Mesdames et messieurs les membres du comité, j'ai l'honneur de témoigner aujourd'hui alors que vous amorcez votre étude du projet de loi . Ce projet de loi très important modifie la Loi sur les juges de façon à mettre en oeuvre la réponse du gouvernement au rapport de la Commission d'examen de la rémunération des juges de 2003.
Comme les membres du comité le savent déjà, l'établissement de la rémunération des juges est régie par des principes constitutionnels visant à assurer la confiance du public dans l'indépendance et l'impartialité de la magistrature. À l'échelon fédéral, l'article 100 de la Constitution stipule que c'est le Parlement, et non l'exécutif seul, qui détermine la rémunération et les avantages des juges après un débat approfondi et un examen public.
Outre les mesures de protection de l'article 100, la Cour suprême du Canada a établi une exigence constitutionnelle stipulant la mise sur pied d'une commission indépendante, objective et efficace qui formule des recommandations non exécutoires au gouvernement, lequel doit répondre publiquement dans un délai raisonnable.
Les membres du comité savent aussi que tout gouvernement qui rejette ou modifie une recommandation de la commission doit justifier publiquement sa décision, laquelle doit être fondée sur la norme de la rationalité. Je reviendrai là-dessus dans un moment.
La Commission d'examen de la rémunération des juges de 2003, communément appelée la commission quadriennale, a remis son rapport le 31 mai 2004. Le gouvernement précédent a répondu à ce rapport en novembre 2004 et a déposé le projet de loi C-51 en mai 2005. Toutefois, en dépit du fait que le gouvernement doit agir rapidement, le projet de loi n'a jamais été plus loin que sa présentation et la première lecture. Il a expiré au Feuilleton en novembre 2005.
À notre arrivée au pouvoir en février 2006, nous avons fait une priorité de l'examen des recommandations de la commission à la lumière des principes constitutionnels et des critères prévus par la loi qui régissent le processus. Nous en avons fait une priorité précisément parce que nous tenons à respecter les importants principes constitutionnels qui régissent l'établissement de la rémunération des juges. Nous reconnaissons que l'intégrité de tout le processus dépend en partie de l'adoption dans les meilleurs délais de la loi de mise en oeuvre.
Le gouvernement est fermement convaincu qu'il lui incombait de prendre le temps nécessaire pour examiner le rapport et les recommandations à la lumière du mandat et des priorités qu'il s'était donnés pendant la campagne électorale. Toutefois, nous avons mené notre examen le plus rapidement possible. Le gouvernement a remis sa réponse au rapport de la commission le 29 mai dernier et a déposé le projet de loi le 31 mai. Après la première lecture, le projet de loi a été renvoyé à votre comité le 20 juin.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je sais que vous comprenez l' importance et de mener à bien la dernière étape du cycle quadriennal de 2003, soit l'adoption du projet de loi. La crédibilité, voire la légitimité du processus constitutionnel l'exige, surtout que le prochain cycle quadriennal doit commencer dans moins d'un an. Je félicite et remercie donc le comité d'avoir accordé la priorité à ce projet de loi et d'avoir pris les mesures nécessaires pour qu'il franchisse cette étape dans les meilleurs délais.
En ce qui concerne le projet de loi , vous avez pu constater que le gouvernement a accepté presque toutes les recommandations de la commission, la principale exception étant le pourcentage de l'augmentation de salaire. Monsieur le président, je sais que les membres du comité ont lu la réponse du gouvernement qui explique en détail pour quel motif il a modifié les recommandations de la commission sur le salaire. Je me contenterai donc de résumer brièvement notre pensée sur cet enjeu crucial.
Auparavant, toutefois, j'estime important de vous toucher quelques mots de la norme de rationalité à partir de laquelle toute modification des recommandations de la commission faite par le Parlement doit être évaluée. Il incombe de dissiper certaines idées fausses à cet égard, surtout celle qui veut que le respect accordé au processus d'établissement de la rémunération des juges et à l'indépendance de la magistrature en général ne puisse s'exprimer que par une mise en oeuvre intégrale des recommandations de la commission.
Pour garantir la confiance du public dans ce processus, il m'apparaît essentiel que nous comprenions bien les directives très pondérées qu'a données la Cour suprême du Canada dans l'affaire du renvoi sur les juges de l'île-du-Prince-Édouard et dans l'affaire Bodner. Dans ces deux décisions, la Cour a clairement reconnu que les décisions concernant l'affection des ressources publiques appartiennent aux assemblées législatives et aux gouvernements. Une lecture attentive de ces deux arrêts nous apprend que les gouvernements ont le droit de modifier et de rejeter les recommandations de la commission, à condition que cette décision rendue publique se justifie rationnellement et qu'elle traduise d'une manière générale le respect du mécanisme de la commission.
Monsieur le président, je répète ce que nous avons dit dans notre réponse: le gouvernement est convaincu d'avoir rempli cette exigence. On ne doit pas évaluer l'efficacité de la commission en se fondant sur le nombre de ses recommandations qui sont mises en oeuvre sans changement, mais plutôt en examinant le processus dans son ensemble, la façon dont la commission recueille et analyse les informations et formule ses recommandations; son rapport et ses recommandations jouent un rôle de premier plan dans la détermination de la rémunération des juges.
Le travail et l'analyse de la commission ont été d'une grande importance pour le gouvernement dans ses délibérations. Notre réponse reconnaît respectueusement les efforts de la commission et explique que la position du gouvernement relativement aux deux modifications que ce dernier a apportées aux propositions de la commission. Notre réponse souligne aussi qu'il incombera à votre comité de se pencher sur le rapport de la commission et, si c'est possible, d'entendre les commissaires même.
Je vous félicite d'avoir décidé de faire cela aujourd'hui. C'est aux parlementaires et non au gouvernement qu'il revient de décider quelle proposition sera mise en oeuvre, que ce soit celle de la commission, du gouvernement ou une autre encore.
Pour justifier la modification que nous proposons d'apporter aux recommandations sur le salaire, comme en témoigne le projet de loi , nous avons longuement réfléchi aux critères établis par la Loi sur les juges, dont deux en particulier: l'état de l'économie au Canada, y compris le coût de la vie et la situation économique et financière du gouvernement fédéral, et le besoin de recruter les meilleurs candidats pour la magistrature.
En ce qui concerne le premier de ces critères, nous avons conclu que la commission n'avait pas accordé suffisamment d'importance à la nécessité d'inscrire la rémunération des juges dans le contexte plus large des pressions économiques, des priorités financières et des exigences concurrentes du trésor public. Essentiellement, le gouvernement n'a pas accordé le même poids à ce facteur que la commission.
Pour ce qui est de recruter les meilleurs candidats, nous ne sommes pas d'accord avec le poids que la commission a accordé à certains groupes de comparaison à partir desquels les salaires des juges doivent être évalués. Le gouvernement reconnaît qu'il a toujours été difficile pour les commissions précédentes ainsi que pour les parlementaires de trouver un groupe avec lequel comparer les juges, étant donné la nature bien particulière des fonctions judiciaires. Nous reconnaissons aussi que la commission a examiné attentivement et en détail tout une gamme d'information comparative, y compris les salaires des hauts fonctionnaires, des personnes nommées par le gouverneur en conseil et des avocats en pratique privée.
Nous avons jugé que la commission avait accordé trop de poids aux revenus des avocats qui pratiquent à leur compte, surtout à ceux qui pratiquent dans les huit plus grands centres urbains du Canada. En outre, il n'a pas été tenu suffisamment compte de la valeur de la pension des juges.
Comme l'explique notre réponse, le gouvernement estime que la recommandation salariale de la commission, soit une augmentation de 10,8 p. 100, est supérieure à ce qui est nécessaire pour nous permettre de recruter les meilleurs candidats pour la magistrature. Le gouvernement propose plutôt d'augmenter les salaires des juges puînés de 7,25 p. 100 à compter du 1er avril 2004, avec indexation chaque 1er avril les années suivantes, ce qui ferait passer le salaire de ces juges à 232 300 $; il y aurait des augmentations proportionnelles pour les juges en chef et les juges de la Cour suprême du Canada.
L'autre modification proposée se rapporte à la recommandation de la commission voulant que les juges puissent augmenter le remboursement des coûts associés à leur participation aux travaux de la commission. On recommande que le chiffre passe de 50 à 66 p. 100 pour les frais judiciaires et de 50 à 100 p. 100 pour les débours.
Pour votre gouverne, notons que les débours relatifs à la commission ne comprennent pas que les frais de photocopie et de messagerie, mais aussi les coûts d'importants contrats pour les services de conseils en rémunération et autres questions connexes. À notre avis, le remboursement de tous les débours n'encouragerait pas, ou alors très peu, les juges à faire preuve de prudence dans leurs budgets. Voilà pourquoi le ferait passer de 50 p. 100 à 66 p. 100 le remboursement tant des frais judiciaires que des débours.
Monsieur le président, le projet de loi C-17 met en oeuvre un certain nombre d'autres modifications à la rémunération se rapportant à l'admissibilité à la retraite et à des postes de juge surnuméraire, ainsi que d'autres petites modifications aux indemnités.
Le comporte aussi une proposition qui s'était fait attendre, sur l'uniformité des règles pour les conjoints et conjointes de juges, dans les difficiles situations de rupture conjugale, qui facilite un partage équitable de la rente des juges. La rente des juges est actuellement la seule pension fédérale qui n'est pas assujettie à cette répartition, même si elle représente un bien familial très important. Les modifications proposées suivent le modèle de la Loi sur le partage des prestations de retraite, du fédéral. Comme dans la LPPR, ces dispositions respectent les principes de saine répartition des rentes de retraite, permettant aux couples de se séparer simplement, avec certitude et possibilité de transfert.
Ces dispositions cadrent aussi avec les objectifs de la planification de la retraite et avec l'exigence constitutionnelle de sécurité financière connexe à l'indépendance de la magistrature. Cela peut sembler de prime abord très complexe, mais en fait, l'objectif de ce mécanisme est tout simple: il s'agit de régler enfin une question d'équité pour les familles qui vivent la rupture de la relation conjugale.
Honorables collègues, je m'arrête ici et je vous remets le , en vue de vos délibérations et décision. Je vous invite, ainsi que tous les parlementaires, à vous acquitter soigneusement de cette importante responsabilité en tenant compte des principes constitutionnels et juridiques. Ce faisant, vous veillerez à ce que la magistrature du pays garde son indépendance, son impartialité, son engagement et l'excellence qui est digne de la confiance des Canadiens et de l'envie du monde entier.
Merci beaucoup, monsieur le président, de votre attention.
Je répondrai volontiers à vos questions et à celles des membres du comité.
Monsieur le président, le député a tout à fait raison quand il dit que la décision de la Cour suprême dans l'Affaire des juges de l'île-du-Prince-Édouard était plus restrictive que le deuxième arrêt, rendu dans l'Affaire Bodner, dont j'ai aussi parlé. Comme nous sommes à la fois avocats et députés, on perd parfois de vue, en siégeant au Parlement, ce qui se passe dans les tribunaux. Je connaissais personnellement bien l'Affaire des juges de l'Île-du-Prince-Édouard, mais quand le ministère m'a renseigné sur l'Arrêt Bodner, j'ai vu que cela changeait tout.
Il est faux, et dirais-je, trompeur, d'affirmer qu'une modification aux recommandations de la commission nuit au travail de la commission mise sur pied par suite d'une décision de la Cour suprême du Canada. Dans l'Arrêt Bodner, la Cour a clairement reconnu que les décisions sur les affectations de crédits publics incombaient aux assemblées législatives et au gouvernement.
Les gouvernements ont le droit de rejeter ou de modifier des recommandations de la commission en respectant des principes sur lesquels j'insiste, parce qu'ils sont très importants et qu'ils élargissent la portée du renvoi sur les juges de l'Île-du-Prince-Édouard. D'abord, les gouvernements doivent donner des raisons légitimes à leur décision. Ensuite, ces raisons doivent s'appuyer sur des faits. Troisièmement, il faut prouver que dans l'ensemble, et compte tenu de l'opinion du gouvernement, le travail de la commission a été respecté et ses objectifs ont été atteints, soit le maintien de l'indépendance de la magistrature et la dépolitisation de l'établissement de la rémunération des juges.
Voilà les trois principes qui s'ajoutent à ceux énoncés dans la décision sur le renvoi relatif aux juges de l'Île-du-Prince-Édouard. Il est tout à fait normal que la cour veuille peaufiner une décision aussi unique. C'est ce qu'elle a fait dans l'Arrêt Bodner, et cela, d'une façon admirable et exemplaire, comme on peut s'y attendre de la part de la Cour suprême du Canada.
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Merci, monsieur le président.
Monsieur le ministre, mesdames, je vous souhaite un bon après-midi.
Au Bloc québécois, on ressent un certain malaise face au projet de loi. En effet, au-delà de la réalité technique, il est très difficile pour les parlementaires de déterminer, sur le marché de la connaissance et de l'impartialité, si un juge vaut 10,8 p. 100, 7,25 p. 100 ou 9,4 p. 100. Par ailleurs, nous aurions souhaité voir respecter deux grands paramètres. Le premier est le principe constitutionnel que vous avez vous-même invoqué, à savoir une commission indépendante qui ferait une analyse à partir d'un certain nombre de critères.
En outre, il y a un principe dont vous n'avez pas parlé. Celui-ci, qui a été partie intégrante de nos façons de faire de 1999 jusqu'à tout récemment, consistait à relier le salaire des juges à celui des députés. Au Bloc québécois, nous ressentons un vrai malaise à l'idée que le juge en chef de la Cour suprême, si le projet de loi était adopté, gagnerait 254 500 $, 258 000 $ ou 254 400 $. Nous sommes dans une société où prime le droit, mais aussi la légitimité démocratique. Il nous semble donc, en vertu de cette dernière, qu'on ne devrait jamais en venir à une situation où le juge en chef serait mieux payé que le premier ministre, et ce, nonobstant le mérite de l'individu qui occupe le poste et les fonctions de premier ministre. Ce sont les libéraux qui ont choisi de ne plus appliquer ce qui, dans les recommandations de la commission, établissait un lien avec le salaire des élus.
Ne trouvez-vous pas dangereux le fait qu'on n'ait pas relié le salaire du premier ministre à celui du juge en chef de la Cour suprême? Êtes-vous d'accord pour dire que les deux devraient être reliés et déterminés par une commission indépendante?
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Nous ne sommes pas ici pour vanter notre rapport mais pour déplorer le processus qui a été suivi ou, en fait, qui n'a pas été suivi. Je crois qu'il convient de rappeler la navrante suite d'événements qui ont mené à l'adoption de la nouvelle loi créant cette commission. Ces événements sont résumés dans le rapport Drouin, portant sur le premier trimestre d'existence de la commission. Je vais simplement vous en citer un extrait, qui figure à la page 2. Comme vous le savez, le rapport Drouin émane de la première commission créée en vertu des modifications apportées à la
Loi sur les juges par suite du jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire P.E.I. Voici ce qu'a écrit le juge Drouin.
Avant 1981, les traitements et avantages des juges étaient examinés par des comités de consultation, un processus qui ne s'avérait habituellement pas satisfaisant pour la magistrature. Les juges estimaient que le processus servait simplement à demander au gouvernement de remplir ses obligations constitutionnelles.
En 1982, l'article 26 établissant la « Commission Triennale » a été intégré à la Loi sur les juges. L'intention était de créer un organisme qui serait indépendant de la magistrature et du Parlement et qui présenterait au ministre de la Justice des recommandations objectives et équitables. Le but était de « dépolitiser » le processus, préservant ainsi l'indépendance judiciaire.
Cinq commissions triennales ont été créées. Malgré les enquêtes et recherches exhaustives effectuées par chacune de ces commissions, bon nombre de leurs recommandations sur les traitements et avantages des juges, présentées entre 1987 et 1993, n'ont pas été mises en oeuvre ou ont été ignorées. Le gouvernement du Canada a gelé le traitement des juges et a imposé une suspension de l'indexation vers le milieu des années 1990. Le dernier rajustement du traitement des juges a été effectué en novembre 1998, conformément aux recommandations faites par la Commission Triennale, présidée par David Scott [...].
Dans son rapport de 1996, la Commission Scott décrit le problème du processus de la Commission Triennale en affirmant que:
Malgré les recommandations détaillées qui ont été formulées par les commission successives, le Parlement a fait preuve de léthargie et a négligé de fixer les traitements et les avantages sociaux des juges pendant de nombreuses années.
Qui plus est, les divers rapports qui ont été publiés n'ont pas réussi à susciter de réaction significative de la part du gouvernement. Toute la question du traitement et des avantages sociaux des juges a, malgré les meilleures intentions, été politisée.
Par suite de la parution de ce rapport, il y a eu un renvoi devant la Cour suprême du Canada — l'affaire des juges de l'Île-du-Prince-Édouard — et la loi en vertu de laquelle le juge Drouin a agi, et en vertu de laquelle nous agissons, a été adoptée. L'objectif le plus clair de cette loi était de mettre fin à une succession lamentable de recommandations judiciaires relatives à la rémunération des juges et de dépolitiser le processus. Or, nous sommes grandement préoccupés par le fait que le processus établi, de même que la loi qui en a découlé et qui a créé cette commission, est en train d'être pervertie et que l'exercice prévu par la loi est de plus en plus politisé.
Nous devons agir en respectant deux délais très limités. Notre rapport doit être déposé devant le Parlement dans les dix jours suivant sa parution. Le ministre doit y répondre dans les six mois suivants. Il ressort de ces exigences que le processus est conçu pour qu'on y donne suite rapidement.
Or voilà que deux ans et demi après avoir déposé ce rapport, nous sommes convoqués pour la première fois pour aider les parlementaires à remplir leurs obligations constitutionnelles. Nous, nous avons rempli les nôtres. Nous estimons que jusqu'à maintenant le Parlement n'a respecté ni l'esprit ni la lettre de la Loi sur les juges, en vertu de laquelle la commission a été créée, en ce qui concerne le rapport que nous avons produit.
Par exemple, il est tout à fait inapproprié de se reporter à un budget de 2006 pour étudier un rapport que nous étions tenus de déposer en mai 2004. Je veux bien qu'on nous demande d'être en mesure de faire des prévisions pour l'avenir, mais nous ne sommes pas devins. À mon avis, on ne peut se fonder sur un tableau ou l'autre de notre rapport pour affirmer que nous avons fait erreur ou qu'on a trop mis l'accent sur un aspect ou l'autre.
L'exercice me semble quelque peu arbitraire. Pour qu'il le soit moins, vous devez recueillir tous les faits de manière à pouvoir prendre une décision en connaissance de cause. Mais en définitive, il est impossible pour nous, comme pour toute autre commission qui serait créée à l'avenir, de présenter un rapport disant que 3/8 de 42 000, multipliez par 12, divisez par 16, c'est une formule pour calculer le salaire adéquat des juges. C'est impossible. Le jugement doit intervenir.
Nous ne prétendions pas proposer des mesures inattaquables. Elles sont naturellement contestables. Il faut prendre en compte tous ces chiffres et se servir de son jugement pour arriver à la meilleure réponse, qui n'est jamais inattaquable. Cependant, au moment de rédiger notre rapport, nous ne nous attendions pas à ce qu'il soit étudié à la lumière des réalités de 2006, ce qui semble néanmoins être le cas.
Permettez-moi de vous citer une déclaration du gouvernement qui figure dans sa deuxième réponse et à laquelle je souscris sans réserve. Elle se trouve dans le premier paragraphe de la page 5 de la deuxième réponse du gouvernement au rapport.
Il est [...] clair que la Commission a effectué une évaluation et une analyse détaillées des données et des informations disponibles en ce qui a trait aux comparateurs pertinents pour établir la suffisance globale de la rémunération des juges. Il s'agit d'un défi constant qu'ont affronté toutes les commissions fédérales d'examen de la rémunération des juges précédentes. Comme l'ont constaté les commissions et gouvernements successifs, il s'agit tout autant d'un art que d'une science. Il n'existe aucune formule mathématique à appliquer et il faut, au bout du compte une bonne dose de jugement éclairé.
Je vous assure que c'est ce que nous nous sommes efforcés de faire. Nous avons examiné tous les documents qu'on nous a présentés et nous les avons analysés à fond. Nous avons débattu des questions qui étaient décrites; Nous avons fait des compromis et toutes nos conclusions étaient unanimes. Nous estimons être parvenus à une décision conforme à l'intérêt public, à la législation en vigueur et à la priorité accordée à l'indépendance judiciaire de même qu'à la nécessité d'établir un bassin de candidats potentiels à la magistrature fédérale, des candidats exceptionnels pour jouer le rôle important de juges.
Très sincèrement, il nous est absolument égal que le Parlement souscrive ou non à nos recommandations. Nous nous soucions du processus et je tiens à dire clairement que nous n'avons pas d'intérêt personnel dans le résultat de cette démarche. Me Cherniak et moi-même, sommes trop âgés et madame Chambers est trop qualifiée.
Cependant, après nous être acquittés d'une tâche que nous considérions comme un devoir public — et mal payé, soit dit en passant, nous ne voudrions pas que notre rapport soit utilisé à des fins politiques, comme cela est malheureusement arrivé par le passé, quand un gouvernement disait que c'était trop peu, un autre gouvernement disait que c'était trop et que le troisième disait « Ne nous occupons tout simplement pas des juges. Ils ne sont pas vraiment aussi importants que cela ».
On nous a confié le mandat législatif de faire ce travail et nous l'avons fait dans les limites de notre compétence. Quant à vous, vous aviez un mandat en vertu de la Constitution, mais vous ne l'avez toujours pas rempli. Nous espérons que vous le remplirez comme l'honorable ministre en a donné l'assurance à la page 11, mais je ne vous répéterai pas ses propos parce qu'il les a tenus lorsqu'il a comparu devant votre comité.
Il appartient donc à votre comité et aux parlementaires de déterminer la rémunération appropriée des juges. Nous espérons sincèrement que cela se fera bientôt, en respectant les principes connus de tous.
S'il y a des questions, monsieur le président, nous ne serons peut-être pas unanimes. Il est souvent arrivé que nous ne l'étions pas. Donc, j'inviterais toute question, mais je demanderais également à Mme Chambers et à M. Cherniak de compléter ou de contredire tout ce que je pourrais dire.
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Merci, monsieur le président. Je vais tenter d'être bref.
Je m'appelle David Gourdeau et je suis commissaire à la magistrature fédérale. Je suis ici aujourd'hui avec Wayne Osborne, directeur de notre division des Finances.
Ma présentation aujourd'hui sera brève compte tenu que le rôle joué par mon bureau dans le processus de la Commission d'examen de la rémunération des juges et de la préparation de la législation qui en découle est tout de même limité. Pour commencer, permettez-moi de faire un court survol des activités de notre bureau pour ceux et celles qui en seraient peut-être moins familiers.
Le Bureau du commissaire à la magistrature a été créé en 1978 en vertu de la Loi sur les juges et il a pour mandat de protéger l'indépendance de la magistrature et de permettre aux jugés nommés par le gouvernement fédéral d'avoir toute l'autonomie nécessaire par rapport au ministère de la Justice. En ce moment, 1 045 juges nommés par le fédéral sont en exercice; nous fournissons également des services aux 400 juges à la retraite et aux 350 survivants de juges.
Notre bureau a pour mandat de promouvoir l'administration de la justice et d'appuyer la magistrature fédérale. Les services et l'appui que nous fournissons à la magistrature découlent de la Loi sur les juges. Ainsi, toute modification à la loi aura un impact sur nos opérations.
[Français]
Parmi les principaux rôles et responsabilités du commissaire, on retrouve son devoir d’agir à titre de délégué du ministre de la Justice dans les affaires se rapportant à l’administration de la partie I de la Loi sur les juges, qui porte sur les conditions de nomination, la limite d’âge et le traitement s’appliquant aux juges nommés par le gouvernement fédéral. Nos divisions des Finances et des Ressources humaines s’occupent de ces questions. Le bureau comprend aussi un secrétariat des nominations, qui gère les 16 comités consultatifs chargés de l’évaluation des candidats à la magistrature fédérale.
Dans le cadre de la dernière nomination à la Cour suprême du Canada, notre bureau a reçu des mandats administratifs supplémentaires. Notre division des recueils des décisions des cours fédérales a la responsabilité de choisir et de publier les décisions de la Cour d’appel fédérale et de la Cour fédérale, dans les deux langues officielles. Nous disposons également d’un site intranet, appelé JUDICOM, à partir duquel les juges ont accès au courrier électronique, à un système sécuritaire de conversation à accès restreint et à une bibliothèque virtuelle. Les juges qui souhaitent parfaire leurs compétences en français ou en anglais peuvent bénéficier de notre programme de formation linguistique.
Nous participons à la coordination d’initiatives touchant le rôle de la magistrature du Canada en matière de coopération internationale. Enfin, nous appuyons le travail de la Commission d’examen de la rémunération des juges, qui est la raison de notre présence devant vous aujourd’hui. Bien que cette commission soit composée de trois membres – la magistrature et le gouvernement nomment les deux premiers membres, qui, à leur tour, nomment le troisième membre –, il lui faut un secrétariat pour la prestation des services administratifs. Dans le cadre de cette commission, la personne qui est à la tête du secrétariat, c’est-à-dire la directrice exécutive du secrétariat, est madame Jeanne Ruest.
[Traduction]
Ce que notre bureau fait essentiellement pour la Commission, c'est de fournir le soutien administratif dont son secrétariat a besoin pour ses activités. Entre autres, nous fournissons des locaux, des meubles et du matériel informatique, y compris l'équipement et les logiciels, et nous lui donnons accès à notre réseau interne de communication par courriel et à nos services de comptabilité, d'acquisition, de passation de marchés, de télécommunications et d'entretien de site Web.
Nous distribuons aussi des copies du rapport final à tous les membres de la magistrature et aux autres intervenants. De plus, notre bureau répond aux demandes de renseignements statistiques se rapportant à la magistrature ainsi qu'aux questions liées aux pratiques administratives et au soutien accordé à la magistrature.
Après que la Commission a terminé son travail, nous gardons pour elle le matériel, les dossiers et la documentation dans les mêmes locaux distincts, munis d'un dispositif de sécurité. Nous faisons un suivi des questions posées, nous répondons à ses questions et nous transmettons les demandes de renseignements relatives à la Commission au président ou au directeur exécutif.
Si le ministre de la Justice veut que la Commission se penche sur d'autres questions, nous appuyons encore une fois la Commission en lui fournissant le soutien administratif dont je viens de parler.
[Français]
Une fois qu’un projet de loi est préparé par le ministère de la Justice suite au rapport de la commission, nous prenons les mesures qui s’imposent au sein de notre bureau pour administrer les nouvelles dispositions et s'y conformer lorsqu’elles seront devenues loi. De fait, des membres de notre personnel se préparent maintenant afin d’être en mesure de répondre aux amendements à la Loi sur les juges.
J’avais indiqué au début que ma présentation serait brève. J’espère malgré tout avoir réussi à fournir de l’information utile sur le rôle général de mon bureau et sur ses fonctions particulières quant à la Commission d’examen de la rémunération des juges. Si vous avez des questions, nous sommes bien entendu disposés à y répondre. Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur le président. Je vais répondre au ministre, qui est absent. J'imagine que son secrétaire parlementaire va lui faire rapport de tout cela.
Je n'ai certainement pas l'intention de devenir juge. En effet, avec le nombre de lois que ce gouvernement va déposer, les tribunaux vont être si engorgés que j'aurai beaucoup de travail d'ici quelques années en tant qu'avocat, surtout comme avocat de la défense en droit criminel.
Le commentaire suivant s'adresse aux membres de la commission. Laissez-moi vous féliciter du travail que vous avez accompli. Je sais qu'il a dû être très ardu et compliqué. Pour avoir connu un système semblable au Québec, je peux dire que fixer la rémunération des juges a dû être un travail immense. Je trouve déplorable que le gouvernement ait rejeté vos conclusions du revers de la main. J'aimerais vous poser une question qui, bien que d'ordre plutôt général, cerne assez bien le débat.
La cour a décrit comme suit l'analyse en trois étapes qui vise à évaluer la rationalité du refus d'un gouvernement. Il faut d'abord déterminer si sa décision d'écarter les recommandations de la commission est justifiée par un motif légitime, c'est-à-dire complet et concret. Ensuite, il faut préciser si les motifs invoqués ont un fondement factuel raisonnable. Enfin, compte tenu d'une perspective d'ensemble marquée par la retenue, il faut déterminer si le mécanisme d'examen a été respecté.
Croyez-vous que le gouvernement, en rejetant votre rapport, a respecté ces trois étapes? Croyez-vous plutôt qu'il s'agissait d'une raison purement politique, à savoir qu'il ne voulait pas augmenter le salaire des juges? Bonne chance !
Les membres du comité s'inquiètent du fait que pour augmenter les montants, pour intégrer cette proposition dans le rapport original — et je sais que certains d'entre nous voudrions le faire — il nous faut une recommandation royale. Sans cette recommandation par le gouvernement, nous n'avons pas l'autorité de dépenser les derniers publics. Cela nous placerait dans une position plutôt délicate. Je veux simplement expliquer, pour que tout le monde saisisse bien, que nous ne pouvons absolument pas augmenter le montant proposé sans que le gouvernement ne nous autorise à le faire. Nous verrons bien ce qui se passera.
Je sais que mon collègue, l'ancien ministre de la Justice, voulait être ici mais il est occupé ailleurs.
Je veux simplement signaler, tout au moins au nom de mon parti, et je crois au nom de tous les partis de l'opposition, qui ont beaucoup de respect pour la magistrature, que cette attaque qui semble provenir du gouvernement actuel est non seulement irrespectueuse, mais nuit au système juridique canadien. Le système juridique travaille très fort. Il a pour leaders des fonctionnaires judiciaires qui ont été choisis pour leur talent, leurs compétences comme vous le savez pertinemment. Le fait que nous nous trouvons dans cette situation plutôt délicate aujourd'hui, en raison de l'attitude du gouvernement actuel, n'est pas une bonne chose. Je crois que la jurisprudence le démontre parfaitement.
Le ministre de la Justice a dit à la Chambre des communes, lorsque je suis intervenue pour la première fois, qu'il fallait essayer à tout prix de moins dépenser dans le secteur, alors que nous avons le plus important excédent budgétaire de notre histoire. À mon avis nous dire qu'on pourrait obtenir des candidats à la magistrature pour moins cher est un argument fallacieux. En fait j'étais plutôt gênée de me retrouver dans cette situation.
J'espère qu'à l'avenir nous pourrons obtenir des candidats de votre calibre, parce que c'est très important pour tous les Canadiens.
Je ne sais pas si vous voulez faire un commentaire, mais je vous réserve le reste de la période pour le faire.