Bienvenue à la 122e réunion du Comité permanent des pêches et des océans. Cette réunion se déroule en format hybride, conformément au Règlement.
Avant de procéder, j'aimerais faire quelques commentaires pour les témoins et les députés. Veuillez attendre que la présidence vous nomme avant de prendre la parole. Les gens dans la salle peuvent utiliser les oreillettes et sélectionner le canal de leur choix. Veuillez adresser tous vos commentaires à la présidence.
Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée le lundi 16 septembre 2024, le Comité reprend son étude des effets de la réouverture de la pêche à la morue à Terre‑Neuve‑et‑Labrador et au Québec.
Je souhaite la plus cordiale des bienvenues aux témoins. Dans le premier groupe, nous accueillons: Sylvie Lapointe, présidente du Conseil du poisson de fond de l'Atlantique; Alberto Wareham, président et directeur général d'Icewater Seafoods Inc.; et Carey Bonnell, vice‑président, Développement durable et engagement, Ocean Choice International.
Merci de prendre le temps de témoigner aujourd'hui. Vous avez chacun cinq minutes ou moins pour présenter votre exposé.
Madame Lapointe, vous avez la parole.
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Bonjour. Merci, monsieur le président.
Je tiens à remercier le Comité d'avoir invité le Conseil du poisson de fond de l'Atlantique à témoigner aujourd'hui et à prendre part à son étude sur la morue du Nord.
Nos membres pêcheurs de morue en eaux extracôtières se trouvent à proximité de la ressource; il s'agit d'entreprises familiales de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, notamment la famille Wareham d'Arnold's Cove et la famille Sullivan de Calvert. Ensemble, nos membres emploient plus de 2 000 personnes issues de plus de 300 localités dans la province. Parmi ces employés, on compte des centaines de membres d'équipage qui participent à nos activités extracôtières toute l'année, qui vivent surtout dans les localités rurales et qui contribuent ainsi au développement de nos économies régionales.
Le Conseil avait espoir dans le retour de la pêche commerciale de la morue à Terre‑Neuve‑et‑Labrador et il y souscrit toujours. Le conseil et ses membres continueront à investir dans la croissance de cette ressource et sa durabilité à long terme. À cet égard, nous reconnaissons l'importance que le Canada honore toujours sa responsabilité d'intendance des stocks de poisson légendaires, et nous continuerons à participer à l'atteinte de cet objectif.
Au cours des 30 dernières années, nous nous sommes employés à reconstruire le stock de morue du Nord dans le cadre d'un partenariat continu avec Pêches et Océans Canada et d'autres acteurs du milieu à chaque occasion qui nous a été présentée, dont la participation et la contribution aux évaluations scientifiques de la morue du Nord, aux réunions du comité consultatif et aux groupes de travail. Fait à noter, notre engagement s'est notamment traduit par notre participation au projet d'amélioration des pêcheries à hauteur de 9 millions de dollars dans le cadre du partenariat avec Sustainable Fisheries Partnership ainsi qu'avec des clients comme Marks & Spencer, Young's Seafood et Thistle Seafood du Royaume‑Uni, Sysco France et Aliments High Liner du Canada et des États‑Unis, qui apportent eux aussi une contribution financière.
Notre projet d'amélioration des pêcheries réunit des universitaires, des fonctionnaires, partenaires de la chaîne d'approvisionnement ainsi que des acteurs du milieu. Le projet d'amélioration des pêcheries mène des recherches avant‑gardistes de calibre mondial sur la migration de la morue et la composition de ses stocks. Notre projet de surveillance acoustique de la morue du Nord nous a permis de mieux comprendre la migration et les relations génétiques de la morue. Ces connaissances sont capitales pour la gestion des pêches à long terme et pour l'établissement d'une certification des pêches par le Marine Stewardship Council.
Selon la dernière évaluation de la morue du Nord, le stock se trouve dans la zone de prudence définie dans le Cadre de l'approche de précaution du MPO depuis 2016; selon les estimations, il est à 24 % au‑dessus du niveau de référence limite en 2024. Les résultats de l'évaluation scientifique montrent que le stock de morue du Nord a une taille stable et relativement inchangée depuis 2016. À l'exemple des années antérieures, la mortalité par pêche demeure faible, et la mortalité naturelle, élevée. Nous constatons quelques signaux positifs du stock. Notons l'état au‑dessus de la moyenne du poisson, l'âge très varié — indicatif de la survie du poisson plus âgé —, la dispersion importante de la biomasse dans les unités de stock, le recrutement continu fixé à environ 80 % des niveaux historiques et les taux supérieurs de capture de la pêche. Qui plus est, la morue du Nord se classe au 2e rang des stocks de poissons de fond dans le Canada atlantique, après le sébaste de l'unité 1 pour sa biomasse totale.
À la lumière de ces facteurs, on passe d'une pêche d'intendance à une pêche commerciale, ce qui correspond à l'état de la zone de prudence du stock. Comme il n'était pas de notoriété publique que le stock se trouvait dans la zone de prudence depuis huit ans, il y a lieu de croire à la perte de revenus possibles tirés de cette pêche. Les retombées sur le plan économique et social engendrées par la pêche de la morue du Nord à Terre‑Neuve‑et‑Labrador nécessitent une « pêche équilibrée », avec des filières côtière, semi‑hautière et hautière. Une pêche équilibrée garantirait un accès permanent à des marchés internationaux haut de gamme toute l'année, des saisons d'exploitation prolongées pour les vaisseaux et les usines qui assurent des emplois mieux payés et plus permanents dans des localités côtières ainsi qu'un climat propice à l'investissement dans la modernisation et la technologie du secteur.
Notre secteur appuie une pêche équilibrée qui favorise la viabilité et la stabilité de tous les secteurs de flottille. Dans ce contexte, le secteur hauturier canadien a obtenu l'accès à la morue du Nord pour la pêche commerciale de 2024‑2025. Nous prônons toujours une approche progressive qui prévoit une majoration de notre part correspondant aux niveaux historiques au fil du temps et de la croissance de la pêche.
Le MPO, le secteur et d'autres acteurs l'ont tous reconnu: il faut se mettre à évaluer une série de stratégies de pêches possibles pour la morue du Nord qui permettront de déterminer les taux adéquats de prélèvement de rechange du stock à mesure que celui‑ci circule dans la zone de prudence définie par le Cadre de l'approche de précaution. Il faudra donc déterminer le niveau de référence supérieur et le taux de prise connexe, qui n'ont toujours pas été établis pour ce stock.
Nous remercions le MPO pour sa résolution à convoquer le groupe de travail sur la morue du Nord afin de mener à bien cet important travail le plus tôt possible et d'avoir une règle de contrôle des prises approuvée avant la saison de 2025. Nous sommes impatients de travailler de concert avec lui pour mettre au point une stratégie de pêche adaptée pour la morue du Nord propice à la pêche durable à long terme.
Je vous remercie de votre temps, et j'ai hâte de répondre à vos questions.
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Merci, monsieur le président.
Beaucoup de gens ont pris la parole devant le Comité sur l'imposition d'un moratoire sur la morue le 2 juillet 1992, puis sur sa fin, le 26 juin 2024. J'aimerais d'abord parler de la période définie par ces dates.
Après l'imposition du moratoire, la majorité des gens et des collectivités à Terre‑Neuve‑et‑Labrador sont passés de la morue à d'autres poissons, à d'autres industries, voire à d'autres provinces. L'usine d'Icewater Seafoods, à Arnold's Cove, à Terre‑Neuve‑et‑Labrador, a toutefois continué de transformer la morue et uniquement la morue. Pour certains, cette décision peut sembler mal avisée. Pourtant, Icewater Seafoods et les bonnes gens d'Arnold's Cove ont fait mentir les prédictions. Trente‑deux ans plus tard, nous sommes la seule usine en Amérique du Nord à œuvrer uniquement à la production continue de morue de l'Atlantique Nord de qualité supérieure.
Ils sont nombreux à attribuer cela à l'engagement infatigable de mon défunt père, Bruce Wareham, et c'est compréhensible. Il savait que, malgré les 500 ans d'histoire de la province avec la morue, cette histoire en était une de quantité et non de qualité. Ce n'est pas en se concentrant sur la quantité que Terre‑Neuve‑et‑Labrador parviendra à être concurrentielle sur les marchés mondiaux de produits haut de gamme de la morue ni à maximiser la valeur de l'espèce pour sa population et ses collectivités. La province doit miser sur la qualité. Mon père l'a compris il y a 30 ans de cela, et nous continuons depuis à mettre l'accent sur la qualité.
Après trois ans de travaux, nous avons terminé en 2020 la mise à niveau de 14 millions de dollars de l'usine d'Arnold's Cove. Icewater a investi dans la technologie nécessaire pour que cette usine de production de morue demeure l'une des meilleures dans le monde. Nous employons plus de 220 personnes du coin et sommes fiers de les appeler nos spécialistes de la morue. Ils gagnent l'un des meilleurs salaires de l'industrie de la transformation des produits de la mer au Canada atlantique, et leur fierté tout comme leur loyauté sont sans équivoque: 2 employés viennent de souligner 50 ans de service tandis que 21 autres comptent plus de 40 ans de service. Ce que nous avons accompli ensemble est extraordinaire. Notre morue est destinée aux marchés haut de gamme, la majorité allant au Royaume‑Uni et en France, qui sont les deux plus grands marchés de morue de qualité supérieure. Icewater détient l'une des rares usines dans le monde approuvées par le détaillant britannique Marks & Spencer comme fournisseur de morue. Même avec un petit quota de morue, nous avons montré ce dont nous sommes capables.
La décision prise par l'entreprise et la collectivité de ne pas renoncer à la morue s'est avérée cruciale pour l'économie locale et régionale pendant plus de deux décennies. À l'automne 2023, la contribution de l'entreprise à l'économie locale était d'environ 272 millions de dollars grâce à l'achat des prises des pêcheurs côtiers, au versement des salaires de ses employés, aux sommes versées aux entreprises locales de transport et de logistique pour la collecte de matière première partout dans la province, et aux produits et services obtenus auprès d'entreprises locales pour l'exploitation de l'usine.
Que ce soit bien clair: rien de tout cela n'est possible sans un approvisionnement continu. Donc, rien de tout cela n'est possible sans la participation des pêcheurs hauturiers canadiens, ou dans le cas présent terre‑neuviens. C'est ce que l'on appelle la pêche équilibrée. Marks & Spencer a besoin de morue 12 mois par an, peu importe s'il l'achète en Islande, en Norvège ou à Terre‑Neuve‑et‑Labrador. La province ne représente que 3 % de l'approvisionnement mondial en morue de l'Atlantique Nord en 2024, ce qui veut dire que nous ne sommes pas en mesure de négocier un approvisionnement saisonnier.
L'annonce de la fin du moratoire sur la morue en juin par la a marqué un grand jour pour la collectivité d'Arnold's Cove. Même si le quota des pêcheurs hauturiers canadiens n'était que de 6 %, sa valeur économique est beaucoup plus grande. Ce quota permettra à la morue du Nord d'être concurrentielle sur les marchés mondiaux à l'année. Ce quota se traduit aussi par plus de travail pour les employés de l'usine et par un meilleur prix la livre pour les pêcheurs côtiers qui profitent d'une pêche continue. Uniquement en 2024, on estime que le prix accordé aux pêcheurs côtiers a augmenté d'environ 10 millions de dollars.
Je sais que certains ont porté à l'attention du Comité la vitesse à laquelle les pêcheurs côtiers ont pris et débarqué leurs morues cette année. En fait, ils ont pris plus de poissons en 48 heures que le quota attribué aux pêcheurs hauturiers pour toute l'année. Une pêche n'est toutefois pas fructueuse uniquement parce qu'on prend et débarque du poisson. Elle doit miser sur le débarquement d'un produit de qualité, qui peut être transformé et vendu à l'année sur les marchés de la morue de qualité supérieure. Les principaux pays producteurs de morue, soit l'Islande et la Norvège, privilégient la pêche à longueur d'année. La majorité de leur morue est prise pendant les mois d'hiver par des chalutiers certifiés selon le référentiel Pêcheries du MSC, l'étalon mondial en matière de pêcherie durable. L'industrie de la pêche de ces pays se porte bien.
Si le Canada veut que sa pêche à la morue soit concurrentielle sur les marchés mondiaux de produits haut de gamme, il ne peut pas s'appuyer uniquement sur la pêche côtière. Il doit en effet opter pour une pêche équilibrée où tous les segments de l'industrie sont mis à profit. Nous savons ce qui fonctionne. Nous l'avons prouvé à Arnold's Cove. Nous demandons au Comité d'avoir le courage de soutenir la priorité accordée aux pêcheurs côtiers sans pour autant exclure les pêcheurs hauturiers locaux, car c'est le seul modèle viable.
Merci.
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Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de me présenter devant le Comité permanent des pêches et des océans.
Ocean Choice est une entreprise familiale de Terre‑Neuve‑et‑Labrador créée il y a plus de 20 ans par les frères Martin et Blaine Sullivan, originaires de la « côte Sud », une région de la province qui a de profondes racines dans le domaine de la pêche. Notre entreprise emploie près de 1 500 personnes dans plus de 300 collectivités dans toute la province.
Au cours des deux dernières décennies, Ocean Choice a réalisé d'importants investissements dans ses activités de pêche au poisson de fond, notamment pour préparer la pêche à la morue du Nord. Le principal investissement a été la construction et l'introduction du NM Calvert dans la flotte en 2020. D'un coût de plus de 60 millions de dollars, il s'agit du navire de pêche au poisson de fond écologique le plus moderne et le plus novateur de la flotte canadienne, qui emploie environ 80 membres d'équipage locaux tout au long de l'année.
De nombreux avis ont été exprimés sur la morue du Nord depuis la décision de rouvrir la pêche en juillet. Nous avons tous droit à nos propres opinions, mais pas à nos propres faits. Voici les faits concernant la morue du Nord.
La morue du Nord est la deuxième ressource de poisson de fond du Canada atlantique et la troisième pêcherie de morue du monde, avec une biomasse totale estimée à plus de 500 000 tonnes. L'évaluation du stock réalisée par le MPO en 2024 a confirmé que le stock de morue du Nord dépassait d'environ 24 % le point de référence limite, c'est‑à‑dire la limite entre la zone prudente et la zone critique du Cadre de l'approche de précaution du MPO. À ce que je sache, tous les stocks de poissons du Canada atlantique qui se trouvent dans la zone de prudence du Cadre de l'approche de précaution font l'objet d'une pêche commerciale. Pourquoi la morue du Nord devrait‑elle être traitée différemment?
La Fishermen, Food and Allied Workers, la FFAW, a fait référence à plusieurs reprises à un engagement politique de 40 ans sur les premières 115 000 tonnes de morue du Nord. Il n'existe aucune politique historique de ce type. La participation des pêcheurs hauturiers à la pêche à la morue du Nord après 1977 a été délibérée et soigneusement étudiée par le gouvernement. L'engagement pris de longue date par le gouvernement en matière de politique d'allocation constitue la « priorité » pour la pêche côtière, et non l'exclusivité. Les principaux éléments de cette politique sont les suivants: adoptée en 1979 par le MPO lors de la conférence de Corner Brook, elle définit la « priorité » comme étant de deux tiers pour la pêche côtière et d'un tiers pour la pêche hauturière; renforcée en 1983 lorsque le gouvernement a adopté le rapport du groupe de travail Kirby; révisée et approuvée en 2004 lorsque le gouvernement a adopté le « Cadre stratégique de gestion des pêches sur la côte Atlantique du Canada ».
La décision d'allocation pour 2024 est fondée sur une politique publique bien documentée qui accorde un accès prioritaire au secteur côtier et aux groupes autochtones de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, tout en respectant les droits historiques du secteur hauturier. La désinformation concernant le secteur hauturier de Terre‑Neuve‑et‑Labrador est particulièrement décevante.
Certaines idées fausses sur le chalutage subsistent depuis les pêcheries antérieures au moratoire, mais d'autres sont perpétuées par des groupes qui tentent de faire avancer leur propre cause. L'industrie des produits de la mer a connu des changements radicaux au cours des trois dernières décennies. Aujourd'hui, le secteur hauturier respecte des normes rigoureuses, notamment la présence d'observateurs indépendants, les fermetures spatiales, les systèmes de surveillance des navires et de nombreuses autres mesures visant à minimiser les incidences sur l'environnement pour toutes les espèces.
Ces mesures sont essentielles pour préserver les écosystèmes marins tout en répondant de manière responsable à la demande alimentaire mondiale. En Islande, plus de 124 000 tonnes de morue ont été pêchées au chalut en 2022, ce qui représente 52,4 % des débarquements de morue de l'année. En fait, le chalutage est le principal engin utilisé en Islande pour pêcher la morue depuis plus d'une génération. Sachant que la pêche à la morue en Islande est considérée comme la plus durable du monde, il est illogique d'accepter le débat actuel selon lequel une allocation de 1 080 tonnes de morue du Nord au secteur des engins mobiles causera un préjudice irréparable.
Les navires de pêche hauturière tels que ceux exploités par OCI emploient des Terre‑Neuviens et des Labradoriens. Ils fonctionnent toute l'année et accostent sur les quais locaux et dans les entrepôts frigorifiques où ils sont déchargés et entretenus, ce qui représente des millions de dollars en salaires directs et indirects et en retombées économiques dans les collectivités côtières. Dans le cas de la morue du Nord, la quasi‑totalité du quota pêché par nos navires hauturiers sera transformée à l'usine Icewater Seafoods d'Arnolds Cove, ce qui permettra de créer des emplois locaux et d'allonger les saisons d'exploitation.
Pour ceux qui craignent de répéter les erreurs du passé: n'oubliez pas que la décision de 2024 a établi un taux d'exploitation très prudent d'environ 5 %. La plupart des pêcheries de morue ont aujourd'hui des taux d'exploitation supérieurs à 20 %, et les taux pour la morue du Nord dépassaient 50 % avant le moratoire. En outre, la morue du Nord fait l'objet d'une évaluation annuelle, et les taux d'exploitation peuvent être ajustés en conséquence sur la base des résultats du sondage.
Ce dont il faut se réjouir le plus dans la décision de réouverture, c'est que des allocations nationales ont été accordées aux intérêts côtiers, nordiques, autochtones et hauturiers de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, au seul bénéfice de cette province. Cela représente 18 000 tonnes de morue qui seront récoltées, transformées et commercialisées dans notre province au cours de saisons d'exploitation plus longues, ce qui nous rendra beaucoup plus compétitifs à l'échelle mondiale. C'est un très bon début pour la réouverture de la pêche commerciale.
En terminant, l'arrêt rendu la semaine dernière par la Cour fédérale sur la demande d'injonction de la FFAW visant à suspendre la décision de 2024 est peut‑être le meilleur indicateur qui permet de discerner le vrai du faux. Le tribunal, cette tribune qui ne traite que des faits, a rejeté la demande de la FFAW en déclarant, entre autres, que: « Le tribunal ne peut émettre une injonction interlocutoire lorsque le recours que les requérants recherchent est exclu par leurs propres actions. Ce poisson est au large. »
Je vous remercie de l'attention que vous porterez à ma contribution et vous invite à me faire part de vos commentaires ou de vos questions.
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Merci, monsieur le président.
Merci aux témoins de comparaître aujourd'hui et de participer à cette importante étude.
Ma première question s'adresse à Mme Lapointe.
Madame Lapointe, c'est le qui a fait cette promesse de 115 000 tonnes aux pêcheurs côtiers durant la campagne électorale de 2015. Il avait dit qu'un gouvernement libéral allouerait les 115 000 premières tonnes de morue du Nord à la flotte côtière.
Puisque vous connaissez bien nos engagements pris envers l'Organisation des pêches de l'Atlantique nord-ouest, s'agit‑il d'une promesse que le et ses ministres auraient pu tenir envers la flotte côtière?
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C'est une bonne question.
Les usines de Bonavista et de Triton sont très occupées, comme vous le savez, pour ce qui est de transformer le crabe des neiges et d'autres pêcheries. Nous fournissons un travail très significatif à probablement 500 ou 600 personnes dans ces deux seules usines réunies.
Notre engagement cette année est le suivant: tout ce que nous pêchons en milieu hauturier ira à Icewater Seafoods, pour réduire ou éliminer sa dépendance aux importations de morue congelée en mer. Comme nous l'avons dit publiquement — je vais le répéter ici —, à mesure que le quota augmente, nous examinerons les débouchés pour transformer plus de morue dans nos usines aussi, bien sûr.
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Il y a un certain nombre de différences.
Le volume de poissons pêchés a évidemment beaucoup changé. Avant le moratoire sur la morue du Nord, le volume des morues pêchées à certains moments par le secteur hauturier s'élevait à plus de 100 000 tonnes métriques, probablement. Un pourcentage non négligeable de ces poissons était également pêché par le secteur côtier.
Le nombre de navires utilisés aujourd'hui... Notre flotte hauturière compte deux chalutiers de poisson de fond. Les mesures de gestion en vigueur aujourd'hui n'ont rien à voir avec ce qu'elles étaient il y a une génération. La couverture par les observateurs est complète, indépendamment de la couverture assurée sur notre bateau. De plus, nous faisons l'objet de vérifications à quai. Nous devons respecter des exigences quotidiennes concernant les rapports radio. Nos navires sont surveillés. Lorsque nous débarquons, nous sommes inspectés. Nous sommes également favorables à ce type de mesures. Il existe aujourd'hui des zones de protection marines pour les habitats vulnérables qui n'existaient pas avant le moratoire. Nous pêchons environ 2 % des poissons. Dans le Canada atlantique, nous sommes en contact avec environ 2 % de l'environnement marin. Dans le contexte d'un grand nombre de nos pêches clés, comme la pêche au sébaste et la pêche à la limande à queue jaune, nous sommes en contact avec moins de 1 % des poissons.
Il s'agit d'environnements à fond sableux et rocheux. Les gens ont l'impression que nous pêchons dans des environnements coralliens ou vierges. Ce n'est pas le cas. Regardez l'Islande — je fais régulièrement allusion à l'Islande. Ils pêchent plus de 100 000 tonnes par an en utilisant le même type de technologie que nous, et leur pêche est durable depuis une génération. Cela fonctionne parce qu'ils ont de bonnes mesures de gestion. Ils ont de bonnes structures. Ils mettent en œuvre des mesures de protection et des fermetures.
Certaines de ces mesures qui ont été adoptées ici... Dans le cadre de l'OPANO et à l'échelle nationale — M. Burns en a parlé —, nous mettons maintenant en œuvre une fermeture spatiale de 10 semaines qui s'étend de la mi‑avril à la fin du mois de juin. Cette mesure est en place. La taille minimale des poissons est de 43 centimètres, soit deux centimètres de plus que la norme européenne. Notre chalut est doté d'un maillage en losange dont chaque maille mesure 155 millimètres. Je crois que la norme européenne est fixée à 130 millimètres.
Où nous en sommes aujourd'hui... Pratiquement aucune de ces mesures n'était en place avant le moratoire. La façon dont nous envisageons aujourd'hui la pêche au chalut est totalement différente.
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Je vous remercie de vos réponses.
Je pense qu'il s'agit là d'un point essentiel qui a été soulevé. Jusqu'à maintenant, en ce qui concerne l'image de la pêche hauturière... Comme vous l'avez dit, les gens ont l'impression que les navires hauturiers partent sur l'eau et que l'on se retrouve à nouveau dans les années 1970 et 1980. Ce que vous dites, c'est que, dans l'ensemble, les pratiques ont changé. La technologie a changé. La diligence raisonnable a changé.
Je voudrais aborder les avantages économiques de la pêche à la morue par rapport à la pêche hauturière. J'adresse ma question à vous trois.
Quels sont les avantages économiques, liés par exemple à la chaîne d'approvisionnement, aux personnes employées sur les navires et aux usines de transformation, entre autres choses? Lorsque vous parlez d'une approche juste et équilibrée... Je me demande si vous pourriez nous citer des chiffres réels — ou des chiffres projetés — pour la pêche à la morue par rapport à la pêche hauturière.
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Merci, monsieur le président.
Je commencerai par parler de la transformation. L'année dernière, à l'usine de transformation Icewater, à Arnold's Cove, deux équipes ont travaillé pendant 26 semaines complètes, soit l'équivalent de 52 semaines par année, ce qui représente le plus grand nombre d'emplois offerts par une usine de Terre-Neuve qui se concentre sur la production de poisson frais ou de matière première congelée en mer. Cinquante pour cent de cette matière première étaient de la morue pêchée localement dans les eaux côtières, et 50 % étaient du poisson congelé en mer importé de Norvège.
Cette année, notre objectif est d'éviter d'importer de la morue de Norvège grâce au quota qui a été attribué à la pêche hauturière et aux groupes autochtones du Labrador, afin de produire autant de morue pêchée localement que possible.
Ce qui importe énormément dans la congélation en mer... et d'après ce que j'ai entendu dire au cours de la première audience, je pense que les gens n'ont pas tout à fait compris ce concept. Ocean Choice International, ou OCI, capture les poissons et les congèle en mer. L'entreprise nous les livre, et nous pouvons ensuite décider du moment où nous les produisons. Cela nous permettra de travailler 26 semaines ou plus cette année. Nous devrions être en mesure d'offrir plus d'emplois à Arnold's Cove grâce à la matière première congelée en mer.
Pendant la saison côtière, vous devez acheter le poisson lorsqu'il est débarqué. Si vous ne l'achetez pas, il est envoyé ailleurs. Comme on l'a dit, la majorité des débarquements de la pêche côtière ont été effectués en sept semaines. Les pêcheurs côtiers n'ont pas encore utilisé la totalité du quota qui leur a été attribué. Nous essayons de pêcher ces poissons en ce moment même. Il y avait 150 tonnes à pêcher. La pêche a été rouverte deux fois depuis la fermeture initiale du 27 septembre. Nous continuons de pêcher la morue dans les divisions 3K et 3L à l'heure actuelle. La division 2J pour le Labrador a été fermée, car le quota a été utilisé là‑bas, mais la pêche est toujours ouverte dans les divisions 3K et 3L.
Monsieur Wareham, madame Lapointe et monsieur Bonnell, en ce qui concerne les emplois, le nombre réel de Terre-Neuviens qui travaillent est, à mon avis, un élément clé à souligner parce qu'en fin de compte, il s'agit de Terre-Neuve-et-Labrador, d'une espèce emblématique et d'une porte d'entrée vers le développement économique.
Quel est en fait le nombre de personnes qui seront employées à la suite du changement en question?
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Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins d'être présents.
Je sais que tout le monde est en harmonie avec la réouverture de la pêche à la morue, qui était très attendue, particulièrement pour l'économie des pêches.
Comme transformateurs et en tant qu'associations, étiez-vous préparés à la réouverture de la pêche à la morue noire du Nord? Le cas échéant, vous y prépariez-vous depuis longtemps?
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Je peux commencer à répondre à la question, puis céder peut-être la parole à M. Wareham.
Oui, comme je l'ai indiqué au cours de ma déclaration préliminaire, nous avons investi 60 millions de dollars dans un nouveau navire destiné à la pêche au poisson de fond, le NM Calvert . Le navire peut abriter 80 membres d'équipage qui pêchent essentiellement des poissons de fond, y compris la morue, en deux équipes. Nous pêchons la limande à queue jaune pendant une partie de l'année et le sébaste pendant une autre partie de l'année. Toutefois, il a été envisagé que ce navire soit également disponible pour la réouverture de la pêche à la morue.
Ce navire est en cours de préparation. Nous investissons un peu dans l'usine du navire, mais nous le préparons pour la pêche à la morue qui aura lieu plus tard cet automne et tout au long de l'hiver. Oui, nous nous sommes préparés, et nous sommes certainement prêts à le faire. La pêche générera un nombre important d'emplois.
Il se peut que vous souhaitiez parler du secteur de la transformation.
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Je peux prendre la parole.
Les renseignements sur la morue dont nous disposions sont ceux qui ont été présentés dans le relevé d'automne de l'année dernière, évidemment, et qui indiquent que le stock est passé de la zone critique à la zone de prudence du cadre de l'approche de précaution. Nous surveillons le stock de poissons depuis de nombreuses années, et nous avons observé des signes encourageants, évidemment.
Cependant, nous suivons les meilleures données scientifiques disponibles, alors, non, nous ne nous préparions pas à pêcher il y a quelques années quand le stock de poissons était dans la zone critique. Toutefois, grâce à son passage à la zone de prudence, au cadre de l'approche de précaution et à un taux de capture très prudent de 5 %, nous sommes ravis de l'occasion qui s'offre à nous cette année, et nous espérons que la ressource continuera de s'améliorer dans les années à venir.
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L'avantage de la morue du Nord et de certaines de nos autres pêches, c'est que nous disposons d'un relevé annuel du stock.
L'un des sujets qui n'a pas été abordé au cours des audiences, mais dont nous avons beaucoup parlé dans le cadre du processus consultatif, c'est que le relevé de l'année dernière a été réalisé environ un mois plus tôt que d'habitude. Le sentiment général des scientifiques du MPO, de l'industrie et des personnes présentes autour de la table, c'est que la biomasse réelle est, selon toute vraisemblance, plus importante que celle enregistrée lors du relevé de l'année dernière, parce que celui‑ci a été effectué beaucoup plus tôt que les séries chronologiques normales et que les poissons migrent à l'automne. Ils migrent vers le large un peu plus tard dans l'année.
Nous espérons que le relevé en cours cet automne nous permettra d'obtenir une très bonne représentation de l'état de la ressource. Nous sommes d'avis que la ressource est probablement plus solide que ce qui est indiqué, mais nous avons également remarqué dans le relevé des indicateurs très solides en ce qui concerne le recrutement et d'autres facteurs, comme Mme Lapointe l'a mentionné dans sa déclaration préliminaire.
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Je vous remercie de votre question.
Je dirais que, vraiment, quand on regarde les données, on constate une augmentation de recrutement, de biomasse, depuis 2020. Par ailleurs, l'évaluation qui a été faite par Pêches et Océans Canada à l'automne, il y a un an, pour changer le point de référence limite avec les nouvelles données qu'il a intégrées dans son analyse, cela a démontré que l'état du stock était maintenant dans la zone de prudence depuis 2016.
Donc, comme M. Bonnell le dit, chaque année, nous suivons les analyses et les évaluations scientifiques du ministère qui ont lieu, pour cette pêcherie.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie également les témoins de s'être joints à nous aujourd'hui.
À mesure que les séries de questions d'aujourd'hui continuent d'avancer, je ne cesse de revenir en arrière et de réfléchir à ce qui est au cœur de ce dont nous parlons aujourd'hui. Je note sans cesse le fait que nous nous intéressons au bien-être économique des habitants de Terre-Neuve-et-Labrador et, bien sûr, à la durabilité des stocks de morue, afin de garantir que non seulement on puisse pêcher la morue à l'heure actuelle, mais aussi que les générations à venir puissent le faire. D'après ce que j'entends, je pense que tous les gens ici présents aujourd'hui partagent certaines valeurs fondamentales, ce qui est une bonne chose. Toutefois, pendant nos délibérations d'aujourd'hui sur la question, des informations contradictoires ont été communiquées, et j'essaie donc de comprendre les différents points de vue à cet égard.
J'adresse ma première question à M. Bonnell.
Vous avez dit que, selon vous, « il n'existe aucune politique historique de ce type ». Ce n'est pas la source du problème important que je veux aborder, mais je tiens à obtenir quelques éclaircissements à ce sujet, parce que je crois comprendre — et vous pourrez peut-être me corriger si je me trompe — que cela a été mentionné des dizaines de fois, plus récemment dans le plan de gestion de 2021 pour le poisson de fond de 2J3KL.
Pourriez, s'il vous plaît, m'éclairer au sujet de cette observation?
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Bien sûr. En ce qui concerne la politique publique historique, la FFAW a parlé de cet engagement de 40 ans qui existe. Nous venons de traverser une procédure judiciaire que certains d'entre vous connaissent bien. Lors du contre-interrogatoire, un employé de la FFAW, Courtney Glode, n'a pas pu citer de clause d'exclusivité issue de la conférence de Corner Brook de 1979, du rapport du groupe de travail Kirby de 1982 ou du cadre stratégique de 2004. L'exclusivité n'est pas mentionnée, mais on fait allusion à la priorité. Nous le reconnaissons tous, et nous soutenons la priorité.
La première allusion à l'engagement a vraiment eu lieu en 2015, dans le cadre de l'engagement du Parti libéral dans son programme ou de la lettre, devrais-je dire, qu'Anna Gainey a fait parvenir au Parti libéral du Canada en 2015, qui parlait de la réaffirmation d'un engagement passé. Eh bien, il n'y a pas eu d'engagement passé. Cet engagement n'existait pas.
L'engagement a aussi été cité en 2021. La ministre Jordan l'a mentionné en 2021 dans le Plan de gestion intégrée des pêches. Lors d'une conversation avec elle à ce sujet, elle a précisé que cette mention avait simplement été ajoutée pour respecter un engagement politique passé, mais que cet engagement n'était pas vraiment guidé par une politique publique passée. La trace de cet engagement remonte à 2015 et à une lettre qui n'était pas vraiment exacte en ce qui concerne la politique publique historique. Voilà le contexte, je suppose, de la composante historique de cet engagement. Cet enjeu n'a pas un historique de 40 ans.
Je vais maintenant m'adresser à vous, monsieur Bonnell, toujours par l'entremise de la présidence.
Vous avez dit notamment que, d'après vous, il y aurait plus de stocks que ce que l'on voit. Une chose que j'ai trouvée intéressante, c'est que M. Rose a parlé du fait que la science avait subi un changement, une réécriture. J'ai également entendu d'autres personnes dire que la quantité de poissons n'avait pas augmenté. Si le stock est passé dans la zone de prudence, c'est simplement en raison de notre façon de déterminer les données scientifiques.
Vous avez également expliqué, en réponse à la question de ma collègue, Mme Desbiens, que la reprise de cette pêche ne semblait pas prévue, d'après ce que vous avez observé. Ce n'est peut-être que mon interprétation de vos propos.
Je me demande ce que vous pensez du fait que les stocks n'ont pas changé; ce sont les données scientifiques qui ont changé. Que faisons-nous pour nous assurer de gérer ce stock avec prudence afin qu'il soit là pour les générations à venir?
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Nous sommes d'avis que le point de référence limite pour les stocks de morue du Nord est trop élevé depuis longtemps, surtout compte tenu des changements produits dans l'environnement depuis la période précédant le moratoire et comparativement aux points de référence limites pour les stocks d'autres espèces. Nous défendons cette position depuis longtemps.
L'évaluation d'octobre a été menée de façon tout à fait indépendante de nous. C'était un processus scientifique. Je n'y ai pas participé. Certains membres du Conseil du poisson de fond de l'Atlantique y ont pris part, mais d'après les nouveaux renseignements qui ont été présentés, le modèle d'évaluation a changé.
Je tiens à souligner encore une fois que, dans cette pêche en particulier, nous avons aujourd'hui un taux d'exploitation de 5 %. Si vous vous adressez à d'éminents scientifiques du domaine des pêches — nous nous entretenons avec des gens comme M. Ray Hilborn —, ils parlent du total des prélèvements par la pêche, et la gestion moderne des pêches à l'échelle mondiale passe par la gestion des prélèvements. Vous auriez du mal à trouver quelqu'un qui serait d'avis qu'un taux d'exploitation de 5 % pour la morue est trop élevé, comparativement à plus de 20 % en Islande. En Norvège, c'est probablement plus de 30 % à l'heure actuelle. Notre bilan avant le moratoire n'était pas très reluisant, car notre taux d'exploitation s'élevait à plus de 50 % dans les années précédant le moratoire.
Je reviens donc sur ce point essentiel, à savoir que nous adoptons une approche de conservation pour ce stock.
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Merci, monsieur le président.
J'aimerais poursuivre dans la même veine que Mme Barron au sujet des taux d'exploitation, entre autres.
Vous avez dit, monsieur Bonnell, je crois, et monsieur Wareham, que certains indices laissent croire que les stocks se rétablissent.
Monsieur Wareham, vous avez parlé d'un investissement de 14 millions de dollars dans la mise à niveau d'une usine en prévision de cette pêche; pourtant, tant que la modélisation n'avait pas été modifiée — et je parle bien d'un changement dans la modélisation, et non pas d'un changement dans le nombre de poissons —, il n'y aurait pas eu de croissance considérable pendant la saison. Ce n'était quand même pas censé être une pêche sentinelle, mais ce n'était pas non plus une pêche commerciale.
Pouvez-vous m'aider à faire le lien entre l'investissement qui a été effectué et la conviction que les stocks de morue s'amélioraient, alors que le ministère n'avait aucune indication à cet égard jusqu'à ce qu'il modifie la modélisation?
Je souhaite la bienvenue à notre deuxième groupe de témoins. Nous accueillons Lyne Morissette, titulaire de doctorat en écologie marine et spécialiste des pêches et des mammifères marins, M‑Expertise Marine incorporée. Nous recevons également David Vardy, économiste.
Je vous remercie de prendre le temps de comparaître aujourd'hui. Vous disposerez chacun de cinq minutes, tout au plus, pour faire votre déclaration préliminaire.
Madame Morissette, vous avez la parole.
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Je vous remercie. Je m'appelle Lyne Morissette et, comme vous l'avez mentionné déjà, je suis biologiste marine. Je suis aussi l'auteure d'un ouvrage intitulé
Pêcheurs et baleines en Gaspésie: Sur le chemin de la coexistence. Je vous remercie de l'occasion que vous m'offrez aujourd'hui de vous faire part de mon expérience.
J'ai pris le temps de lire attentivement le mémoire sur la réouverture de la pêche à la morue. Si je laisse aux experts le soin de discuter des quotas et des aspects techniques de la capture, j'ai comme objectif, aujourd'hui, de vous parler de l'approche. En effet, au-delà des chiffres, ce que nous devons trouver, c'est la meilleure recette pour protéger efficacement nos écosystèmes marins et les ressources qui s'y trouvent. Comme nous sommes présentement dans une ère d'urgence climatique et d'effondrement de la biodiversité, nous n'avons pas le luxe de nous passer du savoir de qui que ce soit. Il est urgent d'intégrer les pêcheurs et les communautés autochtones au cœur du processus décisionnel, non seulement à Terre‑Neuve‑et‑Labrador, mais dans toutes nos pêcheries canadiennes.
Ce qui m'interpelle particulièrement dans le mémoire, c'est l'importance d'impliquer ces pêcheurs, allochtones et autochtones, dans la gestion des ressources. Ce sont des experts du terrain. Ils observent les changements dans les stocks, les courants et les cycles de reproduction. Il s'agit là d'éléments essentiels qui échappent souvent aux modèles théoriques. Leur savoir est inestimable. Sans leur participation, nous perdons une précieuse boussole.
J'ai eu l'occasion d'observer les mêmes défis ailleurs, notamment chez les pêcheurs de crabe et de homard, dans le golfe du Saint‑Laurent, où on travaille à la situation des baleines noires de l'Atlantique Nord. Dans ce cas également, le manque de dialogue, de collaboration et, surtout, de confiance entre les pêcheurs et les décideurs, a souvent été préjudiciable à la gestion des ressources, qui est cruciale pour la survie de cette espèce en péril.
En côtoyant ces pêcheurs, au fil des ans, j'ai compris qu'ils ne s'opposaient pas à la conservation des ressources. Au contraire, ils sont les premiers à vouloir protéger la ressource qui les fait vivre, mais ils doivent être écoutés, respectés et inclus dans le processus. Trop souvent, les décisions sont prises sans qu'on fasse appel à eux et à leur précieux savoir, ce qui crée de la méfiance et des tensions inutiles. La collaboration avec les pêcheurs n'est pas simplement avantage: c'est une nécessité. Leur savoir local, qui est basé sur des générations d'expérience, est un atout inestimable qui permet de mieux comprendre les dynamiques de nos stocks de poisson.
Cela s'est confirmé dans le cas de la morue. Ce sont les pêcheurs qui ont sonné l'alarme pour signaler l'effondrement des stocks. Malheureusement, ces avertissements ont été ignorés par les autorités scientifiques de l'époque, ce qui a mené à la situation que nous connaissons maintenant. Aujourd'hui, nous avons aussi l'occasion de corriger cette erreur. La morue est peut-être en train de se rétablir, mais la gestion de cette ressource ne fonctionnera pas si les pêcheurs ne sont pas réellement mis à contribution. Dans ce contexte, on ne devra pas les considérer comme de simples participants passifs, mais bien comme des co-gestionnaires de la ressource. En effet, ce sont eux qui sont sur le terrain jour après jour et qui observent les changements dans les écosystèmes. Ce sont eux qui ont la capacité de sonner l'alarme concernant les anomalies, les choses qui ne vont pas bien, et ils le font souvent avant que la science ne puisse le faire.
Comme on l'a vu à plusieurs reprises, la méfiance s'installe et les conflits surgissent quand les pêcheurs ne sont pas consultés. C'est le cas à Terre‑Neuve‑et‑Labrador, au Nouveau‑Brunswick et ailleurs au Canada. Heureusement, il y a une recette et elle s'appelle la médiation environnementale. Ce n'est pas seulement de la cogestion, mais bien davantage. Cette méthode, très peu utilisée, permet d'établir un dialogue réel et constructif entre toutes les parties prenantes, en l'occurrence les pêcheurs et les gestionnaires, afin qu'ils trouvent ensemble des solutions. Or cela fonctionne. Il y a des exemples en Alaska, aux Philippines et en Australie. Cela fonctionne vraiment bien partout.
Ce que les pêcheurs côtiers demandent n'est pas d'exploiter une ressource en déclin. Ils savent en effet que leur avenir est lié à la santé des écosystèmes. Ce qu'ils demandent, c'est d'être écoutés et inclus dans les décisions, parce que la meilleure façon de restaurer un stock comme celui de la morue, c'est de travailler ensemble. La pilule est toujours plus facile à avaler quand les pêcheurs font partie intégrante du processus. Sans leur soutien, toutes les initiatives, que ce soit des fermetures de zones de pêche ou des quotas, sont vouées à l'échec. En cette période où les crises s'enchaînent, on n'a pas le droit de répéter les erreurs du passé. Le savoir des pêcheurs, allochtones et autochtones, est une ressource précieuse qu'on doit intégrer dans la gestion des océans.
Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de vous faire part de ces réflexions. J'espère que cette discussion marquera un tournant — j'y crois vraiment — dans la gestion de nos ressources marines et que l'intégration systématique du savoir des pêcheurs côtiers dans les processus décisionnels sera mise en valeur.
En travaillant ensemble, nous allons assurer l'avenir durable de nos océans, de nos pêcheries et de nos communautés côtières.
Je vous remercie beaucoup de votre écoute.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Je vous remercie de m'avoir invité à m'adresser aujourd'hui devant le Comité sur ce sujet très important.
Je m'appelle David Vardy. Je suis économiste de formation et j'ai passé la plus grande partie de ma carrière en tant que cadre supérieur au sein du gouvernement. J'ai été président du Fisheries and Marine Institute de l'université Memorial de Terre-Neuve-et-Labrador et secrétaire du cabinet du gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador. J'ai fait partie de l'équipe qui a négocié l'accord atlantique de 1985, qui a établi une gestion conjointe de nos ressources pétrolières et gazières. J'étais également vice-ministre de la pêche le 2 juillet 1992, jour où l'honorable John Crosbie a annoncé le moratoire sur la morue du Nord.
Je suis ici aujourd'hui pour me représenter moi-même à titre de simple citoyen. Le 5 juillet dernier, j'ai écrit une lettre à tous les députés de la province pour leur demander de revenir sur la décision annoncée par la le 26 juin dernier concernant la réouverture de la pêche à la morue du Nord. À mon avis, les risques liés à la réouverture étaient trop élevés et les enjeux étaient si importants qu'ils nécessitaient un processus de consultation publique à grande échelle avant qu'une décision d'une telle importance ne soit prise. Malheureusement, il est désormais trop tard pour revenir sur la décision prise pour 2024; les stocks de poissons se sont taris.
L'essence d'une bonne politique publique est l'exercice de la sagesse dans l'équilibre des décisions entre des objectifs concurrents. En matière de gestion de la pêche, la conservation et la durabilité sont souvent en concurrence avec les objectifs d'emploi, et la prudence veut que la conservation soit la principale priorité. Une bonne politique publique exige que nous mobilisions les connaissances et l'expérience et que nous les rassemblions dans le cadre d'une gestion partagée. Les décisions de politique publique judicieuses doivent être prises à l'aide du meilleur modèle de gouvernance que nous puissions concevoir, un modèle qui partage l'information publiquement et inclut toutes les parties prenantes.
En prenant sa décision capitale, mais erronée en juin, la a accordé une plus grande priorité aux emplois à l'année qu'à la conservation. Une bonne gestion de la pêche exige que la durabilité et la conservation soient les priorités absolues. Dans ma lettre du 5 juillet, j'ai souligné que de nombreux experts recommandaient une approche totalement différente de la gestion, qui intègre les pouvoirs de décision des gouvernements fédéral et provinciaux. Un tel processus de gestion partagée permettrait d'harmoniser les décisions afin d'équilibrer les objectifs politiques contradictoires. Une telle gestion conjointe permettrait également de rendre le processus plus transparent en mettant tous les éléments de preuve à la disposition du public.
L'indépendance de la science est essentielle à la réussite de la gestion partagée. La science halieutique doit devenir plus indépendante de l'influence politique, comme ce fut le cas à Terre-Neuve avec l'ancien Newfoundland Fisheries Research Board, qui a commencé ses travaux dans le cadre d'une commission gouvernementale et qui les a poursuivis pendant des années après la Confédération. L'Islande, tout comme la Norvège, s'appuie depuis longtemps et avec succès sur une organisation indépendante de recherche halieutique.
Je demande au Comité de recommander que le quota et les allocations pour 2025 soient plafonnés au niveau de 2024 ou à des niveaux inférieurs et que le gouvernement du Canada se joigne au gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador pour nommer une commission royale conjointe sur l'avenir de la pêche. La commission royale devrait être dotée d'un large mandat pour donner des conseils sur la manière dont la pêche, y compris la morue du Nord, devrait être gérée. La commission devrait examiner les preuves scientifiques et rechercher un consensus sur la manière dont la pêche devrait être gérée. Il s'agirait notamment de donner des conseils sur la meilleure façon de contrôler la surpêche étrangère. Il s'agirait également de donner des conseils sur la technologie des engins de pêche, sur la prédation par les phoques et sur la manière d'éviter les concentrations de frai.
En résumé, je propose les recommandations suivantes.
Lors de la préparation d'un plan de gestion pour 2025 concernant le cabillaud du Nord, la devrait plafonner le quota de 2025 et les allocations au niveau de 2024 ou à des niveaux inférieurs. Le Canada devrait accorder la plus haute priorité à la conservation, à la durabilité et à la reconstitution des stocks de poissons épuisés en tant qu'objectifs primordiaux de la politique publique. Le fait de ne pas donner la priorité à la conservation détruira, au lieu de créer, des opportunités d'emploi à long terme. Les gouvernements et les parties prenantes doivent adopter une gestion partagée de la pêche, en commençant par une commission royale fédérale-provinciale sur la gestion future de la pêche, y compris le cabillaud du Nord et d'autres stocks de poissons chevauchants. Le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador devrait être invité à nommer l'un de ces commissaires.
Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de faire cette présentation aujourd'hui. Je me réjouis de répondre à vos questions.
Merci beaucoup.
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Je vous remercie, monsieur le président.
J'aimerais remercier les témoins d'être présents aujourd'hui. Ma première question s'adresse à M. Vardy.
En 1992, monsieur Vardy, j'étais pêcheur côtier et je me souviens du jour où l'annonce a été faite. Je me suis rendu sur le quai de Wild Cove pour voir la tête de mon père et de son frère, l'oncle Mark, que vous avez probablement bien connu à l'époque. Néanmoins, des documents judiciaires ont récemment montré que le gouvernement avait pris la décision de rouvrir la pêche commerciale au cabillaud du Nord parce qu'il en tirerait un bénéfice politique.
Vous avez été plusieurs fois sous-ministre au cours de votre carrière. Pensez-vous que cette décision a été prise à des fins politiques, compte tenu de votre connaissance de la fonction publique et du gouvernement, et de leurs interactions?
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Je pense qu'il s'agit d'un domaine très obscur du droit international. J'ai lu la Convention des Nations unies sur le droit de la mer à ce sujet, et il y a un principe en jeu concernant tout poisson non capturé qui devrait être ouvert à d'autres parties prenantes.
Contrairement à d'autres stocks chevauchants, il s'agit d'un stock géré par le Canada, et c'est un stock pour lequel je pense que le Canada aurait pu poursuivre la pêche d'intendance. Cependant, dès que nous augmentons le quota au‑delà d'un certain niveau, il me semble que cela devient une pêche commerciale.
Je n'ai rien vu dans la convention de l'OPANO qui crée un déclencheur, un point de déclenchement réel quant à ce qui constitue un test décisif pour la transition d'une pêche d'intendance à une pêche commerciale, mais il me semble que, lorsque vous allez au‑delà de ce que nous étions en 2023, nous invitons les questions à être soulevées à l'OPANO. Quant à savoir si l'OPANO a exercé des pressions, je ne le sais pas vraiment.
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Ce qui est intéressant, dans le modèle de l'Alaska, c'est la collaboration entre les autorités de la gestion et les communautés autochtones.
Cela a permis de mettre en œuvre des pratiques de pêche plus respectueuses des écosystèmes. L'approche de l'Alaska est donc intéressante, car elle démontre que la gestion inclusive est non seulement possible, mais qu'elle est aussi la clé de la résilience des pêcheries des communautés côtières.
Je sais que les autorités de la gestion travaillent de près avec les communautés autochtones pour tenter de comprendre les écosystèmes sur le plan scientifique, grâce à la mise en place de mesures, mais elle essaie aussi de le faire d'autres façons, notamment en se basant sur un savoir moins commun aux yeux de la communauté scientifique, mais qui a vraiment une valeur intéressante.
C'est un des exemples où un style de gestion différent fonctionne bien dans le cas de certaines espèces...
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Oui. Il s'avère que c'est exactement ce qui s'est passé.
Lorsqu'il est question de mélanger la science avec les connaissances des communautés autochtones et non autochtones qui pratiquent la pêche, il y a un conflit. Nous pourrions voir les communautés de pêcheurs exercer ce que l'on pourrait appeler un intérêt personnel éclairé. Elles veulent sortir et attraper du poisson pour gagner leur vie. Qui peut les en blâmer? Dans le même temps, l'expérience de la Colombie‑Britannique en matière de science, en particulier dans le domaine de l'aquaculture, n'est pas très brillante. On dit souvent qu'on peut mettre tous les scientifiques bout à bout et qu'ils ne parviendront jamais à une conclusion.
Monsieur Vardy, en savons-nous assez, à partir de sources suffisamment crédibles, pour déterminer de manière concluante si une pêche est adéquate ou non?
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Merci, monsieur le président. Quelle chance!
Bonjour, madame Morissette. Je suis contente de vous voir. Je vous remercie de vos précieuses observations et propositions.
Je vais aller un peu plus loin par rapport à ce que vous dites. Essayons d'aller au fond des choses.
Ici, au Comité, nous avons fait des études sur la traçabilité, sur le phoque, sur le maquereau, sur le hareng. Nous sommes en train d'en faire une sur le sébaste, aussi. Nous avons plusieurs préoccupations, et il y a un dénominateur commun qui nous saute toujours au visage, soit le manque de considération du terrain.
Je vous ai entendue parler de cogestion, de gestion inclusive, qui seraient la clé de la résilience.
Que proposez-vous au Comité par rapport à ce dénominateur commun, qui, selon ce que l'on entend et ce que l'on constate, est à la solution au problème? Que proposez-vous au gouvernement pour améliorer la situation et ramener le terrain, les allochtones et les Autochtones dans le processus décisionnel et la cogestion de nos pêcheries?
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Le problème n'est peut-être pas entièrement là, mais on manque, en ce moment, une belle occasion de faire plus de médiation environnementale. Je n'ai pas les données pour le Canada, mais au Québec, parmi tous les médiateurs accrédités, seulement six font de la médiation environnementale. Aucune de ces six personnes ne travaille à des dossiers maritimes.
Il y a des modèles où parler ensemble et se concerter fonctionne. Je vais vous donner l'exemple du dossier de la baleine noire, auquel j'ai beaucoup travaillé. Deux ministères sont responsables de ce dossier: Transports Canada s'occupe du volet du transport maritime, qui est une cause importante de la mortalité de ces baleines, et Pêches et Océans Canada s'occupe du volet des pêches, qui constituent une autre cause de la mortalité chez les baleines.
Transports Canada a un système qui lui permet de collaborer avec l'industrie et qui fonctionne. Il prend part à des réunions, il tient compte des opinions qu'il entend, il fait de la gestion intégrative. Or, dans les mêmes dossiers, Pêches et Océans Canada n'a pas ce système.
Il y a donc une belle occasion de faire de la médiation environnementale. On en fait très peu au Canada, mais elle fonctionne. Ce n'est certainement pas au ministère des Pêches et des Océans qu'on en fait le plus; c'est bien dommage, parce qu'il a été prouvé partout au monde que c'est une recette qui fonctionne. Cette approche est documentée, elle est robuste scientifiquement et elle donne des résultats.
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Merci. C'est très éclairant.
On devrait donc se tourner davantage vers cela. Je pense qu'on utilise parfois le ministère des Pêches et des Océans pour faire de la politique, ce qui est malheureux. D'ailleurs, on a entendu M. Vardy dire qu'on devrait dissocier la politique de la gestion des pêches. Quelle belle phrase! Je l'ai bien notée.
Avez-vous une opinion sur le fait qu'il n'y ait pas de médiation environnementale au ministère des Pêches et des Océans? Êtes-vous en mesure de nous affirmer que, si des médiateurs environnementaux étaient davantage impliqués dans les décisions qui sont prises au ministère, on pourrait éviter que les erreurs passées se reproduisent?
Par ailleurs, malheureusement, le a décliné notre invitation à témoigner au Comité. Je voulais l'inviter au sujet du sébaste, mais, malheureusement, il a refusé de venir à quelques reprises.
Pensez-vous qu'on devrait l'interpeller à ce sujet?
On a parlé du sébaste, dernièrement, et de l'absence de consultation des gens sur le terrain. Cela fait cinq ans, aujourd'hui, que je suis élue, et cela fait aussi cinq ans que j'entends qu'on ne tient pas compte du terrain. Cela fait cinq ans que les pêcheurs de sébaste disent qu'il faut rouvrir la pêche au poisson rouge, parce que ce dernier est en train de manger la crevette.
Or on se rend maintenant compte qu'il y a peut-être un problème du côté de la morue du Nord, qui manque de proies pour s'alimenter. Il n'y a pas que la pêche et il n'y a pas que le phoque dont il faut tenir compte.
La médiation environnementale pourrait-elle nous apporter d'importantes lumières sur l'équilibre écologique?
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Cela pourrait apporter un savoir et des angles différents.
Je pense que, à l'heure actuelle, on n'a pas le portrait complet de ce qui se passe. La façon dont un écosystème fonctionne est extrêmement compliquée. J'ai passé ma maîtrise et mon doctorat à essayer de comprendre pourquoi le stock de morue était à ce point bas et quelle était la place du phoque dans cette histoire, mais ce n'est pas simple. Il n'y a pas qu'une question à se poser.
Vouloir agir trop rapidement, penser de façon linéaire et travailler de façon isolée, cela nous fait perdre la vue d'ensemble. Cela nous fait perdre probablement les meilleures pistes de solutions. Or, travailler ensemble est extrêmement important. La plus grande partie de notre savoir ne vient pas d'un carnet de notes scientifiques. La plus grande partie de notre savoir vient de ceux qui ont les deux pieds sur le bateau et qui voient la mer et les changements dans l'écosystème tous les jours. Ce sont aussi ceux qui subissent le plus les conséquences.
Évidemment, il est donc important de les écouter.
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C'est la clé en matière de gestion. Il faut essayer de trouver un moyen de dépolitiser la gestion des pêches. Les hauts et les bas et l'instabilité de l'industrie de la pêche sont en grande partie attribuables au fait que trop de décisions ont été prises sans que l'on en sache suffisamment et sans que l'on accorde assez d'importance à la science et à la conservation. Divers facteurs environnementaux sont également cruciaux.
Il n'y a pas qu'un seul indicateur de succès, comme la biomasse. Il y a des problèmes avec le recrutement et la température de l'eau. Il y a les phoques et une foule d'autres facteurs. À la base, on a grandement besoin de données scientifiques pertinentes, mais aussi des commentaires avisés des pêcheurs et des gens qui vont sur l'eau. Une forme quelconque de gestion conjointe serait extrêmement bénéfique non seulement pour dépolitiser la démarche, mais aussi pour rendre la politique et la science plus transparentes.
L'un des gros problèmes que nous avons en ce moment, c'est qu'il y a un pouvoir discrétionnaire ministériel. Souvent, on ne sait pas exactement quels sont les facteurs qui influent sur les décisions d'un ministre. Nous avons besoin d'une plus grande transparence, d'une plus grande participation du public et de plus... Il n'est pas rare que l'effort de réglementation soit détourné au bénéfice de l'industrie. Je pense que l'expression « emprise réglementaire » s'applique à de nombreux secteurs, et notamment à celui de la pêche. Il faut faire quelque chose pour que l'industrie s'en tienne à son propre rôle — pour que chacun reste à sa place.
La population a aussi une fonction à remplir. Les citoyens doivent avoir leur mot à dire. Ce qui me préoccupe le plus en ce moment, c'est le fait que la société civile soit exclue en grande partie de ce processus.
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Merci, monsieur Vardy. Vous avez déjà répondu à bon nombre des autres questions que j'avais. C'est merveilleux.
Vous avez notamment parlé du comité mixte de gestion de la pêche et de l'importance d'un travail scientifique indépendant. Lorsque mon collègue, M. Small, vous a demandé si vous pensiez que le point de référence limite s'inscrivait dans un plan politique, je me suis mise à penser à tout ce temps que notre comité consacre à l'étude des données scientifiques en m'interrogeant sur l'influence qu'exerce la science sur les décisions de gestion. J'ai trouvé intéressant de noter que nous ne poserions pas de telles questions si nous avions un solide plan de gestion s'appuyant sur des données scientifiques fiables et indépendantes.
Pour en venir à ma question principale, l'autre témoin qui était ici aujourd'hui, M. Bonnell, a mentionné que l'Islande et la Norvège ont d'excellentes pratiques de gestion des pêches et qu'il estimait que le Canada avait des plans de gestion comparables. J'espère ne pas avoir trop déformé ses propos, mais je me demande ce que vous en pensez. À votre avis, le Canada dispose‑t‑il lui aussi des solides plans de gestion basés sur des données scientifiques indépendantes dont tout pays a besoin?
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Si vous examinez les pratiques exemplaires à l'échelle internationale, je crois que vous constaterez que notre pays n'est sans doute pas à la hauteur. C'est du moins ce que je suis porté à croire. Je pense que l'Islande et la Norvège ont probablement un meilleur processus. Vous avez soulevé la question consistant à savoir si le point de référence limite a été façonné dans le cadre d'un processus politique ou scientifique, et j'en reviens encore une fois à la transparence. Ainsi, on se demandait si ce nouveau modèle des pêches du MPO avait été vérifié et validé. J'ai interpellé des scientifiques et d'autres intéressés pour savoir si l'on avait procédé de façon appropriée.
Ce qu'on m'a dit, c'est que les scientifiques du MPO ont invité à cette fin certaines personnes seulement. Les données pertinentes ont été communiquées à une partie de ces gens‑là, mais pas aux autres. La plupart des participants au forum y ont été invités. Ce n'était pas ouvert à tous. Peut‑on alors affirmer que c'est un processus ouvert qui a mené de l'ancien point de référence limite au nouveau? Je ne pense pas que ce soit le cas. On n'a pas été aussi transparent qu'on aurait dû l'être pour apporter un changement que je qualifierais de radical.
Lorsque j'étais sous-ministre des Pêches, nous avions essentiellement besoin d'un million de tonnes de biomasse féconde dans l'eau pour avoir une pêche productive. Nous en sommes maintenant à quelque chose comme 300 000 ou 400 000 tonnes. Avec la réduction radicale du point de référence limite, c'est surtout l'objectif qui a changé, beaucoup plus que le niveau des stocks. Certains peuvent soutenir que les stocks ont augmenté, et d'autres témoins en ont parlé en soulignant que les relevés de 2024 sont très encourageants. Cependant, une hirondelle ne fait pas un printemps. Il faut plus d'un relevé favorable pour parvenir à des conclusions définitives sur la santé d'un stock.
Ce que je crains, c'est que le point de référence limite ait été modifié sans consultation adéquate, sans le genre de mobilisation citoyenne ouverte qui est nécessaire pour assurer la crédibilité de la démarche scientifique. Pour revenir à votre question concernant la situation du Canada, je ne suis vraiment pas sûr que nous soyons à la hauteur.
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Si je comprends bien, en 2023, le MPO a mené des consultations et les gens ont été invités à participer à l'élaboration du nouveau modèle. Le point de référence limite découle du nouveau modèle de 2023.
Si je comprends bien, les recherches scientifiques... Les recherches évaluées par les pairs constituent un processus important dans le domaine des sciences et de la gestion des pêches. Cela signifie que toutes les autorités... Il faut des publications évaluées par les pairs. C'est cela, la science. C'est de cette façon que fonctionne la science de nos jours. Il ne suffit pas que les personnes invitées par le MPO viennent passer en revue les documents; il faut également entendre les gens qui viennent parce qu'ils sont intéressés et qu'ils veulent avoir accès aux modèles, faire des simulations et voir comment les modèles se comportent avec les anciennes données.
Il y a eu d'innombrables commissions d'enquête parlementaires et rapports, le rapport Harris, par exemple, et divers rapports qui contenaient des conclusions concernant les pêches. Il semblerait qu'avec le nouveau modèle, bon nombre de ces rapports ont été mis de côté et que, dans les années 1990, nous n'avions aucune idée de l'état de la ressource. Le nom de nombreux éminents scientifiques a été reconnu et ils ont rédigé des documents et des publications, et maintenant on nous dit qu'ils ont fait erreur.
C'est un développement majeur pour Terre-Neuve‑et‑Labrador, car il s'agit d'un litige visant à déterminer si cette ressource fondamentale est durable ou non, et si nous faisons un bon travail. Les données scientifiques — les données que Michael Kirby a utilisées pour recommander la pêche jusqu'à concurrence de 400 000 tonnes, et celles utilisées par Les Harris en 1990 pour avancer que nous devrions réduire les quotas en deçà de 100 000 tonnes — sont inexactes, car nous disposons maintenant de nouvelles données qui remontent aux années 1950.
Je ne dis pas que c'est erroné. Je ne suis pas un scientifique. Je n'ai aucunement le droit de faire une telle affirmation, mais je crois qu'il faut une tribune plus ouverte, une tribune publique qui permet aux gens de participer, et pas seulement ceux qui ont été invités. Le processus doit être amélioré. À mon avis, il y a beaucoup de...
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Je vous remercie, monsieur le président.
En fait, c'est un excellent enchaînement. Je voulais remercier les témoins de leur comparution aujourd'hui.
Monsieur Vardy, je vous remercie de ce que vous avez apporté à Terre-Neuve‑et‑Labrador et au Canada dans les différents rôles que vous avez occupés.
Vous avez mentionné un modèle de gestion partagée. Pourriez-vous nous en dire davantage? L'un des avantages d'avoir des comités et des experts qui viennent témoigner, c'est que nous avons un peu de temps, mais nous n'en avons pas beaucoup pour bien comprendre la terminologie.
Vous avez parlé d'un modèle de gestion partagée dans le domaine des pêches et vous avez fait référence à l'Islande et à la Norvège. Pourriez-vous nous faire part en quelques mots de vos réflexions sur la gouvernance et nous dire comment cela pourrait fonctionner? C'est un peu comme dans les jeux télévisés. Nous disposons d'un temps limité avant que ne retentisse le signal sonore.
Pourriez-vous nous dire, selon votre expérience, à quoi pourrait ressembler ce modèle partagé?
J'aimerais également vous remercier des recommandations que vous avez formulées aujourd'hui. Nous vous en sommes reconnaissants.
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Je vous remercie de la question.
La Norvège et l'Islande sont toutes les deux des pays unitaires. Ils n'ont pas de régime fédéral comme au Canada et aux États‑Unis. L'approche de l'Australie et des États-Unis concernant la gestion des pêches diffère grandement, puisque ce sont deux états fédéraux. Les États-Unis disposent d'un système exhaustif de gestion mixte qui implique les États, mais pas dans le cadre d'une approche individuelle, puisque le pays compte 50 États. Nous comptons 13 administrations infranationales au Canada, ou 10 provinces, selon la perspective que l'on adopte, mais les États-Unis ont une approche régionale. Cette approche rassemble les États. En revanche, au Canada, les droits de propriété et les droits civils relèvent des gouvernements provinciaux.
Lorsque j'étais sous-ministre des pêches, le gouvernement de Terre-Neuve‑et‑Labrador s'occupait de l'octroi des permis d'usine de transformation du poisson et des grands investissements de capitaux dans le secteur. Le gouvernement fédéral détenait beaucoup de pouvoirs dans l'activité de pêche comme telle et, dans une large mesure, la commercialisation et le contrôle de la qualité. Il y avait des chevauchements concernant la qualité entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Nous n'avions pas de mécanisme pour regrouper officiellement tous ces aspects devant la loi. Certains membres de l'industrie étaient régis par un cadre réglementaire...
Si vous êtes une entreprise de pêche intégrée verticalement, vous devez composer avec un grand nombre de cadres réglementaires. Nous avons besoin d'un régime réglementaire intégré. C'est ce que nous avons fait avec la pêche hauturière. L'Accord atlantique a mené à la création de l'Office Canada-Terre-Neuve‑et‑Labrador des hydrocarbures extracôtiers, qui a regroupé ces cadres et permis une certaine transparence. À mon avis, c'est ce que nous devons faire dans le cas qui nous occupe.
L'Islande et la Norvège ont bien réussi à gérer leurs stocks. Elles n'ont jamais laissé les stocks de morue descendre aux niveaux que nous avons connus. Nous avons essuyé un énorme échec. Le manque de coordination entre les divers gouvernements l'explique en grande partie. Les gouvernements envoyaient des signaux contradictoires. Le gouvernement provincial encourageait la construction de nouvelles usines de traitement du poisson, alors que le gouvernement fédéral affirmait qu'il y en avait suffisamment. Tout dépendait du ministre en poste. Certains ministres voulaient favoriser le développement alors que d'autres misaient sur la réglementation et la conservation.
Il est grand temps que nous mettions l'accent sur notre gestion. J'estime que l'instabilité dans notre industrie s'explique en grande partie par nos méthodes de gestion, et plus particulièrement l'aspect politique. Nous devrions être des chefs de file dans le domaine de la pêche. Si nous pouvons rétablir ces stocks, nous disposerons d'une énorme quantité de ressources. Nous parlons de grands chantiers au Canada. Les pêches représentent un grand chantier, un mégaprojet potentiel.
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À mon avis, il faut envisager le tout en fonction de la mortalité des poissons. Au bout du compte, ce qui importe, c'est la mortalité et le taux de mortalité. La technologie peut s'avérer une grande alliée, tout comme elle peut être notre ennemie. Nous sommes devenus des pêcheurs très performants. Avec le système automatisé de chalutage, ou quelque soit la technologie utilisée, nous sommes devenus très efficaces. Nous pouvons prendre le dessus sur la nature. Nous pouvons bouleverser la nature. Nous devrions vraiment mieux pêcher que par le passé.
Le système automatisé de chalutage est‑il vraiment moins néfaste que l'ancien système d'il y a plusieurs années? La réalité, c'est que si vous pêchez dans une aire de frai, les poissons n'ont aucune chance, vraiment aucune. M. Harris a présenté d'excellentes analogies. Ce qui se produit, c'est que les poissons se regroupent. Ils se regroupent en période de frai. Ils se regroupent pour se reproduire. Il y a une bonne période d'alimentation, où ils mangent du capelan, puis ils s'en vont. Lorsqu'ils se reproduisent, ils se regroupent. Ils sont très vulnérables. La proportion de prises grâce au système automatisé par unité d'effort fourni peut continuer de s'accroître. Parfois, vous pêchez et tout d'un coup, le nombre de prises chute. C'est le genre de choses qui peut se produire dans l'industrie de la pêche.
Lorsque j'étais sous-ministre des pêches, je me rappelle avoir reçu un appel de la plus grande entreprise de pêche. Le responsable m'informait que l'usine de Port Union fermerait la semaine suivante, car les chaluts n'attrapaient rien, ils étaient complètement vides. Nous avions atteint le point de chute; tout allait bien, puis le vent a tourné. Ce n'était pas graduel. Du jour au lendemain, il n'y avait plus rien, parce que la technologie était vraiment performante.
Nous ne devrions pas pêcher dans des aires de frai. Ce n'est pas juste. C'est comme abattre un orignal à partir d'un hélicoptère.
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Je crois qu'abattre un orignal à partir d'un hélicoptère ne passerait pas inaperçu non plus.
Enfin, je remercie nos témoins. Nous allons passer à huis clos pour parler des travaux du Comité. Je remercie Mme Morissette et M. Vardy, bien sûr, d'être venus aujourd'hui partager avec nous leurs connaissances pendant notre étude.
Nous allons suspendre pendant quelques instants afin de passer à huis clos. Les témoins peuvent se déconnecter ou quitter la réunion, et nous allons passer aux travaux du Comité.
[La séance se poursuit à huis clos.]