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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 054 
l
1re SESSION 
l
39e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 20 mars 2007

[Enregistrement électronique]

(0905)

[Traduction]

    La séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne est ouverte.
    Nous sommes le mardi 20 mars 2007. Tous les membres du comité, tout comme les témoins, ont, je crois, reçu l'ordre du jour. Nous poursuivons l'étude du processus de nomination des juges.
    J'aimerais remercier tous les témoins qui comparaissent ce matin devant le comité. Nous allons entendre M. Marc Giroux, commissaire par intérim du Bureau du commissaire à la magistrature fédérale, Judith Bellis, avocate générale, du ministère de la Justice. À titre personnel, nous allons entendre M. Sébastien Grammond, professeur à l'Université d'Ottawa, qui n'est pas encore arrivé mais qui ne va pas tarder, je crois, et M. Peter Russell, professeur de sciences politiques à l'Université de Toronto. Nous avons également J. Parker MacCarthy, président, et Mme Kerri Froc, analyste de politiques juridiques, de l'Association du Barreau canadien.
    Je propose de donner la parole aux témoins en suivant l'ordre dans lequel ils figurent sur l'ordre du jour. Je vais donc donner la parole à M. Marc Giroux.

[Français]

    Chers membres du comité,

[Traduction]

Je suis heureux et honoré d'avoir aujourd'hui la possibilité de vous communiquer des renseignements au sujet du processus de nomination des juges fédéraux et de répondre à vos questions. Je sais que je dispose d'une dizaine de minutes pour présenter mes remarques d'ouverture, et je m'efforcerai d'être bref.

[Français]

    Tout d'abord, je voudrais faire un très bref survol de notre bureau, pour ceux et celles qui le connaissent moins. Le Bureau du commissaire à la magistrature fédérale a été créé en 1978 en vertu de la Loi sur les juges et il a pour mandat de protéger l'indépendance de la magistrature, de soutenir les juges nommés par le gouvernement fédéral et de leur permettre d'avoir toute l'autonomie nécessaire face au ministère de la Justice. En effet, notre bureau est indépendant du ministère de la Justice.
    Je ne m'attarderai pas sur les divers services que notre bureau rend aux 1 066 juges nommés par le gouvernement fédéral, aux 400 juges à la retraite et aux 350 survivants de juges, mais il me fera plaisir de répondre à toute question à ce sujet, s'il y en a. Je passe donc directement à la question du processus de nomination judiciaire.

[Traduction]

    D'abord, un court rappel historique sur le processus de nomination des juges fédéraux et de ses comités. Le système a été annoncé en 1988 par l'honorable Ray Hnatyshyn, ministre de la Justice, et sa mise en place a été complétée en 1989 lorsque les comités consultatifs prévus par ce processus sont devenus opérationnels. À l'époque, 12 comités consultatifs comptant chacun cinq membres ont été constitués dans chaque province et territoire, et chacun comprenait un représentant de l'Association du Barreau canadien, un représentant du barreau de la province ou du territoire, le juge en chef et le procureur général de la province ou du territoire concerné et le ministre fédéral de la Justice. Ces comités étaient chargés de conseiller le ministre et de lui faire savoir si les candidats étaient qualifiés ou non qualifiés, aux fins de la nomination. Le commissaire à la magistrature fédérale a été chargé d'administrer ce processus.
    En fait, les ministres de la Justice qui se sont succédé au fil des ans ont apporté un certain nombre de modifications à ce processus. Je vais en mentionner quelques-uns. En 1991, par exemple, les deux cotes « qualifié » ou « non qualifié » ont été remplacées par les trois cotes suivantes: « fortement recommandé », « recommandé » ou « sans recommandation ». De plus, en 1994, le comité de l'Ontario a été remplacé par trois comités régionaux, et celui du Québec, par deux. On a ajouté aux comités deux membres supplémentaires désignés par le ministre de la Justice, afin d'augmenter la représentation des non-juristes. Le ministre de l'époque s'est aussi personnellement engagé à ne recommander au cabinet aucun nouveau candidat qui n'ait pas été recommandé au préalable par un comité consultatif de la magistrature. Cet engagement a confirmé une pratique qui est toujours suivie à l'heure actuelle.
    Un autre changement notable est survenu en 2005; un nouveau code de déontologie destiné aux membres des comités consultatifs de la magistrature a été rédigé et affiché sur notre site Web; ont également été affichés sur ce site le nom de tous les membres des comités, les nouvelles lignes directrices destinées aux membres des comités consultatifs ainsi que des renseignements concernant le nombre des candidatures à des postes de juge et les évaluations des comités.
    Cela dit, comment ce système fonctionne-t-il aujourd'hui? Eh bien, les comités consultatifs de la magistrature, des organes indépendants, demeurent un élément très important du processus de nomination. Ce sont les comités qui sont chargés d'évaluer les compétences des avocats et des juges des cours provinciales et territoriales qui font acte de candidature.
(0910)

[Français]

    Il y a au moins un comité par province et par territoire. Comme l'Ontario et le Québec ont une plus population plus importante, on y compte respectivement trois et deux comités. La durée du mandat de certains de ces comités est maintenant de trois ans, tandis qu'elle est toujours de deux ans pour les autres. Puisqu'il y a désormais un membre représentant la collectivité des responsables de l'application de la loi, chaque comité compte huit membres, c'est-à-dire un juge représentant le juge en chef de la province ou du territoire, un représentant du barreau de la province ou du territoire, un représentant de la division de l'Association du barreau canadien de la province ou du territoire, un représentant du procureur général de la province ou du territoire, un représentant de la collectivité des responsables de l'application de la loi et trois personnes représentants le ministre fédéral de la Justice.
    Les membres qui sont juges sont maintenant aussi automatiquement présidents des comités, mais ils ne peuvent voter qu'en cas d'égalité des voix, bien que les comités formulent d'habitude leurs recommandations à la suite d'un consensus.
    Il y a aussi un nouveau comité consultatif à la magistrature pour la Cour canadienne de l'impôt qui compte cinq membres: un juge de la Cour canadienne de l'impôt et quatre autres personnes désignées par le ministre de la Justice, après consultation avec le juge en chef de la Cour canadienne de l'impôt. La création de ce comité constitue un projet-pilote d'une durée d'un an.
    Le commissaire à la magistrature fédérale a la responsabilité de diriger le processus de nomination au nom du ministre de la Justice. Il doit s'acquitter de son devoir de telle manière que soient traités tous les candidats à la magistrature dans un esprit d'équité et d'égalité. Le commissaire ou son délégué, la directrice exécutive pour les nominations à la magistrature, assiste à chaque réunion du comité à titre de membre ex officio et fait le lien entre le ministre et les comités. De même, le Secrétariat des nominations à la magistrature de notre bureau assure l'appui administratif aux comités, notamment au cours des séances d'information. Il le fait aussi en ce qui a trait aux lignes directrices relatives à la confidentialité et aux autres procédures. Toutes les séances et consultations des comités se déroulent de manière confidentielle.
    Compte tenu de cette structure, que doit-on faire lorsque l'on veut devenir juge? L'avocat qui est qualifié ou le juge d'une cour provinciale ou territoriale qui veut poser sa candidature à un poste de juge d'une cour supérieure de la province ou du territoire, à la Cour fédérale, à la Cour d'appel fédérale ou à la Cour canadienne de l'impôt, doit s'adresser au commissaire à la magistrature fédérale.

[Traduction]

    On demande aux candidats de remplir une fiche de candidature qui fournit au comité les données fondamentales qui lui serviront à faire son évaluation. Outre les renseignements habituels qui figurent dans un curriculum vitae, cette fiche comprend des renseignements sur les activités antérieures autres que juridiques du candidat, ses autres activités professionnelles et communautaires, et sa capacité d'instruire les causes dans les deux langues officielles, les qualifications pertinentes à son éventuelle nomination et certains aspects personnels, comme sa santé et sa situation financière. On demande également aux candidats de signer le formulaire d'autorisation qui permet à notre bureau d'obtenir auprès du ou des barreaux concernés une attestation de leur statut de membre en règle.
    Lorsque notre bureau conclut que le candidat répond aux conditions légales de nomination à la magistrature — en général, on doit avoir été membre d'un barreau pendant 10 ans —, il transmet le dossier au comité consultatif compétent pour évaluation, ou pour observations seulement s'il s'agit d'un juge d'une cour provinciale ou territoriale.
    Lorsque le comité consultatif de la magistrature est saisi d'une candidature, la compétence professionnelle et le mérite constituent les principaux critères d'évaluation. Il est remis aux membres du comité des critères d'évaluation permettant d'évaluer l'aptitude du candidat à la magistrature. Sans aller dans tous les détails, ces critères ont trait à sa compétence et à son expérience professionnelle, à sa maîtrise de l'autre langue officielle, aux qualités personnelles et aux facteurs qui pourraient faire obstacle à sa nomination. On invite les comités à tenir compte de l'importance de la diversité au sein de la magistrature et de l'ensemble de l'expérience juridique du candidat, y compris celle d'une pratique juridique non conventionnelle. Le comité effectue pour chaque candidat de vastes consultations dans les milieux juridiques et non juridiques. Les comités évaluent le candidat à une nomination à la magistrature en fonction de deux cotes: « recommandé » ou  « sans recommandation ».
    Lorsque l'évaluation est complétée, le candidat est avisé de la date à laquelle il a été évalué. L'évaluation est valable pour une période de deux ans. Les résultats demeurent strictement confidentiels et sont uniquement communiqués au ministre. L'évaluation de chaque candidat doit être certifiée par le commissaire ou par son délégué avant d'être remise au ministre
(0915)

[Français]

    La candidature d'un juge d'une cour provinciale ou territoriale est traitée en général selon le même processus. Cependant, ces candidatures ne sont pas évaluées comme telles, mais transmises au comité compétent pour observations.
    Enfin, lorsque le ministre veut combler un poste vacant, notre bureau prépare les recommandations nécessaires, qui devront être signées par le ministre, en ce qui a trait à la nomination des juges puînés, et par le premier ministre, en ce qui a trait à la nomination des juges en chef.
    Merci, monsieur le président. Je serai heureux de répondre plus tard aux questions que les membres du comité pourraient vouloir poser.

[Traduction]

    Merci, monsieur Giroux.
    Nous allons maintenant entendre Judith Bellis, du ministère de la Justice.
    Comme le président du comité l'a mentionné, je suis avocate générale et directrice des Services des affaires judiciaires du ministère de la Justice. Pour vous donner une brève idée du rôle de mon bureau, je vous dirais que la section des affaires judiciaires fournit des conseils spécialisés sur des questions juridiques et de politique au ministre de la Justice, au sous-ministre, ainsi qu'à tous les autres fonctionnaires du gouvernement sur toute question touchant les tribunaux et la magistrature du Canada.
    À la demande du commissaire à la magistrature fédérale, mes services fournissent également des conseils juridiques sur l'administration de la partie I de la Loi sur les juges et sur les questions connexes. Ce sont les dispositions qui traitent de la rémunération et des avantages sociaux accordés aux juges des cours supérieures canadiennes.
    En tant que directrice des Services des affaires judiciaires, je seconde et conseille le sous-ministre et le ministre sur toutes les grandes questions juridiques et de politique judiciaire, en particulier dans le contexte parlementaire et exécutif. Les Services des affaires judiciaires sont chargés d'élaborer et de coordonner toutes les initiatives législatives en matière de politique judiciaire, y compris les modifications apportées à la Loi sur les juges. Mes services élaborent des politiques et coordonnent l'intervention du gouvernement dans le domaine de la rémunération et dans d'autres secteurs ayant des répercussions financières pour le gouvernement. Nous préparons tous les documents dont a besoin le cabinet et nous élaborons des instructions de rédaction législative concernant les nouveaux projets de loi ou les modifications législatives.
    Mes services jouent un rôle clé pour le ministère et pour le gouvernement à l'égard de la Commission d'examen de la rémunération des juges. Moi et l'avocat-conseil, le sous-procureur général adjoint pour le contentieux civil, sommes chargés d'élaborer les observations que le gouvernement présente à la commission quadriennale et de tous les aspects de ce processus devant la commission.
    Lorsque la commission a présenté son rapport, mes services préparent la réponse du ministre de la Justice et mettent en oeuvre les recommandations de la commission en suivant les processus parlementaires et exécutifs, y compris les comparutions devant le comité de la Chambre des communes et le comité sénatorial, ce qui nous a amenés, bien évidemment, à comparaître devant votre comité un certain nombre de fois sur ces questions.
    Nous exerçons également une fonction d'élaboration de politiques concernant les autres lois qui régissent ce que nous appelons les tribunaux de l'article 101: la Cour suprême du Canada, la Cour fédérale, la Cour d'appel fédérale, la Cour de l'impôt, la Cour d'appel de la Cour martiale et tous les règlements connexes. Par exemple, nous sommes responsables de l'élaboration de la politique et de la mise en oeuvre de la Loi sur le Service administratif des tribunaux judiciaires en 2003. Ces services sont fournis aux tribunaux de l'article 101, à l'exception de la Cour suprême du Canada.
    Nous exerçons un certain nombre d'autres fonctions de liaison avec les organismes judiciaires importants, par exemple. Nous participons à tous les contentieux importants qui concernent les tribunaux, jusque devant la Cour suprême du Canada, ce qui nous amène à donner des directives à nos clients, si vous voulez, aux avocats dans des affaires comme celle des juges de l'î.-P.-É. et l'affaire Bodner, que les membres du comité connaissent bien, je le sais.
    Voilà donc un bref aperçu de ce que font mes services et de ce que je fais. Je vais maintenant expliquer ce que ne font pas les Services des affaires judiciaires, ce qui vous expliquera peut-être pourquoi je risque de ne pas être particulièrement utile au comité aujourd'hui, même si j'espère quand même pouvoir apporter certains éléments utiles sur certains sujets.
    Comme l'a indiqué M. Giroux, c'est pour respecter l'indépendance — c'est-à-dire pour soustraire les nominations judiciaires à toute apparence d'influence exercée par le chef du contentieux devant nos tribunaux, le ministère de la Justice, que le processus de nomination des juges est administré par le bureau du commissaire. Ni le sous-ministre de la Justice, ni les Services des affaires judiciaires, ni aucun autre fonctionnaire du ministère de la Justice ne participe directement au processus de nomination des juges. Nous ne participons ni à la création, ni au fonctionnement des comités de nomination des juges.
(0920)
    Cela dit, nous fournissons, à la demande du ministre de la Justice, des conseils en matière de réforme du processus de nomination des juges, comme je l'ai dit, si cela nous est demandé. Par exemple, les Services des affaires judiciaires ont conseillé les deux gouvernements successifs, le gouvernement précédent et le gouvernement actuel, sur les options en matière de réforme du processus de nomination des juges de la Cour suprême du Canada. Cela nous a ainsi amenés à faire une étude comparative qui a précisé divers éléments des différents types de commissions qui existent au Canada. Nous avons des tableaux qui décrivent, sur une base comparative, les différents éléments de ces processus. Je possède également des documents qui présentent un aperçu général du processus de nomination des juges dans un certain nombre de pays du Commonwealth. Je serais très heureux de les communiquer au comité s'il le juge utile.
    Voilà pour l'essentiel ce que je voulais dire, monsieur le président. Je serais heureuse de répondre aux questions, si je suis en mesure de le faire.
    Merci, madame Bellis.
    Avant de passer à l'intervenant suivant, je tiens à saluer un ancien député, Eric Lowther, et sa femme. Je sais qu'il a invité un certain nombre de citoyens de Calgary à assister à cette séance. Je leur souhaite une cordiale bienvenue, et je suis sûr qu'ils trouveront notre réunion très intéressante.
    J'aimerais également signaler la présence des médias. Les médias vont téléviser intégralement notre séance. Ils ont exprimé le désir de le faire.
    Nous allons maintenant poursuivre avec M. Grammond. Vous avez la parole.

[Français]

    Mon nom est Sébastien Grammond et je suis professeur à l'Université d'Ottawa. Je vais m'exprimer dans les deux langues. Ma présentation d'aujourd'hui s'intitule « Une loi pour dépolitiser le processus de nomination des juges ». Je vais résumer essentiellement en deux propos le document que j'ai fait traduire et qui vous a été transmis.
    Premièrement, le système actuel tel qu'il a été modifié récemment est insatisfaisant. Il ne permet pas d'assurer l'apparence d'indépendance de la magistrature.
    Deuxièmement, pour remédier à la situation, il faudrait que le Parlement adopte une loi pour encadrer le processus de nomination des juges.
(0925)

[Traduction]

    Ma première question est donc de savoir si le principe de l'indépendance de la magistrature a un rôle à jouer à l'étape de la nomination des juges. Lorsqu'on examine la jurisprudence, on constate que la plupart des règles relatives à l'indépendance de la magistrature concernent les juges en fonction; il ne faut pas diminuer leur salaire et faire ce genre de choses. Mais je pense que, si l'on examine les principes fondamentaux, on constate qu'il est absolument nécessaire que le processus de nomination soit, et paraisse être, libre de toute ingérence politique.
    À la page 4 de mon document, je cite le juge en chef Lamer de la Cour suprême, qui a déclaré qu'un des objectifs de l'indépendance de la magistrature est le maintien de la confiance du public dans l'impartialité de la magistrature. C'est pourquoi, à mon avis, le processus de nomination, et en particulier les comités consultatifs, doit être conçu de façon à éviter toute apparence de partialité. En outre, le processus de nomination ne devrait pas être utilisé pour favoriser une politique particulière.
    Je vais vous donner un exemple pour illustrer cette idée. Il va peut-être vous paraître drôle, mais supposez pour l'instant que le gouvernement au pouvoir décide de nommer à ces comités un représentant des syndicats. Les syndicats sont des organismes très importants; ils représentent une proportion importante de la main-d'oeuvre, et il est donc également important qu'un large secteur de la population participe au processus de nomination des juges. Bien entendu, vous pourriez dire que cela n'est pas juste, parce que les syndicats favorisent habituellement certains intérêts, et que, si l'on voulait mettre sur pied un processus équitable, il faudrait que les entrepreneurs soient aussi représentés. Mais à part cet aspect, je dirais que le problème fondamental que soulève une telle approche est qu'il ne faut pas considérer le processus de nomination comme un moyen de permettre à un groupe d'intérêt particulier, comme les syndicats, les entrepreneurs ou — et vous allez comprendre où je veux en venir — les policiers de faire entendre leur voix.
    C'est la raison pour laquelle je pense qu'il faudrait clairement préciser que les personnes qui sont membres des comités de nomination de la magistrature ne sont pas chargées de représenter un groupe particulier.

[Français]

    Le deuxième point que je voudrais soulever, c'est qu'il me semble que le processus de nomination des juges devrait être prévu par la loi. Nous avons vu au cours des derniers mois que la composition des comités a été modifiée sans que la communauté juridique ait été consultée. Cela a donné lieu, entre autres, au genre de problèmes que je viens d'exposer. Pour donner davantage de stabilité et de transparence au processus, je crois qu'il serait souhaitable qu'une loi en énonce les principaux paramètres, plutôt que de laisser cela à la discrétion du ministre comme c'est le cas actuellement.
    Vous me direz que ce que je propose est impossible à cause de l'article 96 de la Constitution qui dit que les juges sont nommés par le gouverneur général, donc, par le Cabinet. Il faut bien comprendre la portée précise de l'article 96, qui indique le niveau de gouvernement qui a le pouvoir de nommer les juges des cours supérieures.
    Examinons l'historique de l'article 96 pour découvrir les objectifs poursuivis par les Pères de la Confédération. Ces objectifs sont de deux ordres: premièrement, garantir l'indépendance de la magistrature et, deuxièmement, assurer la création d'un système judiciaire unifié sur le modèle des tribunaux britanniques, donc un système judiciaire qui aurait compétence pour statuer sur des questions qui intéressent des lois fédérales et des lois provinciales. Ce n'est pas comme aux États-Unis, où ce sont vraiment des tribunaux d'État qui statuent sur les causes impliquant des lois d'État et des tribunaux fédéraux qui n'ont compétence que lorsqu'une loi fédérale est en cause.
    Donc, il y a un système unifié. Étant donné la nature unifiée du système, on a dit qu'on allait partager, si vous voulez, la compétence de ces tribunaux. La création des tribunaux et la procédure en matière civile sont de compétence provinciale. La nomination des juges et le paiement des juges sont de compétence fédérale. Toutefois, il n'y a absolument rien dans l'historique de l'article 96 ou dans les objectifs que je viens de mentionner qui indique spécifiquement qu'il s'agit d'une discrétion réservée au Cabinet et que le Parlement n'a aucune compétence pour adopter une loi qui encadre le processus.
    Je signale que le Parlement a, dans les faits, adopté une telle loi, parce que l'article 3 de la Loi sur les juges dit que seules peuvent être nommées juges des personnes qui ont 10 ans d'expérience comme membres du barreau. Or, cette limite ne figure pas dans le texte de l'article 96. Ou bien c'est invalide, ou bien il faut conclure que le Parlement a bel et bien compétence pour encadrer le processus de nomination. J'ajouterais simplement que tout cela est compatible avec notre structure de gouvernement, où il y a une séparation des pouvoirs très nette entre les branches exécutives et législatives, d'une part, et le pouvoir judiciaire, d'autre part, mais pas de séparation entre le Parlement et l'exécutif, enfin pas de séparation constitutionnelle.
    Dans notre pays, contrairement aux États-Unis ou en France, où l'exécutif a ses pouvoirs propres auxquels le Parlement ne peut pas toucher, l'exécutif est généralement considéré comme étant subordonné au Parlement. Donc, une loi qui encadrerait le processus de nomination des juges ne violerait aucun principe constitutionnel et serait compatible avec l'article 96 de la Constitution.
(0930)

[Traduction]

    Je vais maintenant faire quelques brèves remarques sur ce que devrait contenir cette loi. Il existe des modèles ailleurs, et je n'irai pas dans les détails, mais à mon avis, cette loi devrait prévoir deux choses importantes.
    Premièrement, la loi devrait préciser la composition de ces comités. Il faudrait également que tous les membres de ces comités ne soient pas choisis par le même organisme. À l'heure actuelle, il me semble — si l'on tient compte du fait que le président du comité n'a pas, dans la majorité des cas, le droit de voter — que le ministre de la Justice a le pouvoir de nommer la majorité des membres des comités. J'estime que cela ne devrait pas être le cas. Il faudrait répartir le pouvoir de nommer ces membres, peut-être en renforçant la participation des provinces, de façon à ce que ces comités représentent de larges secteurs de l'opinion publique et ne représentent pas simplement un moyen pour le ministre de faire connaître son point de vue dans ce processus.
    Le deuxième aspect qui me paraît crucial est la méthode de mise en oeuvre des recommandations. À l'heure actuelle, le produit final des comités, si je peux m'exprimer ainsi, est une simple recommandation. Le ministre n'est pas tenu de recommander une personne en particulier, et étant donné que de nombreuses personnes sont recommandées, le ministre peut choisir le candidat retenu parmi un groupe de candidats assez important.
    Cela est très différent du processus utilisé en Ontario, où la loi précise que les comités doivent remettre au ministre une liste contenant deux personnes ou plus pour chaque poste à combler. Cela limite d'autant les pouvoirs discrétionnaires du ministre. Cela est également différent de la réforme du processus de nomination adopté en Grande-Bretagne, où la liste établie est très courte — elle ne contient qu'un nom. Le lord chancelier, qui a le pouvoir formel de nommer les juges, n'a pratiquement pas le pouvoir de refuser de nommer ce candidat. Le seul cas où il peut le faire est lorsqu'il entretient des doutes au sujet du mérite ou des compétences de la personne proposée.
    En adoptant un système de ce genre, on réduirait grandement l'influence des partis sur le processus de nomination des juges.
(0935)

[Français]

    C'était, en bref, mes suggestions quant à la réforme du processus.
     Je suis disponible pour répondre à vos questions.

[Traduction]

    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur.
    Monsieur Russell.
    Je suis un professeur qui a consacré une bonne partie de sa vie à étudier la nomination des juges au Canada et ailleurs. J'ai toujours cherché à améliorer ce processus. J'ai suivi avec grand intérêt la discussion des changements apportés par le gouvernement fédéral au système fédéral de nomination des juges. Je suis venu ici vous présenter 10 points. Ils ont déjà été publiés, mais je vais vous les présenter en détail, parce que je pense qu'ils pourraient éclairer et préciser la question à l'étude aujourd'hui.
    Mon premier point est que, sur le plan des nominations partisanes à la magistrature, il n'y a pas vraiment de différence entre le gouvernement conservateur Mulroney et les gouvernements libéraux Martin et Chrétien. Ils ont tous accordé — et voilà, je vais le dire — une importance indue aux considérations politiques lors de la nomination des juges. Pour ces trois gouvernements, ces considérations avaient davantage à voir avec les liens personnels et politiques qu'avec des questions d'idéologie.
    Je pense que les Canadiens en ont assez d'entendre les deux partis, conservateurs et libéraux, dire: « Vous pensez que ce que nous faisons n'est pas bien? Eh bien, les autres ne faisaient pas mieux. » Je pense que cela ne peut que rendre les citoyens canadiens encore plus cyniques.
    Je suis ici aujourd'hui — et j'approuve tout à fait ce qu'a déclaré mon collègue, M. Grammond — pour vous demander d'examiner la façon dont il faut choisir les juges sans tenir compte de considérations partisanes. Ce processus a déjà été bien trop politisé.
    Mon deuxième point est que la nomination d'avocats qui ont été actifs en politique n'est pas nécessairement une mauvaise chose. Ce n'est pas parce que quelqu'un a fait de la politique que cette personne ne peut être un bon juge. Elle pourrait fort bien être un excellent juge. Cela n'est mauvais que si les considérations politiques ou idéologiques prennent le pas sur les considérations liées à la compétence professionnelle dans le domaine du droit. C'est là mon deuxième point.
    Troisièmement, le système des comités consultatifs, qui a été mis sur pied, comme M. Giroux l'a mentionné, en 1988 au palier fédéral, a perpétué l'influence indue du favoritisme politique. C'était en fait un système de camouflage et je vais vous expliquer comment il fonctionnait.
    Le comité recevait une liste des candidats qui avaient les 10 ans d'expérience professionnelle exigés. Les membres du comité indiquaient ensuite — les comités avaient une longue liste — quels étaient les candidats qui étaient hautement recommandés — les candidats excellents, magnifiques, les meilleurs, les stars — et il y avait ensuite les autres, qui étaient simplement recommandés.
    N'importe qui dirait: « Eh bien, le gouvernement choisissait certainement ceux qui étaient hautement recommandés ». Ce n'est pas le cas. Bien souvent, c'était les candidats qui étaient simplement recommandés, qui n'étaient pas aussi bons que les autres, d'après les comités d'évaluation — cinq personnes et ensuite, sept personnes avaient estimé qu'ils n'étaient pas aussi bons que d'autres figurant sur la liste du ministre —, qui étaient nommés.
    Un certain nombre d'entre nous avons étudié ce processus de façon très détaillé. Les gouvernements mettaient de côté les candidats hautement recommandés et choisissaient des candidats recommandés de façon à nommer leurs amis politiques; ils transformaient en un jeu politique la nomination des juges dans le système fédéral du Canada, tout comme celle des juges des cours supérieures des provinces et des territoires et des cours fédérales. Cela me paraît honteux. Comme Canadien, j'ai honte d'une telle pratique.
    Quatrièmement, en novembre 2005 — il n'y a pas très longtemps, c'était juste avant les dernières élections fédérales —, un sous-comité de ce comité, qui avait travaillé sur ce sujet pendant des mois et qui avait entendu de nombreux témoins, qui avait approfondi ce sujet, l'avait étudié, en était arrivé à un consensus. Certains d'entre vous en étaient membres. Je reconnais certains visages. Le comité avait reconnu qu'il fallait réformer les comités consultatifs. Je signale en passant que des membres qui font maintenant partie du gouvernement, comme M. Toews, étaient également de cet avis.
    Il faudrait modifier le système des comités pour que ceux-ci remettent au ministère de la Justice une liste — c'est la principale observation de M. Grammond — contenant les noms des trois à cinq personnes qui ont été jugées — et là je cite — « les plus aptes » à occuper une charge donnée. Les comités devraient élaborer une liste comportant uniquement les meilleurs candidats; c'est tout. Cela reviendrait à supprimer la pratique néfaste des longues listes. C'est cette pratique néfaste qui permettait au favoritisme politique de jouer un rôle indu. Malheureusement, le comité n'avait pas achevé son rapport final lorsque les élections ont été déclenchées.
(0940)
    Cinquièmement, la réforme préconisée par le comité parlementaire que je viens de mentionner aurait aligné le système fédéral de nomination des juges sur les réformes que les provinces ont apportées à leur propre système. En effet, la plupart des provinces ont créé, il y a quelques années — et je pourrais ajouter à ce qu'a déclaré M. Grammond à ce sujet —, par une loi, des organismes équilibrés et indépendants chargés d'évaluer les candidats à la magistrature et de soumettre au gouvernement des listes restreintes proposant les candidats les plus qualifiés. J'ai présidé un de ces tout premiers comités en Ontario.
    Curieusement, cela veut dire que les juges des tribunaux provinciaux de rang inférieur sont choisis en fonction de critères de compétence plus rigoureux que les juges des cours provinciales et territoriales nommés par le gouvernement fédéral. Des candidats qui n'avaient pas été retenus par ces comités provinciaux ont été nommés par le gouvernement fédéral en raison de leurs liens politiques avec le gouvernement. Je trouve cela honteux.
    Sixièmement, les réformes adoptées récemment par le gouvernement fédéral ont affaibli un système fédéral déjà vicié. La pire décision prise a été de retirer aux comités consultatifs la tâche consistant à désigner les meilleurs candidats, les candidats les plus compétents. Si vous demandez à un comité de vous présenter un avis au sujet des candidats, c'est bien évidemment le genre d'avis que vous voulez obtenir. En supprimant cette responsabilité, le gouvernement a rendu ces comités pratiquement inutiles, quelle qu'en soit leur composition.
    Septièmement, les réformes du gouvernement conservateur ont affaibli la capacité des comités d'évaluer les compétences des candidats en privant du droit de vote l'unique représentant du système judiciaire, le juge. D'après mon expérience de non-juriste présidant un de ces comités au palier provincial, je dirais que c'est bien souvent le juge qui est le mieux renseigné sur les besoins des tribunaux et sur le genre d'aptitudes et de connaissances spécialisées qui sont recherchées, ainsi que sur la compétence professionnelle des candidats.
    J'ai été heureux d'entendre M. Giroux préciser qu'en cas d'égalité, le juge a un vote décisif. Mais je peux vous dire, pour avoir siégé à ces comités, qu'il est bien préférable d'obtenir un consensus que de prendre une décision à quatre contre trois ou à quatre contre quatre. Cela revient en effet à recommander un candidat qui, pour la moitié des membres du comité, ne ferait pas un bon juge. Voulons-nous vraiment fonctionner de cette façon? Voulons-nous vraiment adopter un tel système au Canada? J'espère que non.
    Huitièmement, l'ajout au comité de personnes ayant une expérience de la police, le fait de restructurer des comités pour que les quatre membres nommés par le gouvernement fédéral forment la majorité, et la déclaration du premier ministre disant qu'il voulait des juges qui punissent plus sévèrement les criminels, tous ces facteurs permettent de croire que le gouvernement veut transformer les comités en organismes de contrôle idéologique plutôt qu'en organismes chargés de trouver les candidats à la magistrature les plus compétents . Ce passage à une évaluation idéologique des candidats menace particulièrement l'indépendance de la magistrature, puisque les juges qui souhaitent accéder à une charge judiciaire d'un rang plus élevé peuvent croire que leurs chances de promotion seront moindres s'ils n'appliquent pas le droit pénal avec la sévérité que recherchent la majorité des membres des comités consultatifs.
    Neuvièmement, le principal critère que le gouvernement conservateur semble vouloir appliquer lors de la sélection des juges est d'une importance assez mineure dans la plupart des postes de juge comblés par le gouvernement fédéral. Ce principal critère concerne le crime. Or, la plus grande partie du travail de la Cour fédérale, de la Cour de l'impôt et des cours supérieures des provinces porte sur des affaires civiles, qui exigent une grande compétence dans des domaines comme la responsabilité délictuelle, les contrats, la propriété intellectuelle, la fiscalité et le droit administratif. Au Canada, moins de 2 p. 100 des affaires pénales sont entendues par les cours supérieures des provinces, et c'est pourtant l'aspect qui semble privilégié — un critère qui intéresse un aspect très marginal de leur travail et qui consiste à rechercher les personnes favorisant la répression de la criminalité et provenant des milieux policiers.
(0945)
    Ma dernière remarque est que les changements apportés par le gouvernement conservateur au processus de sélection des juges revient à américaniser le système judiciaire canadien, sans toutefois adopter les mécanismes de contrôle prévus par le système fédéral des États-Unis.
    Comme les présidents américains, le premier ministre Harper veut nommer des juges sympathiques à l'idéologie de son parti. Ces choix ne seront pas toutefois soumis à un examen public et à une confirmation par un corps législatif comme le Sénat américain. Le comité des affaires judiciaires du Sénat des États-Unis veille à ce que les candidats à la magistrature choisis pour leurs vues politiques respectent des normes assez élevées de compétence professionnelle. Le système canadien de nomination des juges fédéraux ne comporte ni contrôle, ni examen public de ce genre.
    En résumé, le nouveau système de nomination des juges que veut instituer le présent gouvernement s'écarte des propositions de réforme présentées récemment par un sous-comité parlementaire du comité et fait passer au second plan le critère du mérite pour privilégier les considérations idéologiques en s'inspirant du modèle américain, sans toutefois adopter les mécanismes de contrôle prévus aux États-Unis. Ces changements ne devraient pas être adoptés avant d'avoir été soigneusement examinés et approuvés par le Parlement.
    Je suis très heureux de constater que la motion de M. Ménard a reçu l'appui du comité de la justice et que le Parlement fera une étude approfondie des changements apportés par le gouvernement au système de sélection des juges fédéraux, ce qui est tout à fait nécessaire.
    Je vous remercie.
    Merci, monsieur Russell.
    Nous allons maintenant entendre M. J. Parker MacCarthy de l'Association du Barreau canadien.
    Monsieur le président et honorables membres du comité, je vous remercie de m'avoir invité à vous parler aujourd'hui du processus de nomination de la magistrature fédérale à titre de président de l'Association du Barreau canadien. Je suis un avocat en exercice. Je vis et pratique ma profession sur l'île de Vancouver, en Colombie-Britannique.
    Lorsque les Canadiens comparaissent devant un juge, ils veulent être sûrs que le juge est impartial. Cela veut dire que le juge doit être impartial par rapport aux partis, mais également impartial par rapport aux intérêts du gouvernement dans l'affaire entendue. Autrement dit, le public doit être sûr que, lorsque les juges tranchent une affaire, ils ne se demandent pas si l'issue de l'affaire va plaire ou non au gouvernement au pouvoir.
    La méthode de nomination des juges que préconise l'Association du Barreau canadien est fondée sur les principes de l'indépendance, de la transparence et du mérite. Cela fait longtemps que nous préconisons une telle méthode. Par exemple, nous avons adopté en 1957 une résolution qui déclarait que les juges doivent être choisis parmi les membres éminents de la profession, sans tenir compte des leurs opinions politiques.
    Le rapport McKelvey sur la nomination des juges préparé pour l'ABC en 1985 présentait une série de mesures visant à réduire l'influence politique sur le processus de nomination des juges. Ce rapport important recommandait la création de comités consultatifs de la magistrature et l'adoption de mesures garantissant que les nominations seraient dépolitisées et fondées sur le mérite. Le gouvernement Mulroney a adopté cette méthode en 1988.
    Je voudrais préciser très clairement la différence qui existe entre la partisanerie dans la nomination des juges et le fait que les candidats à des postes judiciaires aient exercé des activités politiques. C'est un aspect que M. Russell n'a fait qu'effleurer. Le fait d'être actif en politique ne devrait pas empêcher quelqu'un de poser sa candidature. Au contraire, ce genre de participation montre que le candidat recherche activement le bien de sa collectivité et de son pays. Il ne faudrait pas toutefois que les candidats soient recommandés en fonction de considérations partisanes. C'est pourquoi l'Association du Barreau canadien recommande une période d'attente de deux ans pour que les personnes qui ont exercé des activités politiques puissent poser leur candidature à une charge de juge.
    Le dossier de l'ABC montre que cette organisation a travaillé avec les gouvernements de différentes couleurs politiques dans le but d'améliorer le processus de nomination des juges. Vous pouvez comprendre notre déception lorsque nous avons constaté que les changements annoncés au mois de novembre avaient été introduits sans que ceux qui connaissent bien le processus n'aient été consultés. Cela a été d'autant plus surprenant que le système des comités consultatifs donnait d'assez bons résultats. Il n'était pas parfait, puisque c'est une entreprise humaine, mais la façon tout à fait arbitraire qui a été choisie pour introduire ces changements aura de graves répercussions sur la façon dont les Canadiens perçoivent le caractère équitable du système mis en place.
    Je vais laisser de côté la façon dont les changements ont été annoncés pour aborder l'effet des changements eux-mêmes. Premièrement, nous reconnaissons que le fait de décaler dans le temps le mandat des membres du comité consultatif de la magistrature est susceptible d'améliorer le système, même si nous pensons qu'il serait préférable de décaler la durée du mandat des membres individuels de chacun des comités de façon à assurer une certaine continuité. Deuxièmement, nous sommes favorables à la mise sur pied d'un comité consultatif spécial pour les nominations à la Cour de l'impôt, même si nous pensons que le comité devrait comprendre des membres nommés par des organisations juridiques spécialisées en fiscalité. Cependant, les autres changements donnent à penser que le gouvernement souhaite influencer les délibérations de ces comités par des considérations partisantes. Cela compromet l'objectif fondamental de ces comités, à savoir veiller à ce que les candidats les plus compétents soient retenus. Nous pensons qu'il faudrait supprimer ces changements.
    Permettez-moi de signaler trois graves lacunes.
    Premièrement, notre association craint que le fait de nommer un représentant d'un milieu particulier pourrait être perçu comme visant davantage à influencer la nature des décisions judiciaires qu'à tenir compte des qualités personnelles des candidats à la magistrature. Les comités ont pour rôle d'évaluer, de façon impartiale, le mérite des candidats. Nous reconnaissons qu'il est important que ces comités soient composés de membres qui représentent la collectivité de façon à ce qu'ils puissent présenter leurs points de vue au sujet de l'administration de la justice. C'est pour cette même raison que notre système juridique comprend des procès tenus devant des jurys composés de citoyens. Cependant, il ne faudrait pas ajouter à ces comités certains membres dans le seul but de réduire l'importance de l'opinion des avocats et des juges. Cela n'est pas plus logique que de vouloir réduire le rôle des avocats et des juges dans les procès, pour la seule raison qu'il y a un jury. Cela découle d'une erreur fondamentale sur le rôle respectif de ces personnes.
(0950)
    Aux comités consultatifs de la magistrature, les avocats apportent leur connaissance des candidats et les juges, celle des qualités exigées des juges et des besoins du tribunal en question. Les juges et les avocats ne recherchent pas des candidats qui ont des idées arrêtées sur la façon de régler certaines questions ou qui apportent un point de vue biaisé à la magistrature. Ajouter un représentant d'un groupe d'intérêt pourrait amener la population à conclure que les candidats sont évalués en fonction de critères reliés aux intérêts de ce groupe, et non pas en fonction de leur mérite. À notre avis, les trois citoyens nommés par le ministre sont tout à fait en mesure de fournir le point de vue de la collectivité.
    La suppression du vote du juge, sauf en cas d'égalité des voix, combinée à l'ajout d'un huitième membre au comité, constitue une deuxième lacune des changements proposés. Cette mesure semble favoriser le ministre et risque de politiser le processus en offrant la possibilité d'effectuer des nominations pour des raisons partisanes.
    Troisièmement, nous recommandons de réintroduire la catégorie des candidats « hautement recommandés ». Nous estimons que permettre aux comités d'établir une liste des candidats exceptionnels réduira l'influence que peuvent avoir les considérations politiques. Si cette appréciation est utilisée de façon incohérente, il conviendrait alors d'adopter des lignes directrices.
    Un sondage d'opinion effectué en 2006 par Leger Marketing, une entreprise canadienne, montre que, sur le plan du respect, les juges se situent pratiquement au sommet des professions canadiennes. Les juridictions américaine, britannique, sud-africaine, israélienne et australienne citent régulièrement la jurisprudence canadienne. Je vois là un signe de respect. Ces citations constituent un hommage au calibre des juges qui siègent à l'heure actuelle, à leur indépendance et à leur volonté de faire respecter la primauté de la loi. Il est évident que toute mesure qui paraît compromettre l'indépendance de la magistrature ne peut que nuire à l'intégrité du système juridique canadien.
    Toute personne qui comparaît devant un juge nommé par le gouvernement fédéral doit pouvoir être sûre que le juge est compétent et impartial. C'est un principe fondamental de notre démocratie et une exigence constitutionnelle. C'est pourquoi il convient de dépolitiser les relations qui existent entre le gouvernement qui est chargé de nommer les juges et les juges eux-mêmes. Cela veut dire que le gouvernement ne doit pas exercer de pressions politiques sur la magistrature et qu'il ne doit pas non plus paraître vouloir le faire.
    En conclusion, les changements récents apportés au processus de nomination semblent, pour la plupart, nuire au Canada. Nous invitons le comité à recommander que soient supprimés les changements apportés au processus de nomination qui sont énumérés dans la lettre que nous avons envoyée au comité et qui vous a été distribuée.
    Merci. Je serai très heureux de répondre aux questions que souhaiteraient poser les membres du comité.
(0955)
    Merci, monsieur MacCarthy.
    Nous allons maintenant passer aux membres du comité.
    Madame Jennings, vous êtes la première sur la liste.
    Merci, monsieur le président, et merci à vous tous pour vos exposés.
    Je dois dire qu'en tant qu'avocate, je suis comme vous inquiète des changements qui ont été apportés au système de sélection des juges, tant sur le plan du processus que sur celui de la composition des comités. Mon parti et moi-même craignons que les changements introduits constituent une mesure rétrograde par rapport à un processus qui évolue depuis maintenant près d'une vingtaine d'années, et qui a consisté à mettre en place un système de nomination des juges par le gouvernement fédéral qui soit indépendant, impartial et aussi transparent que possible, et capable de s'adapter à l'évolution des attitudes des citoyens en intégrant de nouvelles normes plus exigeantes.
    Monsieur Russell, vous avez parlé des travaux qu'avait effectués le sous-comité du comité de la justice précédent sous le gouvernement précédent, et du rapport qu'il préparait, qui aurait en fait proposé des normes plus strictes.
    Dans ce contexte, j'aimerais savoir ce que vous pensez, monsieur Giroux — parce que vous avez parlé du code d'éthique qui a été mis en place en 2005, si je ne m'abuse, pour les membres du comité —, si, conformément à ce code d'éthique, la nomination récente au CCM de l'Alberta, en janvier 2007 par le ministre Nicholson, de M. Gerald Chipeur, un avocat de Calgary...
    Je crois savoir qu'il a représenté le Parti conservateur tout récemment contre le député Rob Anders au cours de la présentation des candidatures; il s'est enregistré comme lobbyiste le 20 février 2007 pour représenter l'Association canadienne des commissions de police en vue de favoriser la création d'un centre de répression de la cybercriminalité par Internet; il s'est enregistré pour faire du lobbying auprès de Justice Canada, du BPM, des députés, du Sénat du Canada et de toute une série de ministères comme Sécurité publique et Protection civile Canada, Affaires étrangères et Commerce international, Défense nationale et la GRC.
    Est-ce qu'il serait conforme à votre code d'éthique de nommer à un CCM une personne enregistrée comme lobbyiste et qui représente le parti au pouvoir?
(1000)
    Merci, madame Jennings.
    Je vais vous dire quelques mots sur le code d'éthique. Il a été adopté en 2005 après une réunion à laquelle assistaient le ministre en place à l'époque et les présidents des comités consultatifs. Il a été préparé en consultation avec les présidents, il a été adopté à cette époque et ensuite affiché sur notre site Web. Il y avait également des lignes directrices à l'intention des comités consultatifs de la magistrature, qui existaient déjà, et qui ont également été affichées en 2005. Le ministre nous a alors demandé d'afficher ces deux documents sur le site Web.
    Je tiens à préciser que le code d'éthique qui a été adopté par le ministre et accepté depuis par les différents ministres qui se sont succédé, ne traite pas directement de la question des lobbyistes. Le code d'éthique traite d'un certain nombre de questions que je vais mentionner. Une de ces questions est que les membres de ces comités doivent faire preuve de discrétion et de neutralité, et aucune question concernant les opinions politiques ou l'affiliation politique d'un candidat ne peut être soulevée au cours des délibérations des comités. Il est interdit de tirer des conclusions, qu'elles soient favorables ou non, du fait qu'un candidat à la magistrature a milité activement dans un parti politique donné.
    Je vais vous interrompre. Je parle des membres des comités consultatifs de la magistrature, et non pas des candidats à une charge de juge.
    Je parle également du code d'éthique qui s'applique aux membres des comités.
    Très bien.
    Le code d'éthique qui a été adopté par la ministre de la Justice en 2005 et par les comités consultatifs de la magistrature contient-il une disposition qui obligerait Gerald Chipeur, un avocat et membre d'un CCM...?
    Oui?
    Il y a un rappel au Règlement, madame Jennings.
    Allez-y, monsieur Moore.
    J'aimerais faire deux remarques. La première est que je ne sais pas s'il est approprié de parler de cas individuels. Deuxièmement, si Mme Jennings veut vraiment que le comité examine des cas individuels, et si vous pensez que cela est approprié, alors nous pourrions passer toute la journée, et même toute la semaine, à parler des décisions qu'a prises le gouvernement précédent.
    Cela dépend de vous, monsieur le président, mais je ne pense pas qu'il soit approprié d'interroger les témoins sur des cas individuels concernant les CCM, les nominations ou d'autres aspects.
    Je vais demander au témoin de poursuivre ses explications sur le point précis que vient de soulever Mme Jennings.
    Ma question porte sur la nature du code d'éthique.
    Je pense que le comité l'a effectivement compris.
    Oui, merci.
    Je vous invite donc à parler du code d'éthique, monsieur Giroux.
    Je ne ferai aucune référence à un membre particulier de ces comités. Je vais simplement paraphraser le code d'éthique en disant qu'il a été adopté, comme je l'ai dit, par le ministre de l'époque. Nous l'avons publié.
    Il y a deux aspects susceptibles d'intéresser les membres du comité. Le premier est que, d'une façon générale, les membres des comités consultatifs de la magistrature doivent demeurer neutres et s'abstenir de tirer des conclusions favorables ou défavorables du fait qu'un candidat a été actif en politique. L'autre est que les membres de ces comités ne peuvent obtenir un avantage, une récompense ou quoi que ce soit en raison de leur participation aux travaux des comités.
(1005)
    Merci.
    Mon autre question s'adresse à tous les témoins.
    Étant donné les questions que suscitent pour vous les changements apportés par le gouvernement conservateur à la composition et au rôle des CCM, pensez-vous qu'il pourrait arriver que des parties décident de contester les juges qui ont été ou qui seront nommés selon ce nouveau système, en se fondant sur le manque d'indépendance et d'impartialité de ces juges, compte tenu du processus qu'a mis en place le gouvernement actuel? Cela ne risque-t-il pas également de compromettre la constitutionnalité de notre système judiciaire?
    Si vous le permettez, monsieur le président...
    Allez-y, monsieur Grammond.
    Merci.
    C'est un sujet que je traite dans mon étude, à la page 5. Et je dirais qu'il est dans la nature de la jurisprudence d'évoluer avec le temps pour répondre aux préoccupations à mesure qu'elles apparaissent, même si la jurisprudence actuelle n'exige pas que le processus de nomination respecte certaines exigences particulières.
    Dans ce cas-ci, étant donné que jusqu'ici, il n'a jamais été prévu de donner à des groupes d'intérêt particuliers la possibilité de faire connaître leurs points de vue au cours du processus de nomination des juges, il est tout à fait probable que les tribunaux seront amenés à se prononcer sur la constitutionnalité d'un tel système.
    À mon avis, il est probable que les tribunaux diront, comme ils l'ont fait en 1997 à l'égard de la rémunération des juges, qu'ils vont élaborer des lignes directrices et que celles-ci reposeront sur une base constitutionnelle. Ma réponse à cette question est donc que oui, cela est probable.
    Merci.
    Merci, madame Jennings.
    Y avait-il un autre témoin qui voulait commenter cette question? Parfait.
    Nous allons passer à M. Ménard.

[Français]

    Je vais commencer par le professeur Grammond, dont je connais l'érudition et la pédagogie puisqu'il a été mon professeur il n'y a pas si longtemps. J'espère que personne ne concevra cela comme un conflit d'intérêts, puisque je n'ai aucune aspiration à devenir juge.
    Je suis intéressé par la page 9 de votre mémoire. Dans le fond, le comité veut comprendre deux choses. D'abord, pourquoi n'est-il pas souhaitable qu'un groupe d'intérêt en particulier ait un siège réservé dans le cadre du processus de consultation? Vous semblez faire une proposition selon laquelle le Parlement lui-même pourrait ultimement être associé au processus de nomination. J'aimerais que vous nous expliquiez ce que vous avez à l'esprit. Nous n'avons rien contre les policiers ou quelques professionnels que ce soit. Ce n'est pas ce qui est en cause, vous le dites clairement dans votre mémoire. Mais pourquoi n'est-il pas souhaitable de nommer des policiers au sein de ces comités?
    J'aimerais également que M. Russell revienne sur le sujet. Quel est le sens de votre proposition qui se trouve à la page 9 de votre mémoire?
    D'accord. Il y a deux volets.
    Premièrement, il y a l'aspect qui consiste à donner une voix particulière à des groupes d'intérêts. Je pense que les juges doivent paraître impartiaux, doivent être neutres. Ils doivent donc être choisis en fonction de critères relatifs à la compétence. Or, si dans le processus de nomination vous donnez une voix particulière à des groupes d'intérêts particuliers, vous donnez au public l'impression que ces groupes vont pouvoir pousser pour que les juges qui sont choisis soient favorables à leurs intérêts particuliers. Je pense que peu importe qu'il s'agisse des policiers ou des syndicats, c'est inacceptable. C'est pour cela que dans la loi que je propose, il faudrait que ce soit très clair que les gens qui sont nommés à ces comités ne sont pas là pour représenter des intérêts particuliers. On comprend bien que toute personne qui est nommée peut avoir travaillé pour tel type de groupe dans le passé, ça va. Cependant, on doit dire qu'ils ne sont pas là pour représenter des intérêts, pour pousser des intérêts ou pour vérifier la conformité idéologique des juges, comme le professeur Russell l'a dit.
    Le deuxième aspect touche la manière de nommer des gens qui ne seraient pas des représentants de groupes d'intérêts. Je pense qu'on devrait maintenir le système actuel où des association de juristes, donc l'Association du Barreau canadien et le barreau provincial, puissent nommer un représentant qui devienne la voix de la communauté juridique. L'Association du Barreau canadien n'est pas là pour défendre, par exemple, les intérêts des syndicats ou ceux des policiers, on le sait bien.
    Il est également souhaitable que les comités de nomination comportent ce qu'on appelle en anglais des lay members, c'est-à-dire des membres non juristes, pour que la nomination des juges n'ait pas l'apparence d'un phénomène d'autoreproduction au sein des juristes.
    Actuellement, ce qui se fait, c'est que c'est le ministre, à son entière discrétion, nomme des personnes qui sont censées représenter la société en général. Évidemment, comme le professeur Russell l'a dit, ce processus n'a pas permis d'éliminer la partisanerie politique. Ce que je suggère ici, c'est que les lay members, les membres non juristes, soient nommés par une résolution des deux tiers des députés de la Chambre des communes, ce qui ferait que dans les circonstances...
(1010)
    Pour chacun des comités?
    Cela pourrait être pour chacun des comités. Je comprends que c'est peut-être un travail considérable, mais l'idée fondamentale — peut-être connaissez-vous de meilleurs moyens d'y parvenir — étant qu'un seul parti politique ne détient habituellement pas la majorité des deux tiers, ce parti ne serait pas en mesure de nommer des gens qui ne feraient pas consensus.
    Seriez-vous ouvert à l'idée qu'il y ait une liste de gens qui sont respectés dans leur communauté pour leur discernement, leur jugement et qui ne sont pas des juristes? Le Conseil de la magistrature pourrait disposer d'une liste de gens qui serait soumise au Parlement. On adopterait en bloc une liste et après, le Conseil de la magistrature pourrait répartir ces individus.
    Évidemment, si on avait à voter chaque fois qu'il y a composition d'un comité, ça pourrait devenir un peu difficile. On comprend votre idée. Il faudrait qu'il y ait un mécanisme un peu plus centralisé.
    Je suis d'accord. Comme je le disais, vous savez mieux que moi comment faire. Peut-être devrait-on le faire une fois tous les trois ans, établir des listes qui comprennent des membres suppléants de manière à ce que la question ne doive pas revenir devant le Parlement avant trois autres années.
    Permettez-vous qu'on vérifie la validité de cette idée auprès de M. Giroux?
    On vous met dans le feu de l'action sans y avoir réfléchi. Je comprends le caractère spontané de la proposition du professeur Grammond. Sans doute n'avez-vous pas eu accès à son mémoire. Cependant, cela pourrait-il vous paraître fonctionnel qu'une liste soit établie et que vous ayez à répartir les membres non juridiques à l'intérieur des comités?
    Je vais commencer d'abord par vous dire qu'on administre le système au nom du ministre. C'est au ministre de déterminer comment le système devrait fonctionner. On n'est pas réellement là pour prendre des décisions quant à la façon dont le système fonctionne.
    ... quant à la composition.
    Cela dit, c'est une autre idée. Je pense que la provenance des autres représentants nommés aux comités par le ministre vise entre autres à assurer un certain équilibre au sein des comités. C'est le cas, par exemple, si on n'a pas assez de femmes au sein d'un comité ou si, dans un comité quelconque, par exemple le comité de la Nouvelle-Écosse, tous les membres sont de Halifax et que personne ne vient des régions. Il y a aussi la question de la langue qui doit être respectée, de même que la question des minorités. Donc, en bref, il faut tenir compte de tout cela.
    J'aurais aimé que M. Russell donne son point de vue.

[Traduction]

    Merci, monsieur Ménard.
    Il y a une précision que j'aimerais obtenir des témoins ainsi que des membres du comité.
    Étant donné que je suis un ancien policier, je dirais que ce métier m'a donné ce que l'on pourrait appeler une vue générale de ce qui se passe dans les salles d'audience. Il y a la défense, la poursuite, la police et le juge qui travaillent en ayant un objectif à l'esprit: décider de l'innocence ou de la culpabilité d'une des parties. J'entends maintenant dire que la police est un « groupe d'intérêt spécial », il y a les juges, il y a les poursuivants, et il y a cette grande division entre cette soi-disant équipe, qui devrait avoir pour seul objectif de déterminer la culpabilité ou l'innocence de l'accusé.
    Considère-t-on aujourd'hui que les policiers constituent un groupe d'intérêt spécial dans l'ensemble du processus judiciaire? Je ne sais pas très bien comment cela est arrivé, mais j'ai entendu dire à plusieurs reprises devant ce comité qu'aujourd'hui, tout d'un coup, les policiers sont un groupe d'intérêt spécial.
    Je vais répondre à cela.
    Je n'utiliserais peut-être pas cette expression, mais nous avons des tonnes de preuves tirées de sondages auprès de policiers qui montrent que, par rapport au reste de la population, les policiers ont un ensemble d'attitudes qui privilégient certains aspects. En général, ils sont plus favorables aux peines sévères que le Canadien moyen. Ils ont davantage tendance à dire que les jeunes accusés issus des minorités sont moins crédibles que les autres Canadiens. Le problème vient du fait qu'en donnant à des membres de ce groupe un poste sur ces comités, et c'est l'observation que faisait M. Grammond, cela influence le comité dans une certaine direction.
    Prenons un autre groupe, celui des avocats de la défense. Ou prenons le comité chargé de défendre ceux qui ont été déclarés coupables à tort d'un crime. Ces groupes, appelez-les comme vous voulez, sont très préoccupés par les erreurs que les tribunaux commettent souvent en condamnant les accusés. Si vous voulez faire une place à la police, alors il faudrait aussi en faire une à ces autres groupes.
    Mais je suis tout à fait d'accord avec M. Grammond lorsqu'il dit que, si l'on commence à prendre ce genre de mesure... Et regardez le genre de travail que font les juges. Il y en a très peu qui font du pénal; ils font de la fiscalité, ils font du droit administratif, ils font toutes sortes de choses. Qu'allez-vous faire? Vous prenez le droit fiscal, vous prenez des gens du milieu de la pauvreté, vous prenez des gens qui font partie des grandes entreprises — allez-vous former tous ces comités pour qu'ils représentent tous ces différents points de vue? Cela me paraît une façon stupide de choisir des juges.
(1015)
    Voici un commentaire intéressant, monsieur.
    Je ne vais pas me lancer dans un débat avec vous, même si je n'ai pas la même opinion que vous sur ce sujet. Je pense que les déclarations générales et précipitées ne sont guère utiles lorsqu'on essaie de trouver quelle serait la meilleure solution, même pour un processus de sélection.
    Monsieur Comartin.
    Merci, monsieur le président, et merci à tous d'être ici, en particulier pour vos mémoires écrits.
    Monsieur Russell, j'aimerais revenir sur la dernière remarque que vous avez faite au sujet du pourcentage d'affaires entendues par les tribunaux qui sont de nature pénale. Vous avez parlé de 2 p. 100 et M. MacCarthy, de 5 . 100. Je vais vous demander à tous les deux d'où vous tirez ces chiffres.
    Monsieur MacCarthy, en particulier, je pense que vous avez obtenu les vôtres du juge en chef, qui a publié ces chiffres il y a trois ou quatre semaines. Est-ce bien exact?
    C'est exact.
    Cela varie selon la province ou le territoire concerné. Par exemple, dans l'Île-du-Prince-Édouard, la cour provinciale entend pratiquement tous les procès pénaux. C'est elle qui le fait. Il y a donc des variations d'une province à l'autre, mais les chiffres se situent probablement entre 2 et 5 p. 100, quelque chose du genre. Cela pose une question intéressante, celle du temps que ces tribunaux consacrent aux procès pénaux. La situation varie au Canada.
    Mon chiffre vient du Centre canadien de la statistique juridique et d'un article écrit par deux criminologues, notamment Cheryl Webster, de votre université, et Anthony Doob. Il a été publié dans The Criminal Law Quarterly, il y a quelques années, et fera partie d'un livre que j'ai édité, appelé The Trial Courts of Canada (Les juridictions de première instance au Canada), qui sera bientôt publié. Je viens tout juste de livrer les épreuves. Leur article formera le chapitre 3 de ce livre, et les auteurs montrent que plus de 98 p. 100 des affaires pénales sont aujourd'hui entendues par les tribunaux provinciaux.
    J'aimerais toutefois appuyer une remarque que vient de faire M. MacCarthy, c'est-à-dire que le travail qu'effectuent les cours supérieures en droit pénal est encore très important. Elles s'occupent principalement des affaires d'homicide et de procès avec jury. À l'extérieur du Québec, les procès avec jury et les affaires d'homicide doivent être entendus par la cour supérieure.
    Cela ne représente pas un gros pourcentage des affaires pénales, mais ces affaires sont souvent longues et portent sur des cas très graves. Je ne suis pas du tout à l'aise de savoir que l'on choisit des juges qui siégeront à ces tribunaux parce qu'ils sont, du point de vue du gouvernement fédéral, répressifs et ont fait savoir que tel était leur point de vue. Nous avons connu un bon nombre de terribles erreurs judiciaires dans les procès pour meurtre au Canada.
    Monsieur Giroux, pour ce qui est de la nomination des juges de la cour provinciale à la cour supérieure, avez-vous des chiffres absolus ou des pourcentages? Combien y a-t-il de juges de la cour provinciale qui accèdent à la cour supérieure?
(1020)
    Monsieur Comartin, je n'ai pas ces chiffres mais je pourrais vous les procurer. Vous connaissez le processus d'évaluation des juges des cours provinciales. On ne leur attribue pas une cote, du genre « recommandé » ou  « non recommandé », mais les comités transmettent au ministre leur candidature avec des commentaires.
    Monsieur Russell et monsieur Grammond, permettez-moi de vous poser deux questions, et peut-être aussi à M. MacCarthy. Pour ce qui est de l'approche qu'a adoptée le gouvernement — à savoir qu'il faut punir sévèrement les criminels —, savez-vous si un des gouvernements provinciaux a déjà essayé de nommer des membres des comités de sélection en essayant d'introduire un élément idéologique dans ces nominations? Un gouvernement, quelle que soit sa couleur politique, a-t-il jamais fait une telle chose?
    Je ne l'ai jamais vu. Sur le plan idéologique, il faut toutefois reconnaître que les antécédents politiques des candidats ont joué un rôle important, tant pour les gouvernements conservateurs que libéraux. Nous avons fait une étude empirique sur les juges nommés selon ce système, et nous avons constaté...
    Je suis désolé, monsieur, mais puis-je vous interrompre? L'étude à laquelle vous faites référence concernait-elle uniquement le palier fédéral ou également les gouvernements provinciaux?
    Le palier fédéral.
    Puis-je vous demander de vous en tenir à cet aspect? Je veux vraiment savoir si, au niveau provincial...
    Oh, je suis désolé.
    ... qu'il s'agisse du Parti québécois au Québec, des gouvernements NPD dans les autres provinces, des libéraux ou des conservateurs, y a-t-il un gouvernement qui a tenté d'introduire des critères idéologiques dans la nomination des membres des comités de sélection?
    Voilà ce que je peux vous dire. En Ontario, le comité comprend 13 personnes. J'ai été son premier président. Nous nous sommes vraiment efforcés d'équilibrer le comité. Il y avait des citoyens ordinaires. Quand un membre venait du secteur des affaires, nous recherchions quelqu'un qui connaissait les syndicats. S'il y avait un avocat de la défense, nous essayions de nommer quelqu'un ayant l'expérience du travail de la Couronne.
    Il est difficile de trouver des gens qui n'ont rien fait dans leur vie. Nous examinions les candidatures de personnes socialement très actives. Elles ont toutes un certain point de vue à cause des activités qu'elles exercent, mais nous avons très délibérément essayé d'équilibrer le composition du comité.
    Je dirais que c'est probablement ce qui s'est fait en Colombie-Britannique. Le comité est beaucoup plus important et fait passer des entrevues aux candidats, ce qui est bien sûr différent du système fédéral de nomination.
    Encore une fois, vous avez entendu les commentaires qu'a faits le premier ministre, lorsqu'il a dit qu'il allait nommer ces personnes, qu'elles viennent de groupes de défense des droits des victimes ou des représentants de la police, parce qu'il voulait être sûr que nos juges seront sévères pour les criminels. Avez-vous déjà vu quelqu'un d'autre adopter une approche de ce genre, qu'il s'agisse d'un premier ministre d'un parti ou d'un autre au niveau provincial?
    Je n'ai jamais entendu faire ce genre de commentaires. Il est par contre arrivé que, dans certaines provinces, le processus de sélection et l'interventionnisme, disons, du ministre de la Justice ait suscité quelques réactions, mais je dirais que cela n'est pas très courant.
    Merci, monsieur Comartin.
    Monsieur Moore.
    Merci, monsieur le président.
    Je suis en fait encore plus convaincu maintenant que je l'étais au début de la séance que le gouvernement a pris une bonne décision.
    Les représentants de l'Association du Barreau canadien ont déclaré que jusqu'ici, le processus avait donné des résultats acceptables. Il est possible que les personnes qui siègent à cette table admettraient qu'il a donné des résultats acceptables, mais je pense qu'à l'avenir, avec les changements qui ont été apportés aux comités consultatifs, nous obtiendrons encore des résultats acceptables.
    Il est intéressant de noter sur ce point que toutes les nominations judiciaires qui ont été faites jusqu'ici par le gouvernement l'ont été selon le système qui existait sous le gouvernement précédent. Il me paraît important de le rappeler, mais je crois que le système sera amélioré par l'élargissement de l'origine des participants. Il y a toutefois une chose que je découvre progressivement — et je n'ai jamais entendu dire cela en fait avant aujourd'hui —, c'est que la police constitue un groupe d'intérêt. Je ne pense pas que la police ait davantage d'intérêts particuliers à défendre que certains autres représentants qui sont déjà membres des comités consultatifs de la magistrature.
    Je pense que je vais adresser cette question à l'Association du Barreau canadien. Cette association affirme aujourd'hui qu'il ne devrait pas y avoir de représentants des services de police. Il y a pourtant un représentant des sections provinciales de l'Association du Barreau canadien qui siège aux comités consultatifs de la magistrature. M. Russell a déclaré que les policiers avaient des points de vue arrêtés. J'aurais tendance à dire que ces points de vue sont trop diversifiés pour que l'on puisse mettre tous les policiers dans le même sac.
    La comparaison a été faite par M. Grammond lorsqu'il a dit qu'il n'y avait pas de syndicalistes. Eh bien, les personnes qui sont membres des comités consultatifs de la magistrature, à l'exception de ceux qui sont choisis parmi la population, veulent toutes que le système judiciaire fonctionne bien, que les Canadiens aient accès à un système judiciaire auquel ils participent tous.
    Il ne faudrait toutefois pas pousser trop loin cette comparaison, parce que les policiers font partie du système judiciaire, et je crois qu'ils veulent que seuls des juges compétents soient nommés. Je pense qu'ils ont les mêmes intérêts que l'Association du Barreau canadien, que le barreau ou que tous les autres.
    Je vais prendre cet exemple. J'ai souvent étudié, à titre de membre du comité de la justice, des projets de loi présentés par les gouvernements précédents et aussi les projets de loi du gouvernement actuel. L'Association du Barreau canadien a comparu en qualité de témoin et a parfois présenté des témoignages, qui étaient censés représenter l'ensemble des avocats canadiens, qui allaient tout à fait à l'encontre de ce que je pensais du projet de loi examiné — je dirais que cette association se comportait comme un groupe d'intérêt en présentant un point de vue sur un projet législatif, et qu'elle n'était pas du tout neutre à ce sujet. Nous avons également entendu des représentants des services de police.
    C'est pourquoi je ne pense pas qu'il soit juste de dire que les policiers représentent un groupe d'intérêt spécial. Je les considère comme des acteurs du système de justice, tout comme les avocats et les juges, qui sont directement touchés par la qualité des nominations judiciaires, comme nous le sommes tous. Mme Jennings a déclaré qu'en tant qu'avocate, cela la préoccupait. Je sais que les libéraux sont surtout préoccupés parce qu'ils ne forment pas le gouvernement, et que ce ne sont pas eux qui procèdent à ces nominations judiciaires.
    Je me suis opposé à ce que l'on parle d'exemples individuels. Nous pourrions passer toute la journée à examiner les mesures qu'a prises le gouvernement précédent. Je suis également avocat et je suis heureux de l'orientation qui a été retenue.
    J'aimerais demander ceci à l'Association du Barreau canadien. Pensez-vous honnêtement que les policiers constituent un groupe d'intérêt particulier, et si c'est le cas, sont-ils sur ce plan très différents de l'Association du Barreau canadien?
(1025)
    Je serai heureux de répondre à cette question.
    Tout d'abord, pour replacer les choses dans leur contexte, pour d'excellentes raisons d'intérêt public, nous donnons à nos services de police toute une série de droits et d'obligations — en matière d'arrestation, de saisie et de choses de ce genre. Les tribunaux sont donc souvent amenés à contrôler la façon dont les policiers exercent ces fonctions et ces responsabilités. Les policiers occupent donc une position très particulière pour ce qui est de leurs rapports avec les tribunaux. Je pense que, dans l'ensemble, les Canadiens respectent la police mais qu'ils veulent également savoir que l'exercice de leurs fonctions et de leurs responsabilités est encadré. Je dirais donc que la police entretient avec les tribunaux des relations tout à fait particulières dans la société canadienne.
    Pour ce qui est de l'approche adoptée par l'Association du Barreau canadien, nous représentons en fait un grand nombre d'avocats et de points de vue. Lorsque nous présentons des observations à ce comité ou à un autre, nous le faisons en fonction de nos politiques et après avoir consulté un grand nombre de nos membres.
    Un ancien ministre de la Justice a publiquement déclaré il y a quelques années que, lorsqu'il savait que l'Association du Barreau canadien allait présenter son point de vue, il se demandait toujours s'il allait être félicité ou blâmé. Nous essayons d'adopter une approche équilibrée, une approche éclairée, sur laquelle nous basons nos observations. Nous veillons également à consulter un grand nombre de membres de notre organisation avant de présenter des recommandations au sujet d'un projet de loi, qu'il s'agisse de la Loi sur la concurrence ou de la réforme de la justice pénale.
(1030)
    Merci pour cette réponse.
    Je remercie tous les témoins qui sont ici aujourd'hui de nous avoir présenté ce que je qualifierais d'observations réfléchies. Je reconnais avec vous que la police joue un rôle unique dans le système judiciaire et que c'est une des raisons pour lesquelles le gouvernement a décidé que les policiers devraient jouer un rôle au sein des comités consultatifs de la magistrature. Je ne pense absolument pas, comme le font certains membres du côté opposé, qu'il faut voir là un bouleversement.
    Je constate, monsieur Giroux, que vous mentionniez dans votre exposé certains changements qui sont survenus au cours des années. Nous sommes passés de « qualifié » et « non qualifié » à « hautement recommandé », « recommandé » et « sans recommandation ». Nous parlons désormais de « recommandé » et « non recommandé ». Il y a eu d'autres changements. Ce n'est donc certainement pas la première fois que la composition des comités consultatifs de la magistrature a été modifiée. Je vous signale également que ce n'est probablement pas la dernière fois qu'elle le sera. Je me dis que, si ces comités ont assez bien fonctionné jusqu'ici, ils vont certainement continuer à le faire à l'avenir.
    Je vous invite tous à commenter sur le fait que, d'après moi, la police joue un rôle particulier dans le système judiciaire, un rôle que certaines parties qui ont été qualifiées de groupes d'intérêts spéciaux ne jouent pas. La police joue un rôle unique, comme cela a déjà été mentionné, et c'est pour cette raison que nous pensons qu'elle devrait participer à ce processus.
    En fin de compte, c'est le ministre et le gouverneur en conseil qui procèdent aux nominations. Nous allons maintenant consulter un éventail plus large de personnes qui s'intéressent au système judiciaire et qui, en fait, sont directement touchées par le fonctionnement et la qualité de notre système judiciaire.
    Merci, monsieur Moore.
    Je ne sais pas s'il y a des commentaires. Monsieur Grammond, allez-y.
    Je dirais sur ce point, s'il nous reste un peu de temps, que nous avons un système de justice accusatoire et que les tribunaux sont chargés de découvrir la vérité. Pour y parvenir, nous avons deux équipes, si vous voulez, qui présentent les deux côtés de la question et qui le font de la façon la plus efficace possible. Croyez-moi, je suis un ancien praticien et je vous dirais que nous travaillons beaucoup pour faire connaître notre conception de la vérité.
    Voilà donc ce qui se passe au cours d'un procès pénal. Deux points de vue sont présentés au juge, et invariablement, les policiers suivent le procureur de la Couronne. Du point de vue de l'accusateur, du point de vue des citoyens, la police ne peut être considérée comme étant impartiale dans le contexte d'un procès pénal. Elle est considérée comme faisant partie d'une de ces deux équipes.
    C'est la raison pour laquelle j'ai dit que la police constituait un groupe d'intérêt spécial. Ce n'est peut-être pas une appellation tout à fait exacte, mais je pense qu'elle donne l'idée générale. Ils favorisent une conception de la vérité, et en ce sens, ils ne sont pas impartiaux.
    Merci, monsieur Grammond. C'est donc au juge de décider où se trouve la vérité.
    Monsieur Murphy.
    Merci, monsieur le président.
    Je dirais, à titre de préambule, que je suis très surpris — en fait atterré — de constater que le secrétaire parlementaire du gouvernement pour la justice et le président du comité de la justice ne savent pas que la poursuite, les policiers, les avocats de la défense et le juge ont tous des rôles distincts. Je pourrais leur recommander de prendre connaissance du savant préambule de l'émission Law & Order, qui précise que le système de justice pénale repose sur deux entités distinctes et importantes, la police qui fait enquête sur les crimes... Je pourrais vous écrire ce préambule. Je voulais simplement, monsieur le président, faire allusion à cet aspect, étant donné que nous passons à la télévision.
    Plus sérieusement, sur la question que M. Moore a posée à M. MacCarthy au sujet de l'ABC, cela fait 21 ans et un mois — j'ai pris le temps de faire ce petit calcul — que je suis avocat, et j'ai toujours payé mes cotisations. J'ai toujours été très fier de l'ABC. Je pensais que c'était un groupe de défense d'intérêts; je pense que c'était un groupe qui représentait ses membres, jusqu'à ce que j'arrive ici. Cela ne veut pas dire que je n'en suis pas fier.
    Je veux dire qu'il y a des membres du comité qui ont faussement accusé l'ABC, et ce, à plusieurs reprises, parce que — et je vais vous le dire très carrément — il y a des présidents de sections et des présidents de sous-section qui écrivent souvent des lettres sur le même papier à en-tête que le vôtre, celui de l'ABC, et qui laissent entendre, je suppose, si on ne lit pas la signature, qu'ils représentent tous les membres. Eh bien, ce n'est pas le cas. Ils signent très clairement ces lettres en qualité de membre de la sous-section du droit pénal.
    Aujourd'hui — et il est très important que tout le monde le sache bien —, M. MacCarthy a écrit une lettre et présenté des observations pour le compte de l'ABC. C'est la raison pour laquelle je vous demande d'expliquer brièvement comment il se fait, lorsque vous dites que ces changements ne sont pas dans l'intérêt du Canada, que vous représentez les opinions de l'ABC, étant donné que vous n'avez pas appelé M. Moore pour lui demander ce qu'il en pensait.
(1035)
    Notre organisation est démocratique, mais nous utilisons un système représentatif. Le principal groupe chargé d'élaborer les politiques de notre organisation est notre conseil national. Faute de meilleure comparaison, je dirais que c'est notre parlement. Il comprend 244 membres avec droit de vote, qui sont élus par les autres membres dans l'ensemble du Canada; ils examinent, analysent et adoptent des résolutions qui portent sur toutes sortes de sujets, notamment sur les nominations judiciaires.
    L'Association du Barreau canadien s'intéresse au processus de nomination judiciaire depuis, en fait, le début du XXe siècle. Si vous lisez le rapport McKelvey — auquel M. Russell a largement contribué, il a en effet effectué un travail considérable pour ce rapport —, vous constaterez que cela fait longtemps que nous nous intéressons à ce processus.
    Quant à savoir si je suis à l'aise d'affirmer que ce que je fais représente l'opinion de l'Association du Barreau canadien, je dirais que c'est grâce à un énorme travail de consultation et de participation que je peux l'affirmer. Tout comme le Parlement, nous ne tenons pas un référendum général sur toutes les questions qui nous sont soumises, mais il a toujours été très clair que l'Association du Barreau canadien favorisait la transparence du processus de sélection et le principe du mérite.
    Je vous remercie.
    Monsieur Russell, vous dites que vous avez des « tonnes de preuves » qui montrent que les policiers ont un certain point de vue. J'aimerais savoir, compte tenu de votre recommandation numéro 8 qui, je crois, figure dans votre mémoire, si vous reconnaissez que vous êtes contre les policiers.
    J'adresserais également cette question à M. MacCarthy, s'il reste suffisamment de temps.
    Le ministre de la Justice, M. Nicholson — un conseiller de la Reine, un homme honorable, en fait —, a déclaré à la Chambre des communes que tous ceux qui étaient contre cette mesure étaient contre les policiers. Êtes-vous contre les policiers, monsieur Russell?
    Pas du tout, je pense que les policiers font d'excellents membres de comité. Mais il me paraît tout à fait stupide d'affirmer qu'il est essentiel que des représentants de ce groupe fassent partie des comités et de ne s'occuper que d'eux. Ces comités sont amenés à évaluer les divers rôles que jouent les juges. Il est évident qu'un policier peut apporter une contribution intéressante.
    Je mentionnerais en passant que le fait de parler de groupes « d'intérêts spéciaux » revient à jouer avec les mots. Tous les groupes ont des intérêts. En quoi ces intérêts sont-ils spéciaux? C'est simplement une façon d'insulter des groupes, notamment les policiers et les procureurs de la Couronne. Arrêtons de jouer avec les mots. Ce sont simplement des groupes qui existent dans notre société. Il n'y a pas de groupes spéciaux et il n'y a pas non plus de groupes qui ne sont pas spéciaux.
    Bien sûr que les policiers peuvent apporter une contribution à ces comités, tout comme de nombreuses autres catégories de gens. Mais lorsqu'on privilégie cette catégorie, on semble vouloir privilégier une perspective particulière.
    Et je sais aussi que tous les policiers ne pensent pas de la même façon. Il y a des policiers parmi mes meilleurs étudiants et ils ont des attitudes très différentes de celles qu'ont la plupart des hommes et des femmes qu'ils supervisent. Mais cela n'empêche pas qu'il existe une tendance générale. C'est une erreur que de vouloir imposer ce point de vue aux comités.
    Encore une fois, monsieur Russell, cela touche un aspect différent mais important. Vous avez dit que les cours supérieures de justice avaient commis de nombreuses erreurs judiciaires. Nous connaissons les affaires célèbres, mais est-il exact sur le plan empirique qu'une vérification insuffisante des antécédents des candidats a pu entraîner des erreurs judiciaires? Y en a-t-il autant qu'on le dit, en fait?
(1040)
    Je ne sais pas, mais envoyer cinq personnes en prison pendant des années et des années pour des crimes qu'elles n'ont pas commis est vraiment une chose très grave. Cela fait ressortir toute l'importance de choisir les meilleurs candidats. Je n'entends personne parler de cet aspect.
    Pourquoi supprimer aux comités le rôle de faire savoir au gouvernement qui est le candidat le plus compétent? Feriez-vous la même chose dans d'autres situations? Agiriez-vous de cette façon pour conseiller une banque sur le choix de son président ou une université pour le choix de ses professeurs? Dans une entreprise, diriez-vous, « eh bien allez-y, examinez les candidats, et pourvu qu'ils soient acceptables, alors vous pouvez les recommander, mais ne nous dites pas qui sont les meilleurs »? S'il s'agissait de sport et qu'il fallait choisir une équipe pour les Jeux Olympiques, diriez-vous « eh bien, parmi tous les athlètes et les coureurs, ne nous dites pas qui sont les meilleurs, donnez-nous simplement le nom de ceux qui courent pas trop mal »?
    Je pense que c'est en fait insulter les Canadiens que de dire que nous ne voulons pas que ces comités disent au gouvernement qui sont les meilleurs candidats. Tant que vous n'aurez pas réglé cet aspect, qui est beaucoup plus important que celui de la composition des comités, parce que les comités ne servent pratiquement à rien — je l'ai déjà dit —, s'ils n'ont pas le pouvoir de faire savoir au gouvernement qui sont, d'après eux, les meilleurs candidats.
    Merci, monsieur Russell.
    Madame Freeman.

[Français]

    Je voudrais remercier chacun des membres de ce comité pour la présentation. Je sais que nous sommes tous ici pour essayer de voir à ce que le processus de nomination des juges assure l'indépendance judiciaire.
    J'aurais une question à poser à MM. Russell et MacCarthy.
    Comment interprétez-vous le fait que le gouvernement retire le droit de vote aux représentants de la magistrature aux comités? Car la seule personne qui n'aurait pas droit de vote, à moins d'égalité, serait le juge.

[Traduction]

    J'ai dit que je n'aimais pas du tout l'idée de faire des comités consultatifs une sorte de groupe partisan, dont les membres vont s'affronter et devront voter à quatre contre trois... Imaginez qu'un juge soit nommé par le gouvernement fédéral par un vote de quatre contre trois. Que pourrait faire dans ce cas le juge? Il ne peut rien faire, il n'y a pas d'égalité. Vous allez donc recommander quelqu'un à une charge de juge parce que les quatre membres du comité consultatif nommés par le gouvernement pensent que cette personne est acceptable, alors que les trois autres, y compris le représentant de la province — et n'oubliez pas que la plupart de ces juges vont siéger aux cours supérieures des provinces —, ne pensent pas que cette personne devrait être nommée juge.
    Décider à quatre contre trois... J'ai présidé pendant des années le comité consultatif de l'Ontario et je peux vous dire que nous faisions tout ce que nous pouvions pour en arriver à un consensus. Je vous signale que cela représente beaucoup de travail et cela veut dire également interroger les candidats et analyser ensuite ensemble ce que nous avions appris pendant ces entrevues et obtenir toutes sortes de références. Nous prenons ce travail très au sérieux. Je trouve dommage de se contenter de dire qu'il y a une série de noms et que quatre personnes ont voté de cette façon, trois d'une autre, et que s'il y a égalité — dans le cas où quelqu'un serait malade ou en déplacement et qu'il y aurait trois voix contre trois —, le juge pourrait faire pencher la balance. Je pense que c'est se moquer de la façon dont ces comités devraient nommer les juges.
    Il n'est pas nécessaire de réinventer la roue. Les provinces font ce travail depuis une dizaine d'années et elles obtiennent d'excellents résultats. Elles ont mis en place d'excellentes magistratures provinciales. Si les Canadiens apprennent qu'ils ne peuvent avoir au palier fédéral, pour nommer les juges des tribunaux supérieurs, le même système basé sur le mérite que celui qui est appliqué par les provinces — ils ne l'auront jamais, parce que pour la plupart, c'est un sujet inintéressant — je crois qu'ils seront choqués.
    J'ai parlé à plusieurs membres de ces comités consultatifs de la magistrature, et je pense qu'aucun ne m'a dit que le processus de sélection était fondé sur autre chose que le consensus. Il est donc exact que les comités s'efforcent toujours d'en arriver à un consensus et c'est ce qu'ils font depuis le début.
    Je dirais qu'en insistant sur le vote ou en retirant au juge le droit de voter, cela montre que nous voulons adopter un système dans lequel le vote va remplacer le consensus, et c'est là un message assez inquiétant. Ce n'est pas avec un tel système que ces comités pourront recommander les meilleurs candidats au ministre.
(1045)

[Français]

    Merci. Comment interprétez-vous le fait que le Parti conservateur ait changé la façon de faire sans vous consulter d'aucune manière?

[Traduction]

    La méthode a toujours consisté à rechercher le consensus le plus large possible entre des personnes qui ont consacré beaucoup de temps et de ressources à faire ce travail. Il y a la magistrature, les sections de l'Association du Barreau canadien, les barreaux et aussi les ministres de la Justice ou les procureurs généraux de chaque province.
    Nous n'avons pas été vraiment consultés, ou consultés utilement à ce sujet, et cela est regrettable, parce que nous avions des choses à dire et nous aurions pu, je crois, apporter un point de vue intéressant à ce processus avant que la décision ne soit annoncée.
    Allez-y, monsieur Russell.
    Je pense que cela est très regrettable. Le sous-comité a travaillé pendant des mois sur ce rapport. Il a obtenu des commentaires, non pas seulement auprès des avocats et des juges — et ils en ont eus un grand nombre —, mais auprès de gens qui n'étaient ni avocats ni juges mais qui avaient beaucoup d'expérience dans ce domaine et qui étaient motivés à examiner les moyens à prendre pour choisir de bons juges. Le comité a abattu un travail considérable. Il a examiné toutes sortes d'idées. Il a mis au point une approche. Dire qu'il faut oublier tout ça et que nous ferons les choses à notre façon ne respecte pas, d'après moi, le processus parlementaire.
    Je suis très heureux que le comité ait été saisi à nouveau de cette question. J'espère que vous examinerez le rapport de novembre 2005 du sous-comité précédent. Je pense qu'il contient beaucoup de bonnes choses
    Merci, madame Freeman.
    Monsieur Brown.
    Merci, monsieur le président.
    J'ai un peu réfléchi à cette question et j'en parlais avec des membres de ma circonscription la semaine dernière. J'ai rencontré un groupe de notre section locale de MADD, qui voulait parler de la question des comités consultatifs de la magistrature. Ils avaient toujours pensé que les policiers jouaient un rôle dans le processus de sélection. Ils ont été vraiment très surpris d'apprendre que ce processus était déséquilibré. C'est le mot qu'ils ont utilisé: « déséquilibré ». Ils sont tout à fait en faveur des nouvelles initiatives. Je pense que c'est ce que visent les changements: introduire un certain équilibre.
    J'ai également entendu qu'on demandait pourquoi un représentant de la police et non pas des syndicats. Eh bien, si l'on veut composer une équipe de hockey, on va demander à des joueurs de hockey de le faire; on ne choisirait sans doute pas un basketteur, un footballeur ni même un politicien. Lorsqu'il s'agit de questions qui touchent la justice, il faut faire participer les gens qui s'occupent de l'administration de la justice. Ce peut être des avocats, ce peut être des juges, mais ce devrait être certainement aussi des policiers. Il me paraît faux d'affirmer qu'ils n'ont aucun rôle à jouer dans la justice.
    J'ai été également un peu surpris d'entendre aujourd'hui dire que le processus qu'appliquaient les comités consultatifs de la magistrature était fondé sur le mérite et était pris au sérieux, parce qu'on laissait ainsi entendre qu'on n'appliquera pas le principe du mérite et que le processus ne sera pas pris au sérieux. Je pense que ces commentaires sont méprisants pour les représentants des policiers qui vont participer à ce processus, parce que je suis convaincu qu'ils prendront cette tâche au sérieux et qu'ils se fonderont sur le mérite.
    J'aimerais aborder d'autres aspects, mais j'aimerais avoir vos commentaires là-dessus. Expliquez-moi comment le fait d'aménager la participation de représentants de la police irait à l'encontre du principe du mérite. Pensez-vous vraiment qu'un policier ne fonderait pas sa recommandation en se basant sur le mérite des candidats?
    Il a été mentionné — et je suis heureux que M. Russell ait clarifié ce point — qu'un représentant de la police n'aurait pas à défendre des intérêts spéciaux. Je le comprends. Je pense que nous nous sommes fourvoyés lorsque nous avons commencé la séance en faisant ce genre de remarques. Il y aura toujours des points de vue différents. Je pense que tous les groupes qui sont représentés dans les comités consultatifs de la magistrature apportent une contribution utile. On peut toujours chercher la petite bête, mais en fin de compte, ils représentent tous différents aspects du système judiciaire et fournissent des conseils utiles.
    Je suis d'accord avec M. Moore lorsqu'il affirme qu'il n'y a aucune différence entre demander l'avis d'un représentant de la police et celui de l'Association du Barreau canadien. Il y aura toujours des points de vue différents.
    Monsieur MacCarthy, j'ai une petite question pour vous. Vous avez parlé d'une période d'attente. Pensez-vous qu'il serait bon de prévoir une période d'attente semblable pour les membres de l'Association du Barreau canadien qui jouent un rôle dans ce processus?
(1050)
    Selon le code applicable aux comités, les membres qui font partie d'un comité doivent attendre un an avant de pouvoir poser leur candidature à un poste de juge.
    C'est une bonne chose, parce que j'ai examiné différents groupes pour préparer la séance d'aujourd'hui. Je me suis rendu sur le site Web de l'Association du Barreau canadien et remarqué que vous avez publié le 18 décembre un communiqué de presse, dans lequel vous mentionniez que Kevin Carroll était le deuxième vice-président. C'est une excellente chose qu'il fasse partie de la haute direction de l'Association du Barreau canadien, mais c'est un homme qui est très actif au sein d'un parti politique et qui a des opinions bien différentes de celles d'un représentant de la police.
    Il est inévitable d'avoir des points de vue différents si l'on pense aux différentes dynamiques qui animent les groupes et aux dirigeants qui sont tous différents. Je ne le reprocherais absolument pas à l'Association du Barreau canadien. Il ne faudrait pas non plus reprocher à un syndicat de policiers d'avoir des points de vue différents, parce que ce sont des points de vue différents. M. Russell a clairement expliqué qu'il existe des attitudes générales différentes dans ce domaine.
    Je pense que ces comités seraient déséquilibrés si nous demandions uniquement à l'Association du Barreau canadien de fournir des avis, sans demander leur avis à des représentants de la police. Ce serait un peu comme créer une équipe de hockey qui n'aurait pas de gardien. Il faut regrouper tous les éléments. Ce serait un peu comme placer un joueur de football devant un filet et lui dire... Cela reviendrait à peu près à dire qu'il faudrait avoir un représentant des syndicats mais pas de la police. La police fait partie de l'administration de la justice.
    J'aimerais que vous m'expliquiez un peu pourquoi ces personnes ne prendraient pas ce processus au sérieux et ne fonderaient pas leurs recommandations sur le principe du mérite — ou que ce n'est peut-être pas ce qu'on voulait dire lorsque cela a été dit.
    Je pense qu'il faut être très sensible à l'effet qu'aura sur la perception des Canadiens le fait de nommer des policiers à ce genre de comité. Nous risquons de compromettre la crédibilité du système, parce qu'on pourrait penser que cela introduit une certaine partialité dans le processus.
    Je peux vous dire que les candidats qui sont recommandés et qui sont membres de l'Association du Barreau canadien ne doivent absolument rien à l'Association du Barreau canadien. Nous nous contentons de fournir des noms de candidats au ministre, et ensuite ces gens procèdent à de larges consultations au sein de la profession au sujet de ces candidats, et le tout se fait de façon confidentielle. Ils ne demandent pas à l'Association du Barreau canadien des conseils sur le choix des personnes à nommer; ce n'est pas ainsi que cela se passe.
    Il convient d'équilibrer soigneusement ces comités pour donner à la population le sentiment qu'ils sont capables de mettre de côté l'idéologie, les considérations partisanes et les intérêts particuliers dans l'issue des procès, de façon à pouvoir recommander les meilleurs candidats possible au ministre de la Justice.
    Monsieur Bagnell.
    Monsieur Giroux, pouvez-vous me confirmer qu'avec l'ancien système, avant que l'on procède à ces changements draconiens, le ministre pouvait fort bien nommer des policiers aux trois postes dont il était responsable?
    Il y avait des personnes nommées par le ministre, et celui-ci pouvait nommer qui il voulait...
    Exact. Il aurait donc fort bien pu nommer trois policiers avec l'ancien système.
    Merci à tous d'être venus.
    Je dirais à la presse que M. Russell et M. MacCarthy ont très bien exposé les raisons pour lesquelles ce côté de la Chambre, la majorité des députés et la plupart des médias et des spécialistes juridiques du Canada condamnent les changements apportés au système.
    Je dirais à Mme Bellis que le comité de la justice a déjà examiné d'autres projets de loi émanant de ce gouvernement. Conformément au processus normal de présentation des projets de loi et des changements de politique, le ministère recommande la plupart du temps ces changements. Nous avons reçu, à notre grande surprise, des projets de loi que le ministère de la Justice ne recommandait même pas. Ce n'était pas le ministère qui les avait préparés; ils venaient d'en haut. Je pense que c'est ce qui s'est passé ici et que le ministère de la Justice n'a jamais recommandé au ministre ces changements draconiens.
(1055)
    Je ne peux pas vous dire quels sont les conseils qui ont été fournis au ministre au sujet de ces changements. Mes services n'ont pas été invités à fournir des conseils à ce sujet.
    Très bien. C'est ce que nous pensions.
    Monsieur Grammond, nous pensons tous que cela concerne l'indépendance de la magistrature, mais vous avez dit que, traditionnellement, il y avait d'autres aspects qui protégeaient l'indépendance de la magistrature, notamment la rémunération. Il s'est déjà produit une situation dans laquelle un comité indépendant avait recommandé certains salaires. Le gouvernement avait décidé que les juges allaient recevoir ces salaires et tout d'un coup, un nouveau gouvernement est arrivé au pouvoir et a fait marche arrière. Je pense qu'une telle décision va à l'encontre de l'indépendance de la magistrature et n'indiquerait pas à la population que cette indépendance est respectée.
    Oh, vous parlez du fait que les recommandations du comité de la rémunération n'ont pas été mises en place ou mises en oeuvre.
    C'était ce que le gouvernement avait recommandé au départ. Un nouveau gouvernement est arrivé au pouvoir et a en fait réduit la rémunération des juges.
    Oui.
    Je n'ai pas étudié cette question à fond, mais je peux vous dire que, selon les lignes directrices fixées par la Cour suprême dans le renvoi relatif à l'Î.-P.-É., le gouvernement est normalement tenu de mettre en oeuvre les recommandations du comité ou alors de fournir les raisons pour lesquelles il s'abstient de le faire ou ne le fait qu'en partie. Sa décision peut alors être attaquée. Par exemple, devant les tribunaux québécois, le refus par le gouvernement de donner effet aux recommandations relatives aux salaires a été contesté et dans certains cas, jugé incompatible avec l'indépendance de la magistrature.
    C'est la façon dont cela fonctionne.
    Merci, monsieur Bagnell.
    Nous allons maintenant passer à M. Thompson.
    Merci d'être ici.
    Monsieur Russell, nous allons probablement avoir une bonne conversation et quand je vous regarde, je pense que nous avons à peu près le même âge et avons connu beaucoup de choses.
    Je vais vous parler rapidement d'une situation. Il y avait une commission composée de huit personnes — deux agriculteurs, un propriétaire de bar, un gérant d'hôtel, un mécanicien, un concessionnaire d'automobiles, un ex-enseignant et un policier à la retraite. Ils ont interrogé ce candidat pour savoir comment il gérerait une situation qui demandait beaucoup de jugement, beaucoup de surveillance et beaucoup de soins. Ils voulaient que ce gars-là contrôle vraiment la situation — autrement dit, qu'il soit sévère pour les criminels.
    Il n'est pas mauvais d'être sévère pour les criminels. Ce sont les crimes qui sont mauvais. Je pense qu'il faut être sévère pour lutter contre le mal. Cette affirmation ne me gêne pas du tout. Je pense que la plupart des gens l'approuveraient. En fait, dans un pays comme le Canada, il y a partout des citoyens qui veulent que l'on soit sévère avec ces gars-là.
    J'ai parlé à de nombreux avocats, qui m'ont dit que leurs clients essayaient souvent de choisir leur juge. Ils savent qui sont les juges les moins sévères et qui sont ceux qui le sont particulièrement, de sorte qu'ils essaient de choisir leur juge. Ils reportent les dates d'audience pour passer devant un juge favorable.
    Je pense que cela est très mauvais. Je crois qu'il faut lutter contre le crime de façon uniforme. Et le fait de juger et de rendre des décisions doit s'intégrer, à mon avis et je crois de l'avis de millions de Canadiens, dans un système qui reconnaît que le crime est mauvais et qu'il faut faire quelque chose — à tous les niveaux.
    Ce gars-là a passé cette entrevue et a proposé un système en quatre points; il a dit: si vous me donnez ce poste, je serai juste, j'agirai rapidement — je ne perdrai pas de temps, je prendrai mes décisions rapidement —, je serai ferme et mes décisions seront définitives. Ce gars-là a convaincu les membres de cette commission qu'il était le candidat idéal. C'était moi, quand ils m'ont nommé principal d'une école secondaire.
    Je ne sais pas si vous le savez, mais le principal d'une école secondaire doit constamment juger des situations. Il doit prendre des décisions. Il doit être ferme. Il doit être juste. À la fin de l'année, il y avait toujours certains contrôles, comme vous l'avez mentionné. Quel a été mon rendement? Comment se passent les choses? Je crois que j'ai dû m'en tirer, parce que je suis resté en poste pendant 15 ans. Mais je suis d'accord avec les mécanismes de contrôle.
    Vous dites qu'aux États-Unis, il y a des mécanismes de contrôle qui s'appliquent aux comités du Sénat, ce genre de choses. Est-ce que d'après vous, la mise en place de mécanismes de contrôle réglerait le problème des juges, qui doivent faire fonctionner un système dans l'intérêt de l'ensemble de la société, et est-ce que cela exigerait que l'on procède à des vastes réformes démocratiques?
(1100)
    Je vais répondre uniquement à votre dernière question.
    Je serais en faveur d'une confirmation législative pour le plus haut niveau, celui de la Cour suprême. Je pourrais même peut-être envisager la même chose pour les cours d'appel. Je sais qu'une bonne partie des milieux juridiques sont tout à fait contre ce système, mais je pense, monsieur Thompson, que ces postes sont tellement importants que les candidats devraient être interrogés, comme cela se fait ailleurs, par un comité législatif équilibré.
    Mais pour les juges de première instance — on en nomme chaque année une cinquantaine et ce sont la plupart du temps des premières nominations —, je dirais que les candidats à des postes de juge ne devraient pas être examinés publiquement. Si les candidats n'obtiennent pas le poste convoité, cela nuira gravement à leur carrière et leurs associés ne seront pas très contents.
    Lorsque je présidais le comité provincial chargé de sélectionner les juges de première instance, nous faisions tout ce que nous pouvions pour préserver la confidentialité des candidatures. Nous ne voulions pas briser la carrière de qui que ce soit. Nous voulions préserver la réputation des candidats.
    C'est en fait ce que sont la plupart de ces postes. Ce sont pour la plupart des avocats de la pratique qui sont nommés juges. C'est la raison pour laquelle je ne pense pas qu'il ne serait pas bon de procéder à des audiences de confirmation du genre que tient le Sénat américain.
    Merci, monsieur Thompson. Je suis désolé, mais la séance est terminée. Nous avons en fait dépassé l'horaire de cinq minutes, monsieur Thompson.
    J'aimerais remercier les témoins d'être venus aujourd'hui. Je pense que nous avons eu une discussion assez approfondie. J'aimerais la poursuivre, tout comme les autres membres du comité. Je vous remercie de votre participation. Nous l'apprécions beaucoup.
    La séance est levée.