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Chers collègues, le greffier m'informe que nous avons le quorum, que les micros de tous les témoins ont été testés et que tout fonctionne bien. Je déclare donc ouverte la 89
e réunion du Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées de la Chambre des communes.
Conformément à l'article 108(2) du Règlement, le Comité reprend son étude sur l'incidence des technologies de l'intelligence artificielle sur la main-d'œuvre au Canada.
La réunion d'aujourd'hui se déroule en format hybride, c'est‑à‑dire que les membres y assistent en personne ou en ligne.
Vous pouvez choisir la langue officielle de votre choix. Pour intervenir, les participants en ligne peuvent utiliser l'icône du globe qui se trouve au bas de l'écran. En cas d'interruption des services d'interprétation, veuillez attirer mon attention en cliquant sur l'icône « main levée », et nous suspendrons la séance le temps de corriger la situation.
Je rappelle aux membres qui sont sur place de tenir leur oreillette loin du micro afin d'éviter que les traducteurs n'entendent la réverbération en provenance de votre appareil. Je demande également aux membres de parler lentement et distinctement afin de permettre aux interprètes de bien faire leur travail.
Aujourd'hui, nous avons deux groupes d'experts.
Pour le premier groupe, nous accueillons, à titre personnel et par vidéoconférence, James Bessen, professeur et directeur de l'Initiative de recherche sur la technologie et les politiques de la Boston University. Sur place, nous avons Angus Lockhart, analyste principal des politiques au Dais de l'Université métropolitaine de Toronto. Enfin, par vidéoconférence, nous entendrons Olivier Carrière, qui est adjoint exécutif au directeur québécois d'Unifor.
Bienvenue à tous. Je crois, monsieur Carrière, qu'il y a eu des problèmes lors de votre dernier passage. Merci d'être revenu.
Nous allons tout de suite passer aux déclarations liminaires, en commençant par vous, monsieur Bessen, si vous êtes prêt. Vous disposez d'un maximum de cinq minutes.
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Bien sûr. Je ne serai pas long.
L'intelligence artificielle a fait l'objet d'un énorme battage médiatique, et je pense que cela a fait en sorte qu'il est très difficile d'en saisir les répercussions.
J'ai tendance à considérer qu'elle s'inscrit dans la continuité des changements apportés par les technologies de l'information au cours des 70 dernières années, notamment au chapitre de l'automatisation.
L'intelligence artificielle peut faire des choses fascinantes et formidables. Certaines d'entre elles sont tout simplement renversantes. Malheureusement, nombre d'entre elles sont encore très loin d'être arrivées au point où elles pourraient remplacer la main-d'œuvre.
En fait, ce qui a tendance à se produire — et cela s'est vérifié tout au long de la période —, c'est que l'automatisation s'applique surtout à des tâches bien précises d'un emploi donné plutôt qu'à l'emploi dans son ensemble. Beaucoup de gens se font des idées à ce sujet. Il y a très peu d'emplois qui ont été complètement automatisés grâce à la technologie. J'ai consulté le recensement américain afin de repérer les professions qui ont été complètement automatisées par la technologie. Je n'en ai trouvé qu'une seule: celle d'opérateur d'ascenseur. D'autres emplois ont été perdus et d'autres professions ont disparu parce que la technologie est devenue obsolète ou que les goûts ont changé. C'est pour ces raisons qu'il n'y a plus de télégraphistes. Idem pour les préposés au ménage dans les pensions de famille.
Tout cela s'est produit au cours d'une période où la technologie a eu une incidence considérable sur l'automatisation des tâches, la main-d'œuvre et la productivité. En gros, cela signifie que l'on a beaucoup craint que l'intelligence artificielle ne provoque une augmentation radicale du chômage. Or, nous utilisons l'intelligence artificielle depuis les années 1980 et nous ne constatons pas de chômage massif. Je ne pense pas que nous verrons cela au cours des deux prochaines décennies. En revanche, ce que nous allons voir, c'est la remise en question ou la disparition de nombreux emplois bien précis et la création de nouveaux emplois.
Sur le plan de la main-d'œuvre, la véritable conséquence de l'intelligence artificielle n'est pas le risque qu'elle provoque un chômage généralisé, mais c'est le fait qu'elle oblige les gens à changer d'emploi, à acquérir de nouvelles compétences, à changer de lieu de travail ou à apprendre de nouvelles professions. Or, ces transitions sont très coûteuses et elles peuvent se révéler fastidieuses. Elles sont vraiment une préoccupation de premier plan.
Il y a une deuxième chose que je voudrais souligner, mais je ne veux pas être trop long. Une autre conséquence majeure — et c'est vrai pour les technologies de l'information depuis une vingtaine d'années —, c'est que l'intelligence artificielle a beaucoup contribué à accroître la domination des grandes entreprises. Nous constatons que les grandes entreprises prennent de plus en plus de place sur les marchés. Elles sont beaucoup moins susceptibles d'être bousculées par des innovateurs, un scénario où, selon la doctrine classique de Schumpeter, une jeune pousse arrive avec une nouvelle idée brillante et remplace l'entreprise en place. C'est quelque chose qui se produit moins souvent qu'avant.
C'est important pour un certain nombre de raisons, mais cela touche la main-d'œuvre de deux façons. D'une part, les grandes entreprises ont tendance à verser de meilleurs salaires — en partie parce qu'elles disposent d'une technologie avancée —, ce qui tend à accroître les inégalités salariales. Les technologies de l'information ont eu pour effet de creuser les écarts de rémunération, et ce, même entre professions identiques. Il y aura de grands écarts, de sorte que le salaire d'un poste dans une grande entreprise sera de beaucoup supérieur à celui d'un poste identique dans une entreprise plus modeste.
Deuxièmement, c'est en partie à cause de cela que l'on assiste à une véritable chasse aux talents, ces nouvelles technologies exigeant des compétences particulières qui s'accordent avec la technologie. Je ne parle pas seulement des compétences en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques, ou STIM, mais de toutes sortes d'aptitudes que détiennent les personnes qui ont l'habitude d'adapter leurs compétences à la technologie. Ces personnes sont très demandées et, dans cette chasse aux talents, les grandes entreprises ont l'avantage. Elles pourront offrir de meilleurs salaires et cela leur permettra de recruter plus facilement les meilleurs éléments.
Il n'y a rien de mal à ce qu'elles paient davantage — nous voulons que les travailleurs soient mieux payés —, mais cela signifie aussi que les petites entreprises, en particulier les jeunes pousses innovantes, ont plus de mal à se développer.
Nous constatons que la croissance des jeunes pousses diminue dans les régions où l'embauche par les grandes entreprises est prédominante. Cela devient en quelque sorte une préoccupation indirecte pour la main-d'œuvre.
Je vais m'arrêter là. Je vous remercie.
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Merci, monsieur le président, de m'avoir invité à m'adresser à ce comité aujourd'hui.
Je m'appelle Angus Lockhart. Je suis analyste principal des politiques au Dais, un groupe de réflexion sur les politiques à la Toronto Metropolitan University, où nous formons les personnes et concevons les idées dont nous avons besoin pour favoriser l'essor d'une économie, d'une démocratie et d'un système d'éducation inclusifs et novateurs pour le Canada.
Je me sens privilégié de pouvoir contribuer à cette importante conversation. En outre, j'ai rédigé un mémoire en collaboration avec Viet Vu. Je le soumets en précisant qu'il sera bientôt disponible si tout va bien.
Aujourd'hui, j'aimerais parler de trois choses: ce que nous savons des vagues d'automatisation qui ont déferlé sur le Canada, ce que le Dais a appris de ses recherches sur l'incidence de l'automatisation sur les travailleurs et en quoi la vague actuelle d'automatisation est différente de ce que nous avons connu jusqu'ici.
Tout d'abord, je voudrais replacer mes observations dans leur contexte. L'inquiétude des travailleurs à l'ère de l'automatisation n'est pas nouvelle. En fait, elle existe depuis plus de 200 ans, soit depuis que les machines ont fait leur entrée dans l'économie. En fin de compte, les nombreuses vagues d'automatisation n'ont pas entraîné de chômage généralisé, mais plutôt une augmentation de la prospérité.
Nos recherches au Dais semblent indiquer que l'intelligence artificielle ressemble beaucoup aux vagues d'automatisation que nous avons connues jusqu'ici. Le risque que représente l'intelligence artificielle pour les personnes dont les emplois pourraient être touchés est plus faible que le risque que représente pour le Canada le fait de ne pas suivre le rythme de l'évolution technologique, tant sur le plan de la productivité que sur celui de la compétitivité internationale. Cela ne signifie toutefois pas qu'il n'existe pas de mauvaises façons d'utiliser cette technologie, ou que son adoption ne nuira pas à certains travailleurs et à certaines industries. La question qu'il faut se poser, c'est comment nous pouvons soutenir les travailleurs dans ce processus. Nous devons réfléchir à la manière dont nous adoptons l'intelligence artificielle et non au bien-fondé d'aller de l'avant avec l'automatisation.
La bonne nouvelle, c'est qu'au Canada, nous en sommes encore aux premiers stades de l'adoption de l'intelligence artificielle sur les lieux de travail. Notre récente étude montre qu'à ce jour, seulement 4 % des entreprises employant 15 % de la main-d'œuvre canadienne ont adopté l'intelligence artificielle. En septembre, moins de 2 % des offres d'emploi en ligne mentionnaient des compétences en intelligence artificielle. La plupart des gens ne sont pas encore exposés à l'intelligence artificielle sur leur lieu de travail. Il est donc temps d'agir et de mettre en place des cadres aptes à favoriser l'adoption responsable de l'intelligence artificielle par les travailleurs.
Pour ce faire, nous devons comprendre en quoi cette technologie diffère de celles qui l'ont précédée. Le changement le plus important dans la dernière vague de grands modèles de langage est probablement leur facilité d'utilisation et la facilité avec laquelle il est possible de juger de la qualité de leurs résultats. Les entrées et les résultats d'outils tels que ChatGPT peuvent être interprétés par des travailleurs sans compétences techniques spécialisées, alors qu'avec les vagues précédentes d'automatisation, la mise en œuvre sur le lieu de travail demandait des compétences techniques particulières et, dans bien des cas, les résultats n'étaient pas interprétables par des travailleurs moins qualifiés.
Cela signifie que les outils de la nouvelle vague d'intelligence artificielle sont particulièrement bien placés pour être adoptés par les travailleurs moins qualifiés, ce qui signifie qu'ils n'entraîneront pas l'automatisation de tâches complètes comme c'était le cas auparavant. Les résultats de certaines recherches expérimentales initiales indiquent que dans les tâches d'écriture demandant des compétences modestes, le soutien d'un outil de type GPT aide à combler le fossé entre les rédacteurs moins doués et les rédacteurs plus doués, et contribue à améliorer la qualité.
Cela dit, nous tenons également à reconnaître que les précédentes vagues d'automatisation et de numérisation au Canada n'ont pas eu des résultats totalement équitables. Si, en général, la prospérité accrue a amélioré la qualité de vie de tous les Canadiens, les avantages ont néanmoins été concentrés de manière disproportionnée parmi les groupes privilégiés de longue date. Avec l'intelligence artificielle, nous courons le risque que ce soit à nouveau le cas. À l'heure actuelle, ce sont les grandes entreprises canadiennes qui l'adoptent le plus rapidement, et ces entreprises ont tendance à être la propriété d'hommes. Toutefois, comme nous n'en sommes qu'aux premiers stades de l'adoption de l'intelligence artificielle au Canada, nous avons le temps de veiller à ce que les choses se passent autrement. Nous ne pouvons pas nous permettre de passer à côté de la prospérité qu'offre l'intelligence artificielle, mais il faut que cette prospérité profite à tous les Canadiens et pas seulement à quelques privilégiés.
Je voudrais terminer en disant qu'il y a encore beaucoup de travail à faire dans ce domaine. Au Dais, nous allons poursuivre nos recherches et tenter de comprendre comment l'intelligence artificielle générative est utilisée sur les lieux de travail au Canada et comment elle pourrait l'être. Nous allons aussi continuer d'examiner l'incidence que cette intégration peut avoir sur les travailleurs canadiens.
Nos travaux s'appuient sur les données recueillies par Statistique Canada dans le cadre d'enquêtes telles que l'Enquête sur la technologie numérique et l'utilisation d'Internet. Nous sommes heureux de constater que ce comité se penche sérieusement sur cette question. En continuant à soutenir et à s'intéresser à ce type de recherche, le Canada sera mieux à même de relever ces défis.
Je vous remercie à nouveau de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer. Je serai heureux de répondre à vos questions lorsque le temps viendra.
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Merci, monsieur le président.
Le problème fondamental, en ce qui concerne la gestion algorithmique, c'est qu'on n'a pas d'information. Il n'y a pas d'encadrement pour toutes sortes d'éléments. C'est un problème qu'on semble vouloir refiler aux syndicats et aux employeurs, mais ce n'est pas vrai que c'est le syndicat qui va représenter la solution pour l'encadrement de l'intelligence artificielle dans les milieux de travail, alors qu'on sait que le taux de syndicalisation est d'environ 15 % dans le secteur privé. Cela va nécessiter un cadre réglementaire décrété par chaque ordre de gouvernement.
On ne connaît rien. On a probablement utilisé les clauses des conventions collectives relatives aux changements technologiques pour aborder les questions d'intelligence artificielle, et ce, par erreur. On l'a fait par erreur parce que, souvent, les éléments déclencheurs des clauses relatives aux changements technologiques sont liés à des pertes d'emplois ou à d'éventuelles pertes d'emplois. Malheureusement, cela ne permet pas de régler les questions liées à l'intelligence artificielle, puisque cela vient gérer une multitude de situations qui ne résultent pas de la perte d'emplois.
On nous parle de l'intelligence artificielle comme si c'était quelque chose de positif qui allait alléger le travail des travailleurs. Malheureusement, cela a un côté négatif, comme la diminution de l'autonomie et la surveillance de plus en plus intrusive. Les travailleurs sont constamment surveillés, puisque les algorithmes ont besoin de données pour être capables de faire leur travail. On ne sait pas comment ces données sont stockées, comment elles sont analysées ou de quelle manière elles sont recyclées. La capacité de collecte n'est pas encadrée. On doit donc encadrer la donnée et ce qu'on en fait, mais on doit surtout encadrer et rendre obligatoire le dialogue entre les employeurs et les salariés pour comprendre toute la question de l'explicabilité et de la transparence. Il n'y en a pas.
Depuis des années, on utilise des outils qui prennent des décisions à la place des travailleurs, mais on ne les a pas présentés comme des outils de gestion algorithmique ou d'intelligence artificielle. On a simplement dit que c'étaient de nouveaux outils. Par exemple, chez Bell Canada, il y a l'outil Blueprint pour les travailleurs du service à la clientèle. Lorsqu'ils ont une conversation avec un client, les travailleurs doivent suivre un arbre décisionnel qui leur dit quoi faire en fonction des problèmes énoncés par le client. On évacue complètement du processus le jugement du travailleur. De plus, le travailleur doit entrer des données dans l'outil pour que les différents scénarios d'interprétation soient efficaces et appropriés pour le client.
On fait cela dans différents secteurs d'activité, comme le transport, où les algorithmes prennent les décisions à la place des camionneurs et des camionneuses, qu'il s'agisse du meilleur trajet ou de la meilleure pratique de conduite à utiliser. On élimine complètement le jugement de l'individu et sa capacité à conduire son véhicule. On doit suivre ce que nous dit un outil. Cela doit être encadré.
L'Organisation de coopération et de développement économiques, ou OCDE, a établi quatre principes de base: l'intelligence artificielle doit être orientée vers le développement durable, elle doit être centrée sur l'humain, elle doit être transparente et explicable, et on doit avoir un système robuste et responsable. On n'a rien de tout cela, présentement, parce qu'il n'y a pas d'obligation de divulgation. Selon nous, c'est la première étape sur laquelle il faut agir. Il s'agit de connaître les outils, de comprendre leurs effets et, ensuite, de mettre en œuvre des solutions pour réellement bénéficier de l'efficacité ou de la valeur ajoutée des outils technologiques dans l'entreprise.
On est dans une période caractérisée par une pénurie de travailleurs. Ce n'est pas vrai qu'on va transformer un opérateur de service à la clientèle en une personne qui va programmer ou gérer des outils algorithmiques. De toute manière, au Québec, il manque présentement de 9 000 à 10 000 travailleurs dans le secteur des technologies de l'information, et on a des travailleurs qui, eux, ne réussissent pas à combler ce manque. Il y a une espèce de cercle vicieux qui doit cesser, et cela doit commencer par la mise en place d'une divulgation obligatoire ou d'une conversation obligatoire entre les employeurs et leurs employés.
Merci beaucoup.
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Merci, monsieur le président, et merci à tous les témoins de leur présence.
Mes premières questions s'adressent à Angus Lockhart, de la Toronto Metropolitan University.
Dans le cadre d'un article, vous avez déclaré que « si certaines pratiques médicales bénéficient de l'intégration de l'intelligence artificielle, l'introduction de données médicales confidentielles dans un modèle informatique pose de sérieux risques en matière de protection des renseignements personnels, et il importe de tenir compte de ce problème ».
Je voudrais juste confirmer que c'est bien vous qui avez écrit cela.
Pensez-vous que les lois canadiennes sur la protection des renseignements personnels sont adéquates pour remédier aux problèmes en la matière?
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Je vous remercie, monsieur le président.
Je remercie les personnes qui témoignent devant nous aujourd'hui. J'ai trouvé chacun de vos témoignages intéressants. Ils se sont d'ailleurs complétés les uns les autres.
Je vais commencer par interroger le représentant d'Unifor. Monsieur Carrière, vous avez parlé de la position qu'adopteront les syndicats à mesure que nous adopterons l'IA. J'ai trouvé intéressante la façon dont vous avez parlé de la nécessité de mettre en place un cadre réglementaire. Je comprends cet aspect de la question.
La partie qui m'intéresse, c'est le fait qu'en mettant de côté la réglementation gouvernementale, si les syndicats ne jouent aucun rôle dans les emplois offerts par les grandes entreprises du secteur privé, des emplois qui sont en pleine croissance... M. Bessen a parlé de la façon dont ces grandes sociétés domineront une grande partie du secteur. En dehors des emplois du secteur public, quelle est la stratégie des syndicats pour s'assurer que les travailleurs sont protégés par les conventions collectives étant donné que les syndicats ne participent pas nécessairement à la croissance en cours? Avez-vous des idées à ce sujet?
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Je vous remercie de votre présence. Je pense qu'il est très important d'entendre l'opinion des syndicats dans le cadre de cette conversation. Je me réjouis que vous vous soyez joints à nous aujourd'hui.
Monsieur Lockhart, j'ai une question à vous poser. Vous avez dit que 2 % des offres d'emploi publiées de nos jours exigent des compétences en IA. Pensez-vous que ces 2 % rendent vraiment compte du secteur, ou s'agit‑il uniquement des emplois?
Pensez-vous que, parce qu'il est de plus en plus facile d'intégrer l'IA sans disposer de compétences particulières — comme vous l'avez dit, je crois —, les 2 % sont une sous-représentation des compétences réellement requises?
Quels outils peuvent être utilisés dans le cadre des fonctions du poste sans que l'employé ait besoin de ces compétences particulières?
J'espère que je me suis bien fait comprendre.
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Merci beaucoup, madame Chabot.
Présentement, on semble vouloir que les syndicats et les employeurs trouvent la clé magique ou la baguette magique. Je crois plutôt qu'il va falloir que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux mettent en place une réglementation, en fonction de leurs champs de compétence respectifs.
La première étape pour comprendre les effets de la gestion algorithmique, c'est d'être au courant de ce qui se passe. Il faut informer les salariés et les consulter. Cela va permettre d'assurer la transparence et l'explicabilité. Les seuls effets de la gestion algorithmique que nous voyons actuellement, ce sont les éléments négatifs. Nous voyons le travail diminuer plutôt qu'augmenter.
Ce que nous voyons, c'est qu'un outil décisionnel, une application informatique, prend les décisions et procède au diagnostic des anomalies à la place de l'individu. L'impression que nous avons, c'est que, dans les milieux de travail syndiqués qui appliquent un programme de gestion algorithmique, les travailleurs se retrouvent dans une situation de déshumanisation. Le mot « déshumanisation » est fort. En fait, on dit clairement à l'individu qu'on n'a plus besoin de son jugement, car un outil informatique pense à sa place. Cela démotive les gens, puisqu'ils deviennent des automates, c'est-à-dire qu'ils exécutent une tâche sans réfléchir.
Présentement, les gens ne sont pas au courant qu'ils sont en train de se faire remplacer. De plus, on leur demande d'intégrer des données dans les outils qui vont les remplacer. Il faut revenir à la base. Il faut obliger, probablement par le truchement du Code du travail, la tenue d'une discussion quant aux types de technologies qu'une entreprise veut utiliser, et il faut en déterminer les effets.
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Oui, on a vu énormément de conséquences. Cela ne date pas d'hier. Les changements technologiques ont de telles répercussions depuis plusieurs années, voire plusieurs décennies.
Prenons, par exemple, la compagnie Bell Canada, dans le secteur des télécommunications. Depuis 15 ans, des outils de surveillance captent et enregistrent toutes les données relatives à la production des travailleurs pour mesurer et analyser leur performance ou leur incompétence, le cas échéant. Nous avons vu, chez Bell Canada, un système de gestion de la performance basé sur le rangement forcé. C'est un système dans lequel un individu classé dans le dernier quartile est rencontré par l'employeur parce que les outils algorithmiques ont déterminé que sa performance était plus faible que celle des autres. Parce qu'un employé est plus faible que les autres, un plan de gestion de la performance est appliqué, nonobstant le jugement du gestionnaire. Ce dernier se base sur l'outil algorithmique pour prendre une décision. Dans le secteur des télécommunications, on l'a vu.
Dans le secteur des transports, pas un chauffeur n'est pas surveillé 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Toutes les données sont captées et enregistrées. Encore une fois, les outils algorithmiques viennent remplacer le jugement et l'expertise des individus. Ces outils vont dire à un camionneur, par exemple, où passer pour se rendre du point A au point B, parce que c'est plus efficace. On retire complètement le jugement du travailleur et on y substitue un algorithme.
Il y a plusieurs exemples semblables, mais, en général, on n'est pas au courant, parce que cela n'a pas été divulgué. Si cela n'amène pas un employeur à supprimer des emplois, on n'en parle pas. Or, plusieurs emplois ont disparu cinq, six ou huit ans après l'intégration de ce genre d'outil. Ce dialogue n'arrive donc jamais. C'est pour cela qu'il faut d'abord mettre des mécanismes en place pour informer et consulter les salariés. Ensuite, il faut collaborer pour construire les outils. Enfin, il faut se donner les moyens de les adapter, le cas échéant.
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Je crois que c'est probablement une question à laquelle il est très difficile de répondre en peu de temps.
Nous considérons certainement qu'une partie d'un cadre responsable consiste à s'assurer que lorsque l'intelligence artificielle est mise en œuvre, elle ne l'est pas d'une manière qui soit préjudiciable aux travailleurs qui l'utilisent explicitement. Il y a toujours des risques de surveillance accrue du lieu de travail et des risques d'utilisation de la reconnaissance faciale sur le lieu de travail. Nous voulons donc absolument éviter tout type d'effet négatif à cet égard.
En outre, il y a un énorme risque que les entreprises soient en mesure de mettre en œuvre l'IA et de réduire la main-d'œuvre, et que l'augmentation de la productivité et les avantages qui en découlent soient concentrés entre les mains des seuls propriétaires de l'entreprise. Cela risque évidemment d'accroître les inégalités sur le plan de la richesse au Canada. Au sein du groupe de réflexion The Dais, nous croyons fermement que la prospérité et la croissance du PIB sont bénéfiques pour les Canadiens, mais uniquement lorsqu'elles sont réparties entre tous les groupes.
Je ne pense pas avoir une réponse à la question de savoir comment on peut s'assurer que les avantages découlant de l'augmentation de la productivité des travailleurs sont répartis entre tous les travailleurs et tous les employés de l'entreprise, mais je sais qu'il s'agira d'un élément important du suivi de l'évolution de l'adoption de l'IA.
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En tant que syndicat, nous constatons que des outils existent pour faciliter le travail de l'employé. Comme je l'ai mentionné, il y a des effets négatifs. En effet, on enlève au travailleur son autonomie et sa capacité de jugement. On est en train de transformer les individus en automates qui appliquent une recette déjà établie par l'algorithme.
Je prends, en particulier, l'exemple de Blueprint chez Bell. Un technicien en installation de systèmes de communication doit absolument écrire quel est son objectif et quelles sont toutes les étapes de sa tâche dans le programme. C'est une étape de base. Cela n'a rien de compliqué, mais le travailleur doit expliquer ce qu'il veut faire et le programme lui dit comment le faire. Les travailleurs deviennent de simples exécutants.
Dans les catégories d'emplois que nous représentons, il n'y a pas de gens qui possèdent une propriété intellectuelle sur leurs idées, car ils font déjà un travail d'exécutants. Le travailleur est réduit à sa plus simple expression. On retire au travailleur sa capacité de jugement, son expertise et l'effet d'avoir une grande expérience dans le secteur, sous prétexte qu'un algorithme peut prendre n'importe quel inconnu et lui faire faire le même travail. L'impact est négatif pour les travailleurs. On est en train de rendre le travail ennuyeux et tellement facile qu'il n'y a plus de défi. Par conséquent, des gens quittent l'entreprise pour aller travailler ailleurs. On veut se servir de l'intelligence artificielle pour répondre, en partie, à une pénurie de travailleurs, mais, en rendant le travail inintéressant, on provoque un roulement de personnel. On provoque une attrition.
Il ne s'agit pas tant de protéger les idées des travailleurs, mais de faire en sorte que les êtres humains contribuent à leur entreprise grâce à leurs compétences, à leurs valeurs et à leurs connaissances. Présentement, on remarque que les outils n'ont pas cet effet.
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Merci, monsieur le président.
Monsieur Bessen, je vais commencer par vous interroger.
En fait, pour être franc, je vais simplement vous poser une question au sujet du logement, car il s'agit de mon portefeuille. Je sais qu'il y a un énorme défi à relever en matière de logement aux États-Unis, ainsi qu'au Canada. Une grande partie du problème est lié au manque d'offre et au rythme auquel les projets sont approuvés, du point des plans et des choses de ce genre.
Je me demande si vous pourriez parler un peu de l'application d'outils comme l'IA pour accélérer le processus d'approbation, par exemple, pour le zonage municipal et les activités de ce genre. Quand vous avez formulé vos observations, je n'ai cessé de penser que l'IA est un outil que nous devons utiliser, et non craindre. Il offre des possibilités. J'espère que certaines de ces possibilités seront dans le secteur du logement.
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Je vais me garder de répondre à cette question précise sur l'utilisation de l'intelligence artificielle et les problèmes liés au logement. Je ne crois pas pouvoir n’y ajouter rien de nouveau.
Cependant, je réitère qu'il faut mieux connaître ces outils. Or, la façon de mieux les connaître, c'est d'en parler, de prévoir un cadre qui force les employeurs à expliquer à leurs employés ce qu'ils veulent faire, l'objectif qu'ils cherchent à atteindre, les modifications qui seront apportées à leur milieu de travail et les répercussions sur l'autonomie des gens.
Dans un contexte où on va provoquer du travail augmenté, c'est génial. Dans un contexte où on ne fait qu'obtenir des résultats de travail diminué, c'est un problème. Cela commence par la connaissance. Nous devons savoir à quoi nous avons affaire. Nous ne savons même pas si nous avons affaire à des outils algorithmiques de décisions automatisées ou de décisions semi-automatisées ou si ce sont des algorithmes symboliques ou des algorithmes d'apprentissage automatique. Nous ne connaissons pas ces choses et nous ne le savons pas. Les travailleurs ne savent pas si l'outil algorithmique est capable de réfléchir par lui-même ou s'il fait juste suivre un arbre décisionnel.
Nous sommes loin de comprendre. Nous devons mettre en place des mécanismes nous permettant d'en savoir davantage. Une fois que ce sera...
Présentement, on ne voit pas cela de manière franche et précise à la table de négociation. On ne discute pas. Par exemple, récemment, la voie maritime du Saint‑Laurent a été fermée pendant huit jours. Un outil de gestion algorithmique pourrait-il un jour gérer les écluses à distance? C'est fort probable. Cela entraînera-t-il une perte d'emplois? C'est aussi fort probable. Ce sujet fait-il l'objet de discussions à la table de négociation? Non, il n'en est aucunement question. Il n'y a pas de divulgation.
C'est comme si on demandait aux travailleurs d'utiliser tout leur capital de négociation, une expression utilisée dans le domaine. Au lieu d'aller chercher une amélioration de leurs conditions de travail, on leur demanderait d'utiliser tout leur capital de négociation pour aller chercher de la transparence au sujet de l'intelligence artificielle. Ce n'est pas quelque chose d'intéressant pour les travailleurs. Les employeurs ne divulguent pas la façon dont les outils sont intégrés ni les répercussions qu'ils auront dans l'avenir. On sollicite énormément la collaboration des travailleurs et des travailleuses pour garnir les bases de données de ces outils et pour corriger les marges d'erreur, mais on ne leur explique pas de quelle manière cela va toucher leur emploi ou l'évolution de leur emploi.
Le dialogue est donc inexistant. Il faut commencer quelque part. Bien sûr, la table de négociation est un début, mais, pour tous les secteurs qui sont non représentés, il faut qu'il y ait des mécanismes en place pour que ce dialogue ait lieu.
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Merci, monsieur le président.
Monsieur Carrière, j'aimerais vous poser une question sur la relation employeur-employé.
Lorsqu'un algorithme, qui a construit un arbre décisionnel, est utilisé dans le cadre d'une fonction, qu'est-ce qui se passe en cas d'erreur? Qui est le patron, dans une telle situation? Je pense que cela change la relation employeur-employé.
Je suis assez étonnée de voir qu'actuellement, il n'y a pas plus de dialogue en amont sur ce qui se passe. En même temps, cela ne m'étonne pas non plus. Si on prend l'exemple concret de Bell, qu'est-ce que cela signifie pour un travailleur?
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Bell Canada utilise énormément de données et fait énormément de surveillance dans tous les types d'emplois. Tout est enregistré. Toutes les activités sont enregistrées dans un ordinateur. Toutes les mesures prises et tous les gestes posés par un travailleur sont connus. C'est la même chose pour les techniciens qui sont sur la route et pour les gens qui interviennent dans les réseaux. Tout est analysé et tout est connu.
Le rendement de ces gens est géré en fonction des objectifs à atteindre. Ceux-ci sont déterminés en fonction du résultat de l'analyse des données. Si on dit à un technicien que cela prend 25 minutes pour faire un branchement, mais que, dans les faits, celui-ci fait le branchement en 35 minutes, il sera pénalisé. Les aléas de la météo, par exemple, ne sont pas prévus par l'algorithme. On va dire au technicien qu'il fait un mauvais travail parce qu'il n’atteint pas les objectifs déterminés par l'algorithme. Nous sommes rendus là.
Le jugement du gestionnaire a-t-il été substitué par une solution toute faite par un algorithme? La réponse est oui, et ce, depuis longtemps. Encore une fois, cela nous est inconnu, parce que nous ne mesurons pas vraiment ce que cela prend en compte. Quand nous demandons à l'employeur de nous divulguer les critères qu'il a utilisés pour son outil de gestion, nous n'avons pas de réponse, parce que c'est tellement précis. On ne nous donne pas l'information.
Le gestionnaire est substitué par un outil de gestion algorithmique. Au bout du compte, sur quoi se base-t-on pour contester la décision? C'est là que la question que vous soulevez, madame Chabot, est importante. On ne peut pas se présenter devant un arbitre ou devant la cour pour demander à un outil de gestion algorithmique pourquoi il a pris cette décision plutôt qu'une autre. C'est la raison pour laquelle je mentionnais plus tôt qu'il faudrait se donner les moyens nécessaires pour corriger les effets de la décision de la gestion algorithmique. C'est la perception que nous recevons des gens du milieu. Les gestionnaires, aujourd'hui, passent des messages, mais toutes les tâches qui concernent le jugement sur la performance d'un travailleur sont effectuées par cet outil.
Je vais poser une question à M. Carrière... J'espère que nous pourrons ne pas dépasser une minute, car j'aimerais également demander à M. Lockhart de nous parler d'équité.
Merci beaucoup, monsieur Carrière, d'avoir remis l'humanité au cœur de cette discussion. Le nom de notre comité contient les mots « ressources humaines ».
J'aimerais revenir sur un point. Le Congrès du travail du Canada a témoigné devant ce comité et a recommandé la création d'un conseil consultatif sur l'intelligence artificielle.
J'aimerais savoir si vous êtes d'accord avec cette recommandation. Le gouvernement fédéral devrait‑il se doter d'un conseil consultatif chargé d'examiner les répercussions sur les ressources humaines. Si oui, quelle devrait être sa composition? Qui devrait être représenté?
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L'intelligence artificielle peut tout aussi bien promouvoir l'équité que lui nuire.
Si l'on examine plus particulièrement la situation des personnes handicapées, dans certains cas, l'intelligence artificielle a permis d'améliorer leur capacité à travailler sur un lieu de travail. À Tokyo, on a récemment ouvert un café qui utilise des robots pour améliorer les fonctions motrices des personnes handicapées, afin de les aider à être pleinement opérationnelles sur leur lieu de travail.
Toutefois, si vous ne tenez pas compte de l'équité dans la mise en œuvre de l'intelligence artificielle, ces groupes marginalisés — notamment les personnes handicapées — seront les premiers à pâtir de l'introduction de l'intelligence artificielle sur le lieu de travail.
Il faut commencer par se demander comment l'intelligence artificielle peut contribuer à améliorer et à accroître la participation de tous, et adopter cette approche, au lieu de commencer par dire « Nous avons l'intelligence artificielle. De quoi pouvons-nous nous débarrasser grâce à cette technologie? »
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Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître. Je m'appelle David Autor et je suis le professeur d'économie titulaire de la chaire Ford au sein du département d'économie du Massachusetts Institute of Technology et codirecteur de l'initiative « Shaping the future of work » de cette même université. C'est pour moi un honneur de vous parler aujourd'hui de mes recherches sur l'intelligence artificielle et l'avenir du travail, et je vous prie de m'excuser pour mon rhume.
L'intelligence artificielle représente une menace évidente pour les travailleurs et la main-d'œuvre. Alors que les machines du passé ne pouvaient qu'automatiser des tâches routinières répondant à des règles claires, l'intelligence artificielle peut s'adapter rapidement à des problèmes qui requièrent de la créativité et du discernement. Il semble légitime de craindre que l'intelligence artificielle ne rende soudainement une grande partie du travail humain superflue. Je pense toutefois que ces inquiétudes ne sont pas toujours justifiées. Les périodes de changement technique passées, comme les révolutions industrielle ou informatique, n'ont pas éliminé la forte demande en main-d'œuvre, et tout indique que dans la plupart des pays industrialisés, y compris au Canada, la pénurie de main-d'œuvre va s'aggraver, et non l'inverse.
Nous devons plutôt nous demander quelle incidence l'intelligence artificielle aura sur la valeur de l'expertise humaine, c'est‑à‑dire sur les compétences et le discernement dans des domaines particuliers comme la médecine, l'enseignement etle développement de logiciels, ou les métiers qualifiés modernes, notamment dans les domaines de l'électricité ou de la plomberie. Les nouvelles technologies vont‑elles augmenter la valeur de l'expertise humaine ou vont‑elles rendre le jugement humain sans valeur?
Dans les économies industrialisées, l'expertise est la principale source de la valeur de la main-d’œuvre sur le marché. Prenons l'exemple du travail des contrôleurs aériens par rapport à celui des brigadiers scolaires. Ces deux métiers visent à protéger des vies en évitant les collisions entre véhicules. Aux États-Unis, les contrôleurs aériens sont payés quatre fois plus que les brigadiers scolaires. Pourquoi? Parce qu'ils disposent d'une expertise rare, acquise au prix de grands efforts et nécessaire à leur important travail. Les outils augmentent la valeur de cette expertise: Sans GPS, radar et radio émetteur-récepteur, un contrôleur aérien n'est en fait qu'une personne dans un champ qui regarde le ciel. Les brigadiers scolaires fournissent un service dont la valeur pour la société est semblable, mais la plupart des adultes valides peuvent faire ce travail sans avoir de formation ou d'expertise particulière, ce qui garantit pratiquement des salaires bas.
La technologie rend l'expertise des contrôleurs aériens précieuse, mais elle peut aussi rendre l'expertise humaine superflue. Les chauffeurs de taxi londoniens s'entraînaient auparavant pendant des années, et mémorisaient toutes les rues de Londres. Le GPS a rendu cette expertise inutile sur le plan économique. Elle n'est plus nécessaire. On pourrait donc se demander si l'automatisation rendra toute expertise superflue. La réponse est que l'expertise humaine est pertinente parce que son domaine s'étend avec les besoins sociaux. Les emplois comme ceux des développeurs de logiciels, des chirurgiens pratiquant la laroscopie et des travailleurs en milieu palliatif ne sont apparus que lorsque des innovations technologiques ou sociales les ont rendus nécessaires. Mes coauteurs et moi‑même estimons d'ailleurs qu'environ 60 % de tous les emplois occupés aujourd'hui aux États-Unis n'existaient pas en 1940. La technologie et d'autres forces sociales peuvent tout aussi bien créer des opportunités de travail de haute qualité qu'automatiser les tâches.
Je pense que l'intelligence artificielle peut créer de nouvelles opportunités pour les travailleurs qui n'ont pas fait d'études supérieures, c'est‑à‑dire les travailleurs peu ou moyennement qualifiés. Avec l'aide d'outils d'intelligence artificielle, ces travailleurs pourraient effectuer des tâches qui nécessitaient auparavant une formation plus coûteuse et un personnel hautement qualifié. Par exemple, les professionnels de la santé moins qualifiés que les médecins pourraient accomplir des tâches plus compliquées avec l'aide de l'intelligence artificielle. Aux États-Unis, en partie grâce aux innovations technologiques comme les logiciels qui empêchent les interactions médicamenteuses néfastes, les infirmières praticiennes se sont révélées efficaces pour effectuer des tâches autrefois réservées aux médecins ayant cinq ans de formation médicale de plus qu'elles. L'intelligence artificielle pourrait permettre d'aller plus loin, en aidant les travailleurs moins formés à fournir des soins de qualité. Cela ne signifie pas que l'intelligence artificielle rend l'expertise inutile, au contraire: L'intelligence artificielle peut permettre à une expertise précieuse de générer de meilleurs résultats. Les outils d'intelligence artificielle permettent aux programmeurs moins expérimentés de produire plus rapidement un meilleur code. Ils aident les rédacteurs maladroits à produire des textes plus fluides.
Cet avenir positif dont je parle n'est pas garanti. Nous devons prendre des décisions collectives pour le construire. Par exemple, la Chine a réalisé des investissements considérables dans la technologie de l'intelligence artificielle, en partie pour créer les systèmes de surveillance et de censure les plus efficaces de l'histoire de l'humanité. Il ne s'agit pas d'une conséquence préétablie de l'intelligence artificielle, bien qu'elle en dépende. Il s'agit plutôt du résultat d'une vision particulière de l'utilisation de ce nouvel outil. De même, nous pouvons parfaitement éviter que l'intelligence artificielle automatise tous nos emplois. C'est une vision que de nombreux pionniers de l'intelligence artificielle tentent de concrétiser. Je pense que ce serait une erreur. Pour façonner cette technologie protéiforme qu'est l'intelligence artificielle à des fins constructives, les dirigeants politiques doivent collaborer avec l'industrie, les ONG, les travailleurs et les universités afin de bâtir un avenir dans lequel les machines travailleront au service des esprits.
J'aimerais conclure en parlant des mesures que le gouvernement peut prendre. Je ne prétends pas avoir des réponses complètes, mais voici quelques points. Tout d'abord, les gouvernements devraient encourager et financer la recherche sur l'intelligence artificielle complémentaire de l'être humain. Actuellement, le secteur privé a tendance à orienter le développement de l'intelligence artificielle vers l'automatisation. Les pouvoirs publics peuvent corriger la situation en soutenant le développement de l'intelligence artificielle complémentaire de l'être humain dans des secteurs comme les soins de santé, l'éducation ou les métiers qualifiés.
Deuxièmement, je donnerais la priorité à la protection des travailleurs. L'utilisation de l'intelligence artificielle à des fins de surveillance indue pour la prise de décisions sur des enjeux importants, comme l'embauche et le licenciement, et pour s'approprier les œuvres créatives des travailleurs sans compensation devrait être interdite. Il est essentiel de permettre aux travailleurs de participer à des négociations collectives et à l'établissement des règles.
Je suis également préoccupé par la question de la sécurité en ce qui a trait à l'intelligence artificielle. Je pense que les gouvernements sont relativement bien équipés pour réglementer la sécurité.
Pour conclure, j'aimerais suggérer qu'au lieu de nous demander « Qu'est‑ce que l'intelligence artificielle va nous faire? », nous devrions nous demander « Qu'est‑ce que nous voulons que l'intelligence artificielle fasse pour nous? ». En répondant à cette question de manière réfléchie et en agissant de façon décisive, nous pourrons bâtir un avenir qui nous conviendra à tous et dont nous voudrons que nos enfants héritent.
Je vous remercie de votre attention. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
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Merci beaucoup. Bonjour.
Je m'appelle Gillian Hadfield. Je suis professeure de droit et de gestion stratégique à l'Université de Toronto, où je suis titulaire de la chaire Schwartz Reisman de technologie et société, et de la chaire d'intelligence artificielle Canada-CIFAR au Vector Institute for Artificial Intelligence. Je comparais à titre personnel.
Je vous remercie de me donner l'occasion de témoigner sur ce sujet d'une importance capitale.
J'aimerais souligner quatre aspects clés des répercussions de l'intelligence artificielle sur le marché du travail.
Tout d'abord, l'intelligence artificielle est une technologie à usage général susceptible de transformer pratiquement tous les aspects de notre économie et de notre société.
Deuxièmement, les dernières avancées en matière d'intelligence artificielle peuvent être adoptées relativement rapidement, mais les entreprises canadiennes ont jusqu'à présent été lentes à adopter ces outils.
Troisièmement, les systèmes d'intelligence artificielle actuels évoluent rapidement et exécutent des tâches très sophistiquées, ce qui signifie que les professions à revenu élevé et à haut niveau de formation pourraient être les plus exposées à cette nouvelle vague d'automatisation.
Quatrièmement, les profondes répercussions de l'intelligence artificielle sur notre économie et notre société exigent des changements réglementaires, afin de garantir que nous puissions concrétiser tous les avantages de l'intelligence artificielle.
Examinons chacun de ces avantages un peu plus en détail.
Tout d'abord, l'intelligence artificielle est une technologie à usage général. Elle va donc transformer presque tous les aspects de notre économie et de notre société, à l'instar de la machine à vapeur ou des technologies de l'information. Par exemple, les grands modèles de langage accessibles au public, comme les transformeurs génératifs pré‑entraînés, les GPT, illustrent la capacité de l'intelligence artificielle à remodeler radicalement la nature du travail. Ces systèmes sont conçus pour comprendre et générer des textes semblables à ceux produits par les humains, y compris des codes informatiques, à grande échelle, et, de plus en plus, pour raisonner et résoudre des problèmes. Leurs applications sont donc pratiquement illimitées.
Deuxièmement, les dernières avancées en matière d'intelligence artificielle peuvent être adoptées relativement rapidement. L'intégration rapide de ChatGPT dans les applications quotidiennes au cours de l'année écoulée en est la preuve et suggère que les avancées les plus récentes en matière d'intelligence artificielle peuvent être mises en œuvre relativement rapidement, et dépasser le taux d'adoption des versions antérieures de cette technologie. Cette caractéristique offre aux entreprises et aux décideurs politiques canadiens des occasions de stimuler la productivité et la croissance économique. Le Comité devrait toutefois prendre note du fait que le Canada a jusqu'à présent tardé à adopter l'intelligence artificielle. Selon une étude de Statistique Canada, à la fin de l'année 2021, seulement 3,7 % des entreprises utilisaient l'intelligence artificielle. Des études menées par IBM et l'OCDE suggèrent également que le Canada est à la traîne par rapport à d'autres économies pour ce qui est de l'adoption de l'intelligence artificielle.
Troisièmement, les systèmes d'intelligence artificielle évoluent rapidement et permettent d'accomplir des tâches très sophistiquées et complexes. Plus précisément, on peaufine actuellement l'utilisation de l'intelligence artificielle dans des applications logicielles propres à certains secteurs. Dans mon propre domaine, CoCounsel est un exemple notable de cette utilisation. Il s'agit d'un grand modèle de langage basé sur GPT‑4, qui fonctionne comme un assistant juridique issu de l'intelligence artificielle et qui peut notamment effectuer de la recherche juridique, rédiger des textes et analyser des documents. CoCounsel a obtenu une note plus élevée que la moyenne des candidats à l'American Uniform Bar Exam. Sa note était en fait plus élevée que celle de 90 % des candidats. Il est également conçu pour répondre aux risques inhérents, comme les hallucinations de l'intelligence artificielle.
Outre les grands modèles de langage, on peut citer des exemples comme celui d'AlphaFold, qui a résolu le problème du repliement des protéines. Un éminent génématicien a décrit cet événement comme le premier exemple de la résolution d'un problème scientifique majeur par un système d'intelligence artificielle. Ces avancées signifient que l'intelligence artificielle peut être exploitée de manière plus sûre et plus efficace, en particulier dans des domaines sensibles et complexes sur le plan cognitif, comme le droit, la science et les soins de santé.
Dans une étude, les chercheurs d'OpenAI ont constaté que les personnes dont le niveau de revenu et de formation est élevé sont plus exposées aux conséquences de l'utilisation des GPT. Nous devons tenir compte de ce fait lorsque nous réfléchissons à la façon dont l'adoption de l'intelligence différera de l'adoption des innovations précédentes.
J'en viens à mon dernier point, qui est crucial. Les profondes répercussions que l'intelligence artificielle aura sur notre économie et notre société nécessitent la modification de notre réglementation, afin que nous puissions concrétiser tous les avantages qu'offre cette technologie. Nos cadres juridiques et réglementaires actuels ont été conçus pour une ère antérieure à l'introduction de l'intelligence artificielle et risquent de limiter les utilisations novatrices et productives de l'intelligence artificielle en milieu de travail. Pour exploiter les avantages de l'intelligence artificielle, nous devons actualiser ces cadres afin de répondre aux difficultés et aux possibilités uniques que présente cette technologie. En outre, étant donné que l'intelligence artificielle est une technologie qui évolue rapidement, pour assurer une gouvernance efficace, les décideurs politiques doivent agir rapidement et adopter une position réglementaire favorable à l'intelligence artificielle, qui permette de réglementer correctement les risques, comme c'est le cas pour toutes les autres activités économiques, tout en soutenant l'innovation et l'investissement.
En conclusion, nous sommes à l'aube d'une ère de transformation et nous devons agir pour exploiter les avantages de l'intelligence artificielle de manière équitable et responsable.
Merci.
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Bonjour, et merci beaucoup.
Je m'appelle Théo Lepage‑Richer et je suis chercheur postdoctoral à l'Université de Toronto.
Je veux d'abord vous remercier de m'offrir l'occasion de vous faire part de quelques réflexions aujourd'hui. Celles-ci sont le produit de mes recherches sur la gouvernance de l'intelligence artificielle, un sujet que j'aborde en combinant la recherche historique à l'analyse de politiques publiques.
Au cours des réunions précédentes, plusieurs membres du Comité ont soulevé la question suivante: comment peut-on élaborer des cadres de gouvernance adaptés à des technologies qui évoluent aussi rapidement que l'intelligence artificielle? Il s'agit en effet d'une question légitime, régulièrement soulevée par les fournisseurs de cette technologie pour encourager une certaine retenue de la part des décideurs publics. Cependant, je tiens à nuancer cette question en soulignant les tendances plus larges que l'histoire de l'intelligence artificielle au Canada permet de mettre en relief.
Les premiers programmes fédéraux en intelligence artificielle offrent un précédent historique utile pour examiner l'incidence de cette technologie sur l'organisation du travail.
Dès les années 1960, le gouvernement Pearson désignait l'intelligence artificielle comme une technologie prometteuse pour réduire les coûts associés à l'embauche de personnel qualifié dans la fonction publique.
En 1965, le Conseil national de recherches du Canada a été mandaté pour développer un premier programme en intelligence artificielle visant à s'attaquer à la traduction de documents officiels de l'anglais au français. Comme stratégie, les gestionnaires du programme ont opté pour le développement d'outils logiciels qui permettraient de diviser le processus de traduction en sous-tâches simples. Un de ces outils, par exemple, était conçu pour produire des traductions littérales des noms communs et des verbes dans un texte, dans l'optique que des opérateurs s'occupent ensuite de les accorder, d'ajouter les déterminants nécessaires et de réviser le tout. Ainsi, ces outils visaient à standardiser des tâches spécialisées comme la traduction, au point où elles pourraient être confiées à des travailleurs sans formation préalable, et, surtout, à un niveau plus bas sur l'échelle salariale.
Bien que non concluant, ce programme a lancé un ensemble de réformes visant à diminuer la dépendance du gouvernement fédéral envers les travailleurs spécialisés, et surtout, à rétablir un certain niveau de contrôle sur la machine fédérale.
Sous Pierre Elliott Trudeau, des initiatives comme le réseau CANUNET et le système Télidon ont été mises en place en vue de créer les infrastructures nécessaires pour produire de nouvelles données sur le travail des employés fédéraux. Dans un article récent publié par Fenwick McKelvey et moi-même, nous suggérons que l'objectif de ces programmes était de quantifier le travail des fonctionnaires afin que celui-ci puisse être encadré de façon plus étroite à l'aide des nouveaux outils d'analyse de données développés au gouvernement et ailleurs.
Cinquante ans plus tard, les applications de l'intelligence artificielle au gouvernement du Canada et ailleurs ont changé. Toutefois, on peut reconnaître dans ces premiers programmes des signes précurseurs de tendances plus larges. Plutôt que de remplacer complètement des postes, l'intelligence artificielle tend à être déployée de façon à restructurer des tâches afin qu'elles soient confiées à des travailleurs au statut plus précaire, à limiter les occasions dont les travailleurs disposent pour exercer leur jugement, à réduire la dépendance des organisations à l'égard de certaines formes d'expertise et à remplacer les investissements dans la formation et le développement de la main-d'œuvre.
Ces tendances excèdent l'intelligence artificielle, bien sûr. Cependant, comme Paola Tubaro et ses collègues le soulignent, ces tendances tendent néanmoins à caractériser les plateformes, les pratiques de gestion, les réformes et les modèles d'affaires qui dépendent du déploiement de cette technologie.
À ce titre, il est donc urgent que l'incidence de l'intelligence artificielle sur la main-d'œuvre devienne une perspective clé pour l'élaboration de réponses politiques adaptées. Cette position est d'ailleurs partagée par plusieurs, dont MM. Emanuel Moss et Valerio De Stefano, qui soulignent l'incapacité de l'approche basée sur l'évaluation des risques qui caractérise les instruments de régulation actuels à rendre compte des questions liées à la protection des travailleurs. Pour refléter l'incidence de l'intelligence artificielle sur la main-d'œuvre, il serait nécessaire que ces instruments prennent en compte les répercussions de cette technologie sur la distribution des richesses, la qualité des emplois et la perte d'emplois salariés au profit de postes précaires ou en sous-traitance.
Jusqu'à maintenant, l'intelligence artificielle a été perçue au Canada comme une question de politique industrielle, et ce, non sans succès. Cependant, il est crucial que les investissements dans l'industrie de l'intelligence artificielle viennent complémenter des investissements similaires dans le capital humain, plutôt que de les remplacer.
Bien que les applications futures de l'intelligence artificielle soient difficiles à prévoir, les effets structurants de celles-ci sur l'organisation du travail demeurent stables et peuvent donc orienter des réponses politiques à l'épreuve des changements technologiques.
L'intelligence artificielle représente un défi tant en matière de droit du travail que de politiques industrielles. J'encourage donc les membres de ce comité à considérer les tendances dans lesquelles l'intelligence artificielle s'est inscrite au cours des 60 dernières années pour mettre en place les mesures de protection nécessaires pour que les travailleurs bénéficient eux aussi du déploiement de cette technologie.
Merci beaucoup.
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Je vous remercie de m'avoir invitée à vous faire part de mes réflexions aujourd'hui. Je m'appelle Nicole Janssen. Je suis cofondatrice et co‑présidente-directrice générale d'AltaML. Il s'agit de la plus grande entreprise spécialisée en intelligence artificielle appliquée au Canada. Nous créons des solutions logicielles d'intelligence artificielle personnalisées pour des entreprises clientes des secteurs privé et public. Notre entreprise n'a pas encore six ans, mais nous avons déjà travaillé avec plus de 100 entreprises sur plus de 400 cas d'utilisation de l'intelligence artificielle.
Je fonde mes réflexions aujourd'hui sur mes observations des projets que nous avons menés et sur les capacités actuelles et à court terme de l'intelligence artificielle, ainsi que sur ma connaissance de l'écosystème qui l'entoure.
Je voudrais commencer par dire qu'il ne fait aucun doute que l'intelligence artificielle va toucher les travailleurs canadiens à tous les niveaux, dans toutes les professions et dans tous les secteurs, et que le travail de votre comité pour comprendre son incidence est incroyablement important.
Je vais parler de l'éléphant dans la pièce, qui semble être la plus grande préoccupation que les gens ont au sujet de l'intelligence artificielle, à savoir les pertes d'emplois massives qu'elle provoquera. Sur les 100 entreprises avec lesquelles nous avons travaillé, aucune n'a adopté une solution d'intelligence artificielle pour ensuite procéder à des mises à pied. Ce que nous constatons, c'est que les outils d'intelligence artificielle sont utilisés pour accroître la productivité et que, dans la plupart des cas, ils ne peuvent qu'augmenter la capacité des humains et ne peuvent pas les remplacer entièrement.
La crainte des pertes d'emplois est la même crainte qui se manifeste depuis des centaines d'années lors de l'introduction d'une nouvelle technologie. Elle remonte aussi loin qu'à l'époque de l'arrivée du métier à tisser mécanique. Cependant, toutes les nouvelles avancées technologiques de l'histoire ont permis de créer plus d'emplois à des salaires plus élevés.
Dans l'ensemble, l'intelligence artificielle entraînera des gains nets sur le marché de l'emploi, mais certains emplois subiront des bouleversements. En fait, nous commençons déjà à voir ces bouleversements. Les emplois qui nécessitent de traiter de grandes quantités de renseignements et de les synthétiser, comme les postes de créateurs de contenu, ou dans la profession juridique, de parajuristes, par exemple, seront fortement touchés, de même que les emplois qui nécessitent de traiter de grandes quantités de données numériques, comme les postes d'analystes de recherche ou d'analystes financiers. L'intelligence artificielle peut repérer les tendances du marché beaucoup plus rapidement qu'un être humain. Les emplois qui fournissent une forme d'assistance extérieure, reproductible — comme les postes de préposés dans les centres d'appels, de réceptionnistes ou même d'adjoints administratifs — seront touchés. L'ingénierie logicielle sera touchée, et l'est déjà, car l'intelligence artificielle devient de plus en plus capable de créer du code de haute qualité.
Selon ce que j'ai pu constater, ces emplois ne disparaîtront pas, mais les personnes qui les occupent devront adapter leur façon de travailler, et leur temps sera consacré à des tâches à plus forte valeur ajoutée.
Vous avez sans doute remarqué que bon nombre des emplois que je viens de mentionner sont des emplois de cols blancs. L'intelligence artificielle est conçue pour imiter les fonctions cognitives, et il est probable que les emplois de cols blancs les mieux rémunérés seront les plus exposés à la technologie. Cela dit, on utilise aussi la technologie de l'intelligence artificielle dans les robots industriels et les drones, et c'est là où je vois une forte probabilité que des emplois soient remplacés, notamment dans les usines d'assemblage et les entrepôts. Il s'agit d'une transition à laquelle nous assistons depuis de nombreuses années, toutefois, en raison de l'automatisation. Il est également probable que les livreurs soient remplacés avec le temps par des drones.
Les emplois qui requièrent un contact humain ou des relations avec les gens deviendront de plus en plus importants. Même si ces professions utiliseront probablement l'intelligence artificielle pour les aider, elles ne connaîtront pas le même type de bouleversement que des professions comme les enseignants, les infirmières, les médecins, les thérapeutes, les gestionnaires des ressources humaines, les responsables des ventes et les relationnistes.
De nouveaux emplois apparaîtront également dans les domaines du développement de l'intelligence artificielle, de la cybersécurité, de la surveillance de l'éthique, de la gestion du changement pour l'intégration de l'intelligence artificielle, de l'étiquetage des données, du matériel d'intelligence artificielle et de l'ingénierie de requête. Ces emplois n'existaient pas il y a quelques années, et aujourd'hui nous voyons partout des offres d'emploi dans ces domaines.
Ce qui est clair, c'est que les personnes dans n'importe quelle profession qui choisissent de ne pas adopter et utiliser la nouvelle technologie seront celles qui perdront leur emploi au profit de celles qui l'adoptent parce qu'elles seront beaucoup plus productives. Les secteurs qui adoptent l'intelligence artificielle seront plus productifs et mettront plus de gens au travail plus rapidement. Si nous utilisons l'intelligence artificielle pour approuver les permis de construire beaucoup plus rapidement, cela permettra à un grand nombre de personnes de se mettre au travail beaucoup plus vite. Si nous utilisons l'intelligence artificielle pour perfectionner la maintenance préventive dans nos plans, cela garantira plus de temps de fonctionnement et plus de travail pour plus de personnes.
L'augmentation de la productivité que l'intelligence artificielle a le potentiel de créer présente un énorme avantage pour le Canada, car le pays est aux prises actuellement avec un problème de pénurie de main-d'œuvre à long terme et une productivité incroyablement faible.
Nous devons adopter l'intelligence artificielle avec prudence et prendre des mesures proactives, en investissant dans des programmes d'éducation et de formation qui permettent aux gens d'acquérir les compétences nécessaires dans une économie basée sur l'intelligence artificielle. Nous devons également mettre en œuvre des politiques qui garantissent l'inclusion, la diversité et l'utilisation éthique de cette technologie.
Je suis ici aujourd'hui pour vous faire part de mes réflexions, en partie parce que je sais à quel point ce sujet est important, mais aussi parce que je savais que je pouvais compter sur ChatGPT pour formuler la première version de mes commentaires, que je pouvais ensuite modifier et à laquelle je pouvais ajouter mes propres réflexions, me permettant ainsi de dire « oui » à cette demande.
Je vous remercie. Je serai heureuse de répondre à vos questions.
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Je vous remercie, monsieur le président, et je remercie nos témoins d'être avec nous pour témoigner dans le cadre de notre étude sur l'intelligence artificielle et son incidence sur l'emploi et la main-d'œuvre.
Madame Janssen, si je peux me permettre, je vais commencer par vous. J'ai beaucoup aimé votre exposé. Je suis ravie de voir que vous avez utilisé ChatGPT pour vous aider à le préparer. C'est un outil intéressant. Je constate que c'est un outil que nos étudiants en éducation utilisent aussi.
Vous avez parlé notamment de la peur du changement, et cela fait presque partie de la psychologie de l'être humain. Comme vous l'avez mentionné, c'est une constante depuis toujours. Cela fait partie de l'évolution, d'un progrès inévitable.
Dans le passé, quel a été le facteur décisif de cette poussée en avant? Avez-vous une sorte de référence historique à ce sujet? Vous avez parlé des métiers à tisser mécaniques. Quand on pense aux automobiles, aux avions, beaucoup de gens se sont opposés à ces changements, mais ils ont permis d'accroître la prospérité. Ils n'ont pas servi à remplacer des emplois.
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Je peux vous parler des projets que nous avons faits avec l'intelligence artificielle qui ont suscité des craintes. Il y en a beaucoup.
Ce qui est important, c'est de faire en sorte que les personnes dont les emplois seront touchés, qui verront leur travail changé, fassent partie dès le départ du processus de développement de l'intelligence artificielle. Elles doivent sentir qu'elles font partie de la solution, et non pas se sentir lésées.
Elles ont aussi besoin de voir que la mise en œuvre de l'intelligence artificielle ne vise pas à les remplacer. Dès qu'une personne sent que c'est son emploi qui est en jeu, elle, l'utilisateur final, ne procédera pas à la mise en œuvre de la nouvelle technologie.
Ces renseignements sont très utiles. Je suis ravie que vous ayez dit « augmenter » et non « remplacer ». Je pense que c'est très important que cela apparaisse au compte rendu.
J'aimerais passer à M. Autor.
J'ai aimé ce que vous avez dit au sujet des soins de santé. Nous sommes aux prises avec une pénurie criante de médecins, et l'intelligence artificielle permet de faire des avancées considérables dans le secteur de la santé.
J'aimerais savoir si vous pourriez nous parler de la vie privée. Les répercussions que l'intelligence artificielle aura dans le secteur de la santé — qui concerne la vie privée — sont l'une des principales craintes qu'ont beaucoup de gens.
D'après vous, que devrait surveiller le gouvernement pour veiller à ce que la vie privée des gens ne soit pas menacée par l'utilisation de l'intelligence artificielle?
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Je pense qu'il s'agit d'une question très importante, et en fonction du régime réglementaire, je ne pense pas que la protection de la vie privée est assurée dans ce qui peut ou ne peut pas faire l'objet d'un suivi. Nos téléphones sont des appareils de surveillance constante qui non seulement savent tout ce que nous faisons, mais communiquent les informations à des tiers. Les informations sont ensuite revendues. La vie privée sera compromise si la réglementation n'empêche pas cela et si les gens n'ont pas un droit de propriété sur leurs renseignements personnels. Je pense que c'est un enjeu très préoccupant.
Si vous le permettez, monsieur le président, je répondrai très rapidement à ce que vient de dire Mme Janssen au sujet de l'intelligence artificielle et de l'emploi. Je ne pense pas que la technologie ait toujours amélioré les emplois et que ce soit un fait historique. Les luddites avaient tout à fait raison de dire que la mécanisation avait fait disparaître leurs emplois. De plus, les salaires n'ont pas augmenté pendant six décennies, la croissance a été freinée et la famine a augmenté.
Je ne dis pas que les progrès n'ont pas été bénéfiques en fin de compte, mais les changements technologiques n'améliorent jamais tous les emplois ou le sort de tous les travailleurs. Il y a presque toujours des perdants — des personnes dont l'expertise est dévaluée —, et lorsque nous effectuons ces grandes transitions, nous devrions être prêts à aider les gens à s'adapter. Il y aura un prix à payer...
Les choses évoluent très rapidement et nous devons réfléchir à des méthodes agiles pour donner au gouvernement une meilleure vision de ce qui se passe. Il faut surtout éviter de dire qu'on procédera à une autre étude qui durera deux ans, car les choses évoluent beaucoup plus vite que cela.
Je pense que les pouvoirs publics n'ont pas une bonne idée de l'évolution de ces technologies, car, pour la première fois dans l'histoire, elles se trouvent presque entièrement derrière les murs des entreprises.
Je pense qu'il est vraiment important de savoir ce qui se passe sur le terrain. Encore une fois, le témoignage de Mme Janssen est très utile à cet égard.
Au sujet de l'exemple du système de CoCounsel que je vous ai donné, j'ai parlé à des cabinets d'avocats qui mettaient en place ce système et je leur ai demandé s'ils avaient licencié tous leurs avocats subalternes. Ils m'ont répondu qu'ils avaient en fait plus de travail qu'ils ne savaient en faire, parce qu'ils pouvaient désormais prendre l'appel d'une personne un après-midi et être prêts le lendemain à lui donner de bons conseils et à prendre des mesures.
Il y a en fait beaucoup de demandes non satisfaites, mais il faut être sur le terrain pour s'en rendre compte.
Je dirais qu'il est essentiel de développer des méthodes agiles pour donner au gouvernement une meilleure vision de la façon dont les choses évoluent sur le terrain, un peu comme les équipes d'intervention spéciale.
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C'est une très bonne question. Il n'y a pas d'exemple international qui me vienne spontanément à l'esprit.
En fait, il faut penser aux coûts cachés qui sont souvent associés à l'intelligence artificielle. Quand on interagit avec une plateforme comme ChatGPT, le travail humain derrière la chose tend à être un peu effacé. Cependant, derrière un système comme ChatGPT et tous les autres systèmes d'intelligence artificielle qui sont entraînés à l'aide de grandes quantités de données, il faut que des humains travaillent pour étiqueter ces données, les formater et les organiser, entre autres, ce qui n'est pas un travail bien rémunéré.
Il y a beaucoup de pays, surtout des pays émergents, qui vont former toute une main-d'œuvre pour remplir ces tâches à un coût très bas. L'exemple qui me vient en tête n'est pas nécessairement un exemple que le Canada veut imiter, car, quand on parle d'emplois mal rémunérés associés à l'intelligence artificielle, on peut penser à l'étiquetage de données. C'est un travail essentiel à tous les systèmes d'intelligence artificielle qu'on utilise et qu'on développe, mais qui dépend de milliers de travailleurs qui étiquètent manuellement des données pour quelques sous. Les exemples internationaux qui me viennent en tête ne sont donc pas nécessairement des exemples qu'on veut imiter, mais qu'on veut garder à l'esprit pour se rappeler les coûts sociaux et humains associés au développement de ces technologies.
Je remercie tous les témoins.
Monsieur Lepage‑Richer, selon l'OCDE, et comme le rappelait le représentant du syndicat lors de la première heure, les objectifs relatifs à l'intelligence artificielle doivent être orientés vers le développement durable et doivent être centrés sur l'humain, et on doit agir de façon responsable. De votre côté, vous avez parlé d'équité et de responsabilité.
Tout le monde s'entend pour dire que l'intelligence artificielle va se déployer, comme cela a été le cas pour la robotisation et l'automatisation. Les choses vont changer, mais je veux parler de ce qui se passera quand nous aurons atteint notre vitesse de croisière. Qu'est-ce que cela prend en amont, tant sur le plan réglementaire que sur le plan éthique, pour que cela ait un effet positif sur la main-d'œuvre, et non un effet négatif?
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À l'heure actuelle, l'approche utilisée au Canada pour évaluer et anticiper les risques et l'impact de cette technologie est principalement basée sur l'autoévaluation. La loi proposée sur l'intelligence artificielle et les données met de l'avant l'idée qu'on doit créer un modèle pour que les entreprises puissent se gouverner en tenant compte de certains paramètres, tout en s'assurant de limiter le plus possible les effets sur leur travail.
Un des problèmes que je constate dans cette approche, c'est que l'IA est déployée dans une très grande variété de secteurs. Par conséquent, à un moment donné, il faut que ces outils soient adaptés à chaque secteur et industrie dans lesquels l'IA est déployée. Cela permettra de bien représenter la réalité des travailleurs, des utilisateurs et des usagers dont la qualité de vie, le travail et le bien-être sont directement influencés par cette technologie.
Une des premières idées qui me vient en tête, c'est qu'il faut décliner des outils d'évaluation de risque selon les industries. En fait, à tous les niveaux de gouvernement, il y a des cadres précis pour évaluer l'impact environnemental, financier, social ou humain. Par contre, on n'observe pas le même degré de précision dans l'évaluation de cette technologie lorsqu'elle est déployée.
Spontanément, je répondrais donc qu'il faudrait un développement plus précis des outils d'analyse.
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Merci, monsieur le président.
Je ne dispose que de six minutes, mais j'aimerais d'abord parler d'organisation des travaux du Comité.
Pour que les témoins puissent se préparer, je pose ma question à M. Autor et à Mme Janssen. Il a été proposé au Comité de créer un conseil consultatif fédéral. Je me demande si je pourrais vous demander à tous les deux, quand j'aurai terminé mon intervention, quels sont les trois principaux sujets dont devrait être saisi un conseil consultatif fédéral, selon chacun d'entre vous, et d'abord et avant tout, si vous pensez que c'est une bonne idée.
Monsieur le président, avant de donner la parole aux témoins, je veux répondre à la lettre que le Comité a reçue d'Air Canada en réponse à notre demande pour que M. Rousseau, le PDG, comparaisse devant le Comité. Nous avons reçu une lettre dans laquelle il est écrit, si je ne me trompe pas, que M. Rousseau n'a pas l'intention de comparaître devant le Comité.
Je me demandais si je pouvais obtenir le consensus du Comité pour rétorquer à Air Canada que nous encourageons fortement M. Rousseau à venir, parce que nous ne voulons pas avoir à le sommer de comparaître.
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Est‑ce que cela répond à... Vous aurez le temps d'y revenir.
Je pense qu'il est très clair que le Comité est unanime. C'est le PDG que le Comité veut voir comparaître à la première occasion, et le PDG peut venir, accompagné de personnel de soutien, comme M. Aitchison l'a souligné, mais le Comité souhaite que le PDG comparaisse.
Comme personne ne manifeste d'opposition, je vais demander au greffier de communiquer clairement à Air Canada la volonté du Comité.
Madame Zarrillo, vous pouvez revenir à... Il vous reste encore plusieurs minutes.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie les membres du Comité et je présente mes excuses aux témoins.
Je me demande si je pourrais donner la parole à M. Autor, puis à Mme Janssen. Si nous manquons de temps, si l'un de ces témoins souhaite répondre au Comité par écrit, ce serait formidable.
Ma question porte sur le conseil consultatif fédéral qui a été proposé par des témoins antérieurs. Je me demande, monsieur Autor, si vous pourriez nous parler des trois principaux sujets qu'un conseil consultatif fédéral devrait examiner, selon vous, puis Mme Janssen pourrait répondre à la même question.
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Merci, monsieur le président.
Je suis favorable à l'idée d'un conseil consultatif fédéral, comme tous les témoins ici présents l'ont dit. Tout évolue très vite. Cela présente de nouvelles possibilités et de nouveaux défis. C'est une excellente idée de faire appel à des experts pour jouer un rôle consultatif.
Parmi les trois sujets que j'aborderais en priorité, il y a l'utilisation de la technologie en complément de la main-d'œuvre plutôt que pour l'automatisation. Je ne pense pas qu'on puisse tenir pour acquis qu'il y a automatiquement un gain à en tirer. Chaque pays décide comment il utilisera les technologies. La Corée du Nord ne se sert de l'énergie nucléaire que pour fabriquer des armes offensives, tandis que le Japon s'en sert uniquement pour la production d'énergie. Il n'a pas d'armes nucléaires. C'est un choix propre à chaque pays; ce n'est pas une caractéristique de la technologie.
Il faut donc premièrement nous demander comment bien l'utiliser pour optimiser le travail de la main-d'œuvre.
Deuxièmement, il y a la protection des travailleurs. Comme je l'ai mentionné, il faut réglementer pour éviter une surveillance indue et des décisions lourdes de conséquences prises par des algorithmes opaques et l'appropriation par l'intelligence artificielle du travail de création sans rémunération. Nous encadrons bien la propriété intellectuelle, mais les lois n'ont pas été conçues pour régir l'intelligence artificielle.
La dernière chose que je dirais concerne la visibilité de ces technologies. Elles sont opaques. Elles prennent des décisions lourdes de conséquences, et souvent, les créateurs de ces technologies ne divulguent même pas les sources de données utilisées pour l'entraînement. Je ne pense pas que ce soit acceptable.
Je pense qu'il est dans l'intérêt public de veiller à ce que les organismes de réglementation et les consommateurs comprennent comment fonctionnent les machines qui prennent des décisions importantes, des décisions qui sont utiles, par ailleurs. J'utilise et j'appuie l'IA.
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Le génie est sorti de la lampe, pour ce qui est de l'intelligence artificielle. C'est un point de non-retour.
Soit dit en passant, j'appuie pleinement l'idée de créer un tel comité. Je lui demanderais de se concentrer sur l'éducation, le perfectionnement et le soutien à fournir à la main-d'œuvre pour le déploiement de ces technologies. Cela signifie qu'il faut repérer rapidement les professions perturbées, surveiller la situation de près, voir quelles leçons on peut en tirer, puis parfaire la gestion du changement à mesure que ces technologies se déploient dans tous les autres secteurs, dans toutes les professions.
Ensuite, il y a toute la question de l'intelligence artificielle responsable, c'est‑à‑dire la transparence, l'imputabilité, la protection de la vie privée et tous les éléments qui viennent avec l'intelligence artificielle responsable. C'est là‑dessus et sur les répercussions directes sur les travailleurs que je mettrais l'accent.