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Merci, monsieur le président.
Mesdames et messieurs, j 'ai envoyé une lettre au président du comité, , le 24 mai. J'espère qu'elle vous a été remise dans les deux langues officielles. Nous y présentons notre point de vue et nos préoccupations au sujet d'un aspect particulier du projet de loi , soit la réduction de l'intervalle entre deux alcootests, qui passe de 15 minutes à trois minutes.
Pour commencer, précisons que le comité des alcootests est un comité spécial de la Société canadienne des sciences judiciaires. Le comité a été créé en 1967, au moment où a été déposé le premier projet de loi sur l'alcoolémie supérieure à 80 milligrammes. Note comité se penche particulièrement sur les questions relatives au test d'analyse alcoométrique.
Le comité est chargé de l'élaboration des protocoles d'analyse de l'haleine partout au Canada, de la fixation des normes de rendement, de l'évaluation des appareils d'analyse alcoométrique et de la mise au point de normes de formation pour les policiers qui se servent de ce matériel. En outre, notre comité est le principal conseiller scientifique du ministère de la Justice pour les questions qui se rapportent aux alcootests. Ajoutons que tout nouvel appareil destiné à des fins policières au Canada en vertu du Code criminel doit être approuvé par le ministre de la Justice, et cela seulement sur recommandation de notre comité.
Les normes du comité pour l'évaluation des appareils se trouvent sur le site Web de la société, à l'adresse www.csfs.ca. Le comité a un protocole très rigoureux pour l'évaluation des appareils, notamment leur exactitude, leur précision, leur fiabilité et leur spécificité.
Au sujet du projet de loi , notre comité s'inquiète du fait que l'intervalle entre les tests passe de 15 minutes à trois minutes. Le comité des analyses alcoométriques recommande de maintenir l'intervalle de 15 minutes entre les alcootests. Cette procédure donne deux lectures indépendantes l'une de l'autre, mais suffisamment rapprochées dans le temps pour que leur reproductibilité soit acceptable. Le tribunal peut croire avec certitude que l'alcoolémie du sujet est exacte quand deux tests indépendants arrivent à la même conclusion dans des limites de variabilité acceptables.
Avec un intervalle d'à peine trois minutes comme on le propose dans le projet de loi C-32, on obtient deux lectures interreliées ou qui, en termes scientifiques, sont des doublons. Un facteur externe comme l'alcool résiduel en bouche peut contaminer le premier échantillon et le second, parce que ce dernier est pris peu de temps après le premier.
Bien que certains appareils approuvés disposent d'un système de détection d'alcool résiduel en bouche, ils ne sont pas à toute épreuve. Ils peuvent déceler des concentrations élevées d'alcool résiduel mais ne pas déceler des teneurs plus faibles d'alcool résiduel. Voilà pourquoi il y a une période d'attente obligatoire de 15 minutes avant le premier test. Le projet de loi ne prévoit pas ce genre de mesure.
L'intervalle actuel de 15 minutes est amplement suffisant pour éliminer toute trace d'alcool résiduel. Si le premier échantillon est contaminé par l'alcool résiduel dans la bouche, ce résidu d'alcool sera complètement éliminé 15 minutes plus tard, au moment du deuxième test.
Des chercheurs ont récemment prétendu qu'une concordance supérieure pouvait être obtenue entre deux tests successifs plus rapprochés, comme à trois minutes d'écart. Ils estiment que plus le temps passe, disons 15 minutes, plus il y a d'écart entre les lectures, l'alcool est éliminé, ce qui modifie l'alcoolémie et donne lieu à un plus grand écart que ce qui est normalement permis, et exige un troisième échantillon.
Toutefois, en 15 minutes, l'alcool éliminé est insignifiant du point de vue judiciaire et ne serait probablement pas un facteur important, quand un troisième échantillon est exigé.
D'ailleurs, cette étude a établi que la variable la plus importante lorsque deux tests sont effectués, c'est la qualité de l'échantillon d'haleine donné par le sujet. Plus de 80 p. 100 de la variabilité peut être attribuée à la qualité de l'échantillon d'haleine, et c'est ce qu'on appelle l'élément biologique ou d'échantillonnage.
En pratique, on ne gagnera pas grand-chose à réduire l'intervalle à trois minutes.
Prenons mon expérience. En cinq ans et demi, j'ai examiné plus de 600 dossiers — 621, pour être précis — pour le Bureau du procureur de la Ville d'Ottawa. J'ai constaté que dans seulement dix cas, soit moins de 2 p. 100 de l'ensemble, il y avait eu trois lectures ou plus. Avec un intervalle plus court, on n'aurait peut-être pas eu besoin d'une troisième lecture. Je dis bien peut-être, puisqu'il n'est pas certain que l'écart pouvait être attribué à l'intervalle et non à l'autre variable importante, soit les problèmes biologiques ou d'échantillonnage se rapportant aux sujets eux-mêmes.
Enfin, parlons d'un autre changement proposé dans le , sous la catégorie de la « preuve contraire », soit l'élimination de la défense des deux bières. Un accusé affirmera qu'il n'a consommé que trois ou quatre bouteilles de bière pendant une certaine période. Si le calcul de l'alcoolémie donne un résultat inférieur à 0,08, il n'y a pas d'infraction au Code criminel. Nous estimons qu'un intervalle de 15 minutes entre les dépistages donne un résultat plus rigoureux quant à l'alcoolémie d'une personne, lorsqu'on invoque la « preuve contraire » prévue à l'article 258 du Code criminel.
Deux tests indépendants confirmant une alcoolémie supérieure à 80 milligrammes par 100 millilitres donnent des garanties plus sûres aux tribunaux que deux tests étroitement liés, ou des lectures interreliées, lorsque la validité du test est contesté par l'avocat de la défense, qui prétend que le taux d'alcoolémie peut avoir été inférieure à 0,08 au moment du test, ou même au moment de la commission de l'infraction.
Je me rends bien compte que la défense des deux bières est consternante pour beaucoup de gens, parce qu'on croit l'opinion de l'accusé plutôt que le taux d'alcoolémie déterminé par un appareil. Notre comité appuie les nouveaux changements prévus au projet de loi C-32 à cet égard parce que le souvenir du sujet n'a rien de scientifique. Il s'agit d'une opinion subjective d'une personne sur ce qu'elle pense qu'elle a pu boire pendant la soirée en question.
L'arrêt déterminant a été celui de l'affaire Boucher, devant la Cour suprême du Canada, où l'on a donné beaucoup d'importance, en apparence, au témoignage de l'accusé. À mon avis, la Cour suprême a pratiquement mis de côté les lectures données par un appareil approuvé. D'après moi, ce n'est pas scientifique et, pour nous, ce n'est pas acceptable.
Nous appuyons donc l'élimination de la défense de preuve contraire. Cela ne va pas nécessairement régler le problème, puisque la nouvelle disposition quant à la preuve contraire portera l'attention sur l'appareil lui-même, la façon dont on s'en sert et sont fonctionnement.
Monsieur le président, j'ai apporté avec moi un appareil d'alcootest, le 7410 GLC, qui est d'un usage répandu au Canada. J'ai aussi apporté un appareil approuvé au Canada, l'Intoxilyzer 5000C, qui sert en Ontario et ailleurs au Canada. Je vous ai aussi procuré des dépliants sur cet appareil, ainsi que sur un autre appareil, le BAC DataMaster C, employé aussi au Canada. J'ai des dépliants sur deux nouveaux appareils présentés au ministre pour approbation. Ce sont les appareils dont on se sert actuellement.
Ces appareils sont complètement automatisés. Il faut tout de même l'intervention d'un technicien. Mais quand des protocoles stricts sont suivis et que les appareils sont en bon état de marche, selon les procédures recommandées, les résultats des tests effectués, surtout avec un intervalle de 15 minutes, donnent une preuve déterminante du taux d'alcoolémie du sujet au moment où le test est réalisé. On peut bien sûr se demander quel était le taux d'alcoolémie au moment de l'infraction, mais c'est une autre question.
Enfin, pour parler de la situation actuelle des tribunaux et de la défense des deux bières, à notre avis, c'est une question juridique et non scientifique. En effet, le souvenir d'une personne manifestement intéressée n'a rien de scientifique.
Merci, monsieur le président.
Bonjour. Je suis Shirley Treacy. Comme on vient de le dire, je suis l'actuelle présidente du Comité sur la conduite sous l'influence des drogues de la Société canadienne des sciences judiciaires.
Ce comité est un comité consultatif du ministère de la Justice sur la drogue au volant. Je suis toxicologue judiciaire et j'ai plus de 20 ans d'expérience en travail de laboratoire analytique et en comparution devant les tribunaux. Je suis la chef de section des services de toxicologie du laboratoire judiciaire de la GRC à Winnipeg et je suis l'ancienne gestionnaire du soutien opérationnel national des Services de toxicologie des laboratoires judiciaires de la GRC. J'ai aussi reçu la formation pour le test de sobriété normalisé et pour le programme de reconnaissance, d'évaluation et de classification des drogues.
Le Comité de la drogue au volant de la Société canadienne des sciences judiciaires a déjà comparu deux fois devant votre comité, en 1999 et en 2005, sur des projets de loi semblables relatifs à la drogue au volant. Comme en ces deux autres occasions, notre comité appuie de tout coeur les dispositions du projet de loi .
Le rôle des drogues dans l'affaiblissement des facultés causant des lésions corporelles ou des décès dans le cadre d'accidents automobiles au Canada et ailleurs dans le monde est bien prouvé par les articles scientifiques. Notre mémoire vous fournit une liste de références à ce sujet.
Actuellement, le Code criminel comporte deux infractions de conduite avec facultés affaiblies. Il y a d'abord l'alinéa 253b), qui se rapporte à l'illégalité d'une alcoolémie supérieure à 0,08. En vertu de cet article, un policier peut demander à une personne de souffler dans un appareil de dépistage routier, s'il soupçonne que le suspect a consommé de l'alcool. Si le test de dépistage est positif, le policier a des motifs raisonnables de demander un échantillon d'haleine qui servira de preuve. L'échantillon est recueilli au moyen d'un alcootest, comme l'Intoxilyzer ou le DataMaster. Les lectures de ces appareils peuvent servir de preuve devant les tribunaux.
Si le suspect est blessé ou incapable de fournir un échantillon d'haleine, la police peut demander un échantillon de sang, qui sera recueilli par un médecin-praticien et analysé au laboratoire judiciaire, pour évaluer la teneur en alcool.
La deuxième infraction est celle de l'alinéa 253a) du Code criminel, qui se rapporte à la conduite avec facultés affaiblies par l'alcool ou une drogue. Il y a donc déjà une disposition du Code criminel relative à la drogue au volant. Elle n'est toutefois pas aussi efficace qu'on le voudrait, puisque le policier doit prouver qu'il y a un comportement dénotant un affaiblissement des facultés en plus de la présence de drogues dans l'organisme, causant cet affaiblissement des facultés. Il faut pouvoir prouver les deux.
Actuellement le deuxième élément de preuve, soit la drogue causant l'affaiblissement des qualités, ne peut être obtenu que par la participation volontaire du conducteur à un test de sobriété routier, par une déclaration volontaire relative à la consommation de drogues ou par le prélèvement volontaire d'un échantillon de substances corporelles pour fins d'analyse. Il s'agirait dans la plupart des cas de sang ou d'urine. J'insiste sur le fait qu'il s'agit de mesures volontaires et que très peu se sentent obligés de s'y conformer.
Pour les drogues, il n'y a pas comme pour l'alcool une infraction d'illégalité de facto, il n'y a pas de test à faire sur le route pour prouver la présence dans l'organisme d'une drogue qui pourrait affaiblir les facultés du conducteur. Les tests de dépistage routier à partir d'échantillons d'urine ou de salive ne peuvent déceler que certaines catégories de drogues. Ces tests ne donnent qu'une preuve probable, non précise quant à la source, et ne mesurent pas l'affaiblissement des facultés.
Le Comité de la drogue au volant n'appuie pas le dépistage routier des drogues par les policiers. Nous estimons que pour les drogues, le dépistage et la confirmation doivent se faire dans un laboratoire judiciaire, par des analystes compétents.
Une accusation de conduite avec facultés affaiblies par les drogues doit être appuyée par toutes les preuves suivantes : d'abord, l'observation et la documentation d'une conduite irrégulière qui attire l'attention d'un policier; deuxièmement, un test de sobriété et de reconnaissance des drogues mené au bord de la route, et troisièmement, la demande de prélèvement de substances corporelles. Cet échantillon sera alors analysé pour fins de dépistage des drogues, dans un laboratoire judiciaire.
Le projet de loi donnera au policier le pouvoir d'exiger que le conducteur se prête à un test de sobriété et à un test de reconnaissance des drogues au bord de la route, en plus de demander le prélèvement d'un échantillon de substances corporelles. Si ces trois mesures sont adoptées, ces modifications législatives excluront les conducteurs qui prennent des médicaments de manière légitime, à des fins thérapeutiques. La prise éthique de médicaments prescrits et administrés par un pharmacien ne devrait pas causer d'affaiblissement des facultés.
Il est important de signaler que la simple présence dans l'organisme du conducteur d'une drogue ou d'un médicament, qu'il s'agisse d'une drogue illicite ou d'un médicament prescrit ou non, ne donnerait pas lieu à des accusations de conduite avec facultés affaiblies puisque la conduite automobile n'aurait pas attiré l'attention du policier. Rappelons que toutes les drogues ne causent pas un affaiblissement des facultés ni ne nuisent à la capacité de conduire de manière sûre un véhicule moteur.
Aux États-Unis, la question de la drogue au volant a donné lieu à la création du programme d'évaluation et de reconnaissance des drogues, ou ERD, dans la plupart des États. Le programme a été adopté en 1988 par la National Highway Traffic Safety Administration ou NHTSA et est géré par l'Association internationale des chefs de police. C'est une procédure structurée, en 12 étapes, pour évaluer l'affaiblissement perçu des facultés d'une personne et permettre le dépistage et la description des symptômes de la consommation d'une drogue, et de ses effets.
Le programme ERD est fondé sur des faits scientifiques, soit que chaque famille de drogue a son propre ensemble de signets cliniques. Il y a sept classes. On évalue le pouls, la tension artérielle, la température corporelle, le tonus musculaire et l'apparence des yeux. Ces procédures d'évaluation peuvent être apprises et des tests peuvent être administrés pour l'ensemble des signes cliniques. L'officier formé en ERD peut identifier un famille ou des familles de drogue causant l'affaiblissement des facultés.
En outre, une partie du protocole de l'ERD impose au sujet des tests de division de l'attention pour vérifier la détérioration de la capacité de s'acquitter de tâches différentes. La conduite est une tâche complexe qui nécessite la répartition de l'attention pour s'acquitter à la fois de fonctions physiques et mentales. Sous l'influence d'alcool ou de drogues, il est difficile de répartir son attention. En fait, on a tendance à se concentrer sur une tâche en négligeant les autres. Ainsi, une personne peut se concentrer sur le maintien de la vitesse, tout en ayant du mal à rester dans sa voie. Toute détérioration de la capacité d'effectuer des tests de division de l'attention sera documentée dans le cadre de la procédure de l'ERD. On évalue ainsi si la personne a ou non les facultés affaiblies.
Cette procédure établit aussi les motifs raisonnables justifiant le prélèvement de substances corporelles à des fins d'analyse toxicologique. Si l'expert en reconnaissance des drogues détermine qu'une drogue d'une famille donnée peut avoir causé l'affaiblissement des facultés, il peut exiger un échantillon de substances corporelles pour confirmer la présence de cette drogue.
Le prélèvement de cette substance corporelle, habituellement de l'urine, est la dernière étape de la procédure. C'est la douzième de douze. L'échantillon d'urine est prélevé puis analysé, dans un laboratoire judiciaire, pour confirmer la présence de drogues.
Après l'évaluation menée par l'ERD, le rôle principal du toxicologue est de corroborer les conclusions tirées. Ainsi, si l'analyse de laboratoire ne confirme pas les conclusions de l'ERD, le toxicologue ne peut corroborer ses conclusions et il n'y aura pas de procès.
Cette procédure est décrite dans le document numéro 7 qui est cité en référence, intitulé « The Drug-Impaired Driver : The Drug Recognition Expert Response ».
Actuellement, 46 États américains suivent cette procédure pour dépister et poursuivre les conducteurs aux facultés affaiblies par les drogues. Ce programme a été validé scientifiquement tant en laboratoire que sur la route. Comme le projet de loi sert au dépistage des médicaments et des drogues illicites, son application en se limitera pas aux drogues illicites.
Outre l'affaiblissement des facultés par l'alcool et des drogues à usage récréatif, il y a des problèmes de santé qui peuvent affaiblir les facultés nécessaires à la conduite, comme le diabète mal maîtrisé, l'épilepsie et l'AVC. La procédure d'ERD aide les policiers à cerner les problèmes de santé qui peuvent affaiblir les facultés. Par conséquent, l'ERD orienterait le sujet vers les services de santé, plutôt que de l'incarcérer.
Merci pour votre attention.
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Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je suis le gestionnaire de la recherche et de la politique au Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies. Je suis behavioriste et, depuis 24 ans, mes recherches portent presque exclusivement sur les questions relatives à l'affaiblissement des facultés de conduire. Je suis accompagné aujourd'hui de M. Jacques LeCavalier, ancien directeur général du CCLAT et associé et conseiller principal actuel. Nous vous remercions de nous avoir invités aujourd'hui à vous exposer notre point de vue sur la question de la drogue au volant au Canada dans le cadre de votre examen du projet de loi .
Le CCLAT a été fondé en 1988 par une loi du Parlement et il est l’organisme national canadien non gouvernemental chargé d’assurer un leadership à l’échelle nationale et de fournir des analyses et des conseils factuels en matière de consommation et d’abus de substances au Canada. C’est pourquoi la problématique de la drogue au volant présente un grand intérêt pour notre organisme, et nous croyons être en mesure de contribuer de façon importante à l’échange des idées sur le sujet.
Mes collègues du CCLAT et moi sommes d'avis que la conduite avec facultés affaiblies reste une source de préoccupation importante pour notre pays. Nous avons traité de cette question dans bon nombre de publications dont nous avons remis des exemplaires à la greffière. Nous avons aussi accepté de travailler de concert avec le Conseil canadien des administrateurs en transport motorisé et Transports Canada vers l'atteinte des objectifs de la stratégie de réduction de la conduite avec facultés affaiblies. Nous croyons que nos travaux collectifs traduisent notre intérêt et notre expertise dans le domaine de la drogue au volant.
De façon générale, le CCLAT appuie la loi proposée surtout en ce qui concerne l'obligation, pour les individus soupçonnés de conduire avec les facultés affaiblies par les drogues ou l'alcool, de se soumettre à une épreuve de coordination des mouvements, comme le test normalisé de sobriété administré sur place, d'être soumis à une évaluation par un policier qualifié à utiliser certaines techniques, comme le programme d'évaluation et de classification des drogues, ou PECD, et de fournir un échantillon de liquide corporel à des fins d'analyse. Ces mesures favoriseront la mise en place d'un processus semblable à celui actuellement en vigueur pour l'alcool au volant. Par contre, nous aimerions porter à l'attention du comité quelques points concernant le projet de loi .
Les travaux que nous avons réalisés sur la question soulignent les risques que posent les drogues sur la circulation. Ils montrent en outre que, comparativement à ce que nous savons sur l'alcool au volant, nos connaissances sur la drogue au volant sont limitées. Cette situation est due en grande partie au fait que la problématique de la drogue au volant est beaucoup plus complexe que celle de l'alcool au volant. Ces complexités ont ralenti les progrès dans le domaine et fragilisent toute tentative de prise de position catégorique sur l'ampleur du problème de la drogue au volant. C'est pourquoi il est nécessaire de réaliser des recherches scientifiques crédibles sur le sujet afin d'en connaître la véritable nature et l'ampleur réelle au Canada.
La recherche dans ce domaine est constamment confrontée à la difficulté de dépister et d'évaluer les conducteurs sous l'influence des substances. Si la présence et la qualité d'alcool sont facilement établies grâce à l'alcootest, il n'existe à l'heure actuelle aucun instrument d'une fiabilité absolue pour contrôler les conducteurs ayant absorbé d'autres substances. Des innovations technologiques utilisant les fluides corporels portent à croire qu'il sera possible de mettre au point un appareil fiable de détection de certaines substances, mais peut-être pas avant quelques années. En outre, si un consensus existe sur le niveau d'alcoolémie associé à la conduite avec facultés affaiblies, aucun niveau de ce genre n'a été établi en ce qui concerne les autres substances psychotropes.
La courbe de risque relatif de l'alcool présentée dans l'étude classique du professeur Borkenstein au début des années 60 reste à être établie pour les autres drogues. Il importe par conséquent que les tests visant à déterminer le niveau d'affaiblissement des capacités d'un conducteur aillent de pair avec la collecte et l'analyse de fluides corporels pour y détecter la présence de substances psychoactives.
Mes collègues du CCLAT et moi-même collaborons avec la GRC à évaluer la mise en oeuvre du programme d'évaluation et de classification des drogues au Canada. Tant M. LeCavalier que moi-même avons suivi la formation d'expert en reconnaissance de drogues et nous connaissons donc très bien la façon dont ce programme fonctionne.
Comme vous l'ont indiqué d'autres témoins, y compris le caporal Graham de la GRC, le PECD est un protocole systématique et normalisé visant à déceler les signes et symptômes associés à la conduite avec facultés affaiblies par des substances psychoactives. Dans le cadre de notre projet, nous avons passé en revue des données scientifiques sur la précision du PECD et en avons déduit que la capacité des policiers formés à déterminer la catégorie de drogues responsable des signes et symptômes que présentent les personnes soupçonnées de conduite avec facultés affaiblies était très bonne, le taux d'efficacité générale étant de plus de 85 p. 100. S'il n 'est pas rare d'obtenir de faux négatifs, il est relativement inhabituel d'obtenir de faux positifs.
Un article sur les résultats de notre examen a récemment été retenu pour publication dans la revue examinée par les pairs Traffic Injury Prevention.
Nous nous sommes également penchés sur les évaluations de conducteurs soupçonnés d'avoir pris le volant sous l'effet de la drogue réalisées par des policiers canadiens ayant suivi la formation du PECD. Il a ainsi été démontré que dans 98 p. 100 des cas, la catégorie de drogue qui, pour le policier évaluateur, était responsable de l'affaiblissement des facultés correspondait à la catégorie mise en évidence par l'analyse toxicologique. Encore une fois, un exemplaire du rapport préliminaire de cette étude a été remis à la greffière.
Dans une recherche actuellement en cours, nous étudions la fiabilité du PECD, c'est-à-dire dans quelle mesure divers policiers en viennent à un consensus sur la catégorie de drogue présente chez un individu. Pour ce faire, nous avons remis à un groupe d'experts en reconnaissance de drogues sélectionnés au hasard les résultats d'évaluation de 23 cas distincts. Ces policiers n'ont reçu que l'information sur les résultats des tests faits lors des évaluations originales. Certains éléments ont été expressément exclus, dont le rapport du policier procédant à l'arrestation, son exposé des faits et toute admission faite par le suspect qu'il avait consommé. Nos analyses préliminaires montrent que, avec cette information limitée, les policiers ont été en mesure de s'entendre sur la catégorie de drogue dans 75 p. 100 des cas. Pour nous, ces résultats sont très bien, compte tenu du fait que les experts ne pouvaient directement observer le suspect et n'avaient accès qu'à une quantité limitée d'information. En plus de mettre en évidence la fiabilité des évaluations, les conclusions attestent de la validité globale des données objectives recueillies lors des évaluations PECD.
Si les résultats que nous avons obtenus sont positifs, il est évident que le PECD n'est pas parfait. Les données indiquent que l'exactitude du PECD varie en fonction de la classe de drogue, c'est-à-dire que certaines classes sont plus difficiles à détecter que d'autres. De plus, le fait de consommer plus d'une drogue ou de prendre de l'alcool en combinaison avec une autre substance atténue certains symptômes ou, au contraire, en aggrave d'autres, ce qui entraîne des erreurs dans la spécification de la catégorie de drogue. Dans ces cas, la question n'est pas de savoir si le suspect a les facultés affaiblies par la drogue. Il s'agit de déterminer quelle substance a causé l'affaiblissement des facultés qui a été observé. Néanmoins, nous sommes convaincus que le PECD constitue la meilleure procédure à notre disposition pour évaluer l'affaiblissement des facultés par la drogue. Il faudra procéder à des recherches et à des évaluations supplémentaires pour mieux comprendre le rôle des drogues dans la sécurité routière et déterminer quelle est la meilleure façon d'identifier et de prendre en charge efficacement les personnes qui ont ce comportement.
Le protocole de reconnaissance des drogues est une procédure qui évolue. D'autres recherches et développement en lien avec le PECD amélioreront en bout de ligne la capacité des procédures de détecter certaines classes de drogue. Nous poursuivons nos travaux de recherche et avons actuellement recours à des évaluations existantes pour certains des groupes de variables clés permettant d'identifier certaines catégories de drogue précises.
Nous croyons qu'il est essentiel d'examiner la question de l'affaiblissement des capacités pour remplir le but global du projet de loi. La seule présence d'une drogue ou de métabolites ne suffit pas à prouver qu'un conducteur a les facultés affaiblies. Selon le processus énoncé dans la loi, l'enquêteur doit avoir des motifs raisonnables et probables de soupçonner l'affaiblissement de la capacité de conduire un véhicule en toute sécurité avant de recueillir un échantillon de liquide corporel. Ce processus dissipe les craintes soulevées par les médias voulant que des accusations criminelles puissent être portées lors de l'obtention d'un résultat positif à un dépistage de drogue sans qu'un lien ne soit établi avec une consommation récente ou réelle. La police doit d'abord établir l'affaiblissement des facultés du conducteur.
Nous sommes d'avis que la loi devrait continuer à cibler la sécurité publique en enrayant la conduite sous l'influence de la drogue et ne devrait pas être vu comme une mesure de contrôle de la drogue. Dans ce contexte, nous croyons que le paragraphe 253.1(1), qui énonce que la possession par un conducteur d'une substance contrôlée dans un véhicule constitue une infraction, est incompatible avec le concept de la conduite avec facultés affaiblies. Le simple fait d'être en possession d'une drogue dans un véhicule ne signifie pas que le conducteur a les facultés affaiblies. De plus, ce paragraphe précis fait référence aux substances désignées au sens du paragraphe 2(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (LRCDAS), alors que dans certains cas, aucune étude n'a démontré qu'elles affaiblissaient les facultés — par exemple, les stéroïdes anabolisants. Nous recommandons que les infractions liées à la possession de substances illicites soient prises en charge par la LRCDAS.
En outre, pour veiller à ce que la loi soit vraiment axée sur les facultés affaiblies, il faut définir le concept de drogue. Nous proposons donc la définition du programme d'évaluation et de classification des drogues (PECD) et qui dit que la drogue est toute substance qui, lorsqu'elle est ingérée dans l'organisme humain, est susceptible d'affaiblir la capacité de la personne de conduire un véhicule à moteur de façon sécuritaire.
Même s'il existe suffisamment de données prouvant les dangers de la conduite sous l'influence de la drogue pour justifier les mesures avancées par la loi, les données mettent clairement en évidence que la combinaison alcool et drogue, même en petites quantités, entraîne un degré d'affaiblissement et un risque supérieur à celui présenté par la consommation d'une seule de ces substances.
Pour tenir compte de cette situation, nous proposons que l'affaiblissement des capacités dû à une consommation combinée d'alcool et de drogue, ou de deux substances ou plus, soit considéré comme une circonstance aggravante lors de la détermination de la peine, dans la même veine que l'article 255.1 qui considère une concentration d'alcool dans le sang supérieure à 160 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang comme une circonstance aggravante à l'infraction de conduite avec facultés affaiblies par l'alcool.
Il ne fait aucun doute que vous êtes déjà sensibilisés au fait que pour appliquer le projet de loi , il faudra former des policiers à administrer les tests de mesure des facultés affaiblies et à appliquer les techniques d'évaluation et de classification des drogues. À l'heure actuelle, on compte 2 427 policiers qualifiés à faire passer le test normalisé de sobriété administré sur place, 153 experts certifiés en reconnaissance de drogue et 97 policiers en cours de certification. D'après notre expérience personnelle, la formation PECD est intense et exigeante. Elle demande de la résolution, une étude constante et de la pratique. Pour que la loi ait un effet bénéfique sur la conduite avec facultés affaiblies par les drogues, il faut s'engager à former des policiers à utiliser ces techniques et à continuer à développer et à évaluer ces techniques.
Le dépôt de ce projet de loi et l'établissement des programmes de formation connexe nécessaires sont des mesures énergiques permettant de s'attaquer à une problématique persistante et croissante. Mais pendant votre examen de cette mesure législative, il importe de reconnaître que l'application de la loi n'est qu'un des volets d'une stratégie globale contre la drogue au volant. Il faut inclure la prévention, le jugement et la réadaptation dans notre stratégie d'ensemble.
En outre, une stratégie globale efficace exigera que les provinces et les territoires coordonnent leurs efforts et collaborent, car ils partagent la responsabilité de prendre en charge les conducteurs avec facultés affaiblies. Il faudrait encourager les organismes provinciaux et territoriaux à passer en revue leur programme contre la conduite en état d'ébriété, par exemple, la suspension administrative du permis, la suspension de courte durée, les programmes de dispositifs anti-démarrage et les programmes de réadaptation, et s'assurer que les personnes ayant conduit avec les facultés affaiblies par les drogues ont accès à des options appropriées. Faute d'apporter de tels changements à l'échelle provinciale et territoriale, les conducteurs auront rapidement l'impression que la drogue au volant est une infraction moins grave que l'alcool au volant, ce qui est manifestement inacceptable.
Enfin, nous aimerions recommander qu'une attention particulière soit accordée à la nécessité de procéder à une évaluation exhaustive de la loi et à l'établissement du PECD. L'évaluation est plus qu'un simple processus visant à déterminer si un programme est une réussite ou un échec. Elle permet d'informer les décideurs des secteurs à améliorer pour optimiser l'efficacité d'un programme et où des économies peuvent être réalisées. En matière de drogue au volant, il est essentiel de prendre position par rapport à une surveillance et à une évaluation continues.
Pour terminer, nous apprécions l'occasion qui nous a été offerte de présenter au comité notre point de vue sur la drogue au volant au Canada. Nous vous remercions de votre intérêt et il nous fera plaisir de répondre à vos questions.
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Merci, monsieur le président. Comme mon prénom est un nom de famille courant, on m'appelle souvent Me Mitchell. Aux fins du compte rendu, je signale que je m'appelle Mitchell MacLeod.
Tout comme Mme Thomson, je vous remercie de nous avoir invités à vous faire part de notre point de vue sur ce dossier très important. Je répète que, en effet, notre mémoire a été rédigé en tenant compte de tous les points de vue des avocats de notre section, des avocats qui sont procureurs de la Couronne ou avocats de la défense et qui pratiquent un peu partout au pays, en milieu urbain ou rural et en pratique publique ou privée.
Pour ma part, au sein de l'exécutif de notre Section du droit pénal, je siège à titre de président d'une section provinciale et je peux vous dire que nous avons eu des discussions et des débats animés avant de tirer des conclusions et de formuler les recommandations qui figurent dans le mémoire que nous vous avons remis. De plus, je pratique le droit pénal depuis plus de 10 ans à titre d'avocat de la défense et de poursuivant. Il m'est d'ailleurs arrivé de jouer les deux rôles devant le même tribunal le même jour.
En guise de préambule à mes principales observations, permettez-moi d'énoncer une croyance commune à tous ici présents, je crois, à savoir qu'il est dans l'intérêt de notre société et de nos concitoyens de réduire les cas de conduite avec facultés affaiblies.
Aucune donnée ou statistique sur ce grave problème ne permet d'attribuer une juste valeur aux vies humaines que vous pourrez sauver, vous du gouvernement ou du comité, si vous réussissez à apporter des changements législatifs et de politique qui permettront de réduire la fréquence des cas de conduite avec facultés affaiblies sur nos routes.
Nous représentons des juristes de toutes les régions du pays, mais nous sommes aussi des citoyens, des membres de la communauté et, à ce titre, nous ne pouvons nous opposer à quoi que ce soit qui soit bénéfique pour notre société comme le serait la baisse du nombre de cas de conduite avec facultés affaiblies et des tragédies qui en résultent souvent.
Toutefois, comme vous le constaterez en lisant notre mémoire, nous estimons que les mesures qui seront adoptées pour atteindre cet objectif ne doivent pas seulement donner l'impression de s'attaquer au problème mais plutôt donner des résultats concrets. Ces mesures doivent être rationnelles et factuelles et avoir un lien avec le résultat que nous souhaitons obtenir. Ces mesures doivent tenir compte des droits fondamentaux de tous enchâssés dans notre Charte. Elles ne doivent pas servir à assouvir un désir peut-être compréhensible de justice vengeresse ou de faire augmenter le taux de condamnation. Il ne faut pas mêler ces concepts à la réduction du taux de conduite avec facultés affaiblies.
Notre position est énoncée en détail dans notre mémoire assez volumineux et je n'ai pas l'intention, dans le peu de temps dont je dispose, de passer en revue tous ces détails. Je vous décrirai simplement quelques faits saillants et peut-être des points qui n'ont pas été abordés par les autres témoins de ce matin.
Dans l'ensemble, nous estimons que chacune des dispositions du projet de loi soulève des questions relatives à la Charte et que, par conséquent, l'adoption de cette mesure législative pourrait entraîner une augmentation importante et peut-être même paralysante des contestations au terme de la Charte. Si certains croient que les préoccupations de notre Section du droit pénal à cet égard laissent deviner une influence indue de la part des avocats de la défense, je peux vous dire que, en effet, le projet de loi sous sa forme actuelle représente une mine d'or pour les avocats de la défense qui voient déjà le nombre de procès augmenter.
À titre d'avocat dont la pratique comprend la défense de personnes accusées de conduite avec facultés affaiblies, d'un point de vue purement professionnel et intéressé, je peux vous dire que j'entrevois des mois, sinon des années de poursuites potentielles grâce à la version actuelle du . Mais à l'Association du Barreau canadien, c'est l'intérêt public qui prime pour ces questions, particulièrement à la Section du droit pénal. Nous déclarons donc, en conclusion, qu'il faut déployer tous les efforts possibles pour mettre en oeuvre des mesures qui réduiront la fréquence de la conduite avec facultés affaiblies et qui n'encourageront pas la multiplication des poursuites et l'effet négatif qu'elles auraient sur l'administration de la justice, en écrasant le système judiciaire si le volume des poursuites criminelles augmentait partout au pays.
Une augmentation du volume taxerait les ressources, les fonds et le temps qui peuvent être consacrés, à notre avis, à lutter plus efficacement contre la conduite avec facultés affaiblies. Il s'agit de mesures d'abord préventives. Il s'agit de mesures qui permettront d'épargner des vies humaines, de manière directe. Il s'agit de mesures d'application de la loi. À notre avis, le risque d'être pris, tel qu'il est perçu, prime sur le risque ou l'effet positif de ce qui pourrait se produire après l'arrestation. C'est le risque de se faire prendre, d'être dépisté, qui peut être le plus efficace pour réduire la fréquence de la conduite avec facultés affaiblies au Canada.
Au sujet des experts en reconnaissance des drogues, des tests de sobriété sur place et des tests ultérieurs, de même que sur l'élimination ou la réduction de la portée de la défense de preuve contraire, je vais citer une partie de notre mémoire. À notre avis, sans un enregistrement vidéo obligatoire des événements auxquels sont associées ces mesures, il n'y pas même lieu d'en parler. En effet, l'enregistrement audio-vidéo doit être la condition nécessaire à l'adoption de ces dispositions dans le Code criminel.
Le matériel nécessaire à ces enregistrements est déjà chose courante dans les postes de police. À notre avis, il s'agit moins d'un problème technologique que d'un manque d'engagement par rapport aux ressources nécessaires à la mise sur pied de cadres relatifs à l'enregistrement vidéo du test de sobriété sur place et des tests menés par l'ERD ultérieurement. Cela se rapporte aussi à l'élimination ou à la restriction de la preuve contraire. À notre avis, il faut exiger un engagement relativement à l'enregistrement vidéo de ces procédures.
De par leur nature, les activités des experts en reconnaissance des drogues, peu importe la qualité de leur formation, sont entachées d'une grande subjectivité et doivent absolument, à notre avis, faire l'objet d'un enregistrement vidéo. Nous pensons que la disponibilité d'un enregistrement vidéo des tests effectués par l'ERD, des tests sur place comme des tests ultérieurs pourrait dissuader bon nombre d'accusés de tenter la chance de contester l'accusation. Je peux dire, d'après mon expérience personnelle, qu'il n'y a rien comme de se voir à l'écran, pour un accusé, pour bien comprendre la situation.
À notre avis, la disponibilité des enregistrements électroniques pourrait réduire l'inondation anticipée de poursuites liées aux tests subjectifs des experts en reconnaissance des drogues. Si, comme certains témoins l'ont dit, les tests menés par les ERD sont aussi précis et légitimes, grâce à la formation qu'ils ont reçue, un enregistrement électronique des tests effectués ne ferait que le confirmer et rassurer le public et la profession.
Au sujet de l'enregistrement vidéo et de l'élimination ou de la restriction de la portée de la défense de preuve contraire — ce qu'on appelle aussi la défense des deux bières — le dispositions du projet de loi renversent le fardeau de la preuve et exigent de l'accusé qu'il prouve que l'appareil, la machine ou le technicien étilométriste a commis une erreur. Ces dispositions limitent aussi le genre de preuve que l'accusé peut produire pour appuyer l'allégation selon laquelle l'appareil, ou l'étilométriste, a commis une erreur. À notre avis, dans cette situation, il n'y a plus de défense possible à moins d'avoir un enregistrement audiovisuel indépendant du processus. Il sera difficile à l'accusé, des semaines ou des mois après le fait, de prouver que l'utilisation ou le fonctionnement de l'appareil ou les activités de l'étilométriste ont mené à une erreur, à moins qu'il y ait un enregistrement visuel indépendant de ce qui s'est passé. Nous vous disons respectueusement qu'il faut plus qu'une feuille de contrôle remplie par l'étilométriste, et plus qu'un imprimé craché par l'appareil dans son mode d'autovérification, disant : « Je me suis vérifié moi-même et je vais très bien, merci ».
Dans les postes de police et les détachements, les moyens technologiques nécessaires sont répandus. Là où il n'y en a pas, il faudrait prendre l'engagement de s'en munir. Pour que l'accusé puisse réellement se défendre, il doit pouvoir montrer ces choses, et il faut qu'on puisse montrer ultérieurement de manière à l'évaluer indépendamment, ce qui s'est produit au poste de police, ce qu'a fait le technicien et comment a fonctionné l'appareil.
Enfin, j'aimerais parler brièvement d'une partie de notre mémoire portant sur la nouvelle infraction associée à une alcoolémie de « 0,08 » causant la mort ou des lésions corporelles ou le refus de fournir un échantillon d'haleine lorsque l'accusé sait ou aurait dû savoir qu'il ou elle a causé un accident qui a causé des lésions corporelles graves ou la mort.
Nous considérons que ces dispositions posent de graves problèmes. De l'avis de la Section du droit pénal, on aurait tort de mettre dans le même sac les peines maximales de prison à vie pour des infractions où la conduite avec facultés affaiblies est prouvée, et les cas où une personne a une alcoolémie supérieure à 80 milligrammes par 100 millilitres de sang, et les cas où l'accusé a refusé de donner un échantillon d'haleine. L'aspect répréhensible de ces circonstances n'est pas le même, pose problème et est propice à des contestations judiciaires en vertu de la Charte. Nous alléguons que ce n'est pas la lecture de l'alcoolémie d'un accusé qui « cause » un décès ou des lésions corporelles ou un accident causant la mort ou des lésions corporelles; ce sont les facultés affaiblies du conducteur d'un véhicule moteur qui est la cause de ces circonstances. Comme nous le disons dans notre mémoire, on reconnaît pratiquement partout que la faculté de conduire est affaiblie à 100 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang, ce qui élimine l'efficacité visée par la création d'une infraction liée à une alcoolémie supérieure à 0,08 — encore une fois entre guillemets — « causant » la mort ou des lésions corporelles.
Et plus grave encore à nos yeux, la création d'une infraction de refus de fournir un échantillon d'haleine après avoir été impliqué dans un accident ayant causé des lésions corporelles ou la mort. Comme nous le déclarons dans notre mémoire, il y a tout un problème dès qu'on ajoute un test objectif à ces circonstances, où il faut prouver que la personne savait ou aurait dû savoir que l'accident avait causé des lésions corporelles ou la mort. Sur le moment, il est possible au conducteur de refuser de fournir un échantillon, si la mort ou des lésions corporelles ont été causées. Manifestement, un accident grave a eu lieu et le conducteur suspect, à qui l'on demande un échantillon, peut avoir été blessé ou être en état de choc. On peut prévoir que cela ait une incidence sur ce que cette personne sait ou aurait dû savoir dans les circonstances, ce qui nuit certainement à la preuve.
En examinant la chose de plus près, on voit bien qu'une personne à qui l'on demande de fournir un échantillon, tout de suite après un accident... on peut se demander si cette personne est en mesure de déterminer si c'est sa conduite d'un véhicule moteur qui a causé l'accident, ou s'il a été simplement impliqué dans un accident. Ce sont deux situations différentes, faisant l'objet de critères différents.
Je vous remercie encore une fois de cette occasion de présenter quelques aspects des observations de notre mémoire. Comme vous le savez, notre mémoire présente davantage de détails techniques relatifs à la jurisprudence et à d'autres aspects du projet de loi qui font problème, aux yeux de la Section du droit pénal.
L'objectif social visé est certainement louable. Rien dans notre mémoire ni dans mon exposé ne peut laisser croire qu'il n'est pas louable de viser une réduction de la fréquence de la conduite avec facultés affaiblies. Nous en profitons toutefois pour dire que l'ensemble de ces dispositions ne permet pas raisonnablement d'atteindre l'objectif ultime de réduction de l'incidence de la conduite avec facultés affaiblies sur nos routes.
Je m'arrête ici et je répondrai volontiers à vos questions.
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La réponse est oui, à vos trois questions.
Pour revenir à votre question du début, sur les experts en reconnaissance de drogues, je suis au courant des propos de Mme Treacy qui conteste l'utilité d'enregistrer sur bande vidéo des activités comme la prise de la tension artérielle, du pouls et de la température corporelle, qui font toutes partie des épreuves effectuées par l'expert en reconnaissance de drogues. Quant à nous, nous estimons qu'il serait très utile d'enregistrer ces activités sur bande vidéo. Je crois que Mme Treacy s'interrogeait sur l'utilité d'enregistrer ces activités sur bande vidéo quand on ne sait pas ce qu'on cherche. Or, c'est justement pour cela que c'est important. Si vous êtes accusé d'un délit de ce genre et que l'évaluation a été enregistrée sur bande vidéo, votre avocat pourra faire visionner la bande par une personne qui connaît des étapes nombreuses et précises que doit suivre un expert en reconnaissance de drogues pour déterminer si ces étapes ont bien été suivies, et dans l'ordre prescrit, et si on a respecté les protocoles pertinents.
En fait, un des aspects de ce projet de loi qui suscite certaines réserves chez nous est l'absence de règlements — du moins je n'en ai pas vus — décrivant en détail toutes ces modalités d'évaluation. On parle de formation et de manuel alors qu'à mon avis, ces modalités devraient être détaillées dans un règlement, ce qui assurerait l'application uniforme dans tout le Canada d'un protocole très précis dont l'enregistrement vidéo viendrait confirmer le respect.
Évidemment, on ne pourrait pas voir très clairement que la personne interceptée a les yeux rouges, mais il serait possible de noter certaines données physiques : comment a-t-on procédé pour prendre la tension artérielle, le pouls ou la température corporelle? Combien de temps a-t-il fallu pour les prendre et a-t-il fallu s'y reprendre à plusieurs fois pour mesurer la tension artérielle? Tout cela serait visible sur la bande vidéo.
En ce qui concerne les cas de facultés affaiblies, que ce soit par l'alcool ou la drogue, j'ai souvent eu l'occasion de voir ces bandes vidéo enregistrées au poste de police, que ce soit à l'entrée de l'immeuble ou dans une salle d'interrogation. Je peux vous assurer que dans la très grande majorité des cas, j'irais même jusqu'à dire dans la totalité des cas, cela se révèle extrêmement instructif. L'enregistrement pouvait montrer à la personne accusée qu'elle était, en fait, un peu plus ivre qu'elle le croyait. Je crois que ces enregistrements serviraient plus souvent les intérêts de la poursuite que ceux de la défense.
Enfin, en ce qui concerne l'entretien ou la vérification du fonctionnement des caméras vidéo, ce n'est pas précisément à cela que nous songions lorsque nous avons parlé du dossier audiovisuel; nous pensions plutôt aux tests effectués en bordure de route et les preuves se sobriété ou à l'évaluation faite par l'expert en reconnaissance de drogues au poste de police. Plus l'enregistrement est clair, mieux c'est, à notre avis. Nous n'aurions donc rien contre ce processus, a priori. Quant à la question de savoir si on tient déjà assez de dossiers, quand les appareils sont utilisés par du personnel qualifié, je ne peux pas me prononcer avant d'en avoir discuté davantage avec la section pour laquelle je travaille ou les experts en la matière.
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Le processus comporte 12 étapes. Comme je le disais tout à l'heure, cela s'applique dans le cas d'une personne qui n'a pas réussi l'épreuve de sobriété normalisée effectuée sur place, sur l'accotement. Le conducteur en cause est amené au poste de police où une personne formée en reconnaissance de drogues effectue certains tests oculaires, évalue différents indicateurs cliniques et demande à la personne d'effectuer certaines tâches d'attention divisée. L'une des premières étapes consiste à regarder les yeux pour voir si la personne n'a pas une blessure à la tête. En même temps, vérifier la présence de problèmes de santé.
On procède à cette évaluation en 12 étapes et on consigne toutes les données obtenues. On évalue notamment le pouls et la tension artérielle à divers moments, de même que la vision et le tonus musculaire. On demande à l'intéressé de faire cinq tâches d'attention partagée, plutôt que trois, comme dans le test effectué sur l'accotement. La capacité ou l'incapacité à effectuer les tâches d'attention partagée aide à déterminer si les facultés de la personne en cause sont affaiblies. Ensuite, d'après les indicateurs cliniques, on détermine quelle drogue ou quelle catégorie de drogues — il peut y en avoir plus d'une — a affaibli les facultés. Il peut s'agir d'un mélange d'alcool et de drogue.
Si l'expert en reconnaissance de drogues ne peut se prononcer ou si la personne soupçonnée réussit les tâches d'attention partagée à ce moment-là, on ne prélève aucun échantillon de substance corporelle. L'expert en reconnaissance de drogues indiquera qu'il a effectué la batterie complète de tests. Il se peut que l'individu ait pris une drogue de très courte durée d'action ou qu'il soit en mesure d'effectuer les tâches d'attention partagée à un moment précis. Dans ce cas, l'ERD ne va pas plus loin. Il arrête les tests et déclare que la personne n'est manifestement pas sous l'influence de drogue ou d'alcool.
Il faut donc effectuer les 12 étapes pour pouvoir se prononcer et déclarer : « La capacité de conduire un véhicule à moteur de cette personne est effectivement affaiblie parce qu'elle a consommé une catégorie x de drogue. » On identifie la catégorie de drogues en cause, mais pas la drogue proprement dite. On ne dira pas qu'il s'agit de cocaïne ou de méthamphétamine, mais plutôt d'un stimulant. Un échantillon d'urine est prélevé et envoyé au laboratoire. Je ne vérifie pas la présence uniquement de stimulants, mais de toutes les drogues. Par conséquent, si l'individu avait pris un dépresseur et non un stimulant, mon évaluation serait erronée et aucune poursuite ne serait intentée. Les analyses peuvent aussi révéler la présence de cocaïne, de méthamphétamine fine, d'amphétamine fine, d'éphédrine ou de sudéphédrine. Ce sont tous des stimulants, ce qui corroborerait la conclusion de l'ERD.
J'estime en effet qu'il y a beaucoup de garanties et de contrepoids dans le processus et que les personnes qui n'auraient pas pris de drogue ne feraient pas l'objet d'accusation. La procédure est détaillée et il faut suivre les trois étapes. Il faut tout d'abord disposer de données laissant croire que le conducteur a les facultés affaiblies. Ensuite, il faut que le conducteur ait échoué à l'épreuve uniforme de sobriété effectuée sur l'accotement. Il doit se plier à différentes épreuves à la demande d'un ERD, dont des tâches d'attention partagée. Enfin, il faut que l'échantillon de substance corporelle corrobore les conclusions de l'expert en reconnaissance de drogues. Comme on le voit, il y a beaucoup de mesures permettant d'éviter les erreurs.
Votre deuxième question portait sur les gens qui fument la cigarette. L'ERD n'évalue pas la présence de toutes les drogues. Il y a beaucoup de drogues qui n'affaiblissent pas la faculté de conduire un véhicule à moteur. C'est le cas de la nicotine présente dans les cigarettes, et de la caféine. Nous faisons abstraction de substances comme des vitamines ou des antibiotiques, ou beaucoup d'autres médicaments. Toutes les drogues n'entravent pas la capacité de conduire.
Le programme des ERD porte sur sept catégories susceptibles de miner la capacité de conduire. Bien que les analyses permettent de déceler n'importe quelle substance, par exemple l'acétaminophène présent dans le comprimé de Tylenol ou d'Aspirine, je ne vais déclarer que celles qui nuisent à votre capacité de conduire un véhicule. Toutefois, le rapport fera état de toutes les autres drogues dont on a décelé la présence, et je vais signaler que certaines d'entre elles n'affaiblissent pas la capacité de conduire. Cela fait partie de mes fonctions de toxicologue.
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C'est vrai, mais je sais que M. Hodgson et Mme Treacy ont tous les deux dit que l'alcool, c'est une chose, mais que lorsqu'il s'agit de drogues, c'est tout à fait différent.
La préoccupation de la Section du droit pénal, c'est qu'on essaie d'appliquer le même genre de cadre à la conduite avec facultés affaiblies par la drogue qu'à la conduite en état d'ébriété. Nous pensons que c'est un problème.
C'est pour cela que vous avez le dépistage sur l'accotement, les experts en reconnaissance de drogues et ces prélèvements d'échantillon de substance corporelle, qui sont des procédures très invasives. Même les analyses d'urine sont envahissantes. En surface, ça n'a l'air de rien, mais pour confirmer la source du dépistage — je ne vais pas entrer dans les détails outre mesure — cette expérience peut être assez humiliante.
Pour certains, une prise de sang est une expérience traumatisante.
Tous ces problèmes découlent du fait qu'on essaie d'assujettir la conduite avec facultés affaiblies par la drogue au cadre prévu dans le Code criminel, si vous comprenez ce que je veux dire.
Nous reconnaissons qu'il y a un problème, mais étant donné que la situation est parfaitement différente qu'il s'agisse de drogue ou d'alcool, nous n'en sommes pas encore à pouvoir appliquer le même cadre législatif aux deux scénarios.
Il existe déjà des dispositions du Code criminel qui permettent aux agents de police d'observer les signes de facultés affaiblies par les drogues ou l'alcool, ou les deux, que l'on peut utiliser. Mais lorsqu'il s'agit des experts en reconnaissance de drogues, des 12 étapes supplémentaires et de ce que ces dernières peuvent ou ne peuvent pas révéler, c'est là que notre section n'est plus très à l'aise.
À notre avis, il faudra des études supplémentaires et des recherches scientifiques avant de pouvoir utiliser le même cadre pour les drogues que pour l'alcool.