Je suis professeur au Centre de criminologie de l'Université de Toronto. Mes recherches dans divers domaines de la criminologie ont été publiées dans un certain nombre de publications savantes au cours des 35 dernières années. Récemment, une collègue de l'Université d'Ottawa, le professeur Cheryl Webster et moi-même avons fait une recension détaillée des écrits sur l'effet dissuasif de la détermination de la peine pour Crime and Justice: A Review of theResearch, qui est l'une des principales publications dans ce domaine. J'ai remis un résumé de mon CV à la greffière.
Je voudrais vous faire part de trois conclusions assez simples. Premièrement, contrairement à ce que diverses personnes ont dit à la Chambre des communes et ailleurs, la recherche n'appuie pas la conclusion selon laquelle les peines plus sévères comme celles que prévoie le projet de loi contribueront à réduire la criminalité. Les meilleures études sur le sujet sont assez cohérentes à cet égard. L'imposition de peines minimales obligatoires ne contribuera pas à réduire la criminalité.
Deuxièmement, vous avez intérêt à réfléchir sérieusement avant d'accepter certains arguments avancés pour démontrer que les peines minimales obligatoires peuvent réduire la criminalité. Il est facile de démontrer que ces arguments sont souvent fondés sur de pures inventions.
Troisièmement, vous rendez un bien mauvais service à la population canadienne lorsque vous insinuez ou affirmez qu'il est possible de réduire les crimes graves en imposant des peines minimales obligatoires de plus en plus sévères. C'est tout simplement parce qu'en insistant sur des stratégies dont on sait qu'elles seront inefficaces, vous ignorez d'autres stratégies de lutte contre le crime qui rendraient nos collectivités plus sûres.
Au moins un des témoins précédents vous a exhortés à faire des comparaisons avec les États-Unis. Il a conclu que ces comparaisons démontraient que des peines sévères réduiraient la criminalité au Canada. Je dirais simplement que son analyse me paraît incroyablement inadéquate. Même si je ne pense pas que ce soit les meilleures données disponibles pour démontrer le pour et le contre, je voudrais prendre le temps de mieux vous décrire certaines des différences entre les deux pays.
Voici un graphique de la criminalité totale et de la criminalité violente enregistrées par la police canadienne depuis 40 ans. J'ai multiplié le taux de crime violent par 10 pour qu'on puisse voir la forme de la courbe. C'est la forme plutôt que la valeur absolue qui est importante. De toute évidence, les crimes déclarés ont augmenté régulièrement jusqu'au début et le milieu des années 90, après quoi il y a eu une lente diminution.
Comme les rapports sur les actes criminels ne sont pas présentés de la même façon aux États-Unis, vous ne pouvez pas comparer légitimement les valeurs absolues à partir de ces deux graphiques. Ce graphique se rapporte aux États-Unis. Vous pouvez constater une tendance remarquablement similaire à la tendance canadienne; il y a une progression jusqu'au début des années 90 puis une diminution.
Pour passer aux homicides, étant donné que l'on peut rendre les chiffres comparables, j'ai indiqué ici le taux d'homicide réel dans les deux pays. Aux États-Unis, les taux d'homicide sont généralement environ trois fois plus élevés qu'au Canada, mais si vous y regardez de plus près, vous pourrez constater que la tendance générale est la même au Canada et aux États-Unis. Les taux d'homicide ont atteint un niveau record au milieu des années 70, après quoi ils ont régressé, remonté un peu à la fin des années 80, puis ils sont retombés dans les années 90.
Pour pouvoir comparer visuellement ces tendances, j'ai placé les taux d'homicide des deux pays sur la même échelle en plaçant au niveau 1 le taux enregistré en 1961 pour chaque pays et en indiquant les changements par rapport à ce taux. Vous constatez également une similarité. Il y a une progression des années 60 jusqu'au milieu des années 70, puis un déclin graduel et inégal, surtout dans les années 90.
Quel est le rapport avec les peines infligées?
Voici un tableau des peines de prison imposées au Canada au cours des 45 dernières années. Pour diverses raisons, en grande partie parce que nous avons trouvé d'autres moyens de punir les contrevenants qui ont commis des crimes moins graves qu'en les envoyant en prison, notre taux d'incarcération est resté assez stable depuis 45 ans.
Par contre, voici à quoi ressemble le taux d'incarcération aux États-Unis. Aux États-Unis, les taux d'incarcération ont été assez constants pendant 50 ans, jusqu'à ce qu'ils se mettent à augmenter de façon spectaculaire à compter du milieu des années 70. Alors qu'ils étaient légèrement supérieurs aux nôtres au début des années 70, les taux d'incarcération américains sont maintenant sept fois plus élevés qu'au Canada. Ces dernières années, nous avons obtenus des données qui n'étaient pas accessibles avant, pour diverses raisons, et vous pouvez constater un taux d'incarcération environ sept fois plus élevé que le taux canadien.
La plupart des criminologues seront d'accord pour dire que le niveau d'emprisonnement ne prédit pas le taux de criminalité. Dans ce cas, nous avons deux pays, les États-Unis et le Canada, dont les tendances sur le plan de la criminalité sont assez similaires. Pourtant, les deux pays ont des taux d'incarcération extrêmement différents. Par conséquent, lorsqu'on vous dit que des taux d'incarcération élevés augmenteront la sécurité des Canadiens, vous devez vous demander pourquoi nos tendances suivent une courbe très similaire à celle d'un pays qui a des taux d'incarcération très différents.
Je ne considère pas qu'il s'agisse des meilleures preuves. Si j'en parle, c'est seulement parce qu'apparemment, on vous a exhortés à suivre le modèle américain en cherchant à lutter contre la criminalité en augmentant les taux d'incarcération.
Ce que l'on peut conclure des données, si vous voulez, c'est que nous avons obtenu des tendances similaires sur le plan de la criminalité sans avoir eu à dépenser des milliards de dollars pour mettre les gens en prison.
Pour comprendre si des peines plus sévères se répercutent sur la criminalité, je vous suggère d'examiner l'ensemble de la preuve. La conclusion à laquelle le professeur Webster et moi-même sommes arrivés...
Pour comprendre si des peines plus sévères ont une influence sur la criminalité, je vous suggère d'examiner l'ensemble de la preuve. La conclusion à laquelle nous en sommes arrivés, le professeur Webster et moi, suite à un examen approfondi des données, et surtout de celles des 15 dernières années, est que la variation dans la sévérité des peines ne se répercute pas sur les taux de criminalité.
Les analyses qui tirent des conclusions différentes ne se sont généralement intéressées qu'aux rares études qui établissent la preuve des effets dissuasifs des peines sévères. Autrement dit, depuis plus de 25 ans, la grande majorité des données recueillies permettent de conclure que les peines sévères qui sont prévues dans la loi ou qui sont appliquées n'ont pas d'effet appréciable sur les taux de criminalité.
Je voudrais maintenant passer à deux séries de données qui ont largement retenu l'attention ici, à Ottawa. Chacune d'elles a été utilisée pour démontrer l'effet dissuasif des peines sévères. Le premier exemple est tiré d'une analyse d'un document qui a été mentionné dans le contexte du projet de loi. Apparemment, lorsqu'il est question de l'effet dissuasif des peines sévères, le nom de Steven Levitt, l'un des auteurs du populaire ouvrage Freakonomics, est toujours cité de même que son article, rédigé en collaboration avec Daniel Kessler et publié en 1999.
En se basant sur leur analyse des répercussions d'une initiative lancée en juin 1982, en Californie, la Proposition 8, ces deux économistes sont arrivés à la conclusion que l'imposition de peines plus sévères, en juin 1982, a entraîné une réduction du taux de criminalité en Californie. À la suite des changements apportés en 1982 à la législation californienne, les peines infligées pour certains crimes commis par des récidivistes sont devenues beaucoup plus longues. Ce changement a été considéré comme une bonne occasion de mettre à l'épreuve la théorie de la dissuasion étant donné que les changements apportés au niveau de la détermination de la peine ont été spectaculaires, soudains et largement diffusés. Les résultats typiques figurent ici, de même que dans le document traduit.
Il s'agit des données du document original de Kessler et Levitt et vous voyez la ligne verticale qui indique le moment où la loi a été changée. En examinant ce graphique, on pourrait facilement conclure que la criminalité était en hausse jusqu'au moment où la loi a été changée et qu'elle a ensuite chuté considérablement. Ces résultats sont impressionnants.
Les conclusions sont similaires pour les quatre autres catégories de crimes visées par les changements. La criminalité a augmenté avant que la loi ne soit modifiée, comme en témoignent les données de Kessler et Levitt, après quoi elle a diminué de façon spectaculaire. Il n'est pas étonnant que les partisans de ce projet de loi ont cité de façon répétée cette seule étude réalisée par un économiste assez célèbre, mais je voudrais que vous examiniez ces données plus attentivement.
Si vous regardez cette courbe avec attention, vous constaterez une chose bizarre: dans l'article qu'il a publié, Levitt a seulement présenté des données pour les années impaires. C'est ce qui figure dans le tableau; c'est ce qui figurait dans son article.
Examinons la série complète de données qui n'ont jamais été publiées et n'ont jamais été présentées dans cet article, très souvent cité, sur la dissuasion. Ce graphique se contente d'ajouter les années paires. Les données pour les années impaires sont identiques à celles que vous avez vues avant. Là encore, la ligne verticale indique le moment où la loi a été modifiée. Contrairement à la série de données partielles auxquelles Kessler et Levitt se sont fiés, vous constatez que la criminalité a diminué, et cela avant même que la loi ne soit changée. Pour les autres actes criminels que Kessler et Levitt ont examinés et qui faisaient l'objet de ces nouvelles peines particulièrement sévères, la tendance est la même.
À gauche des figures se trouvent les données publiées dans l'article original de Kessler et Levitt. À droite, nous avons simplement, Cheryl Webster, de l'Université d'Ottawa, Frank Zimring, de Californie et moi-même, ajouté les données des années paires. En choisissant comme ils l'ont fait de ne présenter que les données des années impaires, les auteurs ont illustré des tendances fort différentes de la réalité, comme l'indiquent les données correspondants à toutes les années.
Si vous voulez, vous pouvez examiner les données mensuelles pour avoir une estimation plus exacte du moment où la criminalité a diminué. Nous l'avons fait également. En voici un exemple. Là encore, nous avons indiqué le moment où la loi a été modifiée par une ligne verticale et vous pouvez voir que la réduction de la criminalité a commencé avant que la loi ne soit changée et non pas après, comme ce serait le cas si cette diminution était attribuable à la loi.
Ces graphiques font partie d'un article que j'ai écrit avec le professeur Webster et le professeur Franklin Zimring, de la Faculté de droit de l'Université de Californie à Berkeley. Le professeur Zimbring est un des experts mondiaux de la dissuasion, un sujet sur lequel il a publié de nombreux ouvrages, à commencer par son livre de 1972, qui est maintenant un classique.
Vous pouvez facilement comprendre que le professeur Levitt n'est pas très content des résultats de notre analyse. À mon avis, la meilleure conclusion à tirer de cet intéressant choix de données, de cette utilisation très sélective des données, c'est qu'il est très risqué de s'appuyer sur une étude comme celle-là pour élaborer une politique.
Il y a un an environ, au cours de la dernière législature, lorsque vous avez examiné le projet de loi , un témoin qui a comparu devant vous a affirmé que l'imposition de peines plus sévères avait contribué à réduire le taux de crimes violents en Floride. Son témoignage, comme celui de votre témoin canadien de la semaine dernière, concernant le programme baptisé « 10-20-life » vous a sans doute paru très convaincant. Le but de ces déclarations est clair: il s'agit de démontrer que les régimes de peines sévères réduisent la criminalité.
Je suis de la vieille école. Je pense que vous devriez examiner les données attentivement. Les données que je vous ai présentées au départ devraient vous inciter à faire preuve de scepticisme à l'égard de ces affirmations. La criminalité était déjà en baisse aux États-Unis. Le taux de crimes violents a atteint un sommet aux États-Unis et au Canada au début des années 90 et il a ensuite diminué.
Alors examinons la tendance en Californie. Les deux prochains graphiques montrent l'indice de criminalité intégral, qui mesure les types de crimes les plus graves, et l'indice des crimes violents pour la Floride, dans les années 90. Le moment de la mise en oeuvre de la loi dite « 10-20-life » en Floride est encore indiqué par une ligne verticale.
Si vous examinez cette figure, ou la suivante, qui porte sur les crimes violents, vous constatez immédiatement que l'hypothèse selon laquelle la loi est à l'origine de la baisse du taux de criminalité ne tient pas la route. Le taux de criminalité était déjà en baisse. S'il n'y avait pas la ligne verticale indiquant à quel moment le changement législatif a eu lieu, vous ne vous rendriez pas compte que la loi a été modifiée. Autrement dit, la criminalité était en baisse en Floride, tout comme ailleurs aux États-Unis et au Canada. Rien ne prouve que la modification législative ait contribué à cette baisse.
Bien entendu, il existe beaucoup d'autres études sur ce sujet. Les meilleures portent sur plusieurs pays et s'appuient sur d'autres facteurs reconnus comme étant reliés aux taux de criminalité. Il y a eu des études beaucoup plus approfondies.
Dans les années 90, aux États-Unis, en grande partie grâce à la popularité de ce qu'on a appelé les lois à trois prises, bon nombre d'États ont adopté des régimes de peines très sévères à l'égard de certains délits. Certaines études se sont penchées sur les répercussions des changements législatifs. Un groupe de chercheurs, par exemple, a examiné leur incidence sur sept crimes différents dans 21 États, en utilisant, comme groupe témoin, les États qui n'avaient pas changé leur loi.
Ce tableau vous présente un résumé de leurs conclusions. Les auteurs font état d'autant de cas où le taux de criminalité a diminué que de cas où il a augmenté depuis l'imposition de lois plus sévères. De toute évidence, on ne peut pas se fier uniquement à ces changements législatifs pour expliquer la diminution de la criminalité, pas plus qu'on ne peut le faire pour expliquer son augmentation. Néanmoins, ces constatations vous montrent qu'il est risqué de prendre des conclusions isolées, hors contexte.
J'aimerais maintenant parler de deux autres problèmes liés à l'imposition de peines minimales obligatoires. Il est presque inévitable que certaines peines minimales obligatoires soient injustes, du moins à l'égard de certains contrevenants. Le Code criminel précise que les peines doivent être proportionnelles à la gravité du délit et à la responsabilité du contrevenant dans la perpétration du délit. Je crois que la plupart des Canadiens sont en faveur d'un modèle de proportionnalité des peines.
De toute évidence, dans son effort visant à obliger les juges à imposer des peines minimales obligatoires, le Parlement envoie délibérément le message qu'il ne fait pas confiance aux juges en ce qui concerne l'évaluation de la gravité des délits. De plus, l'imposition de peines minimales obligatoires forcera probablement les juges à ordonner des peines contraires à l'article 718.1, le principe de proportionnalité des peines.
Si le principe de proportionnalité doit être renforcé dans le Code criminel — et je suis convaincu que c'est le cas — il existe alors d'autres moyens de le faire. Il a toutefois été amplement démontré que l'imposition de peines minimales obligatoires n'est pas un outil approprié pour atteindre ce but. Les propositions comme celle-ci causent également d'autres torts. Si jamais il approuvait le , le Parlement du Canada ne ferait que répéter explicitement aux Canadiens le message suivant: le Parlement peut rendre nos collectivités plus sûres en imposant des peines minimales obligatoires plus sévères. Il s'agit là d'une fausse promesse, tout simplement. Si vous votiez pour ce projet de loi, j'estime que vous feriez donc aux Canadiens une promesse que l'on sait fausse. Mais il y a pire. En focalisant l'attention sur l'imposition de peines minimales obligatoires, le Parlement du Canada néglige d'étudier d'autres méthodes de prévention du crime qui pourraient réellement rendre nos collectivités plus sûres. Autrement dit, en cherchant à vous convaincre vous-mêmes et à convaincre les autres que cette solution protégera mieux nos collectivités, vous fermez inévitablement les yeux sur d'autres méthodes de prévention du crime susceptibles d'être beaucoup plus efficaces.
Merci beaucoup.
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Merci, monsieur le président.
Merci beaucoup de nous avoir invités à comparaître devant le comité aujourd'hui. Je m'appelle Royland Moriah. Je suis l'avocat chargé des recherches en politique à l'African Canadian Legal Clinic. Je suis accompagné aujourd'hui de Charlene Theodore.
Je voudrais d'abord vous présenter nos excuses pour ne pas avoir de mémoire écrit. Je sais que le mémoire de M. Doob vous a posé un problème, du moins parce que ses graphiques n'étaient pas traduits. Malheureusement, notre mémoire n'est pas encore traduit, mais j'en ai parlé à la greffière qui m'a assuré que ce sera fait et que ce document sera distribué aux membres du comité le plus tôt possible. Je vous exhorte à me contacter si vous avez des questions concernant ce mémoire, lorsque vous l'aurez reçu.
Je vais vous fournir quelques renseignements sur l'African Canadian Legal Clinic, que je désignerai comme l'ACLC au cours de mon exposé. Nous sommes une clinique juridique spécialisée, qui est financée par le programme juridique de l'Ontario. Notre travail vise à remédier au racisme systémique et à la discrimination raciale en Ontario. Nous le faisons en portant des causes-types devant les tribunaux. Dans ce but , nous avons défendu des clients à tous les niveaux du système judiciaire, y compris jusqu'à la Cour suprême du Canada. Nous surveillons également la législation — et c'est pour cela que je suis ici aujourd'hui — et nous oeuvrons pour l'élimination du racisme, surtout du racisme contre les Noirs.
Les questions de droit pénal, de racisme et de discrimination dans le système judiciaire sont, bien entendu, au centre de notre mandat. Comme nous l'indiquons dans notre mémoire, que vous aurez, je l'espère, l'occasion de lire, nous avons participé à un certain nombre d'interventions devant les différentes instances judiciaires. Par exemple, nous sommes allés devant devant la Cour suprême du Canada, dans les causes de La Reine c. Spence et de La Reine c. Williams, qui portaient sur la récusation motivée de jurés pour une question raciale et dans La Reine c. Golden, une cause dans laquelle la Cour suprême a énoncé la procédure que la police devait suivre pour la fouille à nu. Nous sommes intervenus devant la Cour d'appel dans certaines causes de profilage racial dont celles de La Reine c. Brown et La Reine c. Richards. Plus récemment, nous avons beaucoup travaillé au niveau des politiques, surtout dans le cadre de dans l'examen du système de plaintes contre la police de l'Ontario qui a été confié au juge Patrick Lesage. L'été dernier, nous sommes intervenus dans la Partie II de l'enquête sur les événements d'Ipperwash en fournissant à la commission d'enquête un rapport sur l'utilisation de la force par la police.
Nous nous réjouissons de pouvoir présenter un mémoire sur le , car les questions de justice pénale sont certainement très importantes dans la collectivité que nous desservons. Comme on l'a déjà mentionné, de nombreux rapports émanant des diverses provinces et des différentes instances judiciaires ont suscité des inquiétudes au sujet de l'impact des questions raciales sur le système de justice pénale canadien.
Un grand nombre de membres du comité ne s'étonneront sans doute pas d'apprendre, étant donné que cette information circule, que les Canadiens d'origine africaine sont particulièrement surreprésentés dans le système de justice pénal. Par exemple, le récent recensement de 2001 révèle que la communauté afro- canadienne représentait environ 4,5 p. 100 de la population. Néanmoins, en avril dernier, le système fédéral de gestion des détenus a indiqué que les membres de cette communauté constituent actuellement 16,1 p. 100 des personnes incarcérées dans les établissements fédéraux.
De nombreux rapports ont mentionné que la surreprésentation de la communauté afro-canadienne est due à un ciblage systématique de la part de la police. Les recherches réalisées par des criminologues comme Scott Wortley, de l'Université de Toronto, ont confirmé que les Afro-Canadiens étaient ciblés par la police et que les jeunes hommes risquaient généralement davantage d'être arrêtés et harcelés, et d'être accusés d'une infraction.
Les questions que soulève le revêtent une importance particulière pour notre communauté, surtout à Toronto. Comme vous l'avez sans doute vu, pour la plupart, dans les médias depuis un an et demi, il y a eu, à Toronto, une flambée de violence mettant en jeu des armes à feu qui a particulièrement touché notre communauté. Étant donné cette réalité, nous estimons qu'il est nécessaire d'élaborer des stratégies efficaces pour s'attaquer à ce problème.
Comme nous l'indiquons dans notre mémoire, depuis cette flambée de violence, notre communauté a demandé des stratégies pour s'attaquer aux causes de cette criminalité, en cherchant à prévenir les actes criminels commis avec des armes à feu au lieu d'avoir à les punir. Tous les Canadiens seront sans doute d'accord avec nous pour dire qu'il ne suffit pas de réagir face à ce problème et de mettre les coupables en prison après qu'ils ont blessé ou tué des gens, mais de l'éviter dans toute la mesure du possible, afin de prévenir les pertes de vies.
Une partie de la stratégie que nous avons recommandée, en reconnaissant que c'est un problème complexe qui exigera une approche multidimensionnelle, consiste à accroître le financement des services dans les communautés à risque. Il faut rétablir un grand nombre des programmes sociaux que les gouvernements successifs ont éliminés depuis une dizaine d'années. Il s'agit des gouvernements à tous les niveaux, tant provincial que fédéral par l'entremise des paiements de transfert.
Néanmoins, nous reprochons au projet de loi de s'attaquer d'une façon simpliste et même imprudente aux crimes violents commis avec des armes à feu. Au lieu d'examiner les causes de cette criminalité et de mettre en place des stratégies efficaces, nous nous contentons de beaux discours et de beaux principes, en donnant l'impression d'agir alors que nous ne faisons pas grand-chose pour nous attaquer vraiment à ce problème. L'ACLC estime que les amendements proposés au Code criminel ne seront pas efficaces parce qu'ils ne tiennent pas compte de la complexité du problème que posent les armes à feu illégales. À moins de reconnaître et de chercher à s'attaquer aux causes sous-jacentes, nous ne pourrons pas avoir de stratégies efficaces pour résoudre le problème.
Bien que les peines minimales obligatoires suscitent de nombreux problèmes — M. Doob en a mentionné quelques-uns et je suis sûr que bien d'autres vous ont été signalés au cours de vos audiences sur le projet de loi — mon exposé portera sur trois principales questions: les répercussions des peines minimales obligatoires sur le principe fondamental de la proportionnalité — auxquelles M. Doob a fait allusion; l'inefficacité reconnue des peines minimales obligatoires — comme M. Doob et j'en suis sûr, bien d'autres, vous le diront de nouveau; et ce qui est particulièrement important pour la population que nous desservons, l'impact des peines minimales obligatoires sur les Canadiens d'ascendance africaine et les communautés afro-canadiennes et, je dirais aussi, sur l'ensemble des communautés du pays.
En ce qui concerne le principe de la proportionnalité, comme l'a mentionné M. Doob, l'article 718.1 du Code criminel exige que la peine soit proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant. Les peines minimales obligatoires s'écartent de ce principe en enlevant aux juges la possibilité de tenir compte d'autres facteurs pertinents tels que les circonstances aggravantes et atténuantes. Comme on peut le lire dans un article de Julian Roberts:
Une peine obligatoire empêche les juges d'adapter la sévérité de la peine à la gravité de l'infraction et au degré de culpabilité du délinquant.
Un exemple cité par Mme Sue Barnes dans son discours à la Chambre, que nous mentionnons dans notre mémoire écrit — et je regrette encore une fois que vous ne l'ayez pas obtenu — souligne l'importance du pouvoir discrétionnaire du juge dans le processus de détermination de la peine. Elle a dit qu'avec les modifications proposées, une personne sans casier judiciaire qui porte une arme à feu non chargée se verrait infligée une peine plus lourde que quelqu'un ayant un casier judiciaire trouvé en la possession d'un fusil chargé. Je pense que cela soulève certaines questions en ce qui concerne la proportionnalité.
Ce n'est là qu'un exemple très limité, mais il y en a bien d'autres. C'est une chose dont il faut vraiment tenir compte. Il faut voir quelles seront les répercussions de cette mesure sur le système de justice pénale et sur la façon dont fonctionne la détermination de la peine.
Voilà pourquoi il est important de tenir compte du rôle des juges. Ils sont particulièrement bien situés pour évaluer toutes les circonstances d'une infraction et fixer une peine appropriée qui tienne compte de tous les facteurs pertinents, y compris le besoin de dissuader, la réinsertion et la protection de la société lorsque c'est nécessaire. Les peines minimales obligatoires usurpent ce rôle essentiel que jouent les juges et entraîneront des peines disproportionnées. Les preuves sont évidentes. Les juges ne pourront pas tenir compte de toutes les circonstances comme l'exige le bon fonctionnement du processus de détermination de la peine dans le système de justice pénale.
Sur le plan de l'efficacité, je sais que j'enfonce une porte ouverte, car c'est une chose que bien des gens qui ont comparu devant le comité n'ont cessé de répéter, beaucoup de gens qui sont beaucoup plus experts que moi dans ce domaine. Il ne fait aucun doute que les peines minimales obligatoires ne donnent pas de bons résultats. Le débat sur la question n'est pas nouveau au Canada. Il dure depuis déjà un certain temps. La dernière commission sur la détermination de la peine a examiné le travail fait par les différentes commissions qui se sont penchées sur la question depuis 40 ou 50 ans et a remarqué qu'aucune d'entre elles n'avait considéré les peines minimales obligatoires comme une solution appropriée dans le système de justice pénale. Elles ont clairement conclu que ces peines n'avaient pas l'effet dissuasif voulu.
Les recherches réalisées récemment par des chercheurs universitaires ou pour des ministères concluent également que les peines minimales obligatoires ne sont pas efficaces. Les rapports émanant d'autres pays, surtout des États-Unis, mais aussi de l'Australie — car il y a eu des recherches sur certaines dispositions prévoyant des peines minimales obligatoires en vigueur dans ces pays — ont également confirmé que les peines minimales obligatoires n'abaissent pas le taux de criminalité, qu'elles n'ont pas d'effet dissuasif, qu'elles n'arrêtent pas la criminalité, qu'elles sont inefficaces. En fait, certains États américains s'éloignent maintenant des peines minimales obligatoires, car les législateurs commencent à comprendre qu'ils se sont fourvoyés, que ces mesures ne sont pas efficaces et qu'elles ont un effet très négatif sur le fonctionnement de leur système de justice pénale.
Le résumé législatif du projet de loi mentionnait même l'efficacité douteuse de ces dispositions. Pourtant, sous prétexte de s'attaquer à la criminalité, le gouvernement a proposé des modifications qui, selon les recherches disponibles, ne feront pas grand-chose pour remédier au problème de la violence mettant en jeu des armes à feu.
Je vais seulement soulever une ou deux questions concernant, bien entendu, les effets sur la communauté afro-canadienne. Cela va me prendre une ou deux minutes, après quoi je terminerai.
Nous estimons qu'étant donné l'inefficacité largement reconnue des peines minimales obligatoires, le gouvernement ne devrait pas apporter ces modifications. Comme l'ont fait justement remarquer Thomas Gabor et Nicole Crutcher, dans leur recherche pour le ministère de la Justice:
La sévérité et l'inflexibilité de certains régimes de peines obligatoires sont telles que c'est à leurs partisans qu'il incombe de prouver que leurs avantages préventifs et autres justifient leurs coûts économiques et humains, ainsi que leur empiètement sur le pouvoir judiciaire dans la détermination de la peine.
Nous nous inquiétons particulièrement du coût humain pour la communauté afro-canadienne. Comme je l'ai déjà dit, ces coûts auront un impact non seulement sur notre communauté, mais sur les communautés de tout le pays. Les recherches ont largement souligné les effets disproportionnés des peines minimales obligatoires sur les accusés afro-canadiens et autochtones.
Il ne fait aucun doute que le racisme touche notre système de justice pénale. Il y a de nombreux rapports à cet effet émanant des différentes provinces. Je ne les citerai pas. Ils sont mentionnés dans notre mémoire et vous pourrez certainement y jeter un coup d'oeil vous-mêmes. Un facteur important de la surreprésentation de ces groupes dans le système de justice pénale est l'utilisation de stéréotypes discriminatoires. Ces stéréotypes entrent souvent en jeu dans les prises de décision discrétionnaires. C'est particulièrement important dans le contexte des peines minimales obligatoires, étant donné que ces dispositions enlèvent des pouvoirs discrétionnaires à un juge impartial, qui a des comptes à rendre, pour les confier à la police et aux procureurs de la Couronne, qui n'ont pas de comptes à rendre, dont les décisions ne peuvent pas être réexaminées et qui, pour cette raison, ont encore plus de pouvoir sur les accusés.
En effet, dans certaines situations où ils sont passibles de peines minimales obligatoires, les accusés sont prêts, qu'ils soient ou non coupables, à accepter une peine moindre pour éviter le risque de se voir imposer une peine minimum obligatoire plus longues. Il est extrêmement important pour les Afro-Canadiens comme pour tous les Canadiens, qu'une décision aussi importante pour la justice pénale que la détermination de la peine soit prise de façon ouverte et transparente et puisse être contestée si nécessaire.
Les peines minimales obligatoires sont également problématiques parce que les gens s'imaginent qu'elles augmenteront la sécurité dans la société. Nous pensons que cela n'aura pas d'effet à long terme sur la sécurité. Ces peines vont certainement contribuer à mettre des gens en prison, mais nous craignons, surtout pour les communautés marginalisées dans lesquelles un bon nombre de ces personnes retourneront, que ces peines soient appliquées sans qu'on examine les autres options qui pourraient être plus utiles.
Nous savons que ce sont surtout des jeunes hommes qui étaient impliqués dans les crimes violents qui ont été perpétrés avec des armes à feu à Toronto depuis un an et demi. Nous estimons qu'il faudrait envisager d'autres options, que ce soit des peines à purger dans la communauté ou des sanctions extrajudiciaires pour éviter que l'incarcération avec des criminels endurcis n'amène ces jeunes à récidiver.
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Merci, monsieur le président.
Merci de nous avoir invités à témoigner au sujet du .
[Français]
Je crois que vous avez tous les versions française et anglaise de notre présentation.
J'ai l'intention, cet après-midi, de faire un bref résumé de ce qui a déjà été présenté. J'espère que cela ne vous ennuiera pas.
Je suis le directeur général de l'Association canadienne de justice pénale. Avant d'occuper ce poste, j'ai travaillé pendant 35 ans au sein du Service correctionnel du Canada. Au cours de la plupart de ces années, j'ai occupé des postes supérieurs.
[Traduction]
L'Association canadienne de justice pénale est l'une des plus anciennes organisations non gouvernementales de professionnels et de personnes qui s'intéressent aux questions de justice pénale au Canada. Elle a commencé ses activités en 1919 et a témoigné devant ce comité à de nombreuses reprises.
Notre association regroupe plus de 700 membres. Elle publie la Revue canadienne de criminologie et de justice pénale, Actualités - Justice, le Répertoire des services - Justice et le Répertoire des services aux victimes d'actes criminels. Nous organisons également le Congrès canadien de justice pénale tous les deux ans.
Nous ne sommes pas un groupe de défense des contrevenants. Notre mission consiste à promouvoir un système de justice pénale humain, équitable et efficace. Nous soutenons les politiques basées sur la recherche et la raison qui permettent de mettre en place un système de justice pénale efficace au Canada.
Monsieur le président, notre association se réjouit de l'initiative prise par le gouvernement de mettre de l'avant une proposition conçue pour aborder le problème des crimes à main armée. Cela fait des décennies que nous nous inquiétons de voir ces crimes causer des morts inutiles. Notre organisation a témoigné devant le Sous-comité sur le contrôle des armes à feu à propos de ce qui était alors le projet de loi C-17, en août 1991. Nous espérions que nos recommandations conduiraient à réduire l'activité criminelle mettant en jeu des armes à feu, à réduire les décès inutiles et à exercer un meilleur contrôle sur les armes à feu.
En mai 1995, nous avons témoigné devant le Comité de la justice et des affaires juridiques au sujet du projet de loi C-68, Loi concernant les armes à feu et certaines autres armes. Nous avons appuyé l'adoption de ce projet de loi, sauf en ce qui concerne les peines de prison obligatoires. Je cite:
Notre association s'oppose depuis très longtemps aux peines obligatoires. Il y a bien sûr le fait que ces sanctions ne tiennent pas compte des caractéristiques particulières du délit ni de celles des délinquants. Elles ont tendance à limiter le pouvoir discrétionnaire des tribunaux et à augmenter celui de la police et de la poursuite. Elles augmentent la population des établissements pénitentiaires déjà surpeuplés. Elles donnent souvent lieu à des négociations de plaidoyers. Elles annulent le concept de peine totale et contribuent souvent à faire augmenter les coûts et le temps consacré aux procédures judiciaires.
Enfin, il n'est pas démontré que des peines d'emprisonnement obligatoires contribuent à dissuader ceux qui entendent utiliser une arme dans la perpétration d'un crime.
Apparemment, certains problèmes sont très difficiles à résoudre.
Je suis ici aujourd'hui pour vous dire que notre association a de sérieuses réserves au sujet du . Je vais les mentionner brièvement et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions et à vos observations à ce sujet.
Nous devons d'abord nous demander ce que nous essayons d'accomplir avec une nouvelle loi. De toute évidence, le gouvernement cherche à mettre en oeuvre des nouvelles mesures pour améliorer la sécurité des Canadiens. Chaque Canadien devrait être d'accord avec cet objectif. En tant que citoyen, père de famille et mari, je veux être certain que ma famille et mes voisins soient le plus en sécurité possible. Dans quelle mesure? D'après ce que nous lisons dans les journaux, sans doute plus qu'ils ne le sont actuellement. Je veux être certain qu'ils peuvent se déplacer librement chaque fois qu'ils en ont besoin, que ce soit pour aller à l'école, au magasin ou au travail, sans avoir à craindre de se faire agresser ou blesser.
Alors comment le doit-il permettre d'atteindre cet objectif? En augmentant les sanctions pénales pour les infractions mettant en jeu des armes à feu. Nous avons déjà des peines minimales obligatoires pour une quarantaine d'infractions, y compris un certain nombre d'actes criminels mettant en jeu des armes à feu, depuis 1995. Quelle est l'efficacité de ces sanctions? Ne sont-elles pas suffisamment sévères et conduisent-elles donc à commettre d'autres crimes?
Je peux vous dire qu'en 12 années de contacts directs et quotidiens avec des détenus, pas un seul ne m'a dit qu'il n'aurait pas commis d'acte criminel s'il avait risqué une peine plus longue. Très peu de détenus disent avoir suivi un raisonnement complexe et tenu compte de la durée de la peine avant de commettre leur crime.
Les données qui vous sont présentées ici aujourd'hui par nous et par d'autres, et celles que nous mentionnons dans notre mémoire, démontrent qu'il n'y a aucun rapport entre la durée de la peine, surtout pour ce qui est des peines obligatoires, et la dissuasion. La seule chose qui puisse dissuader de commettre un acte criminel est la certitude de se faire prendre et d'être rapidement puni.
Que reste-t-il alors sinon des peines plus sévères? Si telle est l'intention de ce projet de loi, nous devons nous tourner vers une énorme métaanalyse portant sur 111 études et 442 000 délinquants, qui a été réalisée par Paul Gendreau et ses collègues en 2002, pour le compte du Solliciteur général du Canada. Cette étude semblait indiquer que les peines plus sévères pouvaient avoir entraîné une augmentation de 3 p. 100 du récidivisme. Encore une fois, comme on l'a mentionné, un grand nombre des pays qui infligent les peines les plus sévères, y compris la peine de mort, ont le taux le plus élevé de crimes violents.
Avec le projet de loi la ligne de démarcation entre la police, la poursuite et les tribunaux sera encore plus floue. En empiétant davantage sur les pouvoirs discrétionnaires des juges à l'égard de la détermination de la peine, on va augmenter les pouvoirs discrétionnaires dont la police dispose pour porter des accusations et ceux du procureur de la Couronne pour la poursuite des infractions. Cela augmentera les négociations de plaidoyers pour les personnes moins coupables, mais qui craignent les peines minimales obligatoires, comme mon collègue vient de le dire, et entraînera aussi de longs procès pour ceux qui pourraient normalement reconnaître leur culpabilité si la peine obligatoire n'était pas plus longue.
Nous devons aussi réitérer l'impact que cela aura sur le plan correctionnel. Bien entendu, le nombre de détenu va augmenter. Aux niveaux provincial et fédéral, cela va exercer encore davantage de pressions sur les établissements carcéraux surpeuplés, les forcer à mettre deux détenus par cellule et augmenter les risques pour le personnel et les détenus.
Les programmes qui ont un effet positif sur la réinsertion des contrevenants dans la société seront encore plus difficile à obtenir dans des délais raisonnables, car les peines minimales obligatoires ont un impact plus négatif sur les personnes défavorisées. Nous pouvons nous attendre à une nouvelle augmentation du nombre de détenus qui devraient se trouver dans un établissement psychiatrique plutôt qu'un établissement correctionnel. La proportion de détenus autochtones va encore s'accroître, même s'ils sont déjà surreprésentés dans les pénitenciers, par un facteur de 6 ou 7, par rapport à l'ensemble de la population canadienne. Le nombre de femmes autochtones incarcérées continuera d'augmenter de façon déraisonnable.
Enfin, monsieur le président, nous devons tenir compte du coût que représente un plus grand nombre de détenus qui purgent des peines plus longues. On pourrait certainement dire qu'on ne peut jamais payer trop cher pour assurer la sécurité publique. Néanmoins, si les mesures adoptées ne donnent pas de résultats ou ont même l'effet opposé, nous aurons gaspillé de l'argent et des ressources qu'il vaudrait mieux consacrer aux soins de santé, aux possibilités d'éducation ou à d'autres besoins sociaux et qui aideront également les communautés qui souffrent quotidiennement des effets de la criminalité. C'est en investissant dans ces facteurs que nous pouvons vraiment réduire la criminalité et assurer la sécurité du public.
[Français]
Merci, monsieur le président. J'ai fait la plus grande partie de ma présentation en anglais, mais il me fera plaisir de répondre à vos questions en français.
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Premièrement, les études empiriques ont démontré que la détermination obligatoire de la peine minimale ne permet pas d’obtenir une réduction de la criminalité.
Deuxièmement, ces vingt années d’expérience en matière de détermination obligatoire des peines ont eu des conséquences catastrophiques pour le système policier et judiciaire. Nous recommandons vivement au Comité de tenir l’expérience américaine pour un exemple de mise en garde contre le danger de recourir à la détermination obligatoire de la peine minimale pour régler le problème de la criminalité.
Pour gagner du temps, je voudrais insister sur la deuxième conclusion. En août 2003, le juge Anthony Kennedy, de la Cour suprême des États-Unis, a demandé une réforme complète du système de détermination de la peine américain en déclarant: « Nos ressources sont gaspillées, nos sanctions sont trop sévères et nos peines sont trop longues. »
Le juge Kennedy, désignant les mécanismes de déclaration de culpabilité et de détermination de la peine comme étant « le monde secret de la punition », a plus particulièrement reproché aux peines minimales obligatoires d'être le principal catalyseur des inégalités et lacunes fondamentales du système judiciaire américain. Il a dit ne pouvoir reconnaître ni la nécessité ni la sagesse des peines minimales obligatoires prévues par le système fédéral et il a déclaré que, dans trop de cas, ces peines sont inappropriées et injustes. Le juge Kennedy a parlé de l'inefficacité de ces mesures, mais aussi de l'effet qu'elles ont eu sur le système de justice pénale et sur la collectivité.
Les peines minimales obligatoires ont eu des conséquences importantes, et souvent inattendues, sur le traitement des causes pénales. La détermination obligatoire de la peine compromet l'indépendance des juges et fait passer le pouvoir de choisir la peine qui convient du juge au législateur.
La formation des juges leur enseigne à examiner les faits et les circonstances d'une cause et les caractéristiques du défendeurs et à faire appel à leur sagesse institutionnelle pour déterminer la peine qui convient. L'indépendance des juges est l'un des fleurons du système américain de régulation entre les trois pouvoirs du gouvernement. Le pouvoir discrétionnaire réservé aux juges leur permet de tenir compte de facteurs utiles, par exemple les antécédents personnels et criminels du défendeur et son rôle dans l'infraction, qui permettent à un arbitre indépendant de déterminer la juste culpabilité.
Cependant, les peines minimales obligatoires, qui sont telles que c'est le législateur et non le juge qui détermine la culpabilité en fonction de facteurs uniques comme le poids de la drogue ou la présence d'une arme à feu, compromettent cette indépendance et menacent l'équilibre soigneusement orchestré entre les pouvoirs du gouvernement. Par ailleurs, les peines obligatoires exposent fréquemment les défendeurs à des sanctions tout à fait disproportionnées par rapport à la conduite qui leur est reprochée.
Le principe de la peine minimale obligatoire menace également l'indépendance de la Commission de détermination des peines des États-Unis, qui relève du pouvoir exécutif. Lorsqu'il a adopté la Sentencing Reform Act, en 1984, le Parlement a créé la Commission et l'a chargée d'élaborer des directives fédérales complètes sur la détermination de la peine, employant une analyse des faits pour calibrer les peines en fonction de la gravité du crime.
Cependant, l'adoption de nombreuses lois sur la détermination obligatoire de la peine minimale a suscité une situation où la sanction législative la plus punitive l'emporte sur l'éventail des sanctions proposées dans les directives. Ainsi, les défendeurs moins coupables qui auraient risqué une peine moindre selon les directives sont assujettis à la peine minimale obligatoire.
En exposant les délinquants moins dangereux à des sanctions égales à celles qui sont appliquées aux délinquants plus dangereux, le principe de détermination obligatoire de la peine crée une disproportion qui subvertit l'objectif premier de la Commission, qui est d'élaborer des peines justes et équitables traduisant fidèlement la gravité de l'infraction. De plus, la Commission a été contrainte d'adapter la directive à la hausse en fonction des peines minimales obligatoires. C'est ainsi que la durée de la peine n'est plus fonction des faits, mais de la volonté politique du pouvoir législatif.
L'exemple parfait de la disproportion de la sanction qu'entraîne le principe de la détermination obligatoire de la peine est l'affaire Weldon Angelos. Angelos a été arrêté en 2002, après que des agents infiltrés avaient fait deux achats contrôlés d'une demi-livre de marijuana. Un informateur a déclaré que, au cours de chaque transaction, Angelos était en possession d'une arme. Il n'a jamais brandi son arme, mais elle se trouvait dans l'automobile au cours du premier achat et fixée à sa cheville au cours du deuxième. Lorsque les agents ont fouillé le domicile d'Angelos, ils ont trouvé un pistolet dans un sac contenant de l'argent.
La présence de l'arme à feu au cours des deux achats contrôlés et à son domicile a exposé Angelos aux mesures fédérales d'aggravation de la peine, déclenchées lorsqu'il y a présence d'une arme au cours d'une transaction de drogue. Chaque cas où l'arme est présente est compté séparément. Par conséquent, Angelos a été condamné à cinq ans d'emprisonnement obligatoire pour le premier achat contrôlé et à deux peines consécutives de 25 ans d'emprisonnement pour la deuxième transaction et la présence d'une arme à feu à son domicile. Le juge, contraint par la loi d'appliquer une peine de 55 ans, a estimé que la peine était « injuste, cruelle, voire irrationnelle ».
L'affaire Angelos met en lumière les lacunes du système de détermination obligatoire de la peine, car les défendeurs sont fréquemment exposés à des peines sévères qui ne sont pas proportionnelles à la conduite incriminée, tandis que les juges siègent, impuissants à tenir compte des circonstances de l'infraction et à modifier la peine en conséquence.
Les peines minimales obligatoires sont généralement déclenchées automatiquement par un seul élément de l'acte criminel. Par exemple, dans le cas de la drogue, c'est le poids de la substance qui déclenche le processus. Il n'est pas possible de tenir compte de circonstances éventuellement atténuantes concernant le degré d'implication du défendeur pour décider si la peine minimale est applicable. La simple présence d'une arme à feu déclenche l'application d'une peine obligatoire. Dans ce genre de cas, l'élément le plus important de la procédure est la décision du procureur concernant la conduite incriminée et la façon dont elle sera incriminée. C'est le procureur qui, au moment où il décide des chefs d'accusation, a le pouvoir discrétionnaire d'altérer l'issue de l'affaire avant même que la poursuite soit entamée. Il s'agit là d'un basculement abusif du pouvoir dans un système accusatoire qui part du principe qu'il faut que les parties soient sur un pied d'égalité pour pouvoir trancher équitablement.
Le principe de la détermination obligatoire de la peine soulève un autre problème, révélé par les arguments des procureurs, qui estiment que ces peines sont un instrument important dans les négociations préalables au procès avec les avocats des défendeurs. Le procureur exerce un pouvoir important dans les négociations et l'obtention d'une entente si le défendeur risque une peine obligatoire de cinq ans d'emprisonnement. Cela lui permet d'employer la proverbiale méthode du bâton et de la carotte et de proposer des chefs d'accusation moindres associés à un comportement moins grave ou de menacer d'appliquer une peine obligatoire minimale si le défendeur décide d'exercer son droit d'avoir un procès.
Cette inégalité dans la négociation, exacerbée par le risque d'une peine obligatoire, pervertit la procédure pénale à deux égards. Premièrement, le défendeur risque souvent une peine qui ne traduit pas son comportement réel. C'est tragique dans un système pénal qui est censé s'appuyer sur la rationalité et la prédictibilité. Au lieu de cela, la peine obligatoire crée incertitude et disparité. L'un des principes directeurs de la Sentencing Reform Act de 1984 était d'instaurer une mesure d'équité dans la détermination de la peine et une mesure d'égalité entre deux défendeurs en même situation. Cet objectif a été compromis par le système des peines obligatoires.
Deuxièmement, environ 95 p. 100 des 70 000 causes fédérales réglées chaque année le sont par négociation de plaidoyer. Cependant, la probabilité d'obtenir une solution négociée dépend de l'endroit où l'affaire est réglée et du type d'infraction dont le défendeur est accusé. Par ailleurs, la race de l'accusé est, on l'a démontré, un facteur important dans la décision d'imposer la peine minimale ou d'offrir une négociation. Les défendeurs afro-américains sont plus susceptibles de faire l'objet d'une peine obligatoire et moins susceptibles de faire l'objet d'une assistance importante ou d'une soupape de sécurité. Le pouvoir discrétionnaire incontesté du procureur est tel qu'il est de plus en plus difficile de lutter contre ces inégalités, et le principe de la détermination obligatoire de la peine minimale n'a fait que compliquer les choses.
La négociation de plaidoyers réduit également la probabilité que l'innocence du défendeur ou la mauvaise conduite des policiers au cours de l'arrestation soient des éléments portés à l'attention du tribunal. Les tactiques d'enquête et d'appréhension par les policiers soulèvent des questions cruciales en matière de garanties constitutionnelles concernant l'arrestation, l'interrogatoire et la production des éléments de preuve. Pour déterminer la légalité de l'arrestation, il faut être représenté par un avocat habile, et cela risque souvent de prolonger la procédure préalable au procès. Par ailleurs, c'est à ce moment précis que l'innocence du défendeur peut être évaluée par le juge. Cependant, pour faire valoir les enjeux dont nous venons de parler, le défendeur doit souvent décider de passer outre à une offre de négociation de plaidoyer et de risquer l'application d'une peine obligatoire plus sévère afin d'exercer son droit constitutionnel d'avoir un procès. Le défendeur qui veut obtenir une décision judiciaire concernant la validité de son arrestation risque la « peine du procès », où le spectre d'une peine minimale obligatoire plus longue sera le résultat de l'exercice de son droit. Cela incite souvent l'avocat de la défense à conseiller à son client d'accepter l'offre du procureur au lieu de contester l'arrestation. C'est là une autre situation où le principe de la détermination obligatoire de la peine compromet les principes de justice et d'équité au sein du système de justice pénale.
On sait que le principe de la détermination obligatoire de la peine a un effet disproportionné sur les défendeurs afro-américains. Une étude effectuée par la Commission révèle que ceux-ci sont plus susceptibles, à raison de 21 p. 100, de faire l'objet d'une peine minimale obligatoire que les Blancs exposés à une peine semblable. L'exemple le plus flagrant de l'effet disproportionnée des peines obligatoires selon la race est la peine fédérale prévue à l'égard de la possession de cocaïne: la possession de 5 grammes de cocaïne épurée, soit environ le poids de deux paquets de sucre, peut donner lieu à une peine obligatoire de cinq ans d'emprisonnement, alors que la possession de la même quantité de cocaïne en poudre, son équivalent pharmacologique, est considérée comme un délit mineur ne donnant pas lieu à une peine d'emprisonnement. Bien que les deux tiers environ des utilisateurs habituels de cocaïne épurée soit des Blancs ou des Latinos, en 2003, 81 p. 100 des personnes condamnées par le système fédéral pour possession de ce produit étaient des Afro-Américains.
Ces tendances troublantes traduisent les effets d'une « guerre de la drogue » menée de façon disproportionnée dans les collectivités de couleur. Comme si ce fait n'était pas suffisamment pernicieux, l'imposition de peines minimales obligatoires exacerbe l'impact de ces pratiques en codifiant des modes d'arrestation racialement disparates dans la législation fédérale.
Pour conclure, je voudrais dire que le principe de la détermination obligatoire de la peine est contre-productif dans la lutte contre la criminalité. On sait qu'il a peu d'effet sur le taux de criminalité tout en ayant des conséquences préjudiciables au fonctionnement et à l'équité du système américain de justice pénale.
Par ailleurs, les peines strictes que prévoient d'ores et déjà les lois et les directives fédérales, selon le cas, sont telles qu'il n'est guère nécessaire d'y ajouter.
Pour ce qui est des crimes avec arme à feu, la Commission nous apprend que la durée moyenne de la peine purgée pour trafic et possession d'armes à feu a doublé depuis la mise en oeuvre des directives. Cette augmentation du caractère punitif est indépendante du principe de détermination obligatoire de la peine minimale. Il est donc évident qu'un parlement peut réagir fermement à la criminalité et prévoir des peines strictes tout en préservant l'indépendance des juges et l'intégrité de la procédure pénale.
Pour finir sur une note personnelle, j'ai vécu et travaillé toute ma vie aux États-Unis et j'ai travaillé sur ce dossier. Je trouve très inquiétant de voir les nombreuses dispositions pénales que nous avons adoptées depuis 30 ans, alors que nous avons largement la preuve de leur échec et de leur coût... et de voir d'autres pays s'en inspirer. Par-dessus le marché, la responsabilité d'exporter ces pratiques sur la scène internationale serait un poids de plus à assumer pour le public américain et j'espère que vous en tiendrez compte sérieusement.
Merci.
Monsieur Kulik, j'ai apprécié ce que vous avez dit au sujet des Autochtones. Je ne vous poserai toutefois pas de questions à ce sujet, car nous en avons déjà entendu parler et nous sommes tous d'accord, du moins de ce côté-ci.
L'objectif que visent les libéraux dans tout cela c'est de rendre le Canada plus sûr pour les victimes ou pour les autres citoyens. Nous prenons nos décisions en nous basant sur les faits et non pas sur les préjugés, les rumeurs ou les émotions.
Nous avons reçu un grand nombre de témoignages. C'est merveilleux.
Et c'est une bonne chose, monsieur Doob, que vous soyez ici, car je sais que vous êtes l'un des experts en la matière. Vous ne parlez pas seulement d'un document, car vous avez fait une recension de toutes les publications récentes. Nous n'avions que deux études basées sur les faits disant que cette loi pourrait être utile et vous les avez réfutées toutes les deux.
Je voudrais seulement préciser que notre comité n'a pas de preuves scientifiques, fondées sur les faits, permettant de conclure que tout député devrait voter pour ce projet de loi.
J'ai une question concernant un sujet que vous n'avez pas du tout abordé. M. Kulik, M. Doob et peut-être M. King pourraient y répondre.
De nombreux témoins, y compris la police, ont laissé entendre que lorsque vous jetez une personne en prison, plus elle y reste longtemps, plus elle apprend de comportements criminels, plus elle s'associe au milieu criminel, moins il y a d'espoir qu'elle retrouve un mode de vie normal, moins elle entretient de liens avec sa famille si bien qu'en général, elle devient plus dangereuse plutôt que le contraire. Mais là encore, je ne sais pas nous avons des données probantes à cet égard. Personne a abordé ce sujet. Je me demande s'il y a eu des études sur la question.
Je m'adresserai tout d'abord à M. King.
Merci d'être ici. J'ai lu vos mémoires avec une grande attention. Monsieur King, j'ai été avocat de la défense pendant 25 ans, en droit criminel, et je suis bien d'accord avec vous.
J'aurais presque envie de vous poser une question. Comment fait-on pour ramener dans la société un individu qui a été condamné à 55 ans de prison? S'il a 25 ans quand il entre en prison, il en sortira à l'âge de 80 ans. Quand je pense que cela peut arriver au Canada, je trouve cela extrêmement irrationnel et incroyable.
J'ai lu votre mémoire avec attention, et je me suis surtout attardé aux propos au sujet des peines qu'a tenus l'honorable juge Anthony M. Kennedy à une réunion de l'American Bar Association, que vous citez. Ce dossier nous préoccupe beaucoup au Canada.
Nos collègues d'en face ont déposé ce projet de loi, et vous les entendrez vous parler des gangs de rue et des récidivistes qui sortent de prison. Les gens du parti au pouvoir disent que jamais personne, ici, ne parle des victimes. J'ai lu tous vos mémoires et je vais vous poser une seule question. Si vous pouviez y répondre rapidement à tour de rôle, ce serait apprécié.
Nous avons la preuve, hors de tout doute raisonnable, que les emprisonnements de longue durée ne fonctionnent pas. Je pense qu'il est impossible d'avoir davantage de preuves.
Que pouvons-nous faire ou recommander en tant que législateurs? Comment pouvons-nous nous y prendre pour réduire la criminalité? J'ai lu et relu les statistiques de M. Doob, et j'ai lu le mémoire: on voit qu'il y a un fléchissement de la criminalité. On dirait qu'il y a des pointes: il y a une augmentation puis, soudainement, il y a une baisse. On sait qu'il y aura toujours de la criminalité dans une société. C'est la réalité depuis que le monde est monde. Comment fait-on pour empêcher de telles explosions de criminalité?
L'exemple des gangs de rue est flagrant, parce que c'est à la mode maintenant. Au Québec, nous avons eu des groupes de motards criminalisés et nous en avons encore.
Avez-vous une idée de ce qu'on peut faire pour aider à réduire la criminalité?
J'ai pris beaucoup de temps, mais j'ai essayé de laisser une minute à chacun pour me répondre.
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Je dirais d'abord que si nous voulons imposer des peines minimales obligatoires, cela veut dire que nous avons de l'argent pour nous attaquer à la criminalité. Alors parlons de cet argent.
J'ai l'impression que si nous avons 1 000 détenus supplémentaires au pays, cela représente une dépense d'environ 80 millions de dollars. Où pourrions-nous dépenser ces 80 millions de dollars? Je crois que c'est la question qu'il faudrait se poser. Ma réponse est qu'on pourrait le dépenser à de nombreux endroits et les autres témoins en ont mentionné plusieurs. Il s'agit notamment des écoles. Une école ne sert pas seulement à apprendre. L'école est une institution dans laquelle une personne peut s'épanouir. Il y a aussi le logement. Nous savons que les enfants et les adolescents qui n'ont pas un logement stable risquent davantage de commettre des infractions. Et je regarderais également du côté des problèmes de santé publique très importants auxquels cet argent permettrait de s'attaquer.
Malheureusement, nous avons tendance à rechercher des solutions immédiates, une solution qui va régler le problème du jour au lendemain. J'ai lu récemment un aperçu général de l'expérience américaine des gangs étant donné que les gangs sont en grande partie à l'origine de la discussion que nous avons ici aujourd'hui. Les deux auteurs, qui sont vraiment des experts dans ce domaine, disent qu'avec tous les problèmes de gangs qu'il y a depuis longtemps, les États-Unis sont passés à côté de la solution, car les programmes et les évaluations ont surtout cherché des solutions rapides qui consistent essentiellement à supprimer les problèmes plutôt qu'y faire face.
Il y a certaines questions qui sont très problématiques. Nous n'avons pas la solution en ce qui concerne les gangs, par exemple. Par contre, les choses comme le logement, les communautés, les écoles, la santé publique, les possibilités et les vrais emplois apportent des avantages sur le plan social en plus des avantages sur le plan de la prévention de la criminalité.
Par conséquent, en ce qui concerne les 80 millions de dollars, je voudrais que les responsables viennent en discuter, y compris la police, par exemple, car ce sont des choses qu'ils peuvent faire. Je leur demanderais où nous allons obtenir le plus d'effets. Ce qui ressort notamment des recherches, c'est que les programmes comme les peines minimales obligatoires sont ceux qui auront certainement le moins d'effets.
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Merci, monsieur le président et je remercie tous les témoins pour leur présence ici. J'ai écouté avec intérêt tous vos témoignages.
Je voudrais lire un document que Statistique Canada a publié l'année dernière selon lequel le taux national d'homicide a augmenté, pour la deuxième année de suite, en 2005, atteignant son niveau le plus élevé depuis près d'une décennie. Le nombre de meurtres perpétrés avec une arme à feu a augmenté pour la troisième année de suite. Il y a eu 658 homicides l'année dernière, 34 de plus qu'en 2004. Il y a eu 222 de ces meurtres qui ont été commis avec une arme à feu, contre 173 en 2004. En 2005, 107 de ces homicides semblaient être reliés à des gangs, soit 35 de plus qu'en 2004. Les deux tiers des homicides reliés à des gangs ont été perpétrés avec une arme à feu, généralement avec une arme de poing.
Tout cela m'indique sans l'ombre d'un doute que ce que nous sommes en train de faire donnera des résultats. Telle est ma conclusion. Je ne suis pas satisfait de ces statistiques et je pense que nous pouvons faire beaucoup mieux.
Monsieur Moriah, j'ai écouté avec intérêt ce que vous aviez à dire et certains autres témoins ont présenté les mêmes arguments. Un projet de loi ne peut pas tout régler. Nous devons nous attaquer au problème sous tous ses angles. Je suis d'accord avec vous.
Je crois que M. Doob, ou quelqu'un d'autre, a mentionné les emplois et les possibilités. Personne n'est contre ce genre de choses. Nous sommes tous pour les emplois, les possibilités et les ressources. Entre autres choses, nous avons mis davantage d'agents d'application de la loi dans les rues et à la frontière, nous avons consacré des ressources à la prévention de la criminalité et nous cherchons surtout à éviter que les jeunes à risque se lancent dans des activités reliées aux gangs de rue et à la drogue.
Nous pouvons faire tout cela, mais je n'ai entendu aucun témoin dire que le Code criminel a un rôle à jouer. Je n'ai entendu personne suggérer des moyens d'améliorer ce projet de loi. Vous dites que vous êtes contre cette mesure, mais nous avons un Code criminel qui s'applique lorsque, malgré tous nos efforts, quelqu'un tire sur quelqu'un d'autre avec une arme à feu.
Nous pourrons parler tant que nous voudrons des causes sous-jacentes de la criminalité, mais à partir du moment où quelqu'un prend une arme à feu pour tuer quelqu'un d'autre, je ne pense pas que nous devons lui trouver des excuses. Le système de justice pénale a alors un rôle à jouer, selon moi. Certains d'entre vous ne seront peut-être pas d'accord, mais j'aimerais savoir ce que vous proposez. Quel rôle envisagez-vous pour la justice pénale?
Je vais vous laisser à tous l'occasion de répondre.
Je dois mentionner une chose. Pour ce qui est de M. Levitt, nous avons entendu des témoignages selon lesquels les peines minimales obligatoires ont un effet dissuasif et d'autres témoignages qui affirment le contraire. Bien sûr, M. Levitt n'est pas là pour se défendre. Selon Time Magazine, il était au nombre des 100 personnes qui ont influencé le monde en 2006. Il est membre de l'American Bar Foundation. Étant donné qu'il n'est pas là pour défendre son travail, je ne peux pas accepter l'affirmation de mon collègue, M. Bagnell, selon laquelle ses conclusions ont été réfutées. Vos arguments vont dans un certain sens, mais il y a d'autres études qui prouvent le contraire. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Monsieur Kulik, vous avez dit que votre organisation appuyait le et que vous vous opposez au . Le projet de loi C-68 était mal conçu, dans l'ensemble. Dix ans plus tard, je pense que nous le considérons comme un échec total. Malheureusement, le projet de loi C-68 s'est attaqué aux citoyens respectueux des lois en disant qu'il fallait enregistrer les fusils pour la chasse aux canards sans s'occuper des gangs qui utilisent des armes de poing dans les rues. Ces personnes n'ont pas enregistré leurs armes à feu. Les chiffres de Statistique Canada, que je viens de citer, montrent qu'ils continuent de se procurer des armes à feu.
Nous avons parlé des ressources et de ce que coûtera ce projet de loi. Le a coûté plus d'un milliard de dollars. Imaginez ce que nous aurions pu faire avec le milliard de dollars qui a été gaspillé pour enregistrer les armes à feu légales. En ce qui concerne les coûts associés au projet de loi , nous sommes tous d'accord, je pense, pour dire que les infractions qui mettent en jeu des armes à feu sont des infractions très graves, mais elles représentent moins de 1 p. 100 du total au niveau national. Par conséquent, lorsque nous parlons des coûts totaux, c'est une chose dont il faut tenir compte.
J'ai mentionné un certain nombre d'éléments qui ressortaient de tous vos témoignages, sauf de celui de M. King.
Je voudrais mentionner une chose. Ce n'est pas la règle des trois prises comme aux États-Unis. J'apprécie d'entendre le point de vue américain, mais ce projet de loi porte sur des actes criminels précis. Le problème se situe au niveau des gangs qui commettent des crimes avec des armes à feu. Ce n'est pas la règle des trois prises. Les peines minimales obligatoires ne sont pas appliquées de façon générale au Canada. Elles sont très ciblées. Nous avons eu la preuve qu'une utilisation très ciblée des peines minimales obligatoires donne des résultats, car elles empêchent les criminels de continuer à nuire.
J'aimerais donc que vous me disiez tous ce que vous en pensez.
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Si vous me permettez de commencer, je voudrais répondre à chacun de vos arguments.
Bien entendu, je vois un rôle pour le système de justice pénale si quelqu'un commet un crime grave. Je n'y vois pas d'objection. Il faut se rendre compte que le système de justice pénale en général est une institution très importante. Néanmoins, lorsque quelqu'un commet un acte criminel, j'ai l'impression que nous cherchons une façon équitable de l'appréhender et de le punir. Je ne m'oppose absolument pas à ce que nous le fassions et je suis convaincu que les peines infligées doivent être fonction des torts causés.
Ce dont il faudrait toutefois se rendre compte c'est qu'il est important d'avoir un système de justice pénale et de criminaliser certains comportements. Il est important de pouvoir appréhender quelqu'un. D'après de très nombreuses études, la longueur de la peine infligée ne semble pas avoir d'influence sur le taux de criminalité. Par conséquent, nous ne disons absolument pas que le système de justice pénale ne devrait pas exister ou que nous ne devrions pas punir les gens ou que nous ne devrions pas les châtier sévèrement lorsqu'ils commettent de graves infractions. Ce que nous disons c'est qu'il ne faut pas s'imaginer que des changements au Code criminel modifiant la structure de la détermination de la peine constituent une bonne façon de résoudre le problème de la criminalité.
Deuxièmement, je voudrais parler de Steven Levitt. Dans le mémoire officiel que vous avez sous les yeux et qui a été traduit, je cite les réponses que Steven Levitt a données pour expliquer pourquoi il a supprimé des données. Je les cite textuellement. Vous pouvez les lire. Vous pouvez également lire son article au complet. Je vous invite à le lire ainsi que les autres réponses.
Le problème, quoi qu'il en soit, est que si tout cela repose sur une évaluation favorable de l'article de Steven Levitt, nous sommes en train de nous fourvoyer. Il aurait fallu se pencher sur l'effet global de ce genre de régime de détermination de la peine, car cela a fait l'objet d'un certain nombre d'études.
Pour terminer, je dirais que tout a un prix. Je reconnais qu'il y a d'autres solutions et que celle-ci pourrait faire partie d'un tout. Néanmoins, il faut voir s'il s'agit là d'un bon investissement et si c'est l'investissement qui aura le plus d'impact sur la sécurité du public. Je pense que nous avons des preuves du contraire.
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En ce qui concerne la question de la dissuasion, il s'est basé en grande partie sur les travaux de Steven Levitt. Comme je l'ai dit, Steven Levitt est quelqu'un de très connu, et cela surtout grâce à son livre
Freakonomics. En plus de l'étude que nous avons réalisée, les professeurs Webster, Zimring et moi-même, ses conclusions suscitent de sérieux doutes. Il y a eu de très sérieuses objections, notamment quant au fait qu'il n'a pas présenté le résultat des analyses qu'il décrit. Il a préféré laisser certaines variables en dehors de l'équation, ce qui change radicalement ses conclusions.
En ce qui concerne la dissuasion, M. Lee s'est surtout basé sur deux choses. La première est l'évaluation de Steven Levitt qui est, comme je l'ai dit, en grande partie faussée à cause de la façon plutôt cavalière dont il traite les données, et la deuxième est la question de la Floride. Je n'ai pas pu savoir, en lisant le document présenté sur PowerPoint, quand la loi a été changée en Floride et je n'ai pas pu trouver non plus ce renseignement dans la transcription des délibérations du Comité, sur Internet.
Les deux chiffres que j'ai ici proviennent d'une étude beaucoup plus détaillée que celle de M. Lee, car elle ne se contente pas de faire état de la criminalité dans les années 90. Elle présente également une analyse statistique assez complexe sur la criminalité en général, sur les crimes violents, les homicides, les homicides perpétrés avec des armes à feu, sans pouvoir trouver la moindre preuve.
Pour répondre à votre question concernant le témoignage de M. Lee, je ne vois pas comment il peut dire cela. Tous ces articles sont dans le domaine public, dans des revues scientifiques auxquelles on peut avoir accès par Internet. Ces publications ne sont pas inaccessibles. Ces articles sont publiés dans les principales revues de criminologie. M. Lee vous a présenté des renseignements qui étaient exacts en ce sens que lui et moi parlons de la même tendance générale de la criminalité en Floride. Le tableau que je vous ai présenté provient d'une étude qui tient compte non seulement des chiffres enregistrés après les modifications à la loi, mais des données antérieures. J'estime qu'il faut tenir compte du chiffre global. Vous constatez alors des résultats très différents.
C'est la même chose que de dire, par exemple, que la criminalité est plus élevée qu'elle ne l'était en 1962. Nous le savons. Cela ne fait aucun doute. La question est de savoir en quoi cela se rapporte au ? À mon avis, la question n'est pas de savoir si la criminalité est en augmentation ou en diminution. Je pourrais vous présenter exactement les mêmes arguments au sujet des peines minimales obligatoires que la criminalité soit en hausse ou en baisse. Ce n'est pas pertinent. Ou bien ces peines sont efficaces ou bien elles ne le sont pas. Peu importe si la criminalité augmente. Qu'elle augmente ou qu'elle diminue, nous devrions faire quelque chose.
Pour en revenir à la question qui m'a été posée, si nous avons à peu près 600 meurtres par an au Canada, j'estime que c'est déjà trop. Peu m'importe si la tendance est à la baisse. J'estime que c'est déjà trop. Peut-être qu'il y aura moins de meurtres en 2006 qu'en 2005, mais je ne serai pas plus satisfait pour autant. Nous devrions chercher des moyens efficaces de nous attaquer à la criminalité, qu'elle soit en hausse ou en baisse.
M. Lee cherchait à démontrer que la criminalité est hors de contrôle et que nous devons agir. Nous devons effectivement agir, mais faisons le efficacement.
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Ce que je souhaiterais, c'est un débat sur la façon dont nous devrions utiliser nos ressources limitées pour lutter contre la criminalité. Le problème des armes à feu ne touche pas seulement le Canada. Il existe aussi ailleurs. Pour ce qui est des armes à feu, je dirais simplement que nous devons empêcher les gens de se les procurer et de se promener avec.
Même si nous optons pour un modèle de dissuasion, nous devons chercher des moyens d'appréhender ceux qui ont des armes à feu ou empêcher les gens de s'en procurer. Il faut pour cela attraper les contrevenants et c'est malheureusement beaucoup plus difficile que de changer simplement les lois et les peines.
Je suggérerais de ne pas chercher à modifier les peines, car nous avons une kyrielle de lois sévères pour punir les crimes graves commis avec des armes à feu. Dans le cas des armes prohibés ou à autorisation restreinte, pour une première infraction, nous parlons seulement de faire passer la peine de quatre ans à cinq ans, tout au plus. Je ne pense pas que beaucoup de gens qui sont prêts à commettre une infraction lorsqu'ils risquent quatre ans de prison, n'oseront plus le faire si la peine prévue est de cinq ans. C'est un argument ridicule.
Nous devons réfléchir à des moyens de supprimer les armes à feu, mais voyons aussi ce qui incite les gens à porter des armes à feu. Un des problèmes — et nous en avons la preuve — et que si les gens portent des armes, c'est en partie parce qu'ils ont peur d'autres gens qui sont armés. Nous devons donc régler le problème au niveau de nos communautés. C'est beaucoup plus difficile. C'est une tâche beaucoup plus complexe. Cela n'entre pas vraiment dans mon champ de spécialisation, mais après avoir lu des travaux de recherche sur les gangs dans les villes comme Los Angeles, où cela pose un très grave problème, quand je vois que les experts s'inquiètent des stratégies très limitées qui sont déployées, tout ce que je peux dire, c'est que ces stratégies limitées ressemblent beaucoup aux nôtres.
Nous devons aborder ces questions dans une optique plus large. Nous ne réglerons pas le problème de la criminalité mettant en jeu des armes à feu en adoptant une loi comme le . Si le comité voulait aborder la question en cherchant la meilleure façon d'utiliser nos ressources, je crois que ce serait là un excellent champ d'étude.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie tous les témoins pour leur présence ici. C'était très intéressant.
Monsieur Doob et monsieur Moriah, vous voudrez peut-être en parler également. Dans votre mémoire et dans vos propos d'aujourd'hui, vous avez dit que vous aviez des suggestions à formuler pour renforcer le principe de la proportionnalité. Je me demande si vous ne pourriez pas nous en faire part.
J'ai une deuxième question qui s'adresse à tout le monde, mais peut-être particulièrement à vous, monsieur King.
Je n'a pas vu d'études sur le sujet, mais pour ce qui est d'enlever aux juges leurs pouvoirs discrétionnaires, je crois que certains États américains ont enlevé à la poursuite ses pouvoirs discrétionnaires en interdisant, dans certains cas, la négociation de plaidoyers. D'autres mesures ont rendu les sentences minimales obligatoires impossibles à éviter comme vous l'avez mentionné. Je me demande si vous pourriez-nous en parler et si quelqu'un d'autre, du côté canadien, en a constaté des signes. Nous avons vu ce phénomène, dans une certaine mesure, suite à la tolérance zéro dans les cas de violence conjugale et dans la façon dont nous traitons certaines accusations de conduite avec facultés affaiblies. Pour ce qui est des pouvoirs discrétionnaires de la poursuite, il y a eu certains changements, en surface. Mais pourriez-vous nous parler plus précisément des peines minimales obligatoires?
Voulez-vous commencer, monsieur Doob?
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Merci à vous tous pour votre présence ici.
Je vous souhaite la bienvenue, monsieur King, vous qui venez du pays qui était le mien avant d'immigrer au Canada dans les années 60. En vous voyant, je me dis que pendant les 32 années où j'ai vécu là-bas, vous n'étiez sans doute qu'une lueur dans les yeux de votre mère et de votre père. Mais je voudrais vous souhaiter la bienvenue.
J'ai été assez content de voir M. Doob et ses graphiques. Il est toujours intéressant de remonter jusqu'aux années 60. Il est également intéressant de remonter jusqu'aux années 20 et de voir la courbe monter régulièrement, se stabiliser, atteindre une crête, etc. Je trouve cela très intéressant.
La plupart des témoins qui comparaissent ici, et nous-mêmes, en tant que membres de la classe politique, essayons de répondre aux exhortations du public. Il y a trop de gens qui meurent à cause des armes à feu et des gangs. Que faites-vous pour y remédier? Nous voulons chasser ces gens de nos rues.
Si vous demandez aux citoyens ce que nous devrions faire de ceux qui tirent sur des gens à Toronto, il est probable qu'ils diront tous qu'il faut les mettre en prison. Quand on leur demande s'ils sont prêts à payer pour avoir plus de prisons, s'ils sont prêts à payer les coûts supplémentaires, ils répondent: « Absolument. Je veux que mes enfants soient en sécurité ».
Nous parlons ici d'une disposition très précise du projet de loi . Nous ne parlons pas des différentes stratégies que nous devions mettre en oeuvre. La police aime ce que nous faisons. Les victimes appuient le projet de loi . Et je pense que le public en général apprécie ce que nous faisons.
Des gens comme vous viennent ici, et je sais que vous voulez également vous attaquer aux causes profondes du problème. J'en ai moi-même parlé une centaine de fois. Il ne s'agit pas vraiment ici de se pencher sur les causes profondes de ces problèmes, mais si c'était le cas, il faudrait faire quelque chose au sujet de l'alcool. C'est une cause importante. D'après ce qu'on m'a dit, 80 p. 100 des détenus ne seraient pas en prison aujourd'hui sans l'alcool et la drogue. J'ignore si l'un de vous peut en trouver une, mais je ne vois aucune cause sous-jacente qui justifie que quelqu'un prenne une arme à feu pour tirer sur quelqu'un d'autre. Je ne vois rien qui puisse le justifier.
Dans le graphique que vous nous avez montré, monsieur Doob, il y a déjà de nombreuses décisions que nous avons prises pour contribuer à cette progression. Je parle de l'époque où il fallait avoir 21 ans, aux États-Unis, pour pouvoir boire de l'alcool. L'âge légal est tombé à 18 ans pendant un certain temps, ce qui la a suscité la pagaille dans les écoles, et maintenant je crois qu'on est revenu à 21 ans dans tous les États. On essaie de remédier aux causes sous-jacentes. Je l'apprécie.
Ce que j'essaie de dire... Le pénitencier de Warkworth est plein de délinquants sexuels. La dernière fois que j'y suis allé — je crois que vous étiez avec moi, monsieur le président — il y avait là-bas 745 délinquants sexuels. J'ai rendu visite à un bon nombre de détenus. Pratiquement tous ceux qui ont agressé sexuellement des enfants ne l'auraient pas fait s'ils n'avaient pas développé un penchant pour la pornographie infantile. Ils ont commencé à en faire une utilisation excessive, jusqu'au point de vouloir réaliser leurs fantasmes, tout cela à cause de la pornographie infantile.
Nous sommes venus ici pour essayer de combattre la pornographie infantile, mais depuis 13 ans, le gouvernement a pris des mesures et les tribunaux ont déclaré: « C'est inacceptable, car cela pourrait porter atteinte à notre liberté d'expression. Vous ne pouvez pas procéder ainsi, car la pornographie a peut-être un certain mérite artistique. C'est peut-être dans l'intérêt public. Cela a peut-être un objectif utile ».
Je crois inutile de vouloir s'attaquer aux causes sous-jacentes du problème dans notre pays, car nous avons toujours peur de porter atteinte aux droits de quelqu'un, si bien que nous n'allons jamais jusqu'au bout. Cela fait 13 ans que j'ai demandé au gouvernement antérieur, et que je demande maintenant au gouvernement actuel ,de trouver une solution pour s'attaquer aux causes profondes de ce genre d'infractions, pour éliminer la pornographie infantile. Cela ne nous mène nulle part parce qu'un tribunal quelconque dira: « Attendez un instant, c'est contraire à la Charte ou ce n'est pas la bonne chose à faire parce que vous allez empiéter sur... »
Ce que je veux vous dire, c'est que j'apprécie votre présence ici, mais que je ne pense pas que vous ciblez suffisamment le projet de loi . Le public réclame que l'on agisse contre les gangs et les armes à feu et c'est une demande très précise. Cela ne va certainement pas empêcher tous les crimes, cela ne réduira peut-être pas la criminalité, mais ceux qui seront en prison ne pourront pas recommencer.
La classe politique essaie de faire une chose que, premièrement, le public réclame, car nous sommes au service du public, que deuxièmement, les victimes souhaitent, car je dois dire que je me préoccupe beaucoup plus des victimes que des criminels et, troisièmement, qui est la bonne chose à faire.
S'il est possible de faire mieux, nous allons y travailler au fur et à mesure, mais nous devons trouver une solution immédiate au problème des armes à feu, des gangs et de la criminalité et je pense que le peut nous l'apporter. Nous pouvons bien discuter de tous les problèmes dont nous avons parlé, mais nous ne les réglerons pas à moins de prendre des mesures concrètes et énergiques.
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Merci, monsieur le président.
Je signale, en passant, que je ne suis pas le M. Lee dont les témoins ont parlé tout à l'heure.
M. Moore a mentionné la hausse récente du nombre d'homicides perpétrés avec des armes à feu un peu partout au Canada. Ce sont des statistiques exactes pour 2004 et 2005. Nous avons déjà fait ce petit exercice. Je tiens à bien préciser ici qu'au moins à Toronto, les homicides commis avec des armes à feu en 2006, jusqu'en novembre, ont diminué d'environ 44 p. 100, ce qui est une réduction énorme. Cela indique, j'espère, que les deux années précédentes représentaient une variation exceptionnelle, mais nous verrons avec le temps.
J'aimerais une réponse, peut-être de M. King. En ce qui concerne l'étude Kessler-Levitt, le simple fait que Levitt se soit retrouvé en page couverture d'un magasine parce qu'il a écrit un livre intitulé Freakonomics et qu'il a été reconnu comme un excellent chercheur, ne veut pas dire que nous ayons obtenu des preuves supplémentaires au sujet des peines minimales obligatoires. Je voudrais seulement savoir... et vous voudrez peut-être répondre par l'affirmative, si Levitt, Kessler ou quelqu'un d'autre ont fourni des preuves supplémentaires. S'il n'y a aucune autre preuve supplémentaires pertinente, très bien, mais s'il y en a, nous devrions les examiner.
J'ai deux questions, une pour M. Doob et l'autre pour M. King. En ce qui concerne la détermination de la peine, nous avons vu la criminalité augmenter de 1960 à 1992, puis commencer à diminuer. Avons-nous la preuve que les fluctuations dans la durée des peines ont contribué à l'augmentation du taux de criminalité? Nous avons beaucoup entendu parler d'autres facteurs de criminalité, mais a-t-on jamais considéré que la détermination de la peine est un facteur qui a contribué à l'augmentation des taux de criminalité entre 1960 et 1992?
Deuxièmement, dans vos travaux sur la détermination de la peine, avez-vous constaté que les lois de ce genre présentaient des avantages réels? Est-ce que l'augmentation de la durée d'incarcération, de façon ciblée, comme l'a dit M. Moore, présente le moindre avantage? Par exemple, cela permet-il de mieux se protéger contre les vrais méchants? Si l'on intervient pendant plus longtemps dans la vie des contrevenants, cela va-t-il leur permettre d'avoir accès à des programmes grâce auxquels ils pourront reprendre le droit chemin, comme on dit parfois?
Troisièmement, est-ce qu'une neutralisation plus longue va permettre d'extraire un délinquant d'un milieu criminalisé? C'est ainsi que les choses se passent dans son quartier. Vous l'arrêtez et vous le condamnez à une peine de prison plus longue dans l'espoir que cette intervention le sortira de ce milieu.
Je ne crois pas que ce soit vraiment le cas, mais si vous avez recueilli des preuves à cet effet dans le cadre de vos études et de vos travaux, j'aimerais que vous nous en parliez.
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Je vais répondre à une ou deux questions. Je laisserai M. Doob répondre à celles que je crois davantage de son ressort.
En ce qui concerne Levitt, je suis un critique aussi virulent de Steven Levitt que M. Doob. Je ne pense pas qu'il y ait d'autres travaux. En fait, je crois que tout son travail témoigne d'un manque d'objectivité comme cela lui est souvent reproché, aujourd'hui par M. Doob, mais aussi par d'autres.
Pour ce qui est de neutraliser un délinquant — et M. Doob aura sans doute quelque chose à ajouter — la prison a un effet, mais des peines sévères sont déjà prévues. Le délinquant est déjà incapable de nuire. Il faut donc se demander s'il s'agit là d'un minimum obligatoire. Cela va-t-il rendre quelqu'un incapable de nuire pendant plus longtemps? Dans la plupart des cas, il n'en sera rien s'il existe déjà des peines sévères. En ce qui concerne particulièrement les crimes reliés à la drogue, nous avons constaté que cette neutralisation n'a aucun effet, quelle que soit sa durée.
Pour ce qui est de l'impact de la détermination de la peine sur l'augmentation de la criminalité entre 1960 et 1992... Je n'ai vu aucune étude à ce sujet, mais depuis l'an 2000, il y a eu une nouvelle série de recherches qui porte sur la formation du contrôle social, les moyens informels de contrôle du capital social dans les communautés à faible revenu où il y a un taux élevé d'incarcération. En fait, on a démontré que, dans un certain nombre de villes américaines, dans plusieurs contextes différents, tout bascule à partir d'un certain point. Lorsque le taux d'incarcération atteint un niveau donné dans certaines de ces communautés — et il y a dans les villes américaines des quartiers dont 20 p. 100 des jeunes hommes sont en prison ou ont maille à partir avec la justice — nous commençons à voir augmenter le taux de criminalité. C'est hypothétique et en réalité, c'est le résultat d'une érosion. Quel que soit le quartier, les constantes allées et venues d'une partie de la population entre la prison et la collectivité ont, ce qu'on appellerait un effet positif en statistique, en ce sens qu'elles entraînent une augmentation, mais qui est, en fait, un effet négatif.
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Tout d'abord, pour ce qui est de la violence mettant en jeu des armes à feu, à Toronto, par exemple, qui semble avoir galvanisé tout le monde il y a un an, je ne voudrais pas que qui que ce soit sous-estime la gravité de la situation sous prétexte que cette criminalité est en diminution. Ce que je veux dire, c'est que nous n'allons pas régler le problème. Il se réglera peut-être tout seul ou pour une autre raison, mais nous ne le réglerons pas avec les peines minimales. Par conséquent, si les crimes commis avec des armes à feu sont en baisse à Toronto, les armes à feu continuent quand même de poser un problème et il y a encore des gens qui sont tués. C'est une situation que nous devrions prendre au sérieux. Quant à savoir si la criminalité est en hausse ou en baisse, nous espérons tous qu'elle diminue.
Je voudrais parler très brièvement de la neutralisation des criminels. Lorsqu'on parle d'une stratégie de neutralisation des criminels, en réalité, on envisage quelque chose en plus que le châtiment que mérite le crime. Il s'agit là d'actes criminels graves. Tous seront punis par des peines très sévères. Aucun de nous ici n'a laissé entendre que ces crimes très graves ne devraient pas être punis par une peine d'emprisonnement. Bien entendu, ce que nous disons, c'est que la peine doit tenir compte de la gravité du crime et je pense que tout le monde s'entend sur ce point.
En dernier lieu, je dirais que le système de justice pénale ne sait pas bien comment traiter les gens. Avec un bon système correctionnel, nous pouvons peut-être faire de notre mieux. Si nous faisons de sérieux efforts, il revient très cher de mettre en prison quelqu'un qui a commis des actes criminels graves et de lui offrir des programmes. Si nous souhaitons vraiment mettre des programmes à la disposition de ces personnes, ce n'est sans doute pas la bonne façon de procéder. Comme je l'ai dit, n'oublions pas que ceux dont nous parlons iront en prison de toute façon.
Le problème que M. King a déjà mentionné est celui de la drogue. La simple politique d'incarcération, par exemple... Ce qui se passe dans ces circonstances, surtout en ce qui concerne le commerce de la drogue dans la rue, c'est que le vendeur est simplement remplacé. Quelqu'un d'autre va vendre la drogue à sa place si bien que nous n'avons obtenu aucun résultat. Nous avons peut-être même contribué au recrutement d'une autre personne pour se livrer à ce commerce. Je pense donc que nous sommes tous à la recherche d'une bonne solution compte tenu de nos ressources limitées. Il y a eu certainement d'autres études, en plus de celle de Levitt, qui laissent entendre que des peines plus sévères auront un effet dissuasif, mais elles constituent l'exception. Les seules exceptions sont généralement les données extraites sélectivement de certaines études, ou les exemples spécifiques qui faisaient partie de la dernière étude dont j'ai parlé dans mon exposé d'aujourd'hui.
Il faut donc bien comprendre que les preuves vont à peu près toutes dans le même sens.
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Je vous remercie d'être restés aussi longtemps. On devait terminer à 17 h 30. Je vais vous poser une question sur la discrétion des juges, c'est-à-dire leur pouvoir. Beaucoup de témoins sont venus nous dire que nous nous attaquions au pouvoir ou à la discrétion des juges.
Je voudrais d'abord faire une entrée en matière. Dans le système américain, les juges sont élus, sauf les juges fédéraux. Si j'avais le pouvoir d'élire les juges, peut-être qu'on ne serait pas ici en train de régler un problème. Au Canada, tous nos juges municipaux, provinciaux et fédéraux sont nommés par le pouvoir politique. Quand ils sont nommés, on leur donne le droit d'agir en vertu du Code criminel. Si on donne au juge le droit d'agir en vertu du Code criminel, c'est le Parlement qui lui donne ce qu'on appelle des balises, des paramètres à l'intérieur desquels il devra travailler. Par exemple, on exige tel genre de preuve. La preuve hors de tout doute est une balise. On dit au procureur de la Couronne que s'il veut faire condamner quelqu'un, il devra prouver hors de tout doute que la personne a commis le crime dont elle est accusée. On lui donne des balises.
Ensuite, on donne aussi une balise au juge. On lui dit que s'il pense, hors de tout doute, que la personne est coupable, il devra faire telle chose. Mais comme le juge est nommé à vie, il fait ce qu'il veut. Il ne peut y avoir qu'un recours devant la Cour d'appel. Je vous assure qu'aux États-Unis, un juge qui ferait ce qu'il veut serait démis de ses fonctions au bout de deux ans. Je ne parle pas des juges fédéraux. Il y a donc une grande différence entre les deux systèmes. Cela change la dynamique. Au Canada, on est différents.
Il y a une deuxième chose que je voudrais dire au sujet de la discrétion des juges. Monsieur Moriah, vous m'avez un peu interpellé. Nous vivons au Canada, où il y a 32 millions d'habitants. Moi, je viens de la province du Québec. J'ai l'impression que je suis victime de discrimination parce qu'il y a proportionnellement plus de francophones en prison au Québec. Cela me pose un problème. Je vous rejoins à cet égard. Il y a effectivement plus de francophones en prison chez nous.
On parle souvent des différents groupes qu'il y a au pays. M. Bagnell parle souvent des personnes autochtones. Il y a des groupes aborigènes dans le nord du Québec; il y en a 200. Quand le crime est commis là, on doit sortir la personne de là. Ces groupes sont surreprésentés dans l'endroit où on envoie les personnes qui commettent des crimes. Comme il n'y a pas de route, on doit aller chercher la personne en avion pour l'emprisonner à Montréal. C'est un peu embêtant. On vit dans un drôle de pays.
J'aimerais vous entendre puisque vous êtes avocat. Est-ce que vous êtes en désaccord sur le fait qu'on puisse encadrer le pouvoir de discrétion du juge? Notre rôle est celui-là. En réalité, tout se résume à cela. Le projet de loi C-10 s'applique dans le cas de crimes extrêmement graves commis dans certaines circonstances graves. Comme M. Kulik le disait tout à l'heure, la plupart des gens auxquels les dispositions de ce projet de loi vont s'appliquer ont d'abord été condamnés soit au Tribunal de la jeunesse, soit au provincial, puis ils sont ensuite entrés dans le système fédéral.
Vous êtes avocat à Toronto, en Ontario, et je veux que vous me disiez si vous êtes en désaccord sur le fait que nous, ici, puissions encadrer le pouvoir discrétionnaire du juge. C'est un grand pouvoir. C'est peut-être le pouvoir le plus important dont un juge dispose lorsqu'il impose une peine.
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C'est une question assez vaste, dans un certain sens, car lorsqu'on parle des effets du projet de loi sur les pouvoirs discrétionnaires des juges, il y a une ou deux choses à considérer. Il y a d'abord la question de savoir si les gens croient ou non que les juges exercent de façon appropriée leurs pouvoirs discrétionnaires pour déterminer la peine à infliger. C'est certainement une des questions que soulèvent la discussion sur le projet de loi C-10 et la mise en oeuvre de peines minimales obligatoires.
Lorsque nous parlons du pouvoir discrétionnaire des juges, nous devons d'abord nous dire qu'ils sont, dans une certaine mesure, experts dans leur domaine. Ils ont été nommés en suivant l'excellent processus que nous avons au Canada pour décider qui seront nos juges. Par conséquent, même s'ils sont nommés, c'est un processus ouvert et transparent qui n'est pas aussi politique que s'ils étaient choisis par la classe politique.
Pour ce qui est de l'usage qu'ils font de ce pouvoir, il faut se rendre compte que les pouvoirs discrétionnaires des juges couvrent un certain nombre de domaines, comme vous l'avez dit, et pour la détermination de la peine, en particulier, vous devez vous rendre compte que nous parlons de peines minimales obligatoires. Mais comme certains de mes collègues l'ont dit à plusieurs reprises aujourd'hui, les juges peuvent toujours appliquer différentes peines. Il s'agit de savoir si nous croyons qu'ils le font de façon appropriée ou non et si les peines minimales obligatoires seront la panacée grâce à laquelle nous aurons la certitude qu'ils le feront. D'après les renseignements que nous avons, ce n'est pas le cas, car le pouvoir discrétionnaire dont les juges disposent pour accuser et punir le contrevenant sera simplement transféré à un autre joueur du système judiciaire, que ce soit la police ou la poursuite. Nous devons tenir compte du fait que les juges ont la possibilité d'infliger au moins la peine minimale obligatoire en question, mais aussi d'imposer une peine plus sévère.
Nous devons veiller, et c'est particulièrement important pour la communauté afro-canadienne étant donné le racisme qui règne dans notre système de justice pénale, à ce que tout pouvoir discrétionnaire soit exercé de manière ouverte et transparente. C'est particulièrement important pour la détermination de la peine, car cela permet d'examiner la sentence, d'en faire appel, de déterminer si elle était appropriée ou non dans les circonstances. Malheureusement, lorsque vous avez une peine minimale obligatoire qui transfère le pouvoir discrétionnaire du juge à la police et à la poursuite, ce processus n'existe plus et c'est particulièrement problématique pour les communautés comme les Afro-Canadiens ou les Autochtones qui ont subi, de façon disproportionnée, les effets d'une utilisation discriminatoire des pouvoirs discrétionnaires de la justice pénale.
Par conséquent, nous voulons effectivement veiller à ce que les juges exercent de façon appropriée leur pouvoir discrétionnaire, mais il faut se rendre compte qu'ils ont des processus à leur disposition pour cela. Ils peuvent imposer des peines minimums et des peines maximums. Mais surtout, il est important que l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire se fasse de façon ouverte et transparente et qu'il puissent être examiné.