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Merci, monsieur le président.
Je m'appelle Don Larman, et je suis président de l'Association des agents de probation de l'Ontario. Je suis accompagné de Mme Cathy Hutchison, présidente sortante de l'Association.
L'Association des agents de probation de l'Ontario est une organisation à but non lucratif représentant les intérêts professionnels des agents de probation et de libération conditionnelle de l'Ontario depuis 1952. Outre ses autres fonctions, notre association présente les positions de ses membres sur les orientations politiques et les mesures législatives dans le domaine de la justice pénale. Notre association est distincte de notre agent négociateur.
Nous vous remercions de nous avoir invités à vous faire part du point de vue de ceux qui supervisent les délinquants.
Notre association appuie la supervision dans la collectivité, son usage pour la réinsertion sociale des délinquants et la protection des collectivités. Les agents de probation ont pour mandat de protéger la société contre la récidive par le biais de mesures d'évaluation, de supervision et d'application de la loi. En Ontario, les agents de probation supervisent environ 53 000 probationnaires et 5 000 sursitaires chaque année. La situation de chaque délinquant est unique et chaque infraction est commise dans des circonstances particulières; nous disposons de plus de beaucoup d'information sur chaque cas et nous savons qu'il est important que les peines soient individualisées, adaptées au contrevenant et à l'infraction.
Quand le législateur a instauré une peine d'emprisonnement avec sursis en 1996, nous avons compris son intention, à l'instar de tous ceux qui avaient entendu son message sur l'objet de cette mesure. Le libellé de l'article 742.1, à savoir que le fait pour le délinquant de purger sa peine au sein de la collectivité ne devait pas mettre en danger la sécurité de celle-ci et devait être conforme à l'objectif et au principe de détermination de la peine, traduisait clairement cette intention.
Si nous sommes venus témoigner aujourd'hui, et, nul doute, si on tente de modifier la disposition législative permettant l'emprisonnement avec sursis, c'est que des peines d'emprisonnement avec sursis ont été infligées dans des cas d'infractions graves, ce qui a donné lieu à de grandes préoccupations. Nombreux sont ceux qui ont remis en question le régime traditionnel de la discrétion judiciaire devant l'opposition entre ce à quoi devait servir cette mesure à l'origine et son emploi dans la réalité.
Certains diront qu'il est facile de critiquer les juges qui ne peuvent se défendre, mais nous ne sommes pas ici pour formuler des critiques. Peut-être que, comme d'autres l'ont fait valoir, les principes de détermination de la peine sont trop vagues et que la jurisprudence, notamment l'arrêt Proulx, a contribué à la situation actuelle. Quoi qu'il en soit, voilà déjà bien des années que notre association s'élève contre l'imposition de peines d'emprisonnement avec sursis pour les infractions graves.
D'autres questions nous préoccupent, comme l'application de la loi, les ressources et le contrôle, mais nous sommes ici aujourd'hui pour vous parler de l'imposition de peines d'emprisonnement avec sursis quand ce n'est pas indiqué. Pour les raisons que nous avons déjà énoncées, nous appuyons le projet de loi C-9 qui, même s'il n'est pas parfait comme certains l'ont souligné, tente à tout le moins de préciser quels délinquants devraient être admissibles à l'emprisonnement avec sursis. Ni nous ni le public n'avons jamais imaginé que ceux qui commettent des infractions comme le meurtre d'un enfant, des infractions sexuelles ou des infractions graves contre des enfants, des infractions relatives à la conduite d'un véhicule causant la mort, l'homicide et d'autres pourraient être condamnés à la détention à domicile.
Dans les cas d'infractions avec violence et d'infractions sexuelles, ainsi que lorsqu'il y a perte de vie, nous estimons qu'on ne respecte pas le principe de la proportionnalité en permettant au délinquant de purger sa peine dans la collectivité. Comment peut-on considérer comme proportionnelle une peine qui permet au délinquant de ne pas passer une seul jour en prison? Comment peut-on prétendre dénoncer le comportement illégal, dissuader les délinquants de commettre des infractions, isoler les délinquants du reste de la société au besoin et susciter chez les délinquants la conscience de leur responsabilité en imposant une peine d'emprisonnement avec sursis? Il semble que dans de tels cas, les seuls principes qu'on respecte sont ceux de la réinsertion sociale et de l'infliction de la sanction la moins contraignante. Dans de tels cas, nous estimons que l'imposition d'une peine d'emprisonnement avec sursis ne reflète pas la gravité de l'infraction. De plus, nous sommes d'avis qu'il faut accorder davantage d'attention à l'aptitude du délinquant à purger une telle peine, en tenant surtout compte de ses antécédents en matière de respect des conditions de supervision dans la collectivité.
Ces informations peuvent être transmises au juge dans le rapport présentenciel, et nous estimons que si une peine d'emprisonnement avec sursis est envisagée, on devrait demander ces informations plus fréquemment.
Un professeur qui a témoigné devant votre comité il y a quelques semaines a avancé un argument que nous appuyons. Il a déclaré:
À mon avis, nous avons tendance à surestimer les valeurs dissuasives ou dénonciatrices des peines avec sursis. Cet état de fait est attribuable à ce que je considère comme une présomption douteuse relativement aux précédents relatifs aux peines avec sursis. On présume que la peine a plus à voir avec une peine d'emprisonnement qu'avec une période de probation.
Il a ajouté: « À mon humble avis, cela gonfle l'impact des peines avec sursis. »
Nous abondons dans le même sens que ce professeur qui a noté que la peine d'emprisonnement avec sursis est une mesure indiquée « lorsque l'infraction n'est pas suffisamment grave pour qu'on puisse penser qu'une peine dans la collectivité soit injuste » et « lorsque le délinquant ne représente pas de risque important pour la collectivité ». Enfin, il note qu'on peut envisager une peine d'emprisonnement avec sursis « lorsque la priorité doit être accordée à la réinsertion et à la réparation ».
Je cède la parole à Cathy.
La réalité que nous sommes venus vous décrire aujourd'hui, c'est qu'une peine d'emprisonnement avec sursis n'est pas une peine d'emprisonnement; en fait, cela s'apparente plus à la probation qu'à l'incarcération. C'est une sanction communautaire qui est indiquée pour certaines infractions.
Il y a un aspect de ce régime de détermination de la peine qui trouble bien des gens: c'est que la façon dont on décrit la peine est trompeuse. Dans les faits, le délinquant purgeant une peine avec sursis n'est pas en prison. Il vit à la maison; il va au travail, à l'école, à ses rendez-vous et au magasin pour l'achat des produits de première nécessité. Il peut aller à l'église ou à son lieu de culte et même sortir pour d'autres motifs. Bon nombre des sursitaires sont assignés à résidence et doivent respecter un couvre-feu, sauf à certaines fins bien précises. Cependant, dans bien des cas, les exceptions à l'assignation à résidence sont nombreuses. Pour le reste, la plupart des conditions auxquelles sont assujettis les sursitaires sont souvent celles qui accompagnent les ordonnances de probation.
Affirmer que les sursitaires sont emprisonnés dans la communauté est trompeur, selon nous. Du point de vue du délinquant, la seule différence par rapport à la probation, quand l'ordonnance ne prévoit pas d'assignation à résidence, réside dans le mécanisme d'exécution de l'ordonnance. Si le sursitaire est assigné à résidence, la principale différence, c'est que sa vie est dorénavant dénuée de spontanéité, puisque ses déplacements sont limités et qu'il ne peut sortir pour des fins de loisirs ou de divertissement.
Nous reconnaissons que certains délinquants respectent les conditions de leur ordonnance avec diligence et travaillent à leur réinsertion, mais nous savons aussi que bien des aspects de la sanction se fondent sur le régime de confiance. Quand le sursitaire purge sa peine à la maison, il jouit des mêmes libertés que le reste de la société, dont inviter des amis, faire des fêtes, regarder la télévision, utiliser Internet, faire un usage illimité du téléphone, passer du temps avec sa famille, etc. Ce n'est pas comme en prison, et prétendre que ce l'est a certainement contribué à miner la confiance du public dans le système de justice. En outre, les victimes qui apprennent que le délinquant purge sa peine d'emprisonnement à la maison peuvent se sentir menacées par sa présence dans leur quartier, ce qui n'apaise pas leurs craintes et ne comble pas leur besoin de se sentir en sécurité.
À notre avis, il est faux de dire que la peine d'emprisonnement avec sursis a un grand effet dissuasif sur les délinquants qui commettent des crimes graves. Ceux qui font une telle affirmation font fi des nombreuses études qui ont révélé que le public, les professionnels qui travaillent en première ligne et les victimes sont contre les peines communautaires pour les délinquants ayant commis une infraction grave avec violence. Le professeur Roberts est ici aujourd'hui, il sera mieux en mesure que moi de vous parler des recherches, mais faire fi des études et des informations provenant du ministère de la Justice, c'est négliger les principaux intervenants du système de justice.
Par ailleurs, pendant vos audiences, certains ont fait valoir que l'emprisonnement n'a pas d'effet dissuasif. Il se peut que les récidivistes les plus endurcis ne soient sensibles à aucune sanction ou tentative de réinsertion, mais il y en a d'autres pour qui l'incarcération est dissuasive. Si l'incarcération n'est pas dissuasive, pourquoi menace-t-on d'envoyer en prison, par exemple, les délinquants qui ne respectent pas leur sentence? Si l'incarcération n'est pas dissuasive, pourquoi les délinquants ne font-ils pas la file devant nos portes pour nous signaler tous les manquements et infractions qu'ils ont commis à notre insu? Dans les faits, la peine d'emprisonnement avec sursis est moins dissuasive que la véritable incarcération, ce qui explique la fréquence avec laquelle les délinquants plaident coupables pour pouvoir purger leur peine à la maison.
Outre la façon peu transparente dont on décrit cette peine, il y a d'autres problèmes qui ont été fréquemment mentionnés, tels que le niveau de contrôle, de ressources et de surveillance des peines d'emprisonnement avec sursis. Nous avons des observations sur ces sujets que nous ferons si nous avons du temps un peu plus tard.
Nous sommes soulagés de constater que l'adoption du rendra moins fréquente la pratique qui veut qu'on inflige une peine d'emprisonnement avec sursis à ceux qui ont commis une infraction sexuelle contre un enfant, que ce soit une infraction de pédopornographie ou avec contact. Cependant, certaines infractions mixtes dont la victime est un enfant, telles que l'agression sexuelle et les voies de fait causant des lésions corporelles, pourraient encore être passibles d'une peine d'emprisonnement avec sursis. Si le projet de loi n'est pas modifié, nous espérons que les juges respecteront rigoureusement le principe de détermination de la peine relatif aux mauvais traitements des enfants et que ce genre de crime ne sera pas puni par un emprisonnement avec sursis.
Nous avons aussi des observations pertinentes à l'intention de ceux qui craignent que l'adoption du n'entraîne des peines d'incarcération excessives, un manque de supervision dans la collectivité et moins de possibilités de recourir à la justice réparatrice. Nous n'aurons probablement pas le temps d'aborder ces questions; rappelons seulement que, comme on le sait, les facteurs aggravants et atténuants continueront de s'appliquer, les juges continueront d'user de leur pouvoir discrétionnaire dans le choix des peines, lesquelles continueront d'aller de la condamnation avec sursis assortie de probation jusqu'à, bien sûr, l'incarcération.
Il a été noté que la durée de l'emprisonnement avec sursis est souvent plus longue que ne l'aurait été la période d'incarcération. En outre, étant donné que les délinquants ne purgent que les deux tiers de leur peine d'emprisonnement, la durée de l'incarcération est inférieure à celle de l'emprisonnement avec sursis.
Toutefois, si les circonstances entourant la commission de l'infraction et la situation du délinquant étaient telles qu'une peine plus légère s'imposait, ce serait déjà le cas à l'heure actuelle. De plus, certains délinquants ne seraient pas condamnés à l'emprisonnement mais simplement à la probation.
Nous signalons aussi que certains de ces contrevenants, les délinquants primaires ayant commis l'une des infractions qui pourraient être exclues, seront admissibles à la libération conditionnelle provinciale. Les taux de libération conditionnelle provinciale en Ontario sont passés d'environ 59 p. 100 en 1993-1994 à environ 22 p. 100 en 2003-2004. L'emprisonnement avec sursis a grandement contribué à cette baisse. Certains délinquants y seront donc admissibles. Dans de tels cas, s'ils recevaient une peine d'incarcération, ils pourraient être admissibles à la libération conditionnelle après avoir purgé un tiers de leur peine et être ensuite en probation. Ces contrevenants pourront donc être bien surveillés dans la collectivité.
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Bien, je vais ralentir.
Autrement dit, ce n'est pas l'existence de l'emprisonnement avec sursis qui pose problème, mais plutôt son application dans des cas où l'incarcération paraît justifiée.
Nous ne voulons pas que l'on apporte à la criminalité une réponse motivée par la peur qui, en définitive, va pénaliser particulièrement des populations vulnérables comme les femmes et les jeunes autochtones.
Les femmes autochtones sont souvent condamnées pour des crimes liés à la pauvreté ou à des situations dont elles sont elles-mêmes victimes. Actuellement, ces crimes peuvent souvent faire l'objet d'une peine avec sursis conformément aux articles 742.1 à 742.7 du Code criminel. Il faudrait s'efforcer davantage de dégager les ressources nécessaires pour garantir la sécurité des femmes autochtones et de leurs enfants chez elles, dans la collectivité et dans l'ensemble de la société. Il faudrait également prendre des initiatives pour améliorer les conditions de vie des femmes autochtones et de leurs enfants. Le projet de loi C-9 ne résout pas ces problèmes, mais qui plus est, il va encore aggraver la surreprésentation des femmes autochtones en milieu carcéral.
Les femmes autochtones jouent un rôle fondamental dans nos collectivités. Ce sont elles qui donnent la vie et elles se trouvent au centre des traditions, de la gouvernance, de la collectivité et des cérémonies amérindiennes. Elles sont chargées de maintenir l'efficacité collective des communautés. Dans la mesure où le projet de loi C-9 va entraîner une augmentation des incarcérations de femmes autochtones, on peut prévoir que les collectivités autochtones vont subir un préjudice culturel résultant de leur perte d'efficacité collective.
Le ministre de la Justice de la Saskatchewan a affirmé sans ambiguïté que le souci de ne pas aggraver le problème de la surreprésentation des populations autochtones en milieu carcéral était un facteur à prendre en considération dans l'étude de cette loi. Ce ministre, M. Frank Quennell, a affirmé à plusieurs reprises que les mesures qui restreignent les peines avec sursis pourraient menacer les programmes judiciaires de la province qui visent spécifiquement sa forte population autochtone. Les Autochtones représentent actuellement un cinquième des incarcérations au Service correctionnel du Canada, alors qu'ils ne représentent que 3 p. 100 de la population canadienne. Le ministre de la Justice de la Saskatchewan a déclaré que la province avait le plus fort pourcentage de résidents autochtones au Canada et qu'elle avait assez bien réussi à promouvoir l'imposition de peines inspirées des traditions autochtones et désignées sous le nom de justice réparatrice, plutôt que des peines d'emprisonnement. Les programmes saskatchewanais incitent les collectivités autochtones à trouver des solutions de remplacement à l'incarcération, comme la restitution à la victime, le bénévolat auprès d'un organisme caritatif ou la participation à des séances de counselling ou à des programmes de désintoxication.
Les changements envisagés dans le projet de loi risquent également de poser problème au Nunavut où, en 2005, les juges du territoire ont rendu 203 condamnations avec sursis contre seulement 189 condamnations à une peine d'emprisonnement.
Il est donc évident qu'une augmentation des ressources axées sur la collectivité s'impose si l'on veut que les femmes autochtones condamnées pour un acte criminel réussissent à purger leurs peines au sein de la collectivité. Il est essentiel, pour la durabilité de nos collectivités, que les femmes puissent continuer à jouer leur rôle auprès de leur famille et de leur collectivité pendant qu'elles purgent leurs peines.
Le système judiciaire du Canada est fondé sur des valeurs eurocentriques et sur une procédure accusatoire. Dès qu'un acte est commis, il est jugé criminel. C'est un crime contre l'État, qui obtient généralement réparation en imposant une peine. La tradition autochtone, quant à elle, considère qu'un tort a été causé à des individus et à la collectivité. La réparation prend la forme du rétablissement de l'équilibre dans la collectivité et du rétablissement des relations entre ses membres. À une époque où les individus sont de plus en plus distants les uns des autres, ce souci de prise en compte de la collectivité permet de rassembler un capital social très convoité.
Au cours des dernières années, ces conceptions de la justice ont été reconnues pour leur efficacité et elles ont obtenu un appui massif aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur des collectivités autochtones. Les peines avec sursis s'intègrent parfaitement à la notion de justice traditionnelle car elles permettent à la collectivité d'exercer une surveillance sur les délinquants tout en leur donnant la possibilité de travailler à la correction des déséquilibres qui ont résulté de leur action.
Les initiatives de justice réparatrice visent à ajouter une pertinence culturelle à la justice pénale ordinaire, mais elles ne profitent pas autant aux femmes qu'aux hommes autochtones. Au lieu d'envisager une augmentation des taux d'incarcération par l'élimination des peines avec sursis, il faudrait s'efforcer de permettre aux femmes autochtones condamnées de profiter des mesures de justice réparatrice.
En plus de leur surreprésentation au niveau des accusations et des incarcérations, les femmes autochtones sont également surreprésentées parmi les victimes, notamment d'actes de violence sexuelle et raciale. Le ne s'attaque nullement aux causes fondamentales qui font des femmes autochtones des victimes ou des criminelles, pas plus qu'il ne prend en compte la violence sexuelle ou raciale à laquelle de nombreuses femmes autochtones sont confrontées tout au long de leur vie.
Les effets des peines avec sursis sur les femmes autochtones, leurs familles, leurs enfants ou leurs collectivités n'ont jamais été soumis à une étude en profondeur. Leur analyse s'impose. Cette recherche devra déterminer les modalités d'application actuelles des peines avec sursis aux femmes autochtones et la façon dont la justice pénale pourrait mieux satisfaire les besoins des femmes autochtones tant au niveau fédéral que dans les provinces.
Le gouvernement du Canada n'a pas consulté les intervenants concernés par le , notamment l'Association des femmes autochtones du Canada. À défaut d'une telle consultation, il n'a pas pu prendre en compte les effets sociaux et culturels que pourrait avoir ce projet de loi sur les femmes autochtones, leurs enfants et leurs collectivités.
Le gouvernement du Canada devrait s'appliquer à diversifier la gamme des programmes de nature communautaire comme les initiatives de justice réparatrice. Il faudrait les diversifier selon leur emplacement, car les populations autochtones sont présentes dans des milieux très divers: en secteur rural, en ville, dans des localités isolées et dans le Grand Nord. Il faudrait également étudier les modifications des peines avec sursis par rapport à l'évolution mondiale dans les domaines de l'action sociale, de la santé, de l'éducation et des cultures traditionnelles des populations autochtones, étant donné que la population autochtone du Canada est en contact avec d'autres populations autochtones du monde.
En partenariat avec le gouvernement, les populations autochtones ont déployé des efforts considérables pour agir sur les causes profondes de la criminalité. Ces efforts ne devraient pas être remis en cause par une politique qui vise à multiplier les emprisonnements. En prison, un détenu ne fait que purger sa peine; il n'a aucune possibilité de s'amender. Le fardeau de la réprobation et du casier judiciaire sape son potentiel de développement.
Merci.
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Merci, monsieur le président.
Le Conseil canadien des avocats de la défense a été créé en novembre 1992 en tant que porte-parole des avocats criminalistes du Canada sur les questions de dimension nationale. Notre conseil d'administration compte des représentants de chaque province et de chaque territoire. Je suis le président sortant de l'organisme. J'ai également fait partie de la Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada, qui relève du ministère fédéral de la Justice et qui étudie chaque année les changements à apporter au Code criminel.
On m'a invité à comparaître aujourd'hui parce que je suis en mesure de présenter le point de vue de l'Ouest canadien. Je pratique en Alberta, mais auparavant, je me suis consacré pendant 12 ans à la Commission de l'aide juridique de la Saskatchewan, où les Autochtones représentaient une bonne partie des dossiers qui m'étaient confiés. Actuellement, je plaide uniquement en appel. Mon travail concerne en grande partie des condamnations avec sursis qui sont portées en appel. Je travaille en Alberta, en Colombie-Britannique et au Nunavut. Je connais le point de vue du Nunavut car, comme on vient de le dire, le territoire se préoccupe sérieusement de ce projet de loi — c'est du moins le cas du barreau de la défense, des avocats de la Couronne et des juges que j'ai rencontrés.
Je suis avocat de la défense depuis 30 ans et j'ai donc une certaine expérience dans ce domaine. Le Conseil canadien des avocats de la défense s'oppose au projet de loi C-9. À notre avis, si l'appareil n'est pas en panne, pourquoi essayer de le réparer? Nous ne voyons pas quels éléments de preuve pourraient indiquer l'existence d'un problème. Nous savons que des cas individuels ont été signalés, ce que nous ne contestons pas. Certaines décisions rendues sont mauvaises, ce qui est inévitable, car notre système de justice est humain. Je me suis entretenu avec des juges dans l'Ouest, en Alberta, en Saskatchewan et dans le Nord. J'ai parlé avec des avocats de la défense, avec des avocats de la Couronne et avec un agent de probation. Je ne pense pas que cet agent d'Edmonton partage le point de vue du service des agents de probation de l'Ontario.
Voici les thèmes principaux. Je voudrais vous soumettre dix arguments dont m'ont fait part diverses personnes avec lesquelles je me suis entretenu. Nous partageons une préoccupation, et je tiens à vous en faire part aujourd'hui: si le projet de loi est adopté, les coûts occasionnés par la construction de nouvelles prisons, par la prise en charge d'un plus grand nombre de détenus et par les procédures judiciaires supplémentaires vont connaître une forte augmentation. On a dit tout à l'heure qu'il y avait eu l'année dernière au Nunavut environ 250 peines avec sursis contre, je crois, 180 peines d'emprisonnement. Il n'y a qu'un établissement pénitentiaire à Iqaluit et il a été construit pour accueillir 44 détenus; il dispose de 64 lits et accueille actuellement 85 détenus. Si les peines avec sursis ne sont plus disponibles, il faudra envoyer des détenus en Ontario, dans les Territoires du Nord-Ouest et, éventuellement, au Québec.
L'autre difficulté du Nunavut, c'est le grand nombre de petites collectivités. Je ne sais pas exactement combien d'étapes comporte le circuit que doit effectuer la cour — cinq, six ou sept. Un individu condamné à l'emprisonnement au cours de l'une de ces étapes doit parfois être envoyé à 1 000 ou 1 500 kilomètres de chez lui. Il est privé de tout contact avec sa famille et avec son réseau d'entraide.
De façon générale, les collectivités autochtones ou inuites du Nord adhèrent au modèle de justice réparatrice. Dans le Nord, il est difficile d'obtenir une ordonnance de sursis. L'avocat de la défense doit présenter un plan à l'avance. La culpabilité doit être plaidée de façon responsable. Le contrevenant doit accepter de travailler avec les anciens, de faire des stages de counselling et de trouver sa place dans la collectivité.
L'assignation à résidence s'applique strictement, et le contrevenant ne peut pas quitter le village avec les autres, conformément à une importante tradition du Nord. C'est pour lui une expérience très pénible. Dans un petit village, tout le monde connaît celui qui fait l'objet d'une ordonnance de sursis. Toute infraction à cette ordonnance est portée très rapidement à l'attention des autorités et de la cour. En l'absence de justification, le sursis est résilié, avec l'approbation des membres de la collectivité parce qu'ils estiment que le contrevenant a eu sa chance. Lorsqu'il ne la saisit pas, il doit partir. Les prédateurs n'obtiennent pas d'ordonnances de sursis.
Si la personne est tout simplement considérée comme un mauvais sujet dans sa communauté, le tribunal qui a à déterminer la peine en est généralement au courant — dans ces cas-là il n'y a aucun rapport favorable — et la personne n'est pas admissible à une ordonnance de sursis. J'ai discuté de la question avec des juges qui travaillent dans les réserves en Alberta, qui m'ont fait part de leurs préoccupations à cet égard. Les ordonnances de sursis ont leur place dans les petites collectivités. Il existe des possibilités de réinsertion sociale, d'éducation, de traitement et d'autres possibilités pour les délinquants; celui-ci est connu dans sa collectivité, et si bien que toute violation est signalée aux autorités. Si le délinquant est autochtone ou inuit et qu'il purge sa peine dans la collectivité, il ne peut qu'être taraudé par la honte de ce qu'il a fait. La honte mène au repentir, qui produit un effet cathartique au fur et à mesure de la réinsertion sociale.
On s'inquiète de ce que la poursuite, du simple fait qu'elle décide de procéder par voie de mise en accusation, se trouve ainsi à décider de l'accès à une ordonnance de sursis, si bien que cette possibilité est éliminée dans certains cas. On s'inquiète de l'effet disproportionné sur les Autochtones et sur les habitants du Nord. Certaines personnes m'ont dit que, dans les cas limites, les juges de première instance qui ont à décider de la peine à imposer ont tendance à opter pour une peine moindre plutôt qu'une peine plus sévère. Lorsque le délinquant est passible d'une peine d'emprisonnement, comme le système est humain — les juges sont humains et ils entendent le côté humain —, on a tendance à opter pour une peine moins sévère plutôt que pour une peine plus sévère, sans toutefois s'assurer que le traitement dont le délinquant a besoin lui soit offert.
On considère que les ordonnances de sursis sont avantageuses sur le plan de l'éducation et qu'elles offrent en tout cas de bien meilleures possibilités de réinsertion sociale. On estime généralement que le taux de récidive est moins élevé lorsque le délinquant est condamné à une peine sursitaire plutôt qu'à une peine d'emprisonnement.
On s'inquiète énormément de l'absence de consultation par le gouvernement auprès des groupes intéressés, comme les juges, les avocats de la défense, les avocats de la poursuite, les groupes de femmes et les Autochtones.
Les ordonnances de sursis ont aussi l'avantage d'éviter aux délinquants, notamment aux jeunes, qui en sont à leur première infraction de se retrouver en prison où ils peuvent apprendre un nouveau métier, soit la façon de s'y prendre pour trafiquer les fils et faire démarrer une voiture, pour pénétrer dans un domicile avec effraction ou encore pour éviter d'être repéré. Ce sont là autant de techniques qu'ils peuvent apprendre en prison, mais qu'ils n'apprendront pas s'ils purgent leur peine à domicile.
Je soutiens respectueusement que les cours d'appel au Canada font bien leur travail. Les avocats de la défense qui demandent une ordonnance de sursis doivent composer avec leurs collègues de la poursuite et, si la poursuite estime qu'une erreur a été commise, elle peut recommander d'interjeter appel. Il appartient alors aux cours d'appel de se prononcer. C'est là un point sur lequel je ne suis pas d'accord avec le professeur Paciocco. J'estime que les cours d'appel font de l'excellent travail. Dans l'Ouest — et je sais quelle est la situation en Alberta, en Saskatchewan, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut, les cours d'appel ne confirment pas facilement les ordonnances de sursis. C'est un droit qu'il faut mériter. Et si une ordonnance de sursis est accordée à tort, la cour ne tarde pas à annuler l'ordonnance et à envoyer le délinquant en prison. Je le sais par expérience.
Je soutiens que les juges de première instance exercent leur pouvoir discrétionnaire à bon escient. Ils le font de manière efficace. Ils tiennent compte des nombreuses circonstances qui leur sont présentées, tant les circonstances aggravantes qu'atténuantes ou que la question de savoir si le délinquant aurait dû savoir qu'il n'avait pas le droit de faire ce qu'il a fait, puis ils imposent la peine qu'ils jugent appropriée dans les circonstances. Les ordonnances de sursis s'accompagnent de conditions qui peuvent même restreindre l'accès au domicile du délinquant. Il m'est arrivé que des délinquants condamnés à une peine avec sursis et qui étaient confinés à leur appartement me demandent d'interjeter appel parce qu'ils trouvaient qu'il serait tout simplement moins difficile de purger leur peine en prison. Le délinquant qui est condamné à une peine avec sursis se trouve dans une prison virtuelle. Il sait qu'il ne peut pas sortir de chez lui. Il sait qu'il est soumis à des restrictions. Il sait qu'il peut seulement se rendre au travail et rentrer chez lui tout de suite après, qu'il ne peut pas aller à des fêtes d'anniversaire ni sortir avec ses amis. Il sait qu'il est surveillé, qu'on peut, par exemple, venir lui demander un échantillon d'urine à n'importe quel moment, si c'est là une des conditions auxquelles il est soumis. Ainsi, il n'est pas facile d'obtenir une ordonnance de sursis, et je soutiens respectueusement qu'il n'est pas facile non plus de purger une peine d'emprisonnement avec sursis.
Le projet de loi entraînera un virage fondamental de notre système judiciaire et fera augmenter le nombre de délinquants qui se retrouveront en prison, ce qui constituerait à notre avis un pas en arrière. Nous avons réalisé des progrès énormes.
Au départ, en 1996-1997, on a eu du mal à savoir exactement comment les imposer. Avec l'arrêt Proulx de la Cour suprême, cette confusion a été en grande partie dissipée. Quatre ou cinq ans après l'arrêt Proulx, je crois que nous avons désormais un bon régime de détermination de la peine au Canada. Dans l'Ouest, il y a des jugements rendus en appel qui fixent clairement les lignes directrices.
Pour le temps qu'il nous reste, je cède la parole à M. Rady, qui est de l'Ontario et qui parlera de l'expérience ontarienne.
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Merci, monsieur le président.
Je suis aussi membre de la direction du Conseil canadien des avocats de la défense. Je pratique le droit criminel comme avocat de la défense à London, dans le sud-ouest de l'Ontario, depuis 25 ans.
Il semble que votre comité se soit penché par le passé sur des statistiques et des tableaux se rapportant non seulement à l'emprisonnement avec sursis mais à la détermination de la peine en général. Je ne vous proposerai donc pas d'autres analyses statistiques. Je vous donnerai plutôt le point de vue de celui dont les tribunaux sont le quotidien, de celui qui traite avec le système pénal. Je demande toutefois au comité d'étudier les analyses statistiques avec beaucoup de prudence, parce qu'à mon avis, les analyses ne mènent à rien si l'on ne tient pas compte de la façon dont les statistiques ont été calculées. Il faut agir avec la même prudence quand on est saisi de renseignements empiriques, comme on vous en a déjà fournis et comme je vous en fournirai moi-même.
Nous l'avons déjà dit, notre association est contre ce projet de loi. Cela ne vous étonne peut-être pas. Sa portée est trop grande et il est inutile dans sa forme actuelle. S'il faut des précisions quant à la façon d'imposer les peines d'emprisonnement avec sursis, elles peuvent être données autrement. Les cours d'appel s'en chargent, de même que la Cour suprême du Canada. Le professeur Paciocco a aussi proposé au comité de le faire dans le cadre d'une modification au préambule de l'article 742.1.
Il ne fait aucun doute que les juges doivent suivre le Code criminel, soit la parole du Parlement. Mais comme pour toute autre chose, ils doivent avoir l'appui nécessaire dans l'exercice de leur discrétion, une discrétion qui ne doit pas être indûment limitée. Le droit criminel, c'est du droit public: les crimes font l'objet des poursuites de l'État, les crimes étant commis contre l'État. Il reste toutefois que tous les crimes ont un élément personnel. Je parle des victimes, de l'accusé, des condamnés, des procureurs, des juges — de tous ceux qui sont au tribunal. Le pouvoir discrétionnaire des juges, dans les affaires criminelles, peut être exercé de manière juste, et traité aussi de manière juste, dans notre société démocratique.
Ce sont les juges qui s'occupent des personnes qui comparaissent devant eux. Tous les vols qualifiés ne sont pas semblables. Toutes les agressions sexuelles non plus. Qu'est-ce que j'entends par là? Il y a vol qualifié quand quelqu'un braque une banque avec une arme chargée. Mais c'est aussi un vol qualifié quand un jeune de 19 ans fait tomber quelqu'un de son vélo pour le lui voler. Chaque cas est différent et doit être traité comme tel. L'exclusion de l'infraction de vol qualifié s'appliquerait aux deux extrêmes. C'est la même chose pour les agressions sexuelles et vous en avez entendu des exemples par le passé, j'en suis convaincu.
C'est au juge qu'incombe l'évaluation de tous les aspects d'un dossier. Le lui enlève la possibilité d'évaluer chaque affaire isolément, en interdisant l'imposition d'un emprisonnement avec sursis pour les actes criminels passibles d'une peine maximale de dix ans ou plus. C'est trop arbitraire. La peine maximale associée à un acte criminel n'est pas une bonne règle pour mesurer la gravité d'un crime donné, à l'exception peut-être des meurtres. En outre, le fait que le permette l'emprisonnement avec sursis pour les infractions mixtes faisant l'objet d'une procédure sommaire n'est pas une solution valable. Comme l'a dit M. Bloos, une infraction mixte mineure peut faire l'objet d'une mise en accusation, si le procureur en décide ainsi, ou si l'accusation est portée plus de six mois après la commission de l'infraction. Il peut s'agir d'une agression sexuelle mineure qui remonte à il y a bien longtemps. Sept mois après l'infraction, il faut choisir la mise en accusation. La procédure sommaire n'est plus possible. Or c'était peut-être le genre de cas où une peine d'emprisonnement avec sursis aurait été, autrement, applicable.
Il semble aussi qu'il y ait des mythes au sujet des peines d'emprisonnement avec sursis, d'après mon expérience. Ces peines ne sont pas imposées à des récidivistes qui commettent la même infraction. Elles sont aussi plus rarement imposées après un procès. Dans la majorité des cas, le sursis n'est accordé que si le procureur y consent dans une soumission conjointe, c'est du moins ainsi que cela se fait dans mon coin de la province, selon nos politiques. Leur simple existence ne signifie pas que les juges ne peuvent pas ou ne veulent pas imposer de peines d'emprisonnement pour les crimes graves. C'est simplement une possibilité, dans la liste des peines qu'un juge peut imposer et d'après mon expérience, les emprisonnements avec sursis ne sont pas imposés à la légère. Ces peines sont assorties de conditions restrictives.
Les règles ne sont peut-être pas toutes suivies de la même façon partout au pays, ni même dans une même province, mais le projet de loi n'est pas la solution. Il faut peut-être davantage de lignes directrices, mais elles peuvent être fournies autrement. Le professeur Paciocco en a parlé.
Mes clients ne commettent pas des crimes parce qu'ils connaissent l'existence du sursis à l'emprisonnement. Tout le monde pense qu'il faut sévir contre les crimes graves et violents, mais le projet de loi n'est pas la réponse. En fait, il enlève carrément la possibilité de réinsertion et de recourir à la justice réparatrice pour les crimes moins graves, non violents et relatifs aux biens. Il s'agit d'une solution mitoyenne entre l'ordonnance de probation et la peine d'emprisonnement classique. C'est l'une des solutions que peut choisir le juge lorsqu'il s'agit d'imposer une peine à un condamné, ce qui ne se fait pas à la légère. Il faut maintenir ce régime.
Merci.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je tiens à vous dire que même si j'arrive de l'Université d'Oxford, je ne suis pas un présomptueux universitaire britannique venu éclairer votre lanterne. J'ai vécu au Canada pendant 35 ans. C'est un grand pays qui me manque beaucoup. Je tenais à le dire.
Je suis de près le débat sur les peines d'emprisonnement avec sursis depuis 10 ans, soit depuis la création de ce régime en 1997. Je m'intéresse tout particulièrement à la façon dont on essaie d'en limiter la portée. D'ailleurs, le premier article que j'ai écrit en 1997 parlait des façons dont on pourrait réduire la portée de cette peine.
Est-ce une bonne idée? Je vais tout de suite parler de la portée et du projet de loi , en disant que c'est peut-être une bonne idée. Je crois toutefois qu'il faut des arguments plus forts que quelques anecdotes : « Avez-vous entendu parler de la peine imposée à Windsor? Avez-vous lu l'article sur la peine d'emprisonnement avec sursis ? Il serait bon d'avoir des études approfondies sur la question. Or, il n'y en a pas. Malheureusement, nous n'en avons pas. L'exposé du CCSJ il y a quelques semaines a soulevé beaucoup de questions et apporté peu de réponses. Avant de limiter le pouvoir discrétionnaire des juges, d'une façon que je trouve très radicale, vous voudriez peut-être vous appuyer sur un dossier plus solide.
Mais supposons que c'est une bonne idée de limiter la portée du régime de l'emprisonnement avec sursis. Il faut alors se demander si le projet de loi est le bon moyen d'y arriver. Je dirais que non. Vous n'atteindrez pas l'objectif visé de limiter la portée de cette peine et vous créerez beaucoup de problèmes.
Je m'explique. D'autres témoins ont déjà parlé du premier élément et je n'insisterai pas là-dessus. Le projet de loi a lui-même une bien trop grande portée. J'ai ici le document préparé par M. MacKay, du Service de recherche de la Bibliothèque du Parlement. Si je calcule bien, il y a ici une liste de 162 infractions. C'est énorme. Si l'objectif du projet de loi est de rassurer les citoyens ou de faire en sorte que les victimes ne soient pas découragées quand cette peine est imposée, c'est sur ces cas-là qu'il faut se concentrer, et seulement ceux-là. Si vous éliminez la peine avec sursis pour l'infraction consistant à produire un document dans l'intention de frauder, je ne pense pas que beaucoup de citoyens viendront manifester sur la Colline parlementaire. C'est un plus petit groupe d'infractions qui les intéresse. Malheureusement, le projet de loi ratisse vraiment trop large.
Deuxièmement, on essaie d'éliminer les cas les plus graves, et cela par deux moyens assez curieux, je dirais. Il y a d'abord la peine maximale prévue par la loi. La peine maximale n'est pas un indice très fiable de la gravité réelle de l'infraction, comme on vient de vous le dire. Dans le rapport de la Commission canadienne sur la détermination de la peine, qui a tenu des discussions ici même il y a 20 ans, on disait que la structure des peines maximales était chaotique et devait être revue complètement. Ce n'est donc pas une bonne idée de choisir des infractions en fonction de la peine maximale qui leur est associée par la loi.
Deuxièmement, au sujet de la peine maximale, je tiens à parler de la proportionnalité. Beaucoup de personnes sont venues vous dire qu'il fallait davantage de proportionnalité dans la détermination de la peine. On dit que les juges ne tiennent plus compte de la proportionnalité. Bon. Je suis tout à fait pour la proportionnalité et je suis content que le Parlement ait codifié ce principe en 1996. Les gens semblent toutefois oublier que la proportionnalité a deux volets. Il y a d'abord la gravité du crime. Mais il y a aussi la culpabilité du contrevenant. Ce n'est pas moi qui l'ai dit, mais l'article 718.1 du Code criminel. Si vous étiquetez une infraction en fonction de la peine maximale dont elle est assortie, ou même en fonction de son nom, vous avez peut-être une idée de la gravité de l'infraction, mais aucunement de la culpabilité du contrevenant. La proportionnalité est ainsi bafouée.
La deuxième restriction se rapporte à la décision par le procureur de procéder par mise en accusation. C'est une bien mauvaise façon de faire le tri, pour deux raisons. Premièrement, la décision du procureur de procéder par mise en accusation est fondée sur le dossier qui lui est remis par la police. La preuve en dossier n'a pas été évaluée dans le cadre du processus accusatoire. Il n'y a donc qu'un côté de la médaille, si vous voulez. La version des faits qui est présentée n'a pas été contestée dans le cadre d'une procédure accusatoire. Voilà pour la première raison.
La deuxième, c'est qu'on ne saurait comparer cela avec la façon dont sera examinée la décision du procureur. Les normes d'examen pour ce genre de décision sont très élevées. Cette décision ne se fera pas en public. Vous ne pourrez pas l'examiner, cela se fera dans l'ombre. C'est l'une des choses dont on a tant parlé: rendre la justice transparente, la sortir de l'ombre.
La décision du procureur de procéder par mise en accusation est fondée sur une version des événements qui n'a pas fait l'objet d'un contre-interrogatoire, par exemple, et elle n'a pas été examinée de la même façon qu'un tribunal le ferait. La personne la mieux placée pour évaluer la gravité d'une infraction et le degré de culpabilité d'un contrevenant, c'est le juge qui détermine la peine et lui seul devrait prendre cette décision.
Cela ne signifie pas que le juge ou le tribunal ne peut pas recevoir de lignes directrices. Voilà pourquoi la démarche de présomption proposée par Paciocco et d'autres est probablement préférable.
L'autre problème du projet de loi , c'est la création d'une anomalie flagrante: on enlève l'emprisonnement avec sursis, mais on garde l'ordonnance de probation. Qu'est-ce que le citoyen est censé en penser? Le tribunal ne peut pas imposer une peine d'emprisonnement avec sursis, assortie de couvre-feu, exigeant du contrevenant qu'il se présente selon des conditions strictes et lui imposant une procédure accélérée en cas d'infraction aux conditions. Mais le tribunal pourra encore prononcer des ordonnances de probation. C'est une anomalie grave qui paraîtra très mal dans les journaux.
Je suis tout à fait d'accord avec le témoin précédent sur ce que les tribunaux feront. Dans certains cas, ils diront « avant le projet de loi , je pouvais imposer une peine d'emprisonnement avec sursis. Ce n'est plus possible, mais je ne veux pas que ce délinquant aille en prison, alors pourquoi pas une ordonnance de probation très longue? Avant le projet de loi, j'aurais imposé une peine d'emprisonnement avec sursis de six à huit mois. Alors allons-y pour une probation de trois ans. Rien ne m'empêche légalement d'imposer un couvre-feu, comme condition à l'ordonnance de probation. Je vais donc imposer un couvre-feu et demander au délinquant qu'il se présente plus souvent à son agent de probation ».
Les tribunaux feront donc des probations une nouvelle version des peines d'emprisonnement avec sursis et l'effet du projet de loi C-9 sera de perturber l'application d'une sanction de réinsertion tout à fait positive.
Dans la panoplie des peines pouvant être imposées par les tribunaux au Canada, il y a de la place pour ces deux types de sanctions. Il faut les deux.
Enfin, à mon avis, il ne faut pas gêner le pouvoir discrétionnaire des juges, à moins que cela soit absolument nécessaire. On comprend que le Parlement ait enlevé le pouvoir discrétionnaire dans le cas des infractions de meurtre, où la peine est obligatoire. Mais pour les peines de moindre importance, on se trompe en éliminant un type de peine, en disant aux juges canadiens qu'on sait mieux qu'eux quel genre de peine est approprié dans des cas particuliers. C'est comme si on retirait notre confiance aux juges, et vous devez bien être conscients de cette perception.
Merci beaucoup.
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Je suis la directrice nationale des sociétés Elizabeth Fry, et je suis heureuse d'être ici aujourd'hui en compagnie de ma vice-présidente, Lucy Joncas, qui est aussi présidente de notre comité d'action sociale.
Je veux tout d'abord vous demander de nous excuser de ne pas avoir été là plus tôt. Nous n'avions pas prévu que le ministre de la Sécurité publique allait déposer le rapport des enquêteurs correctionnels. J'ai dû suivre cette affaire, et j'espère pouvoir vous parler de deux ou trois questions que soulève le rapport déposé aujourd'hui et qui sont en rapport direct avec certaines des questions sur lesquelles vous vous penchez aujourd'hui.
Je tiens tout d'abord à saluer le peuple algonquin, qui nous accorde le privilège de nous rencontrer sur son territoire. Dès qu'il est question de justice pénale, notamment de mesures qui sont susceptibles de faire augmenter la population carcérale, nous savons que ces mesures toucheront d'une façon disproportionnée les Autochtones, comme le souligne encore une fois le rapport qu'a déposé aujourd'hui l'enquêteur correctionnel.
Vous venez d'entendre d'excellents témoins. Je vais simplement résumer notre mémoire — et je suis désolée qu'il soit encore en voie d'être traduit. J'étais à l'extérieur, et je n'ai pas pu le remettre à la greffière à temps. Je vous demande de m'en excuser. Vous l'aurez dans les deux langues officielles, je l'espère, d'ici deux ou trois jours.
En résumé, je dirais que les préoccupations que nous inspire le projet de loi ont déjà été soulevées: le fait que ce ne sont pas les mesures les moins restrictives qui devraient être offertes, comme on l'a déjà signalé; le fait qu'il n'y ait déjà pas assez de ressources communautaires; et le fait qu'une mesure comme celle-là ne fera sans doute qu'alourdir le fardeau qui pèse sur les ressources communautaires existantes, qui devront offrir des solutions de rechange, comme vient de le faire remarquer Julian Roberts, et qui devront aussi essayer d'aider ceux qui sortiront de prison à réintégrer leur collectivité après en avoir été isolé.
Nous tenons, par ailleurs, à signaler que, s'agissant des principes de détermination de la peine comme la dénonciation, la proportionnalité et la dissuasion, ce n'est pas sans raison que ce sont les juges et, dans certains cas, les jurys qui sont appelés à juger les faits. C'est parce qu'ils ont l'occasion d'entendre tous les éléments de preuve disponibles et de décider de leur importance relative. À notre avis, tout ce qui pourrait faire obstacle à ce pouvoir discrétionnaire, à la capacité des tribunaux d'entendre tous les éléments de preuve, ne peut pas être pris à la légère, et les mesures proposées en l'occurrence ne seraient pas la façon la plus efficace de procéder.
En outre, en ce qui concerne l'effet de dissuasion, il y a suffisamment d'indications — la plus récente étant, vous en conviendrez, la Loi sur les jeunes contrevenants qui, d'après la Cour suprême du Canada, montre que c'est à dessein que l'élément de dissuasion n'a pas été inclus dans la loi. Cela s'explique en partie par ce que nous savons des gens et qui a déjà été soulevé par les représentants des avocats de la défense ici présents, à savoir que, le plus souvent, les délinquants ne pensent pas à la peine qui les attend. Le plus souvent, ils ne savent même pas quelle est la peine qui les attend avant qu'ils ne commettent une infraction. Dire que la dissuasion est un principe de détermination de la peine que le projet de loi cherche à renforcer... De toute évidence, l'application de ce principe soulève déjà la controverse, et le projet de loi ne ferait qu'exacerber le problème.
En ce qui concerne la réinsertion sociale et la réparation, la jurisprudence, notamment les décisions de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Gladue et dans l'affaire Proulx, révèlent que ce n'est pas sans raison que ces principes de détermination de la peine ont été inclus dans le Code criminel et qu'il faudrait les appliquer au lieu de les abandonner en faveur de l'abrogation, comme il est proposé, des peines sursitaires pour bon nombre d'infractions.
Une des principales inquiétudes que nous inspire le projet de loi tient aux coûts humains et financiers qu'il entraînera. En effet, d'après le rapport MacKay auquel on a déjà fait allusion, le projet de loi pourrait entraîner chaque année l'incarcération de 5 500 personnes de plus.
Les services correctionnels au niveau tant provincial que fédéral estiment que chaque détenu coûte entre 50 000 $ et 250 000 $ par an, selon le niveau d'incarcération, le type de placement et l'isolement par rapport à d'autres localités. L'accroissement des dépenses publiques qui résulterait du projet de loi se situerait à tout le moins, d'après les estimations les plus prudentes, entre 275 millions de dollars et 1,3 milliard de dollars, comme le signale M. MacKay dans son rapport.
En outre, pour ce qui est plus particulièrement des femmes, nous savons que, parmi les groupes qui composent la population carcérale, c'est le groupe des femmes qui connaît l'augmentation la plus marquée.
On vient de nous dire de l'autre côté de la rue que plus de 80 p. 100 du budget du Service correctionnel sert à emprisonner les gens et que la part des services correctionnels communautaires varie entre 10 et 20 p. 100 selon le territoire de compétence. De toute évidence, ce n'est pas suffisant pour favoriser la réinsertion sociale ni, partant, la sécurité publique.
Si le groupe des femmes est celui qui connaît la croissance la plus rapide parmi les groupes qui composent la population carcérale, ce n'est pas du tout en raison du risque accru que posent les femmes. Tout le monde le reconnaît et toutes les recherches le démontrent, il n'y a pas de vague de criminalité chez les femmes dans les divers pays du monde ni au Canada, et pourtant c'est le groupe qui connaît la croissance la plus rapide.
Dans le rapport qu'il vient de publier aujourd'hui, l'enquêteur correctionnel signale que, ces dernières années, la proportion de femmes autochtones dans les établissements carcéraux a augmenté de 75 p. 100. Au Canada, le taux d'incarcération des Autochtones est maintenant de 1 024 pour 100 000 habitants, ce qui est entre sept et huit fois plus élevé que le taux d'incarcération de la population dans son ensemble. De même, les femmes sont surreprésentées parmi la population carcérale. D'après les estimations, quelque 25 p. 100 de la population carcérale sera composée d'Autochtones d'ici cinq ou 10 ans. Nous avons largement dépassé cette proportion dans le cas des femmes autochtones qui se retrouvent dans les établissements carcéraux fédéraux, où elles représentent le tiers de la population carcérale.
Ainsi, la mesure proposée réduira non pas seulement les ressources du système correctionnel en tant que telles, mais aussi les ressources communautaires déjà insuffisantes. Bien que le ministre Day ait affirmé aujourd'hui qu'il n'existe pas de données empiriques pour montrer que le système est déjà empreint de discrimination à l'endroit des Autochtones — et aussi des femmes à mon avis —, les preuves du contraire sont abondantes; il n'y a qu'à voir les chiffres que je viens de citer.
Il semble que les seules données qui aient été présentées pour justifier le dépôt du projet de loi soient des données américaines. Tous ceux à qui j'en ai parlé, tant les universitaires que les personnes qui travaillent dans le système aux États-Unis ont confirmé que, même si le taux d'incarcération est au moins six à sept fois supérieur aux États-Unis à ce qu'il est au Canada, le taux de criminalité n'a pas baissé de façon importante aux États-Unis, puisqu'il est toujours cinq fois plus élevé qu'il ne l'est au Canada.
Nous nous inquiétons de la médiatisation de certains cas exceptionnels qui semblent être à l'origine de la mesure proposée, alors que nous savons que la description qui en est donnée par les médias est rarement assez complète. Nous savons également, d'après les recherches de M. Roberts, de Tony Doob, de Cheryl Webster et d'autres, que lorsqu'on leur donne plus d'information à propos de ces cas, les Canadiens moyens, c'est-à-dire les simples citoyens, arrivent généralement à la même conclusion que les juges. Cela vaut autant pour certaines infractions graves que pour certaines infractions moins graves.
Nous vous encourageons à ne pas adopter le projet de loi ni dans sa forme actuelle ni dans une forme modifiée. Il est très clair que ce qu'il faut, c'est un investissement accru dans les ressources communautaires pour empêcher que des individus se retrouvent dans cette situation et pour aider ceux qui sont incarcérés à réintégrer la société après leur libération.
J'inviterais maintenant Lucie à dire quelques mots.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie tous nos témoins pour leurs exposés. Il va de soi que ce qui nous tient tous à coeur, c'est la sécurité des collectivités. Je crains que le nombre de projets de loi qui nous ont été présentés par le nouveau gouvernement laisse croire au public que les collectivités seront plus sûres. Ce que je crains encore plus, c'est que si ces projets de loi sont adoptés d'une façon ou d'une autre et qu'ils ne sont pas efficaces, la confiance du public dans le système judiciaire sera encore plus minée, comme cela se produit déjà pendant les discussions sur ces projets de loi, à cause de tout le discrédit jeté sur les juges, les avocats, tous ceux qui s'occupent du système carcéral. Cela n'a rien de positif.
Je voudrais vous poser des questions à tous, mais je vais me concentrer sur deux groupes de témoins, en commençant par le Conseil canadien des avocats de la défense.
Je dois d'abord vous féliciter d'avoir choisi pour trésorier un avocat du Nouveau-Brunswick, M. Lutz. Cela montre votre bon jugement.
Vous pouvez me répondre au nom de votre association, ou de votre conseil, à titre personnel ou d'après votre propre expérience d'avocat: d'après vous, vos clients contribueraient-ils mieux à la société s'ils passaient du temps en prison plutôt que d'obtenir des peines d'emprisonnement avec sursis?
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En fait, non. Je m'explique.
La durée des peines avec sursis correspond à la moitié ou aux deux tiers ou plus des peines d'emprisonnement — je veux parler ici des infractions graves, des cas d'agression sexuelle ou de voies de fait graves avec violence... Par voies de fait graves, j'entends les cas où des coups de poing sont assénés et que la victime se retrouve avec des contusions; dans ces cas-là, on n'a généralement pas recours aux condamnations avec sursis. Alors, lorsque le délinquant se voit imposer une ordonnance de sursis, il sait que, s'il ne respecte pas les conditions, le sursis va être annulé.
Avant qu'une peine avec sursis ne puisse être accordée, l'avocat de la défense doit présenter un programme, il doit dire: voici le counselling que nous proposons; le délinquant va travailler à tel endroit de telle heure à telle heure. Il sera soumis à un couvre-feu qui lui permettra de sortir de chez lui pendant sept ou huit heures peut-être — selon le nombre d'heures qu'il travaillera —, puis il doit rentrer chez lui et y rester pour la nuit. Il est détenu à domicile 24 heures sur 24, exception faite des heures où il travaille.
Qu'en est-il des étudiants? S'ils sont envoyés en prison, ils ne pourront pas poursuivre leurs études, ou bien ils ne pourront pas poursuivre les activités bénéfiques auxquelles ils auraient pu participer entre leur inculpation et le prononcé de la sentence — car il peut s'agir là d'une période cruciale. Lorsqu'ils se mettent à penser au moment où ils recevront leur sentence, cela peut les inciter à réfléchir. Comme j'ai entendu quelqu'un le dire, il n'y a rien comme la perspective d'être pendu pour vous amener à bien vous concentrer. Ils se demandent ce qu'ils vont faire du reste de leur vie.
L'avocat de la défense se présente donc avec le programme — voici le counselling proposé, et voici ce que nous allons faire; le juge examine tout cela et décide de la peine à imposer. Si le délinquant ne respecte pas les conditions, il sera mis en prison.
Les programmes qui sont offerts dans la collectivité n'existent tout simplement pas dans le milieu carcéral. Aussi le délinquant n'en ressort pas mieux qu'il était quand il y est entré.
[Traduction]
Je vais parler français.
[Français]
Dans le train qui me conduisait à Ottawa, j'ai lu le texte que vous aviez déposé au symposium qui a eu lieu à Ottawa en l'an 2000, à la suite des cinq décisions rendues par la Cour suprême.
Vous avez dit que ce projet de loi était une pure construction idéologique et qu'aucun motif rationnel ne justifiait son adoption. Vous avez fait des études poussées et vous connaissez donc bien la question.
Dans sa réprobation, la Cour suprême, selon vous, a-t-elle mentionné que le sens commun peut l'amener à dire que, dans les cas de crimes violents, où il y a peu de chances de réhabilitation et qui représentent un risque pour la collectivité, l'emprisonnement avec sursis n'est peut-être pas souhaitable?
Ma première question s'adresse à M. Roberts et à Mme Joncas. Avez-vous des statistiques, non pas du sensationnalisme conservateur, mais des données indiquant que les magistrats et les cours de justice ont utilisé à mauvais escient ou à outrance l'emprisonnement avec sursis dans des cas de crimes choquants aux yeux de la collectivité?
J'aurai deux autres questions, si le bon Dieu est bon pour moi et qu'il me reste encore du temps.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie également les témoins de leurs exposés.
Les témoignages recueillis aujourd'hui me semblent très intéressants. Nous avons beaucoup entendu parler des délinquants, de ce qui arrive une fois l'infraction commise et du manque d'équilibre, de mon point de vue, entre les droits des victimes, leurs sentiments et leur perception de la justice.
Si le gouvernement a déposé ce projet de loi, c'est en grande partie pour reconnaître la gravité de certaines infractions. En revanche, certains semblent considérer que l'ordonnance de sursis est tombée du ciel et qu'elle apporte une forme de panacée, mais ce n'est pas le cas. À l'époque où elle a fait son apparition, elle ne s'appliquait qu'à certaines infractions. Certains estiment aujourd'hui que le recours au sursis va bien au-delà de ce qui avait été prévu à l'époque. On l'accorde trop fréquemment, au détriment des notions de justice et de réhabilitation.
Je voudrais dire aux représentants du Conseil des avocats de la défense que vous avez sans doute une bonne raison de demander une ordonnance de sursis plutôt qu'une peine d'emprisonnement pour vos clients. Si vous demandiez l'emprisonnement plutôt que le sursis, vous ne garderiez pas vos clients très longtemps, parce que l'emprisonnement a un effet dissuasif. Personne ne veut aller en prison. Il est bien préférable de purger une peine avec sursis.
Nous essayons, par ce projet de loi, de trouver un terrain d'entente. J'aimerais demander aux avocats de la défense s'il y a, dans le projet de loi C-9, des infractions qui, à leur avis, ne devraient pas pouvoir faire l'objet d'une ordonnance de sursis.
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Merci. Vous avez répondu à ma question.
Il y a effectivement le groupe des victimes de la famille de l'auteur de l'acte criminel. Mais il y a aussi d'innombrables victimes qui n'ont aucun lien avec lui, et je n'ai entendu personne parler en leur nom. Je veux dire par là que les victimes de la criminalité sont en général favorables à ce projet de loi. La population dans son ensemble y est favorable. Les contribuables, les gens ordinaires qui payent la note vous le diront — je le sais parce que je parle à tout le monde —, nous paierons la facture s'il faut construire de nouvelles prisons; nous voulons que le problème soit réglé. La probation, c'est très bien...
Je suis ici depuis 13 ans et je me suis beaucoup occupé de crimes commis contre des enfants. Je suis heureux de constater l'attention que leur accorde ce groupe et les officiers de police chargés d'appliquer la loi. Je pense que la population en a assez d'entendre parler de ces criminels assignés à résidence. Je trouve étonnant de vous entendre parler de la différence entre le sursis et les rigueurs de l'incarcération. Pourtant, j'entends dire que les détenus regardent la télévision, qu'ils ont des douches, un bon lit chaud, et qu'ils peuvent aller et venir à leur guise. L'opinion concernant l'assignation à résidence, qui est pratiquement l'équivalent du sursis, me semble bien différente. Je ne sais pas pourquoi il en est ainsi, mais vous pourrez peut-être apporter une réponse ou faire un commentaire à ce sujet.
J'aimerais poser une autre question. Madame Saulis, vous avez raison de parler des causes fondamentales de la criminalité. Personne ne peut en disconvenir. Je peux vous assurer que nous sommes tous convaincus de l'utilité du sursis; dans bien des cas, tout est préférable à l'emprisonnement. Cela ne fait aucun doute. Nous en sommes convaincus.
Mais autrefois, lorsque je voyageais dans tout le pays pour le chef de notre parti, j'ai passé beaucoup de temps avec des Autochtones ordinaires de toutes les régions du pays et j'ai fréquenté la coalition de l'imputabilité, qui est gérée par des femmes autochtones. Lorsqu'il était question de dispositions comme l'article 718, je crois, j'entendais très souvent dire: « Pourquoi la justice nous traite-t-elle comme des citoyennes de deuxième classe? Pourquoi n'impose-t-on pas des peines plus lourdes à ceux qui s'en prennent à nous, qui sommes généralement d'origine autochtone? Pourquoi leur accorde-t-on tant d'attention? »
Voyez-vous, il y a bien des questions qui sont posées par des gens dont nous n'entendons jamais parler, par les garçons et les filles, les hommes et les femmes qui sont victimes de ces actes criminels.
Monsieur Bloos, je comprends le problème de la famille. C'est sans aucun doute une situation regrettable.
Mais on nous ramène toujours les mêmes arguments. On nous dit: « Il faut s'en prendre aux causes fondamentales de la criminalité, on veut une possibilité de réinsertion, on veut tout cela. Mais vous, qui faites partie du comité de la justice, vous arrivez avec une loi qui laisse de côté les causes fondamentales de la criminalité, etc. » Mais que faites-vous de celui qui s'écarte du droit chemin. Moi, je suis convaincu que pour la population, le projet de loi est un pas dans la bonne direction.
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Je pense que M. Thompson et moi-même ne voyons pas la chose du même oeil. Ce qu'on nous dit aujourd'hui, c'est que quand on donne aux citoyens tous les renseignements et qu'on leur demande quel type de peine ils imposeraient, leur sentence se rapproche beaucoup de celle qui a été imposée par le juge. Si on commence à adopter des lois au Canada en fonction du sensationnalisme étalé dans les journaux, il faut mieux renseigner la collectivité. On ne cesse de nous répéter que la dissuasion n'empêche personne de commettre des crimes. La plupart de mes clients ne réfléchissent pas. Beaucoup d'entre eux sont des jeunes qui ont agi stupidement et qui doivent maintenant en payer le prix, du fait qu'ils sont condamnés et qu'on leur inflige une peine.
Je dirais la même chose que mon collègue du milieu autochtone. Dans le Nord, ces délinquants restent dans leur collectivité. Ils travaillent avec les aînés. Ils s'instruisent, suivent une cure de désintoxication et apprennent à respecter les femmes, puisque c'est l'un des grands problèmes dans le Nord, le fait que les hommes ne respectent pas les femmes. Tout cela se fait dans le contexte d'un emprisonnement avec sursis. S'ils sont incarcérés, ils ne sont plus dans leur collectivité. Ils ne sont pas confrontés à leurs problèmes. Ils ne travaillent pas avec les aînés et n'apprennent rien. À leur retour, ils ne sont pas meilleurs qu'à leur départ.
Quand on parle de cette ordonnance, il ne s'agit pas de savoir ce que souhaite la collectivité. Je voudrais bien que la collectivité soit bien renseignée, pour pouvoir ensuite l'écouter, puisque ce dont vous avez parlé représente un faible pourcentage des peines pour lesquelles on a donné des statistiques au comité. Je comprends que les peines dont nous parlons dans le projet de loi ne représentent que 3 p. 100 des peines infligées chaque année au Canada. Il y a 5 p. 100 de peines d'emprisonnement avec sursis, ou quelque chose comme ça, peut-être 8 p. 100, et il y a aussi les peines plus longues pour ces catégories d'infractions, soit environ 3 p. 100.
On n'a pas à réparer l'appareil s'il n'est pas en panne, comme je l'ai déjà dit. Je pense que tout fonctionne très bien. Nous avons un bon système judiciaire au Canada. Tous les jours, les juges font de leur mieux pour trouver la bonne solution, dans chaque cas. Des erreurs sont parfois commises. C'est alors que j'interviens. Je fais appel. Mais ils essaient vraiment de trouver la bonne solution. Ils lisent les journaux, ils écoutent les plaintes de leurs voisins. On parle constamment dans les journaux des peines légères données à tel ou tel délinquant. Ils en sont bien conscients. Ils essaient de rendre justice dans chaque cas, en fonction des renseignements qui leur sont fournis.
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Je crois qu'il y a d'autres mécanismes. On a déjà recouru à la probation et à d'autres solutions. Mais en réalité, l'emprisonnement avec sursis est maintenant bien ancré dans notre système et c'est l'option qui est la plus probablement retenue pour les cas les plus graves, comme ceux que nous avons vus dans les collectivités autochtones et les collectivités du Nord qui voulaient ce genre de mesures. Voilà pourquoi on y a recours davantage et Jolene peut me corriger si j'ai tort, c'est dans ces cas-là que nous pouvons écouter l'avis des aînés et d'autres membres des collectivités où le prédateur...
Les gens des services de probation nous ont étonnés en parlant de centaines de cas de ce genre. Nous ne sommes pas au courant de centaines de cas de sévices sexuels contre des enfants, dont le contrevenant fait l'objet d'un emprisonnement avec sursis. Je voudrais bien voir les statistiques, moi aussi.
Ce qui se passe, en fait, particulièrement dans le Nord et dans les collectivités autochtones, c'est que les aînés, qui ont droit au respect de leurs concitoyens, se font demander leur soutien et leur avis au sujet de la détermination de la peine. S'ils disent qu'un tel est là depuis quelque temps et qu'il ne peut pas rester, il ne sera pas accepté par sa collectivité et il ne pourra pas y purger son emprisonnement avec sursis. Il y a donc une élimination préalable.
Certains avocats demanderont l'emprisonnement avec sursis pour ces délinquants, et ils l'obtiendront, dans quelques cas. Je présume que des conditions très strictes leur sont alors imposées et qu'ils ne peuvent probablement pas rester dans leur propre collectivité, d'après ce qu'on m'a raconté.
Bien entendu, il y a des préoccupations. Les groupes de femmes, le nôtre comme celui des associations de femmes autochtones, ont exprimé des préoccupations au fil des ans au sujet de l'indulgence dont on fait preuve dans certains cas de violence misogyne.
Le fait qu'il y ait une discrimination systémique existante dans l'appareil judiciaire et que certains juges aient des préjugés, cela n'a rien de nouveau. Il y a eu de nombreux rapports sur la justice autochtone qui l'ont confirmé. Il reste qu'une élimination arbitraire de l'emprisonnement avec sursis, dans le cadre du projet de loi , ne réglera pas le problème, bien au contraire.
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Ma question s'adresse à M. Bloos ou à M. Rady. Il y a un problème que j'essaie de m'expliquer. Vous dites que c'est plus facile d'utiliser les peines avec sursis. Or, à Montréal, présentement, il y a des gangs de rue. Tout à l'heure, j'ai entendu quelqu'un mentionner que les criminels ne connaissent pas la loi. Ils se servent de jeunes âgés de moins de 14 ans parce qu'ils savent que la punition sera moins sévère. Donc, les jeunes servent à faire le trafic de la drogue, et cela se propage dans toutes les rues de Montréal. Il y a même un représentant du Bloc qui a écrit un livre spécifiquement sur ce sujet. La situation est devenue endémique.
Pourtant, dans la vente de drogues, il n'y a pas de violence. On fait seulement des transactions, etc. Par contre, cela mène à la prostitution, au vol, aux attaques à l'endroit de personnes âgées, etc. Je sais que, effectivement, on tend à surprotéger les prévenus, mais moi, je parle au nom des victimes, car il y en a beaucoup plus que vous ne le croyez, par exemple les gens qui tombent dans la drogue et la prostitution. À Québec, nous avons connu cela pendant deux ans et c'était effrayant. Je ne vous souhaite pas de passer par là. Tout le système était contaminé.
Vous dites qu'il y a une surreprésentation de personnes d'origine autochtone. On sait très bien que la plupart des Autochtones — Mme Saulis l'a dit tout à l'heure — n'ont pas beaucoup d'argent, qu'ils sont très pauvres. Vous travaillez avec des mandats d'aide juridique. Quelle réaction avez-vous dans le cas d'un mandat d'aide juridique? La première consiste à plaider coupable parce que c'est plus rapide que de faire un procès. Alors, beaucoup d'Autochtones se retrouvent en prison parce que les montants consentis par l'aide juridique ne sont pas allez élevés pour vous permettre de les défendre.
J'aimerais vous entendre à ce sujet.
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Je peux peut-être répondre.
Je travaille beaucoup pour l'aide juridique. Je représente de nombreux Autochtones qui passent par l'aide juridique ou qui acquittent eux-mêmes mes honoraires. Je ne fais aucune différence entre les deux catégories dans la façon dont je les traite.
Le problème, apparemment, c'est que tous ceux qui consultent un avocat criminaliste s'attendent à ce qu'il les représente en justice, qu'eux-mêmes aient choisi de plaider coupable ou de demander un procès. Ils bénéficient tous de la présomption d'innocence.
En ce qui concerne la surreprésentation des Autochtones, il y a deux réserves à proximité de London, dont je suis originaire, et les Autochtones sont surreprésentés dans la mesure où, par rapport à l'ensemble de la population, ils sont plus nombreux que les non-Autochtones à être accusés d'une infraction. Je ne sais donc pas comment répondre à cette question, car il semble qu'au départ, les accusés autochtones soient très nombreux. Évidemment, en un sens, je représente plus d'Autochtones — puisqu'il font partie de l'ensemble de la population — que de non-Autochtones. Je ne sais pas si cela répond véritablement à votre question.
Quant à ce que nous sommes sensés faire, il ne s'agit pas simplement de conclure une entente. C'est parfois le cas, mais il faut en toute circonstance veiller à ce que l'accusé soit traité équitablement par la justice. Et c'est ce que nous essayons d'obtenir dans tous ces cas. C'est à l'avocat de la défense de déterminer s'il faut opter pour le procès ou le plaidoyer de culpabilité, d'essayer d'obtenir une sentence moins lourde, qui soit équitable et juste pour l'accusé.
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J'ai trouvé très intéressante la discussion qui s'est déroulée ici cet après-midi.
J'étais peut-être déjà arrivé à cette conclusion avant d'assister à la séance d'aujourd'hui, mais cette séance ne fait que la confirmer, à savoir que nous savons tous que ce projet de loi n'élimine pas la peine d'emprisonnement avec sursis. Cela n'a jamais été l'objectif visé. Il serait faux de prétendre le contraire.
La portée des dispositions de ce projet de loi va nettement au-delà de toute approche rationnelle en vue de concevoir un régime de détermination des peines parce qu'elle inclut entre autres l'utilisation non autorisée d'un ordinateur — je le répéterai — le vol de bétail. Le président a signalé qu'une infraction terroriste mettant en cause une vache et nous mettrait dans une situation vraiment sérieuse.
Cet aspect me dérange de même que les critères. Autrement dit, l'utilisation du critère d'une peine maximale de 10 ans est loin d'être raisonnée, au point d'en devenir irrationnelle, compte tenu de la liste des peines maximales prévues par le Code criminel.
Nous nous trouvons donc dans une situation très difficile parce qu'on s'attend à ce que nous soyons raisonnables et rationnels lorsque nous concevons des lois et que nous en assurons l'application. Je considère que la seule façon de s'en tirer, c'est de rejeter le projet de loi. Pourtant, la population semble vouloir un projet de loi. Certaines personnes veulent se débarrasser de la peine d'emprisonnement avec sursis, mais le gouvernement ne le fera pas et je ne veux pas le faire pendant que je suis dans l'opposition, et que les spécialistes du domaine disent tous qu'il ne faut pas le faire.
J'aimerais poser la question suivante à M. Roberts. Existe-t-il une solution miracle? Je sais que vous avez fait certaines suggestions. Existe-t-il une solution simple ou rapide qui nous permettrait de présenter une mesure raisonnée afin que les juges la comprennent et que le public puisse constater un changement qui répond aux besoins politiques qui existent tout en permettant aux collectivités autochtones de poursuivre le bon travail qu'elles ont fait en matière de détermination des peines et atteindre certains des autres objectifs visés?