L'Association du Barreau canadien reconnaît que le public a intérêt à ce que les activités d'exécution de la loi soit bien financées. L'Association du Barreau canadien reconnaît aussi l'importance de la sécurité publique. Cependant, l'Association du Barreau canadien reconnaît que le respect des droits constitutionnels et du principe de la primauté du droit est à la fois critique et primordial.
Selon nous, les articles 25.1 à 25.4 ne cadrent pas avec le principe de la primauté du droit. Il y a un risque d'abus. Et comme vous le savez très bien, ces dispositions permettent à un agent de police de commettre une agression. Or la marge est étroite entre une agression ordinaire et une agression qui cause des lésions corporelles. Les inquiétudes sont plus vives à l'heure actuelle étant donné le recours aux agents et l'insuffisance des mécanismes actuels de responsabilisation.
Au moment de nous prononcer sur le projet de loi C-24, nous avons justement fait part de nos diverses inquiétudes, entre autres le fait que le projet de loi ne se bornait pas aux infractions liées au crime organisé ou au terrorisme. Nous avons toujours cette inquiétude. Les dispositions actuelles visent l'application de toute loi du Parlement.
Nous continuons d'être très préoccupés par le principe de la primauté du droit. La Cour suprême a clairement indiqué que la fin ne justifie pas les moyens, qu'il est possible que la preuve ou les condamnations soient obtenues à un prix trop élevé, et que les opérations policières ou celles visant à faire respecter la loi font tout de même l'objet de certaines limites inhérentes. À cet égard, l'ABC continue d'avoir les mêmes préoccupations.
À notre avis, l'article 25.1 est contraire à la primauté du droit et mine l'intégrité de l'administration de la justice ainsi que la confiance du public dans l'administration juste et correcte de la justice, en fermant les yeux sur des infractions intentionnelles et calculées, perpétrées par des agents de l'État. Nous recommandons que ces dispositions soient abrogées intégralement ou qu'à tout le moins, elles soient modifiées de façon à ne viser que les fonctionnaires publics, plutôt que les agents.
Si ces articles ne sont pas abrogés, nous recommandons que le recours à ces dispositions dépendent de l'obtention d'une autorisation judiciaire préalable. De plus, nous recommandons qu'il soit obligatoire de présenter des rapports et de tenir des registres plus détaillés, de sorte que les exigences en matière de tenue de dossiers reposent sur la transparence et une surveillance appropriée.
S'agissant de la primauté du droit, il ne suffit pas de demander simplement s'il existe une loi permettant la commission de certains actes au nom de l'État ou de ses agents. Cette question est justement étroitement liée à celle de la primauté du droit. Mais selon le principe de la primauté du droit, il faut aussi examiner en profondeur la teneur de la loi. La loi est-elle juste? Est-elle équitable? Respecte-t-elle les normes constitutionnelles? Prévoit-elle des mécanismes suffisants de contrôle et de surveillance par rapport aux techniques d'enquête?
Quand on a recours aux articles en question pour faire une enquête ou réunir des preuves contre une personne, les droits individuels, qui sont protégés par l'article 7 de la Charte des droits, sont en cause. Cependant, les méthodes d'enquête en question dépassent de loin les droits individuels ou les intérêts du particulier. Tous les citoyens canadiens ont intérêt à bénéficier d'activités policières efficaces, d'une société sécuritaire, du respect du principe de la primauté du droit, et d'un système de responsabilisation qui vise la police.
S'agissant du recours à des agents non policiers ou autres, si cela nous inquiète, c'est parce qu'il n'est pas possible de contrôler efficacement les personnes de ce genre. Qu'on parle de l'expérience des citoyens ordinaires ou des tribunaux, il est notoire que de tels agents sont souvent des criminels eux-mêmes, comme l'a fait ressortir un jugement de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, qui indiquait que les informateurs ou agents sont souvent des personnes de caractère douteux qui participent aux opérations mêmes qui font l'objet de l'enquête proposée, et que pour cette raison, il faut absolument se montrer sceptique vis-à-vis des renseignements fournis par de telles personnes.
Selon nous, les agents de police peuvent décider un peu trop facilement de ne pas respecter les contraintes de la loi ni aucune autre instruction donnée par un agent de police, et l'attitude sceptique dont a parlé la Cour d'appel de la Colombie-Britannique à l'égard des renseignements fournis par un agent doit également s'appliquer à une situation où il convient de déterminer si l'agent acceptera de respecter volontairement et rigoureusement les instructions d'un agent de police.
Nous trouvons préoccupant que l'on puisse avoir recours à cet article sans obtenir au préalable une autorisation judiciaire indépendante. Le Code criminel prévoit l'obtention d'une autorisation pour le recours de nombreuses techniques d'enquête, y compris l'interception de communications privées, les mandats de perquisition, les mandats d'ordre général, les ordonnances de production, les mandats pour le prélèvement de substances corporelles servant aux analyses de l'ADN, les mandats permettant de prendre des empreintes, comme des empreintes des pieds et des mains, ou les dispositifs de repérage. Dans tous les cas que je viens de citer, il faut obtenir au préalable une autorisation judiciaire.
L'importance constitutionnelle de cette obligation -- car en réalité, il s'agit d'une exigence constitutionnelle -- a été reconnue par la Cour suprême du Canada, qui a statué, dans l'affaire Hunter c. Southam, que c'est seulement lorsqu'il est démontré que l'intérêt de l'État est supérieur à l'intérêt de la personne que l'on peut avoir recours à certaines techniques d'enquête, et que la personne qui prend cette décision doit au moins être en mesure d'agir de façon judiciaire, ce qui signifie que cela doit passer par un fonctionnaire judiciaire indépendant.
Selon nous, les fonctions d'un agent de police sont telles qu'il lui est impossible, comme l'exige la Constitution, d'assurer l'équilibre objectif et délicat qui est nécessaire entre des intérêts opposés. Le fait est qu'un agent de police n'est pas un fonctionnaire judiciaire indépendant et ne devrait donc pas être appelé à prendre des décisions concernant l'application de ces dispositions.
Nous avons également certaines inquiétudes en ce qui concerne les exigences de rapports, qui nous semblent insuffisantes. À la page 4 de la lettre qui vous a été fournie, je fais allusion à un extrait d'un rapport annuel de la GRC, qui dit ceci :
Dans un cas, la GRC faisait enquête sur un réseau de distribution de drogues. Des actes ou omissions justifiés qui constitueraient par ailleurs des infractions aux dispositions du Code criminel ayant trait à la possession de biens volés, au vol de plus 5 000 $ et au complot dans un but de commettre un acte criminel, ont alors été commis.
Cette description est tout simplement insuffisante. Il est impossible de connaître la nature du réseau de distribution de drogues en question et de savoir ce qu'on entend par l'expression « actes ou omissions » relativement à un vol de plus 5 000 $ ou à un complot dans le but de commettre un acte criminel.
On ne peut effectuer un examen valable et garantir la responsabilisation que si les rapports fournissent suffisamment de détails pour permettre de comprendre ce qui s'est produit et si cela répond aux exigences législatives et constitutionnelles.
À notre avis, de tels rapports doivent fournir au moins une brève description de l'infraction ou des infractions qui font l'objet de l'enquête et de l'acte ou de l'omission commis par l'agent de police, ainsi qu'une brève description de l'acte ou de l'omission concerné. De plus, le rapport devrait indiquer si l'enquête s'est soldée par le dépôt d'accusations contre une personne. Cette information est importante pour permettre de savoir si l'usage qu'on fait de ces dispositions est valable ou non. Si l'on a recours à ces dispositions alors qu'il n'en résulte jamais une inculpation, on peut raisonnablement se demander pourquoi c'est le cas.
Enfin, nous recommandons que le suivi parlementaire soit effectué tous les trois ans pour garantir la responsabilisation en permanence. Nous croyons savoir qu'aucun tribunal n'a encore eu l'occasion d'examiner ces dispositions ou les circonstances dans lesquelles on y a recours. Les opinions d'un tribunal seront d'un intérêt certain pour tout examen futur des articles en question.
Merci.
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Je vais suivre la suggestion de M. Lee avec plaisir.
D'abord, nous abondons dans le même sens que l'Association du Barreau canadien. À la Ligue des droits et libertés, on a passablement les mêmes préoccupations et on se retrouve encore devant la même structure juridique, qui, malheureusement, n'est pas très connue de la population. Très peu de gens connaissent l'article 25.1 du Code criminel. Je suis certain que personne dans la rue, aucun de vos commettants, ne vous a déjà demandé où en est l'évolution de cet article du Code criminel.
Je vous demande d'imaginer l'hypothèse suivante. Imaginons un pays ou un État sans nom où la loi permettrait aux forces de l'ordre de commettre des voies de fait, de faire de l'écoute électronique et une série d'infractions violentes, comme les menaces, l'enlèvement, la prise d'otage, la séquestration, des perquisitions qui, en fait, deviennent des introductions par effraction pour commettre un vol, et j'en passe beaucoup. Les policiers jouiraient d'une immunité. Cela constituerait une justification pour des fins d'enquête. Imaginez que dans cette société, on respecte les droits de la personne, mais que cette loi existe toujours et que la possibilité existe toujours qu'on y ait recours, compte tenu de la façon dont elle est rédigée.
C'est la situation devant laquelle on se trouve. On a beau croire que les policiers sont généralement de bonne foi, on ne pourra jamais oublier, particulièrement au Québec — je l'espère du moins —, l'époque des années 1970, alors que des agents de la GRC ont incendié des granges, volé des listes de partis politiques et commis plusieurs crimes qui ont mené à l'enquête que vous connaissez, la Commission MacDonald des années 1980.
On n'oublie pas non plus que dans les années 1980 et 1990, un type du nom de Boivin était à la CSN et travaillait en même temps pour le SCRS. Il avait incité un de ses collègues syndiqué à faire sauter un hôtel près du Saguenay—Lac-St-Jean, dans la région située au nord de Québec. Évidemment, le SCRS n'était pas d'accord quant aux gestes commis, mais on peut se retrouver dans des situations similaires très rapidement.
J'ai oublié un aspect important: imaginez un pays où on peut commettre tous ces actes sans qu'il y ait de contrôle judiciaire. À cet égard, la Ligue des droits et libertés abonde dans le même sens que le Barreau canadien : une autorisation judiciaire est absolument nécessaire pour poser de tels actes. On ne peut pas faire d'écoute électronique sans autorisation judiciaire et sans qu'il y ait des conditions préalables sévères, c'est-à-dire sans avoir fait la démonstration que d'autres moyens d'enquête ont été tentés et qu'il n'y a aucun autre moyen d'arriver à faire aboutir l'enquête, etc., et avoir un mandat pour un temps déterminé. Il s'agit ici de la vie privée, donc, le juge émet un mandat.
On peut se demander ce qui se passera quant à l'article 25.1. Un policier infiltrateur ou un agent double pourrait-il faire de l'écoute électronique pour renforcer son image auprès du milieu criminel? Un policier pourrait-il se permettre de commettre des voies de fait en série, de faire des vols pour, encore une fois, renforcer son image d'infiltrateur? Jusqu'à quel point un policier saisira-t-il la nuance entre des voies de fait simples, des voies de fait avec lésions, etc.? Qu'arrivera-t-il dans les cas où des voies de fait simples deviendront des voies de fait avec lésions ou des voies de fait graves?
On sait très bien, comme avocats, que des voies de fait simples peuvent, à la suite d'un incident, devenir des voies de fait graves. Cela peut parfois aller même plus loin. On sait aussi qu'il y a un principe en droit criminel en vertu duquel on prend la victime comme elle est.
Dans ces situations, on trouve qu'il est extrêmement dangereux qu'on permette aux policiers de commettre des infractions contre l'intégrité des personnes. On trouve très dangereux aussi et très inquiétant que les personnes ne soient pas avisées lorsque leurs biens ne sont pas détruits. En effet, la personne qui est victime de menaces de séquestration n'est pas avisée par la police et ne portera pas plainte à son avocat ou à un juge, parce qu'elle ne sait pas que c'est un policier qui a posé ce geste.
Le policier qui s'introduit par effraction, qui fait un enlèvement ou une séquestration ne porte pas un insigne de policier. C'est souvent fait par un policier en civil qui s'est infiltré dans un groupe criminel et qui veut se faire une réputation en vue d'établir une preuve.
Je ne vous lirai pas mon mémoire au complet. Il ne compte que cinq pages, mais le Barreau en a couvert une grande partie. Je vais quand même aborder un autre thème, celui de l'indemnisation. Il est quasi impossible pour une victime, c'est-à-dire une personne dont le bien a été détruit ou une victime d'une agression physique de la part d'un policier habillé en civil qui a commis un acte criminel, d'intenter une poursuite. D'abord, il arrive souvent que la victime ne le sait pas. De plus, si elle n'a pas les moyens financiers de le faire, il est illusoire de croire que cette personne pourra passer par tous les stades afin d'être indemnisée.
Si le Parlement décide de renouveler la loi, il faudra absolument qu'il y ait un mécanisme automatique d'indemnisation des victimes. Si le Parlement décide de renouveler la loi, des autorisations judiciaires seront nécessaires, de même qu'un mécanisme de contrôle externe, autrement dit un mécanisme de contrôle juridique impartial, ainsi qu'une responsabilité politique. Cela pourrait prendre la forme d'un comité de députés qui siégerait à huis clos, mais il faudra qu'il y ait une responsabilité politique en vertu de laquelle on pourra examiner en détail ce que les policiers ont fait.
Je vous ai remis un texte de Mme Shirley Heafey dans lequel elle explique très clairement que même les mécanismes existants de la GRC ne sont pas efficaces. Ils sont inadéquats face à la réalité, surtout face à la réalité actuelle. Ils le sont encore plus lorsqu'il s'agit d'infractions dont presque personne ne sait qu'elles sont commises par des agents de l'État.
Lorsque je parle d'une audience à huis clos, je peux admettre que le huis clos soit parfois nécessaire, mais l'essentiel du travail du comité devra être public, puisque le public doit savoir ce que font les policiers. En fait, au cours des dix prochaines années, il serait aussi dangereux pour l'image de la police que l'on ne sache pas ce que les policiers ont fait que d'apprendre au fur et à mesure quels types d'infractions ils ont commis et le détail des raisons pour lesquelles ils agissent comme ils le font et, comme le dit mon collègue, quels sont les résultats des gestes qu'ils posent.
Nous vous faisons une autre suggestion. Si les rapports sont faits par tous les solliciteurs généraux de toutes les provinces et par le solliciteur général du Canada, on suggère qu'un rapport pancanadien soit rédigé qui inclurait les rapports de toutes les provinces, parce qu'un individu qui veut savoir qui a fait quoi doit s'adresser à chacune des provinces. Depuis quelques années, on fait face à des équipes intégrées, des task forces, dans lesquelles on retrouve des policiers municipaux, provinciaux, fédéraux, des agences fédérales — puisqu'on ne parle pas seulement de policiers mais aussi d'agences — et des agences étrangères, dont le FBI, généralement, et sûrement la CIA. L'enquête Arar l'a assez bien démontré jusqu'ici.
Alors, dans ces task forces qui agissent ensemble, qui fait quoi sous l'ordre de qui? Dans ces cas, il est important d'avoir un rapport qui trace le portrait de l'ensemble de la situation.
Il ne me reste plus beaucoup de temps, mais finalement, je vais aborder une question qui vous surprendra: la torture. Cela va vous étonner, mais l'infraction de torture qui existe dans le Code criminel est similaire à l'infraction de torture qu'on retrouve dans la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, que le Canada a signé en 1987. L'infraction de torture n'est pas exclue de l'immunité accordée aux agents de l'État. L'essence de la définition de la torture est qu'elle est commise par un agent de l'État. Tous les policiers à qui j'en ai parlé m'ont répondu ne pas pouvoir faire de torture parce qu'ils ne peuvent pas commettre de lésions.
Selon notre définition, il s'agit là d'une mauvaise interprétation du mot « torture ». Je ne parle pas de la définition de Washington, mais de la nôtre. Nous croyons à cet égard qu'il n'est pas nécessaire d'infliger des blessures. Une voie de fait avec lésions nécessite la présence de blessures qui ne sont ni permanentes ni légères. Notre définition de la torture se fonde sur la présence d'une douleur aiguë.
En effet, il est possible de faire subir une douleur ou une souffrance aiguë à un individu sans lui infliger quelque blessure que ce soit. L'imagination humaine et les techniques sont assez développées. On n'a qu'à penser aux cas où l'on a recours à la limitation sensorielle, où l'on enferme une personne en la privant de lumière, où l'on fait perdre à l'individu toute notion du temps ou qu'on a recours à de la musique. Vous n'avez qu'à penser à Guantanamo. Toutes les techniques ont été développées de façon très pointue, de façon à faire souffrir les individus sans que cela occasionne des blessures. L'image caricaturale du policier et de son annuaire téléphonique nous vient naturellement à l'esprit. Or, c'est un peu le même principe. Cependant, c'est face à une technologie beaucoup plus raffinée que nous nous trouvons aujourd'hui.
Dans ce sens, la torture serait possible sous le couvert de l'article 25.1. Il y a maintenant un débat, à savoir si c'est inclus dans les voies de faits avec lésions. C'est un débat intéressant sur le plan juridique, mais il faut penser au policier à qui on dirait qu'il n'y a pas de torture lorsqu'il n'y a pas de blessure. Il pourrait alors faire souffrir un individu pour l'intimider, étant donné que l'intimidation est permise. Il pourrait supposément le faire sans qu'il y ait de torture. Or, c'est absolument faux. On envoie un message erroné aux policiers, qui ne sont pas des juristes.
Pour conclure, je voudrais souligner que cette loi comporte deux problèmes majeurs. Nous répétons ce que nous avions dit en 2001. À l'époque, la Ligue des droits et libertés s'était opposée à la loi. Elle a comme effet d'encourager la loi du silence chez les policiers et, surtout, de banaliser la torture et la violation des droits fondamentaux à l'échelle mondiale. Le fait d'octroyer une telle immunité aux forces de l'ordre est très préoccupant. L'égalité devant la loi pour tous, sans exception, est un principe fondamental de la règle de droit, et elle est essentielle à l'existence même d'une société démocratique.
À l'instar du Barreau, nous demandons donc le retrait de l'article 25.1.
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Si c'est vrai -- autrement dit, que la police doit pouvoir recourir à de telles méthodes -- il est de loin préférable de les codifier, plutôt que de permettre aux agents de décider eux-mêmes, sur le moment ou de façon improvisée, quelles méthodes s'imposent dans les circonstances. Il n'y a aucun doute à ce sujet, et ces dispositions représentent une tentative manifeste pour codifier les pratiques actuelles.
Il reste que le Code criminel est rempli de dispositions qui autorisent les agents de police à employer certaines méthodes pour atteindre certains objectifs. À mon sens, cela ne peut se comparer à la commission de certains actes en vue d'arrêter quelqu'un qui seraient autrement considérés comme une agression. Il s'agit plutôt de techniques d'enquête qui peuvent comprendre le recours à un mandat de perquisition ou l'écoute électronique, et ces méthodes sont employées au préalable dans le cadre d'un plan bien précis, si bien qu'il arrive rarement qu'on décide d'y avoir recours sur le moment.
Par conséquent, si les dispositions ne sont pas abrogées -- et je reviendrai là-dessus dans quelques instants, il n'y a pas de raison de ne pas prévoir l'obtention d'une autorisation judiciaire au préalable. Une autorisation judiciaire préalable est exigée à l'égard de toutes les techniques d'enquête que j'ai mentionnées tout à l'heure, et cela ne compromet aucunement l'application rigoureuse de nos lois. Au contraire, cette obligation permet de mieux administrer les lois. Donc, cette obligation devrait exister dans ce contexte.
Évidemment, la question de la nécessité est toujours épineuse. Qu'est-ce qui est nécessaire pour permettre d'appliquer les lois de façon juste et efficace? L'exécution juste de nos lois signifie que les activités qui y sont associées seront conformes aux normes de notre société, en ce qui concerne la moralité et le respect de la personne humaine, ainsi qu'au principe de la primauté du droit. Est-il nécessaire, ou les données actuelles -- qu'on peut évidemment analyser -- démontrent-elles que le maintien de l'ordre ou la répression de la criminalité sont actuellement compromis en raison de l'absence de ces dispositions?
À mon sens, il est difficile de faire cette évaluation. Par contre, une façon de la faire serait de se demander ceci: trois ans plus tard, il y a eu combien d'inculpations? Combien de fois a-t-on eu recours à ces dispositions législatives et combien de personnes ont fait l'objet d'accusations devant un tribunal? Une fois qu'on possède cette information-là, on peut chercher à déterminer, s'il n'y a pas eu d'inculpation dans chaque cas où l'on a eu recours à ces dispositions, et pourquoi il n'y en a pas eu? Voilà qui va nous permettre de porter un jugement sur la question de la nécessité.
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D'abord, nous avons beaucoup de réticence, à la Ligue des droits et libertés, à l'idée d'obtenir un mandat judiciaire pour tout ce qui concerne les crimes contre la personne. Nous avons de grandes réticences à l'idée qu'un juge pourrait, de façon judiciaire, autoriser des voies de fait, des séquestrations, des prises d'otage, etc.
Cependant, nous avons moins de difficulté à accepter l'idée d'un mandat judiciaire, par exemple — ce n'est qu'une hypothèse — pour pouvoir pincer quelqu'un qui voudrait comploter dans le but de faire la vente de nitrate d'ammonium. Je pourrais également vous citer tous les crimes contre les biens ou tous les autres crimes, que ce soit le jeu, la fraude, etc., qui ne sont pas des crimes contre la personne.
Alors, comme nous le disons dans notre mémoire, nous demandons que les infractions contre la personne soient retirées. C'est un choix de société que nous vous demandons de faire. Est-ce que l'intégrité des personnes passe avant les outils qu'on donne aux policiers?
En effet, les voies de fait pourraient peut-être s'avérer des outils utiles aux policiers, tout comme la torture. Cela paraît cynique, mais je le dis froidement: la torture pourrait, dans certains cas, être un outil. Mais j'en doute, parce que la torture nous mène toujours au mensonge des personnes qu'on veut arrêter. Ce n'est pas parce qu'il y a des outils qui peuvent faciliter les tâches qu'ils sont acceptables. Selon nous, tout ce qui touche l'intégrité de la personne est inacceptable. La vie privée, c'est une autre chose. Dans certains cas, comme l'écoute électronique, si elle est bien dirigée et si le policier doit faire un rapport par la suite, cela pourrait être acceptable, en effet.
Comme le disait mon collègue, on donne tranquillement des paramètres aux policiers et à leurs agents pour agir. On leur donne en quelque sorte un corridor à l'intérieur duquel ils peuvent agir.
Merci de votre présence. Je suis très heureux de pouvoir profiter de votre expérience et de vos opinions.
Je vais commencer par vous dire là où vos propos ne m'ont pas convaincu, et dans quel domaine j'estime qu'il y a lieu d'étudier la question plus en profondeur.
Je ne suis pas tellement convaincu par ce qui a été dit tout à l'heure, et par cette simple répétition des mêmes arguments déjà avancés. Comme l'a dit M. Thompson à une réunion précédente, s'il n'y a pas de problème, pourquoi décider de changer le régime actuel? D'après mon souvenir, nous n'avons pas vraiment reçu de témoignages jusqu'à présent indiquant qu'il existe des problèmes. Par contre, il a été question à une réunion précédente -- l'un d'entre vous en avez parlé -- de procéder à un autre réexamen après celui-ci, étant donné que nous n'avons pas encore tellement de données. Je suis assez favorable à l'idée de refaire l'exercice dans trois ans ou cinq ans, selon ce qui aura été décidé.
Je crois qu'il existe le risque, au début et à la fin du processus, que l'on enfreigne les droits civils. Pour le moment, je ne suis pas convaincu qu'il faille faire cela au début de l'opération, comme je l'ai d'ailleurs dit à d'autres réunions, parce que le processus de noyautage par les criminels organisés est vraiment insidieux et je ne voudrais pas qu'ils aient d'autres possibilités de savoir ce qui se passe.
Pour ce qui est de faire un rapport à la fin du processus, j'avoue que mon opposition est la même. De bons renseignements les aident à se préparer, mais nous ne savons pas combien de personnes sont désignées. La plupart des activités ne peuvent être consignées dans le rapport, si bien que nous ne savons pas grand-chose sur ce qui se fait.
Monsieur Barrette, j'ai trouvé intéressante votre idée d'un comité parlementaire qui se réunit à huis clos. L'autre idée qui m'a plu était celle d'un rapport consolidé, étant donné que nous sommes obligés de nous adresser à tous les organismes au Canada -- je crois que nous avons rencontré cette même difficulté lors d'une réunion antérieure -- à tous les paliers de gouvernement, ainsi qu'à toutes les forces policières, pour obtenir leurs rapports. Cela représente pas mal de travail.
Par conséquent, s'il nous était possible de progresser un peu plus en convoquant une réunion de parlementaires à huis clos pour examiner toute l'information qui n'est pas actuellement consignée dans les rapports -- c'est-à-dire le nombre d'agents désignés, les renseignements détaillés sur chaque activité -- pour voir comment tout cela fonctionne à l'heure actuelle, à votre avis, s'agirait-il d'un petit progrès?
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Merci, monsieur le président. Je voudrais aussi remercier nos témoins pour leurs exposés.
Je voudrais revenir sur ce qu'a dit mon collègue, M. Brown. J'ai déjà eu l'occasion de discuter de cette question avec Mme Thomson dans d'autres comités.
Monsieur Barrette, vous avez établi une distinction entre l'ABC et votre groupe. Votre groupe est davantage un groupe d'action. Vous défendez une certaine optique, et c'est tout à fait compréhensible. Mais je sais que je me suis déjà posé des questions à ce sujet par le passé, car pour moi, l'ABC est un organisme qui représente une profession libérale dont je suis membre.
J'ai siégé à différents comités de la justice où l'ABC a fait des déclarations qui constituent davantage, en ce qui me concerne, des jugements de valeur. Par exemple, j'ai siégé au comité chargé d'étudier les lois de protection de l'enfance, à celui chargé d'étudier la définition du mariage, et maintenant, à celui-ci, et je constate que l'ABC adopte des positions qui correspondent, dans certains cas, à des opinions personnelles, des jugements de valeur, etc. Par exemple, l'ABC fait des déclarations de ce genre :
La notion selon laquelle cette exemption permet aux agents de police de mieux enquêter sur les actes criminels ne justifie aucunement une entorse aussi fondamentale au principe de la primauté du droit.
Voilà ce que l'ABC a affirmé. Or je suis membre de l'ABC, et je ne suis pas d'accord.
Je ne veux pas trop insister là-dessus, mais je voudrais tout de même connaître votre énoncé de mission. Vous représentez l'association professionnelle dont je suis membre. Nous avons des assurances collectives, et ce genre de choses. Nous défendons les intérêts de la profession d'avocat en nous prononçant sur des décisions qui peuvent influer directement sur les avocats. Mais dans certains cas, vos affirmations semblent correspondre davantage à des jugements de valeur. Je voudrais savoir ce que vous en pensez.
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Merci, monsieur Moore; merci, monsieur Barrette.
Je voudrais ajouter, en tant qu'ancien agent de police et enquêteur sur les crimes graves, que j'ai eu l'occasion à maintes reprises de recourir à toutes les méthodes dont il a été question ici, qu'il s'agisse d'écoute électronique, de demandes de mandats, de diverses formes d'interception, ou de ce que permet maintenant ces dispositions législatives. À l'époque, il n'existait pas de loi permettant commission de tels actes, mais nous avions souvent recours à des agents, qui étaient d'ailleurs toujours rigoureusement contrôlés par la police.
Je ne me rappelle pas, par rapport à ces dispositions législatives, qui permettraient aux agents de police de faire exactement la même chose qu'ils faisaient auparavant, quels étaient les problèmes en matière de contrôle... C'est-à-dire que les mesures de contrôle ont toujours posé certains problèmes, et cela ne changera pas, qu'on ait des dispositions législatives en bonne et due forme ou non, notamment quand il s'agit d'avoir recours à des agents. Mais l'abrogation de ces articles du Code, de telle sorte que la police ne puisse plus du tout avoir recours à ces outils d'enquête, causerait un préjudice certain à la société, parce qu'il y a tellement d'enquêtes qui requièrent une boîte à outils complète qui comprend les méthodes dont il est question ici.
Être obligé de s'adresser à un juge, comme vous le proposez, chaque fois qu'il faut prendre une décision dans le cadre d'une enquête compromettrait certainement l'enquête en question. Je dirais même que dans le contexte de cette dernière opération qui est maintenant publique, qui a donné lieu à l'arrestation de plusieurs présumés terroristes au Canada, de telles règles ont été suivies et la loi a été appliquée correctement.
Mais là, si vous voulez parler de la protection de la preuve et des citoyens... Et je pourrais vous nommer d'autres situations impliquant des criminels organisés où la vie même d'un informateur est gravement menacée, à un point tel que la communication de n'importe quelle information de ce genre serait extrêmement grave, que ce soit sur le moment, ou bien des années après, quand l'affaire est déjà close.
Par conséquent, je comprends mal comment l'abrogation de ces articles, comme vous l'avez proposé dès le départ, puisse être bénéfique à notre société.
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Ma réponse aura deux volets.
Premièrement, c'est bien connu -- et l'expérience du public le confirme -- que lorsqu'on demande parfois aux tribunaux de se prononcer sur la manière dont un mandat de perquisition ou une autorisation d'écoute électronique ont été obtenus -- le cas le plus courant est celui du mandat de perquisition -- les tribunaux déclarent que puisque le mandat ou l'autorisation n'a pas été obtenu selon les règles, il n'est pas valable. C'est la preuve que même lorsqu'une autorisation judiciaire préalable est exigée, il peut y avoir des problèmes, puisque dans certains cas, les agents de police qui présentent la demande comprennent mal la loi. Il est important de prévoir une autorisation judiciaire préalable parce que cela permettra d'empêcher que cela se fasse dès le départ. À l'heure actuelle, il n'est pas possible d'empêcher cela. C'est au fonctionnaire public qu'il appartient de déterminer s'il est opportun ou non d'aller de l'avant.
Deuxièmement, je voudrais réagir à vos propos concernant les outils que doivent posséder les agents de police pour être à même de faire leur travail.
Il est vrai que la police a besoin de certains outils pour travailler efficacement, mais sans vouloir vous contredire, j'estime qu'il est parfaitement faux de prétendre que tous les outils possibles et imaginables dont il pourrait être question conviendraient à la société canadienne -- en d'autres termes, seraient conformes à nos lois, à notre moralité, et à nos normes constitutionnelles.
Je vous pose cette question pour la forme. Ces dispositions permettent aux agents de police de commettre une agression dans le cadre d'une enquête. Souhaitons-nous vraiment que nos forces policières ou les agents de ces dernières commettent l'agression, parce qu'ils pensent que cela va leur permettre de faire avancer leur enquête?
Et pensez à cette question d'enquête. Certains cas concernent une enquête dans le sens d'une opération de collecte de renseignements, et ceci ne passe jamais devant les tribunaux. Ces dispositions autoriseraient justement la commission d'une agression dans le cadre d'une opération de collecte de renseignements.
Je suis d'avis qu'il n'est pas approprié que tous les outils se retrouvent dans la boîte à outils de nos forces policières.
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Merci. Nous avons passé un après-midi intéressant ensemble.
M. Ménard disait tout à l'heure qu'il commence à parler un peu comme un avocat et que c'est peut-être difficile à comprendre. Eh bien, je ne suis pas avocat, et je pense que vous avez peut-être du mal à comprendre le jargon des avocats.
J'écoutais il y a quelques minutes la conversation entre vous et le président, M. Hanger, qui est agent de police, et c'est ce qui m'a frappé plus que toute autre chose. Nous avons quelqu'un ici dont c'est le métier, et nous avons aussi d'autres personnes, dont c'est le métier. Nous avons reçu des témoins dont le métier consiste à protéger les citoyens en travaillant au sein d'une force policière. Ils semblent être assez satisfaits des dispositions législatives telles qu'elles sont actuellement libellées; de fait, ils demandent non pas que l'on élargisse la champ d'application de ces mesures, mais plutôt qu'elles restent en place pour qu'ils puissent mieux faire leur travail.
M. Hanger disait qu'un agent de police a besoin d'avoir plein d'outils dans sa boîte à outils. Vous nous dites que bon nombre de ces outils ne devraient pas s'y trouver. En échange des commentaires de ce genre, et je me rappelle une remarque faite tout à l'heure par M. Lee, si je ne m'abuse, qui disait qu'il ne convient pas de tout codifier jusqu'au moindre détail, dans le genre : vous ne pouvez pas faire ci mais vous pouvez faire ça, vous ne pouvez pas aller ici et vous ne pouvez pas non plus aller là-bas. Cela n'en finira plus, vous ne trouvez pas?
Je crois pouvoir représenter le citoyen moyen aussi bien que n'importe qui d'autre. J'ai été agriculteur, enseignant, et directeur d'école. J'ai fait toutes sortes de choses dans la vie, et je peux vous dire que 95 p. 100 des citoyens veulent que la police puisse faire son travail, c'est-à-dire protéger la société. Ils ne veulent pas qu'il y ait d'obstacles. Je crois que la majorité d'entre eux seraient d'accord avec moi pour dire que nous faisons confiance à nos policiers et nous nous attendons à ce qu'ils fassent preuve de bon sens, et qu'ils prennent les mesures qui s'imposent pour protéger nos droits quand il faut les protéger, parce qu'en fin de compte, ils ne veulent que mieux protéger notre société.
J'en ai assez de voir des fillettes de 11 ans qui se font agresser sur leur planche à roulettes quand elles sont en route pour le cinéma ou le magasin de vidéos, et qui se font violer, et ensuite, on se rend compte qu'une subtilité juridique présente un obstacle -- mais peut-être pas dans ce cas particulier. Je vous dis simplement que nous en avons assez, mettons lorsqu'on arrête un présumé terroriste, d'entendre des gens à la télévision qui disent que c'était peut-être un cas de piégeage. On croit rêver.
La police a fait un excellent travail. Le travail de nos autorités policières a permis d'ouvrir les yeux aux Canadiens. Moi, je les félicite. Moi qui suit un type moyen, je leur dis : « Bravo ». Mais il y en a d'autres qui vont dire: attendez, les policiers auraient-ils fait quelque chose qu'ils n'avaient pas le droit de faire? Aurait-il mal agi? Eh bien, je m'en fiche complètement, et il en va de même pour la majorité des Canadiens. Le fait est qu'ils s'en fichent. Ils veulent que la police fasse son travail. Et dans les organisations policières, au-dessus des policiers professionnels, il y a les responsables de niveau supérieur qui vont se charger de ceux qui vont trop loin. Ils connaissent bien la différence entre le bon sens, les bonnes pratiques policières, et les abus. Ils connaissent la différence. Ils vont s'en charger eux-mêmes.
Pourquoi faut-il absolument préciser dans le Code criminel que telle chose est correcte mais que telle autre chose n'est pas correcte, et vous avez intérêt à nous écouter parce que nous savons mieux que vous ce qu'il faut faire? Eh bien, je ne pense pas savoir mieux que la police ce qu'il faut faire.
Je vous invite à réagir.
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Je poserai d'abord une question à l'Association du Barreau canadien, puis à Me Barrette et à la personne qui se trouve à côté de lui, mais dont je ne distingue pas le nom.
Pour commencer, j'aimerais attirer votre attention sur le fait qu'au Québec, nous sommes affligés d'un fléau nommé « l'alcool au volant ». Lors d'un accident de la route, lorsqu'il y a des victimes ou qu'il s'agit de négligence criminelle au volant, par exemple, le policier qui arrive sur les lieux doit obtenir une autorisation afin de prélever un échantillon sanguin. Déjà, on parle d'une permission à obtenir.
Si on dit être incapable de trouver le mandat, c'est qu'il y a deux types de perquisition, soit celle qui donne lieu à un procès et celle qui est autorisée par le juge de paix. Or, dans ce dernier cas, étant donné qu'il n'y a pas de suivi, il n'y a ni enveloppe contenant les documents pertinents ni quoi que ce soit du genre. Par contre, si quelqu'un se rend au Palais de justice de Québec, par exemple, et qu'il a une quelconque raison de croire qu'il y a [Note de la rédaction: inaudible], il a le droit d'aller le chercher. S'il ne le fait pas, qu'il ne prétende pas être incapable de l'obtenir.
Parlons maintenant des mandats de perquisition. Pour ma part, j'ai ce qu'on appelle un BlackBerry, mais avez-vous vu ce que possèdent les policiers? Ils ont tous des ordinateurs. Ils peuvent demander un mandat de perquisition facilement, en 30 secondes, lorsqu'ils ont un motif raisonnable de croire qu'il se passe quelque chose. Ils reçoivent alors un mandat électronique. Ils obtiennent donc beaucoup d'autorisations.
Les arguments que vous présentez en vue de modifier les articles 25.1 à 25.4 sont malgré tout solides. J'aimerais cependant vous faire remarquer que chaque acte criminel est distinct. Ainsi, le juge doit adopter une approche individuelle et non collective. Comme monsieur l'a mentionné, personne ne connaît les articles 25.1 à 25.4. Au Québec, en effet, on a recours principalement au Code de déontologie des policiers du Québec, lorsqu'on veut prouver qu'un policier a fait une erreur. On fait rarement appel aux articles 25.1 à 25.4 du Code criminel, avec lesquels il est un peu plus difficile de travailler.
Vous dites que ça n'a aucun sens, que c'est très difficile et que ça peut mener à des excès. Or, pouvez-vous me dire comment on fait pour infiltrer un groupe comme celui qui se trouvait dans le comté de M. Ménard? Un jeune y a été victime d'une explosion à la bombe perpétrée par une bande de bandits.
Imaginez-vous qu'on a découvert qu'à la Société de l'assurance automobile du Québec, une informatrice fournissait des renseignements aux Hell's Angels. Dans de telles circonstances, comment peut-on obtenir un mandat? On est bloqué. Dans certaines situations, on se demande s'il n'est pas nécessaire d'écraser le système. Monsieur Barrette, vous ne serez sans doute pas d'accord avec moi, mais d'après vous, que faut-il faire dans une situation où il n'est même plus possible d'obtenir un mandat?
Dans le cas du policier Marc Saint-Germain qui a tué quatre de ses confrères à Trois-Rivières, le policier qui arrivé sur les lieux avait besoin d'un mandat. On a dû avoir recours à un télé-mandat, et cela a fonctionné. On constate que dans certains cas, ce genre de système a du succès. Il ne faut tout voir en noir.
Quoi qu'il en soit, vous me placez dans une situation délicate: vous me parlez de torture, alors qu'en 33 ans de pratique, je n'ai jamais plaidé ce genre de cause. Vous nous avez donné une définition de la torture. Or, si je place le mot « torture » dans le contexte actuel, je peux dire que l'agent de l'État qu'est le Parlement oblige le Bloc québécois à siéger ici. Du fait qu'on le force à voter pour des lois canadiennes, on lui occasionne une douleur aiguë.
M. Réal Ménard: Une douleur aiguë à votre contact, monsieur Petit.
M. Daniel Petit: J'essaie de vous présenter cela de façon à ce que vous compreniez que vient un moment où on a toutes les autorisations. Pratiquant régulièrement de droit, je peux vous dire qu'on a rarement eu des problèmes relatifs aux articles 25.1 à 25.4.
Par ailleurs, là où a des problèmes, c'est lorsque certains policiers bafouent la loi. Ils la bafouent dans certains cas particuliers. Dans le cadre de l'affaire Matticks, au Québec, on a connu cela. On a mis toute la Sûreté du Québec en dedans, et on a interrogé ses membres pendant près d'un mois. Ces cas sont extrêmement rares, ne courent pas les rues.
C'est pour cette raison que je vous demande d'essayer de me convaincre que les articles 25.1 à 25.4... Avec tous les arguments que vous me donnez, vous n'arrivez pas à me convaincre. Or, je devrai ensuite prendre une décision. Je trouve vos arguments excellents, mais je ne suis pas aux États-Unis. Tel est le problème.
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D'abord, au sujet de la torture, j'ai rarement vu des gens être torturés en public comme le sont les parlementaires devant les caméras de télévision.
Je dois vous dire que parmi les crimes, c'est le crime le plus odieux qu'on puisse connaître au niveau international. Si on considère les crimes interdits lors des mesures d'urgence décrétées en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, c'est un de ceux qu'on ne peut absolument pas commettre. Il s'agit d'une obligation des États à laquelle ces derniers ne peuvent en aucun cas déroger, compte tenu de la gravité du geste posé par un agent de l'État qui inflige des souffrances à un individu afin de l'intimider, etc.
Ce que j'essaie de dire, quant à la torture... Je comprends que vous puissiez être en désaccord sur la lecture que je fais de la torture ou de la lecture que je fais du lien entre la torture et les voies de faits avec lésions. Par ailleurs, je trouve intéressant le fait que vous me dites que c'est un argument intéressant.
Jusqu'à quel point le policier qui reçoit l'autorisation de commettre des infractions, des voies de faits ou autres, ne va-t-il pas infliger des tortures sans blessures, qui ne seront pas des lésions? Jusqu'à quel point a-t-on l'assurance qu'il ne pourrait pas aller jusqu'à commettre l'impardonnable. C'est là que réside le danger relatif à la torture.
Évidemment, ce n'est pas ce qu'on souhaite. Évidemment, on n'a aucun cas à rapporter et on espère ne pas en rapporter. Cependant, comme je le dis souvent quand je viens ici, c'est une responsabilité des parlementaires que d'envisager tous les cas d'application de la loi, même lorsqu'on n'a pas d'exemples sous les yeux. C'est votre responsabilité.
Quant aux cas des Hell's Angels ou d'autres groupes organisés, je crois que jusqu'ici, au Québec, on est arrivé à les infiltrer, même avant que l'article 25.1 soit en vigueur. En effet, on a infiltré les Hell's Angels, on a fait procès et on les a trouvés coupables dans la majorité cas.
Pourtant, comme vous le disiez, c'était un gros morceau, surtout pour la Sûreté du Québec et pour les policiers au Québec. Je dois toutefois vous dire que toute la question des outils revient sur le tapis lorsqu'on dit qu'on doit permettre à certains de ne pas respecter la loi, et ce sans autorisation judiciaire, pour arrêter des gens du crime organisé, pour limiter la perpétration de crimes odieux. C'est là que se situe le danger, puisque c'est toujours pour de bonnes raisons qu'on glisse, qu'on commet des abus et qu'on obtient des résultats qu'on n'aurait jamais souhaités.
Encore une fois, on l'a vu, peut-être plus au Québec qu'ailleurs. Je vous ai parlé des années 1970. C'est toujours pour de bonnes raisons, pour de bons motifs que, malheureusement, on commet des crimes. Voltaire disait que l'enfer est pavé de bonnes intentions. C'est peut-être le cas en ce qui a trait à l'article 25.1.