Passer au contenu
;

JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain







CANADA

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 037 
l
1re SESSION 
l
39e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 4 décembre 2006

[Enregistrement électronique]

(1530)

[Traduction]

    La séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne est ouverte.
    Nous recevons plusieurs témoins aujourd'hui: l'Association québécoise des avocats et avocates de la défense, M. Jean-Paul Brodeur, à titre personnel, l'Association du Barreau canadien et le Comité central mennonite du Canada.
    Nous entendrons les témoins dans l'ordre qui figure à l'ordre du jour. Je cède donc la parole à Mme Lucie Joncas, de l'Association québécoise des avocats et avocates de la défense.
    Madame Joncas.

[Français]

    L'Association québécoise des avocats et avocates de la défense est une association à but non lucratif qui regroupe 600 avocats de la défense pratiquant dans toutes les régions du Québec. Nos membres incluent tant les avocats qui oeuvrent en pratique privée qu'à la Commission des services juridiques. J'ai l'honneur de présider l'association depuis juin 2005. Je pratique essentiellement en droit criminel depuis bientôt 15 ans.
    D'entrée de jeu, l'AQAAD tient à remercier le comité de cette invitation à comparaître. Je souhaite que cette intervention s'avérera utile dans le cadre des travaux du comité.

[Traduction]

    Il est troublant de lire le communiqué de presse du 1er mars 2006 qui décrit l'objectif de ces nouvelles dispositions. On y dit que les peines d'emprisonnement minimales obligatoires feront en sorte que les châtiments seront proportionnels à la gravité de l'infraction commise, lorsque celle-ci comporte l'utilisation d'armes à feu ou parce qu'elle est liée à la violence de gangs criminels.
    De toute évidence, cette mesure est une attaque en règle contre le pouvoir discrétionnaire des juges. Pour ma part, je crois, à la lumière de mon expérience, que les juges du Canada infligent déjà des peines justes et proportionnelles. Qui plus est, les infractions impliquant des gangs criminels font déjà l'objet d'une disposition particulière du Code criminel en ce qui concerne la détermination de la peine, le sous-alinéa 781.2a)(iv). Aux fins de la détermination de la peine, le fait qu'une infraction ait été commise au profit d'une organisation criminelle, à sa demande ou en rapport avec elle, est considérée comme une circonstance aggravante.
    L'AQAAD souscrit à la déclaration suivante qui figure dans le résumé législatif du projet de loi C-10 : « Les peines minimales obligatoires sont généralement incompatibles avec le principe fondamental qu'une peine doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant, car elles ne permettent pas au juge de faire d'exception dans les cas appropriés ». C'est un principe généralement reconnu, et par ailleurs confirmé par mon expérience à titre d'avocate de la défense, que la dissuasion découle de la crainte d'être arrêté plutôt que de l'existence de peines sévères.

[Français]

    Le taux de criminalité au Canada ne commande pas de telles modifications législatives. L'exemple américain est éloquent à l'égard de l'inefficacité de telles mesures.
     D'ailleurs, la nouvelle vague de projets de loi que ce comité a dû étudier, ceux à venir, notamment le projet de loi C-9, et le renversement du fardeau de la preuve en matière de délinquants dangereux, pour ne nommer que ces facteurs, risquent d'avoir un « effet domino ». Nous portons ce fait à votre attention parce qu'à notre avis, c'est une éventualité que vous devriez envisager. Je m'explique: l'effet combiné de toutes ces mesures aura une incidence directe sur la capacité du système judiciaire de traiter les dossiers dans un délai raisonnable, tel que le prévoit la Charte.
     Ces dispositions vont également avoir comme effet de court-circuiter le processus de règlement des dossiers. En règle générale, environ 90 p. 100 des accusations criminelles se soldent, pour le moment, par un plaidoyer de culpabilité, et bon nombre de ces plaidoyers sont accompagnés de suggestions communes. Ces chiffres risquent de changer considérablement à la suite du cumul des modifications législatives. Conséquemment, le nombre d'individus en détention préventive se verra d'autant augmenté, ce qui imposera un fardeau supplémentaire aux ressources des provinces.
     Il faut se rappeler que dans le cadre de l'imposition des sentences au Canada, si le ministère public juge que la peine imposée est trop clémente, il lui est toujours loisible de porter cette décision en appel. Dans le cas inverse, on retire ce même droit à la défense en cas de peine minimale mandatoire, lorsque la défense croit, eu égard aux circonstances particulières de l'infraction et à celles de l'individu l'ayant perpétrée, que cette sentence est manifestement trop sévère.
    Nous considérons que ces modifications législatives ne sont pas nécessaires et qu'elles auront un important effet négatif sur le système de justice. Enfin, subsidiairement — et je dis bien subsidiairement —, si le comité en venait à la conclusion que les peines proposées pourraient être utiles à titre de balises, nous suggérons qu'un amendement soit apporté à l'article 718.3 du Code criminel, afin qu'une discrétion judiciaire résiduaire puisse être exercée. En effet, lors de circonstances particulières, quand il en va de l'intérêt tant de la communauté que de l'accusé, le magistrat pourrait exercer sa discrétion quant à l'imposition de la peine.
    Je vous remercie et je me déclare disponible pour répondre aux questions.
(1535)

[Traduction]

    Merci beaucoup, madame Joncas.
    Monsieur Jean-Paul-Brodeur.

[Français]

    Je m'appelle Jean-Paul Brodeur et je suis professeur à l'Université de Montréal. Je suis également directeur du Centre international de criminologie comparée. De 1984 à 1987, j'ai été directeur de la recherche à la Commission canadienne sur la détermination des peines.

[Traduction]

    Permettez-moi tout d'abord de me présenter. J'enseigne à l'Université de Montréal et je suis directeur d'un centre de recherche; j'ai été directeur de recherche de la Commission canadienne sur la détermination des peines, qui a publié son rapport en 1987. Je m'intéresse donc depuis longtemps à la détermination de la peine.

[Français]

    Vous allez entendre les arguments d'un très grand nombre de personnes. Par exemple, on vient d'en entendre dans le domaine du droit. On va aussi vous présenter des analyses statistiques très poussées. Ce n'est pas ce que je veux faire ici aujourd'hui.

[Traduction]

    Je veux répondre à une question. Je ferai des observations générales, mais voici ma question. Certains prétendent que l'imposition de peines plus sévères va dissuader les personnes de commettre des crimes violents et des crimes avec une arme à feu. Je vais tâcher de répondre à la question suivante. De telles mesures sont-elles susceptibles de dissuader des criminels en puissance? Voilà l'essentiel de ce que je vais vous dire. Mais permettez-moi tout d'abord de faire certaines observations générales.
(1540)

[Français]

    Essentiellement, je formulerai deux commentaires généraux.
    Examinons les études qui ont été faites sur l'effet de dissuasion. Généralement, est-ce que le fait d'augmenter les peines a un effet dissuasif? On peut dire que ces études s'annulent les unes les autres. Dans certains cas, nous constatons un effet positif, dans d'autres, non. Quand nous faisons le bilan, le résultat est extrêmement constant. Depuis quelque 30 ans, on observe un effet de dissuasion qui est, si vous voulez, assez modeste, et il n'existe pas de consensus voulant que plus on augmente les peines, moins les gens commettent de crimes. Le meilleur exemple de ceci est, bien sûr, la peine de mort. Dans les États américains où existe la peine de mort, il n'y a pas nécessairement moins de meurtres.
    Le deuxième élément que j'aimerais apporter, de façon générale, est le suivant. L'année où la Commission canadienne sur la détermination de la peine a déposé son rapport, en 1987, elle a pris très fortement position contre les peines minimales. Il en restait peu à cette époque, et l'une était importante: la peine minimale de sept ans imposée pour l'importation et l'exportation de drogues. Or, dans le jugement Smith c. R., en 1987, la Cour suprême a invalidé cette peine minimale de sept ans en donnant diverses raisons, l'une d'entre elles étant qu'une peine minimale de sept ans se rapprochait d'une peine cruelle et inusitée.
    Je constate que dans ce projet de loi, il y a des peines minimales prévues, de sept et 10 ans respectivement, pour des récidivistes. Est-ce que ceci va passer le test de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Cour suprême? Je suis loin d'en être certain.

[Traduction]

    J'en arrive à mon principal argument. Tout d'abord, le projet de loi est-il nécessaire? Il viserait à améliorer la sécurité des Canadiens. À ce sujet, je vous rappelle qu'en décembre 2005, Statistique Canada a publié un document — en fait c'était un véritable ouvrage — faisant état des résultats d'un sondage effectué au Canada, dans lequel on a demandé aux Canadiens s'ils se sentaient en sécurité dans leur pays. Les répondants pouvaient opter pour quatre réponses: je me sens très en sécurité; je me sens en sécurité; je ne me sens pas très en sécurité; et je ne me sens pas du tout en sécurité.
    De 1988 à 2004, la proportion des répondants qui ont dit se sentir très en sécurité ou en sécurité est passée de 88 p. 100 à pas moins de 94 p. 100. Cela témoigne du fait que nos citoyens se sentent très en sécurité. Bien sûr, on peut toujours faire état d'une fusillade ou d'incidents qui sont extrêmement regrettables et qui doivent être dénoncés, mais est-il nécessaire d'adopter des lois par suite d'incidents tragiques mais isolés qui font l'objet d'un battage médiatique? Je n'en suis pas sûr.

[Français]

    J'en viens maintenant à la question que je veux soulever. En gros, le fondement du projet de loi est la punition et la dissuasion.
    Les gens visés par ce projet de loi, soit ceux qui utilisent des armes à feu ou qui commettent des infractions violentes, seraient-ils dissuadés de poser de tels gestes?
    J'aimerais vous donner trois arguments prouvant que cette dissuasion serait très modeste.
    Notre centre dispose de chercheurs spécialisés qui étudient la consommation de drogues et de stupéfiants. Ils ont trouvé que 57 p. 100 des gens qui commettent des meurtres étaient sous l'influence de l'alcool ou de drogues qu'ils avaient consommés peu avant le crime ou même, dans certains cas, en commettant le crime. Pour les tentatives de meurtre, cette proportion est de 58 p. 100; pour les voies de fait, de 69 p. 100; pour l'enlèvement, de 54 p. 100; et pour les délits sexuels, de 44 p. 100. Les statistiques sont les mêmes pour le vol qualifié et le vol avec violence. Environ 60 p. 100 des gens qui commettent de telles infractions sont sous l'influence de l'alcool ou de stupéfiants. Par conséquent, le fait d'augmenter la peine minimale d'un an n'exercera pas un grand effet dissuasif sur eux.
    J'ai fait moi-même des études sur les homicides; j'ai une banque de données constituée d'environ 153 cas d'homicide. De ces 153 cas, 71 p. 100 ont été élucidés en moins de 24 heures. J'insiste beaucoup sur cette donnée. Cela signifie que plusieurs homicides sont le fait d'une criminalité spontanée, improvisée, qu'on appelle dans notre jargon une criminalité expressive. Encore une fois, l'effet dissuasif du projet de loi sur ce genre de criminalité sera minime.
    Il y a une dernière chose que je veux soumettre à votre attention, un résultat qui nous a surpris. On a posé des questions à des jeunes qui se livraient parfois au trafic de la drogue. On leur a demandé s'ils étaient armés quand ils faisaient du trafic de drogue. On a trouvé que 32 p. 100 des décrocheurs étaient armés. Par ailleurs, 55 p. 100 de ceux qui seraient poursuivis en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants étaient armés soit d'une arme à feu, d'un couteau ou d'une arme quelconque. Pour les personnes moins âgées, la proportion était 17 p. 100.
    La leçon à tirer est la suivante. La loi peut s'appliquer aux jeunes, mais elle s'applique davantage aux membres de gangs de rue et du crime organisé. Ces personnes sont, en quelque sorte, au confluent de deux menaces: d'une part, la menace de la justice, qui leur dit que si elles commettent ce crime, qu'on les arrête et les condamne, on leur infligera une peine minimale qui, dans certains cas, sera assez lourde; et, d'autre part, celle de devoir porter des armes à feu dans le cadre de leurs activités.
    Ces gens font des transactions dangereuses et souvent ils estiment nécessaire de porter des armes à feu pour se défendre contre ceux qui pourraient les assaillir. Je ne prétends pas qu'ils ont raison de le faire; je veux simplement souligner que l'effet dissuasif des peines est, dans une très large mesure, neutralisé par ce qu'ils perçoivent comme une nécessité: celle d'être armés pour faire leur business.
    En conclusion, au regard de la sécurité dont jouissent les Canadiens, bien qu'il y ait, encore une fois, des incidents sensationnels, je ne crois pas qu'on ait vraiment besoin de cette loi. Je ne pense pas qu'elle pourra diminuer les crimes avec violence ou commis avec des armes.
    Elle risque plutôt d'aggraver la situation de trois façons.
    Premièrement, en facilitant l'arbitraire de la négociation du plaidoyer, parce que dans plusieurs cas, la Couronne a le choix entre poursuivre par voie de procédure sommaire ou en invoquant des actes criminels.
(1545)
    Deuxièmement, comme on l'a déjà dit, si on n'entre pas dans l'arbitraire et si on applique la loi de façon mécanique, la proportionnalité ne sera vraisemblablement pas respectée et la discrétion des magistrats sera indûment rétrécie.
    Finalement, il faut souligner qu'un effet assuré de cette loi sera une augmentation de la population carcérale. On sait qu'augmenter la population carcérale fait toujours partie de la donnée du problème, mais jamais de sa solution.
    Je vous remercie.

[Traduction]

    Merci beaucoup, monsieur Brodeur.
    Nous allons maintenant entendre les représentants de l'Association du Barreau canadien. Est-ce M. Weinstein ou Mme Thomson qui prendra la parole?
(1550)
    Très bien.
    Merci, monsieur le président et honorables députés.
    L'Association du Barreau canadien est heureuse de pouvoir présenter son point de vue sur le projet de loi C-10.
    L'Association du Barreau canadien est un organisme national qui représente 37 000 juristes de toutes les régions du Canada. Elle s'est fixé comme objectif, entre autres, de faire avancer le respect du principe de justice naturelle et le système judiciaire au Canada.
    Le mémoire que nous avons remis aujourd'hui a été préparé par la Section nationale du droit pénal de notre association. Cette section se compose à la fois d'avocats et d'avocates de la défense et de la poursuite, de même que de professeurs de droit pénal. Ainsi, les différents points de vue sont appliqués à l'examen du droit.
    Je vais céder la parole à M. Weinstein qui commentera certains aspects du projet de loi C-10.
    La Section du droit pénal appuie des mesures visant à réduire les taux de criminalité violente, mais à la condition que ces mesures soient à la fois équitables et efficaces. La section est contre l'application de peines d'emprisonnement minimales obligatoires. Pour être adoptée, toute mesure doit obligatoirement contribuer à réaliser le but de la sécurité publique tout en étant conforme à ce que j'appellerais les trois C: la Charte, la common law et le Code criminel — et plus particulièrement dans ce cas, les principes de détermination de la peine. Nous sommes contre les peines minimales obligatoires parce qu'elles limitent la capacité du juge de déterminer une peine appropriée et qu'elles faussent les principes de détermination de la peine établis par le Code criminel.
    Commençons par la capacité du juge de définir une peine appropriée. Je crois que d'autres ont déjà critiqué l'approche d'une « taille unique ». Moi, qui mesure six pieds huit pouces, je peux vous dire que cette taille universelle ne convient pas à tout le monde.
    Notre section a confiance en la magistrature, dont les membres doivent assumer la tâche souvent difficile de peser différents facteurs au moment de déterminer une peine juste. Pour le faire, ils se fondent sur les principes de la common law, la Charte et les principes de détermination de la peine énoncés dans le code. Je dirais même plus: les juges sont les mieux placés pour déterminer un châtiment juste en se fondant non seulement sur les principes de détermination de la peine mais aussi sur la situation particulière d'un délinquant, les circonstances du crime et le lien entre la délinquant et la victime.
    En outre, étant donné le piètre bilan du Canada au chapitre de l'incarcération disproportionnée des Autochtones, l'article 718.2 a été adopté pour obliger les juges à envisager diverses options au moment de déterminer la peine de délinquants autochtones. Le projet de loi aurait pour effet de supprimer cette exigence, ce qui amplifierait les problèmes de surreprésentation des Autochtones dans les établissements carcéraux. Si une infraction commande une longue peine, le juge a déjà tous les outils nécessaires pour imposer la peine appropriée. Il ressort de l'expérience des membres de notre section que les crimes commis avec des armes à feu entraînent déjà de longues peines d'incarcération.
    Le projet de loi C-10 risque de fausser l'application de plusieurs principes de détermination de la peine, dont celui de la proportionnalité qui veut que la peine infligée soit proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant. Le projet de loi C-10 établirait une peine minimale s'appliquant à tous les délinquants, même ceux dont le degré de responsabilité est faible.
    Le Code criminel reconnaît également le principe de la modération, selon lequel nous ne devons incarcérer un délinquant que si c'est nécessaire pour protéger la population. Comme il est indiqué dans notre mémoire et comme je le fais valoir devant vous aujourd'hui, la Section du droit pénal est d'avis que les peines minimales obligatoires ne permettent pas d'atteindre le but qu'est la dissuasion.
    Le juge doit également appliquer d'autres principes, dont ceux de la détermination de la peine, notamment la réadaptation et l'expression de la réprobation sociale. L'application thématique de peines minimales obligatoires à tous les délinquants empêcherait le juge de concevoir une peine axée sur la réinsertion sociale pour un détenu susceptible d'en bénéficier.
    Par ailleurs, nous estimons que le projet de loi C-10 n'améliorerait pas l'efficacité judiciaire et qu'il entraînerait fort probablement l'allongement des délais dans le système judiciaire. Étant donné les enjeux plus élevés, il y aurait plus de procès; les taux d'incarcération grimperaient et il faudrait plus de prisons. Tout cela coûte évidemment plus cher à la population.
    L'article 9 du projet créerait deux nouvelles infractions: l'introduction par effraction pour voler une arme à feu et le vol qualifié visant une arme à feu. Le vol d'une arme à feu constitue déjà une circonstance aggravante aux fins de la détermination de la peine, mais l'amendement proposé créerait un autre écueil pour les avocats de la Couronne. Il faudrait présenter des preuves très convaincantes de ce que l'accusé avait expressément l'intention de voler des armes à feu; il est souvent fort difficile d'obtenir de telles preuves à moins que l'accusé ou un de ses co-accusés ait fait une déclaration admissible dans ce sens.
    Par ailleurs, un autre aspect du projet de loi fait problème de l'avis de notre section, et c'est l'extrême complexité des dispositions relatives au calcul de la peine. J'ai lu avec beaucoup d'intérêt les comptes rendus de vos réunions antérieures avant de venir à la présente audience. Je crois que jusqu'à maintenant, vos délibérations ont illustré ce fait. La confusion ne tient pas au fait que personnellement je sois incapable de faire le calcul, mais au système lui-même, qui à notre avis manque de cohérence et est tout simplement trop compliqué. Si les juristes de notre section ont du mal à s'y retrouver, imaginez ce que pourraient y comprendre les personnes auxquelles nous voulons envoyer un message.
    Notre section souhaite également porter à votre attention un phénomène bien réel qui se produit déjà: les pouvoirs discrétionnaires du juge en matière de détermination de la peine sont transférés à la Couronne. Lorsqu'un accusé est passible d'une peine minimale obligatoire, ce ne sont plus les plaidoyers qui font l'objet de négociations entre l'avocat de la Couronne et celui de la défense, mais bien les accusations elles-mêmes.
    Prenons le cas d'un individu accusé d'avoir déchargé une arme à feu avec une intention particulière. La Couronne acceptera de réduire le chef d'accusation si l'accusé plaide coupable; elle pourra ainsi obtenir la condamnation de l'accusé mais celui-ci évitera l'incarcération. Cependant, la négociation du chef d'accusation dépend du pouvoir discrétionnaire de la Couronne. Sauf tout le respect que je dois aux avocats de la Couronne, l'accusé est plus susceptible d'accepter un processus fondé sur un arbitre indépendant disposant de pouvoirs discrétionnaires que sur un représentant de Sa Majesté.
(1555)
    Par ailleurs, ce processus dilue l'intention même du projet de loi car au lieu d'infliger des peines plus sévères aux criminels, il fait en sorte qu'un accusé puisse écoper d'une peine plus clémente, en plus d'être accusé d'une infraction moins grave. Si on éliminait les peines minimales obligatoires, le même accusé pourrait recevoir une peine appropriée, mais toujours en fonction de l'accusation initialement portée contre lui.
    Notre section exhorte votre comité à rejeter ce projet de loi. Certes, le projet de loi vise à mieux protéger la société, objectif que nous partageons, mais il comporte des mesures qui n'auront pas l'effet escompté et qui engendreront des injustices.
    Merci beaucoup.
    Merci, monsieur Weinstein.
    Nous entendrons maintenant Mme Sandra Elgersma, du Comité central mennonite du Canada.
    Est-ce vous ou Mme Henderson qui parlerez?
    Nous parlerons toutes les deux, mais je vais commencer.
    Le Comité central mennonite du Canada est l'organisme relevant des églises mennonites et Brethren in Christ du Canada qui s'occupe de secours, de développement et de consolidation de la paix. Dans le domaine judiciaire, nous offrons depuis longtemps des programmes d'intervention auprès des victimes, des programmes d'intervention près des délinquants et des programmes qui favorisent le dialogue entre victimes et délinquants. Nous vous remercions de nous avons invités aujourd'hui.
    Nous souhaitons que le système de justice pénale tienne compte des réalités humaines. Les collectivités jouent un rôle important dans le domaine de la justice et il existe différents moyens de répondre aux besoins des victimes, d'amener les délinquants à assumer la responsabilité de leur acte et de pouvoir se réadapter, et de réparer les torts qu'ils ont causés.
    Or, le projet de loi C-10 est incompatible avec cette vision des choses à plusieurs égards. Pour tenir compte des réalités humaines que sont les fusils et les gangs criminels, il faut pouvoir disposer d'un éventail de mesures beaucoup plus vastes que les dispositions proposées dans le projet de loi en matière de détermination de la peine; cependant, même ces dispositions nous inquiètent quelque peu. Comme d'autres l'ont dit tout à l'heure, les peines minimales obligatoires limitent les pouvoirs discrétionnaires des juges, pouvoirs qui sont importants pour tenir compte des réalités humaines et pour créer des solutions de rechange à l'incarcération.
    En outre, le recours de plus en plus fréquent à l'incarcération a des effets indésirables. Il empêche les victimes de recevoir réparation pour le tort causé ou d'autres genres de dédommagement. Comme les établissements correctionnels sont de plus en plus surpeuplés, l'incarcération ne permet pas aux détenus d'acquérir plus de compétences utiles pendant qu'ils sont derrière les barreaux.
    Des peines plus longues rendent plus difficiles pour les détenus de s'intégrer à la société. En plus d'entraîner ces effets négatifs, le recours accru à l'incarcération ne réduit en rien le taux de criminalité.
    Nous allons aujourd'hui vous décrire notre expérience en ce qui concerne la dissuasion et la sécurité de la collectivité, deux thèmes fortement utilisés pour justifier le projet de loi C-10. Lors de nos comparutions antérieures devant votre comité, nous vous avons parlé de notre programme de cercles de soutien et de responsabilisation, et aujourd'hui nous allons vous décrire plus en détail l'expérience que nous avons acquise avec ce programme.
    Tôt ou tard, la plupart des personnes incarcérées réintègrent la société. Or, beaucoup des délinquants retournent à des collectivités qui leur offrent peu, sinon pas du tout, de soutien; dans d'autres cas, ils vont renouer avec certains éléments qui ont contribué à leur passé criminel. Dans les deux cas, le risque de récidive s'aggrave. Les victimes passées du délinquant vivent dans l'insécurité et l'ex-détenu risquerait davantage de faire de nouvelles victimes.
    Pour les gouvernements, la police et la collectivité, le défi consiste à intégrer les ex-détenus dans la société tout en réduisant leur risque de récidive. Le crime nous affecte tous. Nous nous en remettons aux corps policiers et à d'autres organismes gouvernementaux pour assurer notre sécurité. Nous avons fini par croire que nous ne pouvons rien faire pour nous protéger et que la meilleure solution est de mettre les délinquants en prison pour le plus longtemps possible. Nos collectivités vivent dans la peur mais on ne leur a pas donné les outils qui leur permettraient de combattre cette peur d'une façon utile et sécuritaire.
    Nous, du Comité central mennonite, croyons que les collectivités doivent agir pour assurer leur sécurité et avoir la capacité de le faire. Les cercles de soutien et de responsabilisation étaient au départ la réaction d'un groupe confessionnel devant une situation de crise. Il y a douze ans, un délinquant sexuel très connu ayant d'importants besoins a été libéré à Hamilton; on avait évalué à 99 p. 100 le risque de récidive au cours de la première année. De petits groupes de personnes l'ont entouré, formant un cercle autour de lui pour ainsi dire, à la fois pour le soutenir et pour l'obliger à rendre compte de ses choix et de ses comportements. Ce groupe d'hommes et de femmes qui connaissaient tous ses antécédents criminels de même que le cycle qui aboutissait à un délit était bien décidé à faire en sorte qu'il n'y ait « plus de victime ». Peu après, un autre individu a été libéré à Toronto et l'idée des cercles a commencé à prendre forme.
    Au moment de sa libération, chaque délinquant ou membre central de nos cercles est entouré de trois ou quatre personnes de la collectivité ainsi que d'un employé désigné. Chaque cercle se réunit toutes les semaines et chaque bénévole s'engage à s'entretenir assez longuement avec le membre central en dehors des réunions du cercle. Le cercle n'assure ni la surveillance ni la garde du délinquant. Il s'agit d'un groupe de personnes désireuses d'assurer la sécurité de leur lieu de vie grâce à l'inclusion et non l'exclusion des délinquants.
    Chaque membre du cercle connaît à fond les antécédents criminels, les modes de comportement et les facteurs de risque du détenu. Chacun s'engage à aider le membre qui est au coeur du cercle, tout en l'obligeant à assumer la responsabilité des choix qu'il fait. Les intervenants salariés et bénévoles du cercle collaborent avec d'autres professionnels du milieu, y compris la police, et s'engagent à communiquer avec les autorités compétentes s'ils perçoivent un danger pour la collectivité. Au départ, on croyait que le cercle ne serait nécessaire que pendant la première année après la sortie de prison, mais en fait, beaucoup d'individus ont besoin de cet encadrement délibéré pendant de nombreuses années, voire toute leur vie.
    Au cours des 12 dernières années, ce projet a permis d'intervenir auprès de plus de 100 hommes et la formule des cercles a été reprise par presque toutes les provinces du Canada et par plusieurs États des États-Unis, dont le Colorado et le Vermont, de même que par la Grande-Bretagne. L'étude statistique effectuée par M. Robin Wilson pour le Service correctionnel du Canada a confirmé l'efficacité de cette formule. L'étude a été répétée à l'aide de données sur d'autres projets semblables menés dans les différentes régions du pays; elle a abouti essentiellement aux mêmes conclusions, soit que ce genre d'approche produit des résultats positifs.
    Charlie Taylor, le premier membre du cercle, est décédé le 25 décembre 2005. Pendant 12 ans, il a vécu en liberté et participé à des activités communautaires lorsque c'était approprié, sans avoir de démêlés avec la justice si ce n'est pour un incident de vol à l'étalage. Il a eu son propre appartement pour la première fois de sa vie et il a essayé de contribuer au bien-être de la collectivité; il a eu des contacts avec l'un des membres de son cercle tous les jours, sans exception, et n'a jamais commis d'autres crimes sexuels.
    Don, qui habite actuellement la région de Toronto, a été libéré il y a quatre ans et les services de police en ont informé la collectivité. Considéré comme un individu présentant un fort risque de récidive au cours de la première année, il n'a pu trouver ou garder de logement pendant les quatre premiers mois suivant sa libération, à cause de la réaction du public. Don a participé activement au cercle et grâce à cet encadrement, il est devenu un bénévole estimé auprès d'un organisme partenaire et cherche maintenant à contribuer à la société.
    Nous ne croyons pas que la délinquance sexuelle puisse se guérir. Toutefois, nous estimons que les délinquants sexuels peuvent vivre sans danger dans la collectivité pourvu qu'ils y mettent l'effort. Il existe des structures d'encadrement et de responsabilisation appropriées. Les bénévoles qui travaillent dans de tels projets n'éprouvent plus un sentiment d'impuissance. Ils présentent au délinquant un modèle de respect des normes sociales, remettent en question sa façon de penser et surveillent son comportement dans le cadre d'une véritable relation: la sécurité est dynamique plutôt que statique.
(1600)
    Les victimes ont un grand besoin de se sentir en sécurité. Elles nous disent qu'elles veulent avoir l'assurance qu'il n'y aura pas d'autres victimes. Les cercles s'engagent à faire en sorte qu'il n'y ait pas d'autres victimes et même si nous ne pouvons pas changer le passé, les bénévoles et les employés travaillent étroitement avec le membre qui est au coeur du cercle pour veiller à ce qu'il ne récidive pas. Les cercles de soutien et de responsabilisation visent à apaiser les craintes des victimes et à prévenir de nouveaux délits.
    Bien que la formule des cercles ait essentiellement été utilisée auprès de délinquants sexuels après leur libération, ils peuvent également permettre d'encadrer les auteurs d'autres types de crimes comme le trafic de drogues, l'incendie criminelle ou le vol. On a utilisé les cercles auprès de femmes qui quittaient les maisons de transition pour un logement permanent et pour ceux qui sont libérés d'établissements fédéraux.
    Nous croyons que la formule des cercles pourrait être utilisée plus tôt dans le processus judiciaire. Elle a déjà été utilisée comme condition à la mise en liberté sous caution et est à envisager dans d'autres cas où la sécurité publique est prioritaire. À notre avis, la création d'un cercle plus tôt dans le processus permettrait de mieux répondre aux besoins des victimes, leur permettrait de vivre davantage l'expérience de la justice et aiderait les collectivités à se mobiliser pour assurer leur sécurité et la responsabilisation du délinquant.
(1605)
    Pour conclure, nous partageons la volonté du gouvernement d'assurer la sécurité et la prise en compte des intérêts des victimes et des délinquants. Nous vous avons fait part de notre expérience au chapitre de la protection pour vous montrer qu'il y a des façons plus efficaces de favoriser la dissuasion, de faire en sorte qu'il n'y ait plus de victimes et de faciliter la réinsertion sociale des délinquants.
    Les bienfaits de ces cercles ne se limitent pas à encadrer le délinquant après sa sortie de prison; si on appliquait cette formule beaucoup plus tôt dans le processus judiciaire, cela aurait pour effet de réduire le nombre de victimes ainsi que les coûts sociaux et économiques du système.
    Nous estimons que les pouvoirs discrétionnaires du juge sont très importants. À notre avis, il faut permettre plus souvent et non moins souvent aux collectivités d'intervenir dans des questions judiciaires. Enfin, les ressources de l'État devraient être canalisées vers des projets communautaires plutôt que vers la construction de nouvelles prisons.
    Bien que nous n'appuyions pas le projet de loi, si vous décidez d'y souscrire, nous vous invitons à renforcer les dispositions qu'il contient en matière de réinsertion sociale. Il faudrait à tout le moins subventionner davantage les projets communautaires comme les cercles de soutien et de responsabilisation, avant et après l'incarcération, de même que d'autres programmes semblables, car ils peuvent atténuer certains des effets nuisibles des plus longues peines d'emprisonnement qui découleraient de l'adoption du projet de loi.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Nous passons maintenant aux questions.
    Madame Barnes.
    Permettez-moi de faire une précision au sujet de l'ajout de nouvelles dispositions. Le gouvernement nous a renvoyé ce projet de loi après la deuxième lecture; par conséquent, nous n'avons pas le droit d'y ajouter d'éléments nouveaux. Nous ne pouvons y apporter que des amendements mineurs, ce qui nous met habituellement dans la position très difficile de devoir accepter ou rejeter le projet de loi légèrement modifié. On nous a fait d'autres suggestions. Je tenais à clarifier ce fait pour que vous n'ayez pas l'impression que nous ne tenons pas compte de vos observations.
    Mes collègues et moi avons remarqué que d'après l'ordre du jour, vous témoignez à titre personnel, monsieur Brodeur. Nous vous considérons comme un expert du domaine et sommes ravis que vous soyez présent.
    Vous dites que vous avez participé très activement à la préparation d'un rapport sur l'abolition des peines minimales obligatoires, rapport qui décrivait certaines anomalies qui surviennent dans le système judiciaire lorsqu'il faut à la fois éviter et... Je vais plutôt vous demander de décrire vous-même ce qui arrive lorsqu'il y a des peines minimales obligatoires, d'après votre étude.
    Oui, il faut certainement compter un certain nombre d'effets. Prenons-en trois pour commencer.
    En premier lieu, il est très difficile de concilier des peines minimales obligatoires avec le principe de la proportionnalité, car ce dernier se fonde sur plusieurs facteurs, ainsi que les préjudices et la culpabilité. Dans ce cas, la détermination de la peine n'est pas fixée d'avance. Parfois, le crime est le résultat de circonstances précises. Parfois encore, il semble au premier abord avoir été commis par pure méchanceté et ce genre de choses. Il faut donc tenir compte de circonstances variables. Voilà pour un résultat.
    Si vous avez une formule universelle, elle l'emportera nécessairement sur le principe de la proportionnalité et, bien entendu, ni le public, ni la personne à qui l'on impose la peine obligatoire n'auront l'impression que justice a été faite.
    Ensuite, le nouveau modèle limite les pouvoirs discrétionnaires des juges, et ici, je serai on ne peut plus clair. À mon avis, il y a lieu d'entraver la liberté des juges uniquement dans le cas où cela est indubitablement dans l'intérêt de la société. Je citerai l'exemple suivant à l'appui. J'ai participé aux travaux de la Commission canadienne sur la détermination de la peine, et le rapport qui y a fait suite comportait des directives à l'intention des juges, plus précisément, des lignes directrices présomptives proposées à titre indicatif et donc nullement contraignantes. En dépit de cela, la réaction des juges a été plutôt hostile, j'entends par là qu'ils voyaient d'un très mauvais oeil la moindre entrave à leur liberté, à part celle qui existe déjà. Rappelons qu'il y a deux avocats, qu'il peut y avoir appel et qu'il y a la charte. Par conséquent, la peine n'est pas déterminée sans point d'ancrage. Les juges estimaient donc que les directives étaient une contrainte.
    Si cela est vrai des lignes directrices, alors multipliez... pardon?
(1610)
    J'ai moi aussi quelques autres questions à poser.
    Bien, j'en ai encore pour 30 secondes seulement.
    Si cela est vrai des lignes directrices, ça le sera encore davantage des peines minimales obligatoires, la forme de directive la plus contraignante qui soit.
    Je vais en rester là.
    Je vous remercie, monsieur Brodeur.
    Madame Joncas, j'aimerais vous parler du projet de loi et des conséquences que son adoption pourrait avoir pour les procureurs de la Couronne, car leur rôle devant le tribunal en serait modifié.
    Il ne fait aucun doute que les pouvoirs discrétionnaires seront dorénavant exercés par les procureurs de la Couronne, or le processus menant à la nomination des deux... Nous, de l'AQAAD, estimons que les procureurs de la Couronne devraient jouir d'une certaine latitude, mais, à mon avis, il ne faut pas accorder des pouvoirs discrétionnaires à la poursuite.
    J'aime bien l'argument invoqué par l'Association du Barreau canadien, à savoir que si nous tenons à respecter les objectifs du Code criminel, dont la détermination d'une peine individualisée, ce ne sont pas des plaidoyers que nous allons négocier mais des chefs d'accusation. Par conséquent, ce qui est proposé ici me préoccupe profondément.
    Merci aux membres de l'Association du Barreau canadien de leur mémoire et de tout le travail que sa préparation a nécessité.
    J'aimerais savoir si, à vos yeux, le gouvernement qui, en 1995, a adopté une loi comportant des peines minimales obligatoires dans le cas de crimes commis au moyen d'une arme à feu, devrait au moins étudier les répercussions de cela avant de nous présenter cette nouvelle initiative.
    À ce sujet, je sais quelle position nous présentions avant le dépôt de ces modifications législatives et au moment de leur dépôt. Bien entendu, au fur et à mesure qu'on aura des données, cela devrait nous aider. Mais il reste l'un de nos principaux arguments, que vous avez sans doute déjà souvent entendu, celui de la discrétion judiciaire. Cela n'enlève pas aux juges la possibilité d'imposer des peines lourdes.
    Si les statistiques prouvaient... Je ne sais pas si vous trouverez un jour des statistiques montrant une corrélation entre les peines minimales obligatoires et un effet de dissuasion, mais s'il n'y avait pas de peines minimales obligatoires et que la Couronne établissait par des statistiques une augmentation de la violence commise avec des armes à feu, rien n'empêcherait un juge d'imposer une peine plus lourde. Si cela se faisait partout, ces peines, par elles-mêmes, plutôt que les politiques imposées... Je ne suis pas nécessairement d'accord avec cette idée, nous n'acceptons pas l'argument de la dissuasion, mais si on estime que des peines plus lourdes auront un effet dissuasif, les juges pourraient en infliger.
    Je n'ai pas vu d'études crédibles qui démontrent l'effet de dissuasion.
    Merci, madame Barnes.
    Monsieur Ménard, c'est à vous.

[Français]

    Merci. Avec votre permission, monsieur le président, j'aimerais adresser mes questions au professeur Brodeur.
    J'ai lu le rapport de la Commission Archambault cet été. Je n'irai pas jusqu'à dire que c'était un moment de croissance personnelle, mais j'ai apprécié cette lecture. Il reste que cela demeure un document scientifique, vous en conviendrez.
    Je suis très troublé. D'abord, la greffière nous a remis un document — que je pourrai vous faire parvenir — de votre collègue du Centre de criminologie de l'Université de Toronto, M. Doob, qui a fait le recensement de tout ce qui a été écrit au sujet du lien entre la dissuasion et les peines minimales. Il nous invite à conclure à une hypothèse nulle. Il dit qu'il peut arriver qu'il y ait des variables qui fassent un petit changement, mais que dans l'ensemble, il serait scientifiquement erroné de faire une corrélation entre l'effet dissuasif des peines minimales et la chute du taux de criminalité.
    J'aimerais que vous nous parliez davantage de l'homicide. Vous avez dit que vous aviez une banque de données des gens que vous avez suivis. Dans 75 p. 100 des cas, cela résulterait d'une conjoncture; il s'agirait d'un crime d'expression. Je me suis donc demandé si cela ne nous indique pas, comme législateurs, que la meilleure façon de réduire le taux de criminalité n'est pas d'essayer, par exemple, d'avoir un registre public d'armes à feu ni de mettre moins d'armes à feu en circulation ni de se préoccuper de la contre-bande, des gangs de rue et de la criminalité. Finalement, ne prend-on pas le problème par le mauvais bout?
    J'aimerais que vous nous invitiez à comprendre davantage les conclusions de votre deuxième facteur concernant les banques de données.
(1615)
    Dans mon étude, j'ai trouvé que les gens sont influencés par les romans policiers et pensent, de façon générale, qu'il faut environ 365 pages pour résoudre un meurtre.
    En fait, je ne peux que vous donner des exemples de crimes. Prenons le cas d'un individu qui est harcelé au travail depuis longtemps, qui se fâche et qui, soudainement, tue quelqu'un. Un autre exemple pourrait être une mère qui assassine son enfant qui est très malade ou encore celui de jeunes qui pointent des armes les uns vers les autres et les déchargent au vu de tout le monde.
    Pour le premier type de crime, dans une certaine mesure, la question de la dissuasion ne se pose pas vraiment, car ce sont des crimes impulsifs. Pour ce qui est des autres crimes, les crimes du monde organisé, en général, leur taux de solution est très bas. Quand vous engagez un tueur professionnel pour tuer quelqu'un... Prenons le cas du journaliste Auger: on n'a jamais retrouvé la personne qui avait commis ce crime.
    M. Réal Ménard: Il prétend le savoir.
    M. Jean-Paul Brodeur: La police aussi prétend le savoir, elle l'a dit, mais elle ne pense pas pouvoir le prouver.
    On a donc une espèce de fourchette où, d'une part, il y a des gens qui sont très impulsifs, qui sont insensibles à la dissuasion et, d'autre part, des professionnels qui pensent qu'ils ont une bonne chance de s'en tirer.
    En terminant, une des choses que la commission tentait de dire, c'est qu'on doit avoir une approche intégrante et cohérente vis-à-vis de la justice.
    Une chose m'a frappé en lisant ces dispositions. Lorsque vous avez fait allusion au registre des armes à feu, vous avez dit qu'on créait, d'une part, une nouvelle infraction d'introduction par effraction pour voler des armes à feu, et, d'autre part, un vol qualifié pour des armes à feu. Pour quelqu'un qui veut voler des armes à feu, une arme est beaucoup plus intéressante lorsqu'elle n'est pas enregistrée. Quand l'arme est enregistrée, il est moins intéressant de la voler.
    On voit donc mal la cohérence entre le fait de « désenregistrer » des armes à feu et le fait de créer de nouvelles infractions pour des gens qui commettent des vols par effraction dans le but de s'emparer de ces armes. En bref, il s'agit de démarches contradictoires.
    En tout respect, j'espère que les ministériels auront pris bonne note de vos commentaires, qui étaient forts pertinents.
    Cela étant dit, ce qui est préoccupant également, c'est le fait qu'on est en droit, comme législateurs, de prendre des décisions sur la base de données probantes et concluantes. Après toutes les études qu'on a vues, si la dissuasion fonctionnait, ce projet de loi serait inutile parce qu'on l'a déjà adopté à l'époque d'Allan Rock, lorsqu'on a créé le Registre des armes à feu. Il y avait alors 10 infractions pour lesquelles on créait des peines minimales obligatoires.
    Pourquoi faudrait-il aujourd'hui augmenter d'une année la peine ou l'augmenter dans le cas d'une récidive, alors qu'il y a déjà un régime législatif? On voit bien que cela se passe ailleurs.
    Avez-vous de l'information sur les gangs de rue que vous pourriez partager avec nous, en lien avec ce qui pourrait être fait par rapport aux armes à feu?
    En ce qui a trait à l'information sur les gangs de rue, Mme Mourani...
    Que nous côtoyons régulièrement.
    ...a publié un livre récemment au Québec.
    Oui, je le sais, monsieur. N'y voyez pas un signe de flatterie. Le phénomène, qui attire beaucoup l'attention, est relativement récent.
    Je vais simplement répéter une chose que j'ai mentionnée sans doute trop rapidement lors de ma présentation. En fait, les jeunes qui font partie des gangs de rue s'arment et ils s'arment en gros. C'est un phénomène de spirale. Ils s'arment parce que les types devant eux s'arment, puis le troisième s'arme parce que les deux autres sont armés, et ainsi de suite.
    Dans ce cas, le fait d'augmenter les peines ou de donner des peines minimales a peu d'effet dissuasif parce que dans une certaine mesure, ils craignent davantage les jeunes hommes de l'autre gang, qui sont en compétition avec eux, que la loi. C'est pourquoi, si on veut régler le problème des gangs de rue, il faut s'en prendre à la racine du problème plutôt que de catapulter des peines relativement inutiles.
    En fait, le jeune se dit qu'il ne va pas se pointer dans une transaction de drogue sans aucune arme, parce qu'il risque de se faire poignarder ou abattre par l'autre personne. Je ne veux pas dire que je suis d'accord là-dessus; c'est déplorable qu'il en soit ainsi. Néanmoins, cela démontre encore une fois que l'effet de dissuasion est vraiment minime.
(1620)
    Ai-je le temps de poser une autre question?

[Traduction]

    Une autre courte question, monsieur Ménard.

[Français]

    Madame Joncas, vous disiez que dans 90 p. 100 des cas, cela mène à un plaidoyer de culpabilité qui donne lieu à une recommandation de sentence commune. Ai-je bien compris?
    Non. J'ai dit que 90 p. 100 des accusations se soldent par un plaidoyer ou une négociation qui met un terme au dossier. Alors, seulement 10 p. 100 des accusations font l'objet d'un procès. D'ailleurs, beaucoup sont réglées après l'enquête préliminaire, qu'on tente d'effriter, ces temps-ci, également. C'est un autre facteur.
    Si on prend en considération les modifications au Code criminel, il ne faut pas les voir seulement de façon encapsulée aux fins d'un projet de loi, mais de façon plus globale. Je pense que le projet de loi qui est présentement devant vous ne répond pas aux besoins. Au contraire, il va augmenter le problème. Il est certain que la détention préventive et le règlement des dossiers seront sérieusement affectés par ces mesures législatives.

[Traduction]

    Merci, monsieur Ménard.
    C'est votre tour, monsieur Comartin.
    Je tenais simplement à dire que je crois fermement, comme le professeur Brodeur, que les gangs de rue sont de plus en plus armés, surtout dans le cadre du trafic de stupéfiants.
    Un policier de ma circonscription a été tué alors qu'il interrompait une transaction liée aux stupéfiants. Il y a cinq ou dix ans, celui qui n'a pas été condamné encore pour ce meurtre, mais qui le sera, je présume, donc le présumé meurtrier n'aurait même pas porté d'arme sur lui, et ce policier serait toujours vivant. L'argument est donc excellent et je vous en remercie, monsieur Brodeur.
    Madame Henderson, au sujet du modèle du cercle, je l'ai un peu étudié et cela s'écarte un peu du sujet dont nous sommes saisis, mais j'aimerais en savoir davantage. Après avoir parlé à des gens qui ont participé à cet exercice, j'ai une question. Ce modèle est-il compatible avec notre système carcéral, au niveau provincial ou fédéral? Peut-on l'adapter de manière qu'il fonctionne, particulièrement pour préparer les condamnés qui ont purgé leur peine et qui sortiront de prison dans quelques mois, ou dans un an?
    Au départ, ce concept prévoyait la formation d'un cercle au moins six mois avant la libération d'un détenu. Ce n'est pas toujours possible parce qu'on ignore parfois quand aura lieu la sortie, et où elle se fera, mais on s'efforce actuellement d'adapter ce modèle aux établissements carcéraux, pour que les détenus soient intégrés à un cercle un an ou deux avant leur sortie. Ainsi, un climat de confiance est créé, il y a une stimulation de vie dans la collectivité, une connaissance des normes de comportement en société, mais aussi la création d'un réseau de soutien pour le détenu.
    J'ai du mal à voir comment cela pourrait fonctionner. Est-ce que des membres de la collectivité iraient dans les prisons pendant cette période, de manière périodique? Comment cela fonctionne-t-il?
    Il s'agit de visites dans les établissements carcéraux, par exemple, et nous avons aussi exploré la possibilité de profiter des visites familiales pour ces détenus. C'est ce qu'on fait actuellement dans un établissement ontarien, pour vérifier si ce genre de scénario pourrait être employé pour créer un cercle pour un détenu.
    Mais ce modèle n'a pas encore été appliqué dans le milieu carcéral?
    Non, pas encore.
    Ma question s'adresse à M. Weinstein et à Mme Joncas et porte sur l'incidence qu'aurait ce projet de loi, dans sa version actuelle, sur la magistrature. Monsieur Brodeur, vous pourriez aussi vouloir répondre. Est-ce que les juges discutent actuellement de leurs préoccupations au sujet de ce déplacement de la discrétion vers les procureurs? Si c'est le cas, même s'il ne s'agit que d'anecdotes, pourriez-vous nous dire quelle est la teneur de ces discussions dans le milieu juridique? De même, avez-vous une idée de ce que les procureurs pensent de ce déplacement de la discrétion?
(1625)
    Pour les raisons que vous connaissez, je ne peux pas dire que je sais ce que pensent les juges, puisqu'ils doivent respecter certaines contraintes quant à ce qu'ils peuvent nous dire. Sans aucun doute, toutefois, des avocats ont dû entendre des juges dire, au moment de la détermination de la peine, qu'ils avaient les mains liées.
    Je peux cependant vous parler davantage du point de vue des procureurs. Quand ils essaient de régler un dossier, on pourrait croire que certains procureurs trouveraient plus efficace d'avoir ce seuil, mais en fait, il crée des problèmes.
    Je peux vous donner un exemple d'un problème très concret dont je me suis occupé: un agriculteur a tiré sur un avion d'épandage qui avait volé trop près de sa ferme. Le pilote n'a pas été blessé, mais sans aucun doute, il avait subi des effets psychologiques. Au bout du compte, ce que voulait la victime, c'était réparation, notamment pour le coût de l'avion et le volume d'affaires perdu. Si le coupable avait été incarcéré pendant quatre ans pour avoir déchargé son arme à feu dans l'intention de causer des lésions corporelles, son exploitation agricole n'aurait pas pu faire d'argent et il n'aurait pas pu verser des dommages. Pour le procureur, il aurait alors fallu convertir l'accusation en usage négligent d'une arme à feu, pour atteindre les vrais objectifs de chacun, soit pour la victime de retrouver la situation antérieure grâce aux dommages versés et pour le contrevenant, de pouvoir continuer à travailler afin de rembourser la victime.
    Maintenant, il y aurait des contraintes. Dans ce cas-ci, une solution a été trouvée. Mais encore une fois, tout dépend de la discrétion exercée par le procureur de la Couronne et cela ne se produit pas dans chaque cas. Si un juge est saisi de ce dossier, sans la contrainte de peine minimale obligatoire, et que l'objectif pour la victime c'est de revenir à la situation antérieure, de recevoir des dommages pour réparer son avion, nous pourrions demander au juge d'envisager une peine d'emprisonnement avec sursis, afin que le contrevenant puisse travailler et faire des versements de réparation de manière régulière, et cela, dans le cadre des accusations initialement portées contre lui. Mais ce n'est plus possible s'il y a une peine minimale obligatoire pour avoir déchargé une arme à feu dans l'intention de causer des lésions corporelles.
    Voilà un exemple de peine qui aurait pu être moindre, pour une accusation moindre, et qui permet d'atteindre les objectifs de détermination de la peine.
    Monsieur le président, si vous me le permettez, je représente de toute évidence l'Association des avocats de la défense du Québec. Je ne peux parler au nom des juges, mais je peux dire d'après mon travail et d'après l'information que j'ai recueillie que les juges considèrent qu'ils peuvent faire leur travail au Canada aujourd'hui. Ils n'ont pas besoin de nouvelles lignes directrices particulières. L'article 718 du Code criminel prévoit des lignes directrices à l'intention des juges, et les juges fournissent des décisions motivées. Ce sont eux qui sont les mieux placés pour obtenir les représentations appropriées et pour connaître les circonstances du dossier, de l'infraction et du contrevenant.
    Par conséquent, comme je l'ai dit, ils considèrent qu'ils sont en mesure de faire leur travail et que cette mesure n'est pas nécessaire. De plus, cela est contraire aux principes de l'article 718.
    Monsieur Brodeur, avez-vous un autre commentaire à faire?
    Oui, très brièvement, l'exemple le plus excessif que nous ayons eu de la peine obligatoire provient des États-Unis, au niveau fédéral où il existait des règles qui obligeaient le juge saisi d'une cause où il y avait une quantité donnée de crack, par exemple, de multiplier cette quantité par un facteur de 100 et d'imposer ensuite une peine obligatoire. Nous avons donc eu de nombreux exemples de juges qui ont dit, je dois vous infliger cette période d'emprisonnement même si je crois, et je le déclare publiquement, que cette peine est injuste. Au bout du compte, la Cour suprême a déclaré ce système inconstitutionnel.
    Ce projet comporte un aspect qui m'inquiète. À un certain stade, selon qu'on utilise un fusil de chasse ou une arme de poing, la peine minimale différera. Ce n'est pas aussi excessif que dans les cas de crack et de cocaïne, mais cela n'en demeure pas moins difficile à comprendre. Car, parfois, un fusil de chasse peut être plus meurtrier qu'une arme de poing.
(1630)
    Je vous remercie.
    Les commentaires de M. Brodeur m'amènent à poser une question générale. À l'heure actuelle, le Code criminel renferme plus d'une quarantaine de dispositions concernant les peines minimales obligatoires. Un grand nombre d'entre elles traitent d'armes à feu. Jusqu'à présent, je n'ai entendu aucun des témoins qui ont comparu devant le comité dire, à propos des peines minimales obligatoires actuelles pour les infractions mettant en jeu des armes, eh bien voici ce qui s'est passé ou voilà ce qui s'est passé, ou cela est le résultat d'une peine minimale obligatoire. J'aimerais savoir si l'un d'entre vous a examiné ce genre de chose.
    Par exemple, en 1995, le Code criminel prévoyait une peine minimale obligatoire de quatre ans pour une infraction mettant en jeu une arme à feu. Cette peine a été adoptée en 1995. Cela fait maintenant 11 ans qu'elle existe. Si cette peine minimale obligatoire existe depuis 11 ans, est-ce qu'on l'a étudiée, ou y a-t-il quelqu'un qui peut commenter l'efficacité ou l'inefficacité d'une telle peine?
    Le pouvez-vous, monsieur?
    Oui, mais notre temps est très limité.
    En fait, en ce qui concerne la peine minimale obligatoire pour les infractions mettant en jeu des armes à feu, vous pourriez poser la question au professeur Doob. Une forme d'étude statistique a été faite. Elle indiquait essentiellement que les juges adaptaient les peines qu'ils infligeaient pour neutraliser les répercussions des nouvelles peines minimales. Donc essentiellement, la situation n'a pas changé parce que les peines minimales étaient trop sévères. Donc, à un certain stade, les juges se trouvaient non pas à contourner la loi mais à adapter la peine qu'ils infligeaient en fonction de la peine minimale obligatoire pour qu'elle n'ait pas de répercussions particulières.
    C'est l'une des études qui ont été faites. Vous pourriez poser la question au professeur Doob.
    Je sais que Statistique Canada a examiné cet aspect en particulier et n'est arrivé à aucune conclusion, parce que les cas où les peines minimales obligatoires sont appliquées sont extrêmement rares. C'est l'une des premières choses dont se débarrasse la poursuite pour obtenir rapidement un plaidoyer de culpabilité. Je dirais donc que toute analyse ou conclusion serait de toute façon probablement erronée.
    Précisément. Les études sur les effets dissuasifs ou les conséquences des peines infligées sont plutôt inutilisables. Elles ont tendance à s'annuler. Leurs conclusions se contredisent.
    Là où je veux en venir, c'est que si c'est la situation qui existe, en fonction de résultats d'études qui sont incertains et qui s'annulent, on n'accroît pas le tort possible qui sera causé aux gens en les incarcérant. Je pense que c'est une position très contestable car l'incertitude n'aboutit à rien et certainement pas à une peine.
    Monsieur Moore.
    Je tiens à remercier tous les témoins.
    Monsieur Brodeur, en ce qui concerne les observations que vous venez de faire selon lesquelles certaines études s'annulent, j'ai pris connaissance d'études qui indiquent qu'il y a un effet dissuasif et d'autres personnes qui indiquent qu'il n'y a aucun effet dissuasif. Êtes-vous au courant d'études ou les témoins sont-ils au courant d'études qui traitent des répercussions sur la criminalité lorsque des contrevenants à risque élevé et des récidivistes, des personnes qui commettent constamment des actes criminels, des personnes qui ont de lourds casiers judiciaires, sont incarcérés, lorsque vous retirez ces personnes de la société?
    La raison pour laquelle je pose la question, c'est que le chef de police de Toronto nous a parlé, dans son témoignage, des conséquences dans certaines collectivités, de priver de liberté les auteurs de crimes. D'une façon ou d'une autre, ils ont été privés de liberté pendant un certain temps, et il a constaté une diminution correspondante des taux de crimes avec violence dans ces collectivités. Donc, mis à part l'effet dissuasif, nous pourrions débattre si le fait d'être passible d'une peine d'un an plutôt que d'une peine de 10 ans me dissuaderait de commettre un crime. Quelles sont les conséquences de l'incarcération d'un contrevenant à risque élevé?
(1635)
    Cette question a été étudiée. Il y a un prix Nobel de la criminologie qui a été octroyé pendant deux ans. C'est le professeur Alfred Blumstein qui s'est vu décerner ce prix. Il a en fait étudié le phénomène dont vous parlez.
    Ce que vous êtes en train de dire c'est de mettre de côté la réadaptation et la dissuasion et de parler de neutralisation. Si l'on neutralise ces personnes en les emprisonnant pendant de longues périodes, est-ce que cela aura un effet? Le professeur Blumstein est arrivé à deux constatations. Cela a un effet modeste; cependant le prix à payer pour obtenir un tel effet consiste à faire ce que sont en train de faire les États-Unis à l'heure actuelle, c'est-à-dire l'incarcération massive.
    Le processus de détermination de la peine n'est pas un outil très précis. Pour emprisonner pendant une longue période ces criminels de carrière — ces contrevenants extrêmement dangereux, il faut en payer le prix, c'est-à-dire ratisser large et appréhender toutes sortes de délinquants. Bien entendu, vous finirez pas appréhender certains criminels extrêmement actifs, mais je tiens à vous rappeler que l'incarcération massive qui existe aux États-Unis a produit l'un des taux d'incarcération les plus élevés dans le monde occidental. À l'heure actuelle, ce taux est probablement au moins six ou sept fois supérieur au taux d'incarcération qui existe au Canada.
    Donc, pour répondre à votre question, oui, on a constaté ce genre d'effet. Il est modeste, mais le prix à payer, c'est l'incarcération massive, et je ne suis pas sûr que cela corresponde à nos valeurs canadiennes.
    Merci, professeur. Je comprends votre argument. Ce n'est certainement pas là ce que nous proposons; nous ne proposons aucunement l'incarcération à tour de bras.
    C'est justement pour cette raison que le projet de loi C-10 cible expressément ceux qui participent à des activités de gang et qui utilisent une arme à feu pour commettre un crime. Par souci de discrimination, nous avons voulu nous concentrer vraiment sur les infractions qui, d'après les Canadiens, sont les plus graves.
    J'ai beaucoup entendu parler de ce pouvoir discrétionnaire des juges, mais j'aimerais entendre les représentants de l'Association du Barreau canadien ou d'autres. Pour beaucoup des infractions visées, et je veux parler des infractions primaires pour lesquelles la peine serait d'une durée croissante, soit cinq, sept ou dix ans, dans ces cas de récidive et de récidives subséquentes, qui donnent lieu à des peines de sept ans et dix ans respectivement, il s'agit de quelqu'un qui a utilisé une arme à feu lors d'une tentative de meurtre, qui a déchargé intentionnellement une arme à feu, qui a commis une agression sexuelle ou des voies de fait graves, etc. — c'est-à-dire les infractions dont on nous a dit qu'elles étaient les plus graves — et qui a fait cela, non pas une fois, mais deux fois.
    Bien des gens estiment qu'en cas de récidive, il faut prévoir des mesures d'exception et commencer à prêcher par excès d'attachement au principe de la protection de la société. Quand quelqu'un commet une de ces infractions une fois, c'est une chose, mais quand il le fait de nouveau, c'est autre chose, de l'avis du public.
    Je veux m'assurer que tout le monde comprenne de quoi il s'agit ici: n'est-ce pas que beaucoup de ces infractions sont déjà assorties d'une peine minimale obligatoire de quatre ans? Le projet de loi C-10 ne fait que faire passer à cinq ans cette peine minimale obligatoire. Il ne s'agit pas de priver les juges de leur pouvoir discrétionnaire.
    Je sais que l'opposition soutient, parfois de façon très alarmiste, que nous réduisons le pouvoir discrétionnaire des juges. Mais ce que nous disons dans ce projet de loi, c'est que pour ces infractions graves, la peine minimale obligatoire serait de cinq ans, plutôt que de quatre, pour une première infraction, n'est-ce pas?
    Pour prendre la position de la Section nationale du droit pénal, il faut savoir que, lorsque les peines minimales obligatoires de quatre ans ont été instaurées, nous nous y sommes opposés.
(1640)
    Je comprends, et nous en sommes conscients.
    En instaurant la règle cinq-sept-dix, avec tous les calculs qu'elle suppose, il ne servira pas à grand-chose de se présenter devant un juge; on pourrait aussi bien entrer les données dans un ordinateur, qui cracherait ensuite les résultats. Ce n'est pas ainsi que notre système fonctionne.
    Dans l'exemple que j'ai cité, l'agriculteur qui tire sur un avion-poudreur s'expose à une peine minimale obligatoire de quatre ans. En cas de récidive, un calcul se ferait. J'essaie de faire comprendre que, si nous avons confiance dans notre magistrature — et notre section de même que l'ABC ont confiance en notre magistrature —, il n'y a rien qui empêche les juges d'infliger une peine de sept ans.
    Je vous donne un exemple d'infraction pour laquelle il n'y a pas de peine minimale obligatoire, un cas de voie de fait punissable par mise en accusation, un cas qui s'est réellement produit au Manitoba. L'inculpé avait attaqué un chauffeur d'autobus. La poursuite a présenté toutes les données statistiques liées au parcours d'autobus en question, pour montrer qu'il s'agissait du deuxième parcours le plus violent à Winnipeg et pour montrer également que, au cours des cinq dernières années, il y avait eu une escalade des voies de fait contre les chauffeurs d'autobus. En se fondant sur cette information et sur le fait que l'inculpé avait déjà commis des infractions assez mineures mais semblables, le juge lui a infligé 26 mois d'emprisonnement pour voies de fait simples, méfait et violation de condition.
    Oui, d'accord, et je sais que les juges infligent parfois des peines que les gens estiment appropriées. Bien souvent, la peine est appropriée.
    J'estime toutefois qu'il faut reconnaître que les dispositions du projet de loi ne constituent pas une innovation. Nous avons déjà dans notre Code criminel des peines minimales et maximales obligatoires, qui limitent toutes deux en quelque sorte le pouvoir discrétionnaire des juges. Il faut être cohérent. Si l'on est contre toutes les peines minimales, il faudrait également être contre toutes les peines maximales, car ces peines limitent également le pouvoir discrétionnaire des juges.
    Ce que fait le projet de loi en fin de compte... et si je reviens à votre exemple, la personne qui tire sur un avion-poudreur s'exposerait à la peine minimale obligatoire qui est de quatre ans. Aux termes du projet de loi, cette personne s'exposerait à une peine de cinq ans, et tous les mêmes principes s'appliqueraient pour ce qui est de la négociation de plaidoyer avec la poursuite.
    Si toutefois l'inculpé récidivait, soit après avoir été reconnu coupable d'un chef d'accusation moindre ou après avoir purgé sa peine, et qu'il abattait de nouveau un avion-poudreur qui survolait son champ, ce que disent les Canadiens, et ce que nous disons aussi, c'est que la personne montre qu'elle présente un danger pour la société. Dans ce cas-là, nous voulons limiter le pouvoir discrétionnaire; nous voulons faire passer un message. Nous voulons nous assurer que la société est protégée. Nous voulons que les récidivistes dangereux ne circulent plus dans nos rues. Voilà ce que fait le projet de loi.
    Nous y ajoutons aussi de nouvelles infractions: vol qualifié visant une arme à feu et entrée par effraction pour voter une arme à feu. Ces nouvelles dispositions sont nécessaires à notre avis, car ces infractions sont vraiment un problème aussi.
    Merci.
    Madame Joncas, vous vouliez intervenir.
    Je voulais répondre à la première question, puisque vous l'avez posée à tous les témoins.
    Le Code criminel prévoit déjà des dispositions concernant les délinquants dangereux et à contrôler qui s'appliquent aux récidivistes et aux auteurs d'infractions graves. Ainsi, si la poursuite a des raisons de croire que la société est à risque, elle présentera une demande en ce sens, et le système fonctionne assez bien. Je ne vois donc pas pourquoi les nouvelles peines minimales sont nécessaires pour répondre à un besoin de la société qui se trouve déjà comblé.
    Monsieur Brodeur, avez-vous quelque chose à ajouter?
    Oui, très brièvement. C'est cette idée que les peines maximales, tout comme les peines minimales, limiteraient le pouvoir discrétionnaire des juges. Chose certaine, il s'agit là d'une question que nous connaissons bien à la Commission canadienne sur la détermination de la peine et que nous avons étudiée.
    Même aujourd'hui, la peine moyenne qui est infligée au Canada, toutes infractions confondues, est inférieure à trois ans. En fait, les juges n'ont recours à la peine maximale que dans bien moins de 1 p. 100 des cas. Cette idée que les peines maximales limiteraient autant le pouvoir discrétionnaire que les peines minimales ne cadre tout simplement pas avec la réalité.
    Merci, monsieur Brodeur.
    Monsieur Bagnell.
    Merci à tous d'être venus nous rencontrer.
    Monsieur Brodeur, vous avez parlé tout à l'heure d'un des effets de l'incarcération. Si un jeune de 20 ans est emprisonné pour cinq ou sept ans — deux ans de plus à cause de ce projet de loi —, nous serons bien sûr plus en sécurité parce qu'il ne pourra rien faire. Mais il y a les effets négatifs dont bien des témoins, voire le chef de police, nous ont parlé: en prison, les détenus apprennent à commettre d'autres crimes, ils deviennent encore moins capables de s'adapter à la vie en société... Puis, ils sortent de prison. Comme vous l'avez dit, la peine moyenne est de moins de trois ans, si bien qu'ils seront plus dangereux à leur sortie de prison et qu'ils sortiront plus vite.
    Si l'on tient compte de toute la vie du détenu, sommes-nous en fait mieux protégés?
(1645)
    Très brièvement, quand j'étais à la Commission sur la détermination de la peine, nous avions commandé des recherches sur le thème de la prison comme étant l'université pour quiconque veut apprendre à commettre des crimes. Nous avions demandé aux chercheurs de nous trouver des citations de documents officiels depuis la naissance du Canada jusqu'à nos jours.
    Vous n'avez qu'à aller voir le rapport. Il y a une citation à l'appui de cette thèse tous les trois ans environ, et ce, depuis l'invention des prisons. Je dirais donc que le leitmotif qui revient le plus souvent dans toute la documentation sur l'incarcération, c'est que la prison a effectivement pour effet d'endurcir les criminels et de leur apprendre de nouveaux trucs.
    Le régime du silence, qui avait été imaginé pour la première fois par les Américains, visait à empêcher les détenus de se parler entre eux pour éviter qu'ils ne s'apprennent de nouveaux trucs les uns les autres. Cela revient souvent dans les documents sur l'incarcération.
    Madame Joncas, vous avez dit que vous aviez constaté que les peines infligées par les juges sont proportionnelles. Vous n'avez pas constaté qu'ils imposaient de mauvaises peines. J'ai posé la même question au ministre de la Justice, qui a répondu que, d'après lui, les juges imposaient des peines appropriées. Alors, pourquoi aurions-nous besoin de cette loi? Si les peines maximales restaient telles quelles, les juges pourraient imposer des peines tout aussi sévères même sans cette nouvelle loi.
    Je suppose que l'on pourrait interjeter appel des peines imposées, et je suppose que les juges n'aiment pas que l'on interjette appel des peines qu'ils imposent, alors pourquoi aurions-nous besoin de cette loi? Si vous dites que les juges imposent des peines appropriées et si le ministre de la Justice dit la même chose et que les juges ont toujours la possibilité d'imposer la peine maximale, pourquoi aurions-nous besoin de cette loi?
    C'es exactement ce que j'ai voulu faire comprendre. À mon avis, cette loi n'est pas nécessaire. Les juges imposent des peines qui sont justes, et il existe une procédure d'appel pour quiconque veut interjeter appel d'une peine. Si la poursuite estime que la peine n'est pas assez sévère, elle peut interjeter appel, et elle le fait. À mon avis, les cas invoqués pour justifier la nouvelle loi, sont des cas pour lesquels la peine a été confirmée après appel, et j'estime qu'il est important de le souligner.
    Je sais que vous représentez les avocats de la défense, mais je voudrais simplement vous demander à vous et au Barreau si vous savez quelle est, de manière générale, la position des procureurs de la Couronne?
    Bien sûr, la section consulte aussi bien les procureurs de la Couronne que les avocats de la défense. Je peux vous parler à partir de mon expérience en tant qu'avocat de la défense. Notre système, tel qu'il existe à l'heure actuelle — et j'entends par là que les juges ont la possibilité d'exercer leur pouvoir discrétionnaire et d'imposer la peine qu'ils jugent appropriée —, sans être parfait, fonctionne bien, et il fonctionne bien parce qu'il est possible d'interjeter appel d'une peine.
    La peine qui avait été imposée dans le cas dont j'ai parlé, celui des voies de fait commises à l'endroit du chauffeur d'autobus, avait été considérée par bien des gens comme étant très sévère : 26 mois pour des voies de fait contre un chauffeur d'autobus. La peine a été confirmée par la Cour d'appel du Manitoba. Ainsi, les procureurs de la Couronne ont la possibilité de faire état devant le juge des circonstances de l'affaire, des données statistiques et des informations obtenues des médias, et le juge peut ensuite exercer son pouvoir discrétionnaire et imposer une longue peine d'emprisonnement, s'il le juge approprié, et sans qu'il soit nécessaire de recourir à une peine minimale obligatoire.
    Alors, de manière générale, les procureurs de la Couronne ne réclament pas, eux non plus, un projet de loi comme celui-ci?
    Je ne parle pas au nom d'une association des procureurs de la Couronne, tout ce que je peux dire, c'est que, d'après les consultations que la section a faites auprès tant des procureurs de la Couronne que des avocats de la défense, le consensus c'est qu'il faut s'opposer aux peines minimales obligatoires.
    Si vous me permettez d'intervenir aussi sur ce point, je peux renvoyer le comité aux arguments de l'Association du Barreau du Québec. Le Barreau du Québec a présenté des observations sur le projet de loi C-9, notamment sur l'utilisation des peines d'emprisonnement avec sursis. Je crois que le comité législatif du Barreau du Québec représente à la fois les avocats de la défense et les procureurs de la Couronne.
    Merci, monsieur Bagnell.
    Monsieur Lemay.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Je vous remercie d'être présents. C'est très intéressant. Inutile de préciser que j'apprécie vos propos. J'ai 25 ans de pratique du droit criminel pour la défense et je m'oppose à ce projet de loi. Je pense que ma position est claire.
    Puisque j'ai beaucoup pratiqué le droit criminel, j'ai lu avec attention le mémoire de l'Association du Barreau canadien. Je me posais la même question et j'aimerais que vous m'expliquiez quelque chose. Peut-être, maître Joncas, que vous pourriez également me le confirmer.
     Quand on analyse le projet de loi C-10, on oserait presque dire qu'on y trouve des hérésies. En fait, je ne sais pas ce qu'avait pris le ministre ou ses adjoints lorsqu'ils ont écrit ce projet de loi, mais si on le savait, cela nous aiderait à comprendre. Je voudrais mieux comprendre l'article 1, qui modifie l'article 84 du Code criminel. Si je comprends bien, on ne tiendrait pas compte du temps purgé s'il y avait une récidive. Je ne sais pas si vous suivez.
    Vous qui avez étudié cela avec grande attention, pouvez-vous me dire si je suis dans le champ lorsque je dis qu'il faut être complètement déconnecté de la réalité pour ne pas tenir compte du temps purgé en détention? Je parle surtout de l'article 1 du projet de loi, qui modifie l'article 84 du Code criminel.
    J'aimerais vous entendre sur ce sujet. J'aimerais aussi vous entendre sur le temps passé en détention tel que le prévoit le paragraphe 719(3) du Code criminel et, bien évidemment, sur l'arrêt Wust de la Cour suprême, qui dit qu'il faut qu'on tienne compte du temps purgé en détention. Le législateur décide d'aller à l'encontre d'une décision de la Cour suprême! J'aimerais vous entendre sur ce sujet parce que cela me semble complètement déconnecté de la réalité.
    Je veux connaître votre opinion là-dessus, maître Joncas ou maître Weinstein; je ne sais pas lequel de vous deux l'a lu avec attention.
(1650)
    Nous avons tous lu les dispositions avec beaucoup d'attention avant de nous présenter ici, mais la réalité est — et nous en avons parlé lors de nos interventions — qu'il y aura un plus grand nombre de détentions préventives, avec ce type de projet. Il s'agit-là d'une certitude.
    La Cour suprême s'est prononcée, dans l'affaire Wust, sur la détention préventive. D'ailleurs, la Cour d'appel du Québec s'est prononcée à nouveau dans R. c. Beauchamp, dont la permission d'en appeler a été refusée par la Cour suprême.
    Il y a une discrétion judiciaire quant à la détention préventive, mais il reste quand même que les conditions de détention préventive sont généralement tellement plus sévères que celles de l'emprisonnement postsentence que nous devons prendre cela en considération. Il est certain que nous devrons composer avec cet élément. Et avec plus de contestations, il risque d'y avoir, en plus, une prolongation de cette période de détention préventive.

[Traduction]

    La section est d'avis après lecture du projet de loi... Il n'est pas du tout question de la détention préventive dans le projet de loi d'après moi. Je n'y vois aucune disposition qui exclut expressément de tenir compte de la durée de cette détention. Il reste à voir à quoi va ressembler le texte définitif du projet de loi, s'il est adopté, mais il ne semble pas y être question, d'après le texte actuel, de la durée de cette détention ou de la façon d'en tenir compte.
    En fait, certaines des remarques à cet égard ne visaient qu'à montrer comment tout fonctionnerait, ce qu'il en serait de l'interruption dans la durée. Nous n'avons pas fait d'autres remarques à ce sujet. D'après la lecture que j'en fais, il n'est pas question de la détention préventive dans le projet de loi. Si la durée de cette détention devait être prise en compte, nous demanderions, bien sûr, que le calcul soit fait en conformité avec la Charte et avec l'arrêt Wust.
    Monsieur Lemay, aimeriez-vous poser une autre question?

[Français]

    Non, ça va.

[Traduction]

    Je vous remercie.
    Nous allons maintenant donner la parole à M. Thomson.
    Merci à nos témoins de leur présence parmi nous.
    J'ai quelques questions à poser. En premier lieu, j'aimerais m'adresser aux dames mennonites. D'abord, merci de votre présence parmi nous.
    J'ignore si vous avez entendu parler de Linden et de Didsbury, deux endroits situés en Alberta. Ils font partie de ma circonscription et on y trouve énormément de mennonites. J'ai souvent joué au baseball contre ces gens et n'ai jamais réussi à les battre. Ils étaient toujours un peu plus fort que nous. Je ne sais pas quand ils réussissaient à s'exercer malgré leurs nombreux travaux d'agriculteurs, mais ils étaient coriaces.
    Je leur ai parlé, comme je le fais avec mes mandants, au sujet de ce genre de questions et de nos projets. Je leur ai donc demandé ce qu'il fallait faire quand quelqu'un fait ce genre de chose et utilise une arme à feu. Savez-vous ce qu'ils m'ont répondu? « Eh bien, vous avez des prisons, c'est à cela qu'elles doivent servir, c'est là qu'on devrait les mettre ».
    Certes, ils insistent également beaucoup pour aller dans les établissements carcéraux et pour s'occuper de réinsertion sociale, ce qu'ils font d'ailleurs admirablement bien. Je le sais pour les avoir accompagnés moi-même à quelques reprises dans ce genre de mission avant d'entrer en politique.
    Je ne comprends donc pas vraiment pourquoi vous avez tenu à manifester ici votre opposition à ces mesures, car je peux vous assurer que dans ma circonscription, ils sont nombreux parmi vos coreligionnaires à nous appuyer fermement. Je vais vous donner un moment pour y réfléchir, car je vais maintenant m'adresser à l'Association du Barreau canadien.
    À mon avis, l'exemple de l'avion d'épandage est très peu pertinent par rapport à ce que nous cherchons à réaliser. D'abord, je n'ignore pas qu'il existe quelque chose qu'on appelle l'autodéfense, mais j'ai vraiment beaucoup de mal à trouver la moindre raison justifiant qu'on tire sur un avion d'épandage au moyen d'une arme à feu. Vous avez fait cela? Vous vous êtes saisi d'une arme à feu puis avez tiré sur un avion? Et vous estimez avoir eu raison de le faire parce qu'il volait à trop grande proximité de votre maison?
    Dans ma circonscription, j'ai vu des gens qui, par inadvertance, étaient entrés dans une propriété privée, en pensant qu'ils se trouvaient sur des terres publiques, et qui ont été reçus par des coups de feu. Est-ce qu'on peut avoir raison de tirer sur quelqu'un qui empiète sur ses terres? Peut-être s'il s'agissait effectivement d'une entrée sans autorisation, mais d'une entrée par erreur? Quoi qu'il en soit, estimez-vous qu'on devrait prendre une arme à feu et tirer sur l'intrus? Il y a d'autres exemples de ce genre, mais pour ma part, je ne vois pas la moindre raison ou excuse qui justifierait l'utilisation d'une arme à feu pour tenter de tuer quelqu'un, sauf dans les cas d'autodéfense.
    Pour ce qui est de l'Association du Barreau canadien, votre position me laisse vraiment perplexe, car beaucoup d'avocats dans ma circonscription semblent penser que c'est exactement ce qu'il nous faut, ce que nous devons faire. J'ai même parlé à deux avocats qui, croyez-le ou non, sont des Libéraux et qui, malgré cela, pensent quand même beaucoup de bien de ce projet de loi. Et vous affirmez représenter tous les avocats du pays? Eh bien, j'en doute fort.
    Je tiens aussi à rappeler que la police a témoigné ici en faveur de nos mesures, et je peux vous assurer qu'elle est elle-même appuyée par ses membres, où qu'ils soient. Pourquoi donc? D'autres représentants de groupes connexes à la police nous ont aussi appuyés. Je peux vous garantir que votre position n'est pas pleinement partagée par ceux que vous représentez. Ça me paraît absurde.
    La dernière question portera sur l'exemple de New York. En avez-vous entendu parler, connaissez-vous cette théorie de la « vitre fracassée » et ce qu'elle a eu comme répercussion? On a embauché un grand nombre de policiers et construit davantage d'établissements carcéraux pour réprimer la criminalité, et les coupables étaient incarcérés, sans égard à la nature du délit commis. Je crois savoir que la ville est maintenant l'une des plus sûres où l'on peut vivre.
    Si vous souhaitez vous exprimer là-dessus, je vous écouterai volontiers. Je vous remercie.
(1655)
    Le Comité central mennonite aurait-il l'obligeance de répondre?
    Nous ne représentons pas certainement tous les membres de la communauté mennonite, mais nous représentons ceux des mennonites pour qui des peines plus longues et plus dures ne font que déraciner les gens de leur milieu, or cela rend le retour à la vie sociale d'autant plus difficile et crée davantage de risque pour la sécurité collective.
    En même temps, notre démarche se fonde sur la justice réparatrice, selon laquelle le crime est une rupture des rapports sociaux. Par conséquent, nous nous demandons comment réussir à mobiliser le milieu, les victimes et les délinquants afin qu'on répare les torts causés par ces ruptures. Il est beaucoup plus facile de purger une peine que de regarder la victime dans les yeux, de faire face aux préjudices causés à la collectivité et de renouer avec des gens dont la vie a été saccagée à bien des égards.
    Si vous permettez que je vous interrompe ici, je tiens à vous dire à quel point je vous suis reconnaissant du travail que vous effectuez dans les prisons et après la remise en liberté des détenus. Ce travail doit continuer auprès des victimes aussi. Je suis d'accord avec tout cela, mais je tiens aussi à ce qu'il y ait des sanctions.
    Je vous remercie.
    Que pense de cela l'Association du Barreau canadien?
    Je parlerai d'abord de l'exemple de l'avion d'épandage puis je céderai la parole à Mme Thomson afin qu'elle précise qui nous représentons aujourd'hui.
    J'abonde tout à fait dans votre sens lorsque vous affirmez que rien ne peut excuser celui qui a abattu l'avion d'épandage. C'était d'ailleurs mon client. Il n'avait pas d'excuse et n'en a pas cherché. Il a donc plaidé coupable, mais dans un cadre accepté par la Cour et la défense, ce qui a permis l'imposition d'une peine mesurée. Je conviens que son geste n'était nullement justifié, mais c'est pour cela qu'il a plaidé coupable.
    Il s'agit d'un exemple réel, qui illustre justement la souplesse dont le système judiciaire a besoin pour qu'un juge prononce une peine appropriée. Cela aurait été impossible sans la latitude accordée aux procureurs de la Couronne, et possible en revanche sans peine minimale obligatoire, car le juge a bel et bien exercé ses pouvoirs discrétionnaires judiciaires. En fin de compte, l'inculpé a été reconnu coupable d'avoir volontairement déchargé une arme à feu plutôt que de son usage négligeant, infraction moins grave.
(1700)
    Madame Thomson, la parole est à vous.
    Pour ce qui est de la manière dont les politiques de l'Association du Barreau canadien sont prises, elles sont le résultat de processus démocratiques, de consultations. Elles ne prétendent pas exprimer des vues unanimes, mais représentatives.
    Je vous remercie, monsieur Thompson.
    Monsieur Lee.
    J'aimerais poser une question au professeur Brodeur.
    J'aimerais entendre des raisons convaincantes et susceptibles de nous encourager à adopter ce projet de loi. Franchement, j'ai de la difficulté à en trouver. On entend des avis très partagés sur le sujet.
    Si je m'entretiens avec des agents de police, ils me diront qu'il nous faut débarrasser les rues de « ces gens », quelle que soit l'identité de ces derniers. Je suis sûr qu'ils ne pensent pas à tous ceux qui se retrouvent dans le système judiciaire, mais à ceux qu'ils ont arrêtés et fait inculper. Ils veulent donc vider les rues de ces gens pour éviter de les y retrouver de nouveau la semaine prochaine, l'année prochaine et l'année d'après. Tout cela est très normal.
    Si je m'adresse cependant à la population en général, elle me dira qu'elle aimerait que la dénonciation soit davantage prise en compte dans la détermination de la peine. Ça lui plairait. Elle tient aussi à ce que cette même peine comporte davantage d'éléments de dissuasion. Ça aussi ça lui plairait.
    Or, si j'en juge d'après les avis des experts que nous avons entendus, il n'y a pas grand-chose de dissuasif dans le projet de loi. Je comprends les préoccupations au sujet de la dénonciation. Si nous disions à tout le monde que nous allons incarcérer tous les coupables pendant un minimum de dix ans, quelle que soit l'infraction commise, beaucoup de gens se montreraient sans doute très favorables à la dénonciation, en pensant que les criminels comprendraient le message. Toutefois, je sais pertinemment que ça ne changera rien à notre système pénal. Ça risque même de lui nuire.
    Pouvez-vous m'aider par rapport à cette dénonciation? À votre avis, existe-t-il une composante de la législation qui favoriserait à la fois la dénonciation comme message politique à l'intention du public et comme dissuasion à l'intention du criminel ou du criminel éventuel?
    Très brièvement, au sujet de la dénonciation, en tenant compte des propos déjà entendus, je dirais d'abord que la loi actuelle nous permet déjà de faire beaucoup de choses. Ainsi par exemple, les gens qui tuent des policiers et ceux qui abattent des avions d'épandage ne pourraient pas échapper facilement aux sanctions. Pour ce qui est de la dénonciation cependant, je dirais ceci. Si un coupable fait l'objet de peine minimale obligatoire, cela aura peut-être l'effet d'une dénonciation; on doit cependant se demander ce que l'on cherche à dénoncer ici. Est-ce le fait qu'on tue des gens, ou est-ce l'auteur du meurtre dans des circonstances précises?
    Si l'on opte pour une justice à mesures contraignantes ou sans aucune latitude, l'effet qu'on aurait pu obtenir au moyen de la dénonciation finira par se perdre. Et lorsqu'on tiendra à dénoncer les délinquants parfois odieux, les peines minimales obligatoires auront pour effet d'effacer le retentissement d'une dénonciation. Les gens diront que le condamné a été traité conformément au régime des peines minimales obligatoires. Il n'y a donc pas vraiment de dénonciation dans ce genre de circonstances, car le condamné tombe simplement sous le coup d'un régime contraignant.
    Là où je veux en venir, c'est que je me demande ce que vous cherchez à dénoncer. Voulez-vous compter sur une seule possibilité de dénoncer l'usage d'une arme à feu pour tuer des gens, ou tenez-vous à ce que l'effet d'une telle dénonciation soit renouvelé? Eh bien, à chaque fois qu'un juge s'y emploie, il y a davantage renouvellement de la dénonciation que dans le premier cas.
(1705)
    C'est une importante distinction, et je pense que le gouvernement tient à faire comprendre le message politique. Il se peut que votre deuxième choix paraisse tout aussi important par son contenu cependant. Le second modèle que vous évoquez est en effet beaucoup plus important parce qu'un message politique ne vaudrait que jusqu'aux prochaines élections et peut-être un peu au-delà.
    Si je passe à une autre source de plaintes, j'aimerais maintenant savoir si, d'après vous, ce projet de loi corrige ce qu'il est convenu d'appeler parfois l'effet portes tournantes dans le système de justice pénale. Ici, j'aimerais cependant rappeler qu'à mon avis, beaucoup de gens confondent la mise en liberté sous caution et les portes tournantes. Certes, bien avant la condamnation pour un délit quelconque, les portes tournaient déjà. L'inculpé se présente deux ou trois fois devant les tribunaux et son procès peut durer quelques jours. Il y a donc déjà une énorme porte tournante ici, et lorsque l'inculpé est en liberté, on le considère comme un accusé.
    Pouvez-vous m'éclairer à ce sujet? À votre avis, ce projet de loi nous permettrait-il de rassurer les Canadiens sur ce point? Pourrait-il mettre fin au phénomène des portes tournantes?
    La réponse est non. Je pense qu'on peut comparer une prison à un autocuiseur. Si vous mettez beaucoup de choses à cuire dedans, la pression augmente. Soit vous faites diminuer la pression grâce à une porte tournante et à la libération conditionnelle, etc., soit vous faites construire de nouvelles prisons.
    Permettez-moi de vous présenter cela sous un autre angle. Absolument personne n'est en faveur d'une incarcération de masse, mais la question est de savoir comment on en arrive à cette situation d'incarcération de masse. On y arrive par ce qu'il y a un risque de dérive. Il arrive un moment où l'on a trop de prisons, et on finit par être obligé de choisir entre les écoles et les prisons.
    En gros, ce projet de loi correspond à une approche de la porte d'entrée sans stratégie de sortie. On va incarcérer des gens, mais si les prisons débordent, que va-t-il se passer? Comme cela a toujours été le cas au Canada, on trouvera un moyen pour faire diminuer la pression, pour éviter les émeutes, etc. Ces stratégies sont bien connues.
    Merci, monsieur Brodeur. De toute évidence il faudrait plus de discipline dans nos prisons.
    Monsieur Petit.

[Français]

    Bonjour, monsieur Brodeur, madame Thomson, monsieur Weinstein, madame Henderson, madame Elgersma, ainsi que madame Joncas.
    Ma question s'adresse à vous, monsieur Brodeur. Tout d'abord, je n'ai pas l'habitude, contrairement aux gens d'en face, d'être député, car je ne le suis que depuis peu, mais j'aime savoir à qui j'ai affaire. Bien souvent, quand je prépare un dossier, j'essaie de savoir qui vous êtes, etc. J'aurais apprécié savoir que Me Joncas avait déjà représenté M. Guité.
    J'aurais également apprécié — M. Ménard ne me l'a pas dit non plus — savoir que dans le comté de M. Ménard, un jeune, Sébastien, avait été victime d'une bombe des Hells Angels. J'aurais aimé savoir que Me Joncas a déjà représenté des Hells Angels lors d'un mégaprocès. C'est important pour moi de savoir ces choses. Sur le plan parlementaire, je dois me placer au-dessus de la partisanerie, afin d'essayer de voir si le projet de loi qu'on étudie est bon et si je peux l'appuyer, même si je fais partie du gouvernement, du parti au pouvoir.
    Monsieur le président, j'invoque le Règlement. Si vous le permettez, je pense que...

[Traduction]

    Je m'excuse, monsieur Ménard. Allez-y.

[Français]

    Je m'excuse d'interrompre mon collègue, mais l'éthique veut que lorsque nous travaillons entre nous, nous ne pouvons pas faire de procès d'intention. Des gens ont été tués dans mon comté, bien sûr, et c'est ce qui m'a amené à m'activer en matière de loi antigang. Quel lien faites-vous entre le fait que des gens ont des antécédents de représentation...
(1710)
    Non. J'arrive à ma question.
    Soyez prudent quand vous faites des associations.
    Je suis très prudent. Je fais comme M. Lemay lorsqu'il interroge très sévèrement certaines personnes, ce qui n'est pas mon cas.
    Monsieur Brodeur, ma question s'adresse à vous.
    Elle n'est pas ici pour se représenter elle-même, elle est ici pour représenter l'Association des avocats et avocates de la défense.
    Monsieur Brodeur, ma question est la suivante.

[Traduction]

    Un peu de calme, s'il vous plaît.
    Monsieur Petit, veuillez adresser vos questions au président.

[Français]

    Lorsqu'un individu qui est relié à un gang est victime d'un crime avec arme à feu — ce dont M. Ménard a parlé plus tôt —, il y a ce qu'on appelle des circonstances aggravantes. D'un autre côté, prenons le cas d'un autre individu qui n'est pas membre d'un gang, mais qui est victime d'un acte criminel grave avec arme à feu. Nous avons là deux victimes: l'une est attaquée avec une arme à feu parce qu'elle est membre d'un gang criminel, et l'autre est victime d'un acte criminel grave, mais sans être membre d'un gang.
    Quelle sera la réaction du juge? Dans le premier cas, il doit poser un geste à cause de circonstances aggravantes; dans l'autre cas, il n'a pas cette obligation.
    Monsieur Brodeur, j'essaie de bien synthétiser ma question. Si je me mets à la place d'une victime, j'aimerais mieux être « attaqué » par une personne qui est membre d'un gang, parce que je suis sûr qu'elle ira en prison plus longtemps, plutôt que par un individu qui n'est pas membre d'un gang de rue. On doit indiquer certaines choses au juge. La victime, c'est toujours la même victime. Elle aura l'impression que dans certains cas, on laisse passer, alors que dans d'autres, on est plus sévère.
    Compte tenu de ce que je viens de dire, le projet de loi C-10 vous semble-t-il suffisamment fort pour que les victimes soient traitées de la même façon sur le plan de la justice? J'ai essayé de vous exposer ma pensée le mieux possible.
    D'accord. Je vais tenter de répondre, mais je ne suis pas sûr, monsieur, d'avoir parfaitement compris votre question.
    Ce que vous dites s'inscrit dans une justice qui individualise les peines. Dans un cas, la personne qui commet un crime appartient à un gang, et dans l'autre cas, elle n'appartient pas à un gang. On pourrait dire que c'est une justice qui individualise la sentence en fonction du cas.
    Or, le projet de loi est, dans une certaine mesure, aux antipodes d'une justice individualisée, puisqu'il prévoit des peines minimales obligatoires qui sont les mêmes pour tous les cas. C'est pourquoi je ne suis pas sûr de bien comprendre votre question.
    Non, je parle de l'équité du projet de loi pour la victime elle-même. Je vous demande d'adopter le point de vue de la victime, et non de la personne qui va être incarcérée à tort ou à raison.
    C'est bien. Alors, je vous dirai deux choses rapidement. Vous posez une question intéressante et difficile, et je vais essayer de vous dire ce que j'en pense.
    Si j'étais moi-même victime et que j'avais été blessé gravement, il ne m'importerait pas beaucoup d'avoir été blessé par un membre des Hells Angels ou par mon voisin, mais ce sur quoi j'insisterais — et c'est un thème qui revient beaucoup en justice, soit le fait que la victime occupe actuellement très peu de place au tribunal —, c'est la possibilité d'exprimer mon opinion. La victime, c'est la Reine, comme l'indique le nom des causes. Je pense que si nous voulons donner une voix aux victimes, si nous voulons entendre leur point de vue — et il y a quelqu'un à notre école, Mme Arlène Gaudreault, qui défend cette cause depuis longtemps —, nous pourrions peut-être essayer de leur donner un peu plus de place au prétoire. Cependant, le projet de loi comme tel est un projet général de sentencing, et je n'y ai pas vu de dispositions qui concernent spécifiquement la place que nous voudrions donner aux victimes.
(1715)

[Traduction]

    Merci, monsieur Petit. Merci, monsieur Brodeur.
    Monsieur Brown.
    Merci, monsieur Hanger.
    Ma première question traite du pouvoir judiciaire discrétionnaire. Certains témoins aujourd'hui ont abordé ce sujet, et j'aimerais connaître votre point de vue sur la question.
    Je pense que lorsqu'on accorde un pouvoir judiciaire discrétionnaire dans certains cas, dans le cas des peines maximales et des peines minimales, il est utile qu'une certaine orientation soit donnée. Nous avons pu le constater aussi bien dans le cas des peines maximales que dans le cas des peines minimales dans le code.
    J'appuie ce projet de loi, car, à mon avis, il est nécessaire d'avoir des peines minimales dans certains cas. Pour ceux d'entre vous qui se sont exprimés contre toute limitation du pouvoir judiciaire discrétionnaire, je voudrais connaître votre avis concernant les autres instances dans le code où le pouvoir judiciaire discrétionnaire est limité.
    Par exemple, seriez-vous en faveur de l'élimination des peines maximes qui existent dans le code aujourd'hui? Je souhaite connaître votre position à ce sujet, car j'essaie de comprendre si c'est ce projet de loi qui s'attaque à la criminalité qui vous dérange, et si c'est le cas, alors je comprends mieux votre point de vue, ou bien si c'est véritablement la question du pouvoir judiciaire discrétionnaire qui vous inquiète, car il est en cause dans les deux cas. Vous ne pouvez pas être contre les peines minimales et en faveur des peines maximales. Vous ne pouvez pas être en faveur d'une limitation du pouvoir judiciaire discrétionnaire dans un cas mais pas dans l'autre.
    J'aimerais tout d'abord entendre Lucie à ce sujet, car c'est elle qui a abordé la question du pouvoir judiciaire discrétionnaire la première.
    Vous nous demandez précisément si on devrait se débarrasser des peines maximales. J'estime que M. Brodeur a répondu à cette question dans le cadre de son exposé, en précisant que la peine moyenne au Canada était bien inférieure à la peine maximale. Il n'y a donc pas de problème.
    En 15 ans d'exercice, je n'ai jamais vu de juge ou de procureur qui était gêné par la peine maximale, et pourtant j'en ai vu, des affaires intéressantes.
    Ce qui m'intéresse, ce n'est pas le fait que ça risque de ne pas se matérialiser. Souvent, on n'a même pas à imposer les peines minimales. Les affaires qui sont devant les juges aboutiront différemment, par des verdicts de culpabilité et de non-culpabilité. Ce qui m'intéresse en fait, c'est de savoir si vous pensez que l'on devrait circonscrire le pouvoir judiciaire discrétionnaire.
    C'est un terme qu'on ne cesse d'employer. Permettez-moi de vous donner l'exemple de Paul Bernardo. Le juge dans cette affaire aurait peut-être voulu imposer une peine plus sévère que la peine maximale. Après tout, ce n'est pas comme si on n'avait jamais recours à la peine maximale. Mais en la codifiant, on circonscrit le pouvoir judiciaire discrétionnaire.
    Pensez-vous qu'on devrait circonscrire le pouvoir judiciaire discrétionnaire dans ce cas, ou faut-il être sélectif?
    On ne peut répondre que d'une façon. Pour les infractions graves, comme je l'ai déjà dit, il existe des dispositions dans le code permettant de maîtriser les délinquants et les récidivistes. Donc, si c'est de cela dont il s'agit, il existe déjà des dispositions à cet égard.
    Vous dites que les juges sont toujours en mesure de trancher, mais nous estimons qu'en imposant des peines minimales, on retire le pouvoir judiciaire discrétionnaire. Pour ce qui est du verdict, on n'informe jamais le jury de la peine potentielle, pour éviter que ce facteur soit pris en compte dans le cadre des délibérations. D'ailleurs, il est illégal, à l'heure actuelle au Canada, d'informer un jury de la peine potentielle qui serait imposée si l'accusé était reconnu coupable.
    Pour ce qui est de M. Bernardo, je ne sais pas ce qui pourrait exister comme peine plus sévère que la prison à perpétuité. C'est la peine dont a écopé M. Bernardo.
    Avec tout le respect que je vous dois, je ne peux accepter la thèse selon laquelle il faut se débarrasser des peines maximales si l'on désir garder le pouvoir judiciaire discrétionnaire. Il ne faut pas confondre ces deux aspects, pour les raisons énumérées par le professeur Brodeur. Je vous mets au défi de citer des cas où des juges se sont sentis gênés par la peine maximale. Je ne parierai pas, mais je suppose qu'il n'y en a pas beaucoup, voire aucun.
    Ce qu'on voit plus fréquemment, dans notre section, ce sont les personnes qui écopent de la peine minimale. Nombreux sont ceux qui sont touchés par ces peines et je ne vous parle pas d'une hypothèse raisonnable mais plutôt d'une véritable situation.
    Aujourd'hui, nous voulions parler des peines minimales. Nous sommes d'avis que ces peines vont se traduire par des injustices qui se feront ressentir par les personnes qui seront assujetties à ladite disposition alors que la peine appropriée dans leur cas n'est pas la peine minimale obligatoire.
(1720)
    Pour revenir à votre exemple, vous avez dit qu'à votre connaissance, il n'y avait pas d'exemple de juges qui avaient été contraints par les peines maximales. Pourriez-vous nous citer des exemples de juges qui ont été gênés par la peine minimale dans le code? Il existe déjà des peines minimales. A-t-on déjà vu des juges outrés par les peines minimales et incapables de faire leur travail correctement?
    Mme Joncas pourra sans doute répondre. Je ne sais pas s'il existe des exemple de juges...
    C'est vous qui avez donné cet exemple.
    Je peux donner des exemples où l'exercice des pouvoirs discrétionnaires du juge a été limité dans tout le processus, et c'est un de ceux...
    Vous avez mentionné des cas précis.
    ... et je vous en donnerai d'autres. Évidemment, il y a des peines minimales obligatoires pour les infractions qui ont trait à la distribution de pornographie impliquant des enfants. Il peut y avoir des cas où l'avocat de la Couronne reconnaît que l'individu a besoin de se réadapter et que les meilleurs services de réadaptation sont offerts dans la collectivité...
    Mais pouvez-vous citer des cas de ce genre?
    Je ne vais pas le citer nommément, mais il s'agit d'un cas réel. Il faut retenir la date du... 15 novembre 2005 parce qu'au-delà de cette date, la distribution de pornographie infantile devait entraîner obligatoirement les peines minimales. Or, si une personne distribuait de ce genre de pornographie avant et après cette date, l'avocat de la Couronne serait disposé à modifier le chef d'accusation, de manière à ne tenir compte que des actes commis avant le 15 novembre 2005, afin de réaliser, ce qui est également de l'avis de la Couronne, l'objectif primordial de la détermination des peines: la réadaptation de cette personne qui serait plus réalisable à l'extérieur de la prison.
    Permettez-moi de répéter que la Couronne exerce déjà ce pouvoir discrétionnaire. S'il n'y avait pas eu de peine minimale obligatoire, le juge pourrait prendre sa décision et, au besoin, la peine d'emprisonnement pourrait être contestée.
    Merci, monsieur Brown et M. Weinstein.
    Nous sommes arrivés à la fin de la séance. Je remercie tous les témoins d'avoir présenté leur exposé. Cela a déclenché des échanges fort intéressants et nous tiendrons également compte de vos arguments au moment d'étudier le projet de loi C-10.
    Merci d'avoir été des nôtres.
    [La séance se poursuit à huis clos.]