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INAN Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent des affaires autochtones et du Nord


NUMÉRO 098 
l
1re SESSION 
l
44e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 28 février 2024

[Enregistrement électronique]

(1715)

[Traduction]

    Bonjour, chers collègues. La séance est ouverte.
    Bienvenue à la 98e réunion du Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes. Nous reconnaissons que nous sommes sur le territoire non cédé des peuples algonquin et anishinabe.
    Nous allons passer directement aux déclarations préliminaires. Je m'excuse du retard, mais les votes ont préséance sur notre travail ici.
    Nous accueillons aujourd'hui Ivan Zinger, enquêteur correctionnel du Canada au Bureau de l'enquêteur correctionnel du Canada. Il est accompagné de Hazel Miron, directrice adjointe du portefeuille autochtone. Bienvenue à vous.
    Chers collègues, il y a normalement une déclaration liminaire de cinq minutes. M. Zinger demande toutefois à disposer de dix minutes, de manière à présenter le rapport. Nous passerons ensuite au premier tour de table.
    Êtes-vous d'accord pour que nous lui accordions ces dix minutes?
     Des députés: D'accord.
     Le président: Sur ce, monsieur Zinger, vous avez la parole. Je vais mettre la minuterie en marche. Je vous montrerai un carton jaune lorsqu'il vous restera 30 secondes et un carton rouge lorsque le temps sera écoulé. Il vous suffira alors de conclure pour que nous entamions les discussions.

[Français]

    Je voudrais commencer par remercier le président et les membres de ce comité d'avoir bien accepté de nous recevoir pour vous parler de mon dernier rapport annuel, qui inclut une enquête systémique sur les Autochtones incarcérés dans les pénitenciers fédéraux.

[Traduction]

    Hazel Miron est avec moi. Elle est directrice adjointe du portefeuille autochtone. Elle a beaucoup d'expérience et elle est l'un des quatre piliers de mon équipe d'enquêteurs, qui a produit ce document à l'issue de la plus grande enquête systémique menée par le Bureau. C'est dans ce contexte que je comparais aujourd'hui.
    Tout d'abord, j'entends mettre les choses en contexte en présentant un récapitulatif chronologique qui, je l'espère, vous interpellera.
    Le Bureau de l'enquêteur correctionnel a été créé en 1973, il y a donc un peu plus de 50 ans, au titre de la Loi sur les enquêtes. Fait intéressant, dans le tout premier rapport annuel du Bureau, l'enquêteuse correctionnelle de l'époque, Ingrid Hansen, relevait que les Autochtones incarcérés n'étaient pas toujours bien traités.
    Depuis 1973, le Bureau a formulé plus de 80 recommandations expressément sur le traitement correctionnel des Autochtones. Malheureusement, le Service correctionnel du Canada n'a donné suite qu'à une poignée d'entre elles.
    En 1992, le rôle du Bureau a été enchâssé dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, promulguée par le gouvernement Mulroney. C'était une excellente mesure législative, très progressiste, qui traitait des droits garantis par la Charte et de principes du droit administratif. Elle comprenait deux dispositions très progressistes, les articles 81 et 84, afin que le ministre de la Sécurité publique, qu'on appelait alors le solliciteur général, conclue des accords avec les communautés autochtones pour le soin, la garde et la surveillance des personnes autochtones en détention.
    Vous n'êtes pas sans savoir qu'en 1999, il y a 25 ans, la Cour suprême du Canada a prononcé l'historique arrêt R. c. Gladue, où elle indiquait qu'en 1997, les Autochtones représentaient près de 3 % de la population du Canada contre 12 % de l'ensemble des détenus sous responsabilité fédérale, en précisant: « [l]es chiffres sont criants et reflètent ce qu’on peut à bon droit qualifier de crise dans le système canadien de justice pénale. » Gardez ce chiffre en tête: 12 %.
    En 2001, le premier ministre Jean Chrétien a déclaré dans le discours du Trône:
Le Canada doit s'employer à réduire sensiblement le pourcentage d'autochtones aux prises avec l'appareil de justice pénale, de manière à niveler cette proportion avec la moyenne canadienne d'ici une génération.
    Ce délai est évidemment dépassé depuis longtemps.
    En 2013, le Bureau a publié un rapport spécial sur les Autochtones et le système correctionnel, où l'on constatait que le Service correctionnel du Canada avait délaissé la mise en œuvre de l’article 81 au début des années 2000, préférant plutôt investir dans les pénitenciers au moyen de son initiative des Sentiers autochtones. Aujourd'hui, quatre pavillons de ressourcement sont toujours gérés par le Service correctionnel au lieu d'avoir été transférés aux communautés autochtones, comme prévu initialement. Le Bureau fait état d'un important écart de financement entre les pavillons de ressourcement qui sont exploités par le Service correctionnel et ceux qui sont visés par l'article 81. On parle grosso modo de 62 ¢ par dollar.
    En 2015, un des appels à l'action de la Commission de vérité et réconciliation recommandait au gouvernement de « s'engager à éliminer, au cours de la prochaine décennie, la surreprésentation des Autochtones en détention ». Nous sommes à un an de cette échéance. Elle ne sera pas respectée.
    En fait, en 2015, les Autochtones représentaient 25 % de tous les délinquants sous responsabilité fédérale. Aujourd'hui, ce pourcentage... J'ai bien peur d'avoir commis une erreur dans mes remarques liminaires. Il n'est pas de 32 %, mais bien de 33 % actuellement. C'est un énième jalon peu glorieux. Dans les pénitenciers canadiens, le tiers des détenus sont des Autochtones.
    Dans le cas des délinquantes autochtones sous responsabilité fédérale, la situation est encore pire: leur proportion est passée de 37 % en 2015 à 50 % aujourd’hui. En 2019, dans ses appels à la justice, l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a formulé 17 recommandations relatives aux services correctionnels fédéraux, notamment l’utilisation accrue des articles 81 et 84. Elle a aussi évoqué le renforcement du rôle des Aînés et la mise en œuvre d’une application cohérente des facteurs de l'arrêt Gladue dans la prise de décisions.
    Sautons quelques années: en 2021, le premier ministre Justin Trudeau a rédigé de nouvelles lettres de mandat, qui traitaient notamment de la surreprésentation des Autochtones dans le système de justice pénale.
    Au cours des 20 dernières années, le Service correctionnel du Canada a élaboré cinq stratégies distinctes en matière de services correctionnels pour Autochtones. Malheureusement, en dépit des ressources et des efforts considérables, le Bureau de l'enquêteur correctionnel n’a pas observé d’amélioration significative ni même mesurable des résultats correctionnels clés, qui dépendent pourtant du Service correctionnel. Quand on les compare aux autres détenus, les Autochtones sont surreprésentés dans les établissements à sécurité maximale. Ils sont surreprésentés dans les unités d'intervention structurée, c'est-à-dire l'ancien régime d'isolement préventif. Il est plus probable qu'ils soient en cause dans des incidents impliquant le recours à la force. Il est plus probable qu'ils s'automutilent. Ils risquent davantage de faire une tentative de suicide. Ils purgent une plus grande proportion de leur peine, puisque l'immense majorité d'entre eux sont libérés d'office, ce qui se produit après qu'ils ont purgé les deux tiers de la peine. Ils ont également un taux plus élevé de suspension ou de révocation de la mise en liberté conditionnelle et ils risquent davantage de récidiver.
    Nous avons maintenant mis à jour le rapport « Une question de spiritualité », publié initialement il y a 10 ans. Les deux parties sont rassemblées en un seul livre. Nous avons réalisé plus de 233 entrevues, dont 55 avec des Aînés. En 10 ans, la surreprésentation dans les établissements fédéraux est passée de 23 à 33 % dans l'ensemble, mais de 32 à 50 % pour les détenues autochtones.
    Aux fins de la mise à jour, nous avons examiné trois initiatives phares. Je vais relever certains points saillants de nos conclusions à leur sujet.
    La première initiative phare, ce sont les pavillons de ressourcement. Il y en a actuellement 10 qui relèvent du régime correctionnel fédéral. Quatre d'entre eux sont gérés par le Service correctionnel. Ils comportent 250 places, ce qui correspond à environ 4 % de la population carcérale autochtone. Les six autres sont visés par l'article 81; ils sont donc sous gestion autochtone. Cependant, ils n'ont que 139 places, ce qui permettrait d'accueillir seulement 2 % de la population carcérale autochtone. Il n'y a aucun pavillon en Ontario, dans l'Atlantique ou en région nordique. Sur le plan du financement, l'écart reste de 62 ¢ par dollar. Le Service correctionnel nous avait indiqué il y a 10 ans avoir haussé le financement des pavillons gérés par des communautés autochtones, sauf qu'il a aussi haussé celui des siens propres, alors l'écart ne s'est pas résorbé.
    La deuxième initiative phare que nous avons examinée s'appelle Sentiers autochtones. On compte actuellement 350 places dans le cadre de cette initiative, soit 8 % de la population carcérale autochtone totale quand toutes les places sont occupées. Hélas, il y a des places libres.
(1720)
    Sentiers autochtones est censé élargir l'accès à des cérémonies et à des services autochtones, y compris des cérémonies culturelles et la médecine traditionnelle. Malheureusement, puisqu'il y a actuellement plus de 4 500 détenus autochtones, plus de 90 % d'entre eux sont privés de participation à quelque chose qui, à mes yeux, est un droit constitutionnel et ne devrait être considéré ni comme un privilège ni comme un programme. C'est vraiment déplorable de restreindre l'accès à ces services améliorés.
    Enfin, nous nous sommes penchés sur les services offerts par les Aînés. Nos entrevues ont révélé que les Aînés se sentent majoritairement peu soutenus, peu valorisés et peu appréciés par le Service correctionnel du Canada. Ils ne bénéficient ni de congés de maladie, ni de vacances payées, ni d'un régime d'assurance-maladie complémentaire ni de la sécurité d'emploi. La plupart d'entre eux se sentent surchargés de travail en plus d'avoir l'impression de manquer d'influence et de ne pas être respectés comme il se doit.
    Lorsque j'ai présenté mon rapport annuel, le 1er novembre 2023, j'ai organisé une conférence de presse à l'Amphithéâtre national de la presse. À ma grande fierté, le président de l'ITK, la présidente du Ralliement national des Métis et le chef régional du Québec et du Labrador de l'Assemblée des Premières Nations étaient présents. Ces trois dirigeants nationaux ont dit très ouvertement qu'ils estiment eux aussi que les politiques et le fonctionnement du Service correctionnel sont inefficaces et ne répondent pas aux besoins des Autochtones, et que le Service correctionnel du Canada doit céder une part importante de son contrôle, de ses pouvoirs et de ses ressources aux communautés et organisations autochtones pour le soin, la garde et la surveillance des Autochtones.
    Sur ce, je vous remercie de votre attention. C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
(1725)
    Merci énormément de cette mise en contexte. Je pense qu'il y a des chiffres très révélateurs à cogiter et des faits pertinents à considérer, alors le tour de table s'annonce intéressant.
    Pour que tout le monde le sache, je précise que M. Zinger a apporté le livre Dix ans depuis Une question de spiritualité. Il a des exemplaires en français et en anglais. J'en prendrai pour tout le monde. Je garderai de côté un exemplaire en français pour vous, monsieur Lemire, si cela vous convient. Je prendrai aussi des exemplaires pour M. McLeod et les membres habituels, MM. Zimmer et Powlowski. Si les remplaçants d'aujourd'hui aimeraient obtenir le livre, on leur en fera parvenir un s'il en reste.
    Commençons par M. Schmale, qui dispose de six minutes.
    Vous avez la parole.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je remercie le témoin de témoigner aujourd'hui.
    Pourriez-vous nous dire pourquoi, selon les statistiques et les chiffres que vous venez de nous donner, le nombre de détenus autochtones ou leur taux d'incarcération n'ont pas diminué sensiblement?
    Je me dois de préciser que mon mandat se limite au milieu correctionnel fédéral. Les responsables estiment, à juste titre je pense, que Service correctionnel Canada n'a aucun contrôle sur le nombre de délinquants admis dans les pénitenciers. Cependant, contrairement à eux, j'estime qu'il a le pouvoir et les moyens d'induire des changements et d'améliorer considérablement la sécurité publique en faisant le nécessaire pour préparer les détenus sous sa garde à une réinsertion sociale sure et graduelle.
    À mes yeux, le Service correctionnel est confronté à beaucoup de problèmes épineux, et il faudrait les régler beaucoup plus en amont, avant que les gens arrivent dans les centres correctionnels. Personnellement — et, comme je l'ai dit, cela dépasse la portée de mon mandat —, il m'apparaît évident que, dans la société canadienne, les Autochtones ne bénéficient pas des mêmes privilèges socioéconomiques et des mêmes droits, notamment culturels, que les autres Canadiens. Ils sont incroyablement désavantagés, et cette situation est souvent attribuable, évidemment, à des facteurs historiques.
    Malgré l'affectation de ressources au Service correctionnel pour améliorer la situation, selon votre rapport, il n'y a pas eu de différence mesurable depuis 20 ans.
    En conséquence, que nous recommanderiez-vous au juste pour espérer changer le moindrement les choses? Je n'ai pas l'impression qu'il soit possible ni même souhaitable de continuer ainsi pendant encore 20 ans. Je suis ouvert à vos suggestions.
(1730)
    Pour moi, c'est évident que ce n'est pas en dépensant encore plus d'argent à faire encore la même chose qu'on améliorera la situation des détenus fédéraux. J'ai formulé diverses recommandations aussi précises qu'audacieuses. J'ai consulté des organisations et des dirigeants autochtones ainsi que mes collaborateurs, y compris Mme Miron, et à mon avis, s'il y a une chose que le Service correctionnel devrait faire en priorité, c'est céder les quatre pavillons de ressourcement qu'il gère à des communautés ou à des organismes autochtones. Il devrait surtout s'engager à réaffecter une bonne part de son financement aux communautés ou aux organismes autochtones en concluant de nouveaux accords au titre de l'article 81 et en créant des places additionnelles. Cet exercice de réaffectation ne coûterait absolument rien à l'État. Il s'agirait simplement de réaffecter les fonds.
    Nous recommandons également de rendre les services de l'initiative des Sentiers accessibles à tous les Autochtones plutôt qu'à une poignée seulement...
    Pardon, mais il me reste moins d'une minute, et à la lumière de ce que vous avez dit, j'ai une autre question importante.
    J'ai un article du Saskatoon StarPhoenix en date du 3 septembre 2023 où on lit qu'en quatre ans, de 2017 à 2021, il y a eu 56 évasions de détenus sous responsabilité fédérale, dont 43 % depuis des pavillons de ressourcement. Selon ce que je comprends, il s'agissait de pavillons de ressourcement gérés par le gouvernement fédéral plutôt que par des communautés autochtones.
    Il faudrait évidemment faire davantage appel aux Aînés et accroître le soutien communautaire, mais au‑delà de cela, combien de temps faudrait‑il, au mieux, pour que le Service correctionnel confie la gestion des pavillons de ressourcement aux Autochtones? Compte tenu de l'information que vous présentez aujourd'hui, les deux types de pavillons ne semblent pas du tout être gérés de la même façon.
    Si le Service correctionnel s'engageait véritablement à céder une partie de ses ressources, ce ne serait pas instantané. Il pourrait falloir plus de 10 ans pour réaffecter sans problème une enveloppe de quelque chose comme 500 millions de dollars à cet effet. Je suis convaincu que c'est possible d'y arriver par attrition, ainsi que par une concertation des efforts et avec l'aide de l'organisme central; ce serait réalisable.
    Merci.
    Le temps est écoulé.
    Passons maintenant à M. Battiste pour six minutes.
    Merci, monsieur Zinger, surtout d'avoir fait un état des lieux relativement à la situation des Autochtones en milieu correctionnel au Canada.
    Pourriez-vous nous dire si vous avez observé quelque corrélation que ce soit entre la deuxième ou troisième génération de survivants des pensionnats autochtones et les personnes actuellement détenues dans les pénitenciers?
    Au fond, ce que je cherche, ce sont les causes profondes. Je rejette catégoriquement l'idée qui veut que les Autochtones, à cause de leur culture ou d'une quelconque solution basée sur la race, seraient plus enclins à la criminalité. Je préfère chercher l'origine du problème. J'ai prêté l'oreille aux Aînés, et je viens de la Nouvelle‑Écosse, où l'enquête sur Donald Marshall Jr. a révélé que l'appareil judiciaire, qui est empreint de racisme systémique, laisse invariablement tomber les Autochtones.
    Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les causes profondes des constats relatifs aux personnes qui sont actuellement derrière les barreaux ainsi que du contexte qui les fait échouer dans les établissements fédéraux?
(1735)
    J'aimerais laisser répondre Mme Miron, quitte à ajouter des précisions.
    Dans certains cas, les causes profondes résident dans les pensionnats indiens, qui ont engendré toutes sortes de traumatismes. Les jeunes délinquants qui entrent en détention sont souvent aux prises avec des traumatismes intergénérationnels. Malheureusement, quand on découvre en consultant leur dossier comment ils en sont arrivés là, on dirait presque... Pour eux, un établissement, c'est le pensionnat indien d'aujourd'hui. Quand les gens ont des démêlés avec la justice ou qu'ils se retrouvent derrière les barreaux, c'est encore souvent à cause des séquelles des pensionnats.
    Ai‑je répondu à...
    Oui, et c'est là la corrélation que je pressentais. Les gens ont été arrachés à leur famille pour se retrouver dans un pensionnat indien où, loin de recevoir de l'amour, ils ont subi toutes sortes de mauvais traitements, des générations durant.
    Je dois toutefois m'inscrire en faux, monsieur Zinger, lorsque vous dites qu'il n'y a pas eu de progrès en 20 ans. Combien d'années faudra‑t‑il selon vous pour neutraliser les générations de négligence et de préjudices que les Autochtones ont subis de la part de l'appareil judiciaire et de l'État? Faut‑il baisser les bras en se disant que 20 ans, c'est bien assez et qu'il faut arrêter de gaspiller de l'argent pour cela?
    Ce que je peux vous dire, c'est que si on prend le taux d'incarcération, par exemple, qui est largement plus élevé chez les Autochtones que chez les non-Autochtones, comme baromètre pour mesurer le succès ou l'échec des politiques publiques en général, il me semble que si on était arrivé à contrer la tendance — une tendance linéaire qui s'aggrave au fil des ans — ou même à la renverser, la situation se serait améliorée dans des sphères comme l'éducation, le logement, la santé, l'emploi ou la lutte contre le racisme.
    Le taux d'incarcération est sans doute un baromètre rudimentaire, mais il n'en reste pas moins, selon moi, le reflet des innombrables problèmes sociaux qu'il faut régler.
    Dans votre témoignage, vous avez dit qu'à votre avis, si les détenus autochtones étaient mieux à même d'exercer leurs droits, les choses évolueraient pour le mieux. Que voulez-vous dire? En quoi le fait que les Autochtones exercent leurs droits éviterait‑il dans une certaine mesure les problèmes actuels?
    Voici un exemple. Il y a trois semaines, je me suis rendu à l'Établissement d'Edmonton, un pénitencier autonome à sécurité maximale. On y trouvait alors à peu près 230 détenus, si je ne m'abuse.
    Or, les choses vont tellement mal là‑bas que les détenus sont essentiellement répartis en 12 sous-populations distinctes. Autrement dit, ils ne peuvent pas interagir avec ceux des autres sous-populations. C'est comme avoir 12 pénitenciers distincts au sein d'un unique établissement.
    C'est donc extrêmement difficile de s'y prévaloir des programmes et des services. Par exemple, à l'Établissement d'Edmonton, environ 70 % des détenus sont autochtones. Il n'y a pas d'atelier industriel — CORCAN —, alors ils ne peuvent pas suivre les formations professionnelles que CORCAN est censé offrir.
    Il y a seulement huit personnes qui, trois fois par semaine, ont accès à ce qu'on appelle les programmes préparatoires aux Sentiers autochtones: 8 personnes sur 230.
    En ce qui a trait aux études, puisqu'on ne peut pas mettre tous les élèves ensemble, s'ils ont des cours deux fois par semaine, à raison de deux heures trente par cours, c'est déjà beau, même s'ils préféreraient comme tout le monde y consacrer la journée entière afin de parfaire leur éducation.
(1740)
    Désolé, mais je dois vous interrompre.
    Cette série de questions est écoulée. Je vous laisse une minute pour conclure, rapidement.
    La sonnerie retentit. Je propose que nous terminions au moins le présent tour de table, ce qui devrait prendre 12 minutes. Il me faut donc le consentement unanime.
    Des députés: D'accord.
    Le président: Parfait. Si vous voulez conclure en une phrase, monsieur Battiste, allez‑y. Autrement, je passerai à M. Lemire.
    Monsieur Lemire, la parole est à vous pour six minutes.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Je vous remercie, monsieur Zinger, de votre présentation et d'avoir attiré notre attention sur une question aussi importante.
     M. Jean‑Charles Coutu, juge à la retraite, est un ami de ma famille. Il était reconnu comme étant le juge du Grand Nord québécois. Après avoir travaillé pendant plus de 20 ans dans les communautés autochtones, il avait rédigé un rapport. Durant les Fêtes, j'ai eu l'occasion d'aller chez lui. Il m'a exprimé sa tristesse à l'égard du fait que ce rapport avait en quelque sorte été tabletté.
    Je crois que plusieurs des éléments que vous soulevez aujourd'hui méritent un petit rappel historique.
    M. Jean‑Charles Coutu a récemment reçu l'Ordre du Canada. Il a reçu cette distinction très honorifique au cours de la dernière année. Au cours d'une entrevue, il a dit que, lorsqu'il allait faire des interventions dans le Grand Nord, il allait toujours rencontrer les conseils de bande des Cris et les conseils municipaux des Inuits, parce qu'être assis à côté du chef de bande était un élément important dans l'acceptabilité et la paix sociale que pouvait engendrer un certain jugement. Il dialoguait constamment avec les communautés pour améliorer les choses et amener les Premières Nations dans l'administration des différents moyens.
    Son rapport contenait 54 recommandations. M. Coutu faisait des suggestions très innovantes. Par exemple, il préférait souvent opter pour des peines plus clémentes afin de permettre aux gens de demeurer dans leur communauté. L'exil d'un Inuit vers un autre village est une peine beaucoup plus sévère qu'on pourrait le croire. On connaît la culture du cercle chez les Inuits et chez les Autochtones comme étant un élément important. Le fait de sortir un Autochtone ou un Inuit de sa communauté est souvent une peine beaucoup plus sévère que le jugement lui-même. Cela provoque une certaine forme de décrochage du système, ce qui conduit aussi aux problèmes que vous soulevez dans votre rapport.
    Une des différentes recommandations de son rapport visait une « présence stratégique globale de l'administration de la justice en milieu autochtone, en l'adaptant aux besoins propres à chacune des communautés, en accord avec leurs valeurs sociales ». Je pense aussi à un programme de nomination des juges de la paix en milieu autochtone, qui incluait davantage les Autochtones et qui penchait en faveur d'une cour spéciale. Cela fait partie des éléments qui ressortaient.
    Dans son rapport de 1995 pour le gouvernement du Québec, M. Coutu a écrit un passage que je trouve intéressant:
Pour rétablir [l']harmonie, le juge devrait pouvoir aller au-delà des différends qui lui sont soumis [...] Il est rare que notre système accorde des pouvoirs aussi étendus à un juge. Il semble donc évident que si nous appliquons sans nuance notre système dans les collectivités autochtones, nous continuerons à offrir une forme de justice dont seront absents les éléments requis pour obtenir des résultats positifs et pour inspirer le respect [que la justice] mérite.
    Bref, en étant trop strict dans le milieu autochtone, on ne s'adapte pas à leur culture et cela fait qu'on vit des problèmes comme celui de la surpopulation.
    Croyez-vous que ce volet consistant à donner plus d'autonomie aux communautés autochtones dans l'application de leurs droits et à inclure les conseils de bande mériterait d'être exploré par notre système de justice?
(1745)
     Oui. Ce problème existe certainement chez nos Inuits du Nord du Québec et du Grand Nord.
    Comme je vous l'ai dit, il n'y a pas de pénitencier dans le Nord et, par conséquent, les Inuits sont envoyés dans des pénitenciers du Sud du pays. Le Service correctionnel a établi quatre centres d'excellence inuits offrant une programmation qui répond mieux à leurs besoins.
    Par contre, quand nous avons examiné attentivement la situation, en novembre 2023, il y avait à peu près 130 Inuits dans le système correctionnel fédéral, et seulement la moitié d'entre eux étaient placés dans ces centres où certains programmes sont mieux adaptés.
    Cela devient un vrai problème et, à notre avis, pour respecter les principes de réconciliation, de détermination et d'autogouvernance des peuples autochtones, il est important que les communautés autochtones aient beaucoup plus de contrôle sur leur système de justice, et ce, du début jusqu'à la fin, entre les services de police autochtones, les tribunaux et l'administration des peines.
    Je vous ai mentionné tantôt que je trouvais intéressant que le président du conseil de bande des Cris ou qu'un conseil municipal pour les Inuits était présent lors des causes, et qu'il était consulté par le juge, notamment pour avoir un dialogue avec les accusés, afin de pouvoir mieux comprendre la situation.
    Il s'agit donc de favoriser le dialogue pour aller au-delà de la peine et pour que la justice soit réparatrice et tienne compte de l'élément de participation aux cercles.
     Devrions-nous explorer cela davantage plutôt que demander des peines d'extradition de la communauté?

[Traduction]

    Pardon, mais juste avant que vous répondiez, je signale que c'est la fin des six minutes. Je vous donne donc un court instant pour répondre, mais nous passerons ensuite à Mme Idlout.

[Français]

    La réponse est oui. À mon avis, il devrait assurément y avoir plus d'engagements de ce genre, soit des engagements qui sont plus respectueux des communautés autochtones.
    Merci, monsieur le président.
    Meegwetch.

[Traduction]

    Je vous remercie, monsieur Lemire.
    Madame Idlout, c'est maintenant votre tour. Vous disposez de six minutes.
    Qujannamiik, Iksivautaq.
    Merci, monsieur le président, et merci aussi aux deux témoins de leur présence. Votre rapport me plaît énormément, car vous y avez fait ressortir les injustices que continuent de subir les Autochtones. J'espère sincèrement que ce ne sont pas seulement les membres du Comité, mais bien tous les parlementaires qui liront ce rapport d'importance, car vous y traitez d'une foule de sujets, y compris les traumatismes intergénérationnels. Vous y traitez des répercussions sur les Autochtones du colonialisme et des politiques génocidaires et vous y formulez d'excellentes recommandations afin de transformer l'appareil judiciaire canadien, ce système très oppressif, de manière à y résorber la surreprésentation des Autochtones.
    Je tenais donc à vous féliciter de votre excellent travail.
    Je relève que, selon les données sur les pavillons de ressourcement founies dans le rapport Dix ans depuis Une question de spiritualité que vous nous avez remis, parmi ces 10 pavillons, seulement 2 ont un taux d'occupation de 100 %. Dans les autres cas, soit il n'y a aucun chiffre rapporté, soit le taux d'occupation est inférieur. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi?
    Est‑ce, par exemple, parce qu'on ne fait pas assez savoir aux communautés autochtones qu'il existe une enveloppe budgétaire pour ouvrir un pavillon de ressourcement? Il faut absolument qu'elles le sachent.
(1750)
    Je suis désolé, parlez-vous du taux d'occupation des divers pavillons de ressourcement? Est‑ce bien cela?
    Je pense, oui, puisque dans votre rapport, à la page 11, on voit que le Centre de guérison Waseskun est occupé à 100 %. Le Centre de ressourcement Willow Cree est occupé à 100 %. Si les Autochtones sont si surreprésentés au sein du système pénal, pourquoi les autres pavillons de ressourcement n'ont-ils pas un taux d'occupation de 100 %?
    Voilà une excellente question, et nous ne nous expliquons pas la situation plus que vous.
    Il y a 4 500 Autochtones qui sont détenus dans les établissements fédéraux et seulement 139 places, alors pourquoi ces places ne sont-elles pas remplies? C'est la même chose dans les pavillons de ressourcement gérés par les Services correctionnels, où il y a 250 places. Globalement, leur taux d'occupation était de 75 %, je crois. Nous avons demandé pourquoi les pavillons n'étaient pas occupés à 100 %.
    À l'issue de nos démarches, nous avons constaté que les responsables des pavillons de ressourcement veulent accueillir davantage de résidents. Sur papier, ils acceptent davantage de résidents, sauf que le Service correctionnel ne procède pas aux transfèrements.
    Il y a actuellement une tendance très troublante: des établissements à sécurité minimale gérés par le Service correctionnel livrent concurrence aux pavillons de ressourcement, qui, légalement, sont considérés comme des établissements à sécurité minimale. C'est tout à fait déplorable. À moins d'obliger le Service correctionnel à se bouger pour rectifier le tir, rien ne changera. C'est exactement ce que nous avions constaté en 2013.
    Mme Miron s'est rendue dans d'innombrables pavillons de ressourcement au fil des ans.
    Il y a beaucoup de gars qui sont encore détenus dans des établissements à sécurité moyenne sans qu'on examine leur dossier en vue de les transférer dans un pavillon de ressourcement. Chaque fois qu'ils veulent un transfèrement, il semble y avoir quelque chose qui achoppe. On va les transférer d'un établissement à sécurité moyenne à un établissement des Sentiers avant qu'ils aient éventuellement la possibilité d'aller dans un pavillon de ressourcement.
    Par ailleurs, pour bien des gars et des femmes, les critères sont extrêmement difficiles à satisfaire. C'est un problème. Je pense qu'il faut revoir les critères d'admissibilité pour qu'ils soient plus réalistes du point de vue autochtone plutôt que du point de vue du Service correctionnel.
    Le temps est pour ainsi dire écoulé. Merci.
    Hélas, nous devons maintenant nous arrêter.
    Je regarde mon horloge. Il nous reste 15 minutes avant la mise aux voix, qui aura lieu vers 18 h 10. Le vote durera 10 minutes, puis il faudra 10 minutes pour revenir; il sera donc 18 h 30. Je sais que beaucoup de membres du Comité ont dit avoir des plans, comme organisateurs ou comme participants, après 18 h 30 ce soir, alors c'est avec mes excuses que j'annonce à nos invités que nous devons conclure la réunion.
    Nous vous sommes sincèrement reconnaissants de vous être présentés malgré le court préavis et d'avoir produit un rapport aussi exhaustif. Il y a vraiment de quoi alimenter nos discussions. Merci beaucoup de signaler sans relâche de très graves problèmes au gouvernement et aux membres du Comité.
    Chers collègues, à notre retour en mars, dans quelques semaines, la première réunion portera sur l'arrêt de la Cour suprême. Je réserve 90 minutes à cet effet, puis nous passerons aux affaires du Comité pour les 30 dernières minutes. Le mercredi, nous accueillerons des ministres au sujet des budgets supplémentaires des dépenses (C). C'est ce qui est prévu.
    Sur ce, je souhaite à tout le monde une excellente relâche dans nos circonscriptions respectives. Nous nous reverrons en mars.
    La séance est levée.
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