Passer au contenu

JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain







CANADA

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 009 
l
1re SESSION 
l
39e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 13 juin 2006

[Enregistrement électronique]

(1530)

[Traduction]

    Je déclare ouverte cette séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Nous poursuivons notre revue des articles 25.1 à 25.4 du Code criminel concernant la protection des personnes chargées de l’application et de l’exécution de la loi.
    Nous recevons aujourd’hui, comme témoins, de l’Association canadienne des libertés civiles, M. Ken Swan et Mme Alexi Nicole Wood, directrice. Je crois savoir que vous présentez un exposé. Nous avons également, du Conseil canadien des avocats de la défense, Mme Jeanine LeRoy. Je crois que vous devez aussi présenter un exposé.
    Nous allons maintenant commencer.
    Madame Wood, voulez-vous prendre la parole en premier?
    Monsieur le président, membres du comité, je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui.
    Je m’appelle Alexi Wood. Je suis directrice du programme de sécurité de l’Association canadienne des libertés civiles. Je suis accompagnée aujourd’hui de Ken Swan, membre du conseil d’administration de l’Association, et de Brooke Wagner, qui est stagiaire.
    Il y a cinq ans, l’Association canadienne des libertés civiles a comparu devant votre comité. À l’époque, nous avions exprimé des préoccupations au sujet de l’importance des pouvoirs accordés aux organismes d’application de la loi. Nous revenons aujourd’hui pour réitérer beaucoup des mêmes préoccupations.
    Depuis des mois, l’ACLC attend que le comité entreprenne cet examen. Nous sommes donc heureux d’être ici aujourd’hui. Nous espérons que le comité écoutera les observations de l’ACLC et d’autres et s’en servira pour recommander l’adoption de modifications à la loi.
    Dans une société démocratique, il y a un principe fondamental voulant que tous, indépendamment de leur situation, respectent la loi. Une violation de ce principe de base ne devrait être permise que dans des circonstances extraordinaires et seulement dans le cadre d’un contrôle étroit. Malheureusement, les dispositions du projet de loi C-24 sur l’application de la loi ne prévoient aucune de ces deux garanties.
    De plus, si le gouvernement doit violer ce principe de base, il lui incombe de démontrer la nécessité de ces pouvoirs extraordinaires. Il ne l’a pas fait. Il y a plusieurs années, les organismes d’application de la loi se sont plaints des incidences de la décision rendue par la Cour suprême dans l’affaire Campbell et Shirose, qui entravaient, selon eux, certaines enquêtes policières. Par la suite, des mesures législatives ont été adoptées à ce sujet, accordant à la police le pouvoir de violer certaines dispositions de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, avant le dépôt du projet de loi C-24.
    L’ACLC ne s’était pas opposée alors – et ne l’a jamais fait – à des mesures législatives permettant une violation limitée de la loi dans des circonstances étroitement contrôlées. S’il y a d’autres situations dans lesquelles de tels pouvoirs sont nécessaires, il incombe au gouvernement de préciser ces situations et de proposer des pouvoirs limités de violation de la loi pour y remédier. Malheureusement, le projet de loi C-24 établit un pouvoir général de violation de la loi, qui peut être exercé dans d’innombrables cas. Nous considérons que cette mesure est dangereuse et sans nécessité et préconisons son abrogation.
    À défaut d’une telle abrogation, l’ACLC a plusieurs recommandations à formuler pour rendre le projet de loi C-24 moins préjudiciable.
    Le C-24 permet à des fonctionnaires publics désignés de déterminer les actes illicites qu’ils vont commettre, tant qu’ils croient ces actes justes et proportionnels dans les circonstances. Cette disposition présente deux difficultés.
    Premièrement, la disposition ne précise pas que l’acte illicite doit être nécessaire pour protéger un intérêt primordial. Le fait de permettre à des policiers de violer les lois qu’ils ont juré de faire respecter doit toujours être considéré comme extraordinaire. L’ACLC recommande par conséquent de modifier la loi pour imposer que tout acte illicite envisagé soit nécessaire, et pas seulement juste et proportionnel.
    Deuxièmement, la décision d’user de ces pouvoirs extraordinaires ne devrait pas être laissée aux policiers eux-mêmes. Les agents qui envisagent de violer la loi dans l’exercice de leurs fonctions devraient être tenus d’obtenir une autorisation préalable de leurs supérieurs. S'il leur est impossible d’obtenir une telle autorisation avant le fait, ils devraient avoir à informer leurs supérieurs le plus tôt possible. À l’heure actuelle, la loi ne prévoit pas une telle notification interne dans tous les cas.
    En fait, des rapports internes et externes ne sont exigés par la loi que dans deux cas limités: premièrement, si un fonctionnaire public ordonne à quelqu’un d’autre de commettre un acte qui serait autrement illicite; deuxièmement, lorsque l’acte est susceptible d’entraîner de graves dommages à la propriété. Il est également exigé de déclarer une délégation provisoire du pouvoir de commettre un acte illicite.
    L’ACLC recommande d’étendre les exigences relatives aux rapports externes pour y inclure tout acte illicite commis par un organisme d’application de la loi. Si des agents doivent se livrer à une activité illicite, cette activité doit être soumise à un examen soigneux par des fonctionnaires et par des membres du public.
    Je voudrais prendre quelques instants pour parler des rapports présentés.
    Nous avons examiné les rapports d’un service de police provincial et de la GRC et les avons trouvés insuffisants. Souvent, les renseignements qui y sont consignés sont tellement limités qu’ils sont dénués de sens.
    Les rapports ne précisent pas l’endroit où l’acte a été commis. Nous admettons que l’endroit exact pourrait constituer un renseignement délicat, mais nous croyons que les rapports devraient au moins préciser la province, car cela est essentiel pour demander des mesures correctives. De plus, le public devrait savoir si la GRC agissait à titre de service de police municipal ou dans le cadre de ses fonctions nationales.
    Dans un cas précis, le rapport de la GRC disait, et je cite: «... actes ou omissions... liés à la possession de biens volés, vol de plus de 5 000 $ et conspiration en vue de commettre un acte criminel... » Cette description est bien trop vague pour donner au public la moindre idée de ce qui s’est passé.
    À notre avis, le rapport devrait donner suffisamment de détails pour persuader le public que les actes commis étaient autorisés par la loi et pour savoir qui tenir responsable. Dans les cas où les organismes d’application de la loi croient devoir garder ces renseignements confidentiels, la loi devrait préciser les critères pouvant justifier la non-divulgation des renseignements et l’agent responsable devrait obtenir une ordonnance d’un tribunal.
    De plus, la loi permet aux organismes d’application de la loi de reporter la production des rapports limités actuellement exigés. Nous admettons qu’il y a des circonstances dans lesquelles la production de rapports extérieurs peut compromettre une enquête en cours ou mettre en danger la vie d’un agent infiltré. Dans ces cas, le report de la présentation des rapports pourrait être acceptable. Toutefois, la décision ne devrait pas être laissée à l’organisme en cause. Encore une fois, si le rapport annuel ne divulgue pas les actes illicites commis, l’organisme devrait demander une autorisation à un tribunal.
    Les dispositions du C-24 portent sur un vaste éventail d’actes illicites. Nous sommes bien conscients de la nécessité pour la police de procéder à des opérations secrètes et d’infiltrer des organisations criminelles. Toutefois, de l’avis de l’ACLC, certains actes ne devraient jamais être permis.
    Les mesures législatives actuelles interdisent expressément de causer des lésions corporelles, mais pourraient bien autoriser les menaces de violence physique. Nous recommandons de modifier la loi pour interdire explicitement de telles menaces, de même que tout acte de violence, qu’il cause ou non des lésions corporelles. L’ACLC recommande aussi de ne jamais permettre aux organismes d’application de la loi d'inciter d’autres à commettre des actes illicites. De plus, il faudrait prévoir le versement d’indemnités chaque fois que des actes illicites commis par la police entraînent un préjudice physique ou matériel pour d’innocents témoins. Enfin, aucun service de police ne devrait être autorisé à commettre des actes illicites à moins que les mesures législatives les prévoyant n’exigent aussi une vérification indépendante. Une autorité indépendante des organismes d’application de la loi et du gouvernement devrait avoir accès en permanence aux dossiers, aux installations et au personnel de ces organismes pour mener des enquêtes et publier des rapports sur la façon dont ces pouvoirs sont exercés. Cette autorité pourrait fonctionner un peu comme le CSARS, qui surveille les activités du SCRS.
    Je voudrais remercier encore une fois le président et les membres du comité de nous avoir donné l’occasion de comparaître aujourd’hui. Nous serons heureux de répondre à toute question.
(1535)
    Merci, madame Wood.
    À vous, madame LeRoy.
    Au nom du Conseil canadien des avocats de la défense, je voudrais moi aussi remercier le comité de nous avoir donné l’occasion de présenter notre point de vue dans le cadre de cet examen des dispositions du Code criminel relatives à l’application de la loi.
    Mon exposé sera très bref, mais je serais heureuse de répondre à vos questions.
    Comme vous le savez sûrement, le Conseil canadien des avocats de la défense est un organisme national créé en 1992. Le président du Conseil, William Trudell, a comparu devant des comités de la Chambre et du Sénat en 2001 pour parler de cette mesure législative, qui n’était alors qu’un projet de loi. À ce moment, il avait exhorté les comités à avancer avec prudence et avait exprimé les préoccupations du Conseil relativement à cette mesure.
    Il s’était inquiété en particulier de la possibilité pour la police d’abuser de ses pouvoirs et de certains actes illicites autorisés. Ma collègue a mentionné, par exemple, les menaces de violence et de mort. Il avait exprimé des préoccupations au sujet du libellé vague de la loi, comme dans l’expression « intégrité sexuelle », ainsi que de la responsabilité et des exigences en matière de rapports.
    M. Trudell avait dit alors qu’il voulait avoir l’occasion d’examiner la situation dans cinq ou dix ans pour être en mesure d’assurer à ses clients, c’est-à-dire vos électeurs, que la loi réalisait un équilibre approprié. Nous sommes ici maintenant, cinq ans plus tard. Votre comité entreprend un examen destiné justement à répondre à la question de savoir si la loi réalise un équilibre adéquat.
    Comme ces pouvoirs n'ont été exercés que dans un nombre relativement réduit de cas, qu'on n'a pas recouru aux dispositions d’urgence, que cette mesure législative n'a pas fait l'objet d’un examen judiciaire, qu'elle n'a pas été contestée en vertu de la Charte et que son utilisation n'a pas suscité de plaintes, le Conseil canadien des avocats de la défense croit qu'il est vraiment trop tôt pour dire s’il y a un équilibre approprié. Il nous semble que l’usage fait de cette mesure s’est principalement limité à des enquêtes portant sur des organisations criminelles, ordinairement pour obtenir de faux papiers d’identité, de la fausse monnaie, du tabac ou de l’alcool. Toutefois, avec la récente arrestation de personnes accusées d’infractions liées au terrorisme, le Conseil est conscient de la possibilité d’un usage accru de cette mesure. Dans ce cas, le comité disposera de plus de renseignements, peut-être même de renseignements suffisants pour répondre à la question de savoir s’il y a un équilibre approprié.
    Par conséquent – et je vais peut-être surprendre certains d’entre vous –, le Conseil exhorte le comité a procédé à un autre examen dans deux ou trois ans pour voir où nous en sommes. Peut-être alors, M. Trudell pourra, comme il l’espérait lors de sa comparution précédente, assurer à ses clients que la loi réalise un équilibre approprié ou, du moins, que le comité continue à suivre la situation, est disposé à entendre notre point de vue et celui d’autres groupes et se tient prêt à agir s’il s’avère nécessaire d’apporter des modifications à la loi. À l’heure actuelle, il est encore trop tôt pour se prononcer.
    Merci beaucoup.
(1540)
    Merci à vous, madame LeRoy.
    Nous sommes maintenant prêts à aborder la période des questions.
    Monsieur Lee, vous avez sept minutes.
    Messieurs et mesdames, je vais commencer.
    Je tiens d’abord à remercier les deux groupes pour leurs exposés. Pour la première fois depuis que nous avons commencé ces audiences, j’ai en fait beaucoup aimé les exposés présentés. J’ai trouvé, dans les deux cas, qu’ils allaient dans la bonne direction.
    Je voudrais parler d’une question qui s’est posée au comité. Il s’agit de l’absence de données pouvant nous permettre de décider si les dispositions fonctionnent bien ou non. Nous avons reçu à huis clos des renseignements utiles, mais je voudrais savoir si vos groupes ont connaissance d’importants abus ou même de recours à bon escient à ces dispositions.
    Je commence par poser la question à l’Association canadienne des libertés civiles.
    En fait, nous ne sommes au courant de rien. Cela représente un problème pour nous. Si l’on considère ces mesures et la vaste gamme d’actes illicites qu’elles autorisent, il est difficile de comprendre que la production de rapports n’est exigée que dans trois cas étroitement définis. Par conséquent, nous ne savons pas. Il est bien possible que ces mesures aient été utilisées très souvent pour commettre des actes illicites, mais il est tout aussi possible que ce ne soit pas le cas. C’est vraiment une zone grise. Comme je l’ai dit, les dispositions n’imposent de présenter des rapports que dans trois cas étroitement définis.
    L’absence de plaintes et de problèmes est en fait une source de préoccupation pour l’Association. Nous sommes dans l’obscurité. Nous ne sommes pas au courant de tous les cas où des actes illicites ont été commis. C’est la raison pour laquelle nous recommandons d’étendre les exigences relatives aux rapports pour inclure, dans une mesure raisonnable, tous les actes commis en vertu de ces dispositions.
    Et qu’en pensent les avocats de la défense?
    Très brièvement, non, nous n’avons pas connaissance de problèmes évidents. Nous sommes bien d’accord que les exigences relatives aux rapports sont insuffisantes.
    Il y aurait un autre moyen d’obtenir ce genre de renseignements, par exemple si des accusations sont portées par suite de certaines des enquêtes dans lesquelles la police a eu recours à ces dispositions. Il faudrait communiquer les renseignements dans ce cas. Les tribunaux n’ont pas examiné la question. Nous en déduisons que, dans les cas où des accusations ont été portées par suite de telles enquêtes, la façon dont celles-ci ont été menées n’a occasionné aucun problème.
(1545)
    Avez-vous, l’une ou l’autre, envisagé la possibilité de judiciariser davantage cette procédure en proposant une modification d’une forme ou d’une autre?
    J’hésite personnellement à préconiser une plus grande judiciarisation tant qu’un besoin réel n’est pas établi. En ce moment, nous ne disposons pas de données suffisantes pour prendre une décision d’un côté ou de l’autre. Avez-vous réfléchi aux avantages et aux inconvénients de judiciariser certains éléments de la procédure qui ne le sont pas actuellement? En fait, aucun élément ne l’est actuellement. Y avez-vous pensé ou avez-vous une opinion à formuler à ce sujet?
    Nous n’avons proposé de judiciariser aucun des mécanismes d’autorisation. Nous préconisons plutôt d’assujettir certains retards et certains cas où il n’est pas exigé de présenter un rapport à un examen judiciaire, au moment où les décisions correspondantes sont prises. Par exemple, nous avons demandé qu’on soumette à un tribunal la décision de ne pas déclarer une violation particulière de la loi pour l’une des raisons énoncées dans les dispositions elles-mêmes.
    Je vous remercie.
    Vous savez sûrement que M. Peter Copeland a témoigné devant le comité au nom de la Criminal Lawyers’ Association. Il a présenté des arguments en faveur d’une forme d’examen judiciaire destinée à obtenir des autorisations préalables ou, à défaut, un examen subséquent. Je fais en fait partie du conseil d’administration de cet organisme, mais je représente ici le Conseil canadien des avocats de la défense, qui n’a pas encore pris position en faveur de cette proposition.
    Je vous remercie.
    S’il me reste du temps, monsieur le président, M. Ignatieff aurait une question à poser.
    Allez-y, monsieur Ignatieff.
    Je voudrais remercier les représentants des deux organismes d’être venus aujourd’hui et les féliciter pour leurs efforts de longue date en faveur des libertés civiles de leurs concitoyens.
    J’ai effectivement une question à poser. Je voudrais savoir si la soustraction à la responsabilité criminelle prévue dans ces dispositions devrait être limitée aux fonctionnaires publics ou bien s’il convient de l’étendre aux « personnes qui agissent sous leur direction », ce qui semble désigner ici des informateurs de la police qui ont en général un casier judiciaire et qui continuent à commettre des actes criminels. Certains recommandent de supprimer cette expression pour limiter l’application de ces dispositions aux fonctionnaires publics.
    J’aimerais savoir si vos deux organismes ont un point de vue à ce sujet.
    Nous n’avons pas encore pris position à ce sujet, même si nous l’avons examiné la dernière fois que ces dispositions étaient à l’étude au comité et lors des consultations qui avaient précédé. Notre point de vue était alors que ces personnes devraient être assujetties aux dispositions ordinaires de la loi, sous réserve des pouvoirs discrétionnaires pouvant être exercés en leur nom ou des arrangements pris pour tenir compte du fait qu’ils agissaient, en apparence ou autrement, avec l’accord des responsables ou, du moins, sans que leurs actes soient officiellement condamnés.
    Depuis, nous ne sommes pas allés plus loin. Notre argument n’ayant pas été retenu auparavant, nous avons jugé qu’il ne valait pas la peine de le présenter de nouveau.
    Si vous aviez la possibilité de présenter des arguments, quelle serait votre position?
    Nous ne croyons pas que quiconque devrait être autorisé d’avance à violer la loi.
    Y compris les fonctionnaires publics.
    Y compris les fonctionnaires publics. Personne ne devrait avoir le genre d’autorisation générale de violer la loi que donnent ces dispositions. C’était notre position initiale en 2001. C’est encore notre position aujourd’hui.
    Cela étant dit, si le Parlement insiste pour maintenir ces dispositions, nous proposons un certain nombre de moyens de limiter cette autorisation.
    Me dites-vous donc qu’il ne serait pas utile de supprimer l’expression « personnes qui agissent sous leur direction »?
(1550)
    Oh, oui.
    Vous croyez que ce serait utile?
    Oui.
    Vous estimez cependant que ce ne serait qu’une amélioration mineure puisque vous vous opposez au départ à ces dispositions dans leur ensemble.
    Je ne voudrais pas vraiment revenir à la situation que nous avions au départ, mais ce serait certainement une amélioration. Une telle modification exclurait du groupe des personnes privilégiées des gens qu’il est extrêmement difficile de contrôler et qui agissent probablement dans des circonstances qui ne sont pas tout à fait les mêmes que celles d’agents assermentés chargés d’appliquer la loi.
    Merci, monsieur Ignatieff.
    Monsieur Ménard.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Vous êtes les premiers témoins à nous faire la suggestion d'ajouter quelque chose. Je crois savoir que vous souhaitez l'ajout du mot « nécessaire » au paragraphe 25.1(8). Là où on parle de quelque chose qu'on souhaite juste et proportionnel, il vous apparaît qu'on devrait ajouter quelque chose de plus restrictif sur le plan du droit, du moins dans sa signification. Je trouve l'idée intéressante. J'aimerais que vous nous en parliez davantage.
    Est-ce que je saisis bien quand je dis que c'est au paragraphe 25.1(8) que vous voulez inscrire cet amendement? Peut-être n'avez-vous pas devant vous les dispositions du Code criminel. Sinon, nos attachés de recherche feront le travail de concordance avec nous. J'ai l'impression que c'est là que vous souhaitez voir cet ajout.

[Traduction]

    J’espère que vous ne m’en voudrez pas de répondre en anglais.

[Français]

    Il n'y a aucun problème.

[Traduction]

    Oui, vous avez parfaitement raison. C’est bien la disposition à modifier.
    Nous proposons de substituer « nécessaire » à « juste et proportionnelle dans les circonstances » à l’alinéa 25.1(8)c).
    Comme je l’ai dit dans mon exposé préliminaire, nous avons deux recommandations. Premièrement, les fonctionnaires publics peuvent eux-mêmes décider, ce qui est problématique sur le plan juridique. De plus, le critère établi par l’expression « juste et proportionnelle » est lui aussi problématique. À notre avis, il n’est pas assez rigoureux et devrait être remplacé par le critère « nécessaire ». Si un fonctionnaire réfléchit et se dit que l’acte à commettre n’est peut-être pas nécessaire, mais qu’il est raisonnable, le critère n’est pas vraiment suffisant. Nous croyons que les pouvoirs accordés aux organismes d’application de la loi sont tellement extraordinaires qu’il est nécessaire de les restreindre dans la mesure du possible.

[Français]

    Je comprends très bien ce que vous dites, et tous les organismes responsables des libertés et des droits de la personne ont tenu ce même discours. Je pense qu'on est fondé de l'avoir également. Cependant, quel sens va-t-on donner au mot « nécessaire »? Par exemple, en 2000, il y avait 37 groupes de motards criminalisés dans tout le Canada, et l'infiltration et la délation sont inévitables dans les enquêtes policières. Tout aussi attaché que l'on puisse être aux droits de la personne, il ne peut y avoir de dénouement des grandes enquêtes policières s'il n'y a pas infiltration et délation. La Cour suprême a même reconnu que les organismes responsables de l'application de la loi n'étaient pas obligés de divulguer leurs sources.
    Comment va-t-on définir le mot « nécessaire »? Jusqu'à présent, on n'a pas porté à notre connaissance de régime d'abus. Au contraire, la GRC s'est même donné des mécanismes de contrôle interne. Au gouvernement fédéral, trois ministères ont invoqué ces dispositions dans des cas liés aux drogues, à l'immigration et à la lutte contre le crime organisé. Que vous souhaitiez ajouter le mot « nécessaire » m'apparaît intéressant, mais pouvez-vous nous donner des détails sur l'interprétation que l'on devrait en faire?

[Traduction]

    Je crois que le mot « nécessaire » figure un peu partout dans le Code criminel, comme critère permettant d’évaluer toutes sortes d’activités. Je n’ai pas pu trouver un exemple dans les autres dispositions de justification du Code, mais c’est un concept qui, je le sais, revient souvent dans de nombreux articles. Je vais peut-être réussir à vous en trouver quelques-uns avant la fin de la séance.
    Je note que si le mot est inséré dans la disposition à l’endroit voulu, il serait quand même accompagné de réserves signifiant que le fonctionnaire public ou l’agent de la paix doit croire, pour des motifs raisonnables, que l’acte est nécessaire.
(1555)

[Français]

    D'accord.

[Traduction]

    Autrement dit, on n’imposerait pas une exigence distincte établissant que l’acte doit être objectivement nécessaire. Il suffirait que la personne en cause le croie nécessaire. L’agent de police aurait alors à considérer un critère plus rigoureux avant de commettre un acte illicite.

[Français]

    Je trouve cette proposition intéressante. Il faudra qu'on l'analyse plus avant, mais j'ai vraiment un capital de sympathie — je parle comme un marxiste, mais je n'ai de marxiste que le nom — pour cette proposition. Je veux tout de suite rassurer notre président à cet égard.
    Vous avez fait allusion à la menace de violence physique. Vous dites que certains actes ne devraient évidemment pas être autorisés. Il existe déjà trois exceptions: l'intégrité, les agressions sexuelles et les meurtres et homicides. Vous voulez que la menace de violence physique soit inscrite sur la liste des actes prohibés pour lesquels il n'existe aucune défense ou recours possible. Dans un scénario d'infiltration, qu'est-ce que cet ajout signifie?
    On a discuté de ces questions au déjeuner. Je suis donc prête.
    Je sais qu'en vieillissant, je suis terriblement prévisible. Vous n'êtes pas les premiers à me le dire.
    Je vous écoute.

[Traduction]

    Ma collègue a dit qu’il y a un certain nombre de maladresses dans le libellé du paragraphe 25.1(11). Je crois qu’elle a raison. Pour contrevenir à cette disposition, il faut provoquer la mort d’une autre personne ou lui causer des lésions corporelles par négligence. Pour nous, cela pourrait être interprété ainsi: vous pouvez être déterminé à tuer une personne, mais si vous ne réussissez pas à le faire, la loi vous protège, tandis qu’elle ne vous protégerait pas si vous réussissiez.
    Ma collègue a déjà mentionné le caractère vague de l’expression « porte atteinte à l’intégrité sexuelle d’une personne ». Il est très possible que le concept de violation de l’intégrité sexuelle vienne de l’une des décisions de la Cour suprême du Canada. Je ne suis pas vraiment sûr, mais j’ai l’impression qu’il est assez difficile de savoir exactement ce que cela signifie.
    Nous aurions préféré, il y a cinq ans, que les dispositions précises autorisant les agents de police et les fonctionnaires publics à violer la loi soient plus détaillées. Nous ne nous opposons pas du tout à ce que des policiers soient soustraits à toute responsabilité criminelle s’ils détiennent des articles de contrebande ou font eux-mêmes de la contrebande. Les difficultés commencent lorsqu’on en vient aux infractions contre la personne. Je dois ajouter que le paragraphe (11) n’est là qu'à cause des résultats du processus de consultation organisé avant la rédaction du projet de loi.
    Nous voudrions avoir une disposition beaucoup plus stricte qui traiterait aussi des autres genres d’infractions comme les tentatives, les conspirations, les conseils donnés, etc. Nous ne croyons pas qu’un agent de police puisse se permettre de conseiller à quelqu’un d’infliger des lésions corporelles à une personne.
    Merci, monsieur Swan.
    Monsieur Comartin.
    Merci, monsieur le président. Je veux également remercier les témoins d’êtres venus aujourd’hui.
    D’abord, madame LeRoy, vous avez dit qu’il pourrait y avoir des incidents sans que nous le sachions car, si aucune accusation n’est portée, les avocats de la défense ne seraient pas au courant, il n’y aurait pas d’accusé et rien ne paraîtrait dans les rapports. Madame Wood, vous pourriez également répondre à cette question. S’il fallait changer le libellé de la disposition concernant les rapports à présenter pour que des rapports publics soient produits même si aucune accusation n’est portée, quel libellé recommanderiez-vous?
(1600)
    Exactement comme vous venez de le dire.
    Ce serait donc aussi simple que cela?
    Oui. Je crois qu’il est important de mentionner quelque part dans la loi qu’il faut produire un rapport, que des accusations soient portées ou non. C’est aussi simple que cela.
    Nous irions encore plus loin. Nous avons les mêmes préoccupations que ma collègue: il faudrait publier plus de renseignements dans les rapports. Elle a raison. Les rapports publiés ne contiennent rien d’utile.
    Par ailleurs, j’ai été surprise d’apprendre, en examinant le témoignage précédent que vous avez entendu, que les rapports sont très en retard. Il faudrait également faire quelque chose à ce sujet.
    Avez-vous quelque chose à dire sur cette question?
    Oui. Comme nous l’avons dit dans notre exposé préliminaire, nous recommandons d’élargir les exigences relatives aux rapports pour les étendre à tous les cas de recours à ces dispositions. En ce moment, les rapports ne sont exigés que dans trois cas étroitement définis. Comme ma collègue vient de le dire, il y a aussi les retards... J’ai lu les dispositions et n’y ai rien trouvé qui puisse interdire aux organismes d’application de la loi de retarder indéfiniment la production de rapports. Il n’y a aucune limite et aucune surveillance.
    Nous recommandons que les organismes d’application de la loi soient tenus d’obtenir une autorisation judiciaire s’ils ont l’intention de reporter la production de rapports. De plus, comme ma collègue l’a dit, les détails donnés dans les rapports sont tellement sommaires qu’ils sont en pratique dénués de sens. Nous avons besoin de détails suffisants pour que des membres du public puissent tenir les ministres compétents responsables des mesures prises.
    Au sujet de l’autorisation judiciaire préalable, je ne suis pas du même avis que M. Lee. J’ai l’impression qu’une telle autorisation serait préférable. Toutefois, ce sont les cas exceptionnels et urgents qui m’inquiètent un peu. J’aimerais avoir des suggestions sur le libellé à adopter pour que l’autorisation judiciaire préalable soit nécessaire dans tous les cas, sauf urgence. Quelles exceptions faudrait-il prévoir pour permettre à un policier de ne pas obtenir une autorisation préalable? Pourrions-nous recourir au même genre de formulation que dans les cas où l’obtention préalable d’un mandat n’est pas exigée parce qu’on a des motifs raisonnables de croire qu’un acte criminel est sur le point d’être commis?
    J’ai examiné la formulation, mais j’ai trouvé qu’on peut difficilement l’utiliser telle quelle dans le cas qui nous occupe. Je ne sais pas si vous y avez pensé. Si vous avez des observations à ce sujet, je serai heureux de les connaître.
    Il est difficile de répondre car, comme vous le savez, cette partie de la loi n’a jamais été utilisée. Nous ne pouvons pas demander à la police dans quelles circonstances elle a eu besoin d’y recourir puisqu’elle ne s’en est jamais servie. C’est vraiment difficile.
    Je ne crois pas qu’il soit vraiment difficile de trouver le bon libellé. Vous avez bien raison, nous le faisons actuellement en recourant principalement à la jurisprudence. Par exemple, si des preuves sont sur le point d’être détruites, le policier n’a pas besoin d’obtenir un mandat de perquisition... Il court quand même le risque qu’on lui dise plus tard qu’il aurait dû le faire. La sécurité du policier pourrait également être en cause. Il peut fouiller un véhicule dans certaines circonstances s’il croit qu’un agent est en danger.
    Je ne crois donc pas qu’il soit impossible de trouver le bon libellé, mais je ne suis pas sûre non plus que les organismes d’application de la loi aient besoin de ce pouvoir puisqu’ils n’ont jamais eu à l’exercer.
    Le libellé de l’alinéa 25.1(9)b) n’est probablement pas si mal dans le genre. Cette disposition prévoit trois exceptions si l’acte ou l’omission est nécessaire afin:
(i) soit de préserver la vie ou la sécurité d’une personne,
(ii) soit d’éviter de compromettre la confidentialité de l’identité d’un fonctionnaire public ou d’un informateur ou celle d’une personne agissant sous la direction et l’autorité d’un fonctionnaire public,
(iii) soit de prévenir la perte ou la destruction imminentes d’éléments de preuve d’un acte criminel.
    Ces motifs semblent raisonnables pour justifier qu’un acte soit commis sans autorisation préalable, pourvu que l’acte s’inscrive dans les limites de ce que la loi permet de faire.
    Je signale que ce sont les circonstances pressantes et urgentes prévues d’une façon générale dans le Code criminel. À notre connaissance, les organismes d’application de la loi n’ont besoin de rien d’autre.
(1605)
    C’est tout, monsieur le président. Je vous remercie.
    Merci, monsieur Comartin.
    À vous, monsieur Thompson.
    Je vous remercie.
    Je remercie également les témoins d’être venus et d’avoir présenté des exposés. Je suppose, madame Wood et monsieur Swan, que vous préconisez la suppression pure et simple de cette disposition. Est-ce exact?
    C’est notre position initiale, oui.
    Êtes-vous du même avis, madame LeRoy?
    Nous croyons qu’il est encore trop tôt pour se prononcer, mais j’exhorte le comité à tenir compte du fait que les organismes d’application de la loi n’ont jamais eu à recourir à cette disposition. Quelle est donc son utilité?
    Avez-vous vu le mémoire que nous a présenté le service de police qui est venu témoigner au comité?
    Oui, je l’ai lu.
    Les policiers semblaient très satisfaits de ces dispositions. Ils font leur travail dans le cadre de ces dispositions depuis cinq ans. Ils sont heureux qu’elles soient là. Comme vous le savez sans doute, ils s’opposeraient à ce que n’importe quoi soit supprimé ou ajouté. Ils pensent qu’elles sont bonnes telles quelles et croient pouvoir continuer à fonctionner dans ce cadre. Ils estiment avoir eu beaucoup de succès, mais nous attendons de voir les rapports pour nous assurer que c’est bien le cas.
    Il y a cependant une chose qui me laisse perplexe depuis que nous avons commencé. J’ai eu des entretiens avec quelques agents de police – dont notre président, qui est un ancien officier de police – au sujet de certaines activités auxquelles ils se livrent pour protéger la société. C’est là leur principale mission. Compte tenu de ce que j’ai entendu raconter au sujet des circonstances ou de la succession d’événements qui caractérisent les situations d’infiltration, je ne vois vraiment pas comment il serait possible d’obtenir une autorisation préalable ou d’inscrire dans la loi tous les aspects possibles.
    Je crois représenter ici un important groupe de citoyens du pays qui font totalement confiance à des services de police bien entraînés, à un groupe de personnes qui font de leur mieux pour protéger les gens des éléments criminels. Nous devons écouter les policiers, les appuyer et leur donner tous les outils nécessaires pour leur permettre de protéger la société.
    Comme vous le savez, le monde est en train de changer. Nous vivons maintenant dans un monde très étrange. Quelques-uns de mes collègues diront sans doute que j’essaie de faire peur aux gens, mais certains événements se produisent. Quand une petite fille de 11 ans est enlevée pendant qu’elle va chercher un film sur sa trottinette, les gens s’en inquiètent. Je m’en inquiète aussi.
    Nous avons de vrais experts, les policiers. Dans les services de police, les agents ont des supérieurs. Personne ne travaille sans supervision. Ils relèvent tous d’autorités supérieures et sont assujettis à des contrôles internes. Ils ne veillent pas seulement à la sécurité du public, ils s’assurent aussi de travailler dans les limites de la loi, comme le prévoient ces dispositions. J’espère que les rapports que nous obtiendrons en témoigneront d’une façon éloquente.
    Ce qui me laisse perplexe, c’est que j’entends constamment des gens comme vous dire que nous devons en arriver à un certain équilibre. J’ai entendu des membres du comité le dire, et nous savons que cela se dit aussi dans le public. Nous devons en arriver à un certain équilibre, mais qui va définir cet équilibre? Allez-vous le faire? Le public va-t-il le faire?
    La majorité des membres du public accordent une confiance quasi totale à la police, qui est entraînée pour faire le travail qu’on attend d’elle. Pour ce qui est de la confiance dans les politiciens qui sont censés élaborer les lois nécessaires pour que les policiers puissent faire leur travail, je dirais, étant moi-même politicien, qu’ils seraient les derniers à qui je ferais confiance. Mais, diable, nous avons une vraie fonction à remplir dans ce monde. Ce monde n’est pas le meilleur et le plus commode à cause des innombrables crimes qui sont commis, à cause des gangs, de la drogue et de tout le reste.
    Je ne comprends pas ce que vous voulez dire par un certain équilibre. Qu’est-ce qui vous rendrait heureux? Supprimer cette disposition? Si j’ai bien compris, c’est ce que vous voulez faire. Les gens n’en seraient pas très heureux. L’équilibre, mais en fonction de qui? Pourquoi parlons-nous d’en arriver à un certain équilibre quand nous ne savons pas ce que cela veut dire?
    C’est ma seule question si vous avez envie d’y répondre.
    Je ne crois pas que les gens comme vous fassent suffisamment confiance à ceux qui sont chargés de protéger la société, c’est-à-dire nos services de police. Nous devons faire tout ce que nous pouvons pour les appuyer dans leur travail. Je pense qu’ils sont capables de s’occuper d’eux-mêmes et de ne pas dépasser les limites, quelle que soit la situation. Ils connaissent bien leurs limites, qui sont là, tout comme la Charte canadienne des droits et libertés.
    Allez-y, les gars et les filles. Continuez à faire du bon travail. Continuez à nous protéger. Nous avons besoin de vous.
    Et, de notre côté, fichons-leur donc la paix.
    Voilà ce que je pense. Vous pouvez formuler des commentaires, si vous le souhaitez. Autrement, passons au suivant.
(1610)
    Monsieur Swan.
    Je crois bien qu’il y a une question dans ce que vous avez dit, monsieur.
    Je dirai, pour commencer, que nous avons probablement tous autant confiance dans la police que vous. Nous devons, comme vous, compter sur elle pour protéger nos droits et nos libertés. Beaucoup d’entre nous ont des contacts étroits avec elle. Beaucoup d’entre nous parlent à des policiers et ont des contacts avec eux dans le cadre de leurs fonctions. Nous faisons appel à leur témoignage dans de nombreux procès. Rien de ce que nous avons dit ne constitue une attaque contre la police.
    Il s’agit plutôt de décider dans quelle mesure c’est la loi ou la police qui régit le pays. Nous ne sommes tout simplement pas disposés à laisser la police faire ce qu’elle veut sans contrôle adéquat, nous ne pouvons pas lui donner le pouvoir de violer la loi dans des circonstances mal définies. Voilà ce que nous voulons dire par en arriver à un certain équilibre. Si la police doit violer la loi, nous devrions le savoir, nous devrions pouvoir donner notre avis et déterminer si tout cela se fait vraiment dans notre intérêt.
    À ce sujet, je voudrais revenir à ce que j’ai dit. Compte tenu de ce que j’ai appris des gens sur le terrain, je ne vois pas comment il serait possible de le faire en tenant compte de la succession des événements. Il y a des choses qui arrivent soudainement. Il faut alors se fier au jugement de la personne ou des personnes qui sont là à ce moment.
    Nous ne pouvons pas tout prévoir. Nous devrions consacrer tous nos efforts à l’élaboration de lignes directrices et nous assurer qu’elles sont respectées, mais de là à priver la police d’un outil... Elle cessera simplement toute opération secrète, monsieur. Les représentants de la police nous ont dit que s’ils étaient privés de ces dispositions, ils ne feraient plus rien. Ils nous l’ont dit très clairement. En fait, d’après eux, ces opérations ont déjà cessé depuis que les tribunaux ont imposé l’adoption de ces dispositions. Tout a cessé.
    Monsieur Comartin.
    J’invoque le Règlement. Ce n’est pas du tout ce qu’ils ont dit. Il est injuste que M. Thompson affirme qu’ils ont dit cela.
    Eh bien, je me trompe peut-être, mais c’est ce que j’ai compris.
    C’est peut-être le cas, mais ils ne l’ont pas dit. Ils n’ont pas dit qu’ils mettraient fin à leurs opérations secrètes, qui vont beaucoup plus loin que ce qu’ils font lorsqu’ils doivent violer la loi. Ils ont plutôt dit qu’ils n’entreprendraient plus aucune opération qui les obligerait à contrevenir à la loi. C’est la position qu’ils ont prise après la décision de la Cour suprême...
    C’est bien ce que je tentais d’expliquer. Je regrette si mes paroles ont été mal comprises.
    Les opérations secrètes de la police sont extrêmement étendues par rapport aux quelques rares cas où des agents doivent violer la loi.
    Merci, monsieur Comartin.
    Y a-t-il d’autres réponses à donner à M. Thompson?
    Madame LeRoy.
    Vous nous demandez, monsieur, pour qui nous devons en arriver à cet équilibre et pour quelle raison nous vous invitons à réexaminer cette question dans deux ou trois ans pour déterminer si nous en sommes arrivés à un équilibre adéquat. La réponse, c’est simplement qu’il faut le faire pour les tribunaux, qui sont chargés d’examiner vos lois. Les tribunaux tiennent compte de l’équilibre entre la primauté du droit – qui reflète votre souci de vivre dans une société adéquatement protégée par la police – et les droits des citoyens, y compris ceux qui sont accusés d’avoir commis des crimes. C’est pour eux que nous essayons de nous assurer qu’il y a un équilibre entre la primauté du droit, qui garantit la sécurité de la collectivité, et les droits des citoyens, y compris ceux qui sont accusés d’avoir commis des crimes.
    Que vous l’acceptiez ou pas, ce sont les tribunaux qui vous diront en fin de compte si vous avez réalisé cet équilibre. L’expression est d’ailleurs tirée de leurs jugements. C’est ce qu’ils font tous les jours, et nous les aidons à le faire.
    Merci, madame LeRoy.
    J’ai une question à poser sur ce point. Je vais vous parler d’une situation hypothétique, bien qu’il s’agisse de faits qui se produisent couramment dans le cadre des enquêtes policières.
    Nous avons donc un groupe criminel organisé qui, pour réunir des fonds, se livre à des vols à main armée. Les membres du groupe vont dans une banque ou une coopérative de crédit et décident d’user d’autant de violence que nécessaire – dans certaines limites, je suppose – en sautant sur les comptoirs, en brandissant des pistolets, en obligeant les caissiers à s’allonger par terre, en braquant leurs armes sur la tête des gens, en criant, en vidant les tiroirs-caisses, puis en prenant la fuite. Ce groupe poursuit son activité, semant la terreur. Tous ses membres portent des cagoules, de sorte que personne ne connaît leur identité.
    Voilà que la police reçoit un tuyau, déploie un effort particulier pour obtenir autant de renseignements que possible sur le groupe et tente de placer des agents le plus près possible de ces criminels. L’un d’entre eux est arrêté pour une infraction mineure ou sur la base d’un mandat en circulation. Un agent se dit alors qu’il pourrait y avoir un lien entre l’individu arrêté et le groupe. Il décide donc de l’agresser et lui arrache une touffe de cheveux. Grande découverte: les cheveux correspondent exactement à un échantillon trouvé dans une cagoule.
    Cette disposition s’applique-t-elle dans ce cas?
(1615)
    Voici ma réponse. Les policiers sont autorisés à commettre l’agression à condition de ne causer ni mort ni lésions corporelles. Toutefois, si j’ai bien compris la loi, ils n’ont pas le droit de tourner la manière habituelle d'obtenir des preuves. Un avocat de la défense pourrait donc s’opposer à toute mesure...
    Dans un tribunal, n’est-ce pas?
    Oui, dans un tribunal.
    Exactement.
    L’avocat soutiendrait que l’échantillon de cheveux n’a pas été obtenu d’une façon légale.
    Vous ne voudrez probablement pas connaître mes arguments à ce sujet.
    Je connais la réponse qui a été donnée dans ce cas particulier. Dans ce cas – vous avez parfaitement raison –, l’affaire est allée devant les tribunaux. Le juge a conclu que c’était en fait une agression...
    C’est bien le cas.
    … mais a jugé que l’agression était d’une nature tellement mineure par rapport à la gravité du crime et de la vague de violence que ces gens avaient déclenchée qu’il a accepté la preuve, ce qui a permis d’obtenir une condamnation.
    Revenons maintenant à ces dispositions. Le cas que j’ai mentionné y serait assujetti. Ce qui existait avant leur adoption est maintenant dans la loi et a permis à la police de mettre à l’ombre un certain nombre de criminels très violents. Voilà maintenant où nous en sommes.
    À la place du policier, j’aurais simplement eu un entretien avec cet individu arrêté. Je l’aurais persuadé de me donner tous les renseignements nécessaires pour me permettre d’infiltrer ce groupe et de participer à des vols à main armée avec ses membres. Ces dispositions le permettent. Il n’est pas vraiment nécessaire d’agresser l’individu. Un agent peut se joindre au groupe pour participer à des vols.
    Je ne crois pas que ce soit dans la nature de nos services de police, ni que cela corresponde à l’entraînement qu’ils reçoivent.
    Mais c’est bien ce qu’ils font. Ils infiltrent...
    Oui, ils le font.
    ... les organisations criminelles.
    Certains d’entre eux mettent des années pour arriver à le faire...
    Absolument.
    … et pour obtenir... C’est la raison pour laquelle les rapports dont vous avez parlé décrivent les accusations portées d’une façon aussi vague et avec tant de retard. En agissant ainsi, les services de police peuvent poursuivre leurs enquêtes sans craindre que quelqu’un lise un rapport et se dise: « Oh, je sais de qui il s’agit. »
    Mais, comme l’on dit d’autres témoins que vous avez entendus, si une enquête est en cours, il est possible de mettre des choses sous scellés pour éviter de les faire figurer dans un rapport. Cela se fait maintenant par voie de mandat.
    Je ne partage pas votre avis au sujet des scellés. À titre d’enquêteur sur des crimes graves, je peux vous dire que, malgré les mandats, il est arrivé dans de nombreux cas que les scellés soient levés et que les preuves soient rendues publiques. On a compromis ainsi non seulement des agents chargés d’opérations secrètes, mais aussi des enquêtes.
    Mais la levée des scellés n’est faite qu’après la présentation d’une demande à un juge. C’est le juge qui décide.
    Et les décisions ne sont pas toujours les meilleures.
    Il n’y a pas de doute qu’il arrive aux juges de se tromper.
    Quoi qu’il en soit, je voulais avoir vos commentaires, et je les ai eus.
    C’est maintenant votre tour, monsieur Bagnell.
    Je vous remercie.
    Je voudrais juste poser quelques brèves questions à Mme LeRoy. Vous avez dit que nous devrions produire un rapport dans quelque temps parce que ces dispositions n’ont presque pas été utilisées et que nous n’en connaissons donc pas les effets. Je conviens avec vous que nous avons besoin d’un nouveau rapport.
    Vous dites aussi que nous pourrions nous passer de ces dispositions parce qu’elles ne servent jamais. Comment le savez-vous si les organismes d’application de la loi n'ont à produire des rapports que dans des cas exceptionnels? Nous n’avons aucun moyen de savoir combien de fois ils ont recouru à ces dispositions.
    Nous sommes bien d’accord avec vous que les exigences relatives au rapport sont insuffisantes. Notre principal argument, c’est que vous ne disposez pas de renseignements suffisants pour prendre les décisions qu’on vous demande de prendre en ce moment. Vous avez besoin de plus de temps et de plus d’information. Vous devez prendre les mesures nécessaires pour obtenir cette information.
(1620)
    D’accord.
    Je voudrais dire une chose, puis je vous poserai une autre question. On a déjà mentionné à quelques reprises que ces dispositions permettent aux gens de violer la loi, mais, depuis leur adoption, personne ne l’a fait.
    J’ai retenu cinq ou six domaines dans lesquels il serait possible d’améliorer la situation. Je suis opposé à l’examen judiciaire ainsi qu’à la publication de rapports car, sans vouloir engager un long débat – je le ferai sans doute plus tard lorsque vous ne serez pas ici –, je crois que cela mettrait en danger la vie de policiers.
    J’ai cependant six suggestions à faire, dont quatre sont assez simples. J’ai pensé à la première en arrivant. Il s’agit d’augmenter la fréquence des examens périodiques. Il serait également possible d’exiger un rapport annuel à une date prescrite. On pourrait aussi exiger un rapport regroupé pour que nous n’ayons pas à communiquer avec tous les services de police et tous les agents des pêches du pays. La quatrième suggestion porte sur une désignation d’une durée limitée, comme celle que la GRC a décidé elle-même d’adopter. Il serait assez simple de réaliser ces quatre mesures administratives.
    Les deux autres suggestions sont plus difficiles. Comme je l’ai dit, je n’aime pas les rapports publics qui renseignent les criminels et les terroristes sur ce que nous faisons. Mais que diriez-vous d’un rapport présenté à huis clos à un organisme tel qu’un comité parlementaire composé de représentants de tous les partis? Ce serait quand même mieux que rien.
    Voici la dernière. Vous savez qu’il y a trois infractions qui sont complètement interdites. Que penseriez-vous d’en ajouter une quatrième, la torture? Je suppose qu’on pourrait adopter une définition internationale puisqu’il faut bien avoir une définition.
    J’invite tous les témoins à présenter des commentaires sur les changements que je propose.
    Il est difficile d’imaginer des formes de torture qui n’impliqueraient pas de lésions corporelles, bien que ce soit apparemment possible.
    J’en ai déjà parlé auparavant. Il y a la torture mentale, la privation de sommeil et d’autres choses qui, pour les gens, ne sont pas assimilables à des lésions corporelles.
    Sans vouloir donner un avis juridique sur le droit international, j’ai l’impression qu’une mesure législative canadienne autorisant la torture irait à l’encontre de la Convention des Nations Unies et serait donc illégale, du moins du point de vue du droit international. Il est probable qu’elle serait déclarée inconstitutionnelle par nos propres tribunaux pour la même raison.
    Puis-je vous suggérer d’ajouter à votre liste de modifications administratives celle que nous avons exposée ici à votre intention, c’est-à-dire une vérification indépendante des forces policières, une sorte de vérification proactive qui ne se limiterait pas à la réception et à l’étude de renseignements. Nous envisageons un organisme qui ferait un travail équivalent à celui que fait le CSARS à l’égard du SCRS. C’est l’un des meilleurs exemples que nous ayons du genre de vérification voulu: un organisme qui peut poser des questions, faire des visites et examiner des documents.
    Si un organisme de ce genre existait, alors la non-divulgation de certains renseignements serait plus tolérable par ce qu’on saurait qu’un processus de vérification est effectué par des gens chargés de veiller au respect de la loi.
    Nous serions donc très heureux si vous vouliez ajouter cette vérification à votre liste.
    Y a-t-il d’autres observations au sujet de ces suggestions?
    Nous sommes évidemment d’accord au sujet de la première, puisque nous proposons la même chose au comité. Par contre, nous hésitons à appuyer une mesure qui limiterait encore plus la production de rapports.
    Au sujet de la sixième suggestion, nous croyons qu’il conviendrait d’inclure un plus grand nombre d’infractions dans cette liste, comme le vol qualifié et la séquestration. On peut kidnapper une personne et la séquestrer, ou encore se livrer à l’extorsion en vertu de ces dispositions.
    Merci, monsieur Bagnell.
    À vous, madame Freeman.

[Français]

    J'ai un seul commentaire à formuler, car plusieurs des questions que je voulais poser l'ont déjà été.
    Le plaidoyer que M. Thompson a fait un peu plus tôt est extrêmement intéressant, car il y a constamment le dilemme de faire confiance aux policiers, d'une part, et de leur donner des balises, d'autre part. Les tribunaux doivent statuer sur des lois et des règlements, et il incombe aux parlementaires de bien les encadrer. On ne peut pas laisser aux policiers un mandat absolument... C'est notre rôle que d'instaurer ces lois. Les policiers doivent s'appuyer sur des lois.
    On parle beaucoup des rapports et du contrôle de l'information. C'est bien de vouloir que tout soit inscrit dans un rapport, mais on compromettrait ainsi les filatures et la sécurité des policiers. Vous avez parlé d'un organisme indépendant qui contrôlerait ces activités. Pouvez-vous définir davantage cet aspect des choses?
(1625)

[Traduction]

    Je crois que nous envisageons surtout...

[Français]

    Pour avoir accès aux dossiers des policiers, pour connaître l'utilisation qu'ils font des dispositions de la loi. Ma question est-elle claire? Voulez-vous que je la reformule?

[Traduction]

    Dans notre perspective, ce serait un organisme indépendant du gouvernement et de la police qui aurait accès au personnel et aux dossiers de la police ainsi qu'à toute l’infrastructure d’application de la loi pour être en mesure de procéder, comme M. Swan l’a dit, à des vérifications proactives indépendantes. Il ne se limiterait pas à recevoir des renseignements, mais irait à la recherche de l’information, de sa propre initiative. Dans certaines circonstances, l’information n’est pas révélée. Si des opérations secrètes sont en cours, l’information ne pourra jamais être présentée à un tribunal à cause de sa nature secrète. Nous ne sommes pas au courant ce qui se passe. Les personnes en cause peuvent ne pas savoir qu'elles sont sous surveillance. Ainsi, cet organisme aurait le pouvoir d’aller enquêter dans les services d’application de la loi. Comme M. Swan l’a signalé, ce serait très semblable à la surveillance du SCRS par le CSARS.
    Le CSARS reçoit des plaintes du public, mais il a aussi le pouvoir d’enquêter au sein même du SCRS. C’est un modèle intéressant. Quant à la façon exacte dont l’organisme fonctionnerait, il faudrait laisser cela à... Quoi qu’il en soit, le CSARS constitue un bon modèle que nous pourrions considérer lorsque nous parlons de vérifications indépendantes.
    Pour revenir aux rapports, je dirais qu’à l’heure actuelle, comme je l’ai déjà mentionné, il est possible d’en reporter la publication. D’après mon interprétation de la loi, il est même possible de retarder indéfiniment les rapports. Rien ne l’interdit. Nous préconisons donc de prévoir une autorisation judiciaire lorsqu’un organisme d’application de la loi veut reporter la publication d’un rapport. Le président a dit craindre de compromettre des enquêtes en cours, mais on peut prévoir des garanties dans ce cas. Il pourrait donc y avoir deux niveaux: une autorisation judiciaire et un organisme indépendant qui superviserait toutes les activités.
    J’espère que cela répond...

[Français]

    Vous avez deux recommandations.
    Oui.
    Une portant sur un organisme indépendant et une autre, sur un recours judiciaire.
    Oui.
    De qui exactement votre organisme indépendant relèverait-il? À qui devrait-il rendre des comptes?

[Traduction]

    Il aurait à rendre des comptes au public. Ses rapports seraient publics. Les membres du CSARS ont accès à tout, mais ne parlent pas de tout dans leurs rapports. Le CSARS a le pouvoir de garder des renseignements confidentiels pour des raisons de sécurité, mais ses rapports annuels sont publiés, de sorte que le public peut voir...

[Français]

    Ce rapport serait public.
    Oui.
    D'accord.

[Traduction]

    Monsieur Harvey.

[Français]

    Au cours des dernières années, j'ai passablement voyagé. Je suis allé en Afrique, en Europe de l'Est et dans plusieurs pays qu'on pourrait appeler des États policiers. Les policiers y avaient tous les droits. Pour ma part, quand j'en voyais un, je ne m'en souciais guère, mais les gens de l'endroit étaient pour leur part plutôt nerveux.
    La politique n'est pas facile. Faire de l'infiltration, c'est comme jouer un rôle dans une pièce de théâtre. Je vois difficilement comment on pourrait conditionner un policier, lorsqu'il fait une intervention policière, à faire un rapport ou à se demander s'il peut ou non poser un geste donné. Il doit jouer ce rôle pour se faire accepter et susciter la confiance en vue d'accumuler des preuves. Comment peut-on déterminer jusqu'où le policier peut aller? En fin de compte, c'est la question qui se pose aujourd'hui.
    On a parlé d'enquêtes et de la possibilité de faire porter un autre chapeau à la police, mais les choses deviennent chaque fois plus compliquées. Il faut surtout éviter qu'un policier devienne un criminel avec un permis en tôle, comme on dit au Québec. Le policier ne se fait jamais arrêter parce qu'il porte toujours sur lui son insigne de police.
    Ne serait-il pas préférable que le mandat confié à un policier qui fait de l'infiltration se limite strictement à deux ans? Il faut éviter que ces activités ne deviennent pour lui un mode de vie, une habitude. Ultimement, s'il n'y a aucune limite dans le temps, il y a un risque qu'il devienne lui-même aussi dangereux qu'un criminel. En se livrant pendant toute sa carrière à ce genre d'activité, il peut prendre de mauvais plis et adopter une approche typique de l'État policier. Bref, il y aurait moyen de dresser un genre de garde-fou en limitant la durée du mandat du policier, tout en lui accordant une certaine latitude.
(1630)

[Traduction]

    Je ne connais pas la réponse à cette question. Je suppose qu’un certain nombre de variables entrent en jeu lorsqu’il faut prendre de telles décisions. Pour nous, les policiers qui ont un bon motif pour faire une chose qui, autrement, serait contraire à la loi – pour abréger, je dirai simplement qu’ils violent la loi – le font en fait en notre nom. Nous les autorisons à agir ainsi. C’est donc notre complicité dans l’acte illicite commis qui m’inquiète. C’est la mesure dans laquelle la société peut dire: Vous pouvez commettre ce qui serait autrement un acte criminel si vous le faites dans notre intérêt. J’estime qu’il devrait y avoir des limites à la portée, à la durée et à la justification des actes commis par les policiers. Autrement, ils deviennent de fait nos criminels en titre. Je ne crois pas que cela soit tolérable.

[Français]

    À Montréal, la GRC a dirigé un centre de change d'argent ou de double endossement. C'était une manière facile d'entrer dans le monde des gangs de rue, des groupes organisés, de la drogue et ainsi de suite, et de recueillir beaucoup de renseignements.
    Il y a 10 jours à peine, 17 personnes dont les intentions à l'égard de la colline du Parlement étaient très inquiétantes se sont fait arrêter. Dans de telles circonstances, je ne vois pas comment on pourrait ne pas faire d'infiltration. Il faut, bien sûr, que cela soit encadré. Je crois qu'il est absolument nécessaire de le faire, de façon à disposer au bas mot des mêmes moyens que la partie adverse, en l'occurrence les criminels, d'autant plus que ces gens causent des torts sérieux à l'ensemble de la population.

[Traduction]

    Si je vous ai bien compris, il s’agissait d’une opération de blanchiment d’argent.

[Français]

    Oui.

[Traduction]

    Nous avons dit au départ que nous n’avions pas d’inconvénient à ce que la police commette ce qui serait autrement des infractions de possession d’articles de contrebande ou se livrent à des transactions liées à la contrebande. Cela s’applique aussi à l’argent sale. Des opérations de ce genre peuvent être extrêmement payantes. Il est donc très raisonnable d’autoriser ce qui serait autrement une infraction pour obtenir des avantages en retour.
    Nous parlons ici d’une disposition beaucoup plus générale.
(1635)
    Merci, monsieur Harvey.
    Madame Barnes.
    Merci beaucoup.
    Je vous remercie de votre témoignage. Le point de vue des témoins nous est toujours utile lorsque nous avons un travail difficile à faire.
    Je tends à convenir avec vous que le retard des rapports est une source de préoccupation. Je crois que nous devrions le signaler dans notre rapport. De plus, pour avoir tous les rapports, il faut aller les chercher partout dans le pays, dans chaque province et chaque territoire. Un autre témoin était d’avis qu’il ne devrait y avoir qu’un seul rapport annuel pour tout le Canada. Je voudrais d’abord savoir si vous pensez que ce serait utile. Lorsqu’on recueille des données sur une base annuelle, tous ceux qui doivent y contribuer ont un délai à respecter. On peut donc espérer qu’une telle recommandation serait utile. Nous aurions alors une évaluation générale s’appliquant à tout le pays, que nous pourrions consulter pour ainsi dire d’un seul coup d’œil.
    Avant de vous laisser répondre, je tiens à dire que je m’inquiète un peu de la publication de rapports concernant des opérations qui ont eu lieu. Je suis bien d’accord que l’information donnée pour le moment ne permet de rien déduire. J’aimerais donc en arriver à un certain équilibre entre une information plus complète permettant d’évaluer l’efficacité des dispositions de la loi et la sécurité des personnes en cause. Si les renseignements étaient très précis, madame Wood, s’il était possible de déterminer la région géographique et ainsi de suite, il y aura toujours quelqu’un qui pourra faire le lien. Je crois que cela irait à l’encontre des objectifs que nous poursuivons.
    Sur quels paramètres vous basez-vous quand vous dites... On a parlé des accusations: Des accusations ont-elles été ou sont-elles sur le point d’être portées? Voilà un type de renseignement. Quels autres devrions-nous avoir? Lorsque nous disons que nous voulons de meilleurs rapports, quels renseignements voulons-nous vraiment obtenir pour en savoir davantage sans pour autant causer du tort? C’est cette limite que nous cherchons à déterminer, car je crois que nous convenons tous autour de cette table – du moins, je l’espère – que les rapports actuels ne donnent pas suffisamment d’information.
    Je comprends bien sûr votre préoccupation au sujet de la sécurité, je tiens à le dire tout de suite. Notre recommandation concernant le lieu géographique est... Nous croyons que la désignation de la province serait suffisante. Nous voudrions connaître la province parce que d’après la loi, les ministres provinciaux désignent les agents de la paix autorisés à commettre des actes illicites. Si des membres du public ont besoin de savoir qui tenir responsable, ils doivent le demander au ministre provincial compétent. S’ils ne savent pas dans quelle province l’acte a été commis, ils n’ont aucun moyen de déterminer quel ministre est responsable. Il en va de même pour la GRC: nous voulons savoir si elle agit à titre de force policière municipale ou s’acquitte de son rôle national.
    Par conséquent, la province où l’acte a été commis constitue un renseignement essentiel pour déterminer qui est responsable. Je comprends bien le problème de la sécurité. La simple désignation de la province pourrait compromettre une enquête. C’est pour cette raison que nous recommandons que l’organisme d’application de la loi puisse demander à un juge l’autorisation de ne pas divulguer un renseignement de ce genre.
    Je crois que si l’on n’exige que la désignation de la province... Je ne suis pas une experte de l’application de la loi, mais si cette désignation peut compromettre quelque chose, l’organisme aurait la possibilité de s’adresser à un tribunal qui examinerait les renseignements en cause et déterminerait s’il est risqué d’indiquer la province.
    Si chaque province ou administration produisait un rapport annuel et que quelqu’un regroupait tous les rapports pour dresser un tableau d’ensemble englobant tout le Canada sans indiquer de lieux géographiques, nous aurions un aperçu général pour tout le pays qui ne comprendrait aucune donnée portant sur des actes particuliers. La province ne figurerait pas dans ce rapport global. Cela répondrait à certaines des préoccupations concernant la sécurité, mais nous aurions quand même un tableau d’ensemble. Si quelqu’un a besoin de connaître la province, il aurait alors à recourir à un processus différent. Comprenez-vous ce que j’essaie d’expliquer?
(1640)
    Les dispositions actuelles permettent de reporter l’inscription de certains renseignements dans un rapport jusqu’à ce qu’ils ne risquent plus de compromettre une enquête en cours, de révéler l’identité d’un agent infiltré ou de mettre en danger la vie de quelqu’un. Tous ces motifs sont très raisonnables pour justifier un retard, bien que nous ayons proposé de procéder à un examen indépendant pour déterminer si les circonstances invoquées existent vraiment. Par conséquent, un simple report de la publication de certains renseignements permettrait probablement de protéger les intérêts dont vous parlez. Je ne vois aucune raison qui s’oppose à la collecte et à l’analyse des renseignements.
    En cas de retard, je vais encore une fois vous parler de notre solution favorite: un organisme de vérification qui examinerait l’information avant sa publication. Ainsi, même si la publication de certains renseignements est reportée, nous aurions au moins la certitude qu’ils ont été examinés soigneusement par un organisme compétent.
    Merci, madame Barnes.
    M. Thompson invoque le Règlement.
    Mme Freeman m’a donné l’impression de croire que j’avais dit que la police devrait avoir toute latitude pour faire ce qu’elle veut. J’espère que ce n’est pas cela qu’elle voulait dire. Je suis bien d’accord que nous devons avoir des lois, mais je voudrais laisser la police contrôler ses propres activités internes dans les limites définies par ces lois. Les dispositions dont nous parlons font partie de la loi. La police a le droit de faire ce qu’elle fait. Je crois qu’elle est la mieux placée pour juger de la façon d’agir. J’espère n’avoir induit personne en erreur à ce sujet. Je n’ai pas du tout dit que la police devrait avoir toute latitude. J’espère que tout le monde a bien compris cela.
    Merci, monsieur Thompson.
    J’ai cru que c’est cela que vous disiez.
    Merci, monsieur Thompson, pour ces éclaircissements.
    Monsieur Warawa.
    Merci, monsieur le président.
    Je tiens aussi à remercier les témoins d’être venus aujourd’hui. J’ai trouvé vos exposés intéressants et instructifs.
    Je ne voudrais pas vous attribuer des paroles que vous n’avez pas dites, mais j’ai pris des notes. J’ai cru comprendre, d’après ce que vous avez dit, qu’il pourrait y avoir une augmentation du recours à ces dispositions. Je crois que c’est Mme LeRoy qui a dit cela. Elle a ajouté que les exigences relatives aux rapports sont insuffisantes. Mme Wood a dit que nous ne savons pas vraiment ce qui se passe. D’après Mme Leroy, nous ne savons pas non plus si ces dispositions sont efficaces, et il serait donc bon de procéder à un examen dans deux ou trois ans.
    Vous avez donc exprimé certaines préoccupations, mais elles ne reposent sur aucun élément concret. Vous avez des préoccupations, et c’est parfaitement légitime. Je me demande cependant sur quoi elles se fondent. Étiez-vous opposés à ces dispositions avant leur adoption? Je crois que oui. Encore une fois, sur quoi basez-vous ces préoccupations? Vous y étiez opposés avant et vous l’êtes encore aujourd’hui. Pourtant, je crois qu’en citant certains exemples, M. Swan a dit qu’il pourrait y être favorable. J’aimerais avoir des éclaircissements à ce sujet.
    Je pars de l’hypothèse que je peux faire confiance aux tribunaux. Les juges sont humains. Par conséquent, toutes leurs décisions peuvent être critiquées. Quoi qu’il en soit, je crois qu’au départ, je fais confiance aux tribunaux canadiens. Nous vivons dans un pays merveilleux. Nous devrions nous fier à nos tribunaux.
    En même temps, nous devrions partir de l’hypothèse que nous pouvons faire confiance à nos policiers. Je n’irai pas jusqu’à faire confiance aux politiciens, mais c’est un excellent objectif à viser.
    Des voix: Oh, oh!
(1645)

[Français]

    Serait-ce qu'il ne se fait pas confiance?

[Traduction]

    Je crois que vos objectifs sont bons: imposer à tout le monde de respecter certaines normes. Je vous félicite pour vos efforts à cet égard.
    Le 30 mai, des représentants de la GRC sont venus nous présenter un exposé. Je voudrais prendre quelques instants pour citer un exemple qu’ils nous ont donné, le projet CHARNY:
... un groupe criminel organisé était soupçonné de contrefaire et de vendre de la fausse monnaie canadienne. Le groupe chargé de l'enquête à Montréal a acquis les services d'un agent civil et a demandé l'autorisation d'utiliser cet agent, accompagné d'un agent désigné, pour acheter de la fausse monnaie du groupe criminel.
.........................
Un fonctionnaire supérieur a autorisé l'agent et l'agent désigné à acheter la monnaie contrefaite. Peu après, l'agent désigné, qui était également un agent d'infiltration, et l'agent en question ont acheté une grande quantité de monnaie canadienne contrefaite.
Au cours de l'enquête, des fonctionnaires supérieurs ont accordé en tout quatre autorisations. Dans la même affaire, l'officier responsable des enquêtes criminelles de la division a autorisé cinq fois l'agent désigné à acheter des biens au groupe criminel. Deux de ces cinq autorisations n'ont pas été utilisées.
Toutes autorisaient les agents désignés à acheter, et à avoir en leur possession, de la monnaie contrefaite, de faux passeports, de fausses cartes d'assurance sociale, de faux permis de conduire auprès des membres de cette organisation criminelle.
La GRC a acheté, pour s'en servir comme preuve, près de 250 000 $ de monnaie contrefaite, faux passeports, fausses cartes d'assurance sociale et faux permis de conduire de divers individus, à Montréal et à Toronto. Les perquisitions effectuées dans des résidences ont donné lieu à la saisie de l'équipement utilisé pour falsifier les documents, ce qui a permis aux enquêteurs de déposer des accusations pénales contre les responsables de l'opération.
La situation que je viens de vous décrire montre que le régime de justification de l'application de la loi permet aux enquêteurs dans des cas comme celui-ci d'identifier et d'infiltrer des groupes criminels organisés impliqués dans la production de monnaie et de cartes d'identité contrefaites, et partant, de les démanteler.
    Je voudrais maintenant poser une question à M. Swan. Vous avez dit, je crois, que vous appuyez le recours à ces dispositions dans un tel cas. Où placez-vous la limite entre les cas où on peut le faire et les cas où on ne devrait pas? De plus, sur quelles preuves concrètes se fondent vos préoccupations?
    Nous avons accepté dès le départ le fait qu’il n’est pas nécessaire d’appliquer certaines lois aux policiers dans l’exercice de leurs fonctions, par exemple, les dispositions relatives à la possession d’articles de contrebande et aux transactions liées à de tels articles.
    Dans l’exemple que vous avez donné, que j’ai moi aussi devant moi, toutes les autorisations et tous les actes s’inscrivent clairement dans le cadre des justifications que nous avons toujours été disposés à accepter dans le cas de la police. Il y a probablement un certain nombre d’autres domaines où des dispositions particulières du Code criminel n’ont pas à s’appliquer aux policiers dans l’exercice de leurs fonctions, pourvu qu’ils aient les autorisations nécessaires et sous réserve de précautions appropriées. Il n’y a aucune raison, par exemple, d’empêcher des policiers d’acheter de la fausse monnaie ou de la drogue, s’ils le font pour appliquer la loi.
    Commettraient-ils une infraction s’ils violaient la loi en l’absence de ces dispositions?
    Ils violeraient effectivement la loi en l’absence de ces dispositions, mais ils n’ont pas besoin de celles-ci pour le faire. Des dispositions beaucoup plus ciblées, beaucoup plus modestes et beaucoup mieux contrôlées – que nous aurions appuyées, il y a cinq ans – auraient suffi à ma connaissance, sauf en cas de conspiration en vue de commettre un acte criminel, quel que soit le sens de cette expression... Pour tous les autres éléments que je vois dans le rapport de la GRC, nous n’aurions aucune difficulté à les accepter, sous réserve de vérifications et de contrôles adéquats.
    Les dispositions que nous examinons vont beaucoup plus loin. Elles permettent aux policiers de violer n’importe quelle loi, à condition de ne pas causer certains préjudices, s’ils jugent leur action juste et proportionnelle. Nous ne trouvons pas que ces dispositions conviennent. Elles créent une classe de personnes qui ont le droit de décider d’avance s’il est juste et proportionnel de violer la loi et les justifient s’ils le font. Voilà ce que nous avons à reprocher à ces dispositions.
(1650)
    Où placez-vous donc la limite?
    Il faudrait définir soigneusement cette limite en considérant séparément chaque article du Code criminel. Nous ne pouvons pas accorder une autorisation générale permettant d’avance de violer n’importe quelle loi en fonction d’un critère relativement peu rigoureux.
    Par exemple, par suite de la décision rendue dans l’affaire Campbell et Shirose, le gouvernement a modifié la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, dont le règlement d’application soustrait la police à l’application de certaines dispositions de la Loi. Voilà un exemple de disposition étroitement définie autorisant la police à violer la loi dans des limites prescrites. L’ACLC s’est opposée et continue à s’opposer à des dispositions d’une vaste portée qui accordent des pouvoirs discrétionnaires presque illimités, sans que le gouvernement intervienne pour préciser l’objet de la loi et des différentes mesures qu’elle renferme.
    Comme nous l’avons dit dans notre exposé préliminaire, nous partons du principe de base que tout le monde doit obéir à la loi. Si nous devons créer une catégorie de personnes qui n’a pas à le faire, nous devons avoir des critères établissant que nous devons agir ainsi. Dans ce cas, nous n’avons que des dispositions d’une grande portée permettant de violer certaines lois. La situation est très différente dans le cas du règlement d’application de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Voilà l’objet de notre opposition à ces dispositions. Nous ne voulons pas que la police ait carte blanche. Nous préférons des dispositions étroitement ciblées comme celles de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
    Reste-t-il assez de temps pour que les autres témoins répondent? Non?
    Merci, monsieur Warawa.
    Cela met fin à la période de questions de cet après-midi.
    Je tiens à remercier les témoins d’être venus aujourd’hui pour présenter au comité leur point de vue sur ces articles du Code criminel. Nous allons maintenant délibérer pour terminer cet examen et rédiger un rapport. C’est ce que nous allons faire pendant le reste de l’après-midi.
    Je voudrais maintenant suspendre la séance pendant quelques instants pour permettre aux témoins et aux membres du public de se retirer parce que nous poursuivrons notre séance à huis clos. Je vous remercie.
    [La séance se poursuit à huis clos.]