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Je déclare ouverte cette séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne.
En ce jeudi 3 mai, nous avons à l'ordre du jour le projet de loi .
J'espère que les témoins voudront bien excuser mon retard, ainsi que celui de M. Comartin. Nous étions au petit-déjeuner-prière national à écouter une histoire fascinante dont nous ne voulions pas manquer la fin. Mais je suis désolé de vous avoir fait attendre.
Nous accueillons, du Commissariat aux langues officielles, le commissaire Graham Fraser, et Johane Tremblay, directrice de la Direction générale des affaires juridiques. La Fédération des associations de juristes d'expression française de common law est représentée par Louise Aucoin, ainsi que Mme Côté.
Merci à tous d'être venus. Vous pourrez prendre la parole dans l'ordre dans lequel je vous ai présentés, en commençant par M. Fraser.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Mesdames et messieurs les membres du comité, merci de m'avoir donné l'occasion de comparaître aujourd'hui pour vous faire part de mes commentaires au sujet du projet de loi et plus particulièrement au sujet des modifications proposées aux articles 530 et 530.1 du Code criminel, lesquels garantissent les droits linguistiques des accusés.
Comme l'a précisé la Cour suprême du Canada dans l'affaire Beaulac, ces dispositions ont pour objet de donner un accès égal aux tribunaux aux accusés qui parlent l'une des deux langues officielles du Canada afin d'aider les minorités de langue officielle à préserver leur identité culturelle. Le Commissariat a depuis longtemps relevé le besoin de modifier ces dispositions.
Pour mettre en contexte mes commentaires, je tiens à préciser que le projet de loi traite de quelques-unes des questions soulevées dans l'étude intitulée L'utilisation équitable du français et de l'anglais devant les tribunaux au Canada qui a été réalisée en 1995 par le commissaire aux langues officielles de l'époque, Victor Goldbloom.
Je suis heureux de souligner que certaines dispositions du projet de loi servent à préciser et à améliorer les dispositions du Code criminel en matière de droits linguistiques et doivent être considérées comme des progrès à cet égard.
Par exemple, le projet de loi prévoit que le juge de paix ou le juge de la cour provinciale devant qui l'accusé comparaît pour la première fois s'assurera que l'accusé est avisé de son droit de subir son procès dans la langue officielle de son choix. À l'heure actuelle, l'accusé n'est avisé de ce droit que s'il n'est pas représenté par un procureur. Il ne fait aucun doute que l'attribution de ce droit à tous les accusés constitue un progrès encourageant.
En outre, dans la mesure où les modifications proposées ont pour objet de codifier la jurisprudence existante en matière de droits linguistiques au Canada, certaines dispositions du projet de loi tiennent effectivement compte de cet objet.
Par exemple, le projet de loi reconnaît le droit de l'accusé de recevoir une traduction de la dénonciation ou de l'acte d'accusation établi contre lui. Il s'agit d'un pas positif dans la direction établie par les tribunaux. Cependant, aux termes de la modification proposée, l'accusé serait tenu de présenter une demande visant à obtenir une traduction de la dénonciation ou de l'acte d'accusation, même après avoir choisi la langue officielle du procès.
La dénonciation et l'acte d'accusation contiennent des renseignements importants dont l'accusé a besoin pour répondre aux accusations: il ne devrait pas revenir à l'accusé de présenter une demande de traduction. L'accusé devrait pouvoir obtenir une traduction aussitôt que possible, sans être tenu de présenter une demande.
Je recommande que l'article 19 du projet de loi , qui ajoute l'article 530.01, soit modifié en conséquence.
[Français]
J'aimerais également insister sur les procès bilingues. En vertu du nouveau paragraphe 530(6) du Code criminel, dont il est question au paragraphe 18(2) du projet de loi , si deux accusés ou plus choisissent de subir leur procès dans différentes langues officielles alors qu'ils subiraient autrement leur procès conjointement, une ordonnance prévoyant la tenue du procès dans les deux langues officielles est justifiée. À l'heure actuelle, le Code criminel autorise les tribunaux à ordonner la tenue de procès bilingues. Toutefois, selon la jurisprudence pertinente dans le domaine, pour qu'un tribunal rende une telle ordonnance, il doit tout d'abord être convaincu que les droits des coaccusés et les intérêts de la justice sont pris en compte de façon appropriée. Puisque la modification prévoit expressément les circonstances justifiant la tenue d'un procès bilingue, je crains qu'elle élimine cet exercice d'équilibre important. Je recommande donc que le libellé proposé du paragraphe 530(6) soit modifié de manière à ce que le tribunal conserve son pouvoir discrétionnaire lorsqu'il s'agit d'ordonner la tenue d'un procès bilingue. La tenue d'un procès bilingue repose sur l'hypothèse que les coaccusés connaissent suffisamment bien les deux langues pour comprendre le déroulement de l'instance. Cela n'est pas toujours le cas.
Pour conclure, j'aimerais attirer votre attention sur deux questions dont le projet de loi ne traite pas expressément. La première se rapporte au fait que les dispositions du Code criminel en matière de droits linguistiques ne visent que les étapes du procès et de l'enquête préliminaire dans le cadre du processus pénal. Dans le passé, mes prédécesseurs ont préconisé l'attribution des droits linguistiques dans le cadre des instances liées au procès, notamment les requêtes, la sélection des jurés et les enquêtes sur le cautionnement, ainsi que le processus d'appel d'une façon générale. Il s'agit d'étapes critiques du processus pénal qui ont une incidence importante sur l'issue du processus dans son ensemble. Sans l'attribution des droits linguistiques dans le cadre de ces instances connexes, l'accusé ne peut exercer pleinement son droit de subir son procès dans la langue officielle de son choix. Nous prions le gouvernement d'examiner prochainement la question.
La deuxième question, mais sans doute la plus importante, se rapporte à la pénurie de juges bilingues au sein des cours supérieures provinciales. Comme vous le savez sûrement, la pénurie de juges bilingues, c'est-à-dire de juges ayant une connaissance adéquate de l'anglais et du français, constitue l'un des principaux obstacles à l'accès à la justice dans nos deux langues officielles. Mes prédécesseurs ont relevé ce problème dès le début des années 1990, et le ministère de la Justice l'a signalé dans une étude intitulée « État des lieux sur la situation de l'accès à la justice ». Ce problème existe encore.
La Fédération des associations des juristes d'expression française, l'Association du Barreau canadien et la commissaire Dyane Adam, ma prédécesseure, ont soulevé la question devant le Sous-comité sur le processus de nomination à la magistrature fédérale du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile.
Dans son rapport préliminaire publié en novembre 2005, le sous-comité a reconnu l'importance de modifier le processus afin de corriger le problème. Il est essentiel que le niveau de bilinguisme institutionnel des cours supérieures soit suffisant pour que l'accusé bénéficie des garanties linguistiques prévues aux articles 530 et 530.1 du Code criminel. Sans cette capacité de bilinguisme institutionnel, les dispositions linguistiques du Code criminel ne pourront atteindre leur objectif, à savoir celui de fournir à l'accusé le droit de subir son procès dans la langue officielle de son choix.
[Traduction]
Je vous remercie d'avoir pris le temps d'entendre mes commentaires — tant positifs que constructifs — au sujet du projet de loi. Je me réjouis des caractéristiques positives du projet de loi sur le plan des droits linguistiques dans le contexte pénal. Je vous demanderais de bien vouloir examiner les suggestions que j'ai faites en vue de l'amélioration du projet de loi ainsi que mes commentaires visant d'autres progrès dans ce domaine important.
C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
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Messieurs les députés, madame la députée, bonjour.
Je m'appelle Louise Aucoin et je suis la présidente de la Fédération des associations de juristes d'expression française de Common Law, connue sous l'acronyme FAJEF. Je suis accompagnée de Mme Diane Côté, qui est responsable des relations gouvernementales de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, la FCFA.
Permettez-moi de vous parler brièvement de la FAJEF. Celle-ci regroupe sept associations de juristes d'expression française et a pour mandat de promouvoir et défendre les droits linguistiques des minorités francophones, notamment, mais pas exclusivement, en matière d'administration de la justice. La FAJEF a donc un mandat communautaire.
À titre d'information, il y a des associations de juristes d'expression française en Colombie-Britannique, en Alberta, en Saskatchewan, au Manitoba, en Ontario, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, qui représentent environ 1 200 juristes d'expression française. La FAJEF est aussi membre de la FCFA. C'est pour cette raison que Mme Côté m'accompagne.
Ma présentation d'aujourd'hui portera sur le projet de loi , en particulier sur les modifications de nature linguistique proposées au Code criminel qui se retrouvent dans ce projet de loi.
Pour commencer, la FAJEF tient à souligner que de façon générale, elle est heureuse des modifications proposées en matière des dispositions linguistiques dans le projet de loi C-23. Elle sont positives, notamment en ce qui a trait à l'obligation de veiller à ce que dorénavant tous les accusés soient informés de leur droit de choisir la langue officielle de leur choix dans le cadre d'un procès criminel. Cependant, la FAJEF demeure préoccupée par certaines modifications et voudrait suggérer quelques améliorations à celles-ci. D'ailleurs, nous avons quatre recommandations précises à vous suggérer.
La première recommandation porte sur le paragraphe 530(6). Ce dernier rend des procès bilingues automatiques — et nous insistons sur le mot « automatiques » — lorsque des coaccusés choisissent des langues officielles différentes. Bien qu'il soit dans l'intérêt de la justice de tenir des procès bilingues à l'occasion, la FAJEF croit que les procès bilingues ne devraient pas être automatiques, car en pratique, ils peuvent considérablement diluer les droits linguistiques d'un accusé.
La FAJEF recommande de nuancer — il s'agit donc vraiment d'une petite modification — la circonstance énoncée au paragraphe 530(6), en y ajoutant le mot « peut », au début. Cette modification au libellé permettrait ainsi aux juges d'exercer leur pouvoir discrétionnaire en acceptant ou non la tenue d'un procès bilingue, et ce, à la lumière des circonstances particulières de chaque cas.
Notre deuxième recommandation concerne le paragraphe 530.01(1) du projet de loi. Celui-ci prévoit qu'une fois qu'un accusé a demandé de subir son procès dans une langue officielle différente de celle des dénonciations ou des actes d'accusation, le poursuivant doit, suite à la demande de l'accusé — c'est un point que M. Fraser a souligné —, remettre la traduction de ceux-ci à l'accusé. La FAJEF croit que la remise d'une traduction des dénonciations et des actes d'accusation devrait être automatique plutôt qu'à la demande de l'accusé, surtout que l'accusé aurait déjà indiqué qu'il voulait subir son procès dans la langue officielle de son choix. Selon la FAJEF, l'accusé ne devrait pas être obligé de demander à plusieurs reprises que tout se passe dans la langue officielle de son choix. Une seule demande devrait donc suffire.
Notre troisième recommandation a trait à l'alinéa 530.1c). Cet alinéa permet aux juges d'autoriser le poursuivant à interroger ou contre-interroger un témoin dans la langue officielle de ce dernier, même si cette langue n'est pas celle de l'accusé ni celle qui permet à ce dernier de témoigner le plus facilement.
La FAJEF croit que le poursuivant devrait utiliser autant que possible la langue de l'accusé pour interroger ou contre-interroger un témoin, bien que parfois, il soit justifié que le poursuivant interroge ou contre-interroge un témoin dans la langue autre que celle de l'accusé. Nous croyons qu'en ajoutant « si les circonstances le justifient » au libellé de l'alinéa 530.1c), le pouvoir discrétionnaire du juge ou du juge de paix serait mieux encadré afin qu'une telle pratique ne devienne pas automatique.
Finalement, notre quatrième recommandation porte sur l'article 531. La FAJEF est préoccupée par l'article 531 dans le projet de loi et, en particulier, de son application au Nouveau-Brunswick, car cet article pourrait donner lieu à des transferts de procès d'une circonscription territoriale à une autre pour des raisons linguistiques. Étant donné le régime linguistique très particulier du Nouveau-Brunswick, la seule province officiellement bilingue, les procès en matière criminelle devraient être disponibles dans les deux langues officielles dans toutes les circonscriptions territoriales de cette province, sans que l'accusé soit obligé de subir son procès dans une autre circonscription. La FAJEF souhaite qu'une modification au libellé de l'article 531 du projet de loi soit apportée à cet effet.
Voilà donc les quatre recommandations de la FAJEF. Cependant, avant de conclure, il faut souligner que le projet de loi soulève deux autres préoccupations que nous aimerions voir traiter dans un avenir assez rapproché.
Premièrement, puisque le droit de subir son procès dans la langue officielle de son choix nécessite la présence d'un nombre minimal de juges bilingues, le processus de nomination de juges à la magistrature fédérale devrait être modifié pour mieux tenir compte cette réalité. Par exemple, la capacité bilingue des candidats devrait être évaluée, et le nombre nécessaire de juges bilingues pour assurer un accès égal à la justice en français au Canada devrait être dressé pour chacune des provinces ou régions. Cela n'est certainement pas le cas à l'heure actuelle.
Deuxièmement, il serait important que les droits linguistiques qui s'appliquent au procès s'appliquent aussi, dans un avenir que nous souhaitons rapproché, à toutes les procédures incidentes à un procès et aux autres formes d'enquêtes et d'auditions prévues au Code criminel, comme des demandes de modification des ordonnances de probation ou d'emprisonnement avec sursis, de déclaration de délinquants dangereux et de contrôle judiciaire.
En guise de conclusion, la FAJEF appuie les modifications de nature linguistique proposées dans le projet de loi , avec les réserves que nous avons exprimées.
Il me fera plaisir de répondre à toutes vos questions. Merci.
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Au sujet du deuxième amendement, soit prévoir que le procès « peut » être bilingue, je ne peux m'imaginer pourquoi on s'y opposerait. De toute façon, si le juge veut que le procès se tienne dans les deux langues, c'est ce qu'il ordonnera.
En ce qui concerne le troisième amendement, sur les autres procédures, j'imagine que la principale objection... c'est un changement qui paraît tout à fait juste, raisonnable et logique, mais qui entraînerait des changements importants au système. J'imagine que les provinces, dans le cadre des négociations, ainsi que les territoires, invoqueraient leur capacité limitée de garantir ce droit en pratique et demanderaient que les progrès se fassent graduellement.
Puisque cet amendement est si logique et tout à fait justifié, croyez-vous qu'en dépit des changements importants qu'il nécessiterait, on pourrait amener les provinces et territoires, progressivement, à l'approuver?
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J'ai l'intention de présenter une motion pour qu'en septembre, on consacre quelques séances à la question du bilinguisme dans le domaine de la justice.
Que souhaitez-vous? Vous savez que ce comité a interrogé le juge Rothstein, dont on ne doute pas des compétences. Cependant, comment un gouvernement peut-il nommer un juge unilingue anglais à la Cour suprême? Vous vous rappellerez que le gouvernement a fait cet affront aux francophones. Je ne remets pas en doute les compétences du juge Rothstein. Par contre, ça n'a pas de bon sens, et on vient de faire la même chose avec M. Sullivan, l'ombudsman pour les victimes d'actes criminels, qui ne parle que l'anglais. Je pense qu'on doit envoyer un message très clair, surtout au gouvernement actuel, qui se préoccupe moins du bilinguisme.
Que souhaiteriez-vous, en termes de douce coercition législative, pour qu'il y ait plus de juges bilingues?
Mme Aucoin aurait peut-être des idées sur cette question.
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Ma prédécesseure, Dyane Adam, a déjà fait une présentation, je crois, devant ce comité sur cette question. En effet, cela devrait être un critère de sélection important. La Cour suprême fait exception, actuellement.
Permettez-moi de parler en termes plus généraux. À mon avis, la capacité linguistique est de plus en plus importante sur le plan du leadership au Canada, et pas seulement dans le domaine juridique. Tous les partis politiques l'ont compris. De plus en plus, on peut vivre dans une seule langue dans les régions du Canada, mais je crois que pour jouer véritablement un rôle de leadership dans ce pays, la capacité linguistique est importante. Cela implique une responsabilité non seulement pour les écoles secondaires, mais aussi pour les universités et, dans ce cas, les facultés de droit.
Si on comprend bien dès le début qu'il faut maîtriser les deux langues officielles pour accéder à un poste supérieur de la profession, cela aura des implications importantes pour les facultés professionnelles.
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Bonjour, monsieur Fraser. C'est la deuxième fois que je vous rencontre. La première fois, c'était au Comité des langues officielles.
Bonjour, mesdames Tremblay, Aucoin et Côté.
En ce qui concerne le projet de loi , je pense qu'il constitue quand même une protection pour les accusés. On s'entend à ce sujet. En effet, on nous accuse souvent de suivre une idéologie qui ne prend en considération que les victimes. Dans le cas présent, on a pensé aux accusés. Je vais adresser ma question à Mme Aucoin, qui est avocate.
Il y a environ deux ans dans ma province, un méga-procès a eu lieu. Vous savez ce qu'est un méga-procès? Trente-huit individus reliés au trafic de drogue, à des meurtres, etc. étaient accusés en même temps. Certains étaient francophones et d'autres, anglophones. Le crime n'a pas de langue. Ils se sont tous retrouvés au Palais de justice Gouin. Les avocats, dont je faisais partie, n'étaient pas des fous. On a demandé des procès séparés. Pourquoi? Parce que le temps qu'on gagne en attendant un procès compte en double, donc on l'utilise.
Je voudrais savoir si on pourra scinder les procès. En effet, dans ce genre de situation, l'individu ne veut pas être accusé en même temps qu'un coaccusé qui pourrait témoigner contre lui, et vice versa. Si j'ai bien compris, la langue va elle aussi devenir un outil. Donc, avec 38 accusés, il pourra y avoir 38 procès séparés.
On parle de méga-procès. Dans votre tête, vous vous êtes représenté un petit procès ordinaire où il y aurait un accusé. Ce n'est pas très difficile. Mais dans pratiquement toutes les provinces, il y a des méga-procès reliés à la drogue. Ça veut dire qu'un avocat habile pourrait maintenant utiliser ce projet de loi, qui protège les droits de l'accusé, et faire en sorte qu'il y ait 38 procès séparés. Il pourrait invoquer deux motifs dorénavant.
Vous êtes avocate et vous travaillez dans le cadre de la common law. J'aimerais que vous me disiez si une telle éventualité est possible.
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Ma question s'adresse à M. Fraser.
À la page 2 de la version française de votre document, on dit ceci:
La deuxième question, mais sans doute la plus importante, se rapporte à la pénurie de juges bilingues au sein des cours supérieures provinciales.
Dans la province de Québec, les juges sont nommés par le provincial, mais il y a aussi des juges de la Cour supérieure. Cependant, nous avons appris, lorsque nous avons travaillé dans le cadre des comités traitant de la nomination des juges, que les juges de la Cour supérieure nommés au Québec n'étaient affectés à des causes de nature criminelle que dans 2 p. 100 des cas. Donc, dans 98 p. 100 des cas, ces causes sont du ressort de juges provinciaux. Si j'ai bien compris, cette remarque s'adresse uniquement aux juges de la Cour supérieure, c'est-à-dire ceux qui sont nommés par le fédéral. Les autres, qui représentent 98 p. 100 des juges, ne sont pas touchés par cette recommandation.
Je trouve cette discussion très intéressante. J'habite dans la circonscription de Wild Rose. J'assiste souvent à des séances de tribunal dans cette région de l'Alberta surtout en raison du travail que j'ai fait ces dernières années dans le domaine de la justice.
J'ai écouté la discussion et j'appuie le projet de loi; j'estime qu'il contient des correctifs qui s'imposent. Mais peut-être voudriez-vous nous dire ce que vous pensez de la situation qui existe dans des régions comme la mienne où une grande majorité des causes nécessitent la connaissance d'une langue autre que le français ou l'anglais. De nombreux Européens se sont installés chez nous, des Hollandais et des Allemands, dont bon nombre pourraient avoir à être traduits devant les tribunaux, sans compter les immigrants de l'Asie.
Il n'est donc pas rare que, dans ma région, on exerce des pressions considérables sur les tribunaux pour qu'ils tiennent des procès dans une langue autre que le français ou l'anglais. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet?
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Je crois savoir que les tribunaux, à l'instar d'autres institutions de la société canadienne, ont déployé de grands efforts pour s'assurer que des services d'interprétation sont offerts dans des langues autres que les langues officielles.
Mon mandat à moi ne s'applique qu'à nos langues officielles. La politique des langues officielles n'a toutefois pas empêché les tribunaux d'offrir des services d'interprétation aux accusés et aux témoins qui en ont besoin, tout comme les hôpitaux ont des services d'interprétation d'urgence pour que ceux qui arrivent à l'hôpital hurlant de douleur et qui ne parlent ni le français ni l'anglais puissent se faire comprendre.
Il faut aussi savoir que, en général, les langues non officielles parlées au Canada sont la plupart du temps des langues de transition. Ce sont des langues qu'on parle à la maison pendant une génération.
Le politologue Michael MacMillan a élaboré une règle empirique que je trouve très utile et qu'il appelle la règle de la troisième génération. Si, dans une communauté, on parle encore sa langue à la maison après trois générations, cette communauté pourrait légitimement avoir des revendications linguistiques.
C'est peut-être pour cette raison que l'un des commissaires de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme a présenté un rapport dissident faisant valoir que l'ukrainien devrait être l'une des langues officielles du Canada. En 1951, 450 000 Canadiens parlaient l'ukrainien à la maison, mais en 1981, ils n'étaient plus que 45 000 à le faire.
En comparaison, en 1961, il y avait au Canada cinq millions de francophones dont trois millions étaient unilingues et, en 2001, il y avait 7 millions de Canadiens francophones dont 4 millions étaient unilingues. Le français n'est pas une langue de transition au Canada; c'est une langue officielle. C'est une langue en pleine croissance qui, de plus en plus, à l'échelle du pays, est la langue qu'adoptent les immigrants et les réfugiés. C'est une langue officielle qui s'accompagne de divers droits linguistiques enchâssés dans la Charte.
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Je pense que c'est tout à fait le cas, monsieur Fraser.
Merci à tous d'être venus, madame Côté, madame Aucoin, monsieur Fraser et madame Tremblay. Merci d'être venus.
Voilà qui termine notre réunion sur le projet de loi .
Nous suspendons la séance pendant deux à trois minutes.
Le président: Le Comité permanent de la justice et des droits de la personne reprend ses travaux.
Nous avons une motion présentée par M. Ménard portant sur le crime organisé, les gangs, les stupéfiants, etc.
Je vais donner la parole à M. Ménard. Il y a quelques problèmes quant à la façon dont le gouvernement peut traiter de la motion, mais je vous laisse d'abord vous expliquer, monsieur Ménard.
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J'espère que nous pourrons aider le comité à délibérer sur la motion de M. Ménard. Je vous remercie de m'avoir invité à vous décrire le contexte dans lequel les questions sur lesquelles porte la motion dont vous êtes saisis ont été soulevées.
J'aborderai d'abord la première des deux questions faisant l'objet de la motion de M. Ménard.
Comme vous le savez, le projet de loi C-24 est entré en vigueur en 2002 et je crois que M. Ménard était membre du comité à l'époque. Le projet de loi C-24 a modifié la définition d'une organisation criminelle. Voici la définition qui figure au paragraphe 467.1(1) :
groupe, quel qu'en soit le mode d'organisation :
a) composé d'au moins trois personnes se trouvant au Canada ou à l'étranger;
b) dont un des objets principaux ou une des activités principales est de commettre ou de faciliter une ou plusieurs infractions graves qui, si elles étaient commises, pourraient nous procurer — ou procurer à une personne qui en fait partie —, directement ou indirectement, un avantage matériel, notamment financier.
On a jugé bon d'apporter cette modification parce que la définition précédente d'organisation criminelle était plus complexe et exigeante. Par exemple, il fallait prouver l'exercice d'activités criminelles répétées, ce qui était difficile pour les procureurs de la Couronne. De plus, il y a eu des progrès au niveau international, auquel je reviendrai dans un moment, qui nous ont incités à adopter une nouvelle définition fondée sur la définition de criminalisation figurant à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée.
Le concept de l'avantage matériel a été interprété comme étant très large et suffisamment large pour s'appliquer aux cas de violence gratuite, tels que les fusillades au volant dont traite M. Ménard dans sa motion. Les normes juridiques internationales et notre propre jurisprudence le confirment. Du point de vue de la politique en matière pénale, ce qui compte, c'est qu'on exige que l'infraction que commet ou facilite l'organisation criminelle lui procure un avantage matériel.
Monsieur le président, nul doute que les membres du comité savent que l'adoption du projet de loi C-24 visait en partie à permettre au Canada de ratifier la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée. La définition de « groupe criminel organisé » figurant dans cette convention exige aussi que la commission d'une infraction grave ait pour but l'obtention d'un avantage financier ou d'un autre avantage matériel. Nous avons cette définition sur papier, si certains veulent la lire.
Tout comme vous aujourd'hui, les rédacteurs de la Convention se font interroger sur les cas où des criminels organisés commettent des infractions telles que le meurtre dont on pourrait alléguer qu'il n'apporte aucun avantage matériel direct à l'organisation. Il a été proposé d'élargir la définition de façon à s'assurer que les autres fins illégitimes soient visées. Toutefois, en dernière analyse, les rédacteurs ont conclu que le concept de l'avantage matériel devait être interprété de façon libérale, ce qu'ont confirmé nos tribunaux, et que ce qui motivait cette infraction pouvait être vu comme étant indirectement lié à l'obtention d'un avantage matériel. La jurisprudence canadienne a clairement confirmé cette vue.
Notons aussi que, du point de vue de la politique juridique, le concept de l'avantage matériel permet de limiter la portée des dispositions législatives aux seules organisations criminelles visées par la loi. Ainsi, le concept de l'avantage matériel permet de distinguer les groupes criminels organisés des groupes qui commettent des meurtres pour des motifs autres qu'un avantage matériel tels que des raisons politiques.
Monsieur le président, la jurisprudence canadienne confirme que le concept de l'avantage matériel est suffisamment large et que l'on a délibérément donné à l'article en question une grande portée pour donner aux organismes d'application de la loi la marge de manoeuvre dont ils ont besoin pour s'attaquer à toute la gamme des activités qu'exercent les organisations criminelles.
La Cour supérieure de l'Ontario et la Cour supérieure du Québec ont rendu des décisions où elles notent que l'expression « avantage matériel » est large et que ce qui constitue un avantage matériel dépend des faits de la cause.
Ainsi, dans la Reine c. Leclerc, la Cour supérieure du Québec a noté que toute activité ayant pour objet de procurer à un gang une présence accrue dans un territoire particulier pour la vente de drogues constitue un avantage pour l'organisation criminelle. C'est d'ailleurs de cela qu'il s'agit dans les cas de fusillade au volant et d'autres actes de violence apparemment gratuite, y compris ceux des gangs de rue. Ces agissements visent à créer un climat d'intimidation qui contribue indirectement au trafic de drogue ou à tout autre crime procurant un avantage matériel direct.
En outre, il importe de noter que rien ne découle directement de la définition d'organisation criminelle. Il n'est pas essentiel que le crime dont la cour est saisie relève de la définition d'organisation criminelle. La définition d'organisation criminelle sert, lorsqu'une accusation est portée...
Par exemple, on peut invoquer l'article 467.12 qui dispose qu'il y a acte criminel lorsque l'infraction est commise au profit ou sous la direction d'une organisation criminelle ou en association avec elle. Il faut donc qu'il y ait une infraction et une organisation criminelle. L'organisation criminelle existe si elle commet ou facilite des infractions procurant un avantage matériel — ce concept très large de l'avantage matériel — qu'elle commette ou non des actes de violence sans raison ou apparemment sans raison.
Cela dit, dans cette partie de la motion, M. Ménard soulève une question sérieuse, celle des fusillades au volant. Nous avons commencé à examiner la législation criminelle afin de déterminer si elle comporte suffisamment d'outils pour lutter contre ce comportement criminel téméraire.
En ce qui concerne les dispositifs de localisation tels que les systèmes GPS, nous examinons aussi cette question. Nous remercions d'ailleurs M. Ménard d'en avoir fait mention dans sa motion. Nous envisageons diverses façons de renforcer nos lois pénales pour lutter contre le crime organisé et, entre autres, l'option qui figure dans la deuxième partie de la motion.
Il reste à régler des questions portant surtout sur le financement. Tout ce que nous pouvons vous dire, c'est qu'aucun financement n'est actuellement prévu pour les activités proposées dans la motion.
Permettez-moi une observation. L'idée d'un site Web hautement sécurisé, qui exigerait certainement beaucoup de ressources, serait réalisable selon la jurisprudence, mais, pour toutes sortes de raisons, il ne serait probablement pas possible d'afficher sur un site Web tous les éléments de preuve présentés par la défense et la Couronne. Tous les éléments de preuve ne pourraient figurer sur un site Web, même si la jurisprudence le permettrait. De plus, un site Web hautement sécurisé nécessiterait beaucoup de ressources.
Cela met fin à mes remarques, monsieur le président. J'espère qu'elles vous auront aidés dans votre examen de la motion de M. Ménard.
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Merci, monsieur le président.
Les fonctionnaires sont toujours les bienvenus s'ils veulent venir jeter un éclairage sur les travaux du comité. Cela ne me pose aucune difficulté. Je ne sais pas si je vais me rendre à l'argument, par contre, mais je veux bien comprendre.
J'ai fait mon travail de député. Je suis un député de Montréal, et les gens de mon service de police se préoccupent de l'affrontement entre les gangs de rue. Ce phénomène n'est pas propre à Montréal. Il existe aussi à Toronto, à Vancouver et ailleurs.
Si vous dites, et vous devrez me donner des preuves et de la jurisprudence, que dans l'état actuel du droit, les policiers...
Les policiers de Montréal me disent qu'ils ne peuvent pas porter d'accusation en lien avec l'article 467.11 à l'endroit de gens qu'ils savent reliés aux gangs de rue lorsqu'ils font du drive-by shooting. Ils peuvent les accuser d'homicide, de possession d'armes illégales, de troubler la paix publique, mais ils ne peuvent pas les accuser quand ils se trouvent à bord d'une voiture et qu'ils tirent sur quelqu'un, pas nécessairement pour le tuer mais dans le but d'accroître leur influence sur leur territoire. Ils m'ont dit que cela échappait à la définition d'« organisation criminelle ».
J'ai aussi lu les arrêts Leclerc et Carrier et je ne me rappelle pas qu'on ait dit cela. Si vous me dites que c'est déjà couvert par le droit actuel, c'est tant mieux. On ne légifère pas inutilement. Si le problème est réglé, je retire cet aspect de ma motion et on adopte les trois autres. Par contre, ce n'est pas ce que les policiers prétendent.
J'aimerais que vous soyez très clair avec nous. Pouvez-vous affirmer que les tribunaux ont interprété la définition d'« organisation criminelle » de manière à ce qu'un corps policier, où qu'il soit au Canada ou au Québec, puisse porter des accusations pour du drive-by shooting en lien avec les organisations criminelles? C'est ce que vous dites ce matin. Vous dites que l'avantage financier et l'avantage matériel incluent l'accroissement de l'influence sur un territoire, et vous allez déposer la jurisprudence qui existe à cet égard.
D'ailleurs, vous avez la fâcheuse habitude de ne jamais faire circuler vos textes. Ce serait bien qu'on voie vos textes. Cela fait deux ou trois fois que vous venez devant le comité et que vous ne faites pas circuler vos textes. Ce serait bien qu'on les voie.
Dites-moi si, oui ou non, le droit actuel, aux articles 467.11, 467.12 et 467.13, permet de porter des accusations pour le drive-by shooting.
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Attendez un instant. Je veux bien comprendre parce que c'est ce qui inquiète les policiers.
Voici la question que je vous pose clairement. Bien sûr, on conçoit que des infractions substantives existent dans le Code criminel pour le cas d'une personne qui est dans une communauté et qui utilise une arme à feu pour attenter à la vie de quelqu'un. Cependant, les policiers nous disent qu'ils veulent porter des accusations en vertu de l'article 467.11 parce que l'admissibilité à la libération conditionnelle est plus tardive et les peines, plus sévères dans ce cas. Je sais bien qu'ils peuvent porter d'autres types d'accusations.
Supposons qu'à Montréal, à Toronto ou à Vancouver, un membre d'un gang de rue fait du drive-by shooting et que les policiers sont capables de le relier à une organisation criminelle en se fondant sur les trois critères. Ce sont trois personnes, non formées au hasard, qui ont contribué à l'enrichissement du groupe par des moyens matériels, notamment financiers. Le fait qu'elles aient fait du drive-by shooting va-t-il permettre aux policiers de porter des accusations en vertu des articles 467.11, 467.12 et 467.13?
Ne me parlez pas des autres infractions, car je sais qu'on peut les accuser. Est-ce que, oui ou non, le drive-by shooting permet de les relier aux organisations criminelles? Si c'est le cas, vous allez nous fournir la jurisprudence appropriée. Si cela existe déjà, je suis prêt à retirer la partie a) de ma motion. Il se peut que les policiers aient été mal informés. Si c'est le cas, on le leur dira et on leur fera parvenir une réponse écrite, mais je vous prie d'être précis et clair.
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Je pense que nous avons suffisamment discuté du paragraphe a).
Pouvons-nous passer au point suivant? Soit dit en passant, je sais que est plein de bonnes intentions, comme nous le sommes tous, mais en présentant ainsi une motion de fond plutôt complexe, on se trouve à contourner les procédures de la Chambre relatives aux affaires émanant des députés. Je sais que cette motion partait de bonnes intentions, mais je me demande si elle était vraiment recevable.
Quoi qu'il en soit, poursuivons. Voici ma question. Le paragraphe b) porte sur les autorisations judiciaires pour la surveillance électronique; pourquoi la surveillance électronique au moyen d'un GPS ne relève-t-elle pas déjà de cette disposition? Il me semble que la surveillance au moyen d'un GPS peut facilement être assimilée à la surveillance électronique.
Pouvez-vous répondre à ma question, monsieur Bartlett ou monsieur Taylor?