:
Merci, monsieur le président et honorables députés et membres du comité. J'ai été très heureux d'être invité à comparaître. De toute façon, je ne refuse jamais ces invitations. J'estime qu'il est de mon devoir, compte tenu des divers postes que j'ai occupés, de répondre aux invitations des députés, chaque fois qu'ils veulent m'entendre ou même me faire travailler.
[Français]
Je soupçonne avoir été invité à vous rencontrer à cause des propos que j'ai tenus dans deux entrevues avec la presse écrite, une avec Mme Janice Tibbetts de CanWest News et le lendemain ou le surlendemain, avec Mme Hélène Buzzetti du quotidien Le Devoir.
L'entrevue avec CanWest News a duré environ une heure et quart. C'est Janice qui m'a abordé. Je la connais depuis longtemps car je lui ai accordé plusieurs entrevues au cours de la période où je siégeais à la Cour suprême du Canada comme juge en chef. Il va de soi que Mme Tibbetts, eu égard aux inévitables contraintes d'espace, n'a pas pu apporter toutes les nuances que comportaient mes propos. Une des raisons pour lesquelles je suis heureux d'être invité est que cela me permettra de les apporter. De plus, il est de connaissance commune que les journalistes n'ont aucun contrôle sur les titres.
[Traduction]
Je tiens à préciser immédiatement que je n'ai jamais déclaré à Janice Tibbetts, et qu'elle n'a jamais écrit, que je pensais que le essayait de museler les juges. Il essayait de faire autre chose mais pas de les « museler ». Le titre de cet article est donc inapproprié. Je ne dirais jamais cela au sujet de mon premier ministre, à moins qu'il le fasse ou essaie de le faire.
[Français]
C'est la raison pour laquelle j'ai été heureux d'accepter votre invitation. Avec votre permission, je voudrais énoncer ce que je considère les critères qui s'appliquent à la composition d'un comité de la nature de celui qui fait l'objet des auditions de ce comité.
[Traduction]
J'étais à l'extérieur du pays et je n'ai pas suivi les débats de la Chambre ni l'évolution législative des projets de loi. Mais ce n'est pas, de toute façon, le sujet à l'ordre du jour. À mon retour, j'ai appris que l'opposition avait accepté certains projets de loi du gouvernement, mais s'était fermement opposée à d'autres parties, notamment, d'après ce qui m'a été dit, à ce que l'on appelé le projet de loi sur les trois prises.
Revenons-en maintenant aux critères. Pour composer un comité, il est évident qu'il ne faut pas perdre de vue l'objectif que doit viser ce comité, et il faut s'efforcer de mettre sur pied le comité qui sera le plus à même de réaliser l'objectif recherché, et non pas y nommer des membres qui vont travailler à la réalisation d'un objectif accessoire, et encore moins, à celle d'un objectif inapproprié.
Quel est le rôle de ces comités? Il consiste à choisir et à placer sur une liste, à l'intention du gouverneur en conseil, les noms d'avocats qui ont exprimé par écrit le désir de devenir juge d'une de nos cours supérieures, à l'exception de la Cour suprême, ou de la Cour de l'impôt — je ne veux pas dire « à l'exception de » la Cour de l'impôt, mais « ou » de la Cour de l'impôt, qui n'est pas une cour supérieure — et qui répondent aux conditions exigées pour ces postes.
Pour qu'ils s'acquittent de cette responsabilité, il me paraît évident que les membres du comité doivent savoir quelles sont les qualités exigées pour le poste, en fonction de la compétence de la juridiction en question, ou savoir au moins comment découvrir si l'avocat candidat possède les qualifications qui lui permettront de s'acquitter correctement de ces tâches. Cela n'est donc pas compliqué.
Il y a d'autres genres de comités auxquels il est préférable de nommer des personnes ayant des antécédents et des âges variés, et qui possèdent une expérience qui, compte tenu du rôle de ces comités, leur permettra d'apporter une contribution utile pour prendre des décisions, si le comité a des pouvoirs décisionnels, ou pour fournir des conseils, s'il s'agit d'un comité consultatif. Les comités dont nous parlons actuellement ne sont pas de cette sorte. C'est la raison pour laquelle ils doivent être composés d'au moins un juge et d'avocats d'expérience. Cela ne veut pas dire que ces comités devraient être uniquement composés de juges et d'avocats. Comme je l'ai déclaré à la presse, les greffiers des tribunaux compétents qui, tous les jours depuis 20 ou 25 ans, voient des avocats comparaître ou les journalistes, qui couvrent les débats judiciaires depuis des années, peuvent apporter une contribution utile sans être nécessairement des avocats ou des juges.
J'ai fait un peu de recherche. J'ai été obligé de faire quelques appels téléphoniques parce que je ne connaissais pas très bien comment fonctionnent ces comités, car je n'en ai jamais été membre. Ils n'existaient pas lorsque j'ai été nommé juge de divers tribunaux canadiens.
Un juge en chef m'a déclaré, parce que je lui ai parlé au téléphone, que le juge qu'il avait nommé à un de ces comités lui avait fait savoir que deux membres éminents d'une profession qui n'avait aucun rapport avec la dynamique de notre système judiciaire, avaient déclaré très franchement à leur toute première réunion — et il semble qu'ils tiennent deux réunions par an — aux juges et aux avocats qu'ils s'en remettraient à eux pour savoir si le candidat possédait les compétences exigées pour être nommé juge du genre de tribunal pour lequel ils préparaient la liste — à savoir les cours supérieures, la Cour fédérale, la Cour de l'impôt, les cours d'appel, y compris la Cour d'appel fédérale. Compte tenu des différents pouvoirs qu'exerçaient ces juridictions et que ces deux personnes ne connaissaient pas très bien — je veux dire qu'elles s'étaient fait une certaine idée du travail qu'accomplissaient ces juridictions en lisant les journaux et les décisions, mais elles n'avaient pas une connaissance approfondie des pouvoirs exercés par ces juridictions —, ils ont en fait déclaré : « Nous allons devoir nous en remettre à votre jugement, parce que vous connaissez ces choses. Vous connaissez certains de ces avocats, vous connaissez les personnes dont les noms ont été fournis à titre de références, vous savez si ce sont des personnes éminentes dans leur domaine et si vous pouvez vous fier à leur jugement et, enfin, vous savez qui appeler pour apprendre ce que vous souhaitez ».
Je dois vous dire franchement qu'il y a deux jours, j'ai assisté à un dîner à l'Université d'Ottawa pour célébrer le 25e anniversaire de la charte. Je parlais à un avocat qui avait siégé à un de ces comités et il m'a dit que les non-juristes avaient certaines choses à apporter. C'est ce qu'il m'a dit. Mais avant que j'aie eu le temps de lui demander plus précisément ce que ces non-juristes apportaient — étant donné que je suis bloqué dans un fauteuil et que les gens viennent me parler, je ne peux pas me déplacer comme un papillon — deux personnes m'ont interrompu et je n'ai jamais obtenu ma réponse. Je ne connais donc pas cette réponse. Cela a éveillé ma curiosité. J'ai essayé de communiquer avec cette personne, mais comme il y avait beaucoup de monde à l'Université d'Ottawa, je l'ai perdue de vue et je n'étais pas en mesure d'aller à sa recherche.
Je dois vous dire que quelqu'un m'a dit que ces non-juristes pouvaient apporter une contribution même s'ils n'étaient pas, comme je le proposais, journaliste ou greffier. C'est ce que l'on m'a dit. Je devrais ajouter que leur présence dans ces comités ne me met pas mal à l'aise, mais je ne vois pas comment ils pourraient apporter une contribution utile.
Pour préparer notre rencontre, comme je l'ai dit, j'ai parlé à diverses personnes, y compris à des juges en chef et à un professeur qui a témoigné devant vous, M. Ed Ratushny, un de mes amis. C'est un juge de cour d'appel à la retraite qui a fait partie d'un de ces comités pour savoir comment ils fonctionnaient.
[Français]
Ils n'ont aucun encadrement législatif ou réglementaire avec comme résultat, je le soupçonne, qu'ils procèdent différemment d'un bout à l'autre du pays. Certaines de ces différences dépendent sans doute du territoire de leur juridiction. Je dois mentionner que dans mes entrevues avec la presse, j'ai commis, par ignorance, l'erreur de dire qu'ils ne pouvaient s'informer au-delà des personnes figurant sur la liste comme références par le postulat. Sans réglementation l'interdisant, ils le peuvent et le font, et c'est une bonne chose.
[Traduction]
J'ai déjà exprimé publiquement mon opinion sur le sujet qui vous a amenés à m'inviter à comparaître; je vais donc m'arrêter ici. Je suis sûr que certains d'entre vous voudront aborder ce qui a été dit à mon sujet ou me poser des questions sans aucun rapport avec mes déclarations. Je préfère ne pas utiliser entièrement mes 10 minutes et je vais vous donner ce qu'il en reste.
:
Monsieur le président, avec votre permission, je vais faire mon allocution en anglais parce que cela m'est plus facile.
[Traduction]
Monsieur le président, je vous remercie de m'avoir invité à venir devant le comité afin de vous faire part de mon opinion sur les changements apportés l'an dernier et au début de cette année aux comités consultatifs de la magistrature fédérale par le gouvernement Harper, et sur les changements qui, à mon avis, seraient essentiels pour que le système fédéral de nominations à la magistrature soit exclusivement fondé sur le mérite et non pas sur des considérations étrangères et superflues.
J'ai pris connaissance des témoignages que vous ont présentés MM. Sébastien Grammond et Peter Russell. Je suis d'accord avec eux pour dire que les modifications unilatérales apportées par le gouvernement Harper à la composition des comités consultatifs et aux évaluations qu'ils sont appelés à faire sont tout à fait incompatibles avec un système de nominations fondé sur le mérite et ne contribueront qu'à miner encore davantage la confiance de la population dans l'intégrité du processus de nomination.
Ce serait toutefois une grave erreur de croire que le système des comités consultatifs fonctionnait bien avant que le gouvernement Harper n'introduise ces changements, et de mettre entièrement sur le compte du gouvernement actuel la responsabilité des problèmes qui ont surgi. En réalité, le système des comités consultatifs est antérieur au gouvernement Harper et était profondément déficient pour les raisons suivantes.
Premièrement, le système des comités consultatifs, créé en 1985 par le gouvernement Mulroney et reconduit par les gouvernements Chrétien et Martin, n'était qu'un système de présélection. Contrairement aux recommandations des comités de l'Association du Barreau canadien et de l'Association canadienne des professeurs de droit, les comités consultatifs n'intervenaient pas dans les nominations proprement dites et n'avaient pas pour mandat de soumettre au gouvernement fédéral une liste restreinte des candidats les mieux qualifiés pour combler les postes vacants. Par conséquent, malgré la création des comités consultatifs, le favoritisme politique a continué à exercer son influence à peu près comme il le faisait auparavant.
Deuxièmement, jouant un rôle très circonscrit, les comités consultatifs n'ont jamais participé de façon utile, et ne participent pas non plus maintenant, à l'examen des candidats à des promotions latérales qui souhaitent passer d'une cour provinciale à une cour supérieure provinciale, d'une cour supérieure de première instance à la cour d'appel, ni à celui des candidats à une nomination à la Cour fédérale du Canada et, du moins jusqu'à tout récemment, aux nominations à la Cour canadienne de l'impôt. Aspect tout aussi important, les comités consultatifs ne jouent aucun rôle dans la nomination des juges en chef de la cour supérieure ou de la cour d'appel d'une province.
Troisièmement, il y a le fait que les comités consultatifs ne sont pas tenus de rencontrer les candidats ni de publier (la chose semble même interdite) un rapport annuel de portée provinciale ou nationale exposant leurs travaux et leurs expériences. En outre, il semble que les candidats ne soient pas informés du résultat de leur candidature et n'ont donc aucun recours si le comité consultatif qui a examiné leur candidature a jugé qu'ils n'avaient pas les qualités voulues.
Bref, monsieur le président, il n'y a pas plus de transparence ni d'imputabilité dans le fonctionnement des comités consultatifs qu'il y en a dans le système même des nominations à la magistrature fédérale. Et si je puis ajouter quelque chose ici, je pense que ce que le juge en chef vient de déclarer confirme tout à fait ce que j'ai dit au sujet des problèmes qu'il a rencontrés lorsqu'il a essayé de savoir comment ces comités fonctionnaient et exerçaient leurs pouvoirs.
C'est parce qu'on voulait éliminer le favoritisme politique et fonder la nomination des juges sur le seul critère du mérite que l'on a créé ces comités consultatifs. C'est du moins l'une des principales raisons qui avaient été invoquées. Il semble que cet espoir ne se soit pas concrétisé. Le rapport de l'ABC mentionné plus haut donnait sa perception du rôle que le favoritisme politique continuait de jouer dans la nomination des juges en 1985. De même, M. Peter Russell et moi-même avons montré, dans une étude empirique, publiée en 1991, sur les nominations de juges faites par le gouvernement Mulroney entre 1984 et 1989, que près de la moitié des juges avaient des accointances politiques avec le Parti conservateur au moment de leur nomination.
La situation ne s'est pas améliorée sous les gouvernements Chrétien et Martin — j'essaie d'être impartial, monsieur le président. Des aveux obtenus pendant les travaux de la Commission Gomery ont incité des journalistes de l'Ottawa Citizen à faire enquête pour déterminer dans quelle mesure les juges nommés aux tribunaux fédéraux avaient versé des contributions aux partis politiques. Ils ont constaté que plus de 60 p. 100 des 93 avocats nommés à la magistrature en Ontario, en Alberta et en Saskatchewan depuis 2000 avaient fait des dons au Parti libéral dans les trois à cinq années précédant leur nomination.
Permettez-moi aussi, monsieur le président, d'attirer l'attention du comité sur une étude importante et très rigoureuse des dons faits aux partis politiques sous les règnes de Mulroney et de Chrétien, réalisée par trois politologues MM. Riddell, Hausegger et Hennigar, et dont les résultats seront bientôt publiés dans le University of Toronto Law Journal. Dans mon mémoire, je reproduis un tableau préparé par ces auteurs, qui montre les dons versés aux partis politiques par les futurs juges au cours de la seconde période du régime Mulroney et des trois mandats du premier ministre Chrétien. Ce tableau montre que, dans l'ensemble, 30,6 p. 100 de toutes les nominations effectuées pendant cette période visaient probablement des personnes qui avaient versé des fonds au gouvernement qui les nommait et seuls 5 p. 100 de tous les candidats nommés avaient versé des contributions politiques à un autre parti.
Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi tous les gouvernements fédéraux qui se sont succédé depuis la Confédération ont accordé autant d'importance au favoritisme politique lié aux nominations à la magistrature. Le gouvernement Harper n'est pas différent sur ce point de ses prédécesseurs.
Au 1er mars 2007, il y avait 1 052 juges actifs ou surnuméraires nommés par le gouvernement fédéral et 50 postes à combler. Il se fait en moyenne 50 nominations fédérales à la magistrature tous les ans. Ces nominations sont très convoitées. Le salaire est excellent — j'ajouterais même qu'il est supérieur à celui des professeurs de droit. Les modalités de retraite et de pension sont sans doute les plus généreuses de tout le secteur public et une nomination à la magistrature fédérale est auréolée d'un grand prestige. La magistrature représente également un choix de carrière intéressant pour un avocat qui en a assez des tracasseries de la pratique privée ou qui souhaite jouer un rôle public plus actif. Est-ce du cynisme de ma part de dire que seules de très fortes pressions exercées par la population ou une série de nominations catastrophiques arriveront à convaincre les politiciens fédéraux de renoncer à de tels fromages?
À mon avis, il faut absolument introduire une solution en deux temps pour que les nominations à la magistrature puissent s'ancrer fermement dans une structure fondée sur le mérite et affranchie de toute influence politique ou idéologique. Là encore, je suis en accord complet avec MM. Grammond et Russell. La première étape essentielle serait d'inscrire le processus de nomination dans le cadre d'une loi afin qu'il soit clair et transparent aux yeux de tous et ne puisse être modifié sans débat parlementaire ni mise aux voix. On n'insistera jamais trop sur l'importance d'adopter une telle loi. Sans elle, toutes les autres recommandations faites par le comité resteront lettre morte, comme cela a si souvent été le cas jusqu'ici.
La deuxième étape serait que la loi précise la composition des comités consultatifs ainsi que le rôle qui leur serait confié. Ce rôle ne devrait pas consister uniquement à présélectionner et à évaluer les candidats éventuels à une nomination, mais devrait comprendre également l'établissement d'une liste restreinte de candidats hautement qualifiés, et pas seulement acceptables, dans laquelle le gouvernement fédéral, sauf cas de force majeure, serait tenu de faire son choix lorsqu'un poste doit être comblé.
Un bon modèle à suivre à cet égard serait celui du comité consultatif sur les nominations à la magistrature provincial de l'Ontario, dont la structure et le fonctionnement ont été bien décrits par M. Russell, lorsqu'il a témoigné devant vous. Il est tout aussi important, monsieur le président, que le mandat du comité s'étende aux nominations conjointes, aux promotions des juges à un tribunal supérieur, à la nomination des juges en chef, comme je l'ai mentionné auparavant. À ma connaissance, aucune raison valable ne s'oppose à ce que le rôle des comités consultatifs soit étendu à ces aspects.
Dans son témoignage devant le comité, M. Grammond a touché un certain nombre de questions constitutionnelles importantes. Je suis d'accord avec lui pour dire que l'article 96 de la Loi constitutionnelle n'interdit pas la création, par une loi, de comités consultatifs. Les comités de l'ABC et de l'ACPD ont fait la même hypothèse dans leurs recommandations de 1985.
J'estime aussi qu'en cherchant à déterminer dans quelle mesure les pouvoirs de nomination du gouvernement fédéral peuvent être encadrés par une loi, il faut tenir compte des dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés, notamment de l'article 15 qui interdit la discrimination, ainsi que de très anciens principes comme ceux de l'indépendance de la magistrature et de l'inamovibilité des juges, tels que formulés à l'article 99 de la Loi constitutionnelle et qui font partie des principes non écrits de la Constitution canadienne.
Je pense, comme M. Grammond, qu'il y a un lien entre ces dispositions et l'article 96, qui a pour but de tempérer et d'éclairer l'exercice du pouvoir fédéral de nomination. Si nécessaire, le gouvernement fédéral pourrait soumettre ces questions à la Cour suprême du Canada afin qu'elle donne son avis sur la constitutionnalité des pouvoirs que l'on voudrait conférer aux comités consultatifs au moyen d'une loi, comme je l'ai recommandé.
L'article 96 de la Loi constitutionnelle est un vestige de l'époque coloniale antérieure à la Confédération et témoigne, selon moi, d'une conception dépassée et unidimensionnelle du rôle du gouvernement fédéral en matière de nominations à la magistrature. Cet article n'aurait jamais dû être adopté sous sa forme actuelle.
Il est regrettable qu'on ait raté l'occasion de démocratiser cette disposition en 1982. Rien ne nous empêche toutefois de le faire maintenant. L'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982 accorde au gouvernement fédéral le pouvoir, sous réserve des articles 41 et 42, de « modifier les dispositions de la Constitution du Canada relatives au pouvoir exécutif fédéral, au Sénat ou à la Chambre des communes ».
L'article 44 semble avoir été très peu utilisé jusqu'ici et des doutes subsistent sur ce que recouvre exactement la notion de « pouvoir exécutif fédéral ». Je suis néanmoins convaincu qu'il conviendrait d'envisager de modifier l'article 96 et, si nécessaire, de présenter un renvoi à la Cour suprême pour qu'elle donne son avis sur la constitutionnalité d'un projet de modification de l'article 96.
On a mis tellement de temps, depuis de si nombreuses années, à débattre du système de nomination des juges que d'autres questions, tout aussi importantes, ont été négligées. Par exemple, je pense qu'il y aurait lieu d'adopter un système de nomination de juges à temps partiel ou à l'essai, comme cela se fait avec beaucoup de succès au Royaume-Uni depuis plus d'un siècle, d'envisager de suivre le rendement des juges après leur nomination, de réfléchir aux avantages qu'offre la spécialisation des juges et de donner accès à l'appareil judiciaire à la grande majorité des citoyens de moyens modestes.
Le Canada a, d'après moi, besoin d'un institut chargé d'étudier les questions judiciaires auquel pourrait être confiée la tâche d'étudier les questions essentielles à l'administration équitable et efficace de la justice. Si mes calculs sont justes, le gouvernement fédéral consacre un quart de milliard de dollars par année en salaires et avantages sociaux destinés aux membres de la magistrature. Il devrait donc avoir les moyens de dépenser quelques millions de dollars de plus par année pour financer le genre d'institut auquel j'envisage de confier l'étude de ces questions.
[Français]
Monsieur le président, on se plaint des abus de notre système de nomination fédéral à la magistrature depuis les tout débuts de la Confédération. Il serait temps de mettre fin à ce débat. Cent quarante ans, ça suffit! La solution est simple et a déjà été adoptée par quelques provinces dans leur champ de compétence respectif et par le Royaume-Uni dans les lois de la réforme constitutionnelle de 2005. J'invite respectueusement le comité à faire preuve de fermeté dans ses recommandations et à enjoindre au gouvernement fédéral de suivre ces précédents et d'adopter les lois nécessaires dans les plus brefs délais.
:
Je suis d'accord avec M. Ziegel, qui a présenté cette recommandation, et je souhaite que cela se fasse. J'ai soulevé cette question dans l'espoir d'aborder cet aspect.
Ils ne prêtent même pas serment. Dans quels cas doivent-ils se désister? Que se passe-t-il si un des membres est de la famille de —? Il n'y a rien.
Je n'ai pas eu le temps de demander à certaines personnes comment cela se passait. Je n'ai tout simplement pas eu le temps. J'étais à l'extérieur du pays. Mais j'ai quand même réussi à parler au juge en chef du Québec au sujet de ce qu'il savait de ce processus. Il a déclaré qu'ils avaient adopté quelques règles, mais qu'elles étaient peu nombreuses.
De sorte que oui, je pense que vous devriez recommander que l'on adopte un règlement complet qui précise la façon de procéder, les personnes qui devraient siéger à ces comités ainsi que les critères à appliquer. Devraient-elles prêter serment? Je pense qu'un serment ne peut pas faire de mal. Cela est même parfois utile. Ce règlement devrait même préciser le nombre de fois que ces comités doivent se réunir chaque année.
Au Québec, ils se réunissent deux fois par an. Eh bien, c'est peut-être suffisant, mais je ne sais pas combien il y a de candidats par année. C'est un secret.
Bien sûr, je parlais de la composition des comités, mais le professeur est allé beaucoup plus loin lorsqu'il a parlé de la nomination des juges. Je tiens pour acquis que ces comités seront conservés et c'est l'hypothèse sur laquelle je me base. Si l'on pouvait améliorer les choses en abandonnant les comités, je ne sais pas ce que je dirais; mais je pars de l'hypothèse qu'il y aura des comités et que la composition de ces comités sera, comme je l'ai dit, utile.
Là où je ne suis pas d'accord avec le professeur, c'est que je pense que les comités ont contribué à atténuer jusqu'à un certain point l'impression qu'il s'agit de partisanerie politique. J'ai confiance dans les comités. En fait, on m'a raconté une histoire à leur sujet il y a quelques jours. Il y a un comité quelque part au Canada dont fait partie un policier. Dans cette province, il y avait un procureur de la Couronne qui avait la réputation d'être assez sévère avec les criminels... Et il n'y a rien de mal à ça. Je suis contre le crime. J'ai déjà déclaré que je regardais parfois certaines peines et que je me disais « Eh bien, je n'en reviens pas! ».
Je pense qu'il y a un peu trop de marchandage de plaidoyer, mais je sais que les procureurs de la Couronne sont surchargés de travail et qu'il est tentant de réduire la peine de quelques années et de s'éviter ainsi 10 jours de procès. La tentation est là. Ils sont humains; ils sont surchargés; ils sont sous-payés. Et je les comprends. Mais ce n'est pas bon pour la justice. Le simple mot « marchandage » donne une idée de ce qui se fait. Il y a quelqu'un qui obtient quelque chose en marchandant, et ce n'est pas la justice. La justice n'a rien à voir avec le marchandage.
Ce procureur de la Couronne, qui était connu pour ne jamais marchander un plaidoyer, a été écarté. Le policier a voté contre lui et il a expliqué son vote en disant que le poursuivant n'était pas suffisamment souple.
Pour ce qui est de ma réaction aux conséquences qu'ont eues sur les comités les changements apportés récemment, je dirais que nos policiers sont tout à fait capables de mettre de côté leurs intérêts, mais je suis contre le fait qu'ils participent à ces comités pour une question de perception. Les policiers participent aux poursuites. C'est la même chose pour le président du FAEJ ou la présidente de REAL Women, ce sont des gens qui défendent des causes. Je suis tout à fait favorable aux personnes qui défendent des causes; elles ont beaucoup aidé la Cour suprême en intervenant dans certaines affaires, mais elles ne devraient pas être membres de ce genre de comités pour essayer de faire avancer leur cause. Je pense que certaines d'entre elles sont tellement convaincues du bien-fondé de leur cause qu'elles risquent de faire preuve de partialité lorsqu'il s'agit de choisir un candidat. Elles risquent de choisir le candidat qui sera favorable à leur cause ou à leurs intérêts.
Oui, je suis tout à fait en faveur de l'adoption de critères et de règlements, parce que ce que font ces comités est très important.
Je pense également qu'il serait bon que vous recommandiez que le gouverneur général en conseil choisisse un candidat dont le nom figure sur la liste et ne cherche pas ailleurs. Un ministre de la Justice — je crois que c'était M. Rock — s'était engagé à ne pas nommer un candidat dont le nom ne figurait pas sur la liste. D'autres ministres n'ont pas pris cet engagement, et je crois me rappeler d'une ou deux nominations de juges — je ne les surveillais pas particulièrement parce que notre pays est grand et que les nominations sont nombreuses — dont les noms ne figuraient pas sur la liste. Je me souviens qu'une de ces nominations a été critiquée parce qu'il semblait qu'il y avait des liens politiques entre le parti au pouvoir et le conjoint de cette personne.
Je recommanderais donc que le gouvernement se limite aux personnes dont le nom figure sur la liste.
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Oui, merci, j'aimerais beaucoup le faire.
J'aimerais parler du dernier sujet qu'a soulevé M. Ménard, la raison qu'aurait fournie le gouvernement pour abolir la catégorie des candidats hautement recommandés. Je trouve cette raison très peu convaincante. Il est peut-être tout à fait vrai que les comités appliquent des critères différents pour décider quels sont les candidats recommandés ou hautement recommandés, mais si cela était vrai, cela devrait s'appliquer également à la décision du comité qui décide que telle personne est acceptable.
Il me semble que cela va complètement à l'encontre du processus d'évaluation des candidats. Cela constitue une autre raison pour laquelle nous avons besoin d'un cadre législatif et d'un mécanisme pour évaluer la performance des comités. Cela ne sera toutefois possible que si les comités fonctionnent, ainsi que le gouvernement, avec un minimum de transparence. À l'heure actuelle, nous n'avons ni l'un ni l'autre, comme j'essayais de le souligner dans mon mémoire.
Permettez-moi également d'apporter une petite correction. J'espère que je n'ai pas dit de mal des membres du comité. Ce n'était pas mon intention et je ne pense pas que je l'aie fait. Je tiens à préciser, pour le compte rendu, que la bonne foi des membres du comité n'est aucunement remise en question; je le reconnais tout à fait. J'ai critiqué le fait que le mandat des comités a été étroitement circonscrit. En particulier, le comité ne formulait pas en fait de recommandations, il ne faisait que vérifier les qualités des candidats, ce qui est très différent.
Permettez-moi de faire quelques remarques sur la question de savoir s'il est souhaitable que les policiers fassent partie de ces comités. Je dirais que c'est un faux problème. Comme mon collègue M. Russell l'a fait remarquer au cours de son témoignage, il n'y a tout au plus que 2 p. 100 des juges des cours supérieures qui entendent des affaires pénales. C'est pourquoi je ne comprends pas très bien pourquoi l'on fait tant de bruit à ce sujet.
Même si ce pourcentage était beaucoup plus élevé, comment est-ce qu'un policier ou n'importe qui pourrait savoir si un candidat va être sévère pour les criminels ou pour d'autres personnes? Ils ne voient pas les candidats — c'est un des nombreux problèmes que nous avons. Allons-nous ajouter au questionnaire une question qui demande au candidat de déclarer s'il sera suffisamment sévère dans le cas où il serait nommé? Et si ce candidat ne s'était jamais occupé d'une affaire pénale de toute sa vie? Cela ne tient pas debout.
C'est donc vraiment un faux problème. J'espère vraiment que le comité en tiendra compte quand il examinera cet aspect. Comme le juge en chef l'a très justement fait remarquer, cela soulève en fait la question du rôle, des fonctions des comités et de l'utilité d'avoir un représentant de la police à ces comités, compte tenu de tous les facteurs qui ont été soulevés.
Je vous remercie.
:
Bien évidemment, nous avons, comme vous le dites à juste titre, des positions de base très différentes. Je pense qu'il s'agit là d'une tâche urgente. Je ne pense pas qu'il s'agisse de savoir si j'approuve ou non la nomination de policiers comme membres des comités consultatifs. La question que je me pose est la suivante : qui va décider? Est-ce que ce seront les gouvernements successifs, celui-ci ou un autre, ou est-ce que cela fera partie d'un processus législatif?
Le gouvernement Harper a décidé unilatéralement de modifier la composition des comités et de changer le genre de décisions que les comités... Je pense que ce n'est pas aux différents gouvernements de prendre ce genre de décisions; il faudrait adopter un projet de loi, un projet de loi transparent, et les députés de tous les partis devraient avoir le dernier mot dans ce domaine. Les juges eux-mêmes font partie du système juridique du pays et ils ne sont pas des exécutants des différents gouvernements. Je ne pense pas que ces recommandations visent le long terme; je pense que cela fait longtemps qu'elles auraient dû être mises en oeuvre.
Comme je l'ai signalé à la fin de mon mémoire, nous avons hérité notre système de nomination du Royaume-Uni, parce que c'était la pratique qui était appliquée au moment de la Confédération. Les Anglais ont abandonné ce système. En fait, ils n'ont jamais accordé une grande importance aux considérations politiques dans leur système de nomination, au moins pas depuis un siècle. En raison de l'adoption, il y a deux ans, d'une loi très importante en Angleterre, aujourd'hui, toutes les questions reliées à la nomination à la magistrature sont désormais confiées à une commission de nomination à la magistrature, dont les pouvoirs sont beaucoup plus étendus que ce que je propose dans mes recommandations.
Si les Anglais, dont nous avons hérité notre système de nomination à la magistrature, l'ont abandonné précisément parce qu'ils se posaient des questions au sujet de la perception du public, à cause des plaintes, même avec ce système anglais modernisé, que suscitait l'ancien système de nomination, parce qu'il n'était pas toujours équitable, alors je dirais qu'au minimum, le Canada devrait suivre les Anglais et les provinces, et au moins adopter une loi qui précise à la fois le rôle et les pouvoirs des comités consultatifs ainsi que leur rôle vis-à-vis des nominations effectuées par le gouvernement.
:
Vous pouvez poser la question à vos collègues.
Des voix: Oh! oh!
Le très hon. Antonio Lamer: Combien y en a-t-il?
Une voix: Cinq.
Le très hon. Antonio Lamer: Eh bien, je dirais un peu plus. Si on ajoute les articles, cela en fait 17 ou 19.
Qui est-ce que cela inquiète? Ceux qui parlent d'activisme judiciaire le font parce qu'ils ne sont pas satisfaits du jugement. Lorsqu'ils sont satisfaits du jugement, ils ne parlent pas d'activisme judiciaire; ils ne mentionnent pas cette expression.
Il n'y a pas beaucoup de lois qui ont été annulées, parce que le seul fait d'adopter la charte a incité les divers ministères de la justice du Canada à créer des comités chargés de vérifier les projets de loi avant de les présenter à la Chambre — à leurs Chambres respectives — pour voir si ces projets respectaient la charte. C'est principalement dans le domaine du droit administratif, qui contenait de nombreuses clauses de renversement du fardeau de la preuve et qui prévoyait des sanctions en cas de violation de la loi — certaines punissables par voie d'acte d'accusation, l'une d'entre elles punissable par une peine d'emprisonnement de cinq ans — avec des clauses de renversement du fardeau de la preuve.
Après que la Cour suprême ait prononcé quelques jugements — je crois que c'est le juge en chef Brian Dickson qui a rédigé ce jugement unanime —, les ministères se sont efforcés de nettoyer toute une série de lois en supprimant les clauses de renversement du fardeau de la preuve lorsqu'elles n'étaient pas justifiées.
Les clauses de renversement du fardeau de la preuve sont parfois justifiées. Il arrive que ce soit la personne en cause, le citoyen, qui soit la seule à pouvoir fournir une explication et celle-ci peut être vérifiée.
Le fait que certaines personnes parlent d'activisme judiciaire ne m'a jamais beaucoup ému. Il y avait des choses évidentes qu'il fallait corriger et qui ont été corrigées. Certaines formes de meurtre par interprétation constituaient un meurtre pour moi et mes collègues — parce qu'il ne faut pas l'oublier, il faut qu'il y ait au moins une majorité pour avoir un jugement; autrement, on n'en parle pas. Le meurtre par interprétation a été revu, parce que le meurtre est un crime qui exige une intention criminelle.
Je crois que c'est le jugement de cette époque qui a été le plus critiqué. Certains ont été critiqués dernièrement, l'affaire du kirpan ou les droits des homosexuels, mais là encore, ce sont des questions qui ne font jamais l'unanimité. La société se partage en deux parties pratiquement égales : la moitié de la population dit que les juges sont des activistes et l'autre moitié dit qu'ils ne vont pas suffisamment loin. C'est pourquoi les gens qui parlent d'activisme judiciaire ne me gênent pas.
Vous m'avez demandé quel effet cela avait-il eu sur la volonté du gouvernement d'être plus répressif. Je sais qu'il a dit qu'il voulait être plus répressif. Eh bien, le Code criminel est là. Il peut être très dur. Je ne pense pas que le fait que les tribunaux aient appliqué la charte et qu'ils aient annulé quelques lois qui ont été réadoptées par la suite — même si certaines d'entre elles n'ont pas été réadoptées...
N'oublions pas une chose, et c'est là un commentaire non partisan. Les gouvernements successifs ont refilé à la Cour suprême et lui ont refilé encore récemment — et cela fait sept ans que je l'ai quittée — leurs patates chaudes. Ces gouvernements veulent obtenir des bons points, s'il est possible d'en obtenir, mais ils ne veulent pas se faire critiquer. Le lendemain du jour où la Cour suprême prononce un jugement, il y a un sondage pour voir si le jugement est populaire ou non. Les commentaires des députés se fondent sur les résultats de ce sondage. Ils seront en faveur du jugement ou contre lui. J'appelle cela de l'activisme parlementaire.
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Pour la gouverne de ceux qui transcriront ce débat, il faut savoir que depuis que vous parlez de M. Ménard, vous parlez de M. Réal Ménard, membre régulier du comité. Je m'appelle Serge Ménard et je siège exceptionnellement à ce comité.
Comme je suis assistant, mon temps de parole n'est que de cinq minutes. Je poserai mes deux questions dès le début pour avoir ensuite vos réponses. Cela ne veut pas dire que je n'ai pas apprécié les présentations qui ont été faites. Au contraire, j'ai toujours apprécié les présentations du juge Lamer, et il le sait.
Professeur Ziegel, c'est la première fois que je vois un projet aussi ambitieux. Je regrette de ne pas l'avoir vu à la fin du dernier millénaire. J'espère qu'un jour quelqu'un se chargera de le mener à terme.
Monsieur le juge Lamer, je vous comprends lorsque vous dites qu'on ne doit pas poursuivre des buts secondaires. Finalement, vous avez carrément parlé de ce dont il s'agit, c'est-à-dire de mettre des policiers qui auront un objectif à poursuivre, quel qu'il soit.
Je pourrai répondre à certaines de vos questions, parce que j'ai l'avantage d'avoir siégé à beaucoup de comités de sélection. D'ailleurs, en 1977, c'étaient les premiers comités et les gens avaient été nommés par le ministre Marc-André Bédard. J'ai même assisté à la première réunion, présidée par le juge Alan B. Gold, où il fallait décider de la façon dont on fonctionnerait dans le cadre de cette nouvelle procédure. J'ai apprécié la contribution de membres du public aux séances de ces comités.
La question qui nous préoccupe ici concerne le fait de nommer des policiers pour siéger à des comités de sélection de juges des cours supérieures. Or, selon mon évaluation, et peut-être la vôtre rejoindra-t-elle la mienne, les juges des cours supérieures nommés par le gouvernement fédéral font très peu de droit criminel; M. Ziegel a parlé de 2 p. 100 de causes criminelles. L'énorme majorité des sentences qui sont rendues — à mon avis, au-delà de 99 p. 100 — et des procès criminels qui sont entendus le sont devant des juges de nomination provinciale.
Quoique je sois un partisan de garder des représentants du public, je me demande pourquoi il faudrait choisir — et je ne dis pas qu'un policier ne serait pas un bon représentant du public — systématiquement des policiers pour sélectionner des juges qui entendront majoritairement des causes de droit familial, de droit commercial, de droit de la responsabilité, etc. Ce choix m'apparaît injustifiable. J'aimerais donc que vous abordiez cet aspect.
Ensuite, monsieur Ziegel, il y a quelque chose qui m'intrigue quand je lis votre présentation, que je respecte beaucoup. J'ai l'impression que vous estimez que l'activité politique ne prépare pas bien une personne à la fonction judiciaire. Pourriez-vous préciser votre pensée?
Il est certain qu'en raison de l'intensité de l'activité politique d'aujourd'hui, on perd l'expérience acquise en plaidant. Bien qu'on soit législateurs, on a moins de temps pour consulter, lire et analyser la jurisprudence, de même que les nouvelles lois qui ne relèvent pas des fonctions qui nous ont été assignées, soit comme ministre ou comme porte-parole d'un parti politique. Pouvez-vous nous donner plus de détails sur cette question, monsieur Ziegel?
Juge Lamer, étant donné votre expérience à la Cour supérieure, à la Cour d'appel et à la Cour suprême du Canada — et je sais que vous avez fait le ménage dans toutes ces cours, mais particulièrement à la Cour supérieure à Montréal, où il y en avait beaucoup à faire —, pouvez-vous me dire si mon évaluation de 2 p. 100 est la bonne?
Je dirais aussi que j'ai lu une évaluation du juge en chef de la Colombie-Britannique, qui disait que 95 p. 100 des causes que ses juges entendaient ne relevaient pas du Code criminel.
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J'ai appelé le juge en chef du Québec et je lui ai parlé de plusieurs sujets. Il m'a dit que l'an dernier, 45 causes criminelles avaient été entendues par des juges de la Cour supérieure dans toute la province. On parle de 45 causes, alors que je suis convaincu qu'à la Cour du Québec, chambre criminelle, des milliers de ces causes sont entendues. Une proportion d'au-delà de 75 p. 100 des accusés plaident coupable en Cour provinciale. Je mentionne la Cour provinciale pour couvrir le Canada,
provincial courts.
Si le but est d'obtenir des peines plus sévères et de tighten up the criminal law — je l'ai dit dans mon entrevue, mais ça n'a pas été publié —, le premier ministre a bien le droit d'avoir cet objectif. Je pourrais être en faveur, mais j'estime qu'il s'y prend mal. Cela ne se fera pas en nommant des policiers qui vont mettre sur une liste les noms de juges qui ne font presque pas de droit criminel. À la Cour canadienne de l'impôt, ils n'en font pas du tout. C'est la même situation à la Cour fédérale : ils font des brevets. Que voulez-vous, ils n'en font pas du tout.
À la Cour supérieure, c'est une infime minorité de causes. Je vous donne le chiffre que le juge en chef m'a donné : 45 causes l'an dernier dans toute la province.
Ce n'est pas la façon de s'y prendre pour arriver à ses fins. Au palier fédéral, la voie pour avoir un impact sur le droit criminel est la voie législative. Je le comprends d'être frustré parce qu'il est à la tête d'un gouvernement minoritaire. Il ne peut réussir à mettre en vigueur sa politique. Je ne me prononce pas sur sa politique. Je ne m'en mêlerai pas, car je ne suis ni pour ni contre. J'ai des idées, mais je ne connais pas assez sa politique. Je comprends sa démarche de vouloir chercher ailleurs parce que sur le plan législatif, il y a des embûches, mais il cherche à la mauvaise place, dans un endroit inutile. Au fond, il n'y arrivera pas en nommant des juges à la Cour supérieure qui, croit-il, seront plus sévères.
J'aimerais dire quelque chose là-dessus, monsieur le président. J'ai été dans le milieu pendant au-delà de 50 ans. J'ai connu un procureur de la Couronne qui faisait son travail, qui était très efficace comme procureur et demandait des peines plus sévères que pas assez. Quand il a été nommé juge, il est passé à l'autre extrême : il a changé complètement. Un autre exemple est celui du juge Lagarde qui a écrit le Code criminel en français, le code annoté. Les policiers ne voulaient pas témoigner devant lui parce qu'il était impitoyable avec eux comme témoins. Il ne les croyait jamais. Peut-être avait-il raison puisqu'il avait été procureur de la Couronne, mais je ne le pense pas. Il allait trop loin. Vraiment, le juge Lagarde allait trop loin. On ne peut pas prédire le comportement d'un juge.
J'ai connu un juge — je ne le nommerai pas — qui, à 10 heures du matin, était « chaud ». Il arrivait à la cour complètement ivre. Il a été nommé juge à la Cour provinciale. Il a cessé de boire le jour de sa nomination et il est devenu, à la Cour criminelle de l'époque, la Cour des sessions de la paix, selon moi, un des meilleurs juges qu'on ait jamais eus. Je ne le nommerai pas à cause des mes premières remarques.
Le comité ne l'aurait pas inscrit à la liste des candidats, mais quand même... Donc, essayer de prédire le comportement d'une personne qui prête un serment de juge est impossible. Il pourrait y avoir trois policiers aux comités, quant à moi, mais c'est une question de perception. Je ne suis pas en faveur de cette façon de faire pour des raisons de perception. Je crois que les policiers sont capables, comme on le dit en anglais,
[Traduction]
de se montrer à la hauteur de la situation et de faire leur devoir comme il faut. J'en suis convaincu.
Je pense donc qu'il s'agit là d'un changement inutile et d'un changement regrettable, parce que l'objectif recherché a été expliqué à la Chambre des communes et que ce changement ne permettra pas d'obtenir des peines plus sévères, et il envoie un mauvais message à la population. Il est possible que la population approuve ce genre de mesure, parce que je pense — et je ne m'occupe pas habituellement de sondage — que si l'on faisait un sondage, la majorité des répondants diraient que les juges ne sont pas suffisamment sévères. Je pense que la population en général... Mais lorsque vous examinez une peine, il faut être prudent avant de conclure qu'elle est trop clémente, parce que, si vous n'avez pas participé à l'affaire, vous vous fondez sur des renseignements de seconde main fournis par la presse et vous n'avez pas toujours tous les faits que le juge a pris en considération.
Bien sûr, il y a des peines pour lesquelles il n'est pas nécessaire d'en savoir davantage et qui étaient, selon mon opinion et mon expérience, vraiment trop clémentes. Cela veut dire que certains juges ne devraient pas entendre d'affaires pénales et devraient se voir confier d'autres types d'affaires. Mais dans certaines provinces, ce n'est pas facile à faire parce que le juge en chef ne dispose pas toujours de suffisamment de juges. Il doit demander à ses juges de s'occuper de toutes sortes d'affaires. Dans une grande province comme l'Ontario, le juge en chef peut demander de siéger à des juges qui connaissent bien leur droit pénal. Dans certaines autres provinces, pas seulement l'Île-du-Prince-Édouard, tout le monde doit faire un peu de tout et c'est inévitable.
Le public a, d'après moi, la perception que le gouvernement essaie d'amener les juges à prononcer des peines plus sévères. Comme M. Ménard l'a mentionné, je dirais qu'il n'essaie pas d'influencer la liste des juges qui vont entendre des affaires pénales et qu'il n'atteindra pas son objectif. Je ne dis pas que je ne souscris pas à son objectif; ce n'est pas ce que je dis. Je dis simplement qu'il n'atteindra pas son objectif de cette façon.
Nous avons une discussion intéressante sur beaucoup de sujets aujourd'hui.
Je ne sais pas très bien quelle était la question que posait M. Comartin et il pourrait peut-être m'aider sur ce point. Il s'agit de la composition des comités consultatifs de la magistrature. Quelles sont les personnes qui vont en faire partie? N'était-ce pas l'essentiel de votre question? C'est à cela que je pense.
J'ai été principal d'une école secondaire et j'ai souvent eu à embaucher des professeurs. Le comité de sélection comprenait le surintendant des écoles et moi, deux membres du conseil scolaire, qui se trouvaient être tous les deux des agriculteurs — cela s'est étalé sur une période de 15 ans — et trois personnes du comité consultatif des parents. Il y avait parfois une infirmière, une ménagère ou un policier, des citoyens ordinaires.
Le comité se réunissait et il fallait choisir la personne qui obtiendrait le poste. Lorsque je participais à ces comités, je savais que le surintendant allait insister sur l'éducation. Combien d'années d'instruction avez-vous? Quels sont les diplômes que vous possédez? Je savais qu'il y avait certains membres du comité qui pensaient que les femmes devaient enseigner et les hommes, s'occuper d'agriculture, et qu'ils rechercheraient davantage des femmes. Je savais donc que du fait de sa composition, le comité avait des préférences avant même d'avoir commencé à parler des candidats.
Je ne vois pas comment une personne pourrait faire partie d'un tel comité sans avoir une certaine idée de ce qu'elle recherche chez un professeur. Pourquoi ces personnes n'auraient-elles pas le même sentiment au sujet du genre de personnes qu'elles aimeraient voir comme juges? Peu m'importe que cela soit un policier ou un principal d'école secondaire. J'ai une assez bonne idée de ce que je recherche chez un juge et je pense que M. Comartin sait ce que cela serait. Ce ne serait pas un mou; ce serait un dur, qui dirait que la peine doit correspondre au crime commis. Et j'agirais en conséquence.
En fait, je ne sais pas qui serait le meilleur juge. Bien souvent, je ne savais même pas qui serait, d'après moi, le meilleur enseignant, mais la plupart du temps, je suivais mon instinct, je savais que si cette personne se trouvait devant un groupe d'enfants, elle ferait de son mieux pour établir de bons rapports avec les enfants. Je veux la même chose lorsqu'il s'agit de juges, et je pense que les comités consultatifs de la magistrature peuvent le faire. Pour moi, la composition de ces comités est loin d'être aussi importante que les objectifs que recherchent les juges au Canada. Que voulons-nous obtenir?
La population, celle qui paie les factures, dit qu'elle n'est pas satisfaite. Vous avez raison, un sondage montrerait que la population n'aime pas beaucoup certaines décisions.
La semaine dernière, un juge a imposé une peine de neuf ans de prison, à Calgary. Est-ce exact, Art? Il y a eu appel et la peine a été ramenée à sept ans. Le jugement d'appel a suscité de vives réactions. Le juge a décidé que la peine était trop sévère et l'a diminuée. Eh bien, cela a déclenché une guerre. Calgary ne se trouve même pas dans ma circonscription, mais cette ville est suffisamment proche pour que des gens viennent dans mon bureau exiger que l'on fasse quelque chose au sujet du système judiciaire. Comment se fait-il que ce genre de choses arrive?
Je dis simplement que nous accordons trop d'importance à la composition du comité. Il y a des gens de toutes sortes. J'ai eu l'impression que vous laissiez entendre que les policiers constituaient un groupe de défense d'intérêts, et je m'oppose vigoureusement à ce que l'on fasse cette comparaison. J'espère que ce n'est pas ce que vous vouliez dire, mais c'est l'impression que j'ai eue et je voulais que vous le sachiez. Ils ne forment pas un groupe de défense d'intérêts spéciaux, pas plus que les autres membres qui siègent à ces comités. Je ne veux pas que l'on nomme quelqu'un parce qu'il veut défendre une cause particulière, mais j'attends toujours d'avoir une réponse à la question de savoir qui va décider des personnes qui seront membres de ces comités et comment ils seront composés.
Vous avez dit qu'il faudrait élaborer un règlement et qu'il faudrait l'appliquer. Eh bien, qui va rédiger ce règlement? C'est ce que je ne comprends pas très bien. Nous abordons toutes sortes de questions au sujet de l'activisme et d'autres sujets. Je voudrais rester sur le sujet des comités consultatifs de la magistrature. Quelle est leur composition? Pourquoi leurs membres ont-ils été choisis? Pourquoi faudrait-il en supprimer quelques-uns et pas d'autres?
Je ne pense pas qu'ils devraient être tous des avocats. Nous n'avons que des avocats dans notre comité et cela me rend fou. Nous avons toutes sortes de groupes d'intérêts spéciaux.
Je pense que cela est directement relié à ce que j'ai dit dans mon mémoire, à savoir que c'est le Parlement qui devrait se prononcer sur ces questions et non pas le gouvernement au pouvoir. Comme je l'ai souligné, les juges sont nommés — jusqu'à ce qu'ils atteignent l'âge de la retraite — non pas pour servir les objectifs que s'est donnés un gouvernement en particulier, mais pour servir le pays et la population.
Dans la plupart des autres domaines du droit, il faut consulter le Parlement; celui-ci doit donner son approbation. Si, dans sa sagesse, le Parlement décidait qu'il voulait l'avis de membres d'un comité, qui comprendrait des policiers et des personnes ayant une attitude très répressive, alors qu'il le fasse. Je ne serais peut-être pas favorable à une telle décision, mais au moins je saurais que c'est ce que prévoit la loi et qu'une majorité des députés a approuvé cette orientation.
Mais je m'oppose vivement à l'idée, qui a été mise de l'avant depuis 140 jours, selon laquelle la nomination des juges est une prérogative qui appartient à un gouvernement donné. J'ai souvent soutenu — et je ne suis pas le seul — que c'est un abus. C'est un pouvoir qui a été utilisé de façon abusive pendant 140 ans et c'est le principal point sur lequel le comité devrait travailler. Je pense que nous accordons beaucoup trop d'importance à la question de la répression du crime, malgré ce qu'a dit le juge en chef.
D'autres ont dit qu'en fait, les juges des cours supérieures ne jugeaient qu'un très faible pourcentage d'affaires pénales. Je pense que nous ne respectons pas vraiment la notion de nominations à la magistrature lorsque nous privilégions un très faible pourcentage d'affaires qui sont décidées par une très faible minorité de juges. N'oublions pas qu'il y a également des cours d'appel et que, si la Couronne estime que le juge de première instance a été trop clément, elle peut faire appel — ce qu'elle fait d'ailleurs souvent.
Je me souviens que le juge en chef Lamer avait entendu, il y a quelques années, toute une série d'appels provenant du Manitoba et que la Cour avait déclaré que les juridictions manitobaines n'appliquaient pas de façon uniforme les politiques en matière de peines et que ces dernières étaient souvent trop clémentes. Il me paraît tout à fait faux d'affirmer que les cours d'appel ne sont pas sensibles à l'opinion publique, ni à ce qui constitue la peine appropriée.
Ce n'est pas une question facile et je ne suis pas d'accord avec vous, monsieur Lamer, lorsque vous dites qu'il faut adopter une attitude répressive. Je ne sais pas ce que cela veut dire. Si vous voulez dire que les longues peines d'emprisonnement sont la solution, je crois que vous trouverez beaucoup de criminologues qui ne sont pas de cet avis.
Mais laissons de côté cette question. Je voudrais dire qu'il y a des façons pour que la population fasse connaître son opinion. Il y a les cours d'appel. L'opinion publique influence les juges, cela est certain. Mais le point sur lequel j'aimerais revenir — et c'est un point absolument fondamental pour ma position —, c'est que nous ne devrions pas privilégier certains aspects. Notre principale priorité devrait être d'élaborer un projet de loi pour nous débarrasser de cette tradition qui dure depuis 140 ans et qui donne au gouvernement du jour le pouvoir de décider qui sera nommé juge et comment il procédera à cette nomination. Tant que nous n'aurons fait ce pas, qui est un pas énorme, d'après moi, nous continuerons à débattre de cette question sans faire progresser les choses.
Comme je le dis dans mon mémoire, j'ai comparu trois fois en trois ans devant le comité. Je ne me fais pas d'illusions sur mon propre rôle, mais je constate que les travaux du comité n'ont guère d'effet, parce que ses membres ne sont pas disposés à proposer une solution législative.
Ma principale préoccupation vient du fait que, quelles que soient les recommandations du comité, le gouvernement n'en tiendra aucun compte s'il les désapprouve. Bien évidemment, si le comité montre que le gouvernement a fait preuve de partialité, il se sentira vengé, mais si le comité ne s'entend pas sur une solution, le gouvernement va tout simplement mettre de côté ces recommandations et poursuivre son action.
Comme je l'ai soutenu, il faut adopter un projet de loi pour à la fois réaffirmer le rôle qui appartient au Parlement dans cette situation et pour mettre un terme, de façon définitive, au système de nomination, très subjectif et non axé sur le mérite, qui est le nôtre actuellement.