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Très bien. Merci beaucoup.
[Français]
Bonjour à tous. Je tiens à remercier le comité de m'avoir accordé la parole aujourd'hui et d'avoir facilité mon témoignage au moyen de la vidéoconférence.
Membre du Barreau de l'Ontario, je poursuis un doctorat en droit constitutionnel à l'Université d'Oxford, tel que mentionné par le président. Mon témoignage d'aujourd'hui est cependant le mien. C'est-à-dire que je ne tiens pas à représenter l'Université d'Oxford ou la Fondation Trudeau, dont je suis membre.
Le coeur de ma présentation s'inspire d'un texte que j'ai rédigé et qui s'intitule: Legal Lawlessness and the Rule of Law: A Critique of Section 25.1 of the Criminal Code. Ce texte examine la constitutionnalité du régime prévu aux articles 25.1 et suivants, et conclut que ce régime présente d'importantes difficultés constitutionnelles. Cette étude a été publiée en 2005 par le Queen's Law Journal, volume 31, et peut être téléchargée du site Internet de la Fondation Trudeau sous la rubrique « Quoi de neuf ».
Permettez-moi de vous fournir un survol des trois points que je tenterai de couvrir dans le cadre des 10 à 12 minutes qui mon sont accordées. Par la suite, je donnerai des détails sur chaque point. Mais auparavant, je tiens à souligner que je suis favorable, en principe, au régime d'exception à l'étude. Mes commentaires cherchent plutôt à identifier quelques difficultés dans la façon dont ce régime est encadré et à suggérer des solutions alternatives.
Passons maintenant à mon premier point.
La justification des articles 25.1 et suivants du Code criminel repose principalement sur le besoin d'accorder aux forces policières de nouveaux pouvoirs d'exception afin de mieux s'attaquer au crime organisé et aux opérations d'infiltration. Or, rien dans la loi n'indique que ces pouvoirs d'exception ne peuvent être utilisés qu'aux seules fin de la lutte contre le crime organisé et pour les opérations d'infiltration.
Deuxièmement, le processus de désignation d'un « fonctionnaire public » au sens la loi est insuffisant dans la mesure où la désignation l'autorise par la suite à commettre des actes criminels qui n'ont pas été spécifiquement autorisés par le ministre ou par un fonctionnaire supérieur. Une fois désigné, le fonctionnaire public est lui-même la source de son autorité pour commettre des actes criminels. On dirait en anglais qu'il devient a law onto himself.
Troisièmement, les deux points précédents sont importants non seulement en eux-mêmes, mais aussi sur le plan constitutionnel. Le jugement de la Cour suprême dans l’arrêt Campbell et Shirose ne semble pas se prêter à une interprétation qui serait favorable au régime tel qu'il est formulé. Autrement dit, la portée du régime tel qu'il est actuellement formulé est trop vaste, et les règles pour l'autorisation d'actes criminels, trop souples pour être jugées constitutionnelles, à mon avis.
Il y a un quatrième point que je n'aurai pas le temps de commenter dans le cadre da ma présentation mais dont nous pourrions discuter par la suite s'il vous intéresse. Il concerne les moyens d'accroître la protection contre les abus de ces pouvoirs d'exception par le biais de changements à la surveillance civile et aux rapports annuels, et aussi par l'ajout d'une obligation de divulgation plus générale.
Je vais maintenant donner plus de détails sur mon premier point, soit la justification du régime d'exception et la lutte contre le crime organisé.
Quand les articles 25.1 et suivants du Code criminel ont été adoptés en 2001, ils faisaient partie du projet de loi C-24, intitulé Loi modifiant le Code criminel (crime organisé et application de la loi). Aujourd'hui, le titre de votre étude fait référence à « la protection des personnes chargées de l'application et de l'exécution de la loi ». La référence au crime organisé n'y est plus, et c'est juste, parce que la loi à l'étude ne fait aucune référence au crime organisé. Cependant, dans les témoignages que vous avez entendus, on a mis beaucoup l'accent sur le crime organisé, la lutte contre le terrorisme et les opérations d'infiltration. On n'a pas mentionné l'utilisation de ces pouvoirs pour les enquêtes policières non liées au crime organisé ou aux opérations d'infiltration, à l'exception, je crois, d'un exemple concernant un bateau ou un avion qui doit poursuivre sa course la nuit en fermant ses lumières afin de ne pas être détecté.
Voilà qui m'amène à ma première recommandation au comité: modifier la loi afin de restreindre sa portée aux enquêtes liées au crime organisé et aux opérations d'infiltration, ainsi qu'à quelques autres domaines d'activité policière ciblés. De cette façon, la portée de la loi serait en accord avec sa justification.
Je passe à mon deuxième point: l'absence de procédure pour autoriser l'acte criminel lui-même.
Il y a deux régimes prévus par la loi pour autoriser un acte criminel par un fonctionnaire public. Le premier est le régime d'application générale. Il est prévu à l'article 25.1, au paragraphe (8). Cette disposition exige que le fonctionnaire public soit désigné par le ministre, mais la loi n'exige pas que la désignation soit assortie de conditions telles que sa durée ou les infractions à la loi que le fonctionnaire public peut commettre. Une fois désigné, le fonctionnaire public est justifié de commettre un acte criminel s'il croit, pour des motifs raisonnables, que la commission de l'acte est juste et proportionnelle. Autrement dit, il n'y a pas de supervision préalable à l'acte criminel lui-même.
Il y a cependant un deuxième régime. Il est prévu à l'article 25.1, au paragraphe (9), et s'applique seulement dans les cas où une infraction entraînerait vraisemblablement la perte de biens ou des dommages importants à ceux-ci, ou si le fonctionnaire public vise à autoriser une tierce personne à commettre une infraction. Dans ce cas, les deux critères du premier régime y sont: le fonctionnaire public doit être désigné, et il doit croire, pour des motifs raisonnables, que son acte est juste et proportionnel. Cependant, il y a un troisième critère: avant de commettre l'acte criminel, il doit y être personnellement autorisé par écrit par un fonctionnaire supérieur. Le fonctionnaire supérieur doit, lui aussi, croire pour des motifs raisonnables que l'acte serait juste et proportionnel. Il y a certaines exceptions à l'autorisation écrite préalable, et il s'agit de cas urgents prévus, eux aussi, au paragraphe 25.1(9).
Je propose que ce deuxième régime soit le seul régime pour la justification d'actes criminels commis par un fonctionnaire public. Je propose ceci pour les motifs qu'aucun individu, voire même aucun fonctionnaire public, ne devrait être en mesure de décider lui-même s'il peut commettre un acte criminel. Il doit, avant même de commettre l'acte, y être spécifiquement autorisé.
Si mon objection est d'ordre conceptuel, j'ai été bien heureux d'apprendre que la GRC avait établi l'obligation d'autorisation préalable dans ses opérations. Le commissaire adjoint de la GRC, M. Souccar, a confirmé dans son témoignage devant vous qu'un fonctionnaire public ne pouvait commettre un acte criminel sans avoir une autorisation écrite d'un fonctionnaire supérieur de la GRC. Autrement dit, la GRC a adopté une version du régime d'autorisation préalable pour toutes ses opérations, même si la loi ne l'exige pas.
Ma recommandation est donc de changer la loi afin d'exiger, à moins qu'il s'agisse d'une situation urgente, qu'un fonctionnaire public détienne une autorisation par écrit d'un fonctionnaire supérieur avant de commettre l'acte criminel.
[Traduction]
J'ai une dernière observation à faire, et je vais la faire en anglais.
Ayant établi que le contexte dans lequel ces pouvoirs peuvent s'exercer n'est pas de nature à les limiter aux enquêtes sur le crime organisé et les opérations secrètes d'infiltration, et ayant évalué la portée de l'autorisation accordée aux fonctionnaires publics de commettre certains actes qui autrement seraient considérés des actes criminels, je fais valoir mon troisième argument, qui porte sur la question constitutionnelle.
Vous vous demandez peut-être pourquoi nous devrions incorporer les modifications que je propose, plutôt que de laisser ces questions au bon vouloir des forces policières. Pour moi, il y a deux réponses, et aucune d'entre elles ne remet en question l'intégrité de nos forces policières. La première consiste à reconnaître que les pouvoirs accordés à nos forces policières en vertu de l'article 25.1 et suivants sont important -- en fait, ils sont exceptionnels. Et dans la mesure où nous autorisons quiconque à commettre des actes qui seraient autrement considérés comme des actes criminels, nous devons chercher à encadrer suffisamment l'exercice de ses pouvoirs et à prévoir le contrôle de tels pouvoirs. Et cet encadrement devrait être inscrit dans la loi. Autrement dit, une telle mesure doit avoir force de loi, au lieu de prendre simplement la forme d'une directive interne destinée à une force policière.
La deuxième réponse est tout aussi importante. Si le cadre d'exercice de ces pouvoirs exceptionnels n'est pas suffisamment bien défini, la constitutionnalité de ce dernier peut être en cause.
Permettez-moi de vous lire un bref passage du jugement de la Cour suprême du Canada dans Campbell et Shirose, le jugement qui a été la principale source d'inspiration de ces dispositions législatives: « Invoquer comme justification le principe général de l'application de la loi serait contraire aux principes fondamentaux de notre Constitution ». Et là la Cour suprême du Canada faisait allusion au principe constitutionnel de la primauté du droit, soit le principe énoncé au paragraphe 25.1(2) des articles à l'étude.
L'inquiétude que suscitent les articles à l'étude, c'est qu'ils appuient la justification générale de l'application de la loi contre laquelle la Cour suprême du Canada nous a prévenus -- « générale » en ce sens qu'elle ne se limite pas aux enquêtes relatives au crime organisé et à d'autres activités criminelles ciblées, et englobent donc les enquêtes menées sur toute activité criminelle, et « générale », dans le sens que normalement, un fonctionnaire public n'a pas besoin de demander une autorisation préalable avant de commettre un acte qui serait autrement jugé criminel.
Je passe donc tout de suite à ma conclusion, en vous faisant remarquer en passant qu'il existe un quatrième argument concernant la protection accrue contre les abus potentiels, que je me ferais un plaisir d'aborder avec vous pendant la période des questions.
Je vous remercie de votre bienveillante attention, et je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.
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C'est vrai. Je ne conteste pas le bien-fondé de votre dernière conclusion.
Vous avez posé deux questions: la première concernait les rapports publics, et la deuxième portait sur les difficultés potentielles d'une mesure législative qui ne viserait que le crime organisé. Je vais donc répondre à vos deux questions l'une après l'autre.
Comme vous le savez peut-être, il n'est pas nécessaire de divulguer dans les rapports publics les mesures d'application précises de ces articles. En réalité, ils sont obligés de divulguer le recours à seulement certaines dispositions exceptionnelles, à savoir quand la police autorise le recours à ces articles, articles qui entraîneraient des dommages matériels importants ou encore quand la police autorise un agent qui n'est pas un policier à invoquer ces articles.
Par conséquent, en temps normal, s'il n'est pas nécessaire de recourir à ces articles pour des situations où il est question de dommages matériels ou pour autoriser un tiers à faire certaines choses, il n'est pas obligatoire de déposer un rapport. En fait, l'une des recommandations que je voudrais faire consiste à renforcer les exigences en matière de rapports pour que ces dernières visent l'ensemble des activités, et pas seulement ces deux-là.
Deuxièmement, sur la question de l'opportunité de limiter l'application de ces articles au crime organisé, je pense qu'il serait possible de répondre à votre préoccupation dans le libellé même de l'article concerné. Par exemple, il n'est pas nécessaire de faire mention de loi précise. On pourrait simplement incorporer dans le Code une disposition indiquant que, de l'avis de tel haut fonctionnaire, il est nécessaire de prendre telles mesures pour les fins de l'enquête en cours. À l'heure actuelle, aucune restriction de ce genre ne vise les dispositions en question.
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Très bien. Merci beaucoup, monsieur Comartin.
Je voudrais vous parler de certaines autres recommandations concernant une protection accrue contre les abus.
Les deux premières recommandations que je vous ai faites sont évidemment parmi les plus importantes: c'est-à-dire, premièrement, réduire le champ d'application de la loi, de sorte que cette dernière ne concerne que des actes qui sont absolument nécessaires pour le bon déroulement des opérations policières; et deuxièmement, il faut prévoir une autorisation préalable obligatoire par un haut fonctionnaire de la police, un juge, ou peut-être une autre personne. Peut-être pourrait-on envisager d'accorder ce pouvoir à un membre d'une autre force policière qui ne participe pas au même titre à l'enquête sur le crime proprement dit, de façon à faire passer cela par quelqu'un de plus indépendant. J'estime ces deux changements seraient d'une grande utilité pour ce qui est de protéger les citoyens contre les abus.
Ma deuxième proposition concerne la possibilité de faire préparer par le fonctionnaire public qui a recours à ces pouvoirs exceptionnels un rapport écrit, chaque fois qu'il les exerce. À l'heure actuelle, nous n'avons à cet égard que la disposition prévue au paragraphe 25.3(2): c'est-à-dire que l'obligation de divulguer certains renseignements n'existe que lorsqu'on a recours aux pouvoirs exceptionnels que confèrent ces dispositions, à savoir lorsqu'il y a dommages matériels et lorsqu'il faut autoriser une personne qui n'est pas agent policier à y avoir recours. Je pense qu'il faudrait faire en sorte que cette obligation vise chaque exercice des pouvoirs en question, et que le fonctionnaire public devrait expliquer les raisons pour lesquelles il estimait qu'il était raisonnable et proportionnel d'invoquer ces dispositions, conformément aux critères énoncés dans loi. Voilà donc ma deuxième observation.
Quant à ma troisième observation, je pense qu'il devrait y avoir moyen d'accroître les responsabilités de l'organe de surveillance civil. Aux termes du paragraphe 25.1(3.1), le Code prévoit actuellement que le ministre ne peut procéder à la désignation d'un agent que s'il existe un organe de surveillance civil ayant compétence « pour examiner la conduite des fonctionnaires ». Je pense que votre comité pourrait envisager d'étendre les pouvoirs de l'organe civil en l'obligeant à faire l'examen — autremeent dit, en en faisant une obligation plutôt qu'une possibilité, par la formulation « chargée d'examiner la conduite des fonctionnaires qui seront désignés ».
Enfin, je vous ai déjà fait part de ma quatrième proposition, en réponse à une question d'un de vos collègues, qui consiste à étendre les obligations de divulgation relatives au rapport annuel à tous les cas où ces pouvoirs sont invoqués, alors qu'à l'heure actuelle cette obligation ne concerne que les cas de dommages matériels importants ou encore une situation où il faut autoriser une personne qui n'est pas agent de police à exercer les pouvoirs que prévoient ces dispositions.
Voilà donc les quelques propositions que je voudrais vous faire pour protéger davantage les citoyens contre les abus possibles.
J'ai écouté attentivement vos remarques, et je doit absolument vous poser la question que voici: comprenez-vous vraiment la nature des opérations policières, et ce que la police doit faire quand elle monte ce type d'opérations majeures, qui doit lui permettre de faire des arrestations et de porter des accusations contre les auteurs des actes en question?
Pour ma part, je sais que j'ai déjà eu l'occasion de discuter avec des agents de police par le passé, et je me rends compte que les activités qui sont nécessaires pour permettre à la police d'aller au fond des choses sont souvent multiples et de nature très variée. Ainsi il peut être nécessaire de réagir immédiatement à un incident, de telle sorte qu'il peut être difficile à un agent de police d'avoir à faire ce qu'il doit faire si la loi en vigueur n'est pas appropriée -- et je crois savoir que la GRC est très satisfaite de ce qui existe et qu'elle estime pouvoir mener à bien ses opérations tout en y adhérant.
Mais si l'on remonte à l'époque qui a précédé l'adoption de cette loi, il est clair que ces opérations d'infiltration étaient tout de même assez fréquentes. Il y avait énormément d'enquêtes. Et la police savait ce qu'elle avait à faire et participait à différents types d'activités qui lui permettaient ensuite d'arrêter et de condamner les coupables. C'est uniquement quand les tribunaux sont intervenus, par suite du dépôt d'une plainte, ou de quelque chose de ce genre, que cette loi a finalement été adoptée il y a quelques années, mais le fait est que la police a mené à bien ses opérations pendant des années en l'absence d'une telle loi.
Je ne dis pas que c'est votre opinion, mais j'ai l'impression que certains croient que la police n'est pas capable de bien faire son travail sans les conseils des juges et des élus politiques. Je rejette totalement cette optique-là.
Pour moi, les policiers sont des gens très bien qui savent parfaitement ce qu'ils font. Bien sûr, ils peuvent faire des erreurs, mais il y a toujours moyen de régler ce type de problèmes. Mais nous voulons constamment ajouter d'autres dispositions législatives à cette brique qui est déjà tellement remplie de lois qu'on a du mal à la suivre. Nous voulons toujours en mettre davantage et, ce faisant, peut-être lier les mains des personnes qui font un excellent travail dans la lutte contre la criminalité et qui veulent simplement arriver à mettre la main sur les auteurs d'actes criminels graves. À mon avis, nous devrions faire davantage confiance à leurs compétences et attacher moins d'importance aux opinions de personnes comme vous -- mais ne prenez surtout pas ça en mauvaise part -- ou comme nous, qui sommes des élus. Il faut permettre à la police de faire son travail.
Je ne suis pas sûr de vous comprendre, quand vous dites qu'il convient peut-être de faire participer les juges. Les faire participer à quoi? Je pensais que le rôle des juges était d'entendre les témoignages et de rendre une décision. Je ne savais pas qu'ils pouvaient faire plus que cela.
Je me demande où tout cela va nous mener. Si la police est satisfaite de la loi telle qu'elle est actuellement rédigée, et si elle peut mener à bien ses opérations et que tout va bien -- en fait, elle nous a même dit qu'il conviendrait d'élargir de beaucoup le champ d'application -- je me demande ce qu'ils peuvent bien avoir à faire.
Quand est-ce que nous allons commencer à faire confiance à une force policière qui sait ce qu'elle a à faire et cesser de dire: « Eh bien, avant qu'elle fasse telle chose, ou si elle veut faire telle chose, il faudrait qu'il y ait des rapports écrits et que cela soit autorisé par telle personne ou par telle autre personne. »
J'entends dire toutes sortes de choses qui me donnent presque l'impression que nous ne faisons plus confiance à nos forces policières. Quant à moi, je leur fais entièrement confiance.
Vous pouvez répondre, si vous le désirez.
Au tout début de mon exposé liminaire, j'ai indiqué que j'étais favorable en principe à ce qui est proposé ici, mais que je voulais élargir un peu ce cadre. En fait, le Parlement a déjà proposé une sorte de cadre. Par exemple, certains actes sont tout à fait exclus: le meurtre; toute tentative volontaire d'entrave à la justice ou de détournement du cours de la justice; ou encore toute conduite qui aurait pour résultat de violer l'intégrité sexuelle d'une personne. Voilà donc un exemple.
De plus, nous avons décidé d'exclure tout recours à ces dispositions qui soit contraire au rassemblement des éléments de preuve. Et enfin, nous avons exclu le recours à ces dispositions pour les fins de la loi réglementant certaines drogues et autres substances. Il y a donc tout un ensemble de dispositions qui portent là-dessus.
Par conséquent, ce qui m'inquiète, ce n'est pas la possibilité qu'on ne puisse pas faire confiance aux policiers -- pas du tout. En réalité, je me fonde sur les témoignages que vous-mêmes avez reçus de la part des policiers, et notamment les membres de la GRC. Je vous ai dit que cette dernière a décidé elle-même d'adopter des directives internes qui lui semblent importantes pour s'assurer que tout marche comme il faut. Suivons donc son exemple en les inscrivant dans la loi, non pas parce que nous ne leur faisons pas confiance, mais parce que c'est une bonne idée, idée que cette dernière a décidé elle-même d'adopter. Peut-être que ces directives pourront guider le travail d'autres forces policières -- n'oublions ce détail essentiel -- qui ont le droit d'invoquer ces dispositions, telles que les forces policières provinciales.
Donc, je recommande simplement que nous suivions l'exemple de ces policiers, comme vous l'avez dit, et que nous tenions compte des mesures qu'ils ont prises. Voilà ce que je propose.
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En effet, les articles 25.1 à 25.4 n'ont aucune incidence sur les questions de preuve. Elles demeurent les mêmes, qu'on parle de l'article 25.1 ou non.
Par contre, si j'étais avocat de la défense, que mon client avait été accusé d'une infraction en vertu du Code criminel ou d'une loi pénale et que je savais que la police a eu recours à ces articles, la question serait de savoir pourquoi le policier a jugé que son acte, qui autrement serait considéré criminel, était juste et proportionnel. Il serait donc question de la crédibilité du policier, peut-être trois ou quatre ans après qu'il ait commis l'acte en question, puisque ces infiltrations peuvent prendre beaucoup de temps. On peut mettre beaucoup de temps à recueillir la preuve nécessaire dans le milieu du crime organisé. Ce policier témoignerait devant le juge et sa crédibilité serait peut-être remise en question, puisque les événements se seraient déroulés trois ou quatre ans plus tôt.
Par contre, si le policier avait une autorisation écrite au préalable, on aurait là une preuve. Le procureur de la Couronne pourrait dire qu'on lui a permis de commettre l'acte en question, parce que cela a été autorisé soit par un fonctionnaire supérieur, soit par un juge.
Si j'étais avocat au criminel et que j'aie à défendre un client, j'aimerais beaucoup les articles en question, d'un côté ou de l'autre. Une fois le procès entamé, je dirais que ces articles présentent de grands problèmes et qu'ils n'encadrent pas suffisamment les pouvoirs policiers. Ainsi, je m'attaquerais soit à la crédibilité du policier qui a commis un acte en vertu de ces articles, soit à la constitutionnalité du régime en soi. Je dirais qu'il y a tellement peu d'encadrement en vertu de ces articles qu'on autorise n'importe quoi et que cela est inconstitutionnel.
Je crois que pour le bien-fondé des opérations en question qui sont commises en vertu de ces articles, le Parlement aurait intérêt à restreindre la portée de la loi pour éviter des attaques comme celles qu'un avocat de la défense pourrait formuler en vertu du régime actuel.
Permettez-moi de vous dire, tout d'abord, que je suis très content de pouvoir profiter d'une analyse éclairée d'une politique gouvernementale qui émane d'une fondation basée au Canada, comme celle-ci, et fondée en mémoire du regretté ancien premier ministre Trudeau.
Si ces dispositions législatives ont été adoptées, c'est parce que nous sommes un pays où prime le droit et parce que les tribunaux ont déterminé que les agents de police n'avaient pas le droit d'enfreindre la loi pendant qu'ils la font respecter. Je suppose que nous savons tous que depuis des siècles, les policiers sont obligés d'enfreindre indirectement la loi pour pouvoir l'exécuter -- par exemple, lorsqu'ils dépassent la vitesse limite, ne s'arrêtent pas là où il faudrait s'arrêter ou encore agressent une personne afin de pouvoir l'arrêter, et nous avons tous accepté ce genre de choses. Dans bien d'autres pays du monde fondés sur la primauté du droit, ce genre de choses se produit tout le temps. Or je ne pense pas qu'ils aient cherché à codifier ce domaine du droit.
M. Thompson a fait cette même observation. Combien de codification nous faudra-t-il avant que toutes ces dispositions législatives ne remplissent toute une bibliothèque et que nous cessions de nous intéresser à l'application de la loi?
Vous avez indiqué que ces dispositions ne s'appliquent qu'au crime organisé. Mais êtes-vous prêt à reconnaître qu'il est très difficile de définir le crime organisé? En théorie, il s'agit d'un minimum de deux personnes qui travaillent ensemble pour enfreindre la loi en vue de faire des profits. Mais comme il est difficile de définir le crime organisé, et que c'est un facteur dont nous devrions sans doute tenir compte, ne croyez-vous pas que ces articles, et notamment celui que je vais vous citer maintenant, prévoient déjà suffisamment de contraintes? Vous allez tout de suite le reconnaître; il s'agit de l'alinéa 25.1(8)c). Cet article prévoit que les moyens employés par la police doivent être justes et proportionnels, compte tenu de la nature de l'infraction ou de l'activité criminelle qui fait l'objet de l'enquête.
Cet article a pour objet d'imposer certaines contraintes à la police pour ce qui est de l'exercice des pouvoirs qu'il prévoit. À votre avis, cet article n'est-il pas assez musclé? Et si un juge devait porter un jugement sur une situation particulière à un moment donné ou dans un cas particulier, à votre avis, ces dispositions seraient-elles insuffisantes du point de vue des contraintes qu'elles imposent à la police?
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Merci pour votre question.
Je devrais préciser une chose dès le départ, à savoir que je ne me présente pas devant vous en tant que représentant de la Fondation Trudeau. Je suis membre de la Fondation Trudeau, et fier de l'être, mais je ne prétends pas la représenter aujourd'hui. Je voulais simplement apporter cette petite précision.
Vous parlez d'actes tels que l'excès de vitesse ou le fait de ne pas s'arrêter quand il le faut. Vous avez parfaitement raison de dire que tous les jours, sans doute plus que nous souhaiterions l'admettre le plus souvent, les agents de police enfreignent la loi. En fait, ils sont bien obligés de le faire. Si quelqu'un dépasse la vitesse limite, la seule façon pour un policier de l'arrêter est de lui-même dépasser la vitesse limite.
Ce qui m'inquiète, c'est que si nous ne décidons pas de limiter le champ d'application de ces mesures en y précisant des exemples de ce genre -- en d'autres termes, si nous laissons le texte actuel, qui laisse supposer que ces questions relèvent de la common law, eh bien, à notre avis, l'arrêt Shirose et Campbell ne va pas suffisamment loin pour exclure ce genre de situations. Voilà donc ce qui pourrait se produire:
Supposons que je sois avocat au criminel et que mon client se soit fait attraper pour excès de vitesse. L'agent de police l'a suivi, a donc dépassé la vitesse limite et a dû brûler un certain nombre de feux rouges. L'agent de police en question n'était pas désigné aux termes de l'article 25.1. Par conséquent, la police a non seulement enfreint la loi en dépassant la vitesse limite et en brûlant des feux rouges, mais elle a violé les dispositions législatives qui l'auraient autorisé à le faire.
Donc, peut-être voudrons-nous invoquer ces dispositions pour désigner les agents de la circulation, ce que nous voudrons peut-être faire, mais à mon avis, ce n'est pas ce qui se passe à l'heure actuelle. Les témoignages des responsables du ministère de la Justice et de la GRC laissent supposer que ce n'est pas du tout l'usage qu'ils en font actuellement. Par conséquent, je crains que si nous ne cherchons pas à limiter le champ d'application de ces dispositions, on va nécessairement s'appuyer là-dessus pour justifier toutes sortes d'activités auxquelles elles ne devraient pas normalement s'appliquer, en ce qui nous concerne. Voilà donc un premier élément de ma réponse à votre question.
S'agissant du deuxième élément, vous faites allusion à l'alinéa 25.1(8)c). Vous avez raison de dire que cette disposition impose des contraintes importantes. Par contre, je trouve préoccupant que nous demandions à l'agent lui-même de porter un jugement là-dessus. Il devrait le faire, mais quelqu'un d'autre devrait également être appelé à porter un jugement là-dessus avant que l'agent ne se trouve dans cette situation.
Pour répondre à la question de votre collègue, j'admets qu'il y aura nécessairement des situations d'urgence où l'agent de police devra porter un jugement là-dessus tout seul. Mais à part ces situations d'urgence, l'article 25.1(9) exige que non seulement l'agent lui-même porte un jugement là-dessus avant de commettre les actes en question, mais qu'un fonctionnaire supérieur l'autorise à le faire par écrit au préalable. Là on crée une deuxième contrainte, qui aide l'agent de police. L'agent de police n'aurait pas alors à penser à ces critères ou à ces aspects juridiques au moment critique, ce que nous préférons peut-être éviter. Il pourra se dire: « J'ai déjà obtenu l'autorisation. Je peux donc commettre cet acte sans avoir à m'inquiéter de la possibilité qu'on m'accuse après coup de n'avoir pas eu de motif raisonnable d'agir ainsi. »
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Vous avez raison, et c'est une préoccupation valable. Je suis sûr que la GRC doit avoir mis en place un certain nombre de mesures de protection dans le cadre de ces opérations actuelles. Je ne peux pas vous en parler, évidemment, n'ayant jamais travaillé pour la GRC, et surtout n'ayant jamais travaillé à un niveau où ce genre d'information serait disponible.
Par contre, d'après les témoignages des responsables de la GRC, seulement trois responsables supérieurs ont été désignés, et donc la GRC, de son propre chef, a déjà décidé qu'il n'y aura que trois désignations, et que les trois personnes désignées ne pourront faire confiance à d'autres en dehors de leur petit groupe. Par conséquent, cela constitue déjà une restriction, et je suis sûr que la GRC a dû mettre en place certaines autres mesures de protection relatives à la collecte et à la sauvegarde d'information de ce genre.
S'agissant de votre argument au sujet de la Cour suprême, qui a déclaré que rien ne justifie la commission d'un acte criminel et que le Parlement doit toujours autoriser cela, eh bien, vous n'avez pas tout à fait tort. En réalité, il faudrait étudier en détail le jugement avant de pouvoir dire quelle doit être l'étendue de cette exigence en matière d'autorisation. Faut-il faire autoriser les poursuites à grande vitesse? Dans l'affirmative, il faudrait qu'ensemble, nous songions à chaque situation où la police pourrait potentiellement enfreindre la loi afin de mieux l'appliquer, et les repérer avec précision.
Mon problème, c'est que ces dispositions autorisent essentiellement à peu près n'importe quoi, à condition que vous, le fonctionnaire public ou l'agent de police, estimiez que la commission des actes concernés est juste et raisonnable dans les circonstances. Je pense qu'il y aurait moyen, sans compromettre gravement l'importance de ces dispositions législatives pour la bonne conduite de leurs opérations, de limiter leur champ d'application, du moins par rapport à la formulation actuelle, afin que le texte corresponde à l'usage qu'on en fait actuellement dans la pratique.
Dans une certaine mesure, il s'agit donc de dire: ce n'est pas un problème d'ordre pratique, puisque dans la pratique, la police a recours à ces dispositions seulement lorsqu'il le faut. L'autre problème, me semble-t-il, du point de vue constitutionnel, concerne ce qui va arriver lorsqu'il y a contestation -- si contestation il y a -- car là les tribunaux s'intéresseront davantage au libellé précis des dispositions concernées plutôt qu'à l'usage qu'on en fait.
Il arrive fréquemment qu'un avocat se présente devant un tribunal en disant: « Ne vous en faites pas, messieurs et mesdames les juges; je sais que ce texte de loi donne l'impression de tout autoriser, mais nous ne nous en servons que dans telle ou telle autre circonstance », et les juges répondent: « Si vous ne vous en servez que dans ces circonstances-là, que la loi reflète la réalité ».