contre les discours haineux dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cela détourne des ressources de la tâche plus pressante qui consiste à prévenir la violence contre les citoyens vulnérables.
Merci beaucoup.
Merci beaucoup. Je vous saurais gré de nous transmettre les liens vers les deux jugements que vous avez évoqués.
Je voudrais remercier le Comité de m'avoir invité à témoigner aujourd'hui afin de représenter la communauté baha'ie du Canada. Je témoigne également à titre de membre de la Canadian Interfaith Conversation, un organe national qui cherche à favoriser et à promouvoir l'harmonie et le dialogue religieux.
Les membres de la religion baha'ie, qui vivent au Canada depuis la fin des années 1800 et qui ont établi des communautés dans la plupart des localités du pays, ne sont pas visés par la haine en ligne. Ce problème est toutefois particulièrement préoccupant pour notre communauté, principalement en raison des enseignements de base de la confession baha'ie concernant la promotion de l'ouverture fondamentale de l'humanité et l'élimination de toutes les formes de préjugé. Les expressions publiques ou privées de haine envers des groupes, que ce soit en ligne ou non, sont contraires à ces croyances.
Nous nous sommes joints à de nombreux autres groupes confessionnels ou groupes de la société civile pour réclamer l'étude des causes fondamentales de l'augmentation de la haine en ligne ayant un lien direct avec des attaques violentes perpétrées contre des groupes particuliers, ainsi que l'examen de solutions potentielles. Les femmes, les musulmans, les juifs, les sikhs et les minorités raciales figurent parmi les plus récentes cibles de la haine fomentée en ligne.
Les attaques récentes menées contre des musulmans à l'heure de la prière dans deux mosquées de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, l'attaque contre des fidèles juifs à la synagogue Tree of Life de Pittsburgh et la fusillade au Centre culturel islamique de Québec sont autant d'exemples récents d'actes posés par des tueurs ayant passé un temps considérable dans le monde numérique de la haine.
Comme M. Richard Moon l'a conclu, les crimes haineux sont le plus souvent commis par des personnes baignant dans des sous-cultures extrémistes oeuvrant en marge du discours public, principalement sur Internet.
Il s'agit malheureusement d'un problème auquel les baha'is ont été directement confrontés dans d'autres pays. Dans le cas le plus grave, soit celui de l'Iran, une campagne médiatique de diffamation et d'incitation à la haine soutenue par le gouvernement a été directement liée à des flambées de violence et de meurtres contre les baha'is. Une tendance semblable a commencé à se faire jour dans le pays tout près qu'est le Yémen.
Le nombre croissant d'incidents montre donc clairement que la propagation de la haine en ligne contre des groupes précis peut inciter certaines personnes déjà enclines au fanatisme à agir avec violence.
Que faudrait-il faire pour s'attaquer au problème? Toute solution durable doit, d'une manière ou d'une autre, tenir compte des rôles et des responsabilités des particuliers, des groupes, des sociétés et des organismes gouvernementaux. En ce qui concerne le gouvernement, j'éviterai de dire si l'article 13 devrait être rétabli ou si les dispositions relatives au discours haineux du Code criminel sont suffisantes pour entamer des poursuites dans des affaires de haine en ligne. Comme d'autres témoins l'ont fait valoir, il faut assurer un délicat équilibre entre l'échange libre d'idées dans la sphère publique et la punition de ceux qui veulent propager la haine plutôt que la vérité. Le gouvernement et, par voie de conséquence, les tribunaux ont manifestement un rôle à jouer en poursuivant ceux qui s'adonnent aux discours haineux.
De plus, il est de plus en plus évident que le gouvernement doit intervenir au chapitre des politiques afin d'atténuer les répercussions des utilisations les plus préjudiciables des réseaux sociaux. En dépit des mesures prises récemment par Facebook et Twitter afin d'éliminer certains comptes, le gouvernement a un rôle à jouer en réglementant les plateformes en ligne. Pour être efficace, l'intervention stratégique doit faire appel à la communauté nationale et locale afin d'établir des normes pour ces plateformes. Comme l'a souligné David Kaye, rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté d'expression, il vaut mieux s'appuyer sur les normes des droits internationaux de la personne plutôt que sur les jugements arbitraires des plateformes en ligne pour établir ces normes. Il faut délimiter les droits et les responsabilités des utilisateurs, et instaurer des mesures de sécurité pour que la liberté d'expression ne soit pas indûment restreinte.
Cependant, l'intervention du gouvernement à elle seule ne suffit pas. La société civile a aussi un rôle à jouer en poussant les sociétés dans la bonne direction, au-delà de la lettre de la loi. Une organisation, Change the Terms, a demandé aux sociétés technologiques comme Facebook, Google et Twitter de prendre des mesures pour régir l'utilisation des médias sociaux, des mécanismes de paiement, des pages de planification d'activités, des clavardoirs et des autres applications utilisées aux fins d'activités haineuses. Voilà des démarches concrètes qui peuvent être entreprises par ces puissantes compagnies, qui ont des comptes à rendre au gouvernement et à la société en général. Ces mesures peuvent assainir la sphère publique pour nous tous.
Enfin, une responsabilité en matière d'éducation repose sur les épaules des dirigeants communautaires, des enseignants, des familles et des parents. Des changements d'attitudes, de valeurs et de comportements font nécessairement partie de la solution.
Au bout du compte, l'environnement en ligne est le miroir de notre société. Nous vivons dans un mode où bien des gens propagent les préjugés contre certains groupes, même si ce n'est pas dans l'intention de provoquer des réactions violentes. Les dirigeants religieux ont notamment la responsabilité d'éduquer les gens, de promouvoir l'harmonie et la concorde, et de ne pas attiser les flammes du fanatisme et des préjugés. Les jeunes ont particulièrement besoin d'avoir accès à l'éducation, qui leur montre dès leplus jeune âge que l'humanité constitue une seule et même famille. Ils ont besoin d'une éducation et d'un mentorat allant au-delà de la condamnation simpliste de la haine ou d'un ensemble de comportements à adopter ou à éviter dans leurs activités en ligne. Les jeunes doivent se constituer un solide cadre moral sur lequel fonder leurs décisions au sujet de leurs activités en ligne, du contenu qu'ils choisissent de consommer et de la manière dont ils utilisent leur liberté d'expression quand ils communiquent avec des amis et des étrangers en ligne.
Toute solution à long terme à la haine en ligne doit tenir compte de cette génération qui grandit dans un environnement d'information qui suscite la confusion et la polarisation, et qui est indifférent à leur développement éthique et moral. Qui apprend aux jeunes à s'exprimer en utilisant un langage visant à éduquer plutôt qu'à rejeter ou à dénigrer? Quand ils cherchent à s'informer au sujet des questions sociales, comment feront-ils la différence entre une critique intelligente et une propagande haineuse? Quels outils éthiques et soutien social leur offrons-nous alors qu'ils s'aventurent dans le monde en ligne?
Ce n'est pas qu'au gouvernement qu'il incombe de répondre à ces questions; cela fait partie d'une réaction à la haine en ligne à laquelle nous devons tous accepter de participer.
Merci.
Merci beaucoup.
Je remercie infiniment tous les témoins de leurs interventions.
Nous passerons maintenant aux questions, en commençant par M. Barrett.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie tous les témoins qui comparaissent aujourd'hui. Dans le cadre de notre étude, il importe que tout le monde convienne que nous dénonçons sans contredit la suprématie blanche, le racisme et l'intolérance à l'égard de tout groupe, ainsi que les idéologies haineuses. Je pense qu'en nous entendant là-dessus, nous irons de l'avant sur des bases solides.
Je reviendrai à ce que M. Cameron a dit sur la manière dont nous pouvons encourager le signalement de la propagande haineuse en ligne. Il faudra manifestement une approche faisant intervenir toute la société pour résoudre le problème. Le gouvernement peut faire ce qu'il incombe aux gouvernements de faire. Comme aucun des principaux acteurs n'est une entreprise canadienne, nous avons besoin de leur collaboration volontaire dans bien des cas pour avoir une incidence réelle. Comme M. Schutten l'a fait remarquer, toutefois, 37 millions de personnes travaillant ensemble seront plus efficaces que n'importe quels agents du gouvernement.
Comment nous recommanderiez-vous d'encourager le signalement de la propagande haineuse? Cette question s'adresse aux quatre témoins.
Je commencerai à répondre en traitant de certaines conclusions issues de la recherche d'envergure que nous avons réalisée sur Twitter. Si je parle de Twitter, ce n'est pas parce que je considère que c'est la pire plateforme — et ce n'est certainement pas la seule qui suscite des préoccupations —, mais simplement parce que c'est celle sur laquelle nos travaux ont porté.
Nous avons notamment observé le fait fort préoccupant que bien des gens signalent les abus — notre étude portait particulièrement sur les femmes —, mais les plaintes n'aboutissent nulle part. Il existe un manque profond de transparence au sujet des mécanismes que Twitter a instaurés pour réagir au problème, par exemple. Le réseau ne rend pour ainsi dire aucun comptes sur le traitement des plaintes; voilà qui soulève une kyrielle de préoccupations sur la reddition de compte chez Twitter.
Sachez que je conviens parfaitement avec vous que le problème vient en partie du fait que ces puissantes plateformes en ligne ne sont pas canadiennes. Bien entendu, cela ne signifie pas que les citoyens et les gouvernements fédéral et provinciaux canadiens n'ont pas de rôle très important à jouer à cet égard. Ils peuvent exercer des pressions constantes sur les plateformes en ligne pour s'assurer qu'il est réellement possible de faire ce que vous dites et d'obtenir une véritable réaction pour que des mesures soient prises au sujet de la haine en ligne légitime sur ces plateformes et que les compagnies elles-mêmes rendent davantage de comptes au public afin de révéler l'étendue du problème et monter ce qu'elles font à ce sujet.
C'est une tâche délicate de dénoncer les propos haineux en ligne. J'ai deux observations à faire à ce sujet. D'abord, l'approche pansociétale me rassure un peu à l'égard de l'exagération dans la liberté d'expression, en ce sens qu'on voit des organisations, comme Amnistie internationale et d'autres, qui effectuent des études et des enquêtes d'envergure et ainsi de suite. Je crois que c'est un bon début.
En ce qui a trait aux particuliers qui dénoncent ce qu'ils voient en ligne, la difficulté réside dans le fait que tout le monde a sa propre définition de la haine. Je pense qu'on voit de plus en plus — je parle seulement du contexte canadien — qu'on n'est plus capables d'exprimer son désaccord. On ne sait plus comment discuter. Sur Internet, les gens sont tout particulièrement empressés de coller des étiquettes, comme des mots qui finissent par « phobie » — homophobie, islamophobie, christophobie, ou peu importe —, sur tout ce qui les rend mal à l'aise ou avec lequel ils sont en désaccord. Cela étouffe les bons débats honnêtes et rigoureux sur les questions, les idées, les politiques et ainsi de suite.
Dans le premier groupe de témoins, il a été question d'un bouton universel sur lequel on pourrait cliquer pour signaler des crimes haineux, si l'on peut dire. Il me semble toutefois qu'il serait facile d'abuser d'un tel mécanisme, à moins que nous soyons capables de tous nous entendre sur une définition de la haine en ligne, du moins sur des critères de base.
Je suis d'accord sur ce que nous avons écrit dans la lettre initiale au comité concernant la nécessité de définir la haine. Ce sera une tâche très difficile, mais nous devrons nous bien nous en acquitter.
Merci.
Je pense que la manière de signaler certains propos est une question secondaire par rapport aux critères qui doivent servir à déterminer s'il y a lieu de les signaler. Je partage les observations faites par d'autres témoins à ce sujet.
Comme je l'ai dit dans mon allocution, je crois qu'une saine discussion a lieu actuellement concernant les conditions d'utilisation établies par les plateformes en ligne. Je pense qu'il faudra nécessairement réviser ces conditions, non seulement pour se conformer à la réglementation imposée par le gouvernement, mais aussi pour tenir compte du point de vue des groupes locaux et communautaires et pour respecter les normes internationales sur les droits de la personne.
Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une simple question technique, mais d'une remise en cause pour préciser exactement ce qui est acceptable et pour définir des critères servant à déterminer si des propos sont acceptables ou non dans ces plateformes.
Très rapidement, j'aimerais parler du problème du cybervandalisme et de sa dénonciation. C'est un sujet que j'ai déjà abordé.
Si, pour un motif haineux, quelqu'un vandalisait une structure physique appartenant à la communauté arménienne, je saurais comment le signaler; ce serait assez facile. Si quelqu'un inscrivait des graffitis sur mon centre communautaire, je saurais exactement comment le signaler à la police.
Cependant, si quelqu'un piratait mon site Web et en remplaçait le contenu avec le même genre de propagande haineuse qu'elle aurait peinte sur mon centre communautaire, je ne saurais pas du tout à qui le signaler. Par exemple, le site Web d'un organisme canadien pourrait être hébergé aux États-Unis ou dans un autre pays. Les auteurs du piratage pourraient se trouver n'importe où dans le monde et demeurer dans l'anonymat le plus complet, sans qu'il soit possible de les identifier ou de savoir s'ils ont déjà mis les pieds au Canada.
Les pirates informatiques peuvent voler nos données. Par exemple, on nous a volé des listes d'envoi et on a envoyé des courriels haineux aux destinataires. Dans ce cas aussi, nous ne savons pas du tout à qui nous devons nous adresser. On devrait informer les organismes communautaires pour qu'ils sachent comment signaler ce genre de méfait. Il faudrait consigner ces méfaits, de la même façon qu'on le fait dans le cas du vandalisme physique. Autrement, le nombre de crimes haineux au Canada sera sous-estimé.
Je recommanderais au comité de collaborer avec les organismes d'application de la loi, surtout à l'échelon fédéral — il me semble que c'est là qu'on est le mieux placé pour s'occuper de cette question —, en vue de déterminer comment les gens devraient signaler de tels actes et à quels organismes d'application de la loi ils devraient les signaler. Il faudrait aussi demander à ces organismes de traiter ces affaires en priorité.
J'aimerais souligner, à l'intention des témoins, que le comité a apporté un amendement à un projet de loi d'initiative parlementaire présenté par un de nos collègues, Chandra Arya. Quand vient le temps de déterminer s'il s'agit d'un crime haineux, l'amendement permet de traiter un centre communautaire arménien, par exemple, selon les mêmes critères que les églises, les mosquées et les synagogues, qui étaient les seules à bénéficier de cette protection auparavant.
Nous comprenons ce que vous dites. Merci beaucoup.
Nous passons à M. Ehsassi.
Merci, monsieur le président.
Merci à tous les témoins. Je pense que vous avez beaucoup aidé à mettre en évidence cet énorme problème qu'il faut régler.
Monsieur Neve, nous venons d'entendre M. Mirakian nous dire qu'un des problèmes est que personne ne sait comment signaler ce qui se passe sur les plateformes en ligne. Il me semble que le leadership dont Amnistie internationale a fait preuve concernant les abus sur Twitter... Je pense que, dans votre réponse, vous avez mentionné que Twitter n'a pas été très efficace pour repérer la haine en ligne ni pour y réagir. Avez-vous constaté que certains autres outils médiatiques étaient plus efficaces que Twitter?
Je n'oserais pas prétendre que nous avons effectué cette comparaison assez rigoureusement pour que je puisse vous en donner les résultats avec assurance. Je crois que ce qu'on constate — et je pense avoir entendu des observations en ce sens dans les témoignages précédents —, c'est que bon nombre d'entreprises offrant des plateformes Internet commencent à s'inquiéter et voient à quel point elles sont vulnérables à cet égard. Je pense que c'est en partie parce qu'elles se rendent compte à juste titre de leur responsabilité, voire de leur culpabilité relativement aux abus et aux actes de violence très graves qu'ont entraînés leurs approches passées. La nouvelle attitude de ces entreprises est aussi en partie attribuable à des motifs d'ordre commercial.
Twitter a été lente à réagir, ce qui a été frustrant et problématique. On commence à voir des progrès. On apporte des changements, mais on le fait lentement. Je pense qu'il faudrait exercer beaucoup plus de pression et que cette pression devrait venir entre autres des gouvernements. Ils doivent faire connaître très clairement et officiellement leurs exigences et leurs recommandations aux compagnies comme Twitter pour provoquer des changements qui favoriseront la prévention, la reddition de comptes et la surveillance.
À propos des gouvernements, on nous a dit aujourd'hui qu'à certains endroits ou dans certains pays, on réussissait mieux qu'ailleurs à combattre la haine en ligne. On a donné l'exemple de l'Allemagne. Y a-t-il un endroit en particulier que les témoins pourraient citer comme exemple et où l'on a établi un bon cadre réglementaire ou juridique?
Je ne saurais vous répondre, moi non plus, mais je vais certainement me renseigner. Évidemment, j'ai accès à des réseaux mondiaux. Toutefois, je serais surpris que mes recherches me permettent d'indiquer au comité un endroit dans le monde qui serait un modèle à suivre. À mon avis, nous sommes devant un problème encore nouveau avec lequel pratiquement tous les gouvernements sont aux prises. Ils n'ont toujours pas réussi à le régler, mais je suis certain qu'il existe quelques bonnes pratiques dont nous pourrons vous informer.
On nous a parlé notamment de l'augmentation alarmante de la haine en ligne. On nous a parlé des robots et on nous a donné toutes sortes de statistiques à faire frémir. Je suis particulièrement inquiet lorsque j'apprends que certaines communautés font face à de la haine approuvée par l'État. Dans le cas de la communauté baha'ie, Monsieur Cameron, il est bon de savoir qu'il y a peu d'activité au Canada qui nous donnerait des motifs de craindre pour elle.
Est-ce qu'on a vu des acteurs étatiques s'en prendre à des groupes en particulier? Avez-vous des indications montrant que la communauté baha'ie du Canada aurait été visée par des États étrangers?
Je veux dire à l'étranger. Avez-vous l'impression que des États essaient de promouvoir la haine en ligne?
Comme je l'ai dit pendant mon allocution, l'information qui nous provient de l'Iran nous indique que des dizaines de milliers de messages de propagande ont été publiés dans les médias d'État et ont été retransmis par d'autres acteurs de la société. Des meurtres ayant été commis en toute impunité sont liés directement à cette violence.
Comme je l'ai dit, même si notre communauté n'a pas été ciblée par la haine en ligne ici, au Canada, nous ne sommes pas épargnés, vu le nombre de baha'is iraniens qui sont venus au Canada. Bon nombre d'entre eux sont des réfugiés ayant fui la violence qu'avait provoquée dans bien des cas la propagande commanditée par l'État, souvent en ligne.
Monsieur Mirakian, je m'en voudrais de ne pas vous poser la même question. Avez-vous relevé, dans d'autres pays, des cas de propagande haineuse approuvée par l'État qui mériteraient d'être portés à notre connaissance, au Canada?
Je ne sais pas si on en a entendu parler au Canada, mais, par exemple, le président de l'Azerbaïdjan a déclaré dans un gazouillis que la diaspora arménienne ou tout le peuple arménien était l'ennemi de l'Azerbaïdjan. Il a publié ce gazouillis en anglais pour que tout le monde puisse le comprendre.
Il est difficile de savoir s'il voulait cautionner les attaques dont nous faisons l'objet de la part d'acteurs qui, à l'étranger, diffusent ce genre de propagande ou s'il cherche lui-même à faire de la provocation en sachant pertinemment qu'elle risque d'avoir des conséquences.
Évidemment, je n'ai aucun moyen de le savoir. J'aimerais bien que les organismes canadiens d'application de la loi enquêtent sur ce genre de choses pour vérifier si des États commanditent de la propagande haineuse en ligne.
Merci.
Monsieur Neve, puis-je vous poser une question concernant l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne? Pourriez-vous en parler et nous décrire l'écart qui s'est creusé entre cette loi et la réalité?
Nous croyons que cela vaut la peine d'être examiné. Nous sommes conscients des préoccupations entourant la façon dont certains cas ont été traités par le passé, et nous ne sommes pas en désaccord.
Nous ne parlons pas du passé; nous parlons d'aujourd'hui. La haine en ligne n'est pas du tout la même chose aujourd'hui qu'il y a cinq ou six ans lorsque l'article 13 a été aboli, et la différence est encore plus marquée comparativement aux années pendant lesquelles cet article était en vigueur.
Je crois qu'il vaut la peine de se demander si la commission a un rôle à jouer ici, compte tenu de tout ce que j'ai dit plus tôt. Il faudrait alors clairement reconnaître l'importance des deux droits et fournir la formation, l'expertise et les ressources nécessaires, selon des normes internationales, pour pleinement comprendre l'intime relation entre ces deux droits.
Merci à tous nos témoins d'être ici aujourd'hui.
L'un des problèmes de l'environnement en ligne, c'est que les gens lisent des articles et des textes publiés et croient que tout cela est vrai. Ils ne remontent pas souvent jusqu'à la source. Je crois qu'il existe une certaine méfiance à l'égard des médias grand public dans notre pays et que les citoyens auraient besoin d'acquérir des compétences médiatiques.
Monsieur Cameron, vous avez parlé un peu d'éducation. Je pense qu'un des éléments centraux du problème est la compréhension qu'ont les gens de ce qui constitue un document médiatique authentique par opposition aux messages haineux qu'on retrouve sur Internet et de leur capacité de faire la différence entre les deux.
Je ne crois pas que la majorité des gens possèdent ce genre de capacités d'analyse. Les députés ici présents reçoivent tous de nombreux courriels de gens de leur circonscription qui leur envoient un lien en leur demandant de quoi il est question. Nous sommes souvent capables de leur dire que c'est une fausse nouvelle ou de confirmer que la source n'est pas crédible, mais c'est tout un problème.
Pouvez-vous nous parler à tour de rôle de ce que notre système d'éducation pourrait faire, à votre avis, pour combattre la haine en général et les messages haineux sur Internet en particulier? J'ai deux fils adolescents, et je n'ai pas l'impression que notre système d'éducation suit le rythme de l'évolution de la culture, des activités en ligne et des technologies. Nos enfants se servent de plateformes dont nous ignorons l'existence même. Il y a des transferts d'information qui se passent dans des recoins d'Internet où il n'y a probablement pas beaucoup de parents ou d'adultes en général.
J'aimerais que vous nous disiez comment notre système d'éducation pourrait intervenir et comment nous pourrions pallier ce déficit de capacités chez les adultes également. La plupart d'entre nous ici présents ont assisté à l'avènement d'Internet et se sont mis à utiliser Facebook et d'autres plateformes pour partager du contenu avec famille et amis et faire toutes sortes d'autres choses, mais notre compréhension de ce qui se passe dans l'environnement en ligne est très limité.
J'aimerais que vous nous parliez du rôle que le système d'éducation pourrait jouer à cet égard.
La réponse courte est oui, je suis tout à fait d'accord. Je pense qu'il est tout à fait approprié de parler de compétences médiatiques.
Nous pouvons probablement tous convenir que les compétences médiatiques, avant l'avènement des médias sociaux, ont toujours été très peu abordées par notre système d'éducation. Même lorsque les préoccupations concernaient principalement les médias traditionnels grand public, il y avait déjà des enjeux, notamment montrer aux citoyens comment aborder et utiliser les médias. C'est un enjeu qui est infiniment plus pertinent de nos jours.
Même si je connais de bons professeurs et que je sais qu'il existe de bonnes pratiques et des modules utiles, notamment à travers l'expérience de mes enfants dans le système d'éducation, il ne fait aucun doute que ce qui est offert aux jeunes Canadiens en ce qui concerne les médias électroniques et la responsabilisation à cet égard est très variable. Il faut absolument en faire une priorité, à mon avis.
Je suis du même avis. Je pense que l'éducation est toujours une bonne chose. Le comité pourrait sans doute se pencher sur la question des champs de compétence. On sait que l'éducation relève des provinces, mais le fédéral peut certainement inciter les provinces à en faire plus à ce sujet.
Selon moi, l'utilisation sûre d'Internet est source de grandes préoccupations. Nous avons réclamé que davantage soit fait à l'égard de l'éducation sexuelle, par exemple, pour que les jeunes soient mieux informés sur tout ce qui touche à l'utilisation sûre d'Internet.
À cet égard, je pense qu'une définition saine de ce qu'est la haine et une solide formation sur les façons d'exprimer correctement son désaccord sont des éléments essentiels. Je crois que cela serait très utile et contribuerait à tempérer le discours en ligne.
Le concept d'anonymat en ligne est aussi un facteur déterminant. Les gens n'utilisent pas leur vrai nom. Ce sont parfois même des robots qui se cachent derrière les pseudonymes. On ne peut même pas savoir s'il y a une vraie personne à l'autre bout.
Nous sommes tous au courant de cas horribles où cet anonymat a servi à la traite ou au leurre de personnes et à toutes sortes d'autres choses sordides, mais quand on ne peut même pas identifier clairement qui sont les personnes en cause, comment peut-on même essayer de les empêcher de nuire?
Je crois moi aussi que les compétences médiatiques sont extrêmement importantes.
Je suis aussi préoccupé par ce qu'on pourrait appeler le discours quasi haineux, c'est-à-dire les préjugés qui s'immiscent dans les commentaires en ligne et qui font qu'il est amusant de faire des blagues antisémites ou racistes entre amis. Je m'inquiète également de voir que la polarisation de notre société est renforcée par des algorithmes en ligne qui orientent les internautes — surtout les jeunes — vers du contenu qui tend vers les extrêmes, ce qui entraîne naturellement une exposition à des discours de plus en plus haineux.
Au-delà de l'éducation à propos des sources des nouvelles, je pense qu'il faut aller beaucoup plus loin et montrer aux gens comment reconnaître les commentaires préjudiciables ou potentiellement haineux avant qu'ils soient eux-mêmes incités à commettre des gestes violents ou haineux.
Je pense que le gouvernement fédéral pourrait donner plus d'exemples, notamment dans les ressources qu'il rend disponibles en ligne, des conséquences de la haine dans l'histoire du Canada et du monde.
Il existe déjà une page Web du ministère du Patrimoine canadien sur l'Holocauste. On pourrait faire la même chose au sujet d'autres génocides et crimes contre l'humanité. De plus, les cas de crimes haineux commis au Canada devraient être soulignés, par exemple sur le site Web du Musée canadien des droits de la personne ou du ministère du Patrimoine canadien, voire même sur celui d'Affaires mondiales Canada.
Certains de ces cas ont une importance historique. Il est important de se rappeler les événements comme l'émeute de Christie Pits ou... je ne me souviens plus du nom exact. Je sais que tous les noms de navires japonais se terminent par Maru. Il y a eu cet incident sur un de ces navires avec les sikhs. Les démêlés entre les Canadiens européens et les peuples autochtones devraient aussi être mieux soulignés. Ces ressources devraient être disponibles afin que les gens aient une source vers laquelle se tourner pour dire: « Voici ce qui est vrai. »
J'ai une seule question. Je laisserai le reste de mon temps à M. Virani.
Monsieur Neve, vous avez mentionné une étude qui avait été commandée par Amnistie internationale, si je ne m'abuse. Pouvez-vous transmettre cette étude au comité?
Oui, certainement. Elle n'a pas été commandée par Amnistie, par contre; elle a été réalisée par Amnistie.
Il s'agit d'une étude qui portait sur l'aspect sexiste de la violence dans l'univers de Twitter, intitulée « Toxic Twitter ».
Merci. Cette étude serait très utile pour nos délibérations.
Comme le temps file, je reste avec vous, monsieur Neve.
Certaines plateformes de médias sociaux donnent à des organisations ou à des particuliers la possibilité de payer pour faire voir leurs messages, leurs opinions ou peu importe quoi d'autre à un plus grand nombre de personnes. Des organisations recueillent de l'argent en exploitant les peurs des gens ou versent de l'argent à des groupes d'intérêts pour propager leur discours haineux.
Pensez-vous qu'on pourrait élaborer un cadre sur le contenu commandité, sur la propagation d'un certain discours, afin que ceux qui ont le plus d'argent ne finissent pas par être les seuls à se faire entendre sur Internet? J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Tout à fait. En toute franchise, j'admets qu'Amnistie internationale utilise parfois ce genre de mécanismes.
Nous n'avons pas autant de ressources que la plupart des autres organisations, alors cela donne un petit élan sur Facebook, mais il est parfois nécessaire d'y avoir recours pour diffuser un message positif.
Je crois que ce sera un élément clé de toute stratégie globale visant à contrer la haine en ligne. Une telle stratégie doit cibler toutes les manifestations de la haine et les mécanismes par lesquelles celle-ci se taille une place prépondérante dans le monde numérique. Si ce sont parfois ceux qui ont les plus gros moyens qui réussissent à diffuser leur message haineux à la plus large audience, alors c'est à ce phénomène que la stratégie doit s'attaquer d'abord et avant tout.
C'est généreux de votre part. Merci, madame Khalid.
Il reste environ quatre minutes.
Tout d'abord, merci à vous tous.
Je suis heureux de vous revoir, Shahen, à Toronto. Merci d'être avec nous. Votre contribution est inestimable.
J'ai quelques points à soulever.
Merci d'avoir mentionné le projet de loi C-51 et les amendements qui y ont été apportés. Le gouvernement a également apporté des changements concernant le financement de l'infrastructure de sécurité, qui sert à améliorer les capacités de surveillance et la sécurité dans les lieux de culte. Malheureusement, ces changements ont été provoqués par des actes horribles. Le financement a été doublé après la fusillade à la mosquée de Québec, puis à nouveau après la fusillade en Nouvelle-Zélande. Je pense toutefois que c'est important.
Monsieur Neve, vous avez aussi souligné que l'argent prévu dans le budget de 2019 pour le secrétariat de lutte contre le racisme allait servir à élaborer une stratégie solide de lutte contre le racisme. Certains sujets nous interpellent tous. Ces sujets-ci me tiennent particulièrement à coeur.
Monsieur Schutten, je voulais vous poser une question sur un aspect central de la question qui nous occupe. Vous semblez vous y connaître en droit, alors je vais vous poser une question juridique très pointue. L'équivalent de l'article 13 a été examiné par la Cour suprême dans l'arrêt Whatcott, et l'article 13 a été maintenu, avec une petite précision concernant le fait de « rabaisser » quelqu'un, lequel fait partie du domaine de la liberté d'expression.
Cela dit, votre position, que vous avez exprimée de façon convaincante, concerne-t-elle l'ancien libellé de l'article 13, que la Cour suprême du Canada a maintenu, ou plutôt les décisions qui ont été rendues? En tant qu'avocat, je sais que les décisions incohérentes sont ce que nous détestons le plus. Qu'en est-il exactement?
La Cour suprême, dans l'arrêt Whatcott, a dit que le fait d'avoir une disposition sur les propos haineux dans le Saskatchewan Human Rights Code était l'un des moyens pour le gouvernement de lutter contre les propos haineux, entre autres, mais elle n'a pas dit que cette disposition était nécessaire. ll n'est donc pas obligatoire d'un point de vue constitutionnel, pour un gouvernement, d'avoir une disposition sur les propos haineux. Je dirais que la Cour suprême a été assez claire là-dessus.
Cela dit, je pense que même après l'arrêt Whatcott, la meilleure décision de politique publique est de ne pas contrôler la liberté d'expression, même celle du style de M. Whatcott, car cela n'atteint pas le niveau de la violence, le seuil du type d'événements qui ont nécessité la tenue de cette audience.
Je ne défends pas du tout la façon dont M. Whatcott s'est exprimé, mais c'est une personne qui tente de s'engager dans un débat d'intérêt public. Il ne le fait pas de la bonne manière, mais c'est ce qu'il tente de faire. De plus, son engagement concerne particulièrement le discours politique, et de tous les aspects de la liberté d'expression, le discours politique est celui qu'il est le plus important de protéger. Nous pouvons argumenter pour savoir si la Cour suprême avait raison ou non, mais je crois que la ligne est extrêmement mince en ce qui concerne cette liberté d'expression politique.
Je peux également faire parvenir au comité un article d'une revue évaluée par des pairs que j'ai publié conjointement avec un professeur de droit d'Osgoode Hall et qui porte sur l'arrêt Whatcott et sur la raison pour laquelle nous estimons que la Cour suprême s'est trompée.
Vous nous avez tous encouragés à mieux suivre... Et je suis conscient que lorsque nous avons étudié la motion M-103, des gens ont affirmé que les musulmans feraient les signalements aux groupes musulmans de la société civile et que les juifs feraient les signalements aux groupes juifs de la société civile. L'organisme B'nai Brith, qui est représenté ici aujourd'hui, a publié un excellent rapport sur les crimes haineux. Comment pouvons-nous mettre à profit la société civile pour nous aider à faire ce suivi dont il a été question ce matin?
Je crois qu'il est très difficile pour ces groupes de faire le suivi des propos haineux en ligne. J'ai discuté avec des responsables du Conseil national des musulmans canadiens avant de venir témoigner, aujourd'hui, et je leur ai demandé des rapports sur les propos haineux en ligne contre les musulmans, mais ils n'ont pas été en mesure de fournir des rapports exhaustifs. Pourtant, il s'agit d'un organisme bien structuré qui fait un excellent travail. Je crois donc qu'il est difficile de faire un suivi efficace.
Je dirais qu'il est risqué que ce soit uniquement ou principalement les communautés qui s'en occupent. Il y aura des contraintes en matière de ressources. Il y aura des craintes. Il y aura divers obstacles.
Je dirais aussi que le gouvernement a un rôle à jouer pour collaborer avec les communautés afin de concevoir et peut-être même de gérer les bons mécanismes de signalement, ainsi que de fournir les ressources nécessaires. Il faut vraiment que ce soit un effort conjoint à l'avenir. Autrement, ce sera tout au plus une approche fragmentaire. Certaines communautés auront davantage d'intérêt, de capacité et de ressources, et d'autres moins, mais la dernière chose que nous voudrions, c'est avoir une image incomplète et déformée de l'ampleur du problème de la haine au pays.
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